Jacques Maritain, Michel Villey Le thomisme face aux droits de l

Université de Paris II Panthéon-Assas
DEA de droit public interne
Jacques Maritain, Michel Villey
Le thomisme face aux droits de
l’homme
Mémoire présenté et soutenu publiquement par
LOUIS-DAMIEN FRUCHAUD
pour l’obtention du DEA de droit public interne
Sous la direction de
Monsieur le Professeur JEAN MORANGE
Le 9 septembre 2005
Section 2. La nature humaine et ses droits
Certes, il est possible de consacrer les droits de l’homme en les reconnaissant
dans une déclaration internationale.
Pourtant, du point de vue de l’intelligence, ce qui est essentiel c’est d’avoir une
justification véritable des valeurs morales et des normes morales. En ce qui
concerne les droits humains, ce qui importe le plus au philosophe est la question de
leurs fondements rationnels.1
On ne peut remiser longtemps le problème de la justification rationnelle de ces
droits, d’autant plus quand on les déclare universels. Le droit étant foncièrement situé
par rapport à un Etat, une communauté politique, quel pourra être le fondement de leur
ampleur universelle ? La pensée de Maritain est toute entière orientée par la réponse à
cette question : faire redécouvrir l’universel propre à la nature humaine.
La perspective maritanienne se révèle dans le choix des expressions différentes
dont il use pour aborder le même sujet : à côté des classiques « droits de l’homme » et
« droits humains », il utilise souvent « droits de la personne humaine2 ». Cette
expression n’est pas anodine : les deux termes employés renvoient aux deux aspects
fondamentaux de sa théorie, tous les deux longuement développés à partir de l’ontologie
thomiste : une anthropologie politique personnaliste (§1) et une philosophie juridique de
la loi naturelle (§2).
§1. Le personnalisme thomiste de Jacques Maritain
Il est légitime de parler du « personnalisme » de Maritain, non pas seulement
parce qu’il est aisé de souligner les liens historiques et intellectuels qu’il a eus avec ce
1 L’Homme et l’Etat, OC IX, p. 572
2 Cf. Lettre de Maritain au directeur du journal El Diario Ilustrado paru dans le n° 125 du 6 mai 1944, OC
VIII, p. 1068 ; Le crépuscule de la civilisation, OC VII, p. 44 et 45 ; Principes d’une politique humaniste,
OC VIII, p. 187 ; Sort de l’homme, p. 64 ; Les droits de l’homme, p. 20, 75 et 82 ; cf. FLOUCAT, Pour
une restauration du politique, p. 93
mouvement3, mais encore parce que Maritain lui-même le revendique : dans Du régime
temporel et de la liberté et dans Humanisme intégral, il insiste sur le caractère
personnaliste du modèle de société qu’il propose et il use dans d’autres ouvrages du mot
« personnalisme » pour qualifier sa vision de voir4. Mieux encore, Maritain explique ce
qu’est ce mouvement philosophique, qui n’est pas une école ou une doctrine unique, et
s’y inscrit de lui-même5. Cependant, il prend bien garde de rappeler que c’est le
personnalisme thomiste qu’il revendique et non un autre6. En effet, c’est sur la base de
principes tirés de la Somme de Théologie qu’il construit une anthropologie
politique dont le cœur est la distinction entre personne et individu (1), qui lui permet de
définir les rapports de la personne et de la communauté (2).
1. L’individu et la personne : une distinction essentielle
C’est sans doute l’un des apports majeurs de Maritain à la question du
fondement rationnel des droits de l’homme7 : avoir tenté de déterminer précisément le
sujet de droit en cause, l’homme. Sa théorie en la matière va profondément influencer
les futurs travaux d’Emmanuel Mounier8. Elle repose sur le rappel d’une distinction
3 Pour les liens avec Emmanuel Mounier, cf. LUROL, Gérard, Maritain et Mounier in BRESSOLETTE et
MOUGEL (dir.), Jacques Maritain face à la modernité, pp. 245-269
4 cf. par exemple Conception chrétienne de la cité, OC VI, p. 959 et L’Homme et l’Etat, OC IX, p. 604
(notamment la note 18)
5 La personne et le bien commun, OC IX, pp. 170-171
6 La personne et le bien commun, OC IX, p. 170 : « C’est ce personnalisme-là qui nous intéresse, le
personnalisme fondé sur la doctrine de saint Thomas d’Aquin » ; cf. aussi Du régime temporel et de la
liberté, OC V, p. 363. Pour un exposé sur ce sujet, cf. WOJTYLA, Karol, En Esprit et en vérité, Le
Centurion, Paris, 1980, pp. 88-101
7 Sur la distinction individu / personne, lire : LUROL, Gérard, Maritain et Mounier in BRESSOLETTE et
MOUGEL (dir.), Jacques Maritain face à la modernité, pp. 252-256 ; LACOMBE, Les droits de l’homme
dans la pensée de Jacques Maritain, Cahiers Jacques Maritain, 37 (1998), p. 5 ; FLOUCAT, Jacques
Maritain ou la fidélité à l’Eternel, pp. 110-115 ; BARS, La politique selon Jacques Maritain, pp. 25-33 ;
OLIVA, I diritti umani in Jacques Maritain, pp. 106-108 ; Quant aux nombreux textes de Maritain lui-
même, cf. Réflexions sur l’intelligence et sur sa vie propre (1924), OC III, p. 188 ; Trois réformateurs
(1925), OC III, pp. 451-456 ; Du régime temporel et de la liberté (1933), OC V, pp. 356-369 ; Réflexions
sur la personne humaine et la philosophie de la culture (1934), OC VI, pp. 897-921 ; Conception
chrétienne de la cité (1937), OC VI, pp. 952-956 ; Les droits de l’homme, pp. 19-22 ; Sort de l’homme, p.
