Dissertation de philosophie

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Dissertation de
philosophie
Boué
Romain
TS7
Sujet : « Sauver l’obscur »
« Tout a des révolutions réglées et l’obscurité se terminera par un nouveau siècle de
lumière » écrivait D’Alembert dans son Discours préliminaire à l’Encyclopédie. Comme lui
beaucoup de personnes pensent que la lumière prend le pas sur l’obscurité, que le clair doit
chasser l’obscur afin qu’il disparaisse du monde. Mais l’obscur est-il vraiment à bannir de
notre monde ? N’avons-nous pas chacun de nous une part d’obscur ? C’est alors qu’on peut
penser que rejeter l’idée d’obscur du monde serait de nous retirer une partie de notre être
et c’est ici que nous rejoignons les paroles d’Alain Finkielkraut selon lesquelles il faut
« sauver l’obscur ».
Pourtant l’obscur n’est-il pas définit en fonction du clair et n’enlèverions nous pas la
complémentarité qu’ils forment en luttant contre l’obscur ? Interrogeons-nous d’abord sur
le fait que le clair soit aussi privilégié par rapport à l’obscur. Mais qu’est-ce au juste que
l’obscur ? C’est ce qui est du domaine de l’inintelligible, le confus, le difficile à saisir mais
aussi l’erreur, l’illusion, l’aliénation, le non-philosophe, le non-savant, l’ignorance.
Mais alors « sauver l’obscur » reviendrait à se poser la question : faut-il privilégier le
clair à l’obscur ? Et même doit-on laisser une place à l’obscur ? Ce sont les deux grandes
interrogations que nous choisirons de traiter.
Depuis les premiers philosophes, le monde s’est conditionné autour du clair, c'est-àdire du côté de la lumière, du soleil, de l’intelligible, de la libération, de la vérité,…
Cela signifierait que l’obscur viendrait s’opposer à la vérité, il représenterait une menace
pour celle-ci. La vérité est la concordance entre le réel et la pensée, l'erreur, dit Platon, est
une ignorance double, c'est-à-dire une ignorance qui ne se sait pas ignorante, une ignorance
doublée d'une illusion. Alessandro Baricco , lui, prétend que « l’obscurité suspend tout. Il ,’ya
rien dans l’obscurité qui puisse devenir vrai. »
« La hâte engendre en tout l'erreur, et de l'erreur sort bien souvent le désastre. » déclarait
Hérodote, historien grec. L’erreur engendrerait donc des « désastres » c'est-à-dire un mal
pour l’homme, pour l’humanité. Il est donc préférable pour nous d’éviter cette obscurité
qu’est l’erreur. Le mythe de la caverne où Platon met en scène Socrate et Glaucon, est une
bonne représentation de l’erreur et même de l’illusion. Le monde de la caverne métaphore
de ces derniers opposés au soleil, le monde de l’intelligible et de la vérité, l’homme ne peut
de fier à ses impressions sensibles et premières, c’est l’éducation de l’esprit qui lui permettra
d’atteindre la vérité et de se débarrasser de l’obscur. L’homme libéré représente le
philosophe ,ou bien la part philosophique en tout homme, un philosophe qui aime la vérité
plus que tous les autres amours.
Cela nous amène donc à nous intéresser au phénomène de la religion. La religion au
départ a été une forme inventée par l’homme afin de répondre aux questions sans réponses,
une forme non rationnelle pour se satisfaire, forme qui impose la présence d’un Dieu, un
être transcendant qui aurait réponse a tout. De la religion il en ressortirait une croyance
dévouée c'est-à-dire une adhésion non rationnelle qui donnerait comme explication l’exploit
d’une divinité. L’homme a donc essayé d’expliquer son ignorance par une idée irrationnelle
qui lui permettait de se sortir de l’erreur et de l’obscurité.
