96 Analyses et comptes rendus
Revue philosophique, n° 1/2015, p. 95 à p. 140
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d’objets, naturels ou immatériels (par exemple, le bien), qui existeraient indé-
pendamment. « Ni Platon (ou Moore) ni Rorty », tel pourrait être le slogan
de « l’objectivité sans objets » défendue par Putnam, même s’il ne s’étend
pas sur la justification directe d’une telle position en éthique, ce qu’il a fait
ailleurs (notamment dans Fait/Valeur : la fin d’un dogme, et autres essais,
Paris, Éd. de l’Éclat, 2004). L’essentiel de la première partie, qui donne son
titre au livre, consiste en effet à développer une position similaire en philo-
sophie de la logique et des mathématiques, dont il pense pouvoir transposer
les résultats en éthique. S’inspirant essentiellement de l’anti-platonisme de
Wittgenstein, Putnam avance divers arguments (la relativité conceptuelle,
le pluralisme conceptuel, la pluralité des usages de « exister ») pour mon-
trer qu’on peut découpler affirmation vraie et description d’objets existants
(empiriques ou transcendants). L’argument global est pragmatique : puisqu’on
peut rendre compte de la vérité logique ou mathématique sans postuler l’exis-
tence de tels objets, alors l’ontologie est inutile et cela ne fait jamais sens
de se prononcer sur l’existence réelle de ce dont parle le logicien ou le
mathématicien (comme les nombres, les ensembles, etc.). Le gain d’une telle
position en éthique est que ce n’est pas parce que nos jugements de valeur
ne décrivent pas des objets spéciaux dans le monde qu’ils sont purement
« subjectifs ». Nous pouvons tout à fait raisonner en matière éthique, nous
pouvons avoir raison ou tort, et nos conceptions éthiques sont par là sus-
ceptibles de progrès.
C’est à ce point qu’est consacrée la seconde partie de l’ouvrage, issue
des Conférences Spinoza « Mouvement des Lumières et pragmatisme ». Ce
que Putnam reproche par exemple à Foucault, c’est de penser l’évolution
historique de nos systèmes conceptuels d’abord comme une affaire de lutte
de pouvoir, ce qui interdit l’idée de la possibilité d’un progrès de la ratio-
nalité (qui était l’espoir des Lumières, dont il voit dans le pragmatisme,
après Socrate et le siècle des Lumières proprement dit, le troisième moment
encore inachevé). À nouveau, Putnam cherche une voie moyenne entre l’exi-
gence moderne d’un fondement qui assurerait le progrès de l’humanité et sa
négation post-moderne conduisant au scepticisme envers tout « processus
d’apprentissage dans l’histoire » (p. 163). Mais Putnam donne ici une défi-
nition de l’éthique bien plus large qu’auparavant : elle n’est plus consi-
dérée comme un champ bien délimité de la philosophie académique consacré
à l’élucidation de la nature des jugements éthiques, mais elle est conçue,
à la suite de Dewey, comme l’application de l’intelligence aux problèmes
humains. S’il y a progrès possible en éthique, c’est qu’une méthode intel-
ligente d’enquête peut parvenir à résoudre des situations problématiques
à chaque fois situées, c’est-à-dire concernant des maux particuliers. Mais
alors, le projet d’une éthique sans métaphysique que réclame Putnam semble
maintenant signifier qu’il n’y a pas de solution à nos problèmes éthiques et
sociaux qui soit absolument garantie, bien qu’elle puisse être justifiée par
les résultats de l’enquête, et que, par conséquent, il n’existe pas de vérité
universelle ni de norme unique et invariable en matière éthique : la quête
d’un principe comme fondement absolu dont la connaissance permettrait de
guider infailliblement et une fois pour toutes nos conduites dans chaque
circonstance est illusoire et dangereuse.
À voir les trois manières, lévinassienne, wittgensteinienne et deweyenne,
d’envisager le projet d’une éthique sans ontologie ou sans métaphysique qui
parcourent l’ouvrage de Putnam, on peut se demander s’il n’y a pas de faux
raccords. Qu’on puisse rapprocher Wittgenstein et Dewey sur certains points
cruciaux semble tout à fait justifié (sauf peut-être, justement, en matière
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