Le droit fondamental au rite propre et à la spiritualité propre (c. 214

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Le droit fondamental au rite propre et à la spiritualité propre (c. 214)
Les droits et les devoirs fondamentaux des fidèles et des laïcs ont été étudiés par le
professeur Javier Hervada comme représentant quatre groupe de situations juridiques : celles
qui découlent de la conditio communionis propre à la vie dans l’Église catholique, dont le
paradigme est le principe fondamental du canon 209 (c. 12 CCEO) et qui « ont trait surtout
aux sacrements et à la Parole de Dieu » ; celles qui sont contenues dans la conditio libertatis,
c’est-à-dire « l’ensemble de situations juridiques caractérisées par des sphères d’activité libre
du fidèle » ; celles qui découlent de la conditio activa, qui « présentent une dimension sociale
accusée, non seulement tant du fait de leur répercussion que parce qu’elles peuvent aussi être
des manifestations de la fonction sociale du fidèle » ; celles enfin qui naissent de la conditio
subiectionis, provenant de « la dimension institutionnelle du Peuple de Dieu »1.
Nous allons étudier ici le droit fondamental du canon 214. Cette norme a pour
première source un passage de la constitution conciliaire Sacrosanctum Concilium :
« Obéissant fidèlement à la tradition, le saint Concile déclare que la sainte Mère l'Église
considère comme égaux en droit et en dignité tous les rites légitimement reconnus, et qu'elle
veut, à l'avenir, les conserver et les favoriser de toutes manières ; et il souhaite que, là où il en
est besoin, on les révise entièrement avec prudence dans l'esprit d'une saine tradition et qu'on
leur rende une saine vitalité en accord avec les circonstances et les nécessités d'aujourd'hui »
(n° 4). S’y ajoutent plusieurs passages du décret sur les Églises orientales, Orientalium
Ecclesiarum : « Il existe entre elles une admirable communion, telle que la variété dans
l'Église ne nuit pas à son unité mais plutôt la manifeste. En effet, c'est la volonté de l'Église
catholique de sauvegarder dans leur intégrité les traditions de chacune des Églises particulière
ou rites, et elle veut pareillement adapter sa manière de vivre aux nécessités diverses des
temps et des lieux » (n° 2). Ces Églises catholiques orientales « sont égales en dignité et
aucune d'entre elles ne l'emporte sur les autres en raison du rite, elles jouissent des mêmes
droits et sont tenues aux mêmes obligations » (n° 3)2. Enfin le concile « déclare donc
solennellement que les Églises de l'Orient aussi bien que de l'Occident ont le droit et le devoir
de se régir selon leurs propres disciplines particulières, puisque, en effet, elles se
recommandent par leur antiquité vénérable, elles sont plus adaptées aux habitudes de leurs
fidèles et plus aptes à procurer, semble-t-il, le bien des âmes » (n° 5). Nous pourrions rappeler
en même temps que le droit à la liberté religieuse a été défini par la constitution pastorale
Gaudium et spes (n° 26 § 2) et par la déclaration Dignitatis humanæ (n° 2).
Ces sources ont davantage trait au rite propre qu’à la spiritualité propre. Cependant, le
code, reprenant à la lettre le texte du canon 14 du Schema postremum de la Lex Ecclesiæ
Fundamentalis3, énumère deux droit distincts, bien que connexes, dans le canon 214 du
Codex Iuris Canonici et dans son équivalent, le canon 17 du Codex Canonum Ecclesiarum
Orientalium. De fait, le droit au rite propre relève de la sphère de la conditio communionis
tandis que le droit à une forme de spiritualité propre appartient à la sphère de la conditio
libertatis des fidèles. Il eût sans doute été préférable de les présenter en deux canons, ou du
moins en deux paragraphes, différents. Mais, à vrai dire, ils relèvent tous deux du principe de
variété mis en évidence par le professeur Hervada4. Quoi qu’il en soit, leur diversité requiert
qu’ils soient traités séparément, « puisqu’ils ont trait à des matières distinctes et entre
lesquelles il existe une certaine autonomie. Il suffit de remarquer à cet égard que
l’appartenance à un même rite est parfaitement compatible avec le fait de suivre diverses
1
J. Hervada, Elementos de Derecho Constitucional Canónico, Pampelune, Eunsa, 1987, p. 119, 126, 140, 144.
Cf. P. Valdrini, « L’Æqualis dignitas des Églises d’Orient et d’Occident », Université Saint-Esprit de Kaslik,
Acta Sympossi Internationalis circa Codicem Canonum Ecclesiarum Orientalium, Kaslik, 24-29 aprilis 1995,
publiés sous la dir. d’Antoine Al-Ahmar, Antoine Khalifé et D. Le Tourneau, Kaslik, 1996, p. 51-68.
3
Cf. D. Cenalmor, La Ley fundamental de la Iglesia. Historia y análisis de un proyecto legislativo, Pampelune,
Eunsa, 1991, p. 475.
4
Cf. J. Hervada, Elementos de Derecho Constitucional Canónico, op. cit., p. 125, 129; cf. D. Le Tourneau,
Droits et devoirs fondamentaux des fidèles et des laïcs dans l’Église, Montréal, Wilson & Lafleur, coll.
Gratianus, nos 69 et 74, p. 113 et 119-121.
2
formes de spiritualité et que, à l’inverse, le fait de suivre une même forme de vie spirituelle
est compatible avec l’appartenance à divers rites et disciplines »5. L’appartenance à un rite,
c’est-à-dire ici à une des vingt-deux Églises catholiques de droit propre, est compatible avec
le fait de suivre diverses formes de spiritualité. De même, le fait de suivre une même forme de
spiritualité est compatible avec l’appartenance à divers rites6. Ces prémisses étant posées, la
norme à examen est la suivante : « Les fidèles ont le droit de rendre le culte à Dieu selon les
dispositions de leur rite propre approuvé par les Pasteurs légitimes de l’Église, et de suivre
leur forme propre de vie spirituelle qui soit toutefois conforme à la doctrine de l’Église » (c.
214)7. Tout christifidelis est sujet des droits du canon 214, indépendamment de sa condition
juridique dans l’Église. Il peut les exercer seul ou regroupé avec d’autres, quelle que soit la
nature de cette communauté de fidèles8. Le droit à la spiritualité propre est encore plus vif
chez les migrants qui peuvent être habitués à des expériences de vie chrétienne distinctes de
celles de la communauté de leur nouveau lieu de vie9. Nous étudierons, dans une première
partie, le droit fondamental des fidèles à suivre leur rite propre (I), avant d’aborder, dans une
seconde partie, le droit fondamental des fidèles à suivre leur spiritualité propre (II). Il faut
ajouter, bien que cela semble aller de soi, qu’aux droits fondamentaux des fidèles
correspondent des devoirs non moins fondamentaux et de la hiérarchie et des autres fidèles.
I - Le droit fondamental à suivre son propre rite
L’étude de ce droit fondamental sera menée en deux temps : d’une part, nous nous arrêterons
à la nature et à la portée du concept de rite (A) et, d’autre part, nous soulignerons la place et
l’importance des charismes (B).
A) La nature et la portée du concept de rite
En vertu du baptême, toute personne appartient à une Église de droit propre (c. 111
CIC ; c. 29 § 1 CCEO). Tout chrétien en pleine communion avec l’Église peut rendre le culte
5
D. Cenalmor, sub c. 214, Comentario Exegético al Código de Derecho Canónico (cité ComEx), ouvrage
coordonné et dirigé par A. Marzoa, J. Miras et R. Rodríguez-Ocaña, Pampelune, Eunsa, 1983, vol. II, p. 99-100.
Cf. E. Molano, « El derecho de los laicos a seguir la propia forma de vida espiritual », Ius Canonicum 26 (1986),
p. 519.
6
Cf. E. Molano, Ibid., p. 517.
7
Le c. 17 CCEO lui est semblable : « Les fidèles chrétiens ont le droit de célébrer le culte divin selon les
prescriptions de leur Église de droit propre et de suivre leur forme propre de vie spirituelle qui soit toutefois
conforme à la doctrine de l’Église. »
8
Cf. E. Molano, « El derecho de los laicos a seguir… », loc. cit., p. 521-522.
9
Cf. Conseil pontifical de la pastorale des migrants et des personnes en déplacement, Instr. Erga migrantes, 3
mai 2004, La Documentation Catholique 101 (2004), p. 656-692 ; E. Baura, « Movimientos migratorios y
derechos de los fieles en la Iglesia », dans J. Otaduy, E. Tejero et A. Viana (dir.), Migraciones, Iglesia y Derecho.
Actas del V Simposio del Istituto Martín de Azpilcueta sobre “Movimientos migratorios y acción de la Iglesia.
Aspectos sociales, religiosos y canónicos”, Pampelune, Navarra Gráfica Ediciones, 2003, p. 67 ; José María
Sanchis, « La pastorale dovuta ai migranti ed agli itineranti (aspetti giuridici fondamentali) », Fidelium Iura 3
(1993), p. 451-494 ; M. A. Ortiz, « La “Especial solicitud por algunos grupos de fieles”. El n. 18 del decreto
Christus Dominus y la pastoral de la movilidad humana », Territorialità e personalità. Il diritto canonico di
fronte al terzo millennio. Atti dell’XI Congresso Internazionale di Diritto Canonico e del XV Congresso
Internazionale della Società per il Diritto delle Chiese Orientali, Budapest, 2-7 Settembre 2001, a cura di P. ErdöP. Szabó, 2001, Budapest, Szent István Társulat, 2002, p. 137-155 ; A. D. Busso, « La organización eclesiástica
de los inmigrantes latinos y orientales en América latina », Ibid., p. 357-391 ; E. J. Ibañez Carrión, « Elementos
de una posible prelatura personal para la atención pastoral de los emigrantes », Cuadernos Doctorales, n° 21
(2005-2006), p. 247-300 ; A. T. Opalalic, « A Proposed Ecclesiastical Structure to Respond to the Pastoral Needs
of Filipino Overseas Workers », Philippines Canonical Forum 9 (2007), p. 244-250 ; F. Pérez Madrid,
« Reflexiones acerca de la nueva Instrucción, Erga migrantes caritatis Christi », Consociatio internationalis
studio Iuris canonici promovendo, Système juridique canonique et rapports entre les ordonnancements
juridiques. Actes du XIIe Congrès international de droit canonique, sous la dir. du doyen Élie Raad, Beyrouth,
Université de la Sagesse, 2008, p. 649-663 ; J. B. Achacoso, « Shepherding an Itinerant Flock », Philippines
Canonical Forum 12 (2010), p. 29-68 ; « Migrations chrétiennes et Églises d’accueil », dossier, L’Année
Canonique 52 (2010), p. 9-149.
à Dieu dans toute Église de droit propre en communion avec le Siège apostolique. Le précepte
dominical est accompli en participant à la messe « célébrée selon le rite catholique » (c. 1248
§ 1). Le baptême peut être reçu dans n’importe quelle Église de droit propre (c. 111, 112 § 2
CIC ; c. 29 § 1 CCEO) ; de même l’Eucharistie (c. 923), ou encore le sacrement de la
réconciliation (c. 991). Pour administrer la confirmation, il faut l’autorisation au moins
présumée du pasteur propre (c. 886 § 1) ainsi que pour le sacrement des malades (c. 1003 §
2 ; c. 739 § 2 CCEO). Pour conférer le presbytérat dans un autre rite, il faut un indult du Siège
apostolique (c. 1015 § 2, 1021 CIC ; c. 748 § 2, 752 CCEO) et, dans le cas de la célébration
du mariage, une des parties au moins doit être du rite du ministre et ce, pour la validité (c.
