Baptiste, je réalise qu’il n’est pas nécessaire d’être dans un système pour le faire évoluer. En
effet, le fils de Zacharie a vécu et prêché dans le désert. Autrement dit, il n’appartenait à
aucune synagogue comme les pharisiens ; il ne faisait pas partie du système ; il était en dehors
du système, ce qui lui donnait la liberté de “parler cru et dru” (Jean-Luc Melenchon), de
traiter les pharisiens et prêtres gravitant autour de la synagogue d'engeance de vipères, de
tancer ceux qui brutalisaient la population au lieu de la protéger. L'Église, en tant
qu'institution, m'apparaît aujourd'hui comme un système qui lutte plus pour sa survie que pour
témoigner de la vérité et de la justice, un système prêt à frustrer, à marginaliser, à persécuter
et à tuer à petit feu quiconque désire marcher dans les traces du Baptiste à qui Jésus rendit
pourtant un vibrant hommage. Jean-Baptiste est mon saint patron et, comme lui, j'ai choisi de
ne plus vivre dans le système. Je demeure, en revanche, dans l'Eglise comme corps du Christ
et j'entends y donner le meilleur de moi-même comme laïc en continuant à écrire sur les
questions liées à la foi et à la justice sociale. Comme prêtre, je pouvais, par mes positions sur
notre pays, être accusé d'engager tout le clergé quoique j’aie toujours parlé en mon nom
propre. Laïc, je ne gênerai plus le clergé ivoirien. C'est cela l'avantage d'être en dehors du
système. Vous qui restez dans le système, je souhaite que vous essayiez de vous battre pour
faire bouger les lignes car c'est ensemble, clercs et laïcs, que nous devons amener notre Église
à devenir “un lieu d'humanité, de vérité, de liberté, de justice et de paix afin que tout homme
puisse y trouver des raisons d’espérer encore” (comme le dit joliment la prière eucharistique
pour grands rassemblements). À toutes fins utiles, Jésus n'était pas dans le système et c’est
parce qu’il était anti-système et anti-clérical qu'il pouvait fustiger librement scribes, pharisiens
et grands prêtres, qu’il pouvait les traiter de sépulcres blanchis ou d’hypocrites chargeant les
autres de lourds fardeaux qu’eux-mêmes ne remuent pas d’un seul doigt (Lc 11, 46). Enfin,
j'ose espérer que mon départ amènera les évêques qui veulent bien se convertir à changer de
mentalité et d'attitude, à comprendre enfin qu'être évêque ne veut pas dire qu’on est plus saint
et plus intelligent que les laïcs et les prêtres mais qu'on a été choisi par pure grâce pour être ce
que Jésus fut au milieu des apôtres, c’est-à-dire serviteur, ami dépouillé et miséricordieux,
homme ouvert à tous.
Très chers amis, tant de choses nous lient et c’est au nom de ces liens, au nom des moments
de joie et de peine que nous eûmes à partager, que j’ai tenu à vous informer en premier de ma
décision de ne plus servir le Seigneur comme prêtre. Soyez assurés que je pars sans amertume
et sans regrets, que, si vous le désirez, je resterai votre frère et ami. Sachez surtout que la
porte de ma maison vous sera ouverte. Il n’est pas impossible que ma passion pour la justice,
la liberté et le service des défavorisés me conduise à faire de la politique dans notre pays. Non
pas la politique perçue comme un moyen d’enrichissement personnel par certaines personnes
prêtes à tuer et à se prostituer, promptes à aliéner leur liberté et leur dignité, mais la politique
comme le service humble et désintéressé de tous. C’est cette politique que menèrent des gens
comme Baudoin (roi belge), le Mwalimu tanzanien Julius Nyerere, le Botswanais Quett
Ketumile Masire ou le Sud-Africain Nelson Mandela. Ce dernier a, dans son ouvrage “Un
long chemin vers la liberté”, cette phrase que j’aime beaucoup : “Diriger un pays, la finalité
ou le but ce n'est pas de se faire plein d'argent pour sa vie et son clan, mais c'est de changer la
vie du peuple et faire avancer les choses dans le pays afin que tout le monde soit content.”
Pour moi, la politique, c’est d’abord cela: changer la vie du peuple, permettre à tous d’avancer
et de vivre mieux. C’est cette politique que je voudrais essayer de faire désormais,
ouvertement et conformément au Code de droit canonique de 1983 de l’Église catholique qui
interdit aux clercs de militer dans des formations politiques ou d’assumer des charges
publiques (canon 285, nos 2, 3 et 4). Je voudrais compter sur vous pour me rappeler
constamment que faire la politique, c’est s’engager à se mettre au service de tous. Parce que
l’Église catholique n’est la propriété privée de personne, je revendique le droit de donner mon