Phonétique, lexique, grammaire et… 4
------------------------------------------------------------------------
b) ces règles permettent d’autre part un savoir-faire, une teknitas, la réalisation
de quelque chose. C’est donc une capacité de construire quelque chose selon certaines
raisons/règles.
L’acquisition de ce savoir dérive d’un processus inductif; ainsi, de la multiplicité
des faits de langue, on extrait un système de classification: la différenciation des parties
du discours, par exemple), mais aussi, un système plus général qui englobe la totalité
des usages de la langue:
• partie historique: explication du signifié;
• partie technique: phonétique (éléments isolés et syllabe phonétique); morphologie
(les parties du discours); orthographe; étymologie.
• partie exégétique (le style des poètes).
Cette science (ars) était inductive: on analyse des faits de langue, sur un corpus
écrit ou ‘littéraire’, ce qui permet la proposition d’une hypothèse ou explication, puis
l’accès à un théorème universel, et donc une généralisation et un système; il s’agit donc
d’ un savoir fondé sur des causes objectives, qu’on peut démontrer). Une fois décrite la
langue, cette science se transforme en science d’application particulière: un art de parler
et d’écrire correctement, dont la frontière avec la rhétorique (l’art de bien parler) est
floue. En tout cas, on tient à marquer une frontière nette avec le savoir-faire artisanal
(l’empireia), l’habileté tirée uniquement de l’expérience.
Cet art de parler correctement, une fois établie la grammaire latine (Varron,
Donat, Priscien) et une fois devenue la langue latine une langue culte, fixée, sans évolu-
tion, va prendre le relais de l’approche inductive/scientifique le long du Moyen Âge et
de la Renaissance, dans la mesure où le latin se transforme en L 2, ou langue non
maternelle, à apprendre: l’ «ars » de la grammaire prend un caractère didactique et
utilitaire, un art normatif (l’usage correct de la langue), mais aussi l’instrument
nécessaire à l’interprétation des textes d’une part (exégèses, commentaires, traductions),
et de l’autre, une discipline propédeutique, de préparation à la rhétorique (art de bien
parler, qui venait dans l’ordonnement de l’enseignement à sa suite) et à la dialectique (le
trivium), passage forcé et base du quadrivium. L’art de bien parler et de bien écrire ne
s’acquérait qu’à travers les modèles des meilleurs auteurs; c’était la voie (unique)
d’accès qui menait à bien «discourir» (« disserter sur un sujet, en le développant
longuement », cf. le mot discurrir en espagnol): c’était là l’idéal de la formation
culturelle et morale de l’homme de la Renaissance.
Comme l’indique Uitti (in Zumthor, 1972: 32-62): « La grammatica, sur laquelle
repose l’édifice des «arts» ne correspond qu’en partie à la notion moderne de
grammaire. Descriptive et normative à la fois, elle embrasse l’étude textuelle des
auctores et une réflexion sur la langue: celle-ci, identifiée au latin, apparaît comme une
forme virtuellement éternelle, directement articulée sur les mécanismes de la pensée ».
La grammaire enseigne la langue (latine), mais elle enseigne aussi à penser: les
premières grammaires vernaculaires du XVIe siècle, comme J.-Cl. Chevalier l’indique
(1968: page 27 et suivantes), sont l’ouvrage de pédagogues: c’est-à-dire, elles
s’inscrivent dans un mouvement dont la finalité dernière est l’enseignement de la
Logique, à l’intérieur de la tradition linguistique aristotélicienne codifiée par Priscien.
La Grammaire (toute grammaire; la grammaire de toutes les langues) y est conçue
comme une méthode d’explication du fonctionnement de la langue, qui manifeste
obligatoirement les catégories logiques (substance ou être, accident ou qualité, action,
temps, lieu, cause, conséquence, etc.).