Deux manières d`être prêtre dans l`Église catholique

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Religions et Spiritualités
Deux manières d’être prêtre
dans l’Église catholique
P hilippe Lécrivain
P
ar « Église catholique », nous entendons ici l’ensemble
constitué par l’Église de rite latin (romain) et les Églises
de rite oriental en communion avec l’évêque de Rome.
C’est dans ce cadre assez large que nous allons mener deux
enquêtes. La première nous conduira à examiner comment
sont nées progressivement deux manières d’être prêtre dans
l’Église latine ; pour la seconde, dont la visée sera d’examiner
la question du célibat et du mariage des prêtres, nous considèrerons l’ensemble de l’ « Église catholique ». Après avoir
brossé cet arrière-pays, nous présenterons quelques-uns des
débats contemporains dans l’Église latine. Enfin, pour
conclure, nous ferons deux remarques, sans oublier que ces
pages sont d’un historien et que leur but n’est pas de proposer une nouvelle discipline mais d’introduire du jeu dans les
échanges en cours.
Deux moments charnières
de l’Église latine
Nous nous limiterons, dans cette première enquête, à cette
institution occidentale car elle est la seule où soient nés, après
le xiie siècle, une multitude d’ordres et de congrégations à
Jésuite, professeur de théologie au Centre Sèvres (Facultés jésuites
de Paris).
Études – 14, rue d’Assas – 75006 Paris – Mai 2012 – n° 4165
641
côté des moines et du clergé séculier. Dans ce contexte, nous
étudierons deux moments de « commencement », celui de la
réforme grégorienne au Moyen Âge et celui des Réformes à
l’époque moderne.
Le tournant des xiie-xiiie siècles. – Si depuis le xe siècle les
bénédictins de Cluny dominent en Occident, à la fin du
xie siècle des chrétiens se font ermites, d’autres rejoignent la
Chartreuse et d’autres encore entrent à Cîteaux. La chrétienté se transforme alors, de rurale elle devient urbaine et les
migrations se multiplient. Mais l’Église aussi change et son
centralisme clérical accentue la séparation des latins et des
orientaux. Parmi les instituts religieux fondés alors, les chanoines réguliers qui veulent prêcher l’Évangile et assister les
pauvres sont les plus nombreux. L’un d’eux, Norbert, s’en
remet au pape qui lui donne le pouvoir de prêcher partout,
mais bientôt une communauté est fondée à Prémontré selon
la règle d’Augustin et des statuts inspirés de Cîteaux où il est
précisé que les paroisses des chanoines sont des annexes du
monastère.
Une manière d’être prêtre est née. Moins d’un siècle
plus tard, elle se développe avec les franciscains et les dominicains qui désirent annoncer pauvrement le Christ pauvre.
Dominique et François ont compris la nécessité de la parole
dans l’évangélisation, mais le premier souhaite que ses frères
fassent des études sans ignorer que la science seule ne suscite
pas l’adhésion. Par ailleurs, comme François, Dominique
refuse toute propriété mais il ne fait pas de la pauvreté un
absolu évangélique. Bientôt les missions confiées par la
papauté conduiront les mendiants en Chine, en Scandinavie
et au Moyen-Orient. Mais venons-en au clergé paroissial.
Un double mouvement se produit. D’une part la démographie conduit à construire ou à déplacer des églises. D’autre
part celles-ci et leurs biens sont restitués par les laïcs aux
évêques, aux moines et aux chanoines, sans que soit remis en
cause le système bénéficial1. Si ces nouveaux patrons
demandent à l’évêque du lieu de donner la cura animarum à
leur candidat, ils gardent la propriété des biens paroissiaux et
se réservent la dîme. Au desservant revient la jouissance de la
dot du fief presbytéral et la possibilité de recevoir des offrandes
en nature ou en argent à l’occasion des actes du culte.
