Essai IPERGAY : Quid du patient insuffisant rénal ? La prophylaxie pré-exposition (PrEP) vise à réduire le nombre d’infections au VIH par l’administration d’antirétroviraux, en continu ou à la demande, chez des personnes séronégatives en contact avec le virus. L’essai ANRS-IPERGAY, dont les premiers résultats ont été présentés à la CROI le mois dernier, a montré l’efficacité d’une PrEP prise à la demande associant le ténofovir disoproxil fumarate (TDF) et l’emtricitabine (FTC). En effet, le taux de séroconversion a été plus faible chez les patients bénéficiant de la PrEP que dans le bras placebo (0,94 contre 6,75 pour cent patients année)(1). La posologie est de 2 comprimés de l’association TDF-FTC 300/200 mg 2 à 24 heures avant l’activité sexuelle, suivis d’un comprimé 24 et 48 heures après (tableau 1). Cet essai a été réalisé chez des patients à fonction rénale normale, les patients avec une fonction rénale inférieure à 60 ml/min ayant été exclus de l’étude. Mais qu’en est-il chez les patients insuffisants rénaux ? Cette question est loin d’être anodine puisqu’on estime la prévalence de l’insuffisance rénale à 8 à 13% de la population française (2,3). Tableau 1 : Schéma posologique lors d’une PrEP à la demande dans l’essai IPERGAY. TDF et FTC chez l’insuffisant rénal dans le traitement du VIH Le TDF est une prodrogue rapidement transformée par les estérases plasmatiques en ténofovir. L'excrétion du ténofovir est essentiellement rénale : 70 à 80 % de la dose administrée est retrouvée sous forme inchangée dans les urines (4). La posologie usuelle chez le sujet ayant une fonction rénale normale est de 1 comprimé de 300 mg par jour dans l’indication de traitement au VIH-1. Chez le patient insuffisant rénal dont le débit de filtration glomérulaire (DFG) est inférieur à 50 ml/min, la clairance rénale du TDF est significativement diminuée et l’exposition systémique du médicament augmente par rapport aux patients à fonction rénale normale. Par conséquent, afin d’éviter une accumulation du TDF, il est nécessaire d’adapter la posologie du TDF chez le patient insuffisant rénal, en augmentant l’intervalle entre les prises lorsque la prise se fait sous forme de comprimés (tableau 2)(5). La FTC est très peu métabolisée (13%) dans le foie par oxydation et conjugaison en trois métabolites inactifs. L'excrétion rénale est majoritaire : 86% de la dose administrée est retrouvée dans les urines dont 13% sous forme de métabolites (6). La posologie usuelle chez le sujet ayant une fonction rénale normale est de 200 mg de FTC par jour sous forme de gélule, dans l’indication de traitement au VIH-1. Chez le patient insuffisant rénal, la pharmacocinétique du médicament étant modifiée, il est nécessaire d’adapter la posologie (tableau 2) (5). Tableau 2 : Adaptation posologique du TDF et FTC chez l’insuffisant rénal (5). Association TDF-FTC chez l’insuffisant rénal en PrEP Prise à posologie usuelle ? En théorie, dans le cas de prises ponctuelles, une prise à la posologie usuelle pourrait être envisagée chez le patient insuffisant rénal. Cependant, le nombre de prises lors d’une PrEP et la répétition de PrEP dans des intervalles de temps courts pourrait entraîner un surdosage par accumulation des deux médicaments chez les patients insuffisants rénaux, se manifestant essentiellement par des troubles digestifs, ainsi qu’une pancréatite, une acidose lactique et une hypophosphatémie pour le TDF et des céphalées et une élévation de la créatinine-kinase pour la FTC. Adaptation posologique ? Chez les patients insuffisants rénaux dont le DFG est supérieur à 60 ml/min, l’association TDF-FTC peut être prise à posologie usuelle lors d’une PrEP(1). Mais pour des fonctions rénales inférieures à 60 ml/min, comment procéder ? Lors d’une prise quotidienne par comprimés, une augmentation de l’intervalle de prise permet d’ajuster les posologies. Mais pour un schéma de prise séquencé, doit-on diminuer les doses ou augmenter l’intervalle de prise? Par ailleurs, les deux antirétroviraux ne s’adaptant pas de la même façon à partir d’un DFG à 29 ml/min, l’administration des deux principes actifs doit être faite séparément, ainsi que si l’on choisit de diminuer les doses, l’association TDF/FTC n’étant disponible qu’au dosage 300/200 mg. Il se pose alors le problème de l’observance pour un schéma posologique comme la PrEP. Hors une mauvaise observance entraîne un risque important d’inefficacité, et donc d’infection. Lors de l’essai IPERGAY, les deux contaminations observées dans le bras traité ont été dues à une mauvaise observance. Chronoposologie chez le patient hémodialysé ? Le TDF et la FTC étant tous deux dialysables, l’efficacité du traitement peut théoriquement être mise en jeu si une séance est programmée au cours d’une PrEP chez le patient hémodialysé. Risque d’aggravation de l’insuffisance rénale ? La néphrotoxicité potentielle du TDF doit être prise en compte, même dans le cas de prises ponctuelles. Bien que cette néphrotoxicité concerne tous les patients (une diminution transitoire de la créatininémie a d’ailleurs été observée chez deux patients lors de l’essai), l’insuffisance rénale préexistante peut augmenter la fréquence et la gravité de ces effets rénaux. Des essais chez des patients insuffisants rénaux doivent être mis en place afin d’envisager une utilisation de la PrEP à la demande à la fois efficace et bien tolérée chez ce type de patient. Le 23 mars 2015, Dr Blandine ALOY (1) Molina JM et al. CROI 2015 Abst 23LB. (2) Bongard V et al. Ann cardiol Angeiol 2012. (3) Breton G et al. Nephrol Dial Transplant 2011. (4) Deeks SG Antimicrob Agents Chemother 1998. (5) SiteGPR® : www.sitegpr.com. (6) Gish RV et al. Antimicrob Agents Chemother 2000.