Côte d'Ivoire/ Eglise catholique : Depuis le
Canada, le père Jean Claude Djéréké
dépose la soutane
De graves révélations sur le tribalisme et l'affairisme des hommes de Dieu
Des prêtres et des évêques ivoiriens dénoncés
ParLinfodrome.com | Publié le 11/8/2015 à 0 :20 dans Société & Culture | source : L'inter
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L’AUTEUR
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Dans un courrier confidentiel qu'il a adressé à ses amis du
sacerdoce, et dont copie nous est parvenue, le prêtre
catholique ivoirien, Jean-Claude Djéréké, qui réside depuis
quelques années au Canada, a décidé de déposer la soutane.
Il en donne les raisons et profite pour dénoncer certains
maux de l'église catholique en Côte d'Ivoire. Ci-dessous, en
intégralité, sa lettre.
Lettre de démission
À Mgr Boniface ZIRI (évêque d’Abengourou) et au Père Julien N’guessan SESS, sj,
Très chers amis,
J’espère que vous avez bien commencé la semaine sainte. Le contenu de cette lettre pourrait
vous causer peine et souffrance mais, en raison de la franchise et de l’honnêteté qui ont
toujours existé entre nous trois, je me dois de porter à votre connaissance la douloureuse et
grave décision que j’ai prise il y a quelques jours. En effet, après avoir longuement médité et
réfléchi, je suis arrivé à la conclusion que je dois abandonner la prêtrise et servir désormais le
Christ comme laïc. Je ne dis pas comme “simple laïc”car cette expression peut laisser penser,
tout comme la formule “réduction à l’état laïc”, que le laïc est inférieur au clerc, ce qui est
faux car pour le Concile Vatican II (1962-65), clercs et laïcs forment un même Peuple, le
Peuple de Dieu, quoique n’étant pas appelés aux mêmes tâches (Lumen Gentium, nn. 9 et 10).
Benoît XVI en est si convaincu qu’il affirme à juste titre que “les laïcs doivent être considérés
comme des personnes réellement co-responsables de la mission de l’Église” (cf. son message
du 23 août 2012 à Mgr Domenico Sigalini, assistant général du Forum international d’action
catholique). Je ne quitte donc pas l’Église catholique qui m’a fait, qui m’a formé,
intellectuellement et spirituellement, qui m’a permis de découvrir et d’estimer la vie, le travail
et le combat d’hommes et de femmes comme François d’Assise, Dominique, Ignace de
Loyola, Pedro Arrupe, Engelbert Mveng, Meinrad Hebga, Jean-Marc Ela, Fabien Eboussi, les
théologiens de la libération d’Amérique latine, Joseph Malula, Helder Camara, Oscar
Romero, Pedro Casaldàliga, Carlo Maria Martini, Christian Tumi, Isidore de Souza, Bernard
Yago, Paul Dacoury-Tabley, Barthélemy Djabla, Maurice Konan Kouassi, l’abbé Pierre, Mère
Teresa, Sr Emmanuelle, Timothy Radcliffe, Vincent Cosmao, François Varillon, Joseph
Moingt, Jean Pliya… Ce que je suis devenu, c’est à eux que je le dois en partie. Mais, cette
Église, qui m’a tant apporté, fut aussi l’endroit fut mise à rude épreuve ma foi au Christ-
frère des hommes et femmes de toutes races, langues et nations, proche des faibles et
opprimés, amoureux et témoin de la vérité. Je ne reviendrai pas ici sur le tribalisme stupide et
abject dont je fus victime de la part d’Isaac Aboudou et d’autres prêtres de Grand-Bassam en
2010 quand Mgr Dacoury voulut me nommer curé de sainte-Anne de Port-Bouët (juste pour
un an). Je n’insisterai pas sur le fait que les portes de certains presbytères et paroisses
d’Abidjan me furent fermées entre 2009 et 2012, non parce que j’enseignais des hérésies,
mais parce que l’archevêque et certains prêtres d’Abidjan estimaient que je n’étais pas de leur
diocese ou ne toléraient pas que je voie les choses différemment.