Mais pendant un moment, la religion a été associée à l’obscurantisme. Ce dernier est un
dérivé du latin « obscurus », c’est à dire obscur, ténébreux. L'obscurantisme désigne une
attitude, une opinion ou une doctrine opposée à la diffusion des connaissances et au progrès
de la science et de la raison. Ce sont les Lumières de la raison qui au XVIIIème siècle
menaient un combat acharné pour permettre l’instruction de la population et éradiquer cet
obscurantisme notamment grâce à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert regroupant les
textes de grands philosophes. Ainsi des philosophes comme Voltaire ou Diderot par
exemple, ont contribué à dévaloriser la religion en dénonçant les excès irrationnels, comme
le fanatisme, la superstition, le dogmatisme hostile à la liberté de pensée, l’hypocrisie
morale…
Arthur Schopenhauer, lui, généralise et même confond obscurantisme et religion : « Les
religions sont comme les vers luisants: pour briller, il leur faut de l'obscurité. » Cela voudrait
dire que la vérité doit être inexistante pour qu’une religion s’affirme. C'est-à-dire se mettre
dans l’erreur pour mieux mettre en avant la religion. Mais la religion induit l’idée de Dieu et
cette idée et bien contestable. Il y a contradiction rationnelle insurmontable à affirmer que
Dieu est cause du monde. En effet, si Dieu est Cause du monde, il faut que lui-même ait été
causé, donc on peut remonter la série causale jusqu’à l’infini ou alors l’hypothèse selon
laquelle Dieu se serait auto-créé sont toutes deux incompréhensibles car « ex nihilo nihil »
autrement dit, à partir de rien il n’y a rien. Sans oublier le fait qu’il n’y a aucunes preuves
tangibles de cette existence.
La métaphysique est la partie de la philosophie ou de la réflexion générale qui cherche à
connaître le fondement absolu de toutes choses. Le terme métaphysique vient de la langue
grecque et signifie étymologiquement « au-delà de la nature ». Emmanuel Kant dans
Critique de la raison pure pense que « la métaphysique est une science imaginaire » et donc
que la métaphysique et la religion au sens large ne souscrit plus à nos critères de vérité et
devient ainsi une illusion, un élément de l’obscur. Selon Martin Heidegger la métaphysique
n’est plus vraie parce qu’elle ne correspond à rien de réel et de prouvable, Dieu est un nonobjet pour la science. Et la montée du rationalisme scientifique du XVIIe au XXe s’est
accompagnée de la critique systématique de la religion comme les deux philosophes
Dostoïevski et Nietzsche qui ont prononcé : « Dieu est mort ».Karl Marx a vu dans la religion
une illusion destinée à supporter la misère économique. De même Sigmund Freud a
psychanalysé le phénomène religieux et y a vu, lui aussi, une illusion destinée à supporter la
misère psychologique. Métaphysique et religion ne seraient que des illusions, des erreurs
contre lesquelles il faudrait lutter.
Réfléchissons alors sur les chemins à prendre pour parvenir à la vérité sans
commettre d’erreurs, sans tomber dans une illusion, dans l’ignorance ou encore même dans
l’obscur.
La science, qui a pris naissance au XVIIe siècle avec la philosophie de Descartes, pourrait
alors être une source de vérité car rigoureuse elle permet de résoudre des problèmes. Mais
qu’est exactement la science ? Le mot science vient du latin « scire » qui veut dire savoir.
C’est une connaissance objective qui établit entre les phénomènes des rapports universels et
nécessaires, autorisant la prévision de certains résultats ou de certains effets. Mais
rappelons que la science lutte contre l’obscur parce qu’elle est vraie mais avant tout elle est
vraie car elle est rationnelle, et la rationalité inhérente à une proposition se reconnait à deux
critères qui sont d’abord la nécessité logique ou encore apodicité c'est-à-dire la capacité de
réfléchir avec rationalité puis l’universalité. Du fait que cette dernière est vraie ressort aussi
le fait qu’elle est prouvée, autrement dit elle doit toujours apporter des preuves matérielles
de sa véracité. La science est le conjointement de la raison et l’expérience. Alors que la
religion est un phénomène faussement universel, car il n’y a pas une religion mais des
religions, la science, elle, est universelle, il n’y a « qu’une » science. Pour Descartes, la raison
est « la faculté de distinguer le vrai d’avec le faux », mais aussi de distinguer la vérité de
l’erreur, le clair de l’obscur. Pour maîtriser la Science, il faut acquérir l’esprit de géométrie,
combinant rationalité, démonstration, médiat, apprentissage et universel.
