Dossier D ossier Chirurgie sénologique oncologique en ambulatoire : avantages et éléments limitants Ambulatory procedure for breast cancer surgery: advantages and restrictive factors IP F. Dravet, S. Robard, D. Labbe, R. Pioud, P. Peuvrel, J.-M. Classe* L a prise en charge ambulatoire de la chirurgie mammaire en France tarde à se développer, à l’opposé des pays anglo-saxons qui utilisent préférentiellement ce mode d’hospitalisation pour cette chirurgie. Au Centre Régional de Lutte Contre le Cancer de Nantes, nous pratiquons la chirurgie ambulatoire depuis plus de 15 ans. Définition La chirurgie ambulatoire correspond à une alternative à l’hospitalisation traditionnelle. L’accueil du patient, le geste opératoire et sa sortie de la structure se font le même jour. Actuellement, en France, les secteurs d’hospitalisation ambulatoire sont ouverts pour une tranche horaire de 12 heures (1, 2). C’est à différencier du système anglo-saxon (one day surgery) où les structures sont ouvertes, même la nuit, mais l’hospitalisation du patient est de moins de 24 heures consécutives. Ces actes chirurgicaux sont programmés et à faible risque hémorragique (1-3). Actuellement, les principales activités réalisées sous ce mode d’hospitalisation sont des gestes médicotechniques, notamment les endoscopies. Figure 1. Influence de la simplicité du geste chirurgical sur le taux d’ambulatoire. La différence est statistiquement significative. La chirurgie sénologique est-elle faisable en ambulatoire ? Dans les pays anglo-saxons, l’intégralité de la chirurgie sénologique est réalisée en ambulatoire, y compris les mastectomies et certains gestes de reconstruction mammaire, mais le contexte médico-économique est différent de la France. Nous avons pris l’option, dans notre établissement, de réaliser la chirurgie “conservatrice” du cancer du sein en ambulatoire, mais d’exclure les chirurgies radicales (4, 5). Ce mode d’hospitalisation est proposé chaque fois que la patiente répond aux critères d’éligibilité (ne pas être seule à domicile le premier soir postopératoire, mais accompagnée d’un adulte, habiter à moins de 100 km, avoir un téléphone fonctionnel au domicile). Malgré cette politique incitative, une évaluation menée dans notre service sur 18 mois a montré que le taux de chirurgie conservatrice réalisée en ambulatoire était globalement de 40,5 %. Ce taux varie en fonction du geste chirurgical réalisé et de la complexité du circuit patient (figures 1, 2 et 3). * Centre René-Gauducheau, Nantes. 10 Figure 2. Influence du geste ganglionnaire. Paradoxe : taux chirurgie ambulatoire plus faible pour un geste plus simple. La différence est statistiquement significative. La chirurgie sénologique représente 21 % de notre activité de chirurgie ambulatoire, les autres secteurs sont la pose de site implantable pour chimiothérapie (76 %) (7), la gynécologie (2 % : hystéroscopie, conisation), et des actes de radiothérapie (1 %). Toute notre chirurgie mammaire est faite majoritairement sous anesthésie générale, sauf la chirurgie mamelonnaire sous anesthésie locale. Nous pouvons proposer les curages axillaires en ambulatoire grâce à une technique chirurgicale sans drainage (8). Les principaux gestes de chirurgie sénologique réalisables en ambulatoire (4-6, 8, 9) Chirurgie à visée diagnostique : tumorectomie (TD), zonectoLa Lettre du Sénologue - n° 36 - avril-mai-juin 2007 Dossier D ossier lidation du mode ambulatoire de la prise en charge. Quand la notion d’ambulatoire est confirmée, le médecin traitant et le gynécologue médical en sont informés. Prise de rendez-vous préopératoire L’organisation en amont, dès la consultation, est indispensable pour le bon déroulement de la prise en charge du patient et de son circuit (tableaux I et II). La plus complexe est celle d’une patiente qui doit être opérée d’un cancer infraclinique pour lequel nous prévoyons de réaliser une zonectomie avec détection de GAS. Cette situation clinique devient plus fréquente grâce au dépistage. Il faut donc prévoir le rendez-vous de repérage préopératoire, celui de médecine nucléaire pour l’injection du produit isotopique, ainsi que l’examen extemporanée pour l’analyse peropératoire du ganglion sentinelle. Figure 3. Influence de la complexité du circuit patient sur le taux d’ambulatoire. Un intervenant : chirurgien seul. Deux intervenants : chirurgien + médecin nucléaire ou chirurgien + radiologue. Trois intervenants : chirurgien + médecin nucléaire + radiologue. mie après repérage préopératoire pour des lésions infracliniques (Z). Chirurgie à visée thérapeutique : tumorectomie avec détection du ganglion axillaire sentinelle (TGAS), tumorectomie avec curage, zonectomie avec détection du ganglion axillaire sentinelle (ZGAS), zonectomie avec curage, reprise des berges, curage de complément. Éléments organisationnels L’hospitalisation en ambulatoire réduit de manière importante la durée de l’hospitalisation. Cela impose une organisation rigoureuse et une segmentation de la prise en charge. Certains éléments sont capitaux, notamment en cas de chirurgie sénologique oncologique où le circuit patient est souvent multidisciplinaire. Chronologiquement Visite d’autorisation de sortie Elle est obligatoire et indispensable et doit être réalisée par le médecin anesthésiste et le chirurgien. Elle permet de confirmer la sortie ou, au contraire, de convertir en hospitalisation traditionnelle pour surveillance soit pour raisons médicales (nausées, vomissement, douleur), soit pour raisons chirurgicales : hématome nécessitant parfois une reprise chirurgicale. Cette notion de conversion du séjour ambulatoire en séjour traditionnel est à prendre en compte dans l’organisation d’un projet de mise en place de l’ambulatoire, car cela suppose d’avoir des lits disponibles dans le secteur traditionnel (5). Documents de sortie Les patientes sortent systématiquement avec ordonnances, compte-rendu opératoire, lettre pour le médecin traitant, rendez-vous postopératoire. Dans notre pratique, nous donnons également, à titre systématique, une plaquette d’antalgiques pour simplifier leur retour à domicile (10). Appel du lendemain Nous avons mis en place, depuis trois ans, un appel téléphoniDiagnostic préopératoire Actuellement, il est fortement recommandé d’opérer les paque systématique du lendemain. L’infirmière chargée du secteur ambulatoire appelle les patientes chez elle le lendemain matin tients avec un diagnostic préopératoire, permettant ainsi une pour savoir si “tout va bien”, reformuler les consignes de sécurité meilleure organisation des soins et, notamment, une diminuet vérifier que les patients ont bien eu tout leurs documents et tion des réinterventions chirurgicales pour complément d’exérèse glandulaire ou curage ganglionnaire. Tableau I. Circuit patient comparatif entre chirurgie ambulatoire et traditionCe diagnostic peut être porté au mieux par microbiopsie nelle : exemple tumorectomie avec détection ganglion axillaire sentinelle percutanée en cas de lésions nodulaires ou par biopsie (TGAS). par aspiration en cas de microcalcifications. Ces prélèChirurgie ambulatoire Chirurgie traditionnelle vements sont fait en externe sous anesthésie locale. Heure arrivée à l’hôpital 7 h 30 13 h 00 la veille L’élément primordial de ce diagnostic préopératoire est de Heure injection produit isotopique 9 h 00 14 h 00 pouvoir informer, de manière précise, la patiente sur sa maladie et sur l’acte chirurgical prévu avec les effets indésirables atLymphoscintigraphie Non Oui : 16 h 00-17 h 00 tendus en postopératoire immédiat, notamment la douleur. Heure de la chirurgie Consultations couplées Nous faisons en sorte que les consultations préopératoires chirurgie-anesthésie soient couplées, afin que les médecins anesthésistes confirment en temps réel la va12 11 h 00 Le lendemain matin Heure retour en chambre 15 h 00-16 h 30 12 h 00-15 h 00 Heure départ hôpital 18 h 00-19 h 00 Le lendemain entre 10 h 00-11 h 00 < 12 heures 48 heures Durée globale d’hospitalisation La Lettre du Sénologue - n° 36 - avril-mai-juin 2007 Dossier D ossier Tableau II. Circuit patient en cas d’organisation mixte : exemple zonectomie avec repérage et détection ganglion axillaire sentinelle (ZGAS). Patiente “proche” Ambulatoire : 12 h Patiente “éloignée” Ambulatoire < 24 h Heure d’arrivée à l’hôpital 7 h 30 9 h 30 Injection produit isotopique La veille en externe 10 h 00 Repérage La veille en externe 11 h 00 Heure de la chirurgie 8 h 00 Après-midi Heure retour en chambre 12 h 00 Fin d’après-midi Heure départ hôpital 18 h 00 Le lendemain entre 8 h 00-9 h 00 < 12 heures 24 heures Durée globale d’hospitalisation rendez-vous. Cet