le point sur… Reconstruction du pavillon de l’oreille en cas de microtie La microtie est une malformation relativement rare qui se caractérise par une hypoplasie du pavillon de l’oreille. De multiples techniques chirurgicales reconstructives ont été développées. Actuellement, les plus utilisées sont la reconstruction par cartilage costal autologue et la reconstruction par implant Medpor. Les auteurs présentent les indications de ces deux techniques, qui permettent d’améliorer considérablement la qualité de vie de jeunes patients. Rev Med Suisse 2012 ; 8 : 1866-70 N. Juilland P. Pasche Pr Philippe Pasche Dr Naline Juilland Service d’ORL et de chirurgie cervico-faciale CHUV, 1011 Lausanne [email protected] [email protected] Ear reconstruction in case of microtia Microtia is a uncommon pathology that is de­ fined by a hypoplasia of the pinna. Multiple reconstructives surgeries have been develo­ ped. Nowadays, autologous rib cartilage re­ construction and Medpor implant reconstruc­ tion are the most widely used techniques. The authors present these two alternatives that significantly improve the quality of life of young patients with this visible abnormality. introduction La microtie touche un enfant sur environ 15 000 naissances et son étiologie demeure à ce jour inconnue. Une hypothèse éta­ blie par Craig,1 parle en faveur d’une ischémie tissulaire in utero, résultant en un défaut de fusion durant la cinquième se­ maine de développement embryonnaire. Cette atteinte peut être associée à d’autres malformations telles que les fentes faciales, les anomalies cardiaques, rénales ou des membres. Les atteintes syndromiques, telles que le syndrome de Gol­ denhar ou le syndrome de Treacher Collins, sont deux exem­ ples associant des microties à d’autres malformations. Cette affection rare est bilatérale dans 15 à 20% des cas et se rencontre plus fré­ quemment chez les garçons. Lorsque l’atteinte est unilatérale, l’oreille droite est plus fréquemment touchée. Plusieurs facteurs de risque peuvent favoriser le développement des microties, notamment l’exposition prénatale à l’isotrétinoïne, au thalidomide, à l’alcool et au mycophénolate. D’autres facteurs tels que le diabète maternel ou une nais­ sance plus avancée dans la fratrie peuvent également jouer un rôle favorisant dans le développement de cette pathologie.2 Les microties sont classifiées selon trois grades (figure 1) : • Grade I : malformation mineure du pavillon avec une oreille plus petite, mais présence de toutes les structures de l’oreille externe. • Grade II : toutes les structures de l’oreille externe sont présentes, mais un manque de tissu et une déformation significative existent. Le conduit auditif ex­ terne manque également. • Grade III : présence de quelques structures, voire absence totale d’éléments reconnaissables de l’oreille externe ou anotie. Présence fréquente du lobule qui est dans une position antérieure. Forme typique de cacahuète. De multiples techniques chirurgicales ont été développées dans le but de re­ créer la forme tridimensionnelle complexe du pavillon de l’oreille. techniques de reconstructions du pavillon de l’oreille Reconstruction par cartilage costal autologue La reconstruction par cartilage costal autologue est une technique développée par Tanzer dans la fin des années 50. Elle fut reprise par Brent selon quatre étapes, dans les années 80 et actualisée par Nagata en deux étapes depuis 1992. La technique développée par Brent 3 comporte quatre temps opératoires. Dans 1866 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 3 octobre 2012 18_22_36668.indd 1 27.09.12 08:50 Figure 1. Les trois grades des microties un premier temps, on effectue le prélèvement des côtes controlatérales à l’oreille à reconstruire. Les premières côtes flottantes sont sculptées, puis assemblées en une maquette reproduisant la forme tridimensionnelle complexe du pa­ villon. Celle­ci est placée sous la peau rétroauriculaire. Le deuxième temps opératoire permet la transposition du lobule, fréquemment positionné en avant de sa place habi­ tuelle. La troisième étape permet la construction du tragus en utilisant une greffe composée de peau et de fibrocarti­ lage prélevés sur le mur postérieur de la conque opposée. Finalement, le dernier temps est consacré au décollement de l’oreille. Un recouvrement par une greffe de peau totale prélevée sur la face interne du bras ou dans le pli inguinal est mis en place dans le nouveau sillon rétroauriculaire. Cette technique fut reprise par Nagata 4 dans les années 90 et simplifiée en deux temps opératoires. Dès le premier temps, le lobule est transposé sur la maquette de cartilage qui a été insérée sous la peau et le tragus est directement intégré à la maquette. Il en résulte une combinaison des trois premiers temps opératoires de Brent en une seule étape. Elle comporte pour avantage une diminution du nom­ bre d’anesthésies pour le patient avec un résultat tout aussi satisfaisant (figure 2). Figure 2. Reconstruction totale du pavillon de l’oreille (microtie type III) par cartilage costal et maquette cartilagineuse assemblées par thermocollage avec une pincette bipolaire (figure 3). La procédure de reconstruction se fait en un seul temps selon la technique développée en 1991 par Reinisch.7 Après Reconstruction par implant Medpor Le Medpor est un implant de polyéthylène poreux. Il est utilisé depuis les années 90 dans la reconstruction de la tête et de la face, et également en chirurgie esthétique telles les augmentations du menton ou les rhinoplasties. Il possède comme propriété physique une excellente biocompatibilité. Jusqu’à ce jour, il n’a pas été observé de réactions allergique, antigénique ou carcinogénique. Ce matériau est non résorbable et reste stable au cours des années. Les implants en Medpor sont facilement façonna­ bles grâce à leurs propriétés thermoplastiques. De plus, il a été observé une néovascularisation au sein de ses pores mesurant entre 100 et 200 mm, améliorant son intégration.5,6 Pour remplacer le cartilage auriculaire manquant, une maquette préfabriquée en Medpor est utilisée. Celle­ci est composée de deux parties distinctes qui sont facilement Figure 3. Prothèse Medpor Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 3 octobre 2012 18_22_36668.indd 2 1867 27.09.12 08:50 Figure 4. Reconstruction par implant Medpor avec lambeau du fascia temporal superficiel et résultat du moulage de la maquette après mise sous aspiration douce rasage de la région temporale, une incision en Y est effec­ tuée. Les reliquats cartilagineux sont retirés lorsqu’ils sont présents. Un lambeau cutané rétroauriculaire est conservé pour reconstruire la future conque, tout comme le lobule. Le fascia du muscle temporal est repéré et décollé pour en faire un lambeau. Celui­ci est pédiculé sur l’artère tempo­ rale superficielle. Après avoir été préalablement assemblée et adaptée à l’oreille controlatérale grâce à un calque trans­ parent retraçant la position de l’œil par rapport à l’oreille normale, la maquette de Medpor est désinfectée dans une solution bétadinée et enveloppée dans le lambeau de fascia temporal superficiel. Deux drains en aspiration douce per­ mettent un bon accolement à la maquette. Des greffes de peau totale sont prélevées. Celle prise au niveau rétroauri­ culaire controlatéral permet de recouvrir la face antérieure de la nouvelle oreille reconstruite. La greffe de peau totale prélevée au niveau abdominal permet de refermer les deux régions rétroauriculaires. Une coque de protection est dis­ posée et permet une cicatrisation sans risque de trauma­ tisme physique. Les drains sont retirés après cinq jours (fi­ gure 4). Nous n’avons pas observé de complications majeures avec cette technique. Deux patients ont présenté une alo­ pécie temporale dans la zone de prélèvement du lambeau de fascia temporal superficiel. Un de ces patients a présenté une alopécie transitoire avec cicatrisation complète en quel­ ques mois. Le second patient a bénéficié d’une correction chirurgicale par lambeau de rotation du cuir chevelu après la mise en place d’un expanseur. Deux patients ont présenté une nécrose partielle du lambeau et une exposition du Medpor. Les deux cas ont pu être corrigés par un lambeau local et un lambeau chinois, respectivement. Le matériel prothétique n’a pas nécessité de retrait. Reconstruction du pavillon de l’oreille, notre expérience lausannoise Nous effectuons des reconstructions de pavillon de l’oreille depuis plus d’une dizaine d’années à Lausanne et utilisons de préférence les implants en Medpor. Notre ex­ périence dans le domaine nous a montré que les recons­ tructions par cartilage costal autologue étaient plus diffici­ les à réaliser en raison d’une longue courbe d’apprentissage. Nous avons également observé une résorption cartilagi­ neuse à long terme dans quelques cas. La reconstruction par implant Medpor donne de très bons résultats esthétiques prédictibles. La prothèse reste stable au cours des années et nous n’avons observé aucune ré­ sorption. La difficulté principale de cette reconstruction est la création du sillon rétroauriculaire et l’obtention d’un dé­ collement postérieur suffisant. La prothèse Medpor reste fréquemment accolée à la région temporale. L’implant est également rigide au toucher, ce qui peut parfois gêner cer­ tains patients. Cependant, les résultats sont très satisfai­ sants pour les patients (figure 5). 1868 Figure 5. Reconstruction totale du pavillon de l’oreille (microtie type III) par un implant de Medpor Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 3 octobre 2012 18_22_36668.indd 3 27.09.12 08:50 Figure 6. Epithèse Epithèse Une alternative aux reconstructions chirurgicales peut être proposée lorsque la chirurgie n’est pas souhaitée. Les épithèses sont des prothèses en silicone fixées sur des im­ plants à ancrage osseux. Ces derniers sont implantés en anesthésie locale. Une hygiène quotidienne des implants est nécessaire pour éviter tout risque de surinfection locale. Ces prothèses sont sujettes à la décoloration et doivent être remplacées tous les deux ou trois ans (figure 6). Surdité unilatérale et agénésie du conduit auditif externe La microtie peut s’accompagner d’une agénésie du con­ duit auditif externe, ainsi que d’une malformation ossiculaire. Cette