dossier pédagogique - La Mouettex

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DOSSIER PEDAGOGIQUE
© Francesco Permunian
La Mouette, d’Anton Tchekhov
Mise en scène Jean-Michel Potiron
LA MOUETTE de Tchekhov (1895-1896)
Traduction Elsa Triolet
Mise en scène : Jean-Michel Potiron
Jeu
Arkadina : Dominique Bourquin
Tréplev : Vincent Rime
Sorine : Raymond Pouchon
Nina : Françoise Boillat
Chamraev : Vincent Held
Paulina: Isabelle Meyer
Macha : Johanne Kneubülher
Trigorine : Philippe Vuilleumier
Dorn : Olivier Nicola
Medvédenko : Samuel Grilli
Lumière : Dominique Dardant
Scénographie : Nicole Grédy
Costumes: Janick Nardin Atelier Gare 7
Photographie : Catherine Meyer
PRESENTATION DE LA PIECE
•
Résumé
Neuf personnages, réunis dans une maison de campagne, au bord d’un lac, se débattent
pour échapper à la grisaille de leur destin. L’actrice Arkadina est obsédée par la crainte de
vieillir, son frère Sorine, voudrait vivre plus intensément, l’homme de lettres arrivé, Trigorine,
souhaiterait connaître d’autres passions que l’écriture, son jeune confrère, Tréplev
ambitionne de découvrir et d’imposer une nouvelle forme d’art, et la petite Nina, fraîche et
impulsive, rêve de devenir une grande comédienne et de savourer " la vraie gloire, la gloire
retentissante ". Ce souci de réussite est si vivace en elle qu’elle dédaigne l’amour sincère de
Tréplev pour se rapprocher du célèbre Trigorine, dont elle croit qu’il facilitera sa carrière.
Désespéré, le jeune écrivain tente de se suicider, mais se manque. Il verra partir Nina avec
ce Trigorine qu’il exècre pour sa chance. Deux ans se passent et, au dernier acte, les
personnages doivent s’avouer que chacun a vu ses élans se briser contre les obstacles de la
vie quotidienne. Sorine, qui craignait de " sentir le renfermé comme un vieux fume-cigarette
moisissant dans un coin ", n’est plus qu’un homme perclus et désabusé. Trigorine est plus
que jamais enfoncé dans une littérature conventionnelle qui le déçoit. Quant à Nina,
abandonnée par l’écrivain, elle a perdu l’enfant qu’elle a eu de lui. N’ayant connu aucun
succès au théâtre, elle fait maintenant partie d’une troupe ambulante. La large route dont elle
rêvait s’est rétrécie aux dimensions d’un sentier. Cependant elle refuse de s’avouer vaincue.
Tréplev, en la revoyant, lui affirme qu’il l’aime toujours, mais, comme elle le repousse, il se
suicide et, cette fois, ne se rate pas.
1
• Anton Tchekhov
Anton Tchekhov entreprend des études de médecine à Moscou
tout en subvenant aux besoins de sa famille. A partir de 1880, il
écrit des nouvelles dans un journal humoristique et son premier
recueil, Les Récits bariolés,, est publié en 1886. Suivent
S
deux
pièces de théâtre, Ivanov et Oncle Vania.. L'hémoptysie, dont il
se sait atteint depuis dix ans, le touche à nouveau. Il interrompt
ses voyages et s'installe à Yalta avec sa femme et ses enfants.
C'est à cette époque qu'il écrit trois de ses pièces les plus célèbres
: La Mouette, Les Trois Sœurs et La Cerisaie.
Cerisaie Il s'éteint lors d'un
séjour en Allemagne en juillet 1904. Il est sans conteste un maître de la
nouvelle et a aussi révolutionné le théâtre russe. Ses pièces sont
celles d'un témoin lucide, cruel mais toujours impartial. Il s'attache
à montrer
rer les destins tragiques et quotidiens d'antihéros qui
resteront à jamais dans l'imaginaire universel.
•
Contexte culturel et idéologique
Lorsque Tchekhov écrit La
a Mouette (1895), la Russie est en plein dans les grèves ouvrières
et juste
uste avant les grandes guerres. Il y a donc de très grands changements sociaux.
sociaux La
population découvre le cinéma, c’est le début d’une révolution culturelle et humaine.
humaine
Dans cette pièce Tchekhov rend tout particulièrement compte
mpte des débats littéraires du temps
t
à travers deux personnages, Trigorine, écrivain réaliste
réaliste célèbre, et Tréplev,
Trépl
jeune écrivain
symboliste. Ils ne s'entendent pas, ne se supportent pas ; il y a donc une forte opposition
entre le réalisme et le symbolisme. Tréplev dit dans la pièce : « Ill faut des formes nouvelles.
des formes nouvelles, voilà ce qu’il faut, et, s’il n’y en a pas, alors, tant qu’à faire, plutôt
rien. »Trigorine, lui, est très terre-à-terre
terre terre ; pour lui, l'art doit absolument copier le
réel.Tchekhov
Tchekhov puise notamment dans la vie
ie de ses amis et le sujet rappelle l’histoire de
l’écrivain Potapenko et de Lika Mizinova (chanteuse, premier grand amour de Tchekhov, qui
lui inspirera le personnage de Nina).
Nina) Enfin, c’est le moment où s’amorce la « décadence »
russe. On le voit à traverss ces personnages bourgeois souffrant d’un mal être et d’une
impossibilité de vivre en dehors de leur riche demeure et de leur cercles intimes.
intimes
•
Le Titre
La Mouette est une œuvre très symboliste. Déjà, par son titre ; « La Mouette
M
» est le
surnom donné à Nina. Tréplev jette le corps de la mouette aux pieds de Nina en disant : « J’ai
eu la bassesse
ssesse de tuer cette mouette. », « Cette mouette-là,
là, visiblement, c’est un symbole », ditdit
elle après l’avoir ramassée, mais le symbole de quoi ? En russe, le mot « tchaïka » (la mouette)
contient le verbe « tchaïat’ », espérer vaguement. La mouette, c’est l’illusion,
l’illusion la déception,
l’essor, la désillusion, le fait d’être tourné vers le futur et d’attendre l’irréel, ou de regarder
vers le passé et d’attendre
’attendre que ce passé découvre un espoir d’y voir une réconciliation
possible. On est loin de l’image française de la mouette rieuse des bords de plage.
2
Extrait de l’entretien avec Jean-Michel Potiron. Propos recueillis par
Nicolas Laurent.
L'action se déroule en Russie au XIXème siècle, comment
souhaites-tu rendre compte de ce contexte géographique et
historique ?
On ne peut pas faire une reconstitution archéologique de la Russie de
Tchekhov, ce serait exotique et sonnerait faux. On sait très bien que
nous sommes au spectacle, il faut faire du théâtre pour ici et aujourd'hui,
mais on peut s'interroger sur cet éloignement.
Ces personnages sont d'une grande noblesse qui doit transparaître
dans le choix des matériaux des costumes. Cependant tous n'ont pas le
même degré de noblesse, c'est précisément de ces déséquilibres qu'il
faut rendre compte.
Arkadina dépense tout son argent pour paraître, pour sa tenue, elle est
soucieuse de son apparence. Par ailleurs, il est dit que Treplev n'a plus
qu'un seul costume, c'est un aristocrate désargenté. Il faut chercher
précisément dans les coupes et les tissus pour rendre compte aussi de
ces rapports de classe. Le personnel domestique est lui aussi appauvri
et tout en bas de l'échelle, il y a le très pauvre Iakov, les cuisiniers... Il
faut trouver une équation entre ces rapports de classes, d'argent et
cette identité slave sans tomber dans un réalisme muséal qui ferait un
théâtre mort. Or le théâtre de Tchekhov, s'il nous parle de la mort, est
un théâtre intensément vivant.
•
Les personnages
Irina Nikolaïevna Arkadina - une actrice,la star de son époque, et se battant bec et ongles
pour le rester quelqu’en soit les moyens.Aimant paraître et se servant des hommes pour être
admirée de tous.
Konstantin Gavrilovitch Treplev - son fils, un dramaturge avant-gardiste. Il écrit des pièces
de théâtres modernes.Très sanguin, il est tantôt dans l’opposition, tantôt affectif avec sa
mère.
Piotr Nikolaïevitch Sorine - frère d'Arkadina, ancien conseiller d'État. C’estle vieux frère qui
a toujours vécu dans l'ombre de sa sœur Arkadina. Il aurait voulu être un artiste. Ilaime la vie
et s'accroche à elle en gardant une certaine joie de vivre.
Nina Mikhaïlovna Zaretchnaïa - fille d'un riche propriétaire c’estla voisine de la propriété
d'été d'Arkadina. Elleveut devenir actrice, et joue dans le spectacle d'été qu'a écrit Treplev.
Elle vit dans le tourbillon de ses émotions fugaces et fragiles et court après la réussite de sa
vie.
3
Ilia Afanassiévtich Chamraïev - lieutenant à la retraite, intendant du domaine de Sorine.
Paulina Andreïevna - sa femme,une bourgeoise de campagne mal mariée. Elle secontente
d'être au coté de Dorn dont elle est amoureuse tout en servant avec dévouement sa
patronne Arkadina.
Macha - sa fille, appelée aussi Maria Ilinitchna Chamraïeva. Elle est idéaliste, poursuivant sa
destinée sans relâche. Elle aime Treplev depuis toujours et attend un signe d’affection de sa
part. C’est un personnage assez nostalgique et dans l’attente.
Boris Alexeïevitch Trigorine - un écrivain renommé, amant d'Arkadina. Il profite de la vie.
C’est le faire valoir de sa compagne du moment Arkadina. Il est aussi dandy et séducteur.
Evgueny Sergueïevitch Dorn - un médecin de campagne. Il est célibataire et vient passer
tous ces étés dans la propriété d’Archadine.
Sémion Sémionovitch Medvedenko - un maître d'école marié avec Macha. Il cherche avec
douceur à retrouver sa femme Macha qui ne le supporte plus, lui et son bébé.
Iakov - un domestique
Cuisinier
Ces personnages sont unis par différents types de rapports :
Des rapports filiaux :
Fille / mère : Proximité des deux femmes. Macha et Paulina réunies par leurs
histoiresd’amour sans espoir.Parcours inverse pourtant puisque l’une (Macha) tente
d’extirper de son cœur un amour (pour Treplev) que l’autre (Paulina) a entretenu toute une
vie durant et continued’entretenir (pour Dorn).
Fils / mère : autre configuration : Treplev se demande comment il peut bien exister avec la
mère qu’il a. Cette relation conflictuelle - pour ne pas dire oedipienne - n’est pas
sansrappeler évidemment la relation de Hamlet avec sa mère.
