Gérard Althabe, anthropologue du présent
Gérard Althabe est décédé le 9 juin 2004 d’une crise cardiaque. Comme tant d’autres,
nous lui étions liés par nos travaux ainsi que par une profonde amitié. Collègue, enseignant,
directeur de thèse, il a influencé nos recherches, nos méthodes de travail et, plus largement,
notre conception de l’anthropologie comme il a influencé plusieurs générations de chercheurs.
Anthropologue du présent, comme il se définissait lui-même, Gérard Althabe n’a cessé
d’interroger les multiples formes d’expression de la modernité dans les sociétés les plus
diverses. Son analyse du culte du Tromba a été déterminante pour comprendre les
bouleversements de la société malgache des années 1960. Observant le déroulement de ces
cérémonies, il montrait comment le politique venait se loger dans le rituel de possession : la
mise en scène de l’argent, devenue prépondérante, ne constituait pas une simple forme de
syncrétisme ; elle codifiait les transformations des rapports entre les agents du pouvoir local
et de l’Etat. Par ses différents travaux en Afrique, notamment au Congo, Gérard Althabe a
contribué à l’analyse des bouleversements culturels et politiques des sociétés post-coloniales.
Puis, ses recherches sur la ville se sont imposées dans l’étude des phénomènes
urbains. Son premier terrain en France était une ZUP nantaise. Au milieu des années 1970,
ces lieux restaient encore référés à l’adage d’Alphonse Allais qui suggérait d’aller « construire
des villes à la campagne ». Gérard Althabe y a décrit des relations de voisinage traversées par
de perpétuelles tensions, animées par d’incessants procès réciproques et par un processus
conflictuel de hiérarchisation interne. Il a montré comment ces modes de communication
traduisaient, bien au-delà des enjeux interpersonnels, un processus de transformation qui
affectait alors globalement ces ZUP : du statut de lieux emblématiques de la nouvelle
modernité urbaine, elles étaient en train de basculer insensiblement vers celui de zones de
relégation sociale et d’exclusion. La société française n’en a véritablement pris la mesure
qu’une décennie plus tard. Revenant alors sur ces enquêtes, Gérard Althabe critiqua la notion
de culture des banlieues et le mécanisme d’ethnicisation qu’elle exprime, qui attribue aux
acteurs les causes de leur exclusion et occulte les enjeux véritables de leur situation.
L’anthropologie du présent de Gérard Althabe nous a sans cesse stimulés par son
caractère critique : une critique de son objet en traquant dans les espaces les plus anodins les
formes de production du pouvoir et des hiérarchies sociales ; une critique de la perspective
anthropologique en proposant d’étudier les sociétés en train de se construire plutôt que d’y
voir seulement des mondes en train de se défaire ; enfin, une critique de la méthode en
interrogeant systématiquement les conditions de production des sources et la place de
l’anthropologue dans les relations avec et entre ses interlocuteurs.
En 1979, après une vingtaine d’années passées à l’ORSTOM (aujourd’hui IRD),
Gérard Althabe est entré à l’EHESS où il a créé l’Equipe de recherche en anthropologie
urbaine et industrielle. Il a alors ouvert de multiples terrains en France (les ZUP, les nouveaux
villages, l’entreprise…), en Argentine (les phénomènes de mégapole), puis en Roumanie post-
communiste (Bucarest). Membre, puis vice-président, du Conseil du patrimoine ethnologique
de 1982 à 1993, il contribué activement à l’élaboration des programmes de la Mission du
Patrimoine ethnologique notamment sur les thèmes liés à l’urbain. En 1994, ses orientations
de recherche ont présidé à la constitution du Centre d’Anthropologie des Mondes
Contemporains de l’EHESS.