Le prêtre a pour charge d’aider ses paroissiens à entrer
dans la vie chrétienne par le baptême et à en sortir avec le viatique, l’extrême-onction et la sépulture. À l’église, il veille sur
642
1. Ce système dissocie l’ordination du service d’une
communauté.
2. G. Alberigo, Les conciles
œcuméniques, les décrets.
T. 2, Paris, Cerf, 1994,
p. 525.
3. J.-M. Le Gall, Les moines
au temps des Réformes,
1480-1560, Champ Vallon,
Paris, 2001.
les livres, les vêtements et les vases liturgiques, sur la cire, le
pain et le vin apportés par les fidèles. Il assure la messe le
dimanche et les jours de fête et entend les confessions. Il
accueille les fiancés, assiste à leur mariage et bénit les relevailles. Il visite les malades et reçoit pèlerins et voyageurs.
Selon ses capacités, il explique le Credo, le Pater et les prescriptions synodales. Il veille enfin sur la conduite de ses
paroissiens. La manière d’être prêtre séculier se normalise au
xiie siècle quand le concile de Latran III (1179) freine la prolifération des ordinations que rien ne légitime.
Au xiiie siècle, une autre étape est franchie. Le concile
de Latran IV (1215), en faisant de la paroisse le cadre de la vie
religieuse, renforce le rôle du prêtre. Il précise que tout chrétien doit se confesser à son propre curé et communier de ses
mains au moins à Pâques2, ce qui est une façon d’exiger une
appartenance réelle à l’Église. Si ces prescriptions ne sont pas
nouvelles, elles s’inscrivent dans l’effort fait alors pour rendre
la démarche pénitentielle plus responsable et donner un sens
plus chrétien à l’eucharistie sans qu’en soit requise une réception fréquente. Selon Innocent III qui a convoqué le concile,
le renouveau ne peut venir que des curés à qui il donne pour
modèle le Bon Pasteur.
Sans renoncer à la formation des prêtres, la papauté
choisit de s’appuyer sur les ordres mendiants, au grand dam
des évêques à qui Latran IV a rappelé leur charge de docteurs
et a demandé de s’entourer de prédicateurs.
Le tournant des xvie – xviie siècles. – Si le temps précédent
est marqué par l’estrengement des chrétientés d’orient et
d’occident, ce nouveau moment est celui des Réformes et de
l’expansion ultramarine du catholicisme.
Souvent avant Luther et Calvin, les instituts monastiques, canoniaux et mendiants se réforment3. Ce retour à
l’observance prend le double visage de la solitude (les récollets) et de la pauvreté (les déchaussés). Les religieux prêtres,
redécouvrant qu’ils ont été fondés pour prêcher l’Évangile en
pauvreté, n’hésitent pas à partir en Asie et en Amérique. Une
autre étape est franchie avec les capucins qui, approuvés par
Paul III en 1536, se répandent dans le monde entier sous le
signe de Paul et de François et deviennent un pôle spirituel et
missionnaire de la réforme tridentine.
La Compagnie de Jésus, approuvée en 1540 par le
même pape, en est un autre pôle. Avec cet ordre de religieux
prêtres et frères, le caractère sacerdotal prend un sens nou-
643
veau. Sans être en soi un objectif, la manière d’être prêtre des
jésuites est un aspect central de leur identité. Enracinée dans
la Contemplation pour obtenir l’amour qui conclut les
Exercices spirituels, elle est un don de Dieu en vue d’une mission universelle. En se mettant au service du pape quant aux
missions, les jésuites disent leur disponibilité pour aller aux
frontières de l’Église et du monde, espérant y « aider les
âmes » pour une gloire de Dieu plus grande4.
