Actes du colloque international Les emprunts lexicaux au français

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Actes du Colloque international
Les emprunts au français dans les langues européennes
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Actes du Colloque international
LES EMPRUNTS AU FRANÇAIS DANS
LES LANGUES EUROPÉENNES
Craiova, 10-12 novembre 2011
EDITURA UNIVERSITARIA
Craiova, 2011
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UNIVERSITATEA DIN CRAIOVA
UNIVERSITÉ DE CRAIOVA
Comité de rédaction
Maria Iliescu, Université d’Innsbruck (Autriche)
Adriana Costăchescu, Université de Craiova (Roumanie)
Mihaela Popescu, Université de Craiova (Roumanie)
Daniela Dincă, Université de Craiova (Roumanie)
Gabriela Scurtu, Université de Craiova (Roumanie)
Lucrarea a fost elaborată în cadrul Proiectului PN II Idei Tipologia
împrumuturilor lexicale din limba franceză în limba română. Fundamente
teoretice, dinamică şi categorizare semantică (FROMISEM) finanţat de
CNCS-UEFISCDI (2009-2011)
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SOMMAIRE
Avant-propos…………………………………………………………………...
Maria ALDEA, Des emprunts au français dans le Lexicon de Buda (1825)…
Mariana BARA, Sub formă (de)… [sous forme de…] ou des difficultés de la
néologie en roumain……………………………………………………………………
Kátia BERNARDON DE OLIVEIRA, Adaptations phonologiques
d’emprunts français en portugais…………………………………………………….
Lucreţia-Nicoleta BICESCU, Les emprunts lexicaux dans les langues
romanes: chronologie, terminologie, classifications………………………………
Christine BRACQUENIER, L’adaptation des emprunts lexicaux du français
par la langue russe, de Karamzin à Akunin………………………………………...
Silvia CACCHIANI, Chiara PREITE, Langues et cultures en contact: le
statut des gallicismes dans l’anglais juridique du Royaume Uni……………….
Corina
CILIANU-LASCU,
Remarques
sur
les
emprunts
d’origine française dans le domaine économique du roumain…………… …….
Cecilia CONDEI, La mobilité des mots: visées discursives et intégration
textuelle…………………………………………………………………………………
Adriana COSTĂCHESCU, Bref voyage culturel: les noms propres dans le
vocabulaire de la gastronomie………………………………………………………
Elena DĂNILĂ, Marius Radu CLIM, Ana-Veronica CATANĂ-SPENCHIU,
Les avantages de la lexicographie informatisée dans l’étude des emprunts
lexicaux au français……………………………………………………………………
Elodie DESCLOUX, Pierre FOURNIER, Marjolaine MARTIN, Sophie
VANHOUTTE, Les mots français en -eur (-euse) / -aire en anglais
contemporain: emprunt et création lexicale……………………………………….
Daniela DINCĂ, Le projet Fromisem: bilan et perspectives…………………….
Ramona DRAGOSTE, Des emprunts d’origine française dans la langue
roumaine actuelle: le domaine culinaire……………………………………………
Oana-Adriana DUŢĂ, Préstamos del francés en el lenguaje económico
español y rumano: sintagmas nominales……………………………………………
Maria ILIESCU, Comment se fait-il que les noms bouchée et baiser se
trouvent sur les menus roumains?......................................................................
Alice IONESCU, Quelques cas d’enrichissement sémantique des mots
d’origine française dans le roumain actuel…………………………………………
Ramona LEAHU, Un cas d'interférence linguistique: l'état de la langue
roumaine courante sous l'influence du français à la fin du XIXème siècle……....
Mihaela POPESCU, L’étymologie des gallicismes du roumain………………….
Varvara PYROMALI, Facteurs d’usage des emprunts lexicaux du grec au
français fonctionnant comme faux amis: l’influence de la langue maternelle à
la compétence de la langue étrangère……………………………………………….
Anda RĂDULESCU, Emprunts roumains des termes français du vocabulaire
spécialisé: hôtellerie et tourisme……………………………………………………..
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Sanda REINHEIMER RIPEANU, «Gallicismes» «panromans»………………..
Mojca SCHLAMBERGER BREZAR, Les emprunts au français en langue
slovène - des noms communs aux mots désignant des spécificités culturelles
françaises……………………………………………………………………………….