Des rapports amoureux complexes :
Medvenko aime Macha.Macha aime Treplev. Treplev aime Nina. Nina aime Trigorine qui
est aimé par Arkadina qui est aimée (ou presque) par Dorn qui est aimé (beaucoup) par
Paulina qui n’aime plus beaucoup Chamraiev …Et puis Sorine qui n’est aimé par personne.
Dans la Mouette, tous les personnages rêvent de quelque chose. Tous sont tournés vers le
futur, l’irréel : la jeune Nina aspire à devenir une grande actrice auréolée de gloire, le jeune
Treplev voudrait révolutionner l’écriture théâtrale, l’oncle Sorine « aurait voulu » être
quelqu’un d’autre et refuse de vieillir, Arkadina (la mère de Treplev) voudrait rester une
éternelle jeune actrice et plaire à son amant écrivain Trigorine, et ce dernier ne vit jamais
l’instant puisqu’il ne songe qu’à écrire.
4
Trigorine
Sorine
Arkadina
?
Nina
Treplev
Dorn
Chamraïev
Paulina
Macha
Medvedenko
Bébé
Frère et sœur
Sentiments amoureux
pour …
5
•
La question de l’art et du théâtre dans le théâtre
L’art est le terreau essentiel où se nourrissent les passions, les espoirs déçus, lesconflits
entre les personnages. L’art est au coeur des préoccupations de tous les personnages:les
artistes bien-sûr (le jeune Treplev veut réinventer le théâtre et le monde en revendiquant des
formes nouvelles tandis que Trigorine et Arkadina sont attachés à « la routine et
auxpréjugés» des formes anciennes) mais aussi les autres personnages : tous, du docteur
aurégisseur du domaine s’interrogent sur le pouvoir de l’art à sublimer ou non la vie...
Du théâtre dans le théâtre : ce dispositif s’impose de façon évidente avec la pièce de
Treplev jouée par trois fois (à l’acte I devant l’ensemble des personnages ; à l’acte II à
lademande de Macha et à l’acte IV). Les personnages dans leur quête improbable du regard
de l’autre, cherchent toujours à être en représentation. En témoigne par exemple la comédie
de la femmeéternellement jeune que joue Arkadina devant Macha au début de l’acte II.
•
Les visées de la pièce et sa réception
« Comédie, trois rôles de femmes, six rôles d’hommes, quatre actes, un paysage (vue sur un
lac), de nombreuses discussions littéraires, peu d’action, un quintal d’amour ».
Voici comment Tchekhov résume la pièce. Ill’annonce comme une comédie, en effet on peut
relever quelques passages drôles, notamment Medvedenko et ses interventions hors de
propos, l’extravagance d’Arkadina, les chansons du vieux Sorine. Cependant, elle se révèle
finalement comme une tragédie ou du moins un drame. Toute la pièce témoigne de
l’absurdité de la destinée humaine. Selon l’auteur, il n’existe pas de grand projet qui ne soit,
tôt ou tard, voué à l’échec. Il faut une énergie surhumaine pour jeter une passerelle audessus de l’abîme qui sépare le songe de la réalité.
Une fois achevée, la pièce lui paraît ressembler davantage à une nouvelle qu’à une pièce de
théâtre, peut-être en raison de son parti de prendre à rebrousse-poil les règles traditionnelles
de la dramaturgie, commençant forte et terminant pianissimo.
Les premiers lecteurs de la pièce émettent des réserves du fait de la convergence des
histoires mais aussi parce qu’ils pensent qu’on ne saurait intéresser les spectateurs à un tel
débat intérieur.Tchékhov réécrit la pièce entièrement en 1896 et le théâtre Alexandrinski à
Saint-Pétersbourg l’accepte. En octobre, l’auteur assiste aux répétitions et ce qu’il voit le
consterne. Les acteurs ne comprennent pas les personnages, ils déclament avec emphase.
Tchékhov leur demande d’être plus naturel : " L’essentiel, mais amis, c’est qu’il est tout à fait
inutile d’être théâtral. Vraiment inutile. Tout cela est très simple. Les personnages sont des
gens simples et ordinaires. " La pièce est jouée le 17 octobre 1896, avant une comédie (la
soirée est donnée au profit d’une comédienne et deux pièces sont présentées à la suite). La
première est un four, Tchékhov part pour Melikhovo le lendemain. Le succès arrive pourtant
dès la deuxième représentation.En septembre 1898, la troupe du Théâtre d’Art de Moscou
répète La Mouette. Tchékhov qui assiste aux premières répétitions se montre satisfait. La
première a lieu le 17 décembre et est un succès. Tchékhov trouve son théâtre avec la troupe
de Stanislavski et Nemirovitch-Dantchenko.
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PRESENTATION DU SPECTACLE
•
Notes d’intentions de Jean-Michel Potiron, metteur en scène.
« Cela fait vingt ans que je fréquente La Mouette de Tchekhov. Au moment d’écrire ces
lignes, à 46 ans, je pense qu’il n’y a qu’un an ou deux à peine que je l’ai réellement
comprise, certaines circonstances de mon existence m’ayant rallié à cette
compréhension. Pour servir Tchekhov et le jouer sans contresens, il faut avoir vécu :
c’est la conclusion que j’en tire.
Pour se lancer dans ce projet, il fallait également faire la rencontre d’une famille
d’acteurs et d’un territoire. La famille d’acteurs, je l’ai rencontrée à la Chaux-de-Fonds
parmi des comédiens liés de près ou de loin à l’histoire du théâtre pour le moment. Le
territoire, je l’ai découvert à la Chaux-de-Fonds, bassin d’horlogerie et de culture, ville
juchée au haut du Jura Suisse.
De cette pièce de Tchekhov, les comédiens et moi souhaitons proposer une version
dénuée d’affectation: claire, simple, humaine. »
« Tous les personnages de La Mouette se posent la même question, ils veulent vivre
intensément, aujourd'hui. Mais ce qui fait leur drame, c'est qu'ils échouent, ne
parviennent pas à se réaliser. Ils sont contrariés dans cet épanouissement car ils se
retrouvent confrontés à des événements, à des environnements ou à d'autres
personnages qui font que leurs tentativesd'épanouissement ne peuvent aboutir. (…)
Cette pièce de Tchekhov est un entrelacs de trajectoires de personnages, un paysage
de destins qui ne parviennent pas à se réaliser dans leur vie et qui pourtant rêvent de se
réaliser, qui aimeraient tellement réussir à vivre intensément.
Mais qu'est-ce que ça veut dire se réaliser pour ces personnages ? C'est se réaliser
dans son métier, concrétiser ses rêves par sa profession ; trouver l'amour et le vivre
profondément ; et se réaliser là où on habite.(…)
La question de la place de l’artiste dans la société d’aujourd’hui est plus qu’actuelle et il
est significatif que ce soient, au travers de ce projet, des artistes indépendants qui la
posent. (…) »
« Le choix de Tchekhov repose aussi sur l’envie de travailler un texte plus narratif, un
texte de répertoire. Tchekhov est un auteur délicat, qui écrit en allusions, qui n’explique
rien. Tout est sous entendu. »
Jean-Michel Potiron
7
Extrait de l’entretien avec Jean-Michel Potiron. Propos recueillis par
Nicolas Laurent.
Ton histoire avec l'écriture de Tchekhov et avec La Mouette, en
particulier, est une histoire longue et passionnée : un voyage en
Russie, plusieurs ateliers de pratique avec des acteurs consacrés
à La Mouette... Cet auteur et ce texte semblent t'accompagner
depuis longtemps dans ta vie d'artiste.
J'ai toujours été un lecteur de Tchekhov, mais je crois qu'il faut être mûr
pour le comprendre, c'est un auteur délicat, exigeant. Il écrit en allusions, il
n'explique rien, tout est sous-entendu. Ces sous-entendus, si on est
trop jeune, on peut passer à côté. Ce travail d'accès à l'implicite
tchekhovien a été long, et pour arriver à le déchiffrer, il a fallu que je vive,
tout simplement. Maintenant, je pense que je suis prêt pour aborder cette
écriture fine, délicate, complexe... et je dirais même, une écriture d'orfèvre.
Je suis allé en Russie en 1998, c'est là-bas que je suis définitivement
tombé amoureux de cette écriture, car c'est là-bas que l'on comprend
l'esprit russe, le drame russe. Il y a une certaine gravité, Tchekhov fait dire,
dans La Mouette, au personnage de Dorn « Ne peut être beau que ce qui
est grave ». Nous, latins, sommes plus futiles, plus superficiels ; Tchekhov,
et toute la littérature russe en général, est plus ancrée dans une gravité,
mais qui n'est pas pessimiste, c'est une prise de conscience. Pour nous, il
faut savoir sortir de l'arlequinade, de la frivolité.
C'est comme si les russes avaient intégré que la vie est un drame mais
que nous pouvons vivre en prenant en compte ce drame.
•
La démarche artistique : quelques pistes scénographiques
Mail de Jean-Michel Potiron du 18 oct. 2012 à l’équipe du projet
« Bonjour à tous,
Pour les décors et costumes de La Mouette, donc aussi pour la mise en scène et la direction
d'acteurs, j'hésitais entre deux options, je ne parle pas du rapport au public (du rapport
scène-salle) mais de mon balancement entre une version bohème et une version actuelle.
Sur le net, j'ai trouvé une profusion d'images de la version bohème : rêverie, grâce, poésie,
paradis, mélancolie, dignité, version un peu irréelle, un peu passée, pour ne pas dire
compassée de la pièce de Tchekhov : des costumes en crêpes, dentelles, ombrelles,
meubles en osier, etc. Cela peut être très beau, je ne dis pas (quand c'est réussi ! car
parfois, c'est raté !) mais cela a déjà été fait, archi-fait et refait. Je trouve cette version image
d'Epinal de La Mouette finalement surannée, désuète, démodée, vieillotte, gorgée de clichés.
En un mot: inactuelle.
Ça sera donc la deuxième version que je retiendrai. La version ACTUELLE. Le monde de
l'art, de la bourgeoisie (NOTRE bourgeoisie présente: les bourgeois-bohèmes), les
rapports hommes-femmes, les rapports à l'argent (à l'aisance ou à la pénurie), un écrivain,
une actrice connue du milieu (pas une star que nous n'aurions aucune chance de connaître,
mais une actrice "plus confidentielle" simplement très bien connue du milieu théâtral et du
8
public de théâtre et gagnant très bien sa vie), un instituteur (un instit'), des gens qui font de
l'équitation, qui vont à la pêche, qui habitent une maison communautaire dans une très belle
propriété au bord d'un lac, des artistes (des jeunes, des vieux, un insoumis), des nonartistes, des artistes-aspirants, un gérant, sa femme (délaissée), leur fille, un médecin, le
rapport à l'art (et donc aussi à l'art contemporain - je parle de la pièce de Tréplev - et à l'art
conventionnel, démodé, académique, conformiste - je parle du théâtre d'Arkadina et des
romans de Trigorine), tout cela.