1110 CIC ; c. 829 § 2 CCEO). Les cérémonies doivent être réalisées en suivant les livres
liturgiques approuvés par l’autorité compétente de l’Église de droit propre considérée (c. 846
§ 1 CIC ; c. 674 § 1 CCEO). Si le ministre ne s’en tient pas à cette disposition, « il refuse aux
membres de l’assemblée un droit fondamental »10.
Nous devons préciser deux sens du mot rite, selon qu’il porte sur la façon de rendre le
culte dû à Dieu ou qu’il a trait aux familles liturgiques.
a) Un premier sens de « rite »
Les Églises de droit propre « sont égales en dignité et aucune d’entre elles ne
l’emporte sur les autres en raison du rite, elles jouissent des mêmes droits et sont tenues aux
mêmes obligations, même en ce qui concerne le devoir de prêcher l’Évangile au monde entier
sous la conduite du pontife romain »11. Le rite contribue aussi à définir l’identité ecclésiale du
fidèle, qui a le droit de maintenir la communion avec l’Église par l’intermédiaire de son
Église de droit propre.
Le droit au rite propre est en relation étroite avec la vie spirituelle et liturgique. Le rite
n’est pas uniquement un élément qui caractérise une Église particulière déterminée, mais aussi
un élément qui sert à « définir l’identité ecclésiale de chaque fidèle, qui a le droit de garder la
communion avec l’Église à travers sa propre Église rituelle »12 ainsi que le devoir de le faire.
C’est le droit de rendre à Dieu un culte conforme aux dispositions légales, qui sont établies
dans d’autres parties de la législation canonique13. Ce droit comporte aussi l’obligation de
conserver son rite propre partout et de le pratiquer dans la mesure du possible : « Tous les
catholiques et chacun d'eux, ainsi que les baptisés de quelque Église ou communauté non
catholique que ce soit qui viennent à la plénitude de la communion catholique garderont
partout leur propre rite, le suivront et l'observeront dans la mesure du possible.14 » L’on a pu
affirmer que « l’égalité dans le domaine sacramentel interrituel ne découle pas seulement de
l’égalité entre les Églises sui iuris considérée de façon abstraite, mais de la dignité de la
personne »15. Par conséquent, suivre son propre rite signifie « rester fidèle aux traditions
propres, c’est-à-dire à la liturgie propre, à la discipline ecclésiastique propre et au patrimoine
spirituel propre »16. Il s’ensuit que les fidèles ont le droit, en application du canon 213 et de
son équivalent le canon 16 oriental, à recevoir les sacrements selon la liturgie de leur Église
rituelle propre17. Pour cela, « tous les clercs et ceux qui entrent dans les ordres sacrés seront
10
J. H. Provost, « sub c. 214 », J. A. Coriden, T. J. Green et D. E. Heintschel (dir.), The Code of Canon Law. A
Text and Commentary, commandité par la Canon Law Society of America (CLSA), New York/Mahwah, N.J.,
Paulist Press, 1985, p. 148.
11
Concile Vatican II, décr. Orientalium Ecclesiarum, n° 3.
12
D. Cenalmor, « sub c. 214 », ComEx, vol. II/1, p. 100.
13
Cf. c. 846 § 2, 923, 991, 1015 § 2, 1021 et 1109 CIC 83; c. 674 § 2 (pas d’équivalent pour les c. 923 et 991),
748 § 2, 752 et 829 § 1 CCEO.
14
Sauf perte de la condition prévue au canon 112 CIC 83 (c. 32-34 CCEO). Cf. Concile Vatican II, Orientalium
Ecclesiarum, n° 4.
15
P. Erdö, « Questioni interrituali (interecclesiali) del diritto dei sacramenti (battesimo e cresima) », Periodica
84 (1995), p. 325.
16
M. Brogi, « Il diritto all’osservanza del propiro rito (CIC can. 214) », Antonianum 68 (1993), p. 108.
17
Cf. D. Le Tourneau, Droits et devoirs fondamentaux, op. cit., nos 113-127, p. 161-181 ; « Le droit aux biens
spirituels (c. 213) », Homenaje al profesor Rafael Navarro Valls, à paraître ; G. Kuminetz, « La forma de la
celebración del matrimonio desde la comparación entre ordenamientos », Ius Canonicum 45 (2005), p. 107.
bien instruits des rites et, singulièrement, des règles pratiques dans les matières interrituelles,
et les laïcs, eux aussi, recevront au catéchisme un enseignement sur les rites et leurs
normes »18. En outre, « ceux que leur fonction ou ministère apostolique met en relations
fréquentes avec les Églises orientales ou avec les fidèles de ces dernières doivent être instruits
avec soin dans la connaissance et le respect des rites, de la discipline, de l'enseignement, de
l'histoire et du génie des Orientaux, selon l'importance de l'office auquel ils s'emploient »19.
Le rite propre n’a pas qu’un caractère personnel, car « il peut être attribué aussi aux
personnes morales, telles que les Églises particulières »20. Son exercice suppose l’absence de
toute coercition. Il réclame également que les fidèles puissent accomplir les actes de culte en
pleine conformité avec leurs traditions ecclésiales et selon les modalités pratiques de leur
communauté. Pour ce faire, la mise en place de certaines structures pastorales appropriées
s’avère nécessaire, comme le droit le prévoit d’ailleurs, du moins dans certains cas.
b) Un second sens de « rite »
Par le terme « rite », le canon 214 semble admettre aussi le sens de famille liturgique,
c’est-à-dire les cinq grandes traditions orientales21 et leurs variantes, dont la discipline
commune est recueillie dans le Code des canons des Églises orientales, les différentes
traditions liturgiques d’Occident22, et les variantes existant au sein de la liturgie romaine23.
Le canon parle de « rite propre approuvé par les Pasteurs légitimes de l’Église ». Cette
clause s’inscrit dans le contexte plus global de la communion des Églises de droit propre avec
le Siège apostolique, communion qui est donnée pour acquise24. Certains auteurs ont critiqué
cette formulation, au chef qu’elle laisserait entendre que le droit au rite propre n’existerait
qu’à partir de l’approbation qu’en donnerait l’autorité légitime25, ce qui impliquerait, par voie
de conséquence, que le droit dériverait de la décision hiérarchique et non du baptême. Ce
serait évidemment tout à fait étranger à la conception des droits et des devoirs fondamentaux
des fidèles et des laïcs telle qu’elle ressort de l’enseignement conciliaire et qu’elle a été
formalisée dans les codes latin et oriental.
Cette clause s’applique ensuite en particulier à l’adaptation des rites existants, surtout
dans les pays de mission26, ainsi qu’à la création de nouveaux rites pouvant être considérés
comme des rites propres du fidèle ou à l’adaptation de rites existants aux besoins de
communautés concrètes de fidèles, par exemple, par retour à la pleine communion, le moment
venu, des vieux catholiques ou des anglicans27. Bien évidemment, ces rites nouveaux ne
18
Concile Vatican II, décr. Orientalium Ecclesiarum, n° 4. Cf. D. Salachas, « Receiving Other Christians in the
Church (cc. 896-901) », A Guide to the Eastern Code. A Commentary on the Code of Canons of the Eastern
Churches, edited by G. Nedungatt, S. J., Rome, Pontificio Istituto Orientale, 2002, p. 597-606.
19
Concile Vatican II, décr. Orientalium Ecclesiarum, n° 6.
20
E. Corecco, « Il catalogo dei doveri-diritti del fedele nel CIC », Ius et Communio. Scritti di Diritto Canonico a
cura di G. Borgonovo e A. Cattaneo, Faculté de théologie de Lugano, Casale Monferrato, Edizione Piemme,
1997, vol. I, p. 507.
21
Alexandrine ou copte, antiochienne ou syrienne orientale, arménienne, chaldéenne ou syrienne orientale,
constantinopolitaine ou byzantine : cf. D. Le Tourneau, « Églises catholiques orientales. Bref aperçu historique »,
Acta Symposii Internationalis circa Codicem Canonum Ecclesiarum Orientalium, op. cit., p. 597-607 ; « Les
Églises orientales catholiques », Les mot du christianisme. Catholicisme – Orthodoxie - Protestantisme, Paris,
Fayard, 2005, p. 239-247.
22
Les liturgies romaine, ambrosienne, gallicane, hispano-wisigothique.
23
En particulier à Lyon et à Braga, ainsi que certains ordres religieux. Cf. D. Le Tourneau, La dimension
juridique du sacré, Montréal, Wilson & Lafleur, coll. Gratianus, 2012.
24
Le canon oriental correspondant, canon 17, n’a pas repris cette précision, mais elle se retrouve au canon 27
CCEO.
25
Cf. P.-J. Viladrich, « La declaración de derechos y deberes de los fieles », Redacción Ius Canonicum, El
proyecto de Ley Fundamental de la Iglesia, Pampelune, 1971, p. 144.
26
Cf. Concile Vatican II, const. Sacrosanctum Concilium, n° 38.
27
Cf. V. F. Parlato, « Il diritto alla manifestazione del propio pensiero su cio che riguarda il bene della Chiesa »,
dans V. F. Parlato, I diritti dei fedeli nell’ordinamento canonico, Turin, G. Giappichelli Editore, 1998, p. 57-59.
Pour les anglicans, cf. Const. ap. Anglicanorum cœtus, 3 novembre 2009. Cf. J. I. Arrieta, « Gli Ordinariati
personali », Ius Ecclesiae 22 (2010), p. 151-172 ; E. Baura, « Las circunscripciones eclesiásticas personales. El
caso de los oridinariatos personales para fieles provenientes del anglicanismo », Ius Canonicum 50 (2010), p.
165-200 ; E. Baura, « Personal Ecclesiastical Circumsciptions. The Personal Ordinariates for Faithful from the
seraient pas légitimes s’ils ne respectaient pas le devoir de communion. S’il appartient à la
hiérarchie de les approuver, le Code ne précise pas si cette approbation doit être explicite. Par
conséquent, appliquant la norme du canon 18, favorabilia amplianda, odiosa restringenda, il
faut affirmer que l’approbation peut parfaitement n’être qu’implicite, que tacite, surtout au
début. Deux hypothèses peuvent se présenter : d’une part, l’approbation du rite d’une
communauté de fidèles née et formée en dehors de l’unité avec Rome et qui veut entrer dans
la pleine communion de l’Église catholique ; d’autre part, l’approbation du rite d’une nouvelle
communauté ecclésiale. « Le respect du droit des fidèles à créer de nouveaux rites exprime
indéniablement l’ouverture du législateur ecclésial.28 »
L’essence du droit des fidèles à suivre un rite propre consiste « à maintenir la
communion avec l’Église universelle au travers de l’Église du rite propre. Ce droit
comprend : 1) le droit à s’inscrire à l’Église particulière du rite propre ; 2) la possibilité de
demeurer librement dans ce rite, en observant les exceptions prudemment prévues par la loi ;
3) le devoir de la hiérarchie de garantir une assistance pastorale suffisante aux fidèles du rite
propre »29.
Outre l’absence de coercition, le droit au rite propre demande que les fidèles puissent
réaliser leurs actes de culte conformément aux modalités spécifiques de leur culture et de
leurs traditions ecclésiales. Ce droit de rendre le culte dû à Dieu selon le rite de chacun est un
droit subjectif qui peut être vécu aussi bien individuellement que collectivement, et
analogiquement par les Églises particulières et d’autres personnes morales. La fidélité au
patrimoine de chaque Église de droit propre se répercute au-delà des intérêts de chaque fidèle,
car elle permet de « conserver et de transmettre aux générations à venir une partie de la
richesse de l’Église universelle »30. Le droit-devoir du migrant dans l’Église est le « droitdevoir de parvenir à Dieu, et donc de se sauver, sans renier sa propre identité de fidèle, tant
individuelle que communautaire, ni y renoncer »31.
