641
Études – 14, rue d’Assas – 75006 Paris – Mai 2012 – n° 4165
Religions et Spiritualités
PhiliPPe lécrivain
Jésuite, professeur de tologie au Centre Sèvres (Facultés jésuites
de Paris).
P « Église catholique », nous entendons ici lensemble
constitué par l’Église de rite latin (romain) et les Églises
de rite oriental en communion avec lévêque de Rome.
C’est dans ce cadre assez large que nous allons mener deux
enquêtes. La première nous conduira à examiner comment
sont nées progressivement deux manières dêtre prêtre dans
l’Église latine ; pour la seconde, dont la visée sera dexaminer
la question du célibat et du mariage des prêtres, nous consi-
dèrerons lensemble de l’«Église catholique ». Après avoir
brossé cet arrière-pays, nous présenterons quelques-uns des
débats contemporains dans lÉglise latine. Enfin, pour
conclure, nous ferons deux remarques, sans oublier que ces
pages sont dun historien et que leur but nest pas de propo-
ser une nouvelle discipline mais dintroduire du jeu dans les
échanges en cours.
Deux moments charnières
de l’Église latine
Nous nous limiterons, dans cette première enquête, à cette
institution occidentale car elle est la seule où soient nés, après
le e siècle, une multitude dordres et de congrégations à
Deux manières dêtre prêtre
dans l’Église catholique
642
côté des moines et du clergé séculier. Dans ce contexte, nous
étudierons deux moments de « commencement », celui de la
réforme grégorienne au Moyen Âge et celui des Réformes à
lépoque moderne.
Le tournant des e-e siècles. – Si depuis le e siècle les
bénédictins de Cluny dominent en Occident, à la n du
e siècle des chrétiens se font ermites, dautres rejoignent la
Chartreuse et dautres encore entrent à Cîteaux. La chré-
tienté se transforme alors, de rurale elle devient urbaine et les
migrations se multiplient. Mais l’Église aussi change et son
centralisme clérical accentue la séparation des latins et des
orientaux. Parmi les instituts religieux fondés alors, les cha-
noines réguliers qui veulent prêcher lÉvangile et assister les
pauvres sont les plus nombreux. Lun deux, Norbert, s’en
remet au pape qui lui donne le pouvoir de prêcher partout,
mais bientôt une communauté est fondée à Prémontré selon
la règle dAugustin et des statuts inspirés de Cîteaux où il est
précisé que les paroisses des chanoines sont des annexes du
monastère.
Une manière dêtre prêtre est née. Moins d’un siècle
plus tard, elle se développe avec les franciscains et les domi-
nicains qui désirent annoncer pauvrement le Christ pauvre.
Dominique et François ont compris la nécessité de la parole
dans lévangélisation, mais le premier souhaite que ses frères
fassent des études sans ignorer que la science seule ne suscite
pas ladhésion. Par ailleurs, comme François, Dominique
refuse toute propriété mais il ne fait pas de la pauvreté un
absolu évangélique. Bientôt les missions conées par la
papauté conduiront les mendiants en Chine, en Scandinavie
et au Moyen-Orient. Mais venons-en au clergé paroissial.
Un double mouvement se produit. D’une part la démo-
graphie conduit à construire ou à déplacer des églises. D’autre
part celles-ci et leurs biens sont restitués par les laïcs aux
évêques, aux moines et aux chanoines, sans que soit remis en
cause le système bénécial1. Si ces nouveaux patrons
demandent à lévêque du lieu de donner la cura animarum à
leur candidat, ils gardent la propriété des biens paroissiaux et
se réservent la dîme. Au desservant revient la jouissance de la
dot du ef presbytéral et la possibilité de recevoir des orandes
en nature ou en argent à l’occasion des actes du culte.
Le prêtre a pour charge daider ses paroissiens à entrer
dans la vie chrétienne par le baptême et à en sortir avec le via-
tique, lextrême-onction et la sépulture. À léglise, il veille sur
1. Ce sysme dissocie l’or-
dination du service d’une
communauté.
643
les livres, les vêtements et les vases liturgiques, sur la cire, le
pain et le vin apportés par les dèles. Il assure la messe le
dimanche et les jours de fête et entend les confessions. Il
accueille les ancés, assiste à leur mariage et bénit les rele-
vailles. Il visite les malades et reçoit pèlerins et voyageurs.