AUJOURD'HUI !
Des gens que nous pourrions croiser aujourd'hui. Des gens ? "NOUS".
Dans des vêtements et des meubles d'aujourd'hui.
Autrement dit, du point de vue de la direction d'acteurs, un rapport REEL, direct au texte.
Comme si ces paroles pouvaient être les vôtres.
Vous n'interpréterez pas, vous serez là-ici-maintenant. Sans changer ni un mot ni une
phrase, vous ferez de cette langue une langue actuelle.
Bon courage, bon travail à tous.
Amitiés,
Jean-Michel »
Extrait de l’entretien avec Jean-Michel Potiron. Propos recueillis par
Nicolas Laurent
Concrètement, sur le plateau, comment vas-tu mettre en scène
ces comédiens, dans quel espace ?
Vassiliev disait « on ne peut pas travailler l'écriture de Tchekhov dans
le théâtre d'Épidaure ». Si on loge cette écriture dans une mauvaise
scénographie, dans un mauvais rapport au public, on démolit l'écriture,
on massacre Tchekhov. Trouver la grammaire et la concrétiser sur le
plateau, c'est trouver le bon espace de jeu, le bon rapport au public. Le
théâtre d'Épidaure a été fait pour le théâtre antique, un théâtre de
déclamation, de profération, la cité y est convoquée... De même les
théâtres à l'italienne ont été conçus pour une certaine forme poétique et
théâtrale, la forme classique... qui se donnait essentiellement « face
public ». Pour Tchekhov, il faut inventer le lieu qui sera adapté à son
écriture.
La première chose c'est le rapport au public. Il faut un rapport de
proximité. Si on éloigne trop les acteurs du public, on n'est pas dans la
faïence de l'écriture de Tchekhov. Le spectateur doit être tout près de
l'acteur, qui n'a pas à pousser la voix mais être sur le ton de la
conversation, le volume sonore de la parole intime. Je veux essayer un
espace de la grande proximité, un dispositif bi-frontal de part et d'autre
d'un espace de jeu réduit, comme si le spectateur pouvait être sur la
scène, être un membre de la famille, qu'il ait le sentiment d'être intégré
dans l'action, de faire partie de ce clan... on n'est plus tout à fait au
spectacle. C'est une de mes hypothèses de trouver cet espace de la
confession, de l'intime.
9
Extrait de l’entretien avec Jean-Michel Potiron. Propos recueillis par Nicolas Laurent
(suite).
Il y a quatre actes :
Le premier c'est celui de la préparation d'un spectacle, on prépare la représentation
d'une pièce dans la pièce. Un spectacle amateur, avec des moyens de fortune, dans le
cercle privé de la famille avec une voisine comme actrice ; comme quand les enfants
préparent un spectacle pour les parents, les oncles et les tantes... c'est ce rapport
qui me semble juste. C'est un spectacle privé, de famille avec les moyens disponibles à
la maison... une scène de fortune, des bancs, des chaises... et un lac. Cette étendue
d'eau est le décor primordial de ce premier acte, comment le représenter ? Puisque je
voudrais rassembler sur scène les acteurs et le public, la salle vide peut devenir ce lac.
Quand Trigorine assiste au spectacle, il parle très peu du texte, très peu de la
prestation de la comédienne, mais il parle du décor : ce lac. Cependant, il n'exprime
pas, face à ce paysage naturel, de profondes considérations esthétiques ou
philosophiques, il sombre dans la plus prosaïque trivialité : « Il doit y avoir beaucoup de
poissons dans ce lac », c'est l'homme prédateur qui torpille la poésie par sa vulgarité.
La mise en scène doit donner à voir ce lac pour faire entendre cettefacette de la
personnalité de Trigorine.
Extrait de l’entretien avec Jean-Michel Potiron. Propos recueillis par Nicolas
L'acte
II met en scène des estivants qui aspirent à être oisifs, se reposer, se
Laurent.
divertir. C'est ce qui aurait dû se passer dès le premier acte mais nous avons assisté à
Concrètement,
sur de
le sabotage.
plateau, comment
vas-tu
mettre
en scène
ces
une
tentative artistique
Ce deuxième
temps
est celui
des vacances,
on
comédiens,
dans
quel
espace
?
prend le temps de lire Maupassant, on est dans des transats, on discute, on se pose,
se repose. Ce temps de loisirs va être remis en question, notamment par l'intrusion de
Vassiliev disait « on ne peut pas travailler l'écriture de Tchekhov dans le
Nina qui va mettre le ver dans le fruit et troubler ses vacances, remettre en question la
théâtre d'Épidaure ». Si on loge cette écriture dans une mauvaise
quiétude. Le temps doit sembler s'arrêter pour donner à l'incursion de Nina toute sa
scénographie, dans un mauvais rapport au public, on démolit l'écriture, on
violence., tout le monde débarque dans son bureau. Cet endroit qui devrait être un
massacre
Tchekhov.
Trouver
la grammaire
concrétiser
sur envahi
le plateau,
espace
privatif,
un bureau
de travail,
devientetunla espace
public
par la mort
c'est trouver le bon espace de jeu, le bon rapport au public. Le théâtre
et par le clan familial. C'est aussi un espace très sordide puisqu'au moment où Sorine
d'Épidaure a été fait pour le théâtre antique, un théâtre de déclamation, de
est en train de mourir, les autres membres de la famille joue au loto.
profération, la cité y est convoquée... De même les théâtres à l'italienne ont
été conçus
pourqu'une
une certaine
forme
poétique
la forme
L'espace
est, plus
scène, une
véritable
aire et
de théâtrale,
jeu à l'intérieur
de laquelle
classique...
qui seviendront
donnait essentiellement
face public
Tchekhov,
des
accessoires
donner les « signes
des». Pour
différentes
ambiances,
il
faut
inventer
le
lieu
qui
sera
adapté
à
son
écriture.
atmosphères. De plus, si la lumière des trois premiers actes est une lumière de
jour, avec des alternances jour/nuit; celle du dernier acte est une lumière
La première chose c'est le rapport au public. Il faut un rapport de
d'intérieur. Il y a là aussi quelque chose que nous devons montrer du
proximité. Si on éloigne trop les acteurs du public, on n'est pas dans la
resserrement, de l'enfermement.
faïence de l'écriture de Tchekhov. Le spectateur doit être tout près de
l'acteur, qui n'a pas à pousser la voix mais être sur le ton de la conversation,
le volume sonore de la parole intime. Je veux essayer un espace de la
L'acte
III est
celui duundépart,
de labi-frontal
fuite. Treplev
a tenté
de se suicider,
Arkadina sent
grande
proximité,
dispositif
de part
et d'autre
d'un espace
le danger
soncomme
couple,siil faut
partir et vite.
La scène
parêtre
les un
valises, les
de jeu dans
réduit,
le spectateur
pouvait
être est
sur occupée
la scène,
bagages
que
l'on
a
faits
dans
la
précipitation.
membre de la famille, qu'il ait le sentiment d'être intégré dans l'action, de
faire partie de ce clan... on n'est plus tout à fait au spectacle. C'est une de
Dans le dernier acte, on sent la mort qui rôde. Tout le monde est revenu dans cet
mes hypothèses de trouver cet espace de la confession de l'intime.
endroit perdu en province au chevet du mourant Sorine. Nous aussi, public, nous
sommes au chevet, dans un espace qui est resserré, rétréci. Treplev n'a plus de place
pour travailler
10
•
L’équipe artistique
Portrait de Jean-Michel
Michel Potiron
Né en 1964, directeur d’une compagnie théâtrale
indépendante, le Théâtre à tout Prix,
Prix metteur en scène
associé à l’Espace Scène Nationale de Besançon de 1991 à
1999, de séjour au Théâtre de la Cité Internationale de Paris de
janvier en septembre 1994, au Théâtre-Ecole
Théâtre
d’Art Dramatique de
Moscou (dirigé par Anatoli Vassiliev) en juin et juillet 1998, associé à
l’Académie Expérimentale
rimentale des Théâtres de Paris à l’occasion du
Laboratoire européen de mise en scène sur l’œuvre de Pier
Paolo Pasolini à Paris et à Bruxelles en 1999, comédien,
Jean-Michel Potiron a notamment mis en scène : Le monteplats de Harold Pinter (1991), Kiki l’indien de Joël Jouanneau
(1993-1994), Violences Corps et Tentations de Didier-Georges
Gabily (1995), Andromaque de Jean Racine (1995), Aglavaine etSélysette de Maurice
Maeterlinck (1997), Hercule Furieux de Sénèque (1999). Ces différentes créations sont
données dans tout le Grand-Est
Est.
En 2001, il opère un changement radical dans sa manière de fonctionner. Tout en
persévérant dans son travail de création, il explore, dans tous les azimuts, une autre manière
de rencontrer le public. En partenariat avec le Théâtre Alcyon de Besançon (2001-2002),
(2001
puis deux saisons durant (2003-2004
(2003
; 2004-2005),
2005), avec quatre théâtres de Rhône-Alpes,
Rhône
il
inaugure l’orchestration et la mise en œuvre du Laboratoire d’Acteurs Public : Explorations
deLa Mouette et d’autres
autres œuvres d’Anton Tchekhov – avec la participation d’Anatoli
Vassiliev le jour d’ouverture en Rhône-Alpes
Rhône
–,, à l’occasion duquel, l’intégralité du processus
de création ayant été ouvert, une cinquantaine d’opérations
d’
publiques ont été menées sur
quatre villes différentes : Lyon, Saint-Priest,
Saint
Pont-de-Claix et Portes-lès-Valence.
Valence.
En 2004, il organise
anise Les Orphéades à Besançon, un Marathon de lectures publiques sur l’Art
par treize artistes de Franche-Comté.
Franche
Du 1er au 31 décembre 2004, en plein air et en plein
hiver, au bois d’Avanne-Aveney,
Aveney, aux environs de Besançon, il initie son projet : Protesto !
ou Solo Inutile (?) Pour une Culture qui Cultive !,, qu’il joue ensuite partout où cela est
possible (plus de 140 représentations à ce jour).
En 2008, en association avec Stéphane Keruel, Christian Denisart et Pierre Daviller, il crée:
Le dernier des dériveurs à travers l’œuvre complète de Guy Debord.
En 2010, il crée Tout ça, tout ça ! Le premier cadavre exquis théâtral, en tournée à Niort,
Melleran, Poitiers, La Chaux-de-Fonds,
Chaux
Fonds, Lausanne… La même année, il entame une
aventure avec la compagnie
mpagnie Les Voyages extraordinaires de Lausanne. De cette
collaboration résulte Brazul,, traitant d’une civilisation pré-colombienne
pré
ienne disparue il y a
plus de 2000
000 ans. Le spectacle est tourné à Lausanne (Musée romain de Vidy),
Yverdon-les-Bains
Bains (Théâtre de l'Echandole),
l'Echandole), Neuchâtel (Théâtre du Pommier), Fribourg
(Espace Nuithonie).