Le silence de l'Eglise catholique sur des crimes
Je passerai sur le fait que, bien qu’ayant fait ma thèse de doctorat unique sur les évêques
catholiques et les événements politiques en Côte d’Ivoire entre 1960 et 2005, je ne fus jamais
invité à présenter ce travail de recherche ni par les évêques ni par aucun grand séminaire de
Côte d’Ivoire. Je me contenterai ici d’évoquer l’attaque de notre pays par une rébellion
soutenue par la France (19 septembre 2002), la destruction de nos avions militaires en
novembre 2004 sur ordre de Jacques Chirac, l’embargo sur les médicaments et la fermeture
des banques étrangères, puis le bombardement des symboles de notre souveraineté (camps
militaires, RTI, résidence du chef de l’État, etc.) par l’armée française en avril 2011. Pour
moi, le silence de la hiérarchie catholique (le Vatican et la conférence épiscopale de Côte
d’Ivoire) sur ces crimes contre l’humanité est aussi inacceptable que la légitimation par
l’Église catholique de la traite négrière et de l’esclavage par la popularisation de la légende
selon laquelle les Africains descendent de Cham, fils maudit de Noé et condamné à être
l’esclave de ses frères ou l’autorisation accordée le 8 janvier 1454 par le pape Nicolas V,
206ème successeur de Pierre, au roi du Portugal Alphonse V pour la réduction en esclavage
des Nègres de Guinée.
Alors que la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), Human Rights Watch,
Amnesty international et d’autres organisations de défense des droits de l’homme s’accordent
à dire que les deux camps ont commis des crimes et qu’il conviendrait d’arrêter, de juger et de
condamner tous les coupables, c’est un seul camp, celui de Laurent Gbagbo, qui est
sanctionné depuis 2011. Cette justice sélective et partiale, l’Église catholique (le Vatican, la
Nonciature apostolique et la Conférence épiscopale ivoirienne) ne l’a jamais dénoncée
publiquement. Pourquoi ? Parce qu’elle voudrait plaire à Alassane Ouattara et à la France qui
les soutiendraient financièrement ? Parce qu’elle ne souhaiterait pas voir ses prêtres et
évêques emprisonnés ou assassinés par les dozos et miliciens d’Ouattara ? Pourchassés,
traqués et sommés par le Sanhédrin de ne plus parler de Jésus, les apôtres répondirent
pourtant : “Nous ne pouvons pas ne pas parler (non possumus non loqui); nous préférons obéir
à Dieu plutôt qu’aux hommes” (Ac 5, 29). Pourquoi ce qui fut possible hier ne le serait-il pas
aujourd’hui ? Continuer à être prêtre dans une Église qui, en plus de n’avoir jamais protesté
contre les nombreuses atteintes aux droits de l’homme dont le régime Ouattara s’est rendu
coupable depuis avril 2011, se fit représenter par un évêque (Mgr George Antonisamy) à
l’investiture de Alassane Ouattara, signifierait être complice de la Françafrique, système
mafieux et maléfique qui opprime, exploite et avilit les Africains depuis 5 décennies. Au lieu
d’obéir à une institution qui est incapable de vivre les valeurs qu’elle prêche (la justice, la
vérité, la solidarité avec les opprimés, la defense des petits et des faibles), je préfère, “à cause
du Christ et par fidélité à sa leçon de vie, être présent là où l’humanité connaît la souffrance et
me faire l’écho du cri silencieux des innocents persécutés, ou des peuples dont des
gouvernants hypothèquent le présent et l’avenir au nom d’intérêts personnels… car seul le
refus de la déshumanisation de l’homme, et de la compromission par crainte de l’épreuve ou
du martyre servira la cause de l’Évangile de rité” (Benoît XVI, Africae munus, n. 30). J’ai
accepté l’ordination presbytérale le 17 août 1997 parce que je croyais que “l’un des premiers
services que le prêtre rend au monde, c’est de lui dire la rité, qu’il doit rester dans la grande
ligne prophétique, que, comme le Christ, le prêtre apporte à l’humanité un bienfait sans égal :
celui de l’inquiéter” (cardinal Emmanuel Suhard, ancien archevêque de Paris, Lettre
pastorale de 1949” reprise dans l’ouvrage Le prêtre dans la Cité) mais, progressivement, je
me suis rendu compte que, pour plusieurs prêtres et évêques ivoiriens, le sacerdoce ou
l’épiscopat n’est qu’une promotion sociale, un moyen pour acquérir pouvoir, argent et
honneurs et que, pour “faire carrière” dans l’Église catholique, il est normal d’avaler certaines
couleuvres (par exemple, ne jamais dire ce que l’on pense, ne pas lever le petit doigt quand la
France fait ce que bon lui semble en Afrique francophone ou quand des patriotes africains
sont injustement arrêtés, incarcérés ou tués), faire la courbette, renoncer à sa dignité et à sa
liberté, etc.