Pierre de Bérulle forme avec ses disciples français –
J.-J. Olier, J. Eudes, V. de Paul – le troisième pôle de la réforme
tridentine. À la suite de Bernard, François, Ignace et Thérèse,
le futur cardinal donne à sa spiritualité un tour christocentrique et découvre que le prêtre doit être conforme à l’image
de Jésus-Christ, le médiateur entre Dieu et les hommes et le
« fondateur de l’ordre sacerdotal ». Commentant la Bulle de
Paul IV qui approuvait l’Oratoire en 1613, Condren, qui succéda à Bérulle, précise : « [Cette] congrégation de prêtres qui,
non seulement font profession de tendre à la perfection sacerdotale, mais qui se séparent de tout ce qui peut les en détourner […] pour être, à l’égard des autres ecclésiastiques ce que
les religieux sont à l’égard des laïques. Vivant en Jésus-Christ
et selon lui, nous serons véritablement ses religieux. Et sans
être liés par aucun vœu solennel ou particulier, nous vivrons
religieusement5. » Venons-en donc au clergé paroissial.
À l’aube du xvie siècle, alors que certains religieux se
réforment, le clergé souffre des limites du système bénéficial et
des lacunes de sa formation. Luther se fait critique : « L’Église
du Christ ignore le sacrement de l’ordre ; il a été inventé par
l’Église du pape6 » et propose sa doctrine du sacerdoce universel : « Par le baptême, nous recevons tous le sacerdoce7. » Après
1540, quand le protestantisme s’est répandu, on mesura la différence entre le prêtre marqué d’un caractère indélébile qui en
fait un sacrificateur et le pasteur désigné par le peuple chrétien
pour prêcher la parole et administrer les sacrements. Le
Collège cardinalice, épuré par Paul III, rédige un texte sur la
rénovation du clergé repris durant les sessions du concile de
Trente de 1562 et 1563. Se détournant des conceptions protestantes, on désire renouveler le clergé par l’exaltation de sa mission, la revalorisation de ses fonctions, le renforcement de la
discipline et une meilleure formation. « Rien, écrivent les
Pères, n’instruit davantage et ne porte plus continuellement les
hommes à la piété et aux saints exercices que la vie et l’exemple
de ceux qui se sont consacrés au saint ministère.8 »
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4 . D é c re t s d e l a 3 4 e
Congrégation générale de
la Compagnie de Jésus,
Rome, 1995. p. 105-127.
5. Cité par R. Deville,
L’école française de spiritualité, Paris, DDB, 2008,
p. 76.
6. « De la captivité babylon ien ne de l ’ Ég l i s e »,
Œuvres, Labor et fides,
1966, T. 2, p. 244.
7. « À la noblesse de la
nat ion a l lema nde su r
l’amendement de l’État
chrétien », op. cit. p. 84.
8. G. Alberigo, op. cit. T. 2,
p. 1499.
Et ils ajoutent que le prêtre, tirant sa valeur de sa fonction, doit
donner aux fidèles l’exemple de la sainteté.
Les décisions tridentines sont appliquées par François
de la Rochefoucauld, l’auteur du De la perfection de l’état ecclésiastique, et par François de Sales, mais plus encore par les
tenants de l’école bérullienne. Avec ténacité, le fondateur de
l’Oratoire de Jésus prêche aux prêtres qu’il y a « une plus
grande exigence de sainteté dans leur état de prêtrise que dans
la profession religieuse ». Un nouveau type de prêtre est né, qui
se démarque de la manière des religieux prêtres : « Chaque
ordre religieux, écrit le sulpicien Tronson, représente une vertu
de Jésus-Christ. Mais il n’y en a point qui le représente tout
entier : c’est le privilège de l’état ecclésiastique. » Ce modèle
l’emporta.
Les pratiques diverses
du célibat et du mariage
9. Ph. Lécriva in, Une
manière de vivre. Les religieux aujourd ’ hui,
Bruxelles, Lessius, 2009,
p. 39-73.
Deux manières d’être prêtre se sont donc dessinées au cours
de l’histoire : le prêtre diocésain et le religieux prêtre. Mais
dans l’ « Église catholique », à côté des latins, les orientaux
considèrent différemment le célibat ecclésiastique.