Ainsi on a vu que l’obscur s’est manifestée sous bien des formes et que sa lutte peut
s’organiser avec la recherche de la vérité, pour éviter toute forme d’illusion, d’erreur… Mais
lutter contre l’obscur est-il le meilleur chemin pour parvenir à la vérité ? Ne devrions nous
pas au contraire le sauver en lui laissant une place dans notre monde si clair ?
L’obscur est-il alors nécessaire au monde ? Quelle place doit-on lui laisser ? Le clair
est complémentaire à l’obscur, c’est une corrélation qui ne peut dissocier l’un de l’autre
aussi Carl Gustav Jung affirmait que « La clarté ne naît pas de ce qu'on imagine le clair, mais
de ce qu'on prend conscience de l'obscur ».Il n’y a donc pas de clair sans obscur et d’obscur
sans clair comme il n’ y a pas de vérité sans erreur et d’erreur sans vérité. L’obscur fait partie
intégrante de notre monde. Alors pourquoi certaines personnes ont-elles voulu supprimer et
bannir l’obscurité du monde. Pourrait-on penser que l’obscurité est une étape dans la vie
d’un homme ? L’homme doit passer par l’obscur pour atteindre la clarté, la lumière, la
vérité car s’il n’avait pas connu l’obscur comment aurait-il pu voir et définir le clair ? La vérité
nait de l’obscur car l’expérience de l’erreur sur la pensée en accord avec le réel permet la
justification mais l’erreur est familière de l’homme et ça serait lui retirer son moyen
d’apprentissage que de ne pas lui permettre de faire des erreurs car on a déjà tous entendu
la phrase : « c’est en faisant des erreurs qu’on apprend ». L’ignorance en elle-même n’est
pas aussi grave qu’il n’y parait car l’homme ignore qu’il ignore, il ne fait pas exprès d’autant
plus que ce n’est pas condamnable.
C’est ici qu’il est intéressant d’aborder la notion de mystère. Comment penser le rapport
entre mystère et vérité ? Puisque la vérité est le contraire exact du mystère. Nous parlons de
vérité en effet, lorsque nous comprenons clairement et sûrement, lorsque nous élucidons
des problèmes et non le contraire. D’ailleurs, tel est le sens premier du terme grec
« alêtheïa », qui veut dire vérité, mais qui signifie aussi de dé-voilement, dé-couvrement.
Alêtheïa est plutôt « a-lêtheïa », qui est le jeu entre le voilé et le dé-voilé, entre le couvert et
le dé-couvert, entre ce qui apparaît et ce qui disparaît mais aussi l’ouvert et le retrait et
l’être et le non être. La vérité est un jeu, un entre-deux, elle s’origine dans le mystère qui ne
peut se dire mais se mi-dire, qui ne peut se voir mais s’entrevoir. A l’homme il a été donné
d’être dans l’entrouvert de la vérité. Ainsi faut-il dire comme Jacques Lacan que « la vérité
est pas-toute ». On peut représenter alors la vérité par la métaphore du pli, d’un pli toujours
replié dans l’inexplicable. L’alêtheïa n’est pas simplement vérité de la vérité, mais vérité de
la vérité et de la non vérité ou obscur. Et c’est pour cela que Martin Heidegger, dans son
livre, Essais et conférence a pu écrire : « L’homme dans son Dasein, est assujetti au règne du
mystère ». Je sui un Dasein, je suis là mais c’est un là mystérieux car je ne sais pas pourquoi
je suis là ou pourquoi je ne serais plus là. Mourir c’est être retiré si bien que le mot retiré ne
veut plus rien dire. L’existence est mystérieuse car elle s’enracine dans le néant.