appel a été ressenti comme une continuité de soins aussi bien par l’infirmière que par la patiente et sa famille. Consultation postopératoire Elle est indispensable et programmée entre J7 et J15. Elle a pour but de compléter l’information des patientes en leur communiquant leurs résultats définitifs et en organisant leurs traitements complémentaires (chimiothérapie, radiothérapie, hormonothérapie). Cette consultation est primordiale et s’intègre dans le dispositif d’annonce. Points forts La chirurgie du sein en ambulatoire s’intègre complètement dans le contexte de l’alternative à l’hospitalisation pendant les traitements. Actuellement, les traitements de chimiothérapie sont réalisés en hôpital de jour sur quelques heures, la radiothérapie est faite en consultation externe. Cela permet une diminution de la rupture socio-professionnelle et familiale due aux traitements. La chirurgie ambulatoire sur le même principe doit être proposée aux patientes, mais non imposée. Pour certaines femmes, une hospitalisation courte (2 à 3 jours) peut être une période de répit ou de sécurité que nous devons respecter. C’est pour cette raison que toutes nos patientes éligibles pour l’ambulatoire ne sont pas systématiquement programmées en ambulatoire. Nous avons évalué à plusieurs reprises l’indice de satisfaction de ce mode d’hospitalisation. Il a toujours été très bien perçu avec des taux de satisfaction élevés supérieurs à 9/10 (10). Le séquençage de la prise en charge des patientes s’intègre bien dans le dispositif d’annonce et permet aux patientes de mieux appréhender leur maladie et leurs traitements, laissant ainsi, paradoxalement plus de temps pour comprendre et intégrer l’information reçue. Éléments limitants Actuellement, il demeure des éléments limitatifs au développement de l’ambulatoire. La Lettre du Sénologue - n° 36 - avril-mai-juin 2007 Figure 4. Influence du bassin de recrutement sur le taux de chirurgie ambulatoire : bassin de recrutement du Centre RenéGauducheau. 29 % patientes au-delà des 100 km. Si on exclut ces patientes, le taux d’ambulatoire passe de 40,5 % à 57 %. Éloignements de l’hôpital Ce facteur peut être prépondérant pour des établissements comme le nôtre, à bassin de recrutement étendu. Ce facteur est moins important pour des hôpitaux de proximité. Pour notre expérience , si on exclut les patientes au-delà de 100 km, notre taux d’ambulatoire passerait automatiquement de 40,5 % à 57 % (figure 4). Vieillissement de la population Au-delà de 70-75 ans, l’hospitalisation en ambulatoire peut poser plus de problème, car les femmes sans conjoint sont plus nombreuses, ainsi que les contre-indications d’ordre médicale plus fréquentes pour pratiquer la chirurgie ambulatoire. Toutefois, l’impact de cet élément sur la chirurgie sénologique en ambulatoire est à pondérer, car le pic d’incidence des cancers du sein est entre 55 et 65 ans. Complexité du circuit patient Aujourd’hui, le dépistage organisé fait que la situation la plus fréquemment rencontrée est une petite tumeur infraclinique qui relève d’une zonectomie avec repérage et détection du GAS. Le paradoxe de cette situation (plus propice à une prise en charge en ambulatoire, car le geste chirurgical est plus simple avec un faible risque hémorragique) est qu’elle est plus complexe à mettre en place. Elle fait intervenir “plusieurs acteurs” : imagerie pour le repérage, médecine nucléaire pour le GAS et, bien sûr, chirurgie et anesthésie. Nous avons constaté cela dans notre service, pourtant habitué à l’ambulatoire. Le taux d’ambulatoire passe de 30,5 % en cas de tumorectomie avec curage axillaire (deux intervenants : le chirurgien et l’anesthésiste) à 14,7 % en cas de zonectomie avec repérage du GAS (quatre intervenants : le chirurgien, le radiologue, le médecin nucléaire et l’anesthésiste) (figure 3). Ce taux s’est amélioré par un travail organisationnel inter-services. 