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L’économie contre l’éthique ?
Une tentative d’analyse économique de l’éthique médicale
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La réforme promise
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de l’assurance maladie met en avant l’augmentation incontrôlée des dépenses de
santé. Dans cette perspective « comptable », il apparaît nécessaire de soigner à moindre coût et les
pouvoirs publics cherchent à organiser cette recherche « d’économies » en développant un discours sur
l’optimisation de l’offre de soins.
La résistance du corps médical à prendre en considération la contrainte financière a besoin de légitimité.
Parmi les arguments mobilisés, la référence à une éthique médicale est celui qui fait le plus autorité. En
effet, cet argument transcende les conceptions de l’organisation de la médecine
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, unifie la profession et
définit l’activité médicale. La moralité professionnelle est formatée aussi bien par des supports visibles ou
codifiés comme les codes de déontologie ou les comités d’éthiques que par des ressources plus
symboliques comme le serment d’Hippocrate ou encore par un “conseil de l’Ordre ” qui veille à son
respect. Cette éthique n’est pas seulement une éthique qui s’écrit et qui s’institutionnalise dans des textes.
C’est aussi une éthique “qui se fait ” dans la mesure où les médecins justifient quotidiennement leur
pratique au nom de principes éthiques qui n’ont pas besoin de définitions précises
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. L’éthique est donc
une institution invisible qui dicte, en situation, la conduite à observer face aux patients.
Les recommandations plaidant pour la maîtrise des coûts se heurtent alors souvent à l’affichage d’une
orientation éthique qui cherche au contraire à s’affranchir de telles prescriptions. La bonne pratique
professionnelle s’oppose ainsi à la bonne gestion économique. Fort de son autorité éthique, le monde
médical considère que les prescriptions économiques risquent de détériorer la qualité de soins. A
contrario, les recommandations de politique économique soulignent que l’éthique ne peut être
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Ce travail doit beaucoup aux échanges fructueux avec Maryse Gadreau, à laquelle je suis redevable. Je
remercie également les deux rapporteurs de la revue ainsi que Philippe Abecassis et Ariane Ghirardello
dont les remarques critiques ont permis d’améliorer l’article. Toute insuffisance demeure de ma
responsabilité.
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A l’heure où sont écrites ces lignes, le détail de la réforme 2004 n’est pas connu.
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La valorisation d’une éthique n’est pas conditionnée à la défense du caractère libéral de la médecine et
plus généralement à la charte de la médecine libérale de 1926.
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Ainsi Paillet [1] montre, à partir d’un travail ethnographique mené à l’hôpital que les personnels
soignants se réfèrent à l’éthique sans pouvoir la définir. Le concept est “ flou, vague, indéfini,
indiscernable et insaisissable ” (p. 92).