I hommes & migrations n° 1268-1269 191
Progressivement, à partir du motif de son hospitalisation, il se résout à reconnaître
implicitement sa maladie, sans la nommer. Et c’est au travers de l’expression du
religieux qu’il va démontrer qu’il ne la dénie pas, contrairement à ce que pense
l’équipe. Il déclare d’un air triste : “Depuis que je suis malade, je vais au temple de
Ganesh à Paris, au défilé avec ma femme et mes enfants.” Il faut préciser que Ganesh,
fils de Shiva et de Parvati, est le dieu qui écarte les obstacles, y compris la maladie,
et que les Tamouls sri lankais sont shivaïtes. Je lui demande qui est au courant de
sa maladie. Personne de sa famille si ce n’est sa femme n’est au courant de sa
maladie, précise-t-il. Et il ajoute : “Avant, j’étais chrétien, depuis ce jour [où il a appris
qu’il était malade], je retourne vers mes ancêtres, mes dieux hindous, j’apprends la
langue, la religion avec mes enfants au sein de la communauté. Seul Dieu décide si je dois
vivre ou mourir, pas les médicaments. Au pays, je n’étais pas malade, personne n’a le sida
au pays, ni dans ma famille. Il n’y a pas de prostituées au pays”.
Il attribue sa maladie au pays d’accueil tout en idéalisant son pays, qu’il a quitté
pour un motif assez flou. Dans ce contexte, le retour aux ancêtres est vécu comme
une renaissance symbolique pour se purifier du sentiment de culpabilité. En effet,
la culpabilité a été renforcée à la suite du décès de son père, qu’il attribue à une
crise cardiaque survenue pendant un bombardement – rappelons que le patient a
été envoyé en France pour être “protégé des bombes”. Il n’a pas pu assister aux
rites funéraires qui ont accompagné la mort de son père et semble encore très
imprégné par ce deuil non élaboré. Le prix à payer est très fort chez ce patient qui
a été instrumentalisé par son entourage.
Le traumatisme de guerre est ici très secondaire. Il s’agit plutôt de la mise en scène
d’un dysfonctionnement familial avec une relation mère-fils fusionnelle. Ce
dysfonctionnement s’est accentué dans l’exil, alors qu’il aurait sans doute pu être
davantage contenu, au pays, par la famille, par le groupe.
Le culturel et le religieux
dans le dysfonctionnement familial
Dans le deuxième cas, il s’agit de la rencontre, dans le cadre de la protection
judiciaire de l’enfance, avec une adolescente âgée de 12 ans et demi, qui a été
abusée par son oncle maternel et qui était enceinte de six mois au moment de la
révélation. La grossesse a été découverte par le collège, qui a fait le signalement
alors qu’elle vivait sous le toit de ses parents avec sa fratrie et son oncle.
Celui-ci, dernier frère de la mère, a été recueilli par la famille de l’adolescente
quand cette dernière avait sept ans. La famille a migré en France il y a environ une