Je ne veux me soumettre qu'à Dieu seul
Ma foi et ma formation intellectuelle m’interdisent cela ; elles m’interdisent de me taire
devant l’injustice, le mensonge, l’oppression et la dictature. C’est pourquoi j’ai décidé de
partir. Je ne veux plus faire partie d’un corps où celui qui se soumet aveuglément aux
autorités ecclésiastiques, même lorsque celles-ci sont dans l’erreur, est perçu comme un bon
prêtre. Je veux, moi, me soumettre sormais à Dieu et à Dieu seul. Car, quand viendra le jour
de ma rencontre avec Lui, Il ne me demandera pas si j’étais prêtre ou laïc, marié ou
célibataire, catholique ou non, chrétien ou non. Ce jour-là, Il me posera une seule question :
“Mon fils, qu’as-tu fait lorsque j’avais faim, soif ou faim, lorsque j’étais étranger, malade ou
en prison, lorsque j’étais opprimé, exploité ou humilié, [lorsque le peuple ivoirien fut
bombardé et massacré pour avoir voulu appliquer sa Constitution ?] (Mt 25, 31-46). Les
gestes du nouveau pape, son appel à une Église dépouillée, proche des pauvres et
miséricordieuse ne pouvaient-ils pas m’amener à demeurer prêtre ? Certes, j’ai une profonde
estime pour François; je suis d’accord avec lui quand il conseille aux évêques de ne pas être
des évêques d’aéroport mais d’être plus présents dans leurs dioses pour accueillir et écouter
prêtres et laïcs; je jubile quand il affirme que notre vocation chrétienne nous appelle à “semer
la pagaille”, c’est-à-dire à déranger ceux qui font souffrir leurs semblables; je me sens en
phase avec lui sur la simplicité, sans doute parce que lui et moi sommes fils d’Ignace de
Loyola qui met tout jésuite en garde contre la recherche de la vaine gloire. J’applaudis des
deux mains quand il invite cardinaux, évêques et prêtres à dire tout haut ce qu’ils pensent
vraiment au lieu de parler dans le dos des gens. Je prie pour lui car j’ai appris que sa façon de
faire et de parler ne plaît pas aux évêques et cardinaux conservateurs (honte à eux !). Pour tout
dire, j’aime ce pape argentin car il dirige l’Église comme je l’ai toujours souhaité, mais la
décision de quitter la prêtrise avait germé dans mon esprit avant son élection. C’est
précisément après le 11 avril 2011 que j’ai pensé que le moment était venu pour moi de
changer de voie parce que je trouvais anormal que l’intervention grossière et criminelle de la
France dans les affaires intérieures de mon pays ait été condamnée, non par les évêques de
Côte d’Ivoire, mais par le cardinal camerounais Christian Tumi (bravo à ce digne fils
d’Afrique!), parce que je ne voyais pas, autour de moi, le bon berger dont parle Jésus: le
berger qui s’inquiète pour ses brebis, qui va à la recherche de la brebis perdue, qui soigne
celle qui est malade ou blessée, qui est prêt à donner sa vie pour le troupeau et j’ajouterais “le
berger qui n’a pas peur de répercuter le cri des brebis (Jn 10, 1-11)). Je voyais plutôt des
prêtres et évêques couards, convaincus d’avoir la science infuse, persuadés de posséder la
vérité et d’avoir le monopole de l’Esprit-Saint, arrogants et méprisants, hostiles à la critique et
ne se sentant à l’aise qu’avec des incultes et des béni-oui-oui. Or Jésus fit l’éloge de Nathanël
appelé encore Barthélemy en disant : “Voici un vrai Israélite en qui il n’y a point de fraude !
Car Nathanl n’avait pas sa langue dans la poche et avait posé à Philippe la question
suivante : “Peut-il venir de Nazareth quelque chose de bon ?(Jn 1, 46-47) J’emploie l’article
indéfini “des” car, Dieu merci, tous les évêques et prêtres ivoiriens ne sont pas de mauvais
bergers. Tous ne sont pas corrompus ; tous ne sont pas d’affreux tribalistes et affairistes ; tous
n’ont pas vendu leur âme au diable pour quelques billets de banque. Tous n’ont pas reçu une
théologie crispée et déconnectée de Vatican II. Existent encore, dans le clergé ivoirien, des
hommes humains, courageux, honnêtes et patriotes. Et on ne peut qu’en rendre grâces à Dieu
qui nous veut vrais, libres et debout.