Selon ses capacités, il explique le Credo, le Pater et les pres-
criptions synodales. Il veille enn sur la conduite de ses
paroissiens. La manière dêtre prêtre séculier se normalise au
e siècle quand le concile de Latran III (1179) freine la pro-
lifération des ordinations que rien ne légitime.
Au e siècle, une autre étape est franchie. Le concile
de Latran IV (1215), en faisant de la paroisse le cadre de la vie
religieuse, renforce le rôle du prêtre. Il précise que tout chré-
tien doit se confesser à son propre curé et communier de ses
mains au moins à Pâques2, ce qui est une façon dexiger une
appartenance réelle à l’Église. Si ces prescriptions ne sont pas
nouvelles, elles s’inscrivent dans leort fait alors pour rendre
la démarche pénitentielle plus responsable et donner un sens
plus chrétien à leucharistie sans quen soit requise une récep-
tion fréquente. Selon Innocent III qui a convoqué le concile,
le renouveau ne peut venir que des curés à qui il donne pour
modèle le Bon Pasteur.
Sans renoncer à la formation des prêtres, la papauté
choisit de s’appuyer sur les ordres mendiants, au grand dam
des évêques à qui Latran IV a rappelé leur charge de docteurs
et a demandé de s’entourer de prédicateurs.
Le tournant des ee siècles. – Si le temps précédent
est marqué par lestrengement des chrétientés dOrient et
d’Occident, ce nouveau moment est celui des Réformes et de
lexpansion ultramarine du catholicisme.
Souvent avant Luther et Calvin, les instituts monas-
tiques, canoniaux et mendiants se réforment3. Ce retour à
lobservance prend le double visage de la solitude (les récol-
lets) et de la pauvreté (les déchaussés). Les religieux prêtres,
redécouvrant quils ont été fondés pour prêcher l’Évangile en
pauvreté, n’hésitent pas à partir en Asie et en Amérique. Une
autre étape est franchie avec les capucins qui, approuvés par
Paul III en 1536, se répandent dans le monde entier sous le
signe de Paul et de François et deviennent un pôle spirituel et
missionnaire de la réforme tridentine.
La Compagnie de Jésus, approuvée en 1540 par le
même pape, en est un autre pôle. Avec cet ordre de religieux
prêtres et frères, le caractère sacerdotal prend un sens nou-
2. G. Alberigo, Les conciles
œcuméniques, les décrets.
T. 2, Paris, Cerf, 1994,
p.525.
3. J.-M. Le Gall, Les moines
au temps des Réformes,
1480-1560, Champ Vallon,
Paris, 2001.
644
veau. Sans être en soi un objectif, la manière dêtre prêtre des
jésuites est un aspect central de leur identité. Enracinée dans
la Contemplation pour obtenir lamour qui conclut les
Exercices spirituels, elle est un don de Dieu en vue dune mis-
sion universelle. En se mettant au service du pape quant aux
missions, les jésuites disent leur disponibilité pour aller aux
frontières de l’Église et du monde, espérant y « aider les
âmes » pour une gloire de Dieu plus grande4.
Pierre de Bérulle forme avec ses disciples français –
J.-J. Olier, J. Eudes, V. de Paul – le troisième pôle de la réforme
tridentine. À la suite de Bernard, François, Ignace et érèse,
le futur cardinal donne à sa spiritualité un tour christocen-
trique et découvre que le prêtre doit être conforme à limage
de Jésus-Christ, le médiateur entre Dieu et les hommes et le
« fondateur de lordre sacerdotal ». Commentant la Bulle de
Paul IV qui approuvait l’Oratoire en 1613, Condren, qui suc-
céda à Bérulle, précise : « [Cette] congrégation de prêtres qui,
non seulement font profession de tendre à la perfection sacer-
dotale, mais qui se séparent de tout ce qui peut les en détour-
ner pour être, à légard des autres ecclésiastiques ce que
les religieux sont à légard des laïques. Vivant en Jésus-Christ
et selon lui, nous serons véritablement ses religieux. Et sans
être liés par aucun vœu solennel ou particulier, nous vivrons
religieusement5. » Venons-en donc au clergé paroissial.
