LA CONNAISSANCE DE LA LOI NATURELLE 205
Maritain, au contraire, à la suite ici de saint Thomas, développe une
métaphysique de la connaissance, attentive à sonder les profondeurs de la vie de
l'esprit. Il n'est pas ce qu'on appelle un philosophe «spiritualiste» parce
que jamais il ne sépare l'esprit de l'être des choses. L'esprit, en effet, n'est
pas autre chose qu'ouverture à l'être. Dans cette ouverture Maritain voit
toute sa richesse et son mystère.
Que la métaphysique de la connaissance soit la clef de voûte de toute la
réflexion philosophique maritainienne ressort à l'évidence de sa manière
d'aborder le problème traditionnel de la loi naturelle.
La philosophie de la loi naturelle, que Maritain a élaborée à la lumière de
la pensée de saint Thomas, ne jouit certes pas d'une grande notoriété auprès
des philosophes du droit contemporains. Elle se présente toutefois comme
une interprétation où la plus grande fidélité à la ligne spéculative du
thomisme s'accompagne d'un très haut degré d'accomplissement et d'ori-
ginalité. Il faut reconnaître cependant qu'un des obstacles majeurs à la
compréhension de la conception maritainienne de la loi naturelle dans
toute son authentique portée réside dans le fait qu'est encore inédit le
recueil des leçons consacrées à ce sujet et professées à Soisy en 1950 2. Seuls
quelques fragments de ce cours ont vu le jour plus tard 3. Mais ils sont
comme la pointe d'un iceberg. Ce qui se voit n'est qu'une minime partie
d'une réflexion approfondie sur la loi naturelle, dont les implications
principales restent cachées.
La lecture de ces leçons sur la loi naturelle fait clairement apparaître
l'intérêt que celle-ci a pour la philosophie de l'histoire et la philosophie de
la culture, auxquelles Maritain a voué beaucoup d'attention. Cette greffe
2 G et C Brazzola m'ont aimablement remis en consultation une photocopie de la dacty-
lographie de ces leçons, qui ont pour titre Neuf Leçons sur la loi naturelle, Soisy, 1950 (cité
dorénavant sous le sigle LN suivi d'un chiffre romain qui indique la leçon) Ce cours a eu lieu à
l'Eau Vive, là même où, un an auparavant, Maritain avait professé les Neuf Leçons sur les notions
premières de la philosophie morale. [Le texte original de ce cours sur la loi naturelle est en voie de
révision et de publication Sa traduction en italien par les soins de Fr Viola doit paraître
prochainement Rédaction.]
3A ma connaissance ces leçons ont inspiré avant tout L'Homme et l'Etat (PUF, 1953), publié
tout d'abord en Amérique en 1951 Les deux premières leçons ont été reprises pour une
grande part dans Natural Law and Moral Law, paru dans le volume Moral Principles of Action : Man 's
ethical Imperative, édité par R Nanda Anshen, Harper and Brothers, New York, 1951, pp 62-
76 Le texte original en langue française de cet article a paru dans «Nova et Vetera», 1978,
pp 1-12 sous le titre : Quelques remarques sur la loi naturelle. Signalons enfin un écrit antérieur qui
esquisse quelques thèmes plus largement développés dans les leçons sur la loi naturelle : La
philosophie du droit dans The King's Good Servant, édité par R O'Sullivan, Basil Blackwell, Oxford,
1948, pp 40-48 [Il s'agit d'une communication à la Société Thomas More, faite à Londres le
11 mars 1932 Rédaction.]