13 Dossier D ossier Problème tarifaire On peut évoquer un élargissement des indications. Actuellement, dans les pays anglo-saxons, les chirurgies radicales et certaines reconstructions sont faites en ambulatoire. Toutefois, il ne faut pas “brûler les étapes”. Plus que de vouloir élargir les indications, il semble préférable d’inciter les autres centres hospitaliers français à faire de la chirurgie sénologique en ambulatoire. La chirurgie sénologique conservatrice se passe très bien en ambulatoire. C’est avant tout celle-ci qu’il faut promouvoir en routine. Pour l’avenir, nous devons ensemble affiner les indications en tenant compte des conditions médicales, mais aussi psychosociologiques. Le “tout en ambulatoire” en chirurgie sénologique oncologique pour l’avenir ne doit pas être un dogme. Dans le contexte psychologique particulier de la cancérologie, l’ambulatoire doit être proposée et non imposée. Que faut-il envisager pour l’avenir ? Conclusion Développer la politique d’information médicale et grand public L’information grand public, mais aussi des médecins de ville, des gynécologues, sur les possibilités de réaliser certains actes en ambulatoire est indispensable pour le développement de ce mode d’hospitalisation. La chirurgie sénologique s’y prête bien. L’information en amont de la prise en charge est primordiale notamment auprès des médecins généralistes et des gynécologues. Passage à un système anglo-saxon ou tout au moins mixte Devant une prise en charge plus complexe à organiser, il semble intéressant que la classique hospitalisation ambulatoire de 12 heures puisse évoluer vers un mode anglo-saxon où la chirurgie ambulatoire (one day surgery) est, en fait, une hospitalisation de moins de 24 heures. Le secteur d’ambulatoire est donc ouvert 24 heures sur 24. Cela permet de mieux étaler les préparations et la surveillance postopératoire des patientes. Une chirurgie peut donc ainsi être facilement réalisée l’aprèsmidi avec une sortie le lendemain matin, ce qui explique en partie un taux de chirurgie ambulatoire plus important qu’en France. Actuellement, l’évolution de la tarification va dans ce sens puisque : une hospitalisation de moins de 12 heures ou avec une nuit est assimilé à de l’ambulatoire. Néanmoins, la problématique demeure, car un établissement ne peut pas, pour des raisons de rentabilité, laisser un service ouvert la nuit avec du personnel pour un faible nombre de patients. Cet élément est un véritable enjeu dans l’avenir pour le développement de l’ambulatoire. Cela permettrait une meilleure organisation en chirurgie sénologique où le circuit patient n’est pas toujours simple et mono-disciplinaire. De même, la prise en charge des patientes habitant loin de l’hôpital (au-delà des 100 km) serait plus facile. La meilleure situation serait probablement un modèle mixte, tenant compte essentiellement de l’éloignement du domicile (tableau II). Les patientes habitant près de l’hôpital pourraient avoir une hospitalisation ambulatoire de moins de 12 heures et celles habitant loin, au-delà des 100 km, une hospitalisation ambulatoire de moins de 24 heures. 14 Élargir les indications opératoires Ce critère non médical mais administratif reste également, en plus de la volonté des équipes, un élément déterminant pour le développement de l’ambulatoire. La tarification actuelle n’est pas très incitative pour les structures hospitalières publiques financées par le forfait du GHM. L’acte principal a été revalorisé, mais les actes associés réalisés le même jour ne sont pas rémunérés. Deux exemples très parlants : en cas de ZGAS, le repérage préopératoire et l’injection isotopique ne sont pas pris en compte s’ils sont effectués le même jour. De même, si un patient a la pose d’un site implantable et sa première cure de chimiothérapie le même jour, une seule prise en charge est financée et c’est la pose du site qui n’est pas comptabilisée. Ceci est pénalisant pour l’établissement, mais aussi pour la patiente qui pourrait être amenée à faire deux séjours pour que l’établissement obtienne une rémunération des deux actes. La chirurgie sénologique en ambulatoire est bien acceptée par les patientes. Elle évite une séparation familiale trop longue et entre dans le concept d’alternative à l’hospitalisation pour le traitement des cancers du sein. Les modalités d’hospitalisation en ambulatoire méritent probablement d’être revues pour s’adapter à la fois à un circuit patient plus complexe, multidisciplinaire, et à une prise en charge de patientes éloignées. Ensemble, nous devons définir au mieux les indications réalisables dans de bonnes conditions médicales et psychosociologiques. n Références bibliographiques 1. 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