Qu’est-ce qui fait que l’obscur est présent ? Tout simplement par la nature de
l’homme car l’homme est mystérieux. Bien que l’homme soit un Dasein, « être là », il vit
dans une entrouverture comme René Char le pense avec sa poétique : « Nous ne pouvons
vivre que dans l’entrouvert, exactement sur la ligne de partage de l’ombre et de la
lumière. ». Le mystère se présente comme une obscurité, il est le caché qui demeurerait
caché. Le mystère est la résistance de l’obscur, la radicale réticence de la clarté, c'est-à-dire
la co-présence du clair et de l’obscur. L’homme, lui, vit dans entre une ouverture et une
fermeture, il a ouvert un monde mais ne le voit pas complètement il est dans le monde de
l’entrouvert. C’est le fait que l’homme soit conscient, qu’il est présent qui permet d’ouvrir
ou d’entrouvrir le monde. Mais l’homme lui vient du néant et repartira dans le néant, dans
un monde d’obscurité. En quoi l’homme est obscur ? C’est tout simplement par sa
sensibilité, sa capacité à ressentir des émotions qui sont tout le contraire d’un raisonnement
rationnel : l’amour, la joie, la haine sont tant d’émotions qui sont incompatibles avec la
Science, la mathématique. En bannissant l’obscur du monde, on ôterait à l’homme son
pouvoir de recevoir des émotions et ainsi il perdrait son identité car ce sont ces émotions qui
font de l’homme un homme et non un animal. L’amour n’est pas un phénomène explicable
scientifiquement. C’est même peut être le phénomène mystérieux le plus important qui soit
car un monde sans obscur serait alors un monde sans amour, amour qui fait vivre et tourner
le monde. L’homme garde en lui des secrets, des énigmes qu’il veut protéger, il ne veut pas
qu’on les résolvent ou qu’on les découvre. L’homme protège alors sa part d’obscurité même
si cette obscurité peut être levée. Dans ce cas où l’obscur est nécessaire pourquoi devrait on
y voir clair ? Si tout devrait sortir de l’obscurité, si toute vérité était découverte la vie ne
deviendrait-elle pas monotone ? Tout savoir sur tout et tout connaître tout, de toutes les
vérités nous plongerait dans un monde où la vie n’aurait plus d’originalité car quand on en
voit trop la vie perd son charme. C’est pourquoi il est bon que chacun préserve une part
d’obscur en lui.
La religion est peut être un phénomène obscur car Dieu est l’être mystérieux par excellence.
Mais tout homme a besoin de croire en une puissance supérieure, c’est quand l’homme
tombe devant un phénomène qui le dépasse qu’il a besoin de se rattacher à Dieu pour
expliquer ce qu’il en est. Alors ce phénomène obscur qu’est la croyance en Dieu est un Bien
pour l’humanité.
Faut-il donc « sauver l’obscur » ? Oui, du moins il faut lui laisser une place dans le
monde car il est indispensable, complémentaire au clair, à la vérité. Un homme complet est
un homme à la recherche de la vérité mais qui sait se contenter d’une vérité et qui ne se
lance pas à la recherche de toutes les vérités. C’est à dire un homme modéré doté d’esprit
de finesse et d’esprit de géométrie afin de percevoir des émotions et d’éviter de tomber
dans l’erreur. « Sauver l’obscur », c’est aussi sauver les émotions humaines comme l’amour
et c’est un combat très noble que celui de « sauver l’amour ». C’est pour cela qu’un
« partage du clair et de l’obscur » comme le disait le poète René Char, est une idée très
convenable et définissant très bien le plan d’existence de l’être humain. Mais lorsqu’on parle
de partage, il faut prendre en compte un partage au sens positif, c'est-à-dire le sens
généreux et non l’idée de diviser. « La plus belle destinée : avoir du génie et être obscur. »
écrivait Jules Barbey d'Aurevilly dans les Pensées détachées. C’est ainsi que chacun devrait
concevoir sa destinée en se servant de notre part d’obscurité comme d’une aide.
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