Après le cycle : Qu’est-ce
ce que l’Art ? (entamé en 2002), il inaugure un nouveau sujet :
Qu’est-ce que la guerre ? Vue à travers la parole de philosophes (création en mars 2012
à Lausanne).
anne). Pour la réalisation de ce cycle, Jean-Michel
Jean Michel Potiron s’associe avec la
Grange de Dorigny et l’Université de Lausanne pour une durée de trois ans (2009-2012).
(2009
11
Extrait de l’entretien avec Jean-Michel Potiron. Propos recueillis
par Nicolas Laurent
Pour La Mouette, Jean-Michel Potiron travaille avec des
comédiens et des comédiennes de Neuchâtel, des acteurs
qui ont déjà beaucoup travaillé ensemble. Il a ditqu’il
n’aurait pas pu monter La Mouette sans une réelle famille
d'acteurs :
« La Mouette est une pièce qui parle d'amour (…) Ces acteurs
avec lesquels je vais travailler sont des gens qui s'aiment entre
eux, qui ont déjà beaucoup travaillé ensemble, qui se
connaissent... un humanisme se dégage de cette troupe. Il
existe des rapports entre eux que je peux ignorer, mais je les
sens. Ces liens qui les unissent, c'est quelque chose qui sera
d'emblée posé sur le plateau, ce n'est pas une connivence
artificielle, c'est vrai. C'est du réel. Le public n'est pas obligé de
le savoir, mais il va sentir que quelque chose existe. Par rapport
à une écriture comme celle de Tchekhov, ça me semble
important. C'est cette idée de se servir du théâtre ou de le
servir. Je me sens serviteur du théâtre. On ne peut pas servir
son petit pré carré personnel pour approcher une écriture
comme celle-ci, chaque acteur joue sa partition mais appartient
à un ensemble qui le dépasse. C'est pour cette même volonté
deservir la pièce de Tchekhov que j'ai choisi la traduction d'Elsa
Triolet. Elle ne cherche pas à écrire « par-dessus » Tchekhov,
ne le trahit pas. Elle s'efface, comme écrivain, et rend compte
avec précision de la subtilité et de la noblesse du texte. »
Pour donner une idée de l’esthétique de la pièce vous pouvez vous reporter aux
photographies des répétitions en Annexes.
12
PISTES PEDAGOGIQUES
•
Comment essayer de susciter un horizon d’attente aux élèves avant la pièce ?
-
-
•
Travail sur la connotation du mot « mouette », qu’est-ce que ce mot leur évoque ?
Travail sur les didascalies des quatre actes (Voir en Annexe 2) : à partir de la
lecture des didascalies, quels semblent être les thèmes de la pièce ?
Travail à partir de la liste des personnages, afin de comprendre les liens qui les
unissent.
Comparer plusieurs traductions de la pièce, (Voir en Annexe 2, le début du
premier Acte). A chaque signe de ponctuation, l’élève lecteur s’arrête puis écoute
l’autre élève dire le même texte dans l’autre traduction. A la fin du passage, la
classe débat sur le vocabulaire, la construction des phrases.
Travail sur les clichés des répétitions (Voir en Annexe 4) : à quoi pouvons nousnous attendre en ce qui concerne l’esthétique de la mise en scène ?
Analyse du spectacle
Chaque élève écrit le souvenir d’une image de la représentation qui l’a marqué. Tous
écrivent sur un morceau de papier une phrase qui commence par « Je me souviens
de … ». Après,les élèves échangent leurs feuilles et chacun lit une phrase au hasard.
C’est un bon point de départ à l’analyse de la pièce.
Pour analyser le spectacle, on peut se reporter à la grille de lecture proposée par
L’ANRAT : Théâtréducation en Annexe 1.
Il est aussi intéressant de faire lire aux élèves la note d’intention du metteur en scène
afin de mettre en parallèle ce qu’ils ont vu et ce que le metteur en scène a voulu
montrer. On peut par exemple poser cette question « Est-ce que d’après vous le
spectacle a-t-il bien mis en lumière ces notes d’intentions ? Et par quels procédés ? »
•
Jeu théâtral
-
-
-
Demander aux élèves de mettre en espace la scène de la représentation de la
pièce de Tréplev dans l’acte I (Voir en Annexe 2) cela permettra de mettre en
évidence le théâtre dans le théâtre.
Travailler le sous-texte : à l’acte III quand Trigorine revient voir Nina. Soit on joue
la scène en imaginant que Trigorine revient voir Nina qu’il aime encore sous le
prétexte d’avoir oublié sa canne à pêche, soit, Trigorine revient pour chercher la
canne à pêche et à déjà oublié Nina
Proposer de jouer en binôme la scène où Nina revient à l’acte IV, pour montrer
l’évolution des rapports entre Tréplev et Nina et voir les différentes interprétations
possibles du passage.
L’ensemble de ces extraits de textes se trouvent en Annexe
DIALOGUE ENTRE LES ŒUVRES
13
•
Le Cinéma
La pièce a été adaptée plusieurs fois à l’écran :
-
La Mouette, Sidney Lumet, 1968, film américain avec Simone Signoret dans le rôle
d’Arkadina. (2h20)
-
La Mouette, Youli Karassik, 1972, film russe. (1h40)
-
La Petite Lili, Claude Miller, 2003, adaptation libre de la pièce avec Nicole Garcia,
Ludivine Sagnier, Julie Depardieu, Jean-Pierre Marielle … (1h44)
•
La peinture
L’esthétique des peintures d’Edouard Vuillard (1868-1940) correspondent bien à
l’atmosphère tchékhovienne.
Intérieur à la table à ouvrage (1893)
14
La fin du petit déjeuner chez Madame Vuillard (1895)
Le Salon aux trois lampes, rue SaintSaint-Florentin (1899)
15
•
Littérature et intertextualité
Paul Verlaine, Je ne sais Pourquoi (1873). Dans ce poème il reprend la figure de la
mouette mélancolique.
Je ne sais pourquoi
Mon esprit amer
D'une aile inquiète et folle vole sur la mer.
Tout ce qui m'est cher,
D'une aile d'effroi
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pour
quoi ?
Mouette à l'essor mélancolique,
Elle suit la vague, ma pensée,
À tous les vents du ciel balancée,
Et biaisant quand la marée oblique
Mouette à l'essor mélancolique.
Ivre de soleil
Et de liberté,
Un instinct la guide à travers cette immensité.
La brise d'été
Sur le flot vermeil
Doucement la porte en un tiède demi-sommeil.
Parfois si tristement elle crie
Qu'elle alarme au loin le pilote,
Puis au gré du vent se livre et flotte
Et plonge, et l'aile toute meurtrie
Revole, et puis si tristement crie !
Je ne sais pourquoi
Mon esprit amer
D'une aile inquiète et folle vole sur la mer.
Tout ce qui m'est cher,
D'une aile d'effroi
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pour
quoi ?
-
Hamlet, William Shakespeare
" Une réécriture d’Hamlet. La pièce semble travaillée d’un bout à l’autre par la grande figure
mythique de Hamlet. ‘‘La Mouette’’ écrit Vitez ‘‘est une vaste paraphrase de Hamlet où
Tréplev répète Hamlet, Arkadina Gertrude, Trigorine Claudius, Nina (très attirée par l’eau)
Ophélie guettée par la folie, etc.’’ /…/ Tchekhov, grand admirateur de Shakespeare, exhibe
d’ailleurs ce sous-texte, par un collage de citations ; dès le début de l’Acte I : Arkadina récite
un extrait de Hamlet : ‘‘Mon fils ! Tu m’as fait voir jusqu’au fond de mon âme, et j’y ai vu de si
sanglants ulcères, de si mortels qu’il n’est point de salut ’’ tandis que Tréplev cite
Hamlet : ‘‘Etpourquoidonct’êtrelivrée au vice, cherchant l’amour dans le gouffre du crime ?’’
[Ces mots] disent très clairement l’objet de la souffrance de Tréplev. Du reste, la fin de l’acte
III (calquée sur la scène 3 [de l’Acte] IV de Hamlet) reprend sur un mode majeur les
reproches qu’il adresse à sa mère : Trigorine est bien l’usurpateur qui lui vole à la fois sa
mère, la femme qu’il aime (Nina) et la reconnaissance artistique. En amour comme en Art,
Trigorine, parce qu’Arkadina l’a mis dans son lit, est celui qui castre Tréplev. La
représentation théâtrale organisée par Tréplev confirme la parenté de La Mouette avec
Hamlet : si le héros shakespearien souhaitait par sa pièce ‘‘tendre un piège à la conscience’’,
16
Tréplev entend bien prouver aux yeux de tous son ‘‘talent’’, sa supériorité artistique sur
Trigorine et ainsi reconquérir l’amour de sa mère. Mais en vain… c’est sur lui que se
refermera la souricière. " ANONYME.
-
Maupassant
" Le théâtre et la littérature, thèmes essentiels dans La Mouette, sont souvent évoqués par
référence à des écrivains célèbres (Shakespeare, Maupassant, Nekrassov, Tourgueniev,
Tolstoï, Zola), qui appartiennent à un patrimoine commun aux personnages et à tout le public
cultivé. D’où une force évocatrice considérable, qui évite aux conversations sur la littérature
de devenir [dans Tchekhov] des discussions abstraites. Des textes connus, parfois cités de
mémoire par les personnages [de La Mouette] (Shakespeare, Tourgueniev), sont riches de
connotations qui enrichissent à leur tour le système artistique de l’œuvre. Les nombreuses
études sur Hamlet et La Mouette ont bien montré la fécondité des recherches intertextuelles.
Maupassant [quant à lui]est, comme on le sait, évoqué directement à deux reprises dans la
pièce : 1) Au premier acte, lorsque Tréplev dit à Sorine son horreur du théâtre
contemporain : ‘‘…moi, je pense que le théâtre contemporain n’est que routine et préjugé.
Lorsque se lève le rideau et que dans une pièce crépusculaire, à trois murs, ces génies, ces
prêtres de l’art sacré vous montrent comment les gens mangent, boivent, aiment, marchent,
portent leur complet-veston ; lorsque dans la vulgarité des images et des phrases ils
essayent de prêcher une morale, une petite morale facile à comprendre, utile dans un
ménage ; lorsqu’on me sert les mille variations de toujours la même chose, la même chose,
la même chose, - alors je me sauve comme Maupassant se sauvait devant la tour Eiffel qui
lui écrasait le cerveau de sa vulgarité.’’ 2) Au début du deuxième acte, Arkadina, prenant la
relève de Dorn, lit un extrait de Sur l’eau, dans lequel les gens du monde choyant l’écrivain
sont comparés à un marchand de farine qui élèverait des rats dans son magasin. Lecture
interrompue à la venue de Sorine et de Nina. D’autre part, on a retrouvé des échos évidents
du texte de Sur l’eau dans les confidences de Trigorine à Nina sur son métier d’écrivain.