J'ai choisi de ne plus vivre dans le système
Peut-être objecterez-vous que partir n’est pas une solution, qu’il faut rester dedans pour
changer les choses. J’ai cru un moment que cela était possible mais en relisant la vie de Jean-
Baptiste, je réalise qu’il n’est pas nécessaire d’être dans un système pour le faire évoluer. En
effet, le fils de Zacharie a vécu et prêché dans le désert. Autrement dit, il n’appartenait à
aucune synagogue comme les pharisiens ; il ne faisait pas partie du système ; il était en dehors
du système, ce qui lui donnait la liberté de “parler cru et dru” (Jean-Luc Melenchon), de
traiter les pharisiens et prêtres gravitant autour de la synagogue d'engeance de vipères, de
tancer ceux qui brutalisaient la population au lieu de la protéger. L'Église, en tant
qu'institution, m'apparaît aujourd'hui comme un système qui lutte plus pour sa survie que pour
témoigner de la vérité et de la justice, un système prêt à frustrer, à marginaliser, à persécuter
et à tuer à petit feu quiconque désire marcher dans les traces du Baptiste à qui Jésus rendit
pourtant un vibrant hommage. Jean-Baptiste est mon saint patron et, comme lui, j'ai choisi de
ne plus vivre dans le système. Je demeure, en revanche, dans l'Eglise comme corps du Christ
et j'entends y donner le meilleur de moi-même comme laïc en continuant à écrire sur les
questions liées à la foi et à la justice sociale. Comme prêtre, je pouvais, par mes positions sur
notre pays, être accusé d'engager tout le clergé quoique j’aie toujours parlé en mon nom
propre. Laïc, je ne gênerai plus le clergé ivoirien. C'est cela l'avantage d'être en dehors du
système. Vous qui restez dans le système, je souhaite que vous essayiez de vous battre pour
faire bouger les lignes car c'est ensemble, clercs et laïcs, que nous devons amener notre Église
à devenir “un lieu d'humanité, de vérité, de liberté, de justice et de paix afin que tout homme
puisse y trouver des raisons d’espérer encore” (comme le dit joliment la prière eucharistique
pour grands rassemblements). À toutes fins utiles, Jésus n'était pas dans le système et c’est
parce qu’il était anti-système et anti-clérical qu'il pouvait fustiger librement scribes, pharisiens
et grands prêtres, qu’il pouvait les traiter de sépulcres blanchis ou d’hypocrites chargeant les
autres de lourds fardeaux qu’eux-mêmes ne remuent pas d’un seul doigt (Lc 11, 46). Enfin,
j'ose espérer que mon départ amènera les évêques qui veulent bien se convertir à changer de
mentalité et d'attitude, à comprendre enfin qu'être évêque ne veut pas dire qu’on est plus saint
et plus intelligent que les laïcs et les ptres mais qu'on a été choisi par pure grâce pour être ce
que Jésus fut au milieu des apôtres, c’est-dire serviteur, ami dépouillé et miséricordieux,
homme ouvert à tous.
Très chers amis, tant de choses nous lient et c’est au nom de ces liens, au nom des moments
de joie et de peine que nous eûmes à partager, que j’ai tenu à vous informer en premier de ma
décision de ne plus servir le Seigneur comme prêtre. Soyez assurés que je pars sans amertume
et sans regrets, que, si vous le désirez, je resterai votre frère et ami. Sachez surtout que la
porte de ma maison vous sera ouverte. Il n’est pas impossible que ma passion pour la justice,
la liberté et le service des défavorisés me conduise à faire de la politique dans notre pays. Non
pas la politique perçue comme un moyen d’enrichissement personnel par certaines personnes
prêtes à tuer et à se prostituer, promptes à aliéner leur liberté et leur dignité, mais la politique
comme le service humble et désintéressé de tous. C’est cette politique que menèrent des gens
comme Baudoin (roi belge), le Mwalimu tanzanien Julius Nyerere, le Botswanais Quett
Ketumile Masire ou le Sud-Africain Nelson Mandela. Ce dernier a, dans son ouvrage Un
long chemin vers la liberté”, cette phrase que j’aime beaucoup : “Diriger un pays, la finalité
ou le but ce n'est pas de se faire plein d'argent pour sa vie et son clan, mais c'est de changer la
vie du peuple et faire avancer les choses dans le pays afin que tout le monde soit content.”
Pour moi, la politique, c’est d’abord cela: changer la vie du peuple, permettre à tous d’avancer
et de vivre mieux. C’est cette politique que je voudrais essayer de faire désormais,
ouvertement et conformément au Code de droit canonique de 1983 de l’Église catholique qui
interdit aux clercs de militer dans des formations politiques ou d’assumer des charges
publiques (canon 285, nos 2, 3 et 4). Je voudrais compter sur vous pour me rappeler
constamment que faire la politique, c’est s’engager à se mettre au service de tous. Parce que
l’Église catholique n’est la propriété privée de personne, je revendique le droit de donner mon
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