Cela entraîne à son tour l’obligation pour l’autorité ecclésiastique de créer une
hiérarchie et des structures de chaque rite quand un nombre suffisant de fidèles de ce rite a
son domicile dans son domaine de juridiction et que le bien des fidèles le demande 32. C’est à
cela que répond, entre autres, l’érection d’ordinariats pour les fidèles de rite oriental ayant
leur domicile dans une Église latine et étant dépourvus de hiérarchie propre, ainsi que les
paroisses rituelles33. Il n’en reste pas moins que les évêques latins sont appelés à partager le
Anglican Communion », Philippines Canonical Forum 12 (2010), p. 101-130 ; E. Caparros, « The Manifestation
of the Will of the Faithful in the Context of Anglicanorum cœtibus and Other Ecclesiastical Circumscriptions »,
dans Libro homenaje a Rafael Navarro Valls, à paraître.
28
J. Krukowski, « Il diritto dei fedeli ad un proprio rito », Ius Ecclesiarum vehiculum caritatis. Atti del simposio
internazionale per il decennale dell’entrata in vigore del Codex Canonum Ecclesiarum Orientalium, Città del
Vaticano, 19-23 novembre 2001, Cité du Vatican, Librairie Éditrice Vaticane, 2004, p. 811.
29
J. Krukowski, « Il diritto dei fedeli ad un proprio rito », loc. cit., p. 809.
30
M. Brogi, « Il diritto all’osservanza del proprio rito (CIC can. 214) », loc. cit., p. 114.
31
P. A. Bonnet, « Communione ecclesiale, migranti e diritti fondamentali », Migrazioni e diritto ecclesiale. La
pastorale della mobilità umana nel nuovo Codice di diritto canonico, Padoue, Edizioni Messaggero, 1992, p. 4748.
32
Cf. concile Vatican II, décr. Orientalium Ecclesiarum, n° 4 ; décr. Christus Dominus, nos 23.3/b et 27/a ; c. 518
CIC 83 ; c. 280 § 1 CCEO.
33
Cf. Cf. Nuove terre e nuove Chiese. Le comunità di fedeli orientali in disapora, a cura di Luis Okulik, Istituto
di diritto canonico San Pio X, Studi 7, Venise, Marcianum Press, 2008 ; Incontro fra canoni d’Oriente e
d’Occidente, a cura di Raffaele Coppola, Bari, Cacucci Editore, 3 vol., 1994 ; J. Passicos, « L’Ordinariat des
catholiques de rite oriental résidant en France », L’Année Canonique 40 (1998), p. 151-163 ; D. Le Tourneau,
« Le soin pastoral des catholiques orientaux en dehors de leur Église propre. Le cas de l'ordinariat français », Ius
Ecclesiae 13 (2001), p. 391-419 ; M. Brogi, « Il nuovo Codice orientali e le Chiese latine », Antonianum 66
(1991), p. 50ss ; L. Lorusso, o.p., Gli orientali cattolici e i pastori latini. Problematiche e norme canoniche,
Rome, Pontificio Istituto Orientale, 2003 ; A. Viana, « Estructuras personales y colegiales de gobierno. Con
referencia especial al problema de la movilidad humana y de la diáspora de los católicos orientales », Folia
Canonica 7 (2004), p. 7-48 ; M. Delgado Galindo, « “La cura pastorale del Vescovo verso i migranti nella
Esortazione apostolica post-sinodale Pastores gregis” », Consociatio internationalis studio Iuris canonici
promovendo, Système juridique canonique et rapports entre les ordonnancements juridiques. Actes du XIIe
Congrès international de droit canonique, sous la dir. du doyen Élie Raad, Beyrouth, Université de la Sagesse,
2008, p. 613-627 ; L. Okulik, « La cura pastorale del fedeli ascritti ad un’altra Chiesa sui iuris », Ibid., p. 629-
souci du Saint-Siège que les catholiques de rite oriental puissent pratiquer partout dans le
monde leur propre rite en leur assurant un concours pastoral approprié.
Diverses solutions sont prévues par le droit pour assurer un soin pastoral approprié
aux fidèles qui ont émigré dans un pays ou une région dans laquelle ils n’ont pas de hiérarchie
de leur rite propre. C’est d’abord le cas de la paroisse personnelle envisagée par le canon 518
(c. 280 § 1 CCEO) pour des raisons de rite, de langue, de nationalité des fidèles, et encore
pour tout autre motif34. Quand le groupe de fidèles manque de stabilité, leur soin pastoral
pourra être assuré par la constitution d’une « mission avec charge d’âmes », qui, « érigée sur
le territoire d’une ou de plusieurs paroisses, peut être annexe à une paroisse territoriale, en
particulier quand celle-ci est dirigée par des membres de la même congrégation religieuse qui
prennent soin de l’assistance spirituelle des migrants »35. Dans certains cas, envisagés avec
prudence par le canon 372 § 2, il pourra être procédé à l’érection d’« Églises particulières
distinctes par le rite des fidèles ». Ou bien un vicaire épiscopal36 sera constitué au sens du
canon 476, ou, plus modestement, un « chapelain muni de toutes les facultés requises » (c.
566 § 1) Plus fréquemment, l’application des canons 294-297 du CIC relatifs aux prélatures
personnelles pourrait trouver un champ d’application dans ce domaine, car, « vu l’autonomie
dont elles jouissent, elles sont certainement en mesure d’agir très efficacement pour un soin
pastoral approprié des fidèles migrants »37.
Il a été proposé que les communautés orientales se trouvant en dehors du territoire de
leur Église d’appartenance se structurent à partir de la constitution d’une association de
fidèles, selon le canon 18 du CCEO (c. 215 CIC). Il devrait s’agir d’une association publique
de fidèles, érigée par l’autorité ecclésiastique orientale compétente ou, plus sûrement, par le
Siège apostolique, dans la mesure où elle serait de domaine international38.
Cependant les migrants ont besoin d’être davantage protégés et reconnus dans leur
identité spécifique. C’est pourquoi, afin d’assurer une meilleure protection canonique des
fidèles migrants, divers nouveaux droits-devoirs non codifiés pourraient leur être reconnus39.
D’abord le droit-devoir à être accueilis par l’Église particulière dans laquelle ils viennent
vivre, ce qui suppose qu’ils disposent de moyens et d’instruments canoniquement garantis y
compris face à la hiérarchie. Ensuite le droit-devoir à une insertion et à une participation
ecclésiale dépourvue de discrimination. Le droit-devoir enfin à faire l’objet d’un soin pastoral
spécifique et donc adapté aux particularités de leur condition ecclésiale.
L’on a également suggéré que les fidèles des Églises orientales non catholiques qui se
convertissent au catholicisme et demandent à être inscrits dans l’Église catholique,
« devraient conserver leur propre rite d’origine dans l’Église orientale catholique
642 ; D. Salachas, « Lo status giuridico-pastorale degli orientali cattolici en emigrazione », Anuario Argentino de
Derecho Canónico 16 (2009-2010), p. 161-183 ; M. Brogi, « Oblighi dei Vescovi Lattini verso i fedeli di una
Chiesa orientale cattolica inseriti nella loro diocesi », Ius Ecclesiae 22 (2010), p. 325-342 ; P. Gefaell,
« L'attenzione agli orientali cattolici nei documento delle Conferenze episcopali », ibid., p. 367-382. Les
principes territorial et personnel s’appliquent dans le cadre de l’organisation ecclésiastique déjà existante. « Par
conséquent, ces principes ne peuvent pas agir sur le plan constitutionnel, plan sur lequel agissent le principe
d’égalité (communio fidelium) et le principe hiérarchique (communio hierarchica) qui ne peuvent en aucune
façon leur être subordonnés » (A. Marzoa, « Derechos fundamentales del fiel y ejercicio territorial y personal de
la jurisdicción. », Fidelium Iura 11 (2001), p. 107-108).
34
Possibilité déjà envisagée par la const. ap. Exsul familia sur le soin pastoral des migrants, 1er août 1952, n° 4,
A.A.S. 44 (1952), p. 694 ; Congr. des évêques, instr. de pastorali migratorum cura, 22 août 1969, n° 33 § 1.
35
Congr. des évêques, instr. de pastorali migratorum cura, 22 août 1969, n° 33 § 3.
36
Cf. J. Abbass, O.F.M. Conv., « Latin Bishop’s Duty of Care towards Eastern Catholics », Studia Canonica 35
(2001), p. 7-32.
37
P. A. Bonnet, « Communione ecclesiale, migranti e diritti fondamentali », Migrazioni e diritto ecclesiale, op.
cit., p. 44.
38
Cf. L. Lorusso, o.p., Gli Orientali cattolici e i pastori latini, op. cit. ; L. Okulik, « Tutela giuridica dell’identità
ecclesiale dei fedeli orientali in situazione di diaspora », Istituto di diritto canonico San Pio X, Nuove terre e
nuove Chiese, op. cit., p. 235-239.
39
Cf. P. A. Bonnet, « Communione ecclesiale, migranti e diritti fondamentali », loc. cit., p. 49-51.
correspondante », et que ceux qui proviennent des communautés ecclésiales de la Réforme
« devraient appartenir à l’Église latine »40, ce qui serait conforme au canon 35 CCEO41.
Le Code oriental présente une ecclésiologie plus mûre, qui l’amène à parler d’Ecclesia
sui iuris et non, comme ici, de différences entre les Églises particulières en raison de leur
rite42. Le rite a été fréquemment identifié à l’Église de rite propre, y compris par des
documents conciliaires43. La réflexion s’est poursuivie après le Concile et est parvenue à
distinguer le rite, en tant que « patrimoine liturgique, théologique, spirituel et disciplinaire »
(c. 28 §1), et l’Église de droit propre à laquelle ce patrimoine appartient44. Si le canon 17
CCEO correspond en substance au présent canon 214, il est complété par des normes,
absentes du CIC 83, sur la sauvegarde, la promotion et le respect du rite propre (c. 39 et 40),
ainsi que le devoir des fidèles de connaître les spécificités du rite d’une autre Église de droit
propre avec laquelle ils sont fréquemment en relation. Ce devoir oblige tous les christifideles,
même latins, appelés à remplir un office, un ministère ou une charge pour le bien de fidèles
d’une autre Église de droit propre doivent se former avec soin afin de connaître et d’avoir en
estime le rite de cette Église (c. 41). Ces dispositions montrent bien que la protection du droit
à observer son propre rite ne se limite pas aux fidèles qui vivent dans leur pays d’origine,
mais s’étend aussi à ceux « de la diaspora, qui vivent dans d’autres régions, qu’ils soient
réunis en groupes ou éparpillés sur de vastes territoires »45.
Le CCEO définit donc le rite comme étant « le patrimoine liturgique, théologique,
spirituel et disciplinaire qui se distingue par la culture et les circonstances historiques des
peuples et qui s’exprime par la manière propre à chaque Église de droit propre de vivre sa
foi » (c. 28 § 1). Les différents rites sont « un patrimoine de l’Église du Christ tout entière,
dans lequel resplendit la tradition qui vient des apôtres par les Pères et qui affirme dans la
variété la divine unité de la foi catholique ». Maintenir et observer son rite signifie demeurer
fidèle à ses traditions telles qu’elles sont définies par le canon 28 § 1 sus mentionné. En
corrélation avec ceci se trouve le canon 10, spécifique au code oriental, sur le droit des fidèles
d’adhérer à la foi conservée et transmise à grand prix par les ancêtres, de la professer
publiquement, de l’approfondir davantage et de la faire fructifier dans les œuvres de charité46.
