Liberté – Leibniz – Dupond 4
© Philopsis – Dupond
Quelle raison suffisante le péché peut-il bien avoir pour ne pas
contredire la toute-puissance et la bonté de Dieu ?
Déterminée formellement, cette raison doit pouvoir s’opposer à la
bonté de Dieu, c’est-à-dire être une cause infinie.
Leibniz ne parle pas d’une cause infinie s’opposant à la toute-
puissance et à la bonté, mais d’une cause infinie s’opposant à la bonté. Rien
ne peut s’opposer à la toute-puissance, puisqu’il n’existe rien d’autre que
Dieu et ce que Dieu a créé. Puisque tout ce qui existe en dehors de Dieu
existe par la puissance créatrice de Dieu, une limitation de cette toute-
puissance serait contradictoire. En revanche peut s’opposer à la bonté de
Dieu ce qui existe en dehors de Dieu par la toute-puissance de Dieu, et plus
précisément ce qui accompagne nécessairement tout ce qui existe par la toute-
puissance de Dieu. Rien ne peut limiter la toute-puissance de Dieu,
puisqu’au moment où s’exerce cette toute-puissance, rien n’existe que Dieu ;
mais quand cette toute-puissance a créé, quelque chose d’autre que Dieu
existe (la créature), qui peut limiter sa bonté (au sens où l’imperfection de la
créature est une limite à la diffusion de la bonté divine).
La cause infinie qui s’opposerait, si cela était possible, à la toute-
puissance divine serait nécessairement de l’ordre de l’être, ce serait être
contre être, puissance contre puissance. Manichéisme. La cause infinie qui
s’oppose à la bonté divine peut, elle, ne pas être de l’ordre de l’être, au sens
où elle est le revers ou le contrepoint de l’être créé : ce sera le néant, au sens
de l’imperfection de la créature.
Ce concept du néant permet à Leibniz de penser une cause limitative
de la bonté divine qui 1/ ait « des attributs communs avec Dieu » (infinité,
éternité), soit par conséquent, en son ordre, l’égal de la nature divine et
puisse ainsi la limiter; 2/ mais ne soit opérante ou efficiente qu’à travers
l’action divine, non intrinsèquement, de telle sorte que Dieu ait l’initiative de
la cause qui limite sa bonté : c’est parce que Dieu crée que le Néant « peut »
quelque chose, c’est-à-dire limiter la perfection de la créature, le néant n’est
efficient que par la médiation de l’être qu’il limite (et dont Dieu est le seul
principe).
Le concept leibnizien du Néant a une origine néo-testamentaire. Il
provient en particulier de la doctrine chrétienne de la creatio ex nihilo. S’il y a
dans la créature du néant qui limite la diffusion de la bonté divine, c’est
parce que Dieu crée ex nihilo, ce qui signifie 1/ non ex deo. Sur ce point se
joue l’opposition entre une doctrine de la création et une doctrine de
l’émanation. Dans une doctrine de l’émanation, le monde est ex deo ; il est
crée par diffusion de la source divine, sans solution de continuité. Dans une
doctrine de la création, le monde est créé par Dieu à partir de rien ou à partir
du rien. 2/ non ex materia. : Tous les Pères de l’Eglise des 2e et 3e s.
combattent l’idée d’une matière incréée, préexistante et qui serait, comme
dans la Gnose, une anti-puissance, un Dieu du mal, un principe originaire de
négativité.
Leibniz évoque également les platoniciens (en pensant sans doute à
Plotin, Ennéades, I, 8 : « Le mal existe en ce qui n’est pas, il est en quelque
sorte la forme du non-être ») et Augustin [Confessions, VII, 12 : « Et le mal