Ainsi Maupassant, cité directement ou par allusions, est constamment présent dans le
discours des personnages qui relèvent du monde de l’art, Nina exceptée. /…/ " La Mouette et
Maupassant, dans Tchekhov et la France, Jean Bonamour.
-
Marilyne Monroe, Fragments
Les écrits intimes de l’actrice, révèlent une troublante ressemblance avec les
tourments de Nina dans la pièce.
Extrait 1
Je suis inquiète, nerveuse, déconcentrée, instable il ya quelques minutes, j’ai failli jeter une
assiette en argent – dans un endroit sombre du plateau- mais je savais que je ne pouvais
pas me permettre de lâcher, je sentais vraiment en fait que je n’oserais pas le faire car je ne
m’en tiendrais peut-être pas là. Juste avant, j’ai failli vomir tout mon déjeuner. Je suis
fatiguée. Je cherche une façon de jouer ce rôle, ma vie entière me déprime depuis toujours –
Comment puis-je incarner une fille aussi gaie, juvénile et pleine d’espoirs – Je me sers de ce
dimanche de mes quatorze ans où j’étais tout cela mais – pourquoi ne puis-je m’en servir de
façon plus ferme ma concentration vacille presque sans arrêt – quelque chose s’emballe en
moi dans la direction opposée vers la plupart des jours dont je peux me souvenir. Je dois
essayer de travailler et travailler encore sur ma concentration – en commençant peut-être
par le plus simple.
17
Extrait 2
Je trouve que la sincérité et être simple et directe comme (possiblement) j’aimerais est
souvent pris pour de la pure stupidité mais puisqu’on n’est pas dans un monde sincère - il
est très probable qu’être sincère est stupide. On est probablement stupide d’être sincère
puisque c’est dans ce monde et dans aucun autre monde dont nous soyons sûre que nous
existons – ce qui veut – dire - (puisque la réalité existe on doit faire avec) Puisqu’il y a la
réalité avec laquelle on doit faire Je ne suis pas M.M. (…) Quelques verres, trop –
occasionnellement) ce qui signifie peut-être que je n’ai pas eu le temps de manger pendant
la journée et puisque l’alcool est accepté socialement et même que l’on vous encourage à en
boire – je pouvais ressentir le besoin de me détendre avec quelques verres de sherry qui
pouvaient faire de l’effet trop vite que peut-être je n’aurais pas aimés étant trop fatiguée et ça
me rendait aussitôt gaie et en phase avec les choses et les gens autour de moi On prend
bien sûr ça pour un excès de boisson et plus j’y pense plus je me rends compte qu’il n’y a
pas de réponses la vie doit être vécue et puisqu’elle est comparativement si courte – (peutêtre trop courte - peut-être trop longue - la seule chose que je sais,avec certitude, c’est que
ce n’est pas facile)
Maintenant je veux vivre et je me sens d’un coup pas vieille pas préoccupée par les choses
d’avant saufde me protéger moi – et ma vie – et de désespérément (prier) dire à l’univers
que j’y crois.
18
•
Les mises en scènes marquantes de la Mouette, du texte théâtral à la représentation.
La première représentation de La Mouette
La Mouette a été créée à Saint-Pétersbourg le 17 octobre 1896 au théâtre Alexandrinski. La
première représentation de la pièce fut un échec total. Vera Komissarjevskaïa, qui passait
pour la plus grande comédienne russe de son temps et jouait Nina, avait été si intimidée par
l'hostilité du public qu'elle en perdit la voix1. Tchekhov n’en fut guère surpris : « J’écris ma
pièce non sans plaisir, même si je vais à l’encontre de toutes les lois dramaturgiques »
écrivait-il à l'éditeur Alexeï Souvorine en 1895.
Il fallut attendre la reprise au Théâtre d'art de Moscou le 17 décembre 1898, dans une mise
en scène de Constantin Stanislavski et Vladimir Nemirovitch-Dantchenko, pour que, enfin, le
public lui fasse un accueil triomphal.
ANTOINE VITEZ en 1984 au Théâtre National de Chaillot.
« Et puis, en travaillant et en montant La Mouette, j’ai étédéçude quelque chose dont
maintenant je suis content : ce langage-qui-ne-veut-rien-dire et que je trouvais magnifique,
ce procédé du collage dont jem’enchante... mais ça n’était pas vrai, ça n’est pas écrit du tout
comme ça. Ily a un leurre, exprès. Après avoir énormément travaillé sur les pièces de
Tchekhov au Conservatoire (toutes, mais je n’ai monté que La Mouette, etpas très bien), j’ai
la certitude au contraire qu’absolument rien, pas un mot,pas une indication de scène ne
reste sans sens. Il y a beaucoup plus de sensdans Tchekhov que dans la vie, une obsession
du sens : son style vise à donner du monde et des conversations ou des rapports entre les
gens une théorie. »
19
Antoine Vitez. Entretien avec Georges Banu
Revue
Silex
20
PIERRE PRADINAS en 1986 au Théâtre de la Bastille
Le stress et le spleen, L'univers Tchekhov, comme au cinéma, La Mouette. Adaptation d'Elsa
Triolet prise sur le vif par le réalisateur Pierre Pradinas :
« Pierre Pradinas l'a compris, « La Mouette » devait fuguer, quitter la littérature vénérable et
s'occuper de ses personnages comme une infirmière un peu analyste à ses heures. Peter
Brook avait pris le même chemin avec "La Cerisaie", le petit monde de Tchekhov se révèle si
attachant dans son mélange d'élans, de paranoïa, de tendresse et de veulerie qu'il y a
reconnu les siens. N'allons pas ici raconter l'histoire de "La Mouette", cette jeune fille de la
campagne, qui rêve de "faire du théâtre" et dont le sort sera plus catastrophique que
médiocre dans un univers décrit par le docteur Tchekhov avec une lucidité de psy. Comme
au cinéma lorsque c'est réussi, on est requis par l'histoire et les personnages bien plus que
par les roueries de la mise en scène. »
Compagnie du chapeau rouge (Paris)
21
22
ALAIN FRANÇON en 1995 au Théâtre de la Ville.
« Mon premier Tchekhov était un « Oncle Vania », mis en scène par Gabriel Garran avec
Jean Dasté, à la Comédie de Saint-Etienne. Montrer des gens qui s'ennuient à des
spectateurs... C'était insupportable. J'avais 25 ans. Cela m'a vacciné. Je l'ai redécouvert
grâce à ses nouvelles qui sont extraordinaires. Et je l'ai monté pour la première fois avec
« La Mouette ». A cette époque, en 1995, ayant longuement travaillé dans l'univers d'Edward
Bond et de ses Pièces de guerre, je m'étais dit qu'un Tchekhov m'apporterait un peu de
douceur. Cela s'est fait avec Dominique Valadié, Valérie Dréville, Clovis Cornillac et Carlo
Brandt, qui étaient dans la distribution des Bond.La critique a parlé d'une quatrième pièce de
guerre... C'est vrai qu'il y avait des excès mais pas seulement. »
Interview d’Alain Françon L’Express, le 27 octobre 2010
23
24
STEPHANE BRAUNSCHWEIG en 2001 au Théâtre National de Strasbourg
« On retrouve dans cette pièce comme un écho aux thèmes de Tchekhov: la question de la
mémoire, c'est-à-dire de la lucidité, et celle de l'oubli ou de la dénégation. La difficulté pour
un fils d'exister face à son père ou à sa mère. Et cette façon qu'ont les personnages de
construire un discours défensif. Par ailleurs, Tchekhov est un auteur qui me correspond
fondamentalement: il travaille toujours sur le problème de la lucidité, jusqu'à quel point faut-il
être clairvoyant, jusqu'à quel point faut-il garder ses fantasmes. Je travaille sur cela depuis
toujours. Et puis, j'ai la distribution idéale : Jean-Baptiste VERQUIN, Claire AVELINE, Daniel
ZNYK, Claude DUPARFAIT, Clément VICTOR, Maud LE GRÉVELLEC, Hélène
SCHWALLER, Luc-Antoine DIQUÉRO, Marie-Christine ORRY, Philippe GIRARD, Jean-Marc
EDER »
Stéphane Braunschweig dans l’Express, 1 novembre 2001.
25
26
LUC BONDY en 2002 au Théâtre de l’Odéon.
« D'un bout à l'autre, il est question d'amour - toujours à sens unique, toujours source de
malentendus, terreau fertile de l'expression du désespoir : Semion aime Macha, qui aime
Constantin, qui aime Nina, qui aime Trigorine, qui n'aime que lui-même - et encore. D'un
bout à l'autre, il est question d'art, de la possibilité qu'adviennent plus de sens et plus de
beauté - mais les âmes les mieux douées pour en éprouver le besoin tâtonnent en vain à la
recherche des moyens d'y contribuer, et Nina "la mouette" se brûlera les ailes au feu de sa
vocation, tandis que les "artistes" les plus admirés ne croient plus à leur propre grâce ou ne
s'aperçoivent plus de la profondeur de leur égoïsme. La scène est dans un domaine
idyllique, au bord d'un lac, mais rarement la proximité de la nature aura rendu aussi sensible
combien le paradis ne peut être que perdu. "Dans nos œuvres", écrivait Tchekhov, "il
manque l'alcool qui enivre et subjugue. Nous décrivons la vie comme elle est, et à part ça
rien du tout". Cette vie qui se passe de commentaires, errant en quête de son intensité, n'a
rien de dramatique. Les événements y sont impondérables et minuscules; les catastrophes
même s'y font discrètes. Ce théâtre du frôlement, de la subtile demi-teinte où la pudeur et
l'ironie habitent les mêmes silences, convient parfaitement à Luc Bondy, qui se plaît à
travailler, comme l'écrivait Schnitzler, "dans la pénombre des âmes". Dans un décor de
Gilles Aillaud (peintre, auteur et scénographe, il a notamment collaboré avec Strehler) son
sens du romanesque et de la frivolité déchirante ponctue à la pointe sèche l'écriture
tchekhovienne avec la complicité d'une distribution d'exception réunissant certains des plus
grands interprètes de scènes d'Autriche et d'Allemagne. »
Théâtre de l’Odéon, archives.