Le célibat des religieux prêtres. – Les religieux, selon un
choix personnel réfléchi, s’engagent pour toujours à vivre
l’Évangile dans une communauté à la manière d’un fondateur et c’est à la lumière de cette démarche, le vœu de profession, que se comprennent les vœux de pauvreté, de chasteté
et d’obéissance9. C’est donc sur un projet mystique, évangélique et ecclésial que repose cette manière de vivre appelée à
s’enraciner dans les dimensions anthropologiques qui
marquent toute vie : la propriété, la sexualité et la responsabilité. Cette articulation, présente dès le monachisme, fut formalisée au xiie siècle.
Vers la fin xviie, la mystique s’atténuant, on privilégia la
portée éthique des vœux de religion en oubliant qu’ils sont
l’expression d’un don total et unique fait à Dieu. Au cours du
xxe, les religieux s’efforcèrent de retrouver cette dimension
perdue et redécouvrirent que la chasteté est un don de Dieu
qui les appelle à devenir les disciples de son amour universel et
pour cela à renoncer au désir d’une relation exclusive. Ainsi,
pour les religieux, le célibat n’est pas lié à l’ordination sacerdotale mais fait partie intégrante d’une manière de vivre choisie.
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Les prêtres latins et le mariage. – Ce titre veut respecter les
positions différentes de l’Église selon les époques et renvoyer
dos à dos ceux qui affirment que le célibat ecclésiastique
remonte aux apôtres, et ceux pour qui il a été imposé au
xiie siècle. En réalité, la discipline actuelle du célibat résulte
d’un enchaînement d’interdits s’articulant les uns aux autres.
Quatre étapes peuvent ainsi être discernées10.
Les deux premières peuvent s’exprimer ainsi. D’une
part défense est faite d’ordonner un homme qui a été marié
plusieurs fois ou de permettre à un prêtre veuf de se remarier.
Le prêtre doit être « l’homme d’une seule femme ». D’autre
part, il est demandé au prêtre de ne pas se marier après l’ordination. L’interdit le plus ancien est seul à pouvoir se réclamer
d’un fondement scripturaire11. Sa pratique est attestée dès le
iiie siècle. Le second date du ive siècle.
La troisième étape traite de la continence cléricale établie en deux temps. Au tournant des ive et ve siècles, le prêtre
marié ne doit pas avoir de relations conjugales mais peut
habiter avec sa femme. En revanche, à la fin du xie, il est
demandé au prêtre et à sa femme de ne plus cohabiter. Aucun
texte ne cherche à donner un fondement scripturaire à cette
règle dont il est bien difficile de vérifier si elle a été ou non
appliquée.
La quatrième étape concerne l’établissement du célibat proprement dit. Le concile de Latran II (1139) décrète que
les prêtres qui prennent femme seront privés de leur office et
de leur bénéfice12 mais sans dire que ce mariage est nul. Cette
discipline demeura inchangée jusqu’à ce que le Code de droit
canonique (1917) déclare que le mariage est un empêchement
aux ordres dont le pape peut cependant dispenser13, ce qui fut
fait parfois aux xixe et xxe siècles et, récemment encore, pour
les prêtres anglicans devenus catholiques.
La pratique des Églises de rite oriental unies à Rome. – Sans
reprendre toute la tradition orientale, précisons que sa pratique a été définitivement codifiée par le concile Quinisexte
ou in Trullo de 692. L’évêque est astreint à la continence absolue : s’il est marié, il doit à partir de son ordination envoyer sa
femme dans un monastère éloigné et subvenir à ses besoins.
Les prêtres et les diacres ne peuvent en principe se marier
après leur ordination mais, s’ils étaient mariés auparavant,
ils peuvent vivre normalement avec leurs épouses14.
Les prêtres catholiques de rite oriental suivent généralement cette discipline qui a toujours été reconnue comme
646
10. M. Dortel-Claudot,
État de vie et rôle du prêtre,
Paris, Centurion, 1971,
p. 43-90.