malformation se reconnaît par une sténose ou une absence de conduit auditif externe. A cela peut s’ajouter une fusion des osselets. Les enfants présentant une surdité unilatérale ne requièrent pas de chirurgie sur le plan auditif ni d’appareillage tant que l’oreille controlatérale possède une audition normale. En effet, l’oreille saine compense le A côté atteint et il n’y a pas de retard dans l’acquisition du langage.8 En cas de surdité bilatérale, un appareillage audiopro­ thétique peut être proposé : • Le BAHA (Bone Anchored Hearing Aid) est un dispositif permettant la réhabilitation des surdités de transmission par conduction osseuse, au travers d’un implant en titane fixé en région mastoïdienne (figure 7). • Le système Soundbridge est un implant de l’oreille moyenne qui transmet directement les ondes sonores sous forme de vibrations au niveau des structures de l’oreille moyenne. Ce système n’est pas compatible avec les IRM (figure 8). Au vu de notre expérience lausannoise, la reconstruction du conduit auditif externe peut engendrer des complications telles qu’une resténose du conduit et des risques importants de surinfection, raisons pour lesquelles nous ne reconstrui­ sons pas le conduit auditif externe. Les surdités bilatérales ontététraitéesparBAHA. conclusion La reconstruction du pavillon de l’oreille par implant Medpor peut être effectuée chez un enfant dès l’âge de cinq ans, voire quatre ans s’il est coopératif. Les reconstruc­ tions par cartilage costal autologue nécessitent une crois­ sance suffisante du greffon, ce qui reporte l’intervention vers l’âge de dix ans. La morbidité est diminuée dans les cas de Medpor en limitant le nombre d’anesthésies et en évitant la prise de cartilage costal. La technique de Reinisch est plus simple et plus aisé­ ment reproductible que la technique par greffe de carti­ lage costal, car cette dernière nécessite une longue courbe d’apprentissage avant de pouvoir rétablir l’architecture complexe du pavillon de l’oreille et ainsi d’obtenir des ré­ sultats esthétiques satisfaisants. Cette chirurgie permet une excellente reconstruction dans les mains de chirurgiens ex­ périmentés. B Figure 7. Implant BAHA (Bone Anchored Hearing Aid) A. Implant en titane au niveau rétroauriculaire. B. Boîtier du BAHA se clippant sur l’implant en titane. L’implant BAHA (Bone Anchored Hearing Aid) est un dispositif permettant la réhabilitation des surdités de transmission par conduction osseuse, au travers d’un implant en titane fixé en région mastoïdienne. (Copyright Cochlear Limited). Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 3 octobre 2012 18_22_36668.indd 4 1869 27.09.12 08:51 Figure 8. Système Soundbridge Le système Soundbridge est un implant de l’oreille moyenne qui transmet directement les ondes sonores sous forme de vibrations au niveau des structures de l’oreille moyenne. (Avec l’aimable autorisation de MED-EL). Le Medpor reste un corps étranger, malgré sa bonne biocompatibilité, avec un risque augmenté de surinfection et d’exposition. Cependant, l’infection reste traitable sans extraction obligatoire de l’implant et une couverture par lambeau peut permettre la fermeture d’une exposition. L’utilisation de l’implant Medpor donne de bons résultats esthétiques prédictibles. Malgré une recherche active dans le domaine de la bio­ ingénierie tissulaire, et en particulier dans le domaine du cartilage, un tissu combinant les caractéristiques les plus proches du cartilage humain reste encore à développer. Implications pratiques > Un enfant présentant une microtie doit bénéficier d’un examen minutieux à la recherche d’autres anomalies associées > Un bilan audiologique et une imagerie doivent être effectués afin de détecter des atteintes associées du conduit auditif externe, de l’oreille moyenne ou de l’oreille interne > Une reconstruction du pavillon peut être envisagée dès l’âge de cinq ans, voire quatre ans, si l’enfant est coopératif Bibliographie 1 McKenzie J, Craig J. Mandibulo-facial dysotosis (Treacher-Collins Syndrome). Arch Dis Child 1955;30: 391. 2 * Congenital anomalies of the ear, UpToDate Isaacson, G. C., september 2011. 3 Brent B. Total auricular construction with sculpted costal cartilage. In : Brent B, editor. The artistry of reconstructive surgery. St. Louis : Mosby, 1987;113. 4 Nagata S. A new method of total reconstruction of 1870 the auricle for microtia. Plast Reconstr Surg 1993;92: 187-201. 5 Klawitter JJ, et al. An evaluation of bone growth into porous high density polyethylene. J Biomed Mater Res 1976;10:311-23. 6 Spector M, et al. Early tissue infiltrate in porous polyethylene implants into bone : A scanning electron microscope study. J Biomed Mater Res 1975;9:537-42. 7 Reinisch JF, Lewin S. Ear reconstruction using a porous polyethylene framework and temporoparietal fascia flap. Facial Plast Surg 2009;25:181-9. 8 Romo T, et al. Reconstruction of congenital microtiaatresia : Outcomes with the Medpor/bone-anchored hearing aid-approach. Ann Plast Surg 2009;62:384-9. * à lire ** à lire absolument Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 3 octobre 2012 18_22_36668.indd 5 27.09.12 08:51