Le canon 214 s’applique à tous les fidèles, bien qu’il semble clair qu’il entend
protéger tout spécialement les fidèles des Églises orientales catholiques, qui sont très
minoritaires au sein de l’Église catholique. C’est ce caractère de minorité qui « a conduit les
Pères de Vatican II, puis le Législateur suprême, à affirmer, et partant à protéger, leur droit à
leur propre personnalité »47.
La norme du canon 214, en ce qui concerne le rite propre, comporte deux éléments48.
D’une part cultum persolvere, c’est-à-dire rendre un culte à Dieu. Cet aspect ne saurait se
limiter au seul culte public réalisé par les personnes députées à cet effet. Il comprend aussi le
culte rendu de façon privée avec ses différentes manifestations, telles que l’adoration du saintsacrement, le chemin de croix, la récitation du chapelet, etc., dont l’autorité s’assurera quelles
sont « pleinement conformes aux règles de l’Église » (c. 839)49. Le second élément est la
mention du proprius ritus, expression qui ne fait pas uniquement référence à la liturgie ou à
40
P. Gefaell, « Impegno della Congregazione per le Chiese oriental a favore delle comunità orientali in
diaspora », Istituto di diritto canonico San Pio X, Nuove terre e nuove Chiese, op. cit., p. 139.
41
Et au décret Orientalium Ecclesiarum, n° 4, qui s’en inspire directement.
42
Cf. La condición jurídica, p. 143.
43
On verra concile Vatican II, décr. Orientalium Ecclesiarum, n° 2 : « Églises particulières ou rites ».
44
Cf. I. Žuzek, s.j., « Las “Ecclesiæ sui iuris” en la revisión del derecho canónico », dans R. Latourelle (dir.),
Vaticano II : balance y perspectivas. Veinticinco años después (1962-1987), Salamanque, Ed. Sígueme, 1990,
p. 651-661.
45
M. Brogi, « Il diritto all’osservanza del proprio rito (CIC can. 214) », loc. cit., p. 115.
46
Cf. D. Le Tourneau, « La peculiar obligación fundamental de los fieles del can. 10 del CCEO », Escritos en
honor a Javier Hervada, Ius Canonicum, volumen especial, 1999, p. 303-312.
47
M. Brogi, Ibid., p. 112.
48
Cf. M. Brogi, Ibid., p. 113.
49
Cf. Congr. pour le culte divin et la discipline des sacrements, Directoire sur la piété populaire et la liturgie,
décembre 2001.
d’autres formes de religiosité publique, comme le culte des icônes, mais renvoie également à
l’ensemble du patrimoine de chaque communauté.
En même temps, dans la législation en vigueur, la notion de rite fait référence à
l’appartenance à une Église de droit propre, tant latine qu’orientale. Les enfants qui n’ont pas
atteint l’âge de quatorze ans accomplis et dont les parents appartiennent à l’Église latine sont
inscrits à celle-ci par la réception du baptême. Si l’un de leurs parents appartient à une autre
Église de droit propre mais consent avec son conjoint à ce que leurs enfants soient baptisés
dans l’Église latine, ces enfants appartiennent de plein droit à cette Église. En cas de
désaccord entre les parents, les enfants sont inscrits à l’Église de droit propre de leur père (c.
111 § 1 CIC). En droit oriental, l’enfant « est inscrit par le baptême à l’Église de droit propre à
laquelle est inscrit son père catholique ». Mais si seule sa « mère est catholique ou si les deux
parents le demandent d’un commun accord, il est inscrit à l’Église de droit propre à laquelle
appartient la mère », sans préjudice du droit particulier établi par le Siège apostolique (c. 29 §
1). Dans ce cas, le droit propre du père apparaît comme le critère général à suivre,
contrairement à la situation créée par le droit latin, le commun accord intervenant à titre
subsidiaire50.
Une fois franchi le cap des quatorze ans, le fidèle qui demande le baptême peut choisir
librement de le recevoir dans l’Église latine ou dans une autre Église de droit propre, en vertu
de quoi il appartient à cette Église de son choix (c. 111 § 2). Ici encore, la législation orientale
(c. 30) apporte une nuance, due au fait que le droit particulier établi par le Siège apostolique
peut en décider autrement. Le CCEO ajoute encore que « les catéchumènes sont libres de
s’inscrire à n’importe quelle Église de droit propre selon le canon 30 ». Mais, en même temps,
aucune pression ni suggestion ne devra être exercée pour les inciter à s’inscrire à une Église
qui ne soit pas « la plus conforme à leur culture » (c. 588). Il est impératif, en tout état de
cause, de respecter leurs charismes spécifiques.
B) La place et l’importance des charismes dans l’Église
L’Église naît et se maintient en tant qu’unité structurée grâce à l’« onction de l’Esprit »
par laquelle le Père et le Fils sanctifient l’Église. Cette action trinitaire se produit dans les
sacrements consécratoires, les canaux institués par le Christ pour que la force de l’Esprit fasse
surgir les christifideles et les ministres sacrés, tous deux sacerdotaux et éléments structurants
de l’Église. C’est ce que nous pourrions qualifier de dimension « sacramentelle » de la
structure de l’Église.
Mais le don du Saint-Esprit et son action structurante n’en restent pas là. Le Christ,
tête de l’Église, gouverne, enseigne et sanctifie son Peuple, dès son origine, par un nouveau
mode de don de l’Esprit que l’Écriture appelle « charismes »51. La présence des charismes au
sein de l’Église appartient à sa structure originaire et en constitue la dimension
« charismatique ». « Le même Esprit-Saint non seulement sanctifie le Peuple de Dieu, le
conduit et l'orne de vertus au moyen des sacrements et des ministères mais, "en distribuant à
chacun ses dons comme il lui plaît" (1 Co 12, 11), il dispense également, parmi les fidèles de
tout ordre, des grâces spéciales qui les habilitent à assumer des activités et des services divers,
utiles au renouvellement et à l'expansion de l'Église, suivant ces paroles : "À chacun la
manifestation de l'Esprit est donnée en vue du bien commun" (1 Co 12, 7). Ces charismes,
qu'ils soient extraordinaires ou plus simples et plus répandus, sont ordonnés et adaptés d'abord
aux besoins de l'Église : ils doivent donc être accueillis avec gratitude et joie spirituelle.
Cependant, il ne faut pas demander imprudemment les dons extraordinaires, pas plus qu'il ne
faut en attendre présomptueusement les fruits des travaux apostoliques. C'est à l'autorité
50
A. de Fuenmayor, sub c. 111, Code de droit canonique bilingue et annoté, sous la dir. d’E. Caparros et H. Aubé
avec la collaboration de J. I. Arrieta et D. Le Tourneau, 3 e éd. révisée, corrigée et mise à jour enrichie de
concordances avec le Code des canons des Églises orientales, 2 e tirage révisé, 2009, p. 111.
51
Cf. C. Fantappiè, « Carisma e instituzione nella Chiesa : la discussione canonistica in ambito cattolico
dall’Ottocento ad oggi », Æquitas sive Deus. Studi in onore di Rinaldo Bertolino, Turin, G. Giappichelli Editore,
2011, vol. I, p. 228-238.
ecclésiastique qu'il appartient de juger de l'authenticité et de la mise en œuvre de ces dons ; et
c'est aussi à elle qu'il appartient spécialement de ne pas éteindre l'Esprit, mais de tout
examiner et de retenir ce qui est bon (cf. 1 Th 5, 12 et 19-21).52 »
Le décret Apostolicam actuositatem s’exprime en des termes semblables : « À tous les
chrétiens donc incombe la très belle tâche de travailler sans cesse pour faire connaître et
accepter le message divin du salut par tous les hommes sur toute la terre. Pour l’exercice de
cet apostolat, le Saint-Esprit qui sanctifie le Peuple de Dieu par les sacrements et le ministère
accorde en outre aux fidèles des dons particuliers (cf. 1 Co 12, 7), les « répartissant à chacun
comme il l’entend » (cf. 1 Co 12, 11) pour que tous et « chacun selon la grâce reçue se
mettant au service des autres » soient eux-mêmes « comme de bons intendants de la grâce
multiforme de Dieu » (1 P 4, 10), en vue de l’édification du Corps tout entier dans la charité
(cf. Ep 4, 16). De la réception de ces charismes, même les plus simples, résulte pour chacun
des croyants le droit et le devoir d’exercer ces dons dans l’Église et dans le monde, pour le
bien des hommes et l’édification de l’Église, dans la liberté du Saint-Esprit qui « souffle où il
veut » (Jn 3, 8), de même qu’en communion avec ses frères dans le Christ et très
particulièrement avec ses pasteurs. C’est à eux qu’il appartient de porter un jugement sur
l’authenticité et le bon usage de ces dons, non pas pour éteindre l’Esprit, mais pour éprouver
tout et retenir ce qui est bon (cf. 1 Th 5, 12.19.21).53 »
Ces textes envisagent les charismes au plan des réalités vitales et existentielles de
l’Église, car ils déterminent la vie et l’existence chrétienne des fidèles et de toute la
communauté54. C’est pourquoi certains auteurs, dont Congar55, ont estimé que seul l’élément
sacramentel et hiérarchique appartenait à la structure de l’Église tandis que les charismes
relevaient de sa vie.
Si nous prenons le mot charisme dans un sens non technique, nous constatons que
l’Église tout entière est charismatique, en ce sens qu’elle est suscitée et qu’elle se maintient
par le don de l’Esprit reçu du Seigneur. Nous pouvons dire en toute rigueur que « l’onction de
l’Esprit », qui réalise la distinction de « fidèles » et de « ministres » par les sacrements
consécratoires, est le charisme le plus radical. Mais ce n’est pas là le concept théologique et
structurel du charisme. La notion de charisme comporte des caractéristiques qui la distinguent
des notions structurantes de conditio fidelis et de sacrum ministerium.
Ces deux éléments de la structure de l’Église requièrent une intervention de celle-ci,
par la célébration des sacrements consécratoires de baptême, confirmation et ordre. Mais le
charisme au sens technique, en tant qu’élément structurant différencié, est un don direct de
l’Esprit, non uni à un sacrement.
D’autre part, les situations produites par les sacrements consécratoires conservent une
permanence ontologique chez ceux qui les ont reçus – ils produisent en eux un « caractère »
ou sphragis – et un aspect structurel définitif qui transcende les personnes concrètes, alors que
la situation ecclésiale que produit la réception d’un charisme est théologiquement différente.
Même dans le cas où le charisme déterminerait foncièrement l’existence du sujet au point de
configurer de façon définitive son service dans l’Église, son origine ne se trouve pas dans
l’ontologie sacramentelle mais dans le don continuel de l’Esprit, qui requiert une réponse
constante et un engagement personnel du bénéficiaire. Il lui est toujours possible d’être
infidèle à son charisme-vocation-mission. Tel est le cas des charismes qui configurent les
situations permanentes du christifidelis dans sa façon de vivre la totalité de sa vocation
chrétienne baptismale. C’est ce que montre saint Paul quand il parle, aux fidèles de Corinthe,
du mariage et du célibat en tant que déterminations de l’existence chrétienne. Il aimerait que
tous soient célibataires, comme lui. Mais cela n’appartient pas à une option humaine :
52
Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, n° 12/b. cf. P. Lombardía, « Carismas e Iglesia
institucional », Escritos de Derecho Canónico y de Derecho Eclesiástico del Estado, Pampelune, Eunsa, vol. IV,
1991, p. 53-85.
53
Concile Vatican II, décr. Apostolicam actuositatem, n° 3/d.
