J.L. Lipse : La physique comme métaphysique 1
LA PHYSIQUE DE LIPSE COMME METAPHYSIQUE
Le terme de « métaphysique » n’existe pas à ma connaissance, dans le
vocabulaire de Lipse, pour qui la philosophie (son premier amour juvénile) apparaît
d’abord comme un remède pour tempérer les passions. « <…> les collines et les
fontaines des Muses ne m‘ont jamais absorbé tout entier au point de m’empêcher de
tourner de temps en temps mes yeux et ma pensée vers cette déesse plus sévère, la
Philosophie, dont l’étude a eu tant d’attrait pour moi depuis mon enfance que je
semblais y être entraîné par une ardeur trop juvénile et que l‘on crut devoir y mettre
un frein et me l’interdire »1. Lipse est d’ailleurs un philologue et un éditeur plus qu’un
philosophe. Pour lui, la philosophie ou la quête de la Sagesse a une finalité pratique
et il est sensible à l’admonestation des Pères de l’Eglise2 qui recommandent de
goûter la philosophie comme le vin, un peu mais pas trop3. La philosophie se définit
pour comme Sagesse, ars vitae, science des choses divines et humaines et de leurs
causes, connaissance des principes qui sont le tronc de l’arbre de la sagesse
intégrale dont les branches et les feuilles sont les doctrines4. Les racines de cet
arbre sont les premiers principes, (l'identification de Dieu et de la Providence ou la
détermination de la Fin comme « vivre conformément à la Nature »); le tronc est
constitué des principes les plus universels communs à toutes les branches du savoir
ou aux règles de la pratique comme in sola virtute Summum Bonum esse; les
branches de l'arbre sont les principes particuliers à chaque discipline, et les
rameaux, l'ensemble des préceptes et des maximes particulières qui s'y rattachent.
Il me paraîtrait donc excessif et inapproprié de parler d’ontologie stoïcienne, ou
pire, d’une « ontologie du sens commun »5. Il me paraît même abusif de parler d’une
métaphysique stoïcienne et cela vaut pour le stoïcisme antique comme pour le néo-
stoïcisme de Lipse. Dans ce cas, mon propos pourrait bien s’arrêter là. Oui, si mon
sujet était « la métaphysique de Lipse », d’autant que ce vocable évoque
1
Constance
, préface de la première édition, trad. de Lucien Du Bois, Ed. Merzbach, Bruxelles-
Leipzig,, 1873, p.115.
2 . «!Les Pères grecs et latins qui conseillent aux chrétiens l’étude modeste de la philosophie
(
modestum philosophiae studium
)!»
Constance
, 2è préface, p.129.
3 . «!Comme le vin, bien qu’il n’y ait rien de plus salubre, est un poison pour quelques uns, de
même est malsaine pour eux la philosophie dont ils abusent!»
Constance
117.
4 . En ce sens Lipse peut être considéré comme l’inventeur de la métaphore de l’arbre de la
philosophie. «!Comme dans un arbre, tu as la racine puis le tronc, puis les branches et ensuite les
petites branches et rameaux, de même dans la philosophie on trouve d’abord un principe à titre de
racine, puis un autre comme le tronc, ensuite de moins importants comme les branches ensuite se
succèdent cette foule de préceptes qui en suivent comme des rameaux pour élever et inciter les
cœurs.!»
Manuduction
in
Opera
, éd. Lemaire 1827, t. 1., II, 12, p. CXXV.
5 Comme le font Long et Sedley dans leur recueil de textes stoïciens (p.20)!.