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° D’un point de vue esthétique, cela permet en quelque sorte une mise en situation de la
pensée, une réincarnation de l’abstraction. C’est ce qui fait le caractère plaisant ou vivant du
dialogue philosophique, on a affaire à des idées en tant qu’elles sont soutenues par des
personnages qui incarnent dans leur manière d’être leur manière de penser. (Exemple :
Thrasymaque, 336b et 338c : ce qui nous importe ici c’est l’adéquation entre la thèse de
Thrasymaque, en première analyse la loi du plus fort, et son comportement de bête fauve).
° D’un point de vue plus philosophique, tout est matière à interprétation. La vérité du
dialogue n’est pas délivrée aussi directement et simplement que la vérité d’un traité. Pour
savoir ce que pensait Aristote de la politique, on ouvre le traité du même nom, mais un
énoncé qui se trouve dans la République de Platon n’est pas l’expression directe de ce que
pensait Platon, même lorsque c’est Socrate qui parle. Il faut interpréter les caractères, les
temps et les lieux des énoncés. (Exemple : Philèbe a pour thèse que le bien, c’est la jouissance
physique ; il ne dira pas un mot durant le dialogue qui porte son nom, il ne soutient pas sa
thèse en son nom propre, mais la délègue à Protarque).
Voir en ce sens Léo Strauss, « Sur la République de Platon », in La Cité et l’homme,
Paris, Agora, 1987.
Questions générales tout d’abord sur le genre du dialogue, visant à montrer qu’on ne
peut prétendre comprendre un dialogue de Platon si l’on n’a pas cerné sa forme. Pourquoi
Platon utilise-t-il de multiples porte-paroles ? Pourquoi Socrate est-il silencieux dans certains
dialogues ? La fameuse ironie socratique ne signifie-t-elle pas que Socrate en sait plus que ce
qu’il veut bien dire ? Selon quelle classification doit-on ordonner les dialogues de Platon ?
Conclusion de toutes ces questions : tout est significatif dans les dialogues, les actes comme
les paroles, rien n’y est accidentel.
Interprétation plus particulière ensuite de la République. Au lieu de passer directement à
des thèses fameuses, il s’attarde longuement sur ce qui pourrait paraître des détails. Dans
quelles circonstances et avec quels personnages Socrate était descendu au Pirée, où se situera
le dialogue. Comment on en vient à parler de la justice, interprétation en particulier du livre I,
qui est souvent vu comme un préambule anecdotique. Le vieux Céphale, qui abandonne la
discussion pour accomplir un acte de piété : caractère déficient de la justice comme piété
envers les ancêtres, respect des mœurs des anciens. Le sauvage Thrasymaque, qui interrompt
grossièrement la conversation pour défendre l’idée que la justice est ce qui est avantageux au
plus fort : d’ordinaire, cette thèse sert d’épouvantail aux vertueux ; autre interprétation donnée
par Leo Strauss, qui repose encore une fois sur une analyse ligne à ligne du dialogue :