54
Pour ce passage, cf. P. Rodríguez, « La identidad teológica del laico », La misión del laico en la Iglesia y en el
mundo. VIII Simposio Internacional de Teología, Pamplona, 22-24 abril de 1987, Pampelune, Eunsa, 1987, p.
85-92.
55
Cf. Y. Congar, Vraie et fausse réforme dans l’Église, Paris, Le Cerf, 2e éd., 1969.
« Chacun tient de Dieu son charisme particulier, l’un d’une manière, l’autre d’une autre » (1
Co 7, 7). Il est clair dans ce texte que le charisme n’est pas un simple « fonction » externe,
mais qu’il affecte le cœur de l’existence chrétienne.
Ce qui appartient à la structure de l’Église, c’est que l’Esprit accorde ses charismes,
non les situations que ceux-ci engendrent, situations qui sont multiples et potentiellement
changeantes. Nous pouvons donc dire que « la structure originaire de l’Église est formée des
trois éléments (conditio fidelis, ministère et charisme) par lesquels l’Esprit du Christ la
gouverne. Ou, si l’on préfère, que la structure originaire de l’Église présente une double
dimension : la dimension sacramentelle, d’où naissent les conditions structurelles qui donnent
lieu au binôme fidèles-ministres sacrés ; et la dimension charismatique qui, nuançant ces
situations structurelles, contribue à configurer la structure historique de l’Église »56.
« L’Église a compris que le binôme d’origine sacramentelle « fidèles-ministres
sacrés », sur lequel repose la variété multiple des charismes, s’est exprimé et prolongé dans la
réalité historique de l’existence chrétienne, fondamentalement dans deux nouvelles
« situations structurelles » qui répondent à deux grandes et permanentes directions
charismatiques de l’Esprit. Il s’agit du laïcat et de l’état religieux. La conscience que l’Église
a d’elle-même y a vu deux éléments permanents de sa structure fondamentale. Établir
l’identité théologique du laïcat dans sa réalité ecclésiologique concrète se ramène donc à
identifier son charisme propre, charisme qui non seulement embrasse toute l’existence de
celui qui le reçoit […], mais qui détermine dans l’Église une situation structurelle, celle de
laïcs, qui ne saurait être ramenée à une autre ; charisme, par conséquent, qui configure la
façon d’exprimer l’être et la mission de l’Église dans le monde qui est le propre des fidèles
laïcs.57 »
Nous voyons par-là que l’absence de la mention des charismes dans la législation
canonique constitue un certain appauvrissement de l’enseignement conciliaire en la matière et
de la réalité même de l’Église, avec la place et la mission qui incombent à chaque fidèle. L’un
ou l’autre canoniste a pu regretter de ce fait que le Code n’aie pas mentionné un « droit à
l’exercice intégral des charismes personnels », distinct du droit à la spiritualité propre58.
Cependant ce canon protège aussi les manifestations légitimes de vie spirituelle que
l’Esprit suscite soit individuellement, soit par des phénomènes à caractère collectif. Tous les
fidèles ont le droit à ce que leurs charismes spécifiques soient respectés, protégés et
encouragés. Les dons charismatiques et les dons hiérarchiques procédant du même Esprit, il
revient à l’autorité de garantir l’authenticité des formes de vie spirituelle et d’exercer un
discernement prudent59. L’autorité tiendra compte des critères de qualité, de catholicité et de
fidélité au magistère60.
Ce droit au rite propre, nous l’avons dit, se rattache au droit à vivre une spiritualité
propre, qu’il nous faut examiner maintenant.
II – Le droit fondamental des fidèles à suivre leur spiritualité propre
Le deuxième droit envisagé par le canon soumis à notre examen est celui de la
spiritualité propre aux fidèles. Il s’enracine dans l’appel universel à la sainteté à laquelle tous
les fidèles sont également conviés par le baptême. Il se fonde en outre sur le principe de
variété mentionné précédemment, étant donné que la volonté du Christ s’exprime au long des
siècles par une pluralité de formes de vie chrétienne et de spiritualités, de charismes et de
chemins pour parvenir à la plénitude de la charité. Les fidèles, en effet, « se sanctifieront
davantage chaque jour dans leur condition, dans les devoirs de leur état ou les circonstances
56
P. Rodríguez, « La identidad teológica del laico », op. cit., p. 89.
P. Rodríguez, Ibid., p. 91-92.
58
Cf. P. J. Viladrich , « La declaración de derechos... », loc. cit., p. 145.
59
Le Code dispose que ce discernement doit être exercé par l’évêque avant d’approuver de nouvelles
associations (c. 301 CIC 83) et les nouvelles formes de vie consacrée (c. 605 CIC 83 ; c. 574 CCEO).
60
Cf. D. Le Tourneau, « Criterios de eclesialidad de los movimientos », dans Collectif, Iglesia universal e
Iglesias particulares. Actas del IX° Simposio Internacional de Teología de la Universidad de Navarra,
Pampelune, Servicio de Publicaciones de la Universidad de Navarra, 1989, p. 445-464.
57
de leur vie »61. La multiplicité de formes de spiritualité présentes dans l’Église répond donc à
la liberté dont les fidèles disposent dans l’Église et ce, par droit divin62. Nous présenterons
d’abord le droit à la spiritualité propre en tant que tel (A), pour établir ensuite ses liens avec
d’autres droits des christifideles (B).
A) Le droit à la spiritualité propre
La norme s’applique indirectement à la spiritualité sacerdotale, religieuse et laïque.
Mais à l’intérieur de ces trois grands groupes de spiritualité, il y a de la place pour de
nombreuses formes concrètes de spiritualité, qui toutes, sous le souffle de l’Esprit, contribuent
à la perfection de l’unité voulue par Jésus-Christ pour son Église63.
Que faut-il entendre par « vie spirituelle », « vie intérieure » ? C’est « la vie de l’âme
qui, sous l’action de la grâce, développe l’amitié avec Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, jusqu’à
parvenir à un état habituel de contemplation ou de vision face à face. Le sens de la filiation
divine en constitue un élément important »64. Il s’agit donc d’une « sphère absolument
personnelle et intime de la vie du fidèle, dans laquelle la liberté des enfants de Dieu65 doit
pouvoir s’expliquer dans toute sa plénitude »66. Mais la vie spirituelle est appelée à avoir des
manifestations extérieures, car le fidèle est membre de la communauté des croyants. C’est
pourquoi la liturgie est l’exercice de la fonction sacerdotale du Christ, dans « lequel la
sanctification de l’homme est signifiée par des signes sensibles et est réalisée d’une manière
propre à chacun d’eux, dans lequel le culte public intégral est exercé par le Corps mystique de
Jésus-Christ, c’est-à-dire par le Chef et par ses membres »67. Le baptisé doit accourir aux
moyens de sanctification de l’Église, exercer les charismes qu’il a reçus et mener à bien une
action apostolique de tous les instants. Tels sont les aspects que protège le droit à suivre sa
propre forme de vie spirituelle.
La vie de relations personnelles du laïc avec Dieu par le truchement des réalités de ce
monde permet de parler de spiritualité des laïcs. Cette « spiritualité des laïcs, dit le concile,
doit revêtir des caractéristiques particulières suivant les conditions de vie de chacun : vie
conjugale et familiale, célibat et veuvage, état de maladie, activité professionnelle et sociale.
Chacun doit donc développer sans cesse les qualités et les dons reçus »68. La vie spirituelle du
laïc est orientée, comme il se doit, à la plénitude de la vie chrétienne, à l’accomplissement de
la vocation commune à la sainteté, à partir des moyens que la spiritualité chrétienne propose :
Parole de Dieu, sacrements, prière, charité. Mais la mission des laïcs demande en outre qu’ils
reçoivent une formation poussée dans le domaine des vertus humaines, condition
indispensable pour faire « passer » le message chrétien dans des milieux bien souvent
déchristianisés69.
En soi, ce droit est en rapport très étroit avec l’obligation du canon 210 (c. 13 CCEO)
de rechercher activement la sainteté. Il découle aussi du devoir-droit fondamental du canon
213 (c. 16 CCEO) à recevoir l’aide des moyens spirituels, surtout de la Parole de Dieu et des
sacrements et à développer ainsi sa propre vie spirituelle70. Ces moyens permettent au fidèle
61
Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, n° 41/g.
D. Cenalmor, « sub c. 214 », ComEx, op. cit., p. 104.
63
Cf. concile Vatican II, décr. Unitatis redintegratio, n° 4/a.
64
D. Le Tourneau, « Vie intérieure », Les mots du christianisme. Catholicisme – Orthodoxie – Protestantisme,
Paris, Fayard, coll. Bibliothèque de culture religieuse, 2005, p. 651.
65
Cf. Rm 8, 21 ; concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, n° 9/b.
66
D. Cenalmor, « sub c. 214 », ComEx, op. cit., p. 105.
67
Catéchisme de l’Église catholique, n° 1070. Cf. D. Le Tourneau, La dimension juridique du sacré, op. cit.
68
Concile Vatican II, décr. Apostolicam Actuositatem, n° 4/g. Les nos 34 et 35 de la const. ap. Lumen gentium
n’utilisent pas l’expression, mais s’y réfèrent clairement. Cf. J. L. Illanes, La sanctification du travail, Paris, Le
Laurier, 2e éd., 1985, p. 13-21.
69
Rappelons le texte bien connu de Lumen Gentium (n° 31/b) : « Dans les conditions ordinaires de la vie
familiale et sociale [... les laïcs] sont appelés par Dieu pour travailler comme du dedans [velut ab intra] à la
sanctification du monde à la façon d’un ferment [fermentum instar]. » Cf. saint Josémaria, « Vertus humaines »,
dans Amis de Dieu, 3e éd., Paris, Le Laurier, 2000, nos 73-93.
70
Cf. E. Molano, « El derecho de los laicos a seguir… », loc. cit., p. 515-530.
62
d’apporter une réponse tout à fait personnelle à l’appel de Dieu à la sainteté. Les sources
indiquées pour ce canon sont les documents déjà mentionnés pour le droit au rite propre, à
savoir la constitution Sacrosanctum Concilium, numéro 4, et le décret Orientalium
Ecclesiarum, numéros 2, 3 et 5. En réalité, comme pour d’autres canons sur les droits et les
devoirs fondamentaux, nous pourrions en ajouter d’autres. C’est ainsi que le texte suivant de
la constitution Lumen gentium sert de fondement au droit à la spiritualité propre : « Dans les
formes diverses de vie et les charges différentes c’est une seule sainteté que cultivent tous
ceux que conduit l’Esprit de Dieu [… ]. Ainsi donc tous ceux qui croient au Christ iront en se
sanctifiant toujours plus dans les conditions, les charges et les circonstances qui sont celles de
leur vie et grâce à elles.71 » Le concile se fait ainsi l’écho de l’exosrtation du Livre de
l’Apocalypse (21, 11) : « Que le juste continue à pratiquer la justice, et le saint à se
sanctifier ». Cette diversité de formes de vie et de charges pour parvenir à l’unique sainteté
requiert une variété de spiritualités permettant à chaque fidèle de l’atteindre au mieux dans les
circonstances qui sont les siennes et selon son statut juridique propre dans l’Église. Pour ce
faire, les fidèles ont d’abord le droit à recevoir en abondance les secours des moyens
surnaturels de la Parole de Dieu et des sacrements72. Ils ont ensuite le droit à ce que la
possibilité effective leur soit reconnue de choisir et de suivre la spiritualité qui leur permette
de répondre pleinement à leur vocation spécifique dans l’Église (et dans le monde),
individuellement ou associés avec d’autres, ce qui implique également le droit fondamental
d’association (c. 215 CIC ; c. 18 CCEO).