11. I Tim 3,3 et Tite 1,6.
12. G. Alberigo, op. cit.
T. 2, p. 435.
13. CJC 1917, c. 987, 2.
14. C.-J. Hefele, Histoire
des conciles. T. 3/1, Paris,
Letouzé, 1909, p. 565.
15. Code des canons des
Églises orientales, Rome,
1997, p. 481 et 489.
légitime par le Siège romain. Aujourd’hui, le nouveau Code,
notant que diverses Églises orientales confèrent les ordres
sacrés à des hommes mariés, demande que soit « observé le
droit particulier de leur Église » et précise que, si le candidat
est marié, il doit présenter avant son ordination « l’attestation de son mariage et le consentement de l’épouse donné
par écrit15 ».
Au terme de cette présentation, on constate qu’une
distinction existe entre le célibat des religieux prêtres et celui
des prêtres séculiers, et que des hommes mariés peuvent ou
non être ordonnés selon qu’ils sont orientaux ou latins.
Après ces deux enquêtes historiques qui nous ont dessiné un arrière-pays, venons-en aux débats contemporains
sur les prêtres, et plus particulièrement dans l’Église latine.
Des débats tendus dans l’Église latine
Au cours des trois derniers siècles, la figure des prêtres diocésains a beaucoup changé et leur rapport avec les religieux
prêtres a souvent été difficile.
Heurs et malheurs du clergé. – À la fin du xviiie siècle, à
l’époque des Lumières, alors que les religieux jugés inutiles
sont supprimés, certains prêtres, pour sauver leur identité,
s’enferment dans le rigorisme, tandis que d’autres, donnant à
la foi les limites de la raison, se lancent dans l’éradication des
superstitions ou les grands combats de l’époque. L’abbé
Grégoire, futur évêque constitutionnel, est de ce moment. Au
siècle suivant, le concordat de 1801 transforme les évêques et
les curés en fonctionnaires et ignore les religieux. Dans cette
structure où l’éthique l’emporte sur le religieux et où la loi
civile leur interdit de se marier, les prêtres renouent avec les
règlements sulpiciens, lazaristes ou eudistes. Au xixe siècle,
le clergé diocésain, dont le curé de campagne devient la figure
centrale, connaît une rapide expansion. Les religieux, après
s’être insérés dans la pastorale paroissiale, redécouvrent leur
identité missionnaire. De nombreuses congrégations sont
alors fondées.
Au début du xxe siècle, le clergé appauvri matériellement mais libéré spirituellement par la Séparation de l’Église
et de l’État tend à se diversifier. Certains, pour subvenir à
leurs besoins, recherchent un travail manuel, d’autres se
lancent dans la recherche intellectuelle au risque du moder-
647
nisme, d’autres enfin abordent la politique ou la question
sociale. Mais le souci des évêques est ailleurs, ils redoutent la
chute des vocations. Malgré deux remontées au lendemain
des guerres mondiales, le nombre des prêtres ne cesse de s’affaisser. Quoi qu’il en soit, dans les années 30 comme dans les
années 50, on assiste à un renouveau apostolique. Au cours
des premières, prêtres diocésains et religieux prêtres travaillent de conserve dans l’action catholique. Durant les
secondes, l’épiscopat, n’ayant pu sauver les prêtres ouvriers,
replaça sous son autorité les mouvements de jeunes et
d’adultes et demanda aux religieux de se retirer16. Deux ans
après, un concile était convoqué.
Vatican II et les décennies qui suivirent. – Bien que la question des prêtres et des religieux n’ait pas été au centre des
débats conciliaires, elle fut abordée dans la Constitution sur
l’Église et dans divers décrets : La charge pastorale des évêques
dans l’Église ; Le ministère et la vie des prêtres et La rénovation
et l’adaptation de la vie religieuse. Ces textes importants ont
contribué au renouveau ecclésial mais, cinquante ans après,
on peut regretter que n’y soient pas plus clairement distingués les prêtres diocésains et les religieux prêtres17.
