SBORNlK PRACl FILOZOFICKÉ
FAKULTY
BRNÈNSKÉ UNIVERZITY
STUDIA
MINORA FACULTATIS PHILOSOPHICAE
UNIVERSITATIS
BRUNENSIS L 12, 1991 (ERB XXI)
LADISLAVA
MILlCKOVA
LA
FORME
IMPÉRATIVE
ET SES
PARAPHRASES
L'injonction
est la modalisation qui
représente
une situation discur-
sive
établissant
la relation fonctionnelle du type dominant /
dominé
(ou
autorité
/ soumission).
Elle
marque non que l'objet de l'ordre est
vrai,
mais que le locuteur ordonne,
désire
ou veut
qu'il
soit
vrai.
Le locuteur
se donne alors un
statut
du dominant en imposant sa
volonté
au desti-
nataire auditeur (qui est
dominé).
Le locuteur comprend l'injonction
comme une anticipation de l'action
jugée
positive par
lui-même.
En
étudiant
la
problématique
de l'injonction en
français
actuel, nous
avons
établi
le fait que
cette
modalité
peut
être exprimée
soit par la forme
verbale
impérative,
soit par plusieurs
procédés
linguistiques qui devien-
nent
ainsi
paraphrases plus ou moins exactes de la forme
impérative.
Pour
pouvoir aboutir à notre
tâche,
rappelons d'abord que la forme
impérative, limitée
à trois formes,
possède
du point de vue grammatical
certaines
propriétés caractéristiques
qui la distinguent
nettement
des
autres
formes verbales
:
1° l'impératif
concerne:
le tu Occupe-toi de tes affaires!
le vous singulier
Venez
me voir demain matin!
le nous Ne parlons pas de cela!
le vous
pluriel
Votez
massivement!
2°
On remarque l'absence de la
lère
personne du singulier.
3°
La
lèrB
et la 2e personnes du
pluriel
prennent les formes de
l'indica-
tif
(prends,
prenons,
prenez)
sauf quelques verbes qui ont recours aux
formes du subjonctif
(sache,
sachons,
sachez;
sois,
soyons,
soyez;
aie,
ayons,
ayez).
Gross1
précise
que
c'est
la racine des formes
impératives
1
Cfr. M. Gross,
Grammaire
transformationnelle
du
français,
Paris,
Larousse,
1968.
20
de ces verbes gui correspond bien au subjonctif, tandis que les
désinences
sont celles de
l'indicatif présent; c'est-à-dire
que la
lère
et la 2e personnes
n'ont pas au
pluriel
la voyelle i qui est marque du subjonctif (sachions,
sachiez
sachons,
sachez).
4°
Pour atteindre la 3e personne,
c'est-à-dire il(s),
et elle(s), on ne
possède
que les formes du subjonctif (qu'il
prenne
qu'ils
prennent)
de
même
que la 2e et la 3e personne du singulier et
toutes
les trois per-
sonnes du
pluriel
de
l'impératif passé
(aie pris
ayons
pris
ayez
pris; qu'il ait pris qu'ils
aient
pris).
Si
on veut situer
l'impératif
sur
l'échelle
temporelle, on ne peut ne pas
s'apercevoir du fait que les
propriétés
de
l'impératif
approchent assez
étroitement
de celles du futur.
Cela résulte
du fait que l'action
exprimée
par la forme injonctive
n'est
pas encore
effectuée,
mais que le locuteur
ordonne,
désire
ou veut qu'elle le soit à l'avenir.
On
peut s'en apercevoir
même
par les contraintes de concordance des
temps avec le verbe
principal
d'une
proposition circonstancielle de temps,
ou
d'une
proposition-
objet:
Viens quand tu voudras.
Tu viendras quand tu voudras.
*Tu
viens
quand tu voudras.
Fais
ce que tu pourras.
Tu
feras
ce que tu pourras.
*Tu
fais
ce que tu pourras.
Mais
il faut ajouter
qu'il
existe des verbes qui y
échappent
en ne pos-
sédant
pas le
sens
futur
dans
certaines constructions
:
Sachez
(apprenez)
qu'il partira le
plus
tôt possible.
*Vous
saurez
(apprendrez)
qu'il partira le
plus
tôt possible.
C'est pourquoi, en
partant
du fait
qu'il
existe,
indépendamment
de
la
description de
l'impératif
une
règle
imposant que le verbe de la
prin-
cipale
et
celui
de la circonstancielle doivent
être
tous au futur, Gross
appelle
l'impératif
le temps futur
non-marqué.2
L'impératif passé possède
les
mêmes caractéristiques
que
l'impératif
présent
en
désignant
de plus le
caractère résultatif
de l'action.
Soyez
revenus
pour
8
heures.
Aie
préparé
toutes
tes affaires
avant
que je rentre.3
De
nos jours,
l'emploi
de
l'impératif passé
n'est
plus trop
fréquent
et
on préfère
employer une
périphrase
telle que
Arrange-toi
pour
avoir
fini
à 8
heures.11
au lieu
de
«aie fini»-.
La
forme
impérative
est la forme la plus courante à exprimer la mo-
2
Cf
r.
M. Gross, op. cit.
3 M.
Callamand,
Grammaire
vivante
du
français,
Paris,
Larousse,
1987, p. 141.
*
J. Sabrsula,
Vëdeckâ
mluvnice
francouzêtiny,
Academia Praha, 1986, p. 252,
§
4531.
21
dalité
injonctive.
Elle
est
utilisée
à
tout
âge et
dans
les conditions les
plus diverses. On
peut
ordonner, p. ex.,
tout
simplement
Viens
ici! avec
l'expression
atténuante
s'il te
plaît,
ou on
peut
faire suivre l'ordre d'un
commentaire qui, le plus souvent,
précise
la
sorte
de sanction qui suivrait
à
la
désobéissance
du destinataire
(Viens
ici! Sinon, tu
auras
une
fessée!).
Streri5
qui examinait divers commentaires suivant la forme
impérative
indique que
ceux-ci
peuvent
être adressés
au
destinataire-même
(Mange!
Sinon, tu vas au lit.) ou à un
autre
auditeur
présent
(Mange!
Elle
ira au
coin, si
elle
ne
mange
pas.).
Or,
la forme
impérative,
bien que la plus
fréquente,
n'est
pas la seule
à
exprimer l'injonction.
Elle
peut
être paraphrasée
au moyen
d'autres
procédés
qui signalent
qu'il
s'agit
d'une
paraphrase
situationnelle ou
d'une
paraphrase
linguistique.6
La
paraphrase
situationnelle qui sort
d'une
situation
précise,
profite
de la
possibilité
de laisser
inexprimé
ce qu'on
peut
restituer
grâce
à la
connaissance de la situation;
c'est-à-dire
que les
phrases
y
sont
en rap-
port d'implication.
Elle
exige que,
dans
la situation
donnée,
le
sens
énon-
ciatif
soit toujours le
même.
P. ex. soit la situation suivante:
«Il
fait noir, je veux qu'on
fasse
la
lumière.»
dans
cette
situation je
peux ordonner:
Fais
la
lumière
s'il te
plaît,
ou
Veux-tu
faire la
lumière,
ou
Tu
feras
la
lumière
sinon...
Ces
ordres explicites renvoient directement à la situation
-«faire
la lu-
mière». Mais
on
peut
dire aussi
très
simplement:
Je ne
peux
plus
lire,
ou
Je voudrais lire,
mais
je ne
vois
plus.
Le
sens
littéral
de ces
phrases
est
-«l'impossibilité
de
lire»,
mais leur
sens
situationnel est
très
proche des
phrases
Fais
la
lumière.
Veux-tu
faire la
lumière?!
Tu
feras
la
lumière.
Le
rapport
entre
les
phrases
impératives
et leurs
paraphrases
est
basé
dans
ce cas sur
l'expérience
humaine extralinguistique commune à un
assez
grand nombre d'individus. En se
rapportant
au
même
fait extra-
linguistique
les
phrases
doivent provoquer la
même réaction
chez le
5
Cfr. A. Streri,
Ênonciation
et
référenciation,
Éd. du C.N.R.S., Paris, 1979.
6
R. Martin,
emploie
également
les
termes
-«paraphrase pragmatique»
et
-«para-
phrase
sémantique».
Voir R. Martin,
Inférence,
antonymie
et
paraphrase,
Pa-
ris, Klincksieck, 1976.
22
destinataire
il
fait
la
lumière.
De
même
l'injonction
Je veux que tu
manges,
peut
être paraphrasée
de
façon
suivante:
Tu
vas au coin,
si tu
ne
manges
pas.
Tu ne vas pas grandir.
Tu es
vilain,
on
va te
mettre
au coin.
Mais,
il faut avouer
que
l'univocité
de la
paraphrase
situationnelle
est
parfois douteuse.
Ainsi
la
phrase
Je ne peux
plus
lire
ou Je
voudrais
lire
peut
signifier
non que le
locuteur veut
la
lumière,
mais
qu'il
veut
qu'on lui
passe
les
lunettes,
ou
qu'il
veut qu'on
se
tienne tranquille,
etc.
Alors,
bien
que
l'intention
du
locuteur soit claire pour
lui-même,
elle
peut
ne pas
l'être
pour l'auditeur dont
dépend
le
résultat
aussi bien
que
la
manière
dont
il
interprète
les
phrases
entendues.
Cette
interprétation
n'étant influencée
que par
l'auditeur
même,
ne
tombe
pas
nécessairement
juste.
La
paraphrase
linguistique
ne
dépend
point
de la
situation
énonciative,
elle
respecte,
au
contraire,
en
pleine mesure
les
mécanismes
linguistiques
en
ne
tenant
point compte
des
hasards
du
discours
ou de la
quantité
de situations discursives.
Il
s'agit
de la
paraphrase
linguistique
si les
deux
phrases
sont
équiva-
lentes pour tout locuteur
et à
toute
situation. La
phrase
impérative
peut
être paraphrasée
dans
ce cas au
moyen
des
procédés
dont nous parlons
dans
les
lignes suivantes:
présent
de
l'indicatif
auquel
on
peut
ajouter
une
intonation,
des
gestes
ou
une
mimique
adéquates:
Tu
as
Z'air très fatigué:
cet été tu
prends
deux
mois
de
vacances
et
l'année
prochaine
tu
prépares
le
concours
d'entrée
à
la Polytechnique.
construction
hypothétique:
Si tu ne
manges
pas,
t'auras
une
fessée.
Tu
resteras
ici,
si tu
n'est
pas
gentil
avec
ta
grand-mère.
construction veux-tu?, voulez-vous?
L'emploi
de
cette
construction suivie
de
l'infinitif
a une
valeur connota-
tive
très prononcée
en
marquant
un
haut
degré
de
l'autorité. Cela
veut
dire qu'en l'employant
le
locuteur
se
donne
un
statut
de
dominant
en
Imposant
sa
volonté
au
destinataire. Le locuteur
se
sert
de
veux-tu
pour
empêcher
une
action qui
se
déroule
au
moment où il parle,
ou
pour obte-
nir
un
résultat immédiat:
Veux-tu
te
tenir
tranquille!?
Voulez
vous
manger!?
Or,
la
réalisation
de
l'action
ne
dépend
pas de
lui-même,
mais
de
1'
„obéis-
sance"
du
destinataire.
Celui-ci
peut
choisir
parmi trois
possibilités:
il
peut
accepter
ou
refuser
d'exécuter
l'ordre
donné,
ou il
peut
rester
in-
différent
à
l'ordre. Dans
le cas du
refus
le
destinataire
nie
l'autorité
du
23
locuteur
ou il
entre
en
conflit
avec lui,
dans
le
dernier
cas il
prétend
n'avoir
rien entendu.
Perret7 analyse
l'énoncé
veux-tu comme
un
ordre
donné
sur le
désir
(la volonté)
de
l'allocutaire.
Au
lieu
que
cet
aspect
de
l'ordre soit
impliqué
par l'ordre
sur
l'acte,
il est
explicité
et
fait objet
de
renonciation.
La
«pression" effectuée
sur
autrui prend
la
forme
d'une
contrainte explicite
sur son
désir.
Si
l'énoncé
veux-tu?
suit
immédiatement
la
forme
impérative,
la
pro-
position
a, du
point
de vue
sémantique,
la
forme
et le
caractère
d'une
sollicitation, c'est-à-dire
elle devient tentative
de
persuasion.
Cela
veut
dire
que
l'énoncé
veux-tu?
introduit
sémantiquement
la
situation
où le
locuteur veut
acquérir
une
information
ou
entrer
en
possession
d'une
chose
qu'il
ne
possède
pas
encore. Du point
de
vue
sémantique
cela veut
dire
que le
locuteur demande
une
chose
ou une
information
au
destina-
taire, parce
que
lui-même
n'arrive
pas à
l'acquérir.
Son
acte
de
parole
provoque
une
réaction
de la
part
du
destinataire,
de la
part duquel
il
se manifeste
une
certaine
résistance
bien
que
minimale
même
dans
le
cas positif, autrement la demande
ne
serait pas
nécessaire.
Le
locuteur parle non
de la
position d'un dominant, mais
d'un
deman-
deur.
C'est-à-dire qu'il
ne
fait
pas
prévaloir
toute
son
autorité,
mais
qu'il
laisse
une
alternative
au
destinataire,
de
sorte
que
celui-ci
peut
choisir
parmi trois
possibilités
'
il
peut
réagir
positivement,
négative-
ment ou
d'une
façon indifférente.
La
sollicitation
n'est
pas
une
prière
ou
une
invitation
polie,
mais signa-
le
un
assez
haut
degré
d'insistance.
Aide-moi à faire marcher ma voiture,
veux-tu?
Venez
ici,
voulez-vous?
Une
autre
variante
est
également
possible:
Aide-moi à faire marcher la voiture,
tu veux
bien?
Venez
ici,
si
vous
voulez
bien.
L'absence
de
l'inversion
ainsi
que la
présence
de
l'adverbe
bien
ont le
sens
atténuant.
Perret
dit que
l'apparition
dans
les
énoncés
de
sollicita-
tion
de
vouloir
bien
qui
se
réfère
au
consentement,
c'est-à-dire
à la-
ponse affirmative
à
cette
sollicitation,
souligne
le
fait
que le
désir
du
locuteur
est
pris
en
considération
d'une
façon différente
dans
la
sollici-
tation
et
dans
la proposition.8
La
demande
impérative
soit
un
ordre prend alors
de
préférence
la
forme
veux-tu
+
INF
et
apparaît même
obligatoirement sous
la
forme
absolue
veux-tu
lorsque
le
locuteur manifeste
ainsi
son
opposition
à un
acte
qu'est en train de faire le destinataire.
Perret montre que
l'emploi
autoritaire
de
veux-tu
+
INF
et de
veux-tu
7 Cfr.
D.
Perret,
Les
verbes
POUVOIR
et
VOULOIR
dans
les
énoncés
de pro-
position
in
Langue
Française,
21, 1074,
Paris,
Larousse,
pp. 106—121.
8 Cfr.
D.
Perret,
op.
cit.
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