Il appartient à la hiérarchie de formuler un jugement de conformité « entre l’appel
universel à la sainteté, contenu dans l’Évangile, et les formes de spiritualité que les fidèles
désireront vivre personnellement ou associés »73 - devoir qui est un droit des fidèles, lesquels
ont également le droit à ce que la hiérarchie accorde l’un ou l’autre degré de reconnaissance
prévus par le code aux associations qui mériteront ce jugement de conformité (cf. c. 298 § 1).
Ce droit à la spiritualité propre ne serait pas respecté si, « par exemple, on ne
reconnaissait pas que le laïc peut vivre lui aussi avec plénitude sa vocation chrétienne, en
suivant, dans son propre état, les commandements et les conseils du Maître ; ou si les règles
disciplinaires, qui doivent régir la vie sacramentelle et liturgique de la communauté
chrétienne, ne tenaient pas compte des circonstances sociologiques propres à la vie des fidèles
dans la société civile (horaires, déplacements dus au travail professionnel, temps libre, etc.) ;
ou encore si les formes de prédication de la parole divine ne s’appliquaient pas aux situations
réelles et aux besoins spirituels des laïcs74 »75.
Il se peut toutefois que les priorités pastorales d’une paroisse ne permettent pas de
dégager suffisamment l’un ou l’autre clerc pour satisfaire les besoins spécifiques d’un groupe
de fidèles. Il n’y a alors pas de refus de respecter leur droit à la spiritualité propre. Le curé
pourra, par exemple, leur conseiller de développer des exercices de piété qui ne requièrent pas
la présence d’un prêtre76. Mais, dans la mesure où le bon ordre est observé et où rien ne
s’oppose à l’enseignement de l’Église, les fidèles ont le droit de développer les mouvements
spirituels de leur choix et d’y participer. Il serait « contraire au droit garanti par ce canon
d’interdire une forme donnée de spiritualité ou d’exiger que seules certaines formes de
spiritualité soient observées par les gens d’une localité déterminée. La liberté religieuse77
s’applique dans l’Église aussi bien que dans la société, et nous avons là son application la plus
visible »78.
71
Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, n° 41.
Cf. c. 213 CIC ; c. 16 CCEO ; D. Le Tourneau, « Le droit aux biens spirituels (c. 213) », Homenaje al profesor
Rafael Navarro Valls, à paraître.
73
A. del Portillo, Fidèles et laïcs dans l’Église. Fondement de leurs statuts juridiques respectifs, Montréal,
Wilson & Lafleur, 2e éd. française, 2012, p. 91.
74
Cf. concile Vatican II, décr. Presbyterorum Ordinis, n° 4.
75
A. del Portillo, Fidèles et laïcs dans l’Église, op. cit., p. 90.
76
Cf. J. H. Provost, sub c. 214, loc. cit., p. 149.
77
Cf. D. Le Tourneau, Droits et devoirs fondamentaux, op. cit., nos 223-229, p. 305-318.
78
Cf. J. H. Provost, sub c. 214, loc. cit., p. 149.
72
Alors que le canon 214 porte explicitement sur tous les fidèles du Christ, il va de soi,
mais il est utile de le souligner, que les fidèles laïcs ont, eux aussi, le droit de suivre une
spiritualité propre, avec les nuances que revêt la spiritualité chrétienne chez eux. La
spiritualité laïque n’est autre « que la manifestation spirituelle des charismes du fidèle
théologiquement séculier »79. Cependant, elle ne s’applique pas nécessairement à tous les
laïcs et elle est compatible avec l’existence de nombreuses spiritualités qui mettent l’accent
sur l’un ou l’autre aspect de la spiritualité laïque envisagée en général. Il faut distinguer, en
effet, entre spiritualité laïque et spiritualités que les laïcs peuvent suivre, et dans lesquelles
l’aspect proprement laïc peut être quelque peu marginalisée. C’est le cas, par exemple, des
tiers-ordres (c. 303), dont les membres vivent dans le monde mais participent à l’esprit d’un
institut religieux ; ou encore des associations de fidèles unies à un institut de vie consacrée80.
Le canon 224 (c. 400 CCEO) reconnaît aux fidèles laïcs ce droit général de tout
christifidelis. Y fait pendant le devoir des laïcs d’exercer leur charisme propre en vue de
réaliser leur vocation et leur mission dans l’Église et dans le monde81.
Le droit à la spiritualité propre se traduit par le respect des diverses sensibilités qui
existent légitimement dans l’Église. C’est ainsi que le motu proprio Summorum Pontificum82
de Benoît XVI et l’instruction Universæ Ecclesiæ83 publiée par la commission pontificale
Ecclesia Dei prennent des dispositions pour l’utilisation du Missale Romanum de 1962 ainsi
que les rites liturgiques préconciliaires pour l’administration des sacrements de baptême, de
confirmation, de mariage, de la pénitence et de l’onction des malades. Une distinction est
établie au sein de l’unique rite romain entre sa forme ordinaire, c’est-à-dire celle qui résulte
de la réforme liturgique entreprise par le concile Vatican II, et sa forme extraordinaire, qui lui
est antérieure. Il est clairement établi que, « dans les paroisses où il existe un groupe stable de
fidèles attachés à la tradition liturgique antérieure, le curé accueillera volontiers leur demande
de célébrer la Messe selon le rite du Missel romain édité en 1962 »84. Il est ajouté que si ce
groupe de fidèles « n’obtient pas du curé ce qu’ils lui ont demandé, ils en informeront
l’Évêque diocésain. L’évêque est instamment prié d’exaucer leur désir. S’il ne peut pas
pourvoir à cette forme de célébration, il en sera référé à la Commission pontificale Ecclesia
Dei »85.
Le canon indique les limites qui encadrent l’exercice de ce droit. Il faut, en effet, que
la forme de vie spirituelle suivie « soit toutefois conforme à la doctrine de l’Église »86. C’est
une exigence logique, qui découle du devoir fondamental de la communion ecclésiale (c. 209
CIC ; c. 12 CCEO). Il revient à l’autorité compétente de se prononcer sur cette conformité.
Par exemple, le droit à la spiritualité propre ne s’applique pas « dans le cas d’ultramontanisme
exagéré, de piété mariale déplacée, et ainsi de suite. Ces éléments sont assez souvent des
éléments de for externe et doivent donc être corrigés »87. L’autorité règlera aussi l’exercice de
ce droit compte tenu du bien commun de l’Église, ce que réclame le canon 22388 (c. 26
CCEO).
79
J. I. Arrieta, « Formation et spiritualité des laïcs », L’Année Canonique 29 (1985-1986), p. 179.
Cf. c. 311 et 677 § 2 CIC 83 (sans équivalent dans le CCEO).
81
Cf. E. Molano, « El derecho de los laicos a seguir… », loc. cit., p. 520.
82
Benoît XVI, lettre ap. m.p. sur l’usage des formes liturgiques préconciliaires Summorum Pontificum, 7 juillet
2007, A.A.S. 99 (2007), p. 777-781.
83
Commission pontificale Ecclesia Dei, instr. Universæ Ecclesiæ Sur l’application de Summorum Pontificum, 30
avril 2011.
84
Commission pontificale Ecclesia Dei, Ibid., art. 5 § 1.
85
Ibid., art. 7. Cf. Ch. J. Glendinning, « Universæ Ecclesiæ: Text and Commentary », Studia Canonica 45
(2011), p. 355-409.
86
Cf. Congr. pour la doctrine de la foi, instr. sur les prières pour obtenir de Dieu la guérison, 23 novembre 2010,
Notitiae 37 (2001), p. 20-65.
87
F. G. Morrisey, o.m.i., « La formation des séminaristes et le respect de la personne », Studia Canonica 22
(1988), p. 23.
88
Mais cette norme est jugée par nombre de canonistes comme « frileuse » et restreignant indûment les droits
reconnus aux fidèles. Cf., par ex., G. Lo Castro, « Condizione del fedele e concettualizzazione giuridica », Ius
Ecclesiae 3 (1991), p. 23-24.
80
B) Les rapports du droit à la spiritualité propre avec d’autres droits
Si, de fait, cette norme suppose la mise en pratique d’autres normes canoniques, il ne
faut pas perdre de vue leur caractère unitaire, à savoir qu’elle forme un ensemble de
dispositions qui, de ce fait, sont de nature fondamentale et qu’elles constituent un critère
herméneutique pour l’interprétation du droit canonique en son entier89.
Le canon 214 porte sur la vie spirituelle des fidèles en général, droit qui est appliqué
au cas des laïcs en particulier par le canon 224 (c. 400 CCEO). Nous pouvons y voir un
rapport direct avec le droit à la liberté religieuse au sein de l’Église, tel qu’il a été codifié par
le législateur au canon 227 (c. 402 CCEO). De fait, les rédacteurs du projet de Lex Ecclesiæ
Fundamentalis ont donné pour fondements à ce droit du canon 21490 et le n° 2 de la
constitution Gaudium et spes parlant du respect de la dignité de la personne humaine et le n° 2
de la déclaration Dignitatis humanæ91.
Le droit du canon 214 est bien évidemment, et en tout premier lieu, en lien avec le
droit à recevoir des pasteurs sacrés l’aide des biens spirituels de l’Église, principalement, mais
non exclusivement, de la Parole de Dieu et des sacrements (c. 213 CIC ; c. 16 CCEO). C’en
est une exigence immédiate et indispensable, qui impose aux pasteurs le devoir de les fournir
abondamment aux fidèles qui les leur demandent opportunément et avec les dispositions
requises92. C’est dire, par exemple, que la prédication de la Parole de Dieu devra être adaptée
à la réalité et aux besoins des auditeurs, ce que rappelle le canon 769 (c. 626 CCEO). Le droit
du canon 214 est aussi en rapport avec le devoir de « s’efforcer de mener une vie sainte »
selon sa condition propre (c. 210 CIC ; c. 13 CCEO), dont il est une conséquence ; avec le
devoir-droit à l’éducation chrétienne (c. 217 CIC ; c. 20 CCEO) ; avec le droit au libre choix
de l’état de vie, état de vie qui peut être déterminé par cette spiritualité propre (c. 219 CIC ; c.
22 CCEO) ; avec le devoir et le droit d’œuvrer, individuellement ou associé, pour que le
message de salut touche tous les hommes (c. 225 § 1 CIC ; c. 406 CCEO) ; avec le devoir
« d’imprégner d’esprit évangélique et de parfaire l’ordre temporel » (c. 225 § 2 CIC ; c. 401
CCEO) ; avec l’obligation et le droit de recevoir une formation chrétienne appropriée (c. 229
§ 1 CIC ; c. 404 § 1 CCEO), y compris dans les universités et facultés ecclésiastiques (c. 229
§ 2 CIC ; c. 404 § 2 CCEO), ce qui peut être également une exigence de la spiritualité propre
à une forme déterminée d’apostolat. Ces deux derniers droits sont nécessaires « pour
développer sa propre forme de vie spirituelle et son propre style apostolique »93.
Le droit à la spiritualité propre suppose d’abord l’absence de coercition dans ses
manifestations extérieures et le respect de la liberté des consciences. Nul, fût-il évêque, fût-il
directeur de séminaire, ne peut imposer à ses sujets de suivre une forme déterminée de
spiritualité et les enrôler de force sous sa propre bannière. Nulle autorité, nul fidèle ne peut
non plus faire obstacle à la liberté des fidèles de suivre leur spiritualité : bien au contraire, se
réjouissant de ce que Spiritus ubi vult spirat, « l’Esprit souffle où il veut » (Jean 3, 8) et de ce
que « dans la maison de mon Père il y a beaucoup de demeures » (Jean 14, 2), ils doivent
favoriser au maximum cette liberté qui est une véritable richesse dans l’Église. Comme le
concile l’a proclamé, cette « liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits
à toute contrainte de la part soit des individus, soit des groupes sociaux et de quelque pouvoir
humain que ce soit, de telle sorte qu'en matière religieuse nul ne soit forcé d'agir contre sa
conscience, ni empêché d'agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en
89
Cf. D. Le Tourneau, Droits et devoirs fondamentaux, op. cit., n° 6, p. 8-10 et la bibliograhie citée.