Gabriela SCURTU, Un cas de contact linguistique français-roumain: le
domaine du mobilier……………………………………………………………
David TROTTER, L’anglo-normand et le français et les emprunts en
anglais……………………………………………………………………………………
Titela VÎLCEANU, French borrowings – logonomic rules and translatorial
ego in action…………………………………………………………………………….
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AVANT-PROPOS
Les langues ont toujours fait preuve de leur capacité de s’adapter aux
changements sociaux, économiques, politiques, technologiques ou scientifiques.
Pour pouvoir servir efficacement à la communication dans des contextes donnés et
dénommer avec précision les nouvelles réalités, elles ont dû créer, dériver,
emprunter ou adapter de nouvelles unités lexicales. Les emprunts lexicaux se
constituent ainsi en un espace fertile de recherche qui suppose le contact entre
plusieurs systèmes linguistiques, entre plusieurs cultures, entre plusieurs identités
spirituelles.
Ces derniers temps, le phénomène de l’emprunt lexical a suscité un vif
intérêt de la part des chercheurs, qui se sont penchés sur les divers aspects de la
circulation des mots pris et repris dans diverses langues. Les recherches ont
examiné les multiples facettes de ce phénomène, à partir des aspects purement
linguistiques (phonologiques, morphosyntaxiques, sémantiques ou pragmatiques)
jusqu’aux aspects sociolinguistiques et culturels (qui voient dans les emprunts une
manifestation du processus actuel de globalisation).
Le présent volume réunit les contributions des participants au Colloque
international Les emprunts lexicaux au français dans les langues européennes, qui
a eu lieu à l’Université de Craiova, du 10 au 12 novembre 2011. Cette
manifestation scientifique s’est déroulée dans le cadre du projet de recherche
Typologie des emprunts lexicaux français en roumain. Fondements théoriques,
dynamique et catégorisation sémantique (FROMISEM), qui s’est proposé de faire
l’analyse des emprunts au français en roumain de différents points de vue (étapes
de pénétration, domaines de manifestation, problèmes étymologiques et surtout
changements sémantiques) dans le but d’esquisser, pour chaque aspect, une
typologie spécifique du phénomène étudié.
L’objectif du colloque a été ainsi de créer un lieu de rencontre et de
réflexion sur la multiplicité des aspects soulevés par les transferts lexicaux et par la
description du parcours suivi par les unités lexicales entre langue prêteuse (le
français) et langues réceptrices (les langues européennes). Il s’est adressé aux
personnes, ainsi qu’aux organismes et groupes de recherche intéressés par la
néologie lexicale, signe de la vitalité des langues, en visant à mettre en évidence le
rôle de pilier que le français a joué en tant que langue dont les mots ont été
empruntés et adaptés par d’autres langues européennes (romanes ou non romanes).
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Les actes de ce colloque ont été regroupés autour des axes suivants:
1. Aspects théoriques (autour des notions-clés: emprunt, gallicisme,
néologisme, néonyme, calque, néosemie, etc.);
2. Rôle des emprunts au français pour l’enrichissement et la modernisation
des lexiques des langues européennes (langue commune et lexiques spécialisés);
3. Aspects étymologiques (types d’étymologies, filières de pénétration,
etc.);
4. Domaines de manifestation des emprunts;
5. Adaptation (graphique, phonétique, morphologique) des emprunts aux
systèmes des langues réceptrices;
6. Typologie sémantique des emprunts lexicaux;
7. Perspectives lexicographiques;
8. Approche littéraire (traduction, néologismes dans l’oeuvre littéraire,
regard de l’Autre).
Nous remercions sincèrement tous les participants qui, par leurs
communications et commentaires, ont contribué à la réussite de ce colloque. Un vif
remerciement pour le Conseil National de la Recherche Scientifique (CNCS),
organisme qui a fait possible l’organisation, le déroulement ainsi que la publication
des actes.
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DES EMPRUNTS AU FRANÇAIS DANS
LE LEXICON DE BUDA (1825)
Maria ALDEA
Université Babeş-Bolyai de Cluj-Napoca, Roumanie
1. L’intérêt pour l’enrichissement de la langue, en général, et de la langue
roumaine, en particulier, a représenté depuis toujours l’une de préoccupations des
citoyens de la «Republica litteraria».