En 1995, la 34e Congrégation générale des jésuites le
regrette nettement : « Le thème du sacerdoce ministériel des
religieux n’a pas été l’objet d’une attention spécifique ni dans
les documents de Vatican II, ni dans les textes ultérieurs du
Magistère sur le sacerdoce. Insensiblement, une certaine tendance se fait jour d’identifier le sacerdoce ministériel du religieux au sacerdoce diocésain. » Et le texte précise : « Les
nombreuses exhortations dans lesquelles la hiérarchie
demande que les religieux collaborent plus étroitement avec
les structures diocésaines en sont une preuve éclatante.18 »
Certes, alors que le nombre des prêtres ne cesse de baisser, ces appels sont à considérer par les religieux qui doivent
veiller cependant à ne perdre ni leur identité ni leurs repères.
Les décisions prises dans l’urgence risquent de leur faire
oublier qu’ils sont appelés à être d’Église dans la communauté
à laquelle ils appartiennent par profession et selon les visées
propres de leur institut.
Une autre question est devenue cruciale à la même
époque. L’évolution de la sexualité dans la société et le nombre
important de prêtres et de religieux partis pour se marier en
ont conduit beaucoup, dans et hors de l’Église, à critiquer le
célibat. Mais revenons en arrière. Lors du concile qui a admis
648
16. Selon René Rémond
cette attitude fut symbolique. Elle eut lieu quand
l’épiscopat cherchait à s’organiser et à reprendre en
main la pastorale nationale. En ces années 1950,
les relations avec Rome
étaient si difficiles que des
politiques français de
centre droit envisagèrent
un concordat pour protéger l’Église. Ceci fragilisa
les religieux, marginalisés
en France et soupçonnés à
Rome pour leurs idées et
leurs actions.
17. J . W. O ’ M a l l e y,
« Priesthood, Ministry and
Religious life. Some historical and historiographical
considerat ions »,
Theological Studies 49
(1988), p. 223-257.
18. Op. cit. p. 106-107. Cf.
Mutuæ relationes, rééditées par l’épiscopat en
1999.
19. Sacerdotalis cælibatus,
D. C . 6 4 (19 6 7 ) ,
c 1249-1280.
20. A. A. S, 62 (1970),
988.
l’ordination au diaconat d’hommes mariés, la loi du célibat
sacerdotal fut rappelée pour les latins sans que cela ait été
débattu. Paul VI avait en effet mis en garde l’assemblée contre
une telle discussion en rappelant que le célibat n’est pas exigé
par la nature de l’ordination, que son origine est une loi ecclésiastique et que cette discipline n’est pas fondée sur des motifs
de pureté rituelle ou sur un mépris de la sexualité, mais sur des
raisons spirituelles.
En juin 1967, le pape donna une encyclique où, après
avoir exposé les arguments pour un changement de discipline,
il réaffirmait la loi du célibat et exposait ses raisons théologiques19. Ce texte n’ayant pas clos les débats, dans une lettre au
Cardinal Villot il se demande alors si des hommes mariés ne
pourraient pas être ordonnés dans les endroits où les prêtres
manquent cruellement20. Ceci fut débattu lors du Synode de
1971 mais les évêques, à une courte majorité, refusèrent la proposition pontificale. En confirmant les textes synodaux,
Paul VI précisa que, « dans l’Église latine, avec l’aide de Dieu,
la présente discipline du célibat des prêtres continuera à être
observée dans sa totalité ». Dans les années suivantes, Jean
Paul II et Benoît XVI s’en sont tenus à la position de leur prédécesseur malgré les critiques persistantes qu’ont accentuées
les tristes scandales de la pédophilie et du silence qui les
entoura trop longtemps.
***
21. P. Ricœur, Du texte à
l’action. Essai d’herméneutique II, Paris, Seuil, 1988,
p. 379-392.