Cf. D. Cenalmor, « sub c. 214 », ComEx, op. cit., p. 104.
91
Concile Vatican II, décl. Dignitatis humanæ, n° 2/a : la liberté religieuse « consiste en ce que tous les hommes
doivent être soustraits à toute contrainte de la part soit des individus, soit des groupes sociaux et de quelque
pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience,
ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à
d’autres ».
92
Cf. D. Le Tourneau, Droits et devoirs fondamentaux, op. cit., n° 124, p. 173-174.
93
D. Cenalmor, « sub c. 214 », ComEx, vol. II/1, p. 107.
90
public, seul ou associé à d'autres »94. De par sa nature même, cette matière échappe au
pouvoir de toute autorité humaine.
C’est ici que le lien entre le droit à la spiritualité propre et le droit à rendre un culte à
Dieu selon son rite propre est le plus évident. La seule limite à cette non-ingérence, d’ailleurs
prévue par la norme, est, nous l’avons dit, que la spiritualité en question « soit toutefois
conforme à la doctrine de l’Église ». Mais aucun pasteur ne peut imposer à ses fidèles une
spiritualité déterminée95. L’immunité de coercition présuppose également le droit à pouvoir
acquérir une spiritualité spécifique et nécessairement aussi le « droit à utiliser les moyens
appropriés pour la conserver »96. Mais la requête des moyens de sainteté dont ils ont besoin ne
doit pas conduire les fidèles à demander l’impossible aux ministres, qui ne seront pas
forcément toujours en mesure de satisfaire l’ensemble de leurs demandes.
Ce droit à la spiritualité propre ne concerne pas qu’un groupe restreint de fidèles et ne
constitue pas uniquement un droit légitime que certains fidèles peuvent exercer. C’est une
nécessité pastorale « absolue et impérative que l’Église doit affronter institutionnellement »97.
Ce droit « serait en pratique vidé de son contenu s’il n’était compris que comme une faculté
de pratiquer les dévotions que chaque fidèle estime les plus opportunes. C’est pourquoi j’ai
affirmé qu’il est inséparable du droit aux moyens de sanctification, dont la distribution est
confiée à la hiérarchie »98.
La reconnaissance du droit à pratiquer une forme de vie spirituelle propre s’applique
en réalité sur deux plans distincts, qu’il n’est pas toujours facile de distinguer. Il s’agit, certes,
des manifestations de l’Esprit, auxquelles l’on songe peut-être d’entrée de jeu à propos du
droit à la spiritualité propre, mais aussi des manifestations de la spiritualité laïque dans la vie
ordinaire. Or, les manifestations de l’Esprit réclament un discernement qu’il revient à la
hiérarchie d’effectuer, selon le canon 223 (c. 26 CCEO), tandis que les manifestations de la
spiritualité laïque sont une exigence pastorale de la constitution de l’Église99.
Nous devons préciser en outre que les manifestations de la spiritualité particulière
suscitée par les charismes peuvent fort bien être individuelles : c’est même le cas habituel.
Cela signifie que le canon 214 protège le droit subjectif à la spiritualité propre de tout fidèle,
et pas uniquement des groupes de fidèles ou des associations de fidèles afin de s’aider
mutuellement dans la vie spirituelle et l’évangélisation.
En outre, le canon 212 § 2 (c. 15 § 2 CCEO) codifie un droit fondamental de pétition à
l’endroit de tous les fidèles100. En vertu de cette norme, les fidèles sont invités à exposer aux
pasteurs leurs besoins, notamment spirituels, et à réclamer de la sorte que les dispositions
visant à assurer leur soin pastoral soient mises effectivement en œuvre : prêtre député à cet
effet, constitution éventuelle d’une paroisse rituelle101 ou la nomination d’un vicaire
épiscopal102, etc.
94
Concile Vatican II, décl. Dignitatis humanæ n° 2/a.
Nous avons vu, en France, tel évêque imposer à ses séminaristes d’appartenir à une association précise, à
l’exclusion de toute autre.
96
J. I. Arrieta, « Formation et spiritualité des laïcs », L’Année Canonique 29 (1985-1986), p. 177.
97
J. I. Arrieta, Ibid., p. 178-179.
98
A. del Portillo, « Los derechos de los fieles », Ius Canonicum 11 (1971), p. 87.
99
Cf. Arrieta, « Formation et spiritualité des laïcs », loc. cit., p. 180.
100
Cf. D. Le Tourneau, Droits et devoirs fondamentaux, op. cit., nos 100-103, p. 148-152.
101
Cf. c. 518 CIC 83 ; c. 280 § 1 CCEO. Plusieurs diocèses de France se sont pourvu d’une paroisse personnelle
pour les fidèles qui désirent suivre la forme extraordinaire du rite liturgique romain. Cf. P. V. Aimone, « Paroisse
territoriale et paroisse personnelle : une contribution historique sur la paroisse et une analyse sur la situation
juridique des paroisses canoniques en Suisse », Territorialità e personalità. Il diritto canonico di fronte al terzo
millennio. Atti dell’XI Congresso Internazionale di Diritto Canonico e del XV Congresso Internazionale della
Società per il Diritto delle Chiese Orientali, Budapest, 2-7 Settembre 2001, a cura di P. Erdö-P. Szabó, 2001,
Budapest, Szent István Társulat, 2002, p. 573-591.
102
Cf. A. Pérez Díez, Los Vicarios generales y episcopales en el Derecho canónico actual, Rome, Pontificia
Università Gregoriana, 1996; V. De Paolis, « De vicario episcopali secundum decretum Conc. Œecum. Vatic. II
‘Christus Dominus’ », Periodica 56 (1967), p. 309-330 ; W. Bassett, « The Office of Episcopal Vicar », The
Jurist 30 (1970), p. 285-313 ; A. Gutiérrez Poza, « Vicarius episcopalis pro religiosis », Commentarium pro
religiosis 60 (1979), p. 105-117 ; A. E. Verbrugghe, O. Carm., « The Figure of the Episcopal Vicar for Religious
in the New Code of Canon Law », Le Nouveau Code de droit canonique. Actes du Ve Congrès international de
95
D’un point de vue plus positif, le droit à la spiritualité propre demande de la part de
l’autorité ecclésiastique de recourir aux moyens de pastorale commune et spécialisée,
suggérés par le Concile et repris par la codification actuelle. C’est le cas de l’attention de
groupes de fidèles par le biais d’églises rectorales et d’aumôneries103, la création de prélatures
personnelles104 et d’autres structures juridictionnelles pour mener à bien des tâches pastorales
déterminées, etc.105 C’est précisément par le truchement de ces outils pastoraux qu’il sera
possible « d’offrir aux laïcs les moyens nécessaires à leur formation »106.
Bien souvent, le fidèle ne pourra suivre le chemin de la sainteté qu’en s’unissant à
d’autres fidèles. Le droit d’association et de réunion du canon 215 (c. 18 CCEO) le conforte
sur cette voie. Il s’agit aussi d’un droit fondamental de tout fidèle107.
« Toute spiritualité solide comporte un mode d’action apostolique qui en est
inséparable »108. Le droit à la spiritualité propre entraîne donc le droit à l’apostolat personnel
sous toutes ses formes109 et le droit à ne pas être contraint de participer à des activités
apostoliques qui mettraient sa spiritualité à mal, parce qu’elles iraient à l’encontre de certaines
de ses caractéristiques spécifiques, non négociables pourrions-nous dire en vue du bien
commun de l’Église, bien commun qui exige que unusquisque, in qua vocatione vocatus est,
in ea permaneat (1 Co 7, 20), chacun reste à la place que Dieu lui a assignée dans l’Église.
La protection et la garantie de ce droit fondamental se retrouvent dans les obligations
faites aux titulaires d’offices ayant charge d’âmes. C’est le cas des devoirs de l’évêque
diocésain, aux canons 383 et 387 (c. 192 et 197 CCEO) et de ceux du curé, aux canons 528 et
529 (c. 289 CCEO). D’autres préceptes imposent à ceux qui ont charge d’âmes d’assurer les
moyens de salut permettant d’alimenter la vie spirituelle de leurs fidèles. Voir en ce sens les
canons 912 et 918 (c. 713 § 1 CCEO) à propos de l’accès à la communion, et les canons 980
et 991 sur l’absolution sacramentelle ; les canons 239 § 2 (c. 339 § 1 CCEO) et 246 § 4 (c.
346 § 2, 4° CCEO) sur la liberté des séminaristes quant au choix de leur directeur spirituel,
240 § 1 (c. 339 § 2 CCEO). En effet, le codificateur a expressément précisé le droit des
séminaristes de s’adresser à tout confesseur de leur choix ; au séminaire ou en dehors110. Ils
ont bien évidemment le droit à recevoir toutes les aides et tous les moyens éducatifs
nécessaires111, ce qui est une devoir et une responsabilité des formateurs du séminaire.
D’autres garanties de ce droit se trouvent aussi dans les normes sur la décision de l’admission
des séminaristes aux ordres qui exclut de demander l’avis du directeur spirituel et du
droit canonique, organisé par l’Université Saint-Paul et tenu à l’Université d’Ottawa du 19 au 25 août 1984,
publiés sous la dir. de M. Thériault et de J. Thorn, 1986, vol II , p. 705-742 ; A. Viana, « Las relaciones jurídicas
entre el vicario general y los vicarions episcopales », Revista Española de Derecho Canónico 45 (1988), p. 251260) ; H. Franceschi, « A proposito della nomina di un vicario episcopale personale al di fuori del proprio
territorio del Vescovo diocesano », Ius Ecclesiae 9 (1996), p. 384ss.
103
Cf. c. 566 (chapelains de malades, prisonniers et navigants sur bateaux), 568 (aumôniers de migrants, exilés,
réfugiés, nomades, navigateurs), 569 (aumôniers militaires), 570 (chapelain d’une église paroissiale annexée au
siège d’une communauté), etc. Cf. J.-M. Swerry, « Le chapelain depuis l’entrée en vigueur des Codes de 1983 et
1990 », L’Année Canonique 38 (1995-1996), p. 161-167.
104
Cf. c. 294-297 CIC 83. Cf. G. Lo Castro, Les prélatures personnelles. Aperçus juridiques, Beauvechain-Paris,
Nauwelaerts-Frison-Roche, 1993 ; Le prelature personali nella normativa e nella vita della Chiesa, a cura di S.
Gherro, Padoue, CEDAM, 2002 ; D. Le Tourneau, « Les prélatures personnelles dans la pastorale de Vatican II »,
L'Année Canonique 28 (1984), p. 197-219.
105
Cf. E. Molano, « El derecho de los laicos a seguir… », loc. cit., p. 527-530. Aucune de ces normes ne figure
dans le CCEO.
106
J. I. Arrieta, « Consideraciones en torno a la dimensión canónica de la formación de los laicos », dans
Collectif, Studi in memoria di Mario Condorelli, vol. I, tome I, p. 67.
107
Cf. L. Navarro, Diritto di associazione e associazioni di fedeli, Milan, Giuffrè Editore, 1991 ; D. Le
Tourneau, Droits et devoirs fondamentaux, op. cit., nos 137-141, p. 190-198 ; « Les associations de fidèles »,
dossier, L’Année Canonique 52 (2010), p. 237-299..
