Klesis – revue philosophique – 2013 : 25 – Philosophies de la nature
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constitue la pierre de touche du projet même d’une philosophie de la nature
en général, il convient de s’interroger sur la place exacte que Schelling
attribue aux notions d’organisme et d’organisation dans la philosophie de la
nature qu’il inaugure en 1797 avec les Idées pour une philosophie de la
nature et à laquelle il travaille intensément jusqu’en 18066. Pour mener à
bien une telle clarification, il faut d’emblée souligner que le concept
d’organisme n’est pas le seul concept central de la philosophie
schellingienne de la nature ; en effet, l’une de ses inspirations
fondamentales réside dans une conception dynamique de la matière, héritée
elle aussi de Kant. C’est ainsi qu’Emmanuel Renault décrit à juste titre
l’ambition schellingienne dans sa première Naturphilosophie, c’est-à-dire
celle des Idées de 1797 et De l’âme du monde de 1798, comme la volonté
d’ « effectuer la synthèse des deux sources kantiennes de la
Naturphilosophie, les Premiers principes métaphysiques de la science de la
nature, et la Critique de la faculté de juger »7. La question que l’on peut se
poser est dès lors de savoir si une telle ambition est effectivement réalisée
par Schelling, ou bien s’il n’y a pas une incompatibilité entre ces deux
inspirations communes, et qui se révèleraient donc potentiellement
concurrentielles. L’enjeu de cet examen réside dans la situation de Schelling
vis-à-vis de l’idée d’une philosophie de la vie : la place que tient
l’organisme dans la réflexion schellingienne sur la nature en fait-elle un
« philosophe de la vie » ? La notion de vie joue-t-elle effectivement le rôle
entre la Naturphilosophie développée par certains auteurs romantiques (Novalis et Franz
von Baader par exemple, nonobstant les différences qui existent entre leurs projets
respectifs, peuvent être considérés comme des représentants de cette Naturphilosophie
romantique) et les philosophies de la nature développées par Schelling et Hegel, dont
l’intention, loin de fonder un discours pseudo-scienfitique sur des intuitions mystiques ou
fantasmagoriques, serait de « reconstruire philosophiquement le savoir scientifique » : voir
Hegel. La naturalisation de la dialectique, Paris, Vrin, 2001, p. 19.
6 Après cette date, Schelling ne rédige plus d’œuvre spécifiquement consacrée à la
philosophie de la nature (si l’on excepte l’Exposition du procès de la nature, élaborée
pendant l’hiver 1843-1844 : voir Schellings Sämmtliche Werke, Stuttgart-Augsburg, Cotta,
1856-1861 (désormais abrégé SW), t. X, p. 303-390), mais les acquis de cette dernière
continuent de jouer un rôle majeur dans sa réflexion ultérieure. C’est le cas par exemple
dans les Recherches philosophiques sur l’essence de la liberté humaine de 1809, où la
notion fondamentale du Grund, du fondement, est rattachée par Schelling à la
conceptualisation menée dans la Naturphilosophie : voir SW VII, p. 357, tr. Jean-François
Courtine et Emmanuel Martineau in Œuvres métaphysiques, Paris, Gallimard, 1980, p.
143-144. De la même manière, dans les leçons qu’il consacre à l’histoire de la philosophie
moderne à la fin des années 1820, Schelling expose, sans aucunement les renier, les
développements de sa propre philosophie de la nature : voir Contribution à l’histoire de la
philosophie moderne, SW X, p. 99 sq, tr. Jean-François Marquet, Paris, PUF, 1983, p. 116
sq.
7 Emmanuel Renault, Philosophie chimique. Hegel et la science dynamiste de son temps,
Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2002, p. 100.