61 ; Principes d’une politique humaniste (1944), OC VIII, pp. 183-199 ; Pour la justice (1946), OC VIII,
p. 517 ; La personne et le bien commun (1947), OC IX, pp. 185-195
8 LUROL, Gérard, Maritain et Mounier in BRESSOLETTE et MOUGEL (dir.), Jacques Maritain face à
la modernité, p. 266 et 269
qu’il juge absolument essentielle9 (b) mais dont la méconnaissance, justement, est la
cause de bien des problèmes (a).
9 Cette distinction lui serait venu de son ami, le théologien Reginald Garrigou-Lagrange : IDE, Pascal, La
blessure intérieure dans l’œuvre de Jacques Maritain in BRESSOLETTE et MOUGEL (dir.), Jacques
Maritain face à la modernité, p. 297
a) Les causes de la réflexion maritanienne sur la personne
On l’a dit, l’œuvre politique et juridique de Jacques Maritain a surgit des
évènements historiques auxquels il était confronté. Néanmoins, au-delà des faits
politiques, il en dénonce en philosophe les causes profondes, qui sont d’ordre
intellectuel. Les deux faits qui lui semblent les plus caractéristiques de son temps,
comme des idéaux-types de l’organisation sociale, sont l’individualisme et le
totalitarisme10. Ce sont les deux dérives du monde moderne qu’il réprouve dès ses
premiers livres mais dont il affine la critique peu à peu :
Le XIXème siècle a fait l’expérience des erreurs de l’individualisme. Nous avons
vu se développer par réaction une conception totalitaire ou exclusivement
communautaire de la société. Pour réagir à la fois contre les erreurs totalitaristes
et les erreurs individualistes, il était naturel que l’on opposât la notion de personne
humaine, engagée comme telle dans la société, à la fois à l’idée de l’Etat totalitaire
et à l’idée de la souveraineté de l’individu.11
Ayant fait de l’axiome scolastique « distinguer pour unir » sa devise (et le titre
du livre le plus important sans doute de toute son œuvre), Maritain veut démontrer que
l’opposition irréductible entre ces deux systèmes sociaux est en réalité factice car ils
proviennent d’une source identique, une même confusion :
Il n’y a là aucun mystère. Le monde moderne confond simplement deux choses
que la sagesse antique avait distinguées : il confond l’individualité et la
personnalité.12
Cette confusion est donc la cause désignée des problèmes contemporains de
philosophie politique et, corrélativement, la distinction nécessaire en est la solution13.
En effet, ce qui est en jeu dans ce qui peut sembler au premier abord un débat accessoire
et subtil, ce n’est pourtant rien de moins qu’une « question fondamentale », les relations
10 Du régime temporel et de la liberté, OC V, p. 363 ; Humanisme intégral, p. 141 ; Les droits de
l’homme, p. 30
11 La personne et le bien commun, OC IX, p. 170. Dans les pages 228 à 237 il développe plus cette idée.
12 Trois réformateurs, OC III, p. 451 ; cf. p. 453 : « Qu’est-ce que l’individualisme moderne ? Une
méprise, un quiproquo : l’exaltation de l’individualité camouflée en personnalité. »
13 Trois réformateurs, OC III, p. 455 : « Cette distinction de l’individualité et de la personnalité,
appliquée aux rapports de l’homme et de la cité, contient, dans le domaine des principes métaphysiques,
la solution de bien des problèmes sociaux. »
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