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Pris dans sa totalité, cet univers est immuable mais est changeant dans ses parties. Comme on le
retrouvera chez beaucoup de ses successeurs tel Empédocle, Anaxagore et Aristote, les contraires
fondamentaux sont le Chaud et le Froid, le Sec et l’Humide et les quatre éléments Terre, Eau, Air et
Feu. Le mouvement et la transformation, la génération et la corruption que l’on remarque dans les
phénomènes s’expliquent, d’un coté, par la différenciation et la composition entre les contraires pour
la génération et, d’un autre coté, par la décomposition des contraires et le retour dans l’
apeiron
pour
la corruption. Dans la composition des contraires, s’il y a déséquilibre, défaut ou excès d’un des
contraires, il y a injustice. La justice est alors un retour à la bonne proportion et un temps de repos
dans le mouvement car, écrit-il, « ce qui est en équilibre entre les extrêmes ne saurait se mouvoir ».
Tout comme pour Thalès, l’univers d’Anaximandre est peuplé de dieux mais, de manière originale,
Anaximandre pensait que, tout autant que l’univers, les dieux ne sont pas immortels car tout est
corruptible et tout retourne dans l’
apeiron
originel. On a dit de lui qu’il fut le premier à dessiner une
carte de la partie habitée connue de la terre qu’il plaçait ronde au milieu de l’univers. On a dit
également qu’il fut l’inventeur de la méthode permettant de calculer la date des équinoxes. Il émit
l’hypothèse évolutionniste que les hommes descendaient des poissons, qu’ils sortirent de la mer, se
mirent à marcher et prirent pied sur le terre ferme. On trouve un propos de Plutarque (45-125 ap J-C)
qui raconte que « de même que le feu dévore le bois dont il est né et qui est sa mère et son père,
de même Anaximandre, après avoir dit que le poisson est le père et la mère des hommes, osa le leur
jeter en pâture ». On voit en cela que le début de la philosophie et particulièrement celle de ces
philosophes de la nature est proche des thèmes mythologiques qui, pour nous, révèlent
symboliquement le sujet psychique inconscient. Or, le thème du repas totémique où l’on absorbe
l’énergétique psychique provenant de l’Autre que l’on retrouve également dans le cannibalisme rituel
et l’Eucharistie chrétienne s’appuie sur le stade oral néo-natal où le petit bébé doit renoncer à la
situation « vampiriste » du fœtus. La symbolique spirituelle introvertie repose toujours sur le
renoncement à un désir interdit et, ainsi, l’objet auquel on doit renoncer devient le symbole de
l’Autre. La structuration de la psychogenèse humaine à la suite de celle animale se réalise par de
successives « castrations humanisantes » qui refoulent structurellement des désirs infantiles
spécifiques. Avec l’accession à la parole et au langage-signifiant se réalise l’entrée dans le
narcissisme et la représentation du sujet interne. Cette symbolique d’absorption vampirique du sang
est particulièrement bien sublimée dans le rituel eucharistique évangélique qui, même si elle se
retrouve dans d’autres religions, était une nouveauté au regard de l’Ancien Testament. Néanmoins,
outre le fait que Plutarque fait référence au Poisson qui sera le symbole majeur du Christ pour l’Eglise
primitive, l’auteur platonisant signale, dans le même texte, que cette conception d’Anaximandre qui
fait descendre l’homme de la substance humide était encore partagée à son époque par les syriens.
Or ceux-ci avaient un langage araméen, tout comme le Christ, et même si le thème eucharistique
relève d’une symbolique inconsciente commune à l’humaine condition, il se pourrait également qu’il
provienne de cette orbite culturelle syrienne dont parle Plutarque. D’autre part, l’histoire des rois
mages astrologues et de leur nouvelle étoile s’appuie vraisemblablement sur une attente
messianique due à l’approche de la nouvelle « année platonicienne », celle des Poissons. Cette
spéculation astrologique de la « grande année » ou de « l’année de Dieu » était communément
partagée et on sait qu’à partir d’Hipparque et de l’école d’Alexandrie, la précession des équinoxes et
la position céleste du point vernal seront calculées avec une assez bonne précision. Dès le début de
la philosophie de la nature, nous trouvons le thème de la différenciation des contraires et de leur
réunion représentée surtout par celle du masculin et du féminin. Le thème de l’hermaphrodite qui se
sépare est un des thèmes mythologiques les plus anciens. La spécialiste de l’Egypte ancienne,
Christiane Desroches Noblecourt, écrit dans son livre La femme au temps des Pharaons que la
“circoncision rappelle la coutume qui, en Afrique, se perd dans la nuit des temps, ayant pour but de
confirmer les sexes et de bien différencier l'homme et la femme de la nature divine qui était
androgyne ... ”.