©Reinhard Werner
27
© Ruth Walz
« Quelques jours après la fin des représentations de la Mouette selon Stéphane
Braunschweig à la Colline, l'Odéon accueille une autre Mouette, créée en allemand par Luc
Bondy, au Festival de Vienne au printemps 2000 (Libération du 16 mai 2000). Difficile
d'opposer deux spectacles qui assument avec éclat la tradition d'un théâtre psychologique
où l'acteur est roi. Dans la mise en scène de Bondy, les personnages sont plus sophistiqués:
ils étouffent dans des vêtements trop chic et trop chauds, et dans le très beau décor de
Gilles Aillaud qui leur ferme tout horizon. Ils pourraient être des déjà-morts, des revenants du
fond du lac. Sauf que ces fantômes entretiennent entre eux des rapports très physiques; ils
se touchent, se regardent, s'aiment, se détestent, se comportent comme une vraie famille.
Dans cette Mouette selon Bondy, la magie affleure dans les plus petits détails, ainsi la façon
dont l'acteur Martin Schwab interprète Sorine, le vieil oncle en frac et pantalon de pyjama. Le
metteur en scène a sans cesse le souci de la note juste. Et il est entouré de comédiens
d'une envergure exceptionnelle, dont Jutta Lampe qui joue Arkadina l'actrice égoïste et
vieillissante avec un brio parfait, et surtout l'immense Gert Voss, grande star de la scène
viennoise, qui donne au personnage de Trigorine, l'écrivain qui ne sera jamais «aussi bon
que Tourgueniev» une médiocrité vertigineuse. Mais Bondy ne manque pas aussi de lancer
dans le grand bain deux très jeunes acteurs, August Diehl (Treplev) et Johanna Wokalek
(Nina) au sourire triste et lumineux. »
Solis René, Libération, 22 février 2002
28
PHLIPPE ADRIEN en 2006 au Théâtre de la Tempête.
Pour entamer une mise en scène, « rien de plus déclenchant que la rencontre d’un acteur ou
d’une actrice » remarque Philippe Adrien. Or la distribution de la pièce, superbe, touche les
âmes. Quelques rares accessoires suffisent largement (une Remington, la riche volupté
d’une fourrure…), car le jeu des acteurs ouvre de singulières perspectives. Tous des
saltimbanques de dimension internationale, capables d’exprimer le subtil et cruel tourbillon
tchékhovien, au plus près de la vérité dialectique des âmes. Le texte français de Philippe
Adrien et Vladimir Ant est d’une belle vitalité. Désirs, espoirs, désillusions, solitude, bonheur
fugace et souffrance tenace, vieillesse… Tchekhov n’a pas de vision politique ou religieuse,
il montre librement, avec une expertise et un talent extraordinaires, la vie, l’âme et le cœur
humain, avec toute sa complexité, ses ambiguïtés et ses contradictions, sa faiblesse et sa
sottise aussi, sa grossière superficialité, tout en étant sensible à la misère de l’homme. Un
maître ! Dont on savoure les citations habilement projetées sur le mur, au cœur des
conversations des personnages sur les enjeux de la littérature et du théâtreBel effet de
miroir, teinté d’ironie… Avec audace, avec une justesse précise et percutante, (« pan dans la
gueule du spectateur »), Philippe Adrien se concentre sur la direction d’acteurs à l’endroit
précis qui qualifie les relations entre les personnages, générant ainsi une remarquable
tension dramatique.
Agnès Santi.
29
30
ARTHUR NAUZYCIEL en 2012 au Centre Dramatique national d’Orléans puis au
Festival d’Avignon.
"Pour sa première représentation au Palais des papes, la pièce de Tchekhov bénéficie d'une
mise en scène bouleversante."
Le Monde - Brigitte Salino
"Mystérieux bal masqué convoquant les images des maîtres de l'expressionnisme au
cinéma, La Mouette de Tchekhov s'envole d'un théâtre à l'autre dans le superbe cérémonial
inventé par Arthur Nauzyciel pour le Festival d'Avignon"
Les Inrockuptibles - Patrick Sourd
La Mouette comme un jeu de masques et de miroirs, où tout est déjà advenu, où le coup de
feu du suicide de Tréplev peut retentir bien avant l’acte lui-même. Et dont on réentend, sinon
toutes les nuances, du moins toute la puissance."
Libération - René Solis
"Dans cet univers intemporel, les vérités se font étrangement entendre avec une acuité
inédite. Celles d'un monde en désarroi, peuplé de solitudes et d'égoïsmes, de médiocrités et
d'amours sans retour, d'innocences assassinées et d'illusions perdues."
La Croix - Didier Méreuze
« Allez, osons la pire des ringardises du métier de critique : parlons de la fidélité à l'auteur, à
l'esprit de l'auteur. Avec cette mise en scène poseuse, prétentieuse, stylisée, symboliste et
mortifère de ce qu'il voulait une « comédie », le très subtil, pudique et économe de moyens
Anton Tchekhov a dû se retourner dans sa tombe...Voilà donc un spectacle sous le signe de
ce que l'auteur même dénonce : un pseudo théâtre d'art loin de cette vie, de ces gens, de
cette société russe en mutation, qu'il voulait, lui, le médecin des corps et des âmes, si fort
approcher, comprendre, faire aimer.Pareil point de vue nous vaut une grotesque
chorégraphie inaugurale ou tous les protagonistes de la pièce dansent une sorte de
sarabande courtoise… la tête couverte d'un masque de mouette. Faut-il en rire ? En pleurer
? En profiter pour s'assoupir aussi ? Ainsi agrémentée des diverses trouvailles du metteur en
scène Arthur Nauzyciel, cette Mouette-là dure quand même 4h15 »
Télérama - Fabienne Pascaud
31
32
33
ANNEXES
•
Annexe 1 : Fiche d’analyse
34
35
•
Annexe 2 : Extraits de la Mouette
Didascalie Acte I :
Un coin du parc de la propriété de SORINE. Menant de la face au lointain où il y a un lac,
une large allée barrée par une estrade hâtivement aménagée pour un spectacle amateur, si
bien qu’on ne voit pas du tout le lac. A droite et à gauche de l’estrade des buissons. Une
petite table, quelques chaises. Le soleil vient de se coucher. Sur l’estrade, derrière le rideau
baissée, on entend les coups de marteau de IAKOV.
Didascalie Acte II :
Un terrain de croquet. Au lointain, à droite, la maison, avec une grande terrasse ; à gauche,
le lac où le soleil se reflète. Des fleurs. Midi. Il fait chaud. A côté du terrain de croquet, dans
l’ombre du vieux tilleul, ARKADINA.DORN et MACHA sont assis sur un banc. DORN a un
livre ouvert sur les genoux.
Didascalie Acte III :
La salle à manger dans la maison de SORINE. A droite et à gauche, des portes.Un buffet.
Une armoire à pharmacie. Une table au milieu de la pièce. Une valise, des cartons :
préparatifs de départ. TRIGORINE prend son petit-déjeuner, MACHA est debout près de la
table.
Didascalie Acte IV :
Un salon de la maison de SORINE, transformé en bureau. A droite et à gauche, des portes
qui donnent sur les pièces intérieures. En face, une porte vitrée qui donne sur la terrasse. En
plus des meubles habituels d’un salon, il y a un bureau dans le coin à droite, un divan de
style turc près de la porte gauche, une bibliothèque pleine de livres, et d’autres livres sur les
rebords des fenêtres, sur les chaises. C’est le soir. Une lampe à abat-jour est allumée. Il fait
presque noir. On entend le bruit des arbres et le hurlement du vent dans la cheminée.
Extrait de la première scène, traduction Elsa Triolet, éditions de la Pléiade (1967) :
MEDVEDENKO. – Pourquoi portez-vous toujours le noir ?
MACHA. – Je suis en deuil de ma vie. Je suis malheureuse.
MEDVEDENKO. Pourquoi ? (Songeur.) Je ne comprends pas… Vous avez une bonne santé,
votre père n’est pas riche, mais il est à son aise. J’ai une vie bien plus dure que vous. Je ne
reçois que vingt-trois roubles par mois, sur lesquels on me retient encore une certaine
somme pour la retraite, et je ne porte pas le deuil pour ça… (Ils s’asseyent.)
MACHA. – L’argent ne compte pas. Un homme pauvre peut être heureux.
MEDVEDENKO. – Théoriquement, mais pratiquement : nous sommes, à la maison, ma mère,
deux sœurs et un petit frère, et moi-même, et je ne touche que vingt-trois roubles. Il faut bien
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que nous mangions ? Le thé, le sucre, il en faut. Le tabac, il en faut ! Essayez de vous y
retourner !
MACHA, regardant l’estrade derrière elle. – Le spectacle va bientôt commencer.
Extrait de la première scène, traduction de Vladimir Ant en collaboration avec Philippe
Adrien éditions de l’Arche (2006):
MEDVEDENKO. – Pourquoi vous êtes tout le temps en noir ?
MACHA. – Je porte le deuil de ma vie. Je suis malheureuse.
MEDVEDENKO. Pourquoi ? (Réfléchissant) Je ne comprends pas… Vous êtes en bonne
santé, votre père n’est pas riche, mais il est à son aise. Ma vie est beaucoup plus dure que
la vôtre. Je ne touche que vingt-trois roubles par mois, sans compter ce qu’ils me carottent
pour la soi-disant caisse des vieux enseignants … et pourtant je ne porte pas le deuil(Ils
s’assoient.)
MACHA. – Ce n’est pas une question d’argent. On peut être pauvre et heureux.
MEDVEDENKO. – En théorie ; mais en pratique ça donne quoi : moi, plus ma mère, plus mes
deux sœurs et mon petit frère … et seulement vingt-trois roubles par mois ? Il faut manger et
boire quand même ? Il faut du thé et du sucre, non ? Du tabac ? Et voilà ! Débrouille-toi avec
ça !
MACHA, se tourne vers l’estrade. – Le spectacle va bientôt commencer.
Extrait de la première scène, traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan:
MEDVEDENKO. – D’où vient que vous soyez toujours en noir ?
MACHA. – Je suis en deuilde ma vie. Je ne connais pas le bonheur.
MEDVEDENKO. D’où cela vient-il ? (Méditatif). Je ne comprends pas … Vous êtes en bonne
santé, votre père, il n’est pas riche, peut être, mais il n’est pas dans le besoin. Ma vie à moi,
elle est beaucoup plus dure que la vôtre. Je touche en tout et pour tout vingt trois roubles par
moi, là-dessus encore on me retient ma retraite, et malgré tout, moi, je ne suis pas en
deuil.(Ils s’asseyent)
MACHA. – Ce n’est pas une question d’argent. Même un pauvre peut être heureux.
MEDVEDENKO. – Ça, c’est la théorie, mais, dans la pratique voilà ce que ça donne : ma mère,
plus deux sœurs, plus le petit frère, plus moi et, comme salaire, en tout et pour tout, vingttrois roubles. Il faut quand même boire et manger, non ? Il faut quand même du thé, du
sucre ? Il faut du tabac, non ? Hier on envoie prendre de la farine, on cherche le sac, à
gauche, à droite, c’est des mendiant qui l’ont volé. Quinze kopecks qu’il a fallu donner pour
un sac neuf. Rame, tiens, débrouille-toi.