Tout au long de la seconde moitié du XVIIIème siècle et jusqu’aux premières
décennies du XIXème siècle on assiste à un déplacement nouveau vers une nouvelle
étape de formation de la langue roumaine moderne, «une étape de transaction» qui
représentera un moment charnière dans ce qui deviendra, par la suite, le processus
de «modernisation et d’unification» de la langue roumaine littéraire. À l’intérieur
de ce cadre dominé par un retour vers la langue-source – le latin – et vers les autres
langues romanes, le roumain
«se caracterizează, aşadar, prin numeroase tendinţe [...] de îmbogăţire cu
împrumuturi lexicale mai ales din limbile romanice şi din limba rusă, de părăsire a
turcismelor, a neogrecismelor şi a elementelor livreşti inutile şi de limpezire a
frazei prin apropierea de limba vie a poporului»1 (Rosetti / Cazacu 1961: 367).
Cette «redécouverte» de la culture occidentale doit ainsi beaucoup au
renforcement des contacts d’ordre politique, économique, social et culturel. Parmi
les acteurs de cette «réorientation», l’École latiniste de Transylvanie tiendra un rôle
majeur. Pour les savants oeuvrant dans le cadre de ce mouvement à la fois
idéologique et culturel, ce qui compte, avant tout, c’est «l’émancipation culturelle
de tous les Roumains» (Munteanu / Ţâra 1983: 143). Leurs actions se
développeront ainsi en deux directions majeures: d’une part, ils prêteront une
attention particulière à l’élaboration de manuels, d’ouvrages de grammaire et de
dictionnaires tandis que, de l’autre, ils manifesteront un intérêt accru pour la
traduction des œuvres classiques appartenant à des auteurs français et italiens.
En s’ouvrant vers les cultures occidentales, les membres de l’École ont
facilité la pénétration dans la langue roumaine de divers termes scientifiques et
techniques, se raccordant de cette façon aux idées véhiculées à leur époque sur le
plan européen2. En dépit des réticences manifestées par rapport à l’usage des mots
étrangers, les savants transylvaniens sont conscients de l’importance du recours
aux emprunts. Ainsi, P. Maior n’hésite pas à avancer les propos suivants (1825: 9):
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«Poetae non solum peculiarem in quibusdam habent Dialectum, sed etiam
dialectos commiscent. Unde consequitur, Valachis jus esse una Dialecto
subveniendi alteri, praecipue quoad copiam vocum. Quod propter illos Valachos
adnotandum duxi, qui praeter Dialectum suae Patriae haud aliam norunt ; ideoque,
dum quidpiam audiunt, ex alia Dialecto admisceri, quod a sua nutrice non
hauserant, linguam Valachicam lacerari vociferantur.»3
Aussi les textes de ces savants servent-ils de fondement à la pénétration en
roumain de nombreux termes provenant du latin et des autres langues romanes.
Paru en 1825, le Lexicon de Buda constitue une des œuvres fondamentales de
l’École latiniste. Ayant le mérite d’être un document incontestable en ce qui
concerne la mémoire sémantique de l’époque, il couronne plus de trente ans de
tentatives lexicographiques initiées dans l’espace pluriethnique et plurilingue de
Transylvanie.
2. Bien que le discours sur l’emprunt constitue de nos jours encore un
terrain d’étude insuffisamment exploité, le Lexicon de Buda retient le terme
împrumut (emprunt) de même que sa famille lexicale (imprumutare;
imprumutảtoriu; imprumutedzu, tare, atu; imprumutu, tare, tatu), sans préciser
toutefois le sens d’«emprunt linguistique»:
Imprumutu, tare, tatu. [«emprunter»]. [împrumut, tare, tat], verb. act. 1) cuiva,
queva, séu pre quineva de queva: i.e. dau ỉmprumutu: a) qua se misẻ in tórquẻ iarẻ
aquelaşi lucru, p. e. vre o carte, vre unu vestmėntu. ect. commodo: leihen. b) qua
se misẻ in tórquẻ intru asémené p. e. bani, bucate, etc. mutuum do, mutuo do:
költsön adni: leihen, borgen. de la quineva queva i.e. iéu imprumutu: mutuo,
mutuor, mutuo summo: költsönözni, költsön venni: leihen, borgen, entlehen, aus
Borg nehmen. a Lat. mutuo, as.
Vu que le Lexicon compte plus de 13 000 entrées présentant des
difficultés, nous avons choisi de nous pencher dans notre analyse seulement sur la
tranche alphabétique appartenant à la lettre H. Notre corpus compte ainsi 288
articles4.
Dans le cas qui nous intéresse, à l’exception de deux situations
particulières dans lesquelles nous avons repéré un marquage explicite renvoyant à
des xénismes5, nous n’avons pas réussi à identifier des marques d’emprunt
proprement dites.
Les deux entrées en question, à savoir:
(1) Hảngeru, séu hảngeriu [«hanger»], m. pl. e. f. [Hăngeariu, pl. e], subst.
cuvẻntu turcescu, şi insemnézả unu cuţitu mare, quare ’l pórtả la brảu turcii,
spergả, stilettu, cuţitu spėntecảtoriu la Turci: sica, dolo, clunaculum, machaerium,
pugio, culter turcicus: handzsár: der Dolch Taustdegen.
(2) Hảrảmbaşu, [«chef de brigands»] m. pl, i. [Hărămbaş, pl. i.]. subst. e cuvẻntu
strẻinu, signific. cảpitenie, séu capitinu preste lotri, vatévu lotrỉloru mai marele
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tảlhariloru, Duca furiloru, archifuru, primariu predẻtoriloru; dux vel antesignanus
praedonum: tolvajok, hadnagya, harambása: der Unfűhrer einer Rauberherde,
présentant aussi les mentions: cuvẻntu turcescu (mot turc) et cuvẻntu strẻinu (mot
étranger), nous apportent quelques indications concernant la perception de ces mots
par les rédacteurs. Très brièvement, le locuteur roumain percevrait ces mots
comme des mots étrangers.
Quarante-quatre entrées du corpus retenu pour l’analyse présentent aussi
une notice étymologique. Toutefois, aucune notice ne renvoie au français. On
retient une étymologie. le plus souvent latine ou grecque optant aussi, parfois, pour
une formation interne. Mais, dans la plupart des cas, il s’agit de notices exagérées6.
Cette absence du marquage nous a mis ainsi devant la situation difficile de
recourir à un repérage individuel des emprunts. Pour faciliter notre tâche, nous
avons recouru dans une première phase à des ouvrages traitant de la problématique
de l’emprunt au français dans la langue roumaine, à savoir le DILRLRV, le DILF et
l’ouvrage de Ursu datant de 1962. L’examen du corpus dans la lumière de ces trois
ouvrages nous a permis de procéder enfin à une première sélection (voir infra 2.1.
et 2.2.) des emprunts au français présents dans le Lexicon de Buda.
Dans une deuxième étape, nous avons procédé à une nouvelle sélection
fondée sur la présence d’un équivalent français dans la description de chaque
article (voir infra 2.3.).
Nous donnons, dans ce qui suit, les résultats de notre investigation.
2.1. En nous rapportant aux trois ouvrages mentionnés ci-dessus, nous
avons identifié une première série d’entrées qu’on pourra tenir pour des emprunts à
étymologie uniquement française:
(3) Harpíe [«harpie»], f. pl. ii. [harpie, pl. ii], 1) subst. paseri, séu sburảtóre
fabulóse, scornite de poetici, cu capu, şi cu façie femeiéscả, érỏ altmėntrile
asémene buheloru, cu picióre, şi cu mảni adủnci, adequẻ : cu ghiére mari de
rảpitu : harpyia, monstra rapacia, et obscena : hárpia, ragadozó fene madár : die
Harpne. 2) rảpítoríu, f. óre, furaciu- f. ce, furu : rapax, fur, elepta : tolvaj, ragadó :
der Räuber, Dieb, Mausekopf.
(4) Hecticả, [«hectique»] f. pl. ce. [hectică, ce], subst. oftica tabes hectica :
hektika : die Hecktik. – quarele o are: hecticus: hectisch, hecticalisch.
(5) Hemoroidzi.[«hemorroïdes»] [hemoroigi], séu emoroide : plur. hamorrhois,
vel hemorrhoides : arany ér : die goldene Uder, die Hemorrhoiden.
(6) Hidropicả, [«hydropique»], [hidropică], subst. boalả de apả: hydrops: víz
korság : die Wasersucht. – quarele e cuprėnsu de hidropicả : hydropicus : viz
korságos : wasersűchtig.
(7) Hipocritả. [«hypocrite»] m [hipocrită], subst. hypocrita simulator pietatis :
képmutató : der Gleisner, Heuchler, Muchter, der Scheinheilige.
(8) Harmonescu, séu harmoniescu, séu armonescu, séu armoniescu : ire ; itu :
[«harmoniser»], [Harmonesc, sau harmonesc, ire, it], verb. act. et neutr : facu
harmonỉe : dau séu facu sunetu, séu versu cu harmoníe, mẻ lovescu in versu, sunu
dopỏ mảiestríe. şi dulce la urechi : harmoniam efficio, harmunicum edu sonum,
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concordo in sono : meg egyezni : öszve egyezni, öszve illeni : harmoniren,
einstimmig senn, űbereinstimmen. Ital. armonizzare.
(9) Harmonizezu, séu armonizezu, are, atu [«harmoniser»]. [Harmonizez, sau
armonizez, are, at], verb. act., et neutr. facu, dau harmonie: facu, sỉ fíe cu
harmonie: harmoniam efficio. V. Harmonescu: Ital. armoneggiare. Gall.
harmoniser.
L’examen de ces entrées de dictionnaire indique qu’elles renvoient à des
domaines très différents comme, par exemple, la mythologie (exemple no 3) ou la
médecine (exemples nos 4, 5 et 6). De ces quatre exemples, seul hidropică
(hydropique) est présent dans le DILRLRV, tous les autres y étant absents. Le mot
harpie (harpie) n’est présent que dans le DILF. Quant au mot hectică (hectique), la
nature de son étymon suscite encore des débats: par exemple, Ciorănescu (2007:
s.v. hectică) lui prête un étymon allemand – Hektisch. En ce qui concerne
l’exemple no 7, il s’agit d’un mot exprimant une valeur axiologique de l’être dont
la forme graphique représente un transfert du français, tandis que les exemples nos
8 et 9 renvoient à la musicologie. Ces trois derniers exemples ne sont mentionnés
ni dans le DILRLRV ni chez Ursu. Il convient de souligner aussi un aspect
supplémentaire, à savoir la présence dans la nomenclature du terme de deux
formes (voir, dans ce sens, les exemples nos 5, 8, 9). Si la première forme à graphie
française était un emprunt direct au français, la seconde, désignant la forme
graphique adaptée phonologiquement et sémantiquement au roumain, allait
néanmoins s’imposer.
2.2. Ce sont toujours ces trois ouvrages qui nous ont facilité l’identification
d’une deuxième série de mots à étymologie qu’on pourrait appeler étymologie
«multiple», c’est-à-dire des emprunts soit au français, soit à une autre langue7:
(10) Hanseaticu, [«hanséatique»] f. ả, pl. ci, f. ce. [hanseatic, ă, pl. ci, ce], adj.
impreunatu, insỏçitu, federatu; in atare soçietate de negotiảtorie luatu: hanseaticus,
foederatus, foedere junctus: szövetséges, egyesült: vereiniget, verbunden; Nota:
Aquestu cuvẻntu se dzice noma de cetảţile quele de lỏngỏ mare, quare au
legảtuėntia la olaltả in lucru negotiảtoriei, deunde se şi numescu: cetảţi hanseatice,
adeq: ceteţi de lỏngo mare pentru mái bonả negotiảrie la olaltả insoçite: civitates
hanseaticae, emporia foederata: szövetséges tengerí városok: die Hanseestädte.
(11) Harfả [«harpe»], f. pl. e. [harfă, e]. subst. unu instrumẻntu musicescu, chitarả,
psaltire : harpa, harpe, nablium, psalterium, harbitos, cithara: bárfá: die Harfe. –
quarele dzice cu harfa, harpicen: harfa pergetö: der Harfanist, oder Harfenspiler;
Gall. Arpa, Hisp. Harpa: ab harpa – p. in f. mutato.
(12) Harmonie, séu armoníe [«harmonie»], f. pl. ii. [Harmonie, sau armonie, pl. ii]
subst. 1) cuvenėntia, séu lovirea verşuriloru la olaltẻ: frumósả impreunả versuire:
harmonia, concentus, symphonia: ékesegyező éneklés, hang egyezés: die
Zusammenstimmuug, Harmonie, der Concert. Ital. armonia, Gall. harmonie. Hisp.
harmonia. Us. cảntu la, séu cu harmonie: ad harmôniam cano: musikai mesterség
szerént énekelni: ein Concert anstimmen. 2) cuvenentia, unire, vẻşire la olalta,
bonả inţellégere: harmonia, concordia, cointelligentia: meg egyezés, egyet értés:
die Uibereinstimmung, Benstimmung, Einwilligung, Einhelligkeit, Eintracht,
Einigkeit.
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(13) Harmonicesce, séu armonicésce, [«harmonieusement»]: [Harmoniceaşte],
adv. i.e. cu harmonie: harmonice: egyezőleg: überinstimmend, einstimmig. Ital.
con armonia. Gal. harmonieusement.
(14) Harmonicescu, séu armonicescu [«harmonique»], éscả, pl. esci.
[Harmonicesc, ească, pl. şti], adj. V. Harmonicu.
(15) Harmonicu, séu armonicu [«harmonique»], f. ả, pl. i, f. e.. [Harmonic, ă, pl.
ci, ce]. harmoniosu, séu armoniosu, f. ósả, pl. oşi f. óse. [Harmonios, sau
armonios, oasă, pl. oşi, oase]: adj. – Que e cu harmonie, que face sunetu dulce la
urechi: harmonicus, numerosus, musicus: megegyező, öszve egyező, öszve illő:
harmonisch, einstimmig, zusammenstimmend. Ital. armonico, armonioso: Gall.
harmonique, harmonieux. – euse.
(16) Harmonitu, séu armonitu [«harmonique»], f. ả, pl. ţi, f. te. [Harmonit, sau
armonit, ă, pl. ţi, te]. adj. que e tomnitu, séu fảcutu cu armonie. Ital. armoniato. V.
Harmonicu.
(17) Heredie [«hérédité»], f. pl. dii. [heredie], subst. remaşiciẻ din viţe:
exhaeredibus, exposteris: maradók, maradvány: der Rachkommer, Rachkömmling.
- quảndu se inţelegu mai mulţi mosténi, herediéni: posteri, posteritas, haeredes,
progenies: maradék: die Rachkommenschast.
En examinant les exemples 10-17, on constate que ces mots proviennent de
domaines tout aussi divers que ceux de la musique (exemples nos 11, 12, 13, 14,
15, 16), du droit (exemple no 17) ou du commerce (exemple no 10). Tous ces mots
sont mentionnés aussi par le DILF qui les prête une étymologie «multiple», c’est-àdire plusieurs étymologies dont une serait française: le rou. hanseatic serait ainsi
emprunté soit au mot fr. hanséatique, soit au mot all. hanseatisch; le rou. harfă
serait emprunté soit au mot all. Harfe, soit au mot fr. harpe; le rou. harmonie ou
armonie est un emprunt soit au mot fr. harmonie, soit au mot lat. harmonia; le rou.
harmonicescu ou armonicescu est un emprunt soit au mot fr. harmonique, soit au
mot lat. harmonicus; le rou. harmonicu ou armonicu est entré dans la langue
roumaine soit par une voie française, provenant du mot fr. harmonique, soit par une
voie latine, via le mot lat. harmonicus; enfin, le rou. harmonitu ou armonitu est un
emprunt soit au mot fr. harmonique, soit au mot lat. harmonicus.
Selon le DILRLRV, l’étymologie du mot harmonie ou armonie serait ainsi
soit latine (du lat. harmonia) soit italienne (du mot it. armonia). Quant au mot
heredie, on ne le retrouve point avec cette forme-là dans les dictionnaires
consultés. Chez Ursu (1962) on retrouve le mot hereditate, respectivement
ereditate, ereditar, erezitate, ereditariu. Le DILF ne mentionne que les formes
ereditar et ereditate. Ursu (1962) de même que le DILF leur prêtent une
étymologie soit latine, provenant des mots lat. hereditas, respectivement
hereditarius, soit française, à savoir les mots fr. hérédité, respectivement
héréditaire.
Il convient de rappeler également que le mot heredie, tout comme la
famille lexicale des mots harmonie et harmoniza (fr. harmonie, fr. harmoniser) ont
connu une forme intermédiaire reflétant la forme graphique d’origine, adaptée
ensuite, phonologiquement et sémantiquement, au roumain.
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Malgré leur omission dans les ouvrages consultés, nous ajoutons à cette
série deux entrées supplémentaires, à