108
D. Cenalmor, « sub c. 214 », ComEx, vol. II/1, p. 106.
109
Cf. c. 211, 215, 216, 225, etc. CIC 83; c. 14, 18, 19, 406, 401, etc. CCEO.
110
C. 240 § 1 CIC ; c. 339 § 2 CCEO ; cf. T. Rincón-Pérez, « Libertad del seminarista para eligir el “moderador”
de su vida espiritual », Ius Canonicum 28 (1988), p. 451-488.
111
Cf. Congr. pour la doctrine de la foi, lettre Per litteras ad universos,14 octobre 1980, n° 5, A.A.S. 72 (1980),
p. 1130.
confesseur, et 630112 sur la liberté des membres des instituts religieux quant au recours au
sacrement de pénitence et à la direction spirituelle, sans préjudice de la discipline de leur
institut, et l’interdiction faite aux supérieurs d’induire leurs membres de quelque manière que
ce soit à leur faire l’ouverture de leur conscience.
Depuis Vatican II, les offices ecclésiastiques sont conçus comme des services et non
plus comme des situations de puissance113. Après avoir précisé cette dimension de service, les
Pères conciliaires ajoutent que « cette charge [...] confiée par le Seigneur aux pasteurs de son
peuple, est un véritable service : dans la Sainte Écriture, il est appelé expressément diakonia
ou ministère »114. C’est un des éléments qui « caractérisent l’image réelle et authentique de
l’Église »115. Comme l’affirmait saint Augustin, « vobis enim episcopus, vobiscum
christianum »116. Cela doit conduire leurs détenteurs à respecter au maximum « la liberté de
tous les fidèles à l’heure du choix des moyens de sanctification, d’apostolat et de formation
dans l’Église »117.
Pour connaître les limites des droits énoncés dans ce canon 214, il est utile de recourir
au dispositif du canon 223 sur le caractère général des limites à l’exercice des droits
subjectifs. Ces limites se trouvent dans le respect du droit commun et des droits d’autrui.
C’est ce que ce canon entend exprimer par la formule « conforme à la doctrine de l’Église ».
Ici aussi, il faut renvoyer aux normes générales, concrètement celles du canon 221 sur la
protection des droits. En outre, l’action évangélisatrice doit respecter la personnalité de
l’autre. Quand un fidèle catholique « entre en contact avec un chrétien non catholique, le
prosélytisme consiste à essayer, comme expression d’une amitié sincère, à l’aider à franchir
éventuellement le pas et enrer dans l’Église catholique, en respectant pleinement son intimité
et sa liberté, non seulement n’est pas à réprouver, mais est une manifestation de charité
authentique. Dans sa réalité théologique profonde, celui qui fait ce pas ne « change pas d’une
Église à une autre », mais s’incorpore pleinement à l’Église à laquelle il était imparfaitement
uni »118.
*
*
*
Comme tout droit, le droit fondamental sanctionné au canon 214 peut être revendiqué
(cf. c. 221 § 2 CIC ; c. 24 § 2 CCEO), dans un contexte de communion ecclésiale (c. 209
CIC ; c. 12 CCEO), que tout fidèle doit respecter. Les droits des fidèles ne sauraient être
brandis comme autant de revendications face à l’autorité ecclésiale119, d’autant que toute
action intentée pour les protéger peut l’être à l’encontre de n’importe quel fidèle. Il est vrai
que le code cherche à dissuader autant que faire se peut de résoudre les conflits par la voie
judiciaire. La solution des conflits dans l’Église, vu le caractère surnaturel de celle-ci, doit
viser avant tout à restaurer la communion blessée par le délit, et à rendre plus efficace la
112
Cf. C. 473 § 2, 2°, 474 § 2, 475 § 1-2, 538 § 3, 539 § 1 CCEO.
Cf. D. Le Tourneau, Manuel de droit canonique, Montréal, Wilson & Lafleur, coll. Gratianus, 2011, n° 20, p.
27-28. Cf. V. Gómez-Iglesias, « Acerca de la autoridad como servicio en la Iglesia », Pontificium Consilium de
legum textibus interpretandis, Ius in vita et in missione Ecclesiæ. Acta Symposii internationalis iuris canonici
occurente X anniversario promulgationis Codicis iuris canonici diebus 19-24 aprilis 1993 in Civitate Vaticana
celebrati, Cité du Vatican, Librairie Éditrice Vaticane, 1994, p. 193-229.
114
Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, n° 24/a.
115
Jean-Paul II, const. ap. Sacræ disciplinæ leges (CB, p. 10 et 11).
116
Ubi me terret quod vobis sum, ibi me consolatur quod vobiscum sum. Vobis enim episcopus, vobiscum
christianus. Illud est nomen officii, hoc gratiæ; illud periculi est, hoc salutis, « quand je me remplis de crainte en
pensant à ce que je suis pour vous, ce que je suis avec vous me remplit de consolation. Car pour vous je suis
l’évêque, avec vous je suis un chrétien ; celui-là est le nom de mon office, celui-ci de la grâce ; celui-là est ma
responsabilité, celui-ci est mon salut » (st Augustin, Sermon 340, 1).
117
E. Molano, « El derecho de los laicos a seguir… », loc. cit., p. 527.
118
F. Ocariz, « Evangelización, proselitismo y ecumenismo », Scripta Theologica 38 (2006), p. 636.
119
C’est toutefois un argument utilisé par certains pour refuser la qualification de « fondamentaux » aux devoirs
et aux droits : cf. R. Castillo Lara, « Some General Reflections on the Rights and Duties of the Christian
Faithful », Studia Canonica 20 (1986), p. 15-17.
113
collaboration nécessaire entre les membres du Corps mystique du Christ et, « en même temps,
à solliciter la réalisation fructueuse de la vocation spécifique de chacun des fidèles », ainsi
qu’à « mettre en valeur les biens spirituels qui ont une importance particulière à la lumière de
la foi »120. Il a été affirmé dans le même sens que « revendiquer ses droits peut constituer une
exigence de justice, mais ce n’est pas un élément essentiel de la conduite chrétienne. La
prudence, la patience et surtout la charité peuvent faire préférer, d’un point de vue chrétien, de
subir un tort plutôt que de défendre un droit »121.
Le supérieur compétent est tenu de donner suite à toute requête légitime, à moins qu’il
ne juge que des exigences supérieures du bien commun (c. 223 § 2 CIC ; c. 26 § 2 CCEO) ne
le lui permettent pas, ce dont il s’expliquera au requérant. Il est important que chacun respecte
les droits d’autrui, spécialement ceux des minorités, qui sont moins à même de faire valoir
leur droit et de faire entendre leur voix122. Et, afin d’éloigner tout risque de « latinisation » des
fidèles orientaux, le législateur du code oriental a tenu à apporter une garantie à ceux-ci en
établissant que « celui qui, inscrit à n’importe quelle Église de droit propre, aussi à l’Église
latine, et exerçant un office, un ministère ou une autre charge dans l’Église, a osé inciter –
inducere præsumpsit – de quelque manière que ce soit un fidèle quelconque à passer à une
autre Église de droit propre contre le canon 31123, sera puni d’une peine adéquate » (c. 1465).
L’on a pu dire que, en définitive, « dans bien des cas, respecter cet exercice de la
liberté revient tout simplement à respecter la conscience des personnes »124. Le concile
souligne à cet égard que « c'est un des points principaux de la doctrine catholique, contenu
dans la parole de Dieu et constamment enseigné par les Pères125, que la réponse de foi donnée
par l'homme à Dieu doit être volontaire ; en conséquence, personne ne doit être contraint à
embrasser la foi malgré soi126. Par sa nature même, en effet, l'acte de foi a un caractère
volontaire puisque l'homme, racheté par le Christ Sauveur et appelé (cf. Ep 1, 5) par JésusChrist à l'adoption filiale, ne peut adhérer à Dieu qui se révèle, que si, attiré par le Père (cf. Jn
6, 44), il fait à Dieu l'hommage raisonnable et libre de sa foi. Il est donc pleinement conforme
au caractère propre de la foi qu'en matière religieuse soit exclue toute espèce de contrainte de
la part des hommes »127. Partant, tout régime de liberté religieuse doit contribuer « à favoriser
un état de choses dans lequel l'homme peut être sans entrave invité à la foi chrétienne,
l'embrasser de son plein gré et la confesser avec ferveur par toute sa vie »128. Tel doit être le
cas, de façon exemplaire, dans la société ecclésiale.
Dominique Le Tourneau
120
Z. Grocholewski, « La tutela dei diritti dei fedeli e le composizioni stragiudiziali delle controversie »,
Quaderni di Diritto Ecclesiale 8 (1995), p. 283.
121
R. Castillo Lara, « La difesa dei diritti nell’ordinamento canonico », Il Diritto alla Difesa nell’Ordinamento
Canonico, Cité du Vatican, Librairie Éditrice Vaticane, Studi giuridici 18, 1988, p. XVII.
122
Cf. M. Brogi, « Il diritto all’osservanza del propiro rito (CIC can. 214) », loc. cit., p. 117.
123
Cette norme précise que « personne n’osera induire d’aucune manière un fidèle chrétien à passer à une autre
Église de droit propre ».
124
J. I. Arrieta, « Libertà fondamentali e libertà fondamentale. Considerazioni attorno alla diversa posizione dei
fedeli nella partecipazione alla missione della Chiesa », I diritti fondamentali del fedele. A venti anni dalla
promulgazione del Codice, Cité du Vatican, Librairie Éditrice Vaticane, Studi giuridici 64, 2004, p. 202.
125
Cf. Lactance, Divinarum Institutionum, Lib. V, 19, CSEL 19, p. 463-464, 465, PL 6, 614 et 616 (cap. 20) ; S.
Ambroise, Epistola ad Valentianum Imp., Ep. 21: PL 16, 1005; St Augustin, Contra litteras Petiliani, Lib. II,
cap. 83, CSEL 52, p. 112 ; PL 43, 315 ; cf. C. 23, q. 5, c. 33 (ed. Friedberg, col. 939) ; ID., Ep. 23, PL 33, 98;
ID., Ep. 34, PL 33, 132 ; ID., Ep. 35, PL 33, 135 ; St Grégoire le Grand, Epistola ad Virgilium et Theodorum
Episcopos Massiliæ Galliarum, Registrum Epistolarum, I, 45, MGH Ep. 1, p. 72 ; PL 77, 510-511 (lib. I, ep.
47) ; ID., Epistola ad Iohannem Episcopum Constantinopolitanum, Registrum Epistolarum, III, 52, MGH Ep. 1,
p. 210 ; PL 77, 649 (lib. III, ep. 53) ; cf. D. 45, C. 1 (ed. Friedberg, col. 160) ; Conc. Tolet. IV, c. 57, Mansi 10,
633 ; cf. D. 45, c. 5 (ed. Friedberg, col. 161-162) ; Clément III, X., V, 6, 9 (ed. Friedberg, col. 774) ; Innocent III,
Epistola ad Arelatensem Archiepiscopum, X., III, 42, 3 (ed. Friedberg, col. 646).
126
Cf. c. 1351 CIC 17 ; Pie XII, « Allocutio ad Prælatos auditores caeterosque officiales et administros
Tribunalis S. Romanæ Rotæ », 6 octobre 1946, A.A.S. 38 (1946), p. 394 ; ID., encycl. Mystici Corporis, 29 juin
1943, A.A.S. (1943), p. 243.
127
Concile Vatican II, décl. Dignitatis humanæ, n° 10.
128
Concile Vatican II, Ibid.
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