MACHA, se retournant vers l’estrade. – Le spectacle va bientôt commencer
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Extrait de la première scène, traduction de Paul Achard:
MEDVEDENKO. – Vous êtes toujours vêtue de noir Mâcha. De qui êtes-vous en deuil ?
MACHA. –De ma vie. Je suis malheureuse.
MEDVEDENKO. Pourquoi ? Il n’y a aucune raison Vous êtes enbien portante. Votre père,
l’intendant n’est pas riche, mais il est bien payé. En outre il a sa pension d’officier.J’ai la vie
plus dure que vous. Je gagne vingt-trois roubles par mois, et là-dessus on me retient
quelques chose pour ma retraite. Et malgré cela je ne mets pas un deuil comme vous.
MACHA. – Ce n’est pas une question d’argent. Il y a des pauvres qui sont heureux.
MEDVEDENKO. –Ouais ! c’est une bonne histoire : « L’argent ne fait pas le bonheur ». Nous
sommes cinq à vivre avec mes vingt-trois roubles, moins la retenue : ma mère, deux sœurs
mon petit frère et moi. Pas de quoi acheterdu sucre du thé du tabac. La misère.
MACHA, qui ne s’intéresse qu’à l’estrade. – Le spectacle va bientôt commencer.
Acte I : La scène du théâtre, traduction d’Elsa Triolet :
De derrière l’estrade apparaît Tréplev.
ARKADINA, à son fils. – Mon cher fils, est-ce qu’on va enfin commencer ?
TREPLEV. – Dans un instant.
ARKADINA, récitant « Hamlet ». – « Mon fils ! Tu as tourné mes yeux vers l’intérieur de l’âme,
et j’y ai vu des plaies sanglantes, mortelles, - tout est perdu ! »
TREPLEV, récitant « Hamlet ». – « Mais pourquoi as-tu cédé au vice, cherché l’amour au
fond du crime ? »
Derrière l’estrade on joue du cor.
TREPLEV. – Messieurs, mesdames, nous commençons ! Attention, s’il vous plaît ! (Un
temps.) Je commence. (Il frappe avec un bâton et d’une voix forte se met à réciter.) « Ô vous
vieilles ombres honorables qui flottez nuitamment au-dessus de ce lac, faites-nous dormir, et
que nous rêvions de ce qu’il y aura dans deux cent mille ans ! »
SORINE. – Dans deux cent mille ans, il n’y aura rien du tout.
TREPLEV. – Qu’on nous montre alors ce rien du tout.
ARKADINA. – Soit. Nous dormons.
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Le rideau se lève ; la lune à l’horizon, son reflet dans l’eau ;
Nina Zaretchnaïa, habillée de blanc, est assise sur une grosse pierre.
NINA. – « Hommes, lions, aigles et perdrix, cerfs cornus, poissons silencieux, habitants de
l’eau, étoiles de mer, et ceux que l’œil ne pouvait apercevoir, - bref, toutes les vies, toutes
les vies, ayant achevé leur triste cycle, se sont éteintes… Depuis déjà des milliers de siècles,
la terre ne porte plus un seul être vivant, et cette pauvre lune allume en vain sa lanterne. Les
cigognes ne crient plus à leur réveil dans le pré, et on n’entend plus le hanneton de mai dans
les tilleuls. Il fait froid, froid, froid. Vide, vide, vide. Terrible, terrible, terrible. (Un temps.) Les
corps des êtres vivants sont tombés en poussière, et la matière éternelle les a transformés
en pierres, en eau, en nuages, et leurs âmes se sont fondues en une âme unique. L’âme
collective, universelle, c’est moi… moi… Je suis l’âme d’Alexandre le Grand, et de César, et
de Shakespeare, et de Napoléon, et de la dernière des sangsues. En moi, la conscience des
hommes s’est confondue avec les instincts des bêtes, et je me rappelle tout, tout, tout, et je
vis à nouveau chacune des vies qui sont en moi. »
ARKADINA, à mi-voix.- C’est une affaire décadente.
TREPLEV, suppliant, avec reproche. – Maman !
(…)
ARKADINA. - Cela sent le soufre. C’est exprès ?
TREPLEV. – Oui.
ARKADINA, riant. – Pour un effet, c’est un effet !
TREPLEV. – Maman !
NINA. – « Il s’ennuie sans l’homme… »
PAULINA ANDREEVNA, à Dorn. – Vous avez enlevé votre chapeau. Remettez-le, vous allez
attraper froid.
ARKADINA. – Le docteur a enlevé son chapeau devant le diable, le père de la matière
éternelle.
TREPLEV, s’emportant, crie. – La pièce est terminée. Assez ! Rideau !
ARKADINA. – Mais pourquoi te fâches-tu ?
TREPLEV. – Assez ! Rideau ! Baissez le rideau ! (Tapant du pied.) Rideau ! (Le rideau
tombe.) Je vous demande pardon ! J’ai oublié qu’il n’est permis qu’à quelques rares élus
d’écrire des pièces et de jouer sur un scène. J’ai brisé le monopole ! Pour moi… J…
Il veut dire encore quelque chose, mais fait un geste de la main et s’en va, à gauche.
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ARKADINA. – Qu’est-ce qu’il a ?
SORINE. – Irina, comment peut-on traiter ainsi un jeune amour-propre !
ARKADINA. – Mais qu’est-ce que je lui ai dit ?
SORINE. – Tu l’as blessé.
ARKADINA. – C’est lui-même qui a dit que sa pièce n’était qu’une plaisanterie, et je l’ai prise
pour telle.
Acte I : scène du théâtre, traduction de Vladimir Ant en collaboration avec Philippe
Adrien:
Treplev entre de derrière l’estrade.
ARKADINA, à son fils. – Mon fils chéri, quand cela va-t-il commencer ?
TREPLEV. – Dans une minute. Je vous demande de patienter.
ARKADINA,déclame quelques vers d’« Hamlet ». – « Hamlet, mon fils ! Tu as retourné mes
yeux sur le fond de mon âme, et j’y vois des tache si noires et si sanglantes, que rien jamais
ne parviendra à les effacer … »
TREPLEV– « Et toi ma mère … Tu t’es souillée en t’abandonnant au vice, tu as cherché
l’amour au fond du gouffre. Où git le crime abominable ! …Mère ! … »
Derrière l’estrade on joue du cor.
TREPLEV. – Mesdames et Messieurs, on commence ! Votre attention, s’il vous plaît ! (Un
temps.) Je commence. (Il frappe les trois coups et en portant la voix.) « Ô vous ombres
vénérables et surannées qui la nuit venue survolez ce lac, conduisez-nous aux portes du
sommeil, et nous rêverons de ce qui adviendra dans deux cent mille ans ! »
SORINE. – Dans deux cent mille ans, il n’y aura plus rien.
TREPLEV. – Alors qu’elles nous dépeignent ce rien !
ARKADINA. – Allez. On dort.
On lève le rideau. Le lac, la lune à l’horizon se reflète dans l’eau. NINA, en blanc, est assise
sur un rocher.
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NINA. – « Hommes, lions, aigles et perdrix, cerfs couronnés de bois, dindons, araignées,
poissons taiseux qui jadis habitaient les eaux, étoiles de mer, et tousceux que l’œil ne
pouvait voir, - bref … toutes les vies, toutes les vies, ayant accompli leur triste cycle, se sont
éteintes… Voici maintenant des milliers de siècles que la terre ne porte plus un seul être
vivant, et cette pauvre lune allume en vain sa lanterne. Les cigognes ne se réveillent plus en
criant dans le pré, et on n’entend plus de hannetonsdans les bosquets. Froid, froid, froid.
Désert, désert, désert. Horreur, horreur, horreur. (Un temps.) La chair des êtres vivants est
tombée en poussière, et l’éternelle matière l’a transformée en pierres, en eau et en nuages ;
leurs âmes, toutes ses âmesont fusionné en une seule. L’âme commune universelle, c’est
moi… moi… En moi réside l’âme d’Alexandre le Grand, de César, de Shakespeare, de
Napoléon, et de la dernière des sangsues. En moi, se rejoignent l’esprit des êtres humains et
l’instinct des bêtes, je me souviens de tout, de tout, et chaque vie, je la revis en moi. »
ARKADINA, à voix basse.- C’est complètement décadent.
TREPLEV, suppliant mais non sans reproche. – Maman !
(…)
ARKADINA. - Ça pu le soufre, c’est normal ?
TREPLEV. – Oui.
ARKADINA, rit. – Deseffets, spéciaux !
TREPLEV. – Maman !
NINA. – « Sans l’homme, il s’ennuie »
PAULINA ANDREEVNA, à Dorn. – Vous avez retiré votre chapeau. Remettez-le, vous allez
prendre froid.
ARKADINA. – Notre docteur se découvre devant le Diable, père de l’éternelle matière.
TREPLEV,fâché, à haute voix. La pièce est terminée. Ça suffit ! Rideau !
ARKADINA. – Mais pourquoi tu te fâches?
TREPLEV. – Ça suffit ! Rideau ! Ferme le rideau ! (Il tape du pied.) Rideau ! (On ferme le
rideau)Désolé ! J’oubliais : écrire des pièces et jouer est réservé à quelques rares élus. J’ai
violé le monopole ! Moi … je …
Il veut dire encore quelque chose, mais fait un geste brusque et sort.
ARKADINA. – Mais qu’est-ce qu’il a ?
SORINE. – Irina, ma chère,Il vaudrait mieux éviter de malmener ainsi son amour-propre
juvénile.
ARKADINA. – je ne lui ai rien dit, moi.
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SORINE. – Tu l’as vexé.
ARKADINA. – Il nous a lui-même prévenu c’était une plaisanterie, alors moi, j’ai pris sa pièce
comme une plaisanterie.
Acte III : Trigorine et Nina. (Elsa Triolet)
TRIGORINE, revenant. – J’ai oublié ma canne. Je crois qu’elle est là-bas, dans la véranda. (Il y
va et, près de la porte de gauche, rencontre Nina qui entre.) C’est vous ? Nous partons.
NINA. – Je sentais que nous nous reverrions encore. (Avec agitation.) Boris Alexéevitch, je
me suis décidée, le sort en est jeté, je monte sur la scène. Je pars d’ici dès demain, je quitte
mon père, je quitte tout, je commence une vie nouvelle. Je pars comme vous… pour
Moscou. Nous nous verrons là-bas.
TRIGORINE, jetant un coup d’œil derrière lui. – Descendez au « Bazar Slave »… Faites-moi
savoir, aussitôt… Moltchanovka, Maison Grokholski… Il faut que je me dépêche… (Un
temps.)