À laube du e siècle, alors que certains religieux se
réforment, le clergé soure des limites du système bénécial et
des lacunes de sa formation. Luther se fait critique : « L’Église
du Christ ignore le sacrement de lordre ; il a été inventé par
l’Église du pape6 » et propose sa doctrine du sacerdoce univer-
sel : « Par le baptême, nous recevons tous le sacerdoce7. » Après
1540, quand le protestantisme s’est répandu, on mesura la dif-
férence entre le prêtre marqué dun caractère indélébile qui en
fait un sacricateur et le pasteur désigné par le peuple chrétien
pour prêcher la parole et administrer les sacrements. Le
Collège cardinalice, épuré par Paul III, rédige un texte sur la
rénovation du clergé repris durant les sessions du concile de
Trente de 1562 et 1563. Se détournant des conceptions protes-
tantes, on désire renouveler le clergé par lexaltation de sa mis-
sion, la revalorisation de ses fonctions, le renforcement de la
discipline et une meilleure formation. « Rien, écrivent les
Pères, n’instruit davantage et ne porte plus continuellement les
hommes à la piété et aux saints exercices que la vie et lexemple
de ceux qui se sont consacrés au saint ministère.8 »
4. Décrets de la 34e
Congrégation générale de
la Compagnie de Jésus,
Rome, 1995. p. 105-127.
5. Cité par R. Deville,
Lécole française de spiri-
tualité, Paris, DDB, 2008,
p. 76.
6. «De la captivité babylo-
nienne de lÉglise »,
Œuvres, Labor et fides,
1966, T. 2, p. 244.
7. « À la noblesse de la
nation allemande sur
lamendement de l’État
chrétien», op. cit. p. 84.
8. G. Alberigo, op. cit. T. 2,
p. 1499.
645
Et ils ajoutent que le prêtre, tirant sa valeur de sa fonction, doit
donner aux dèles lexemple de la sainteté.
Les décisions tridentines sont appliquées par François
de la Rochefoucauld, lauteur du De la perfection de létat ecclé-
siastique, et par François de Sales, mais plus encore par les
tenants de lécole bérullienne. Avec ténacité, le fondateur de
l’Oratoire de Jésus prêche aux prêtres quil y a « une plus
grande exigence de sainteté dans leur état de prêtrise que dans
la profession religieuse ». Un nouveau type de prêtre est né, qui
se démarque de la manière des religieux prêtres : « Chaque
ordre religieux, écrit le sulpicien Tronson, représente une vertu
de Jésus-Christ. Mais il ny en a point qui le représente tout
entier : c’est le privilège de létat ecclésiastique. » Ce modèle
l’emporta.
Les pratiques diverses
du célibat et du mariage
Deux manières dêtre prêtre se sont donc dessinées au cours
de lhistoire : le prêtre diocésain et le religieux prêtre. Mais
dans l’«Église catholique », à côté des latins, les orientaux
considèrent diéremment le célibat ecclésiastique.
Le célibat des religieux prêtres. – Les religieux, selon un
choix personnel rééchi, s’engagent pour toujours à vivre
l’Évangile dans une communauté à la manière dun fonda-
teur et c’est à la lumière de cette démarche, le vœu de profes-
sion, que se comprennent les vœux de pauvreté, de chasteté
et dobéissance9. C’est donc sur un projet mystique, évangé-
lique et ecclésial que repose cette manière de vivre appelée à
s’enraciner dans les dimensions anthropologiques qui
marquent toute vie : la propriété, la sexualité et la responsabi-
lité. Cette articulation, présente dès le monachisme, fut for-
malisée au e siècle.
Vers la n e, la mystique s’atténuant, on privilégia la
portée éthique des vœux de religion en oubliant qu’ils sont
lexpression dun don total et unique fait à Dieu. Au cours du
e, les religieux s’eorcèrent de retrouver cette dimension
perdue et redécouvrirent que la chasteté est un don de Dieu
qui les appelle à devenir les disciples de son amour universel et
pour cela à renoncer au désir dune relation exclusive. Ainsi,
pour les religieux, le célibat nest pas lié à lordination sacerdo-
tale mais fait partie intégrante dune manière de vivre choisie.
9. Ph. Lécrivain, Une
manière de vivre. Les reli-
gieux aujourd’hui,
Bruxelles, Lessius, 2009,
p. 39-73.
1 / 10 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !