modernes ratifient : « je vois » veut aussi dire « je sais ». Von Fritz remarque toutefois
que le noein correspond, dans les textes d’Homère, à une vision d’un type particulier.
Ainsi, dans le Chant III de l’Iliade (21), Ménélas « voit » (enoèsen) sur le champ de
bataille son rival Pâris, qui lui a ravi Hélène, ce qui le remplit de joie comme l’est un
lion sur le point de s’abattre sur sa proie. Pâris le « voit » aussi, Homère emploie le
même verbe (enoèsen, 30), mais l’émotion qu’il ressent en est une de terreur parce qu’il
se rend bien compte que Ménélas brûle de se venger. Le noein correspond donc ici à un
savoir où se conjuguent la découverte, la reconnaissance et une forte émotion (la joie,
la terreur). Plus loin dans le même livre, la belle Hélène reçoit la visite d’une vieille
dame. En « observant » (noein, 396) son cou, elle s’aperçoit qu’il s’agit en vérité d’une
déesse, ce qui la frappe de stupeur. Von Fritz a relevé plusieurs choses dans ces
occurrences : le noein est à chaque fois un « voir » immédiat portant sur un objet que
l’on peut dire sensible, s’accompagnant d’une découverte subite suscitant une vive
émotion : ça alors, c’est Pâris, c’est Ménélas, c’est une divinité! Noein, ou savoir, veut
ainsi dire, conclut von Fritz, « reconnaître une situation » (to realize a situation), ce qui
entraîne des conséquences immédiates et conduit le plus souvent à une action. Je vois,
par exemple, que quelqu’un est un ennemi, une divinité, un proche, et j’agis en
conséquence. Ce savoir équivaut donc à un sens pénétrant des choses. Pour Homère,
ce sens n’est pas l’apanage de l’homme. Les dieux le possèdent, eux qui voient
tellement plus loin que les hommes, mais aussi certains animaux. Dans l’Odyssée (17,
301), le verbe noein est employé du vieux chien Argos, probablement aveugle, qui
reconnaît (enoèsen) son maître Ulysse, en agitant bien sûr sa queue.
Le noûs ou le savoir relève donc d’une vision ou d’une capacité de sentir qui
pénètre plus profondément que ne le font les autres sens la nature réelle de l’objet
perçu. Il finirait chez Platon par être rigoureusement distingué de la vision sensible, ce
qui n’est pas le cas chez Homère, et constituer le sommet du savoir humain, tout en
continuant d’être compris comme une forme de vision. Il y a savoir chaque fois que