NINA. – Une seconde encore…
TRIGORINE, à mi-voix. – Vous êtes si belle… Ah, quel bonheur de penser que nous allons
bientôt nous revoir. (Elle met la tête sur sa poitrine.) Je reverrai à nouveau ces yeux
miraculeux, ce tendre sourire si beau, ces traits si doux, cette expression angélique… Ma
chérie… (Ils s’embrassent longuement.)
Acte III : Trigorine et Nina. (Vladimir Ant)
TRIGORINE, entre. – J’ai oublié ma canne. Elle doit être là, sur la terrasse. (Il y va et devant la
porte gauche tombe sur NINA.) C’est vous ? On s’en va …
NINA. – Je savais bien que nous allions nous revoir. (Avecémotion.) Boris, j’ai pris une
décision irrévocable, le sort en est jeté, je vais devenir actrice. Demain je ne serai plus là, je
quitte mon père, j’abandonne tout, je commence une vie nouvelle… je pars, oui, comme
vous… pour Moscou. Nous nous retrouverons là-bas.
TRIGORINE, jette un regard furtif autour de lui. – Quand vous aurez un hôtel, envoyez-moi
aussitôt un message …c’est mon adresse … il faut que j’y aille(Un temps.)
NINA. – Encore une minute…
TRIGORINE, à voix basse. – Vous êtes si belle… Quel bonheur de penser que nous allons
nous revoir bientôt. (Elle se serra contre lui.)Revoir vos yeux … retrouver leur magie, la
beauté inexprimable de votre sourire si tendre … la pudeur de ce visage … l’expression
d’une pureté angélique… Ma précieuse… (Un long baiser.)
Acte IV : Le retour de Nina. (Elsa Triolet)
(…)
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TREPLEV. – (On frappe à la fenêtre près du bureau.) Qu’est-ce que c’est ? (Il regarde par la
fenêtre.) On ne voit rien… (Il ouvre la porte vitrée et regarde dans le jardin.) Il y a quelqu’un
qui descend les marches en courant. (Il appelle.) Qui est là ? (Il sort ; on entend sur la
terrasse ses pas rapides ; une demi-minute se passe et il revient avec Nina Zaretchnaïa.)
Nina ! Nina !
Nina pose sa tête sur la poitrine de Tréplev et sanglote doucement.
TREPLEV, avec émotion. – Nina ! Nina ! C’est vous… vous… On aurait dit que j’avais un
pressentiment, toute la journée j’avais une terrible angoisse au cœur. (Il lui prend son
chapeau et sa pèlerine.) Oh, ma bonne, ma chérie, elle est venue ! Ne pleurons pas, non, il
ne faut pas pleurer.
NINA. – Il y a quelqu’un ici…
TREPLEV. – Personne.
NINA. – Fermez les portes à clé, on va venir.
TREPLEV. – Personne ne viendra.
NINA. – Je sais qu’Irina Nicolaevna est là. Fermez les portes.
TREPLEV, ferme à clef la porte de droite et va à celle de gauche. – Celle-ci n’a pas de clé. Je
vais la barricader avec un fauteuil. (Il pousse un fauteuil devant la porte.) Ne craignez rien,
personne n’entrera.
NINA, le contemple avec attention. – Laissez-moi vous regarder. (Elle jette un regard autour
d’elle.) Il fait bon, chaud… Autrefois c’était un salon, ici. J’ai beaucoup changé ?
TREPLEV. – Oui… Vous avez maigri, et vos yeux sont devenus plus grands. Nina, cela
semble étrange de vous voir. Pourquoi refusiez-vous de me recevoir ? Pourquoi n’êtes-vous
pas venue plus tôt ? Je sais que vous êtes ici depuis bientôt une semaine… Plusieurs fois
par jour, j’allais en ville pour essayer de vous voir, et je restais sous votre fenêtre comme un
mendiant.
NINA. – J’avais peur que vous ne me haïssiez. Je rêve toutes les nuits que vous me regardez
sans me reconnaître. Si vous saviez ! Depuis que je suis arrivée, je viens sans cesse rôder
par ici… près du lac. J’ai été plusieurs fois tout près de votre maison ; et je n’ai pas osé
entrer. Asseyons-nous, voulez-vous. (Ils s’asseyent.) Asseyons-nous et parlons, parlons. Il
fait bon ici, chaud, intime… Entendez-vous le vent ? Tourguenev a dit quelque part :
« Heureux celui qui par de telles nuits a un toit au-dessus de sa tête, qui a un coin chaud. »
Je suis une mouette… Non, ce n’est pas ça. (Elle se frotte le front.) Qu’est-ce que je disais ?
Oui… Tourguenev… « Que Dieu vienne en aide à tous les errants sans abri… » Allons…
(Elle sanglote.)
TREPLEV. – Nina, voilà que vous recommencez… Nina !
NINA. – Ce n’est rien, cela me soulage… Il y a deux ans que je n’ai pas pleuré. Hier, tard
dans la soirée, je suis allée voir dans le jardin si notre théâtre était toujours debout. Il était là.
Je me suis mise à pleurer pour la première fois en deux ans, et c’était comme si une brume
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s’était levée en moi. Voyez, je ne pleure déjà plus. (Elle lui prend la main.) Ainsi vous êtes
devenu écrivain, et moi actrice… Nous voilà, nous aussi, pris dans le tourbillon… Je vivais
gaiement, comme une enfant, le matin en me réveillant je me mettais à chanter, je vous
aimais, je rêvais à la gloire, et maintenant ? Demain, à la première heure je partirai à Ieletz,
en troisième… avec des paysans, et à Ieletz des marchands qui ont de l’instruction me
poursuivront de leurs galanteries. La vie est grossière !
TREPLEV. – Pourquoi pour Ieletz ?
NINA. – J’ai signé un engagement pour tout l’hiver. Il faut que j’y aille maintenant.
Acte IV : Le retour de Nina. (Vladimir Ant)
(…)
TREPLEV. – (Quelqu’un frappe à la fenêtre, proche du bureau.) Qu’est-ce que …? (Il regarde
par la fenêtre.) On ne voit rien… (Il ouvre la porte vitrée et scrute le jardin.) Il y a quelqu’un
qui descend les marches. (Il appelle.) Qui est là ? (Il sort ; on entendses pas précipités sur la
terrasse ; puis il revient accompagné de Nina.) Nina ! Nina !
Nina penche la tête sur son épaule et en retenant ses sanglots Il est bouleversé.
TREPLE,. – Nina ! Nina ! C’est vous… vous… J’ai eu comme un pressentiment, toute la
journée … dans l’âme, une anxiété horrible. (Il lui hôte son chapeau et sa pèlerine.) Oh, ma
douce, ma bien-aimée, elle est venue ! Mais il ne faut pas pleurer, il ne faut pas … hein ?
NINA. – Il y a quelqu’un ici…
TREPLEV. – Personne.
NINA. – Fermez les portes, on peut entrer.
TREPLEV. – Personne n’entrera.
NINA. – Je sais qu’Arkadina est là. Fermez les portes à clef …
TREPLEV, ferme à clef la porte de droite s’approche de celle de gauche. – Celle-là, il n’y a
pas de serrure. Je vais mettre un fauteuil. (Il pose un fauteuil devant la porte.)N’ayez pas
peur, personne n’entrera.
NINA, le contemple avec attention. – Laissez-moi vous regarder. (Elle regarde autour d’elle.)
Il fait chaud… Autrefois c’était un salon, ici. J’ai beaucoup changé ?
TREPLEV. – Oui… Vous avez minci, et vos yeux sont plus grands. Nina, c’est si étrange de
vous voir enfin. Pourquoi vous ne m’avez jamais laissé vous approcher ? Pourquoi vous
n’êtes pas venue plus tôt ? Je sais que vous êtes là depuis presque une semaine… Chaque
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jour, j’allais en ville pour essayer de vous voir, et je suis resté sous votre fenêtre comme un
mendiant.
NINA. – J’avais peur que vous ne me haïssiez. Chaque nuit je rêve que vous me regardez et
que vous ne me reconnaissez pas. Si vous saviez ! Depuis mon arrivée, je n’arrête pas
d’errer par ici …au bord du lac. Plusieurs fois je me suis approchée de votre maison ; mais je
n’ai pas osé entrer. Asseyons-nous. (Ils s’assoient.)S’asseoir et parler. Il fait si bon ici, si
chaud, si doux… Vous entendez le vent ? Tourgueniev a écrit : « Heureux qui par de telles
nuits reste à l’abri de sa maison, bien au chaud dans son coin. » Et moi, je suis une
mouette… Non, ce n’est pas ça. (Elle se frotte le front avec la main.)Où on en était ? Oui…
Tourgueniev… « Que leSeigneur vienne en aide à tous ceux qui errent sans refuge… » Ça
va aller… (Elle sanglote.)
TREPLEV. – Nina, allons… Nina !
NINA. – Ce n’est rien, là maintenant je me sens mieux… Ca fait deux ans que je n’ai pas
pleuré. Hier soir, j’ai voulu voir si notre théâtre existait encore. Et il était là, toujours à la
même place. Je me suis mise à pleurer pour la première fois depuis deux ans, et aussitôt …
ça a été comme si tout devenait moins lourd. Vous voyez, je ne pleure plus. (Elle lui prend la
main.)Alors comme ça vous êtes devenu écrivain. Vous écrivain et moi actrice… emportés
nous aussi par le tourbillon… Je vivais joyeuse, comme un enfant, le matin quand je me
réveillais,j’avais envie de chanter, je vous aimais, je rêvais de gloire, et à présent ? Demain,
matin tôtil faut que je parte en province, en troisième classe … avec des paysans, et là-bas,
des marchands instruits vont m’importuner avec leurs avances. La vie est brutale.
TREPLEV. – Pourquoi en province ?
NINA. – J’ai un engagement pour tout l’hiver. Et c’est maintenant.
•
Annexe 3 : Ouvrages et références
Livres disponibles à la BMI d’Epinal / Golbey :
-
La Mouette, Anton Tchekhov, traduction de Vladimir Ant en collaboration avec
Philippe Adrien. Edition l’Arche.
Théâtre Complet, récits (1882-1886), Anton Tchekhov. Edition de la Pléiade.
Traduction Elsa Triolet.
Tchekhov, Virgil Tanase. Edition Folio biographies.
La Mouette, Anton Tchekhov, traduction Paul Achard. Collection Education et théâtre.
30. Théâtre de répertoire (consultable uniquement sur place, section « patrimoine »
de la BMI)
DVD disponibles à la BMI d’Epinal :
-
La Mouette réalisée par Youli Karassik, film 1972
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Site internet :
http://www.theatreatoutprix.fr, site de la compagnie de Jean-Michel Potiron comportant des
recherches très précises sur l’œuvre de Tchekhov.
•
Annexe 4 : Photographies de La Mouette, mise en scène Jean-Michel Potiron
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