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ESPÈCES №2 - Décembre 2011 ESPÈCES №2 - Décembre 2011
RECHERCHE - Entomologie Herpétologie Géologie Entomologie Mycologie Phylogéographie Primatologie Microbiologie Paléontologie - Libellules
curieux de constater que ces insectes n’ont pas (ou très peu)
fait l’objet d’études dans les Antilles, qui font pourtant partie
des 34 “hot spots” de la biodiversité mondiale.
De nombreuses îles les et îlots à prospecter
La Société d’Histoire naturelle L’Herminier et le Muséum
d’Histoire naturelle de Nantes se sont engagés conjointement
dans un vaste programme de recherche visant à mieux
connaître la diversité des libellules des Petites Antilles. La
première étape de ces recherches a été d’établir un inventaire
des espèces dans chacune des îles de l’archipel, une base
indispensable pour ensuite caractériser les habitats dans
lesquels se développent leurs larves. Ce sont ces informations
qui permettent ensuite de définir des degrés de rareté, de
menaces et les mesures de gestion ou de conservation à
mettre en place.
Ces recherches ont permis d’estimer la faune odonatologique
des Petites Antilles à 49 espèces, diversement réparties sur la
quinzaine de grandes îles et les très nombreux petits îlots
inhabités que compte l’archipel. Ces espèces se répartissent
en 5 familles : 3 Lestidés, 2 Protoneuridés (famille de petites
et délicates demoiselles non représentée en Europe), 7
Un peu de biogéographie
Le domaine biogéographique néotropical, auquel appartiennent
l’Amérique du Sud, une partie de l’Amérique Centrale et du Nord, et
l’arc antillais, compte aujourd’hui environ 1 650 espèces de libellules
et la diversité y est telle que de nouvelles espèces sont décrites chaque
année dans les revues scientiques. L’odonatofaune des Antilles se
compose actuellement de 114 espèces (respectivement 98 et 49
espèces pour les Grandes et les Petites Antilles) parmi lesquelles une
importante proportion d’endémiques. Les îles des Petites Antilles ont
vu se développer au l du temps une faune et une ore qui leur sont
spéciques et, à beaucoup d’égards, uniques au monde.
Mais comment sont-elles parvenues à coloniser ces îles ? C’est l’objet
de la biogéographie, branche de la géographie et de l’écologie qui
étudie la vie à la surface du globe par des analyses descriptives et
explicatives de la répartition des êtres vivants, et plus particulièrement
des communautés d’êtres vivants.
Les îles qui composent les Petites Antilles sont les plus éloignées
des foyers de dispersion que sont l’Amérique du Sud et les Grandes
Antilles. Pourtant, comme l’a constaté Charles Darwin, la plupart des
espèces insulaires entretiennent des liens de parenté étroits avec les
espèces des îles voisines et du continent le plus proche. La théorie
de la biogéographie insulaire prétend que la richesse en espèces
d’une île dépend de sa taille et de son éloignement par rapport à
un continent. Plus une île est grande et proche d’un continent, plus
son peuplement est important en terme d’espèces. Le continent est
considéré comme un “réservoir d’espèces” et le peuplement de l’île se
fait au gré de l’immigration.
Ainsi, la Guadeloupe avec une supercie de 1 434 km² accueille
l’odonatofaune la plus riche des Petites Antilles avec 38 espèces
d’Odonates (78 %, n = 49). La Martinique, moins éloignée d’un
continent, mais 1,3 fois moins grande, n’accueille que 30 espèces
(61 %, n = 49). Ces interprétations sont toutefois à modérer dans la
mesure où les données manquent encore.
Une des raisons qui expliquent que certaines îles soient moins riches
en espèces, mais pourtant plus proches des foyers de dispersion, réside
dans la nature et la disponibilité des habitats aquatiques dont dépendent
étroitement les libellules. D’une manière générale, les libellules sont
surtout des habitantes des milieux stagnants (jusqu’à 90 % aux Antilles)
et se développent majoritairement dans les mares ou les étangs qui
font défaut dans certaines îles, comme Saint-Vincent ou Grenade par
exemple. La faune odonatologique y est donc plus pauvre.
Les premiers Odonates sont apparus il y a 300 Ma lors de la formation de
la Pangée (continent unique). La division de ce continent en Gondwana
et Laurasia semble être à l’origine de la dispersion des espèces sur
chaque fragment de continent. Puis, lors de la formation des Proto-
Antilles au Paléocène des échanges ont pu exister entre les faunes
gondwaniennes au nord et laurasiennes au sud car elles formaient une
continuité entre l’Amérique du Nord et du Sud. Mais il est également
envisageable que les nombreux déplacements de terres et la création
de fosses océaniques aient pu conduire à la séparation des taxons
appartenant à des populations autrefois communes. Pour valider une
ou l’autre des hypothèses, des études génétiques sont indispensables
pour dénir le pourcentage d’homologie de chaque spécimen et donc
l’ancêtre commun de chaque taxon.
Localisation des Grandes et Petites Antilles à l’échelle régionale
(réalisation C. Poiron, 2011 - infographie A. Rafaelian).
Histoire géomorphologique des Antilles et principales voies
de colonisation (en rouge) (d’après Meurgey & Picard, 2011).
Coenagrionidés, 9 Aeshnidés et 28 Libellulidés. Parmi ces 49
espèces de libellules recensées, 8 sont endémiques* à cette
région du monde Protoneura ailsa, que l’on ne rencontre
qu’en Martinique, Dominique et Sainte-Lucie. Protoneura
romanae et Macrothemis meurgeyi ne peuvent être observés
qu’en Guadeloupe. Le Coenagrionidé Argia concinna est,
quant à lui, endémique de Guadeloupe et de la Dominique.
Argia telesfordi, découverte et décrite pour la première fois
en 2009, est endémique de Saint-Vincent et de Grenade.
Dythemis sterilis multipunctata (une sous-espèce de Dythemis
La dépouille larvaire (ou exuvie) est un des meilleurs moyens de prouver
l’autochtonie (reproduction) dans un milieu donné (cliché C. Poiron).
Le Grand Étang en Guadeloupe,
habitats de plus de 15 espèces d’odonates (cliché F. Meurgey).