22. Selon le sens étymologique de ce mot : sans lieu.
23. Constitution Lumen
gentium, n. 4.
En guise de conclusion, faisons deux remarques :
l’une ecclésiologique et l’autre davantage anthropologique.
Considérons une « Église locale », c’est-à-dire celle qui se
vit sur un territoire et qui est animée par un évêque, et
demandons-nous, à la suite de Paul Ricœur21, si celle-ci,
comme tout corps social, ne serait pas traversée par deux
logiques : l’une d’intégration novatrice et une autre d’ouverture utopique22. Dans un autre contexte, mais qui n’est
pas sans lien avec notre propos, Vatican II a rappelé que
loin de n’être que hiérarchique, l’Église était aussi charismatique23. Pour éviter toutes les ambiguïtés et pour ne pas
retomber dans les faux débats de jadis où l’on opposait le
« charisme » à l’ « institution », le « prophétisme » au
« conservatisme », nous ne parlerons ici que de logiques
pastorale et de logique associative.
La première vise le rassemblement. Elle est du ressort
immédiat des évêques qui doivent prévoir des « lieux » –
649
Philippe Lécrivain s.j.
650
24. A. Rouet, Un nouveau
visage d’Église. L’expérience
des communautés locales à
Poitiers. Paris, Bayard,
2005.
25. Ph. Lécrivain, « Les
catholiques et la famille »,
Études, octobre 1980,
p. 273-288.
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rev
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paroisses ou communautés – pour les chrétiens et ceux qui
souhaitent le devenir. Certains pensent cette organisation à
partir des prêtres dont ils disposent. D’autres privilégient les
communautés existantes, en les structurant autour de responsables laïcs et en s’engageant à envoyer un prêtre pour les
accompagner24. En revanche, relèvent de la logique associative
les communautés de baptisés soucieux de vivre et de dire
l’Évangile en des « hors-lieux », c’est-à-dire là où il n’est ni
vécu ni dit. Ces communautés de moines, de religieux, de
prêtres, de frères et de sœurs, en reconnaissant l’évêque du
diocèse comme leur prélat, n’attendent pas de lui qu’il définisse leur mission mais souhaitent qu’il confirme leur
manière de vivre en reconnaissant qu’elle est évangélique et
ecclésiale. Si l’existence de ces deux logiques ne peut conduire
en aucune façon à une opposition car les « lieux » et les « hors
lieux » sont appelés à devenir l’Église, elle engendre cependant deux manières d’être prêtre, celle des prêtres séculiers
et celle des religieux prêtres.
Notre seconde remarque, anthropologique, sera plus
brève. Elle se fonde sur la distinction que nous venons de faire
et qui, en ces temps de crise et de pénurie, est difficile à respecter – nous l’avons déjà dit. Elle est cependant essentielle pour
comprendre que le célibat n’est pas vécu de la même manière
selon que l’on est prêtre séculier ou religieux prêtre. Certes les
papes récents ont rappelé, et d’une manière heureuse, que le
fondement du célibat ecclésiastique est avant tout théologique
et spirituel ; il n’en demeure pas moins que le célibat vécu par
un prêtre séculier est le fruit d’une discipline qu’aucun vœu ne
fonde, alors que le célibat d’un religieux prêtre est la conséquence d’un choix de vie libre et responsable fait au sein d’une
communauté où sont pratiquées d’une manière singulière la
pauvreté, l’obéissance et la chasteté.
Au terme de ces enquêtes et de ces réflexions, qu’il
nous soit permis de rappeler qu’à la fin des années 1970, au
Synode sur la famille, les Pères souhaitèrent qu’on repose la
question du mariage après divorce à la lumière de la pratique
des Églises d’Orient25, et de nous demander si une telle proposition ne serait pas possible analogiquement à propos de
l’ordination d’hommes mariés. Les orientaux ne distinguentils pas les prêtres des religieux et n’ordonnent-ils pas des
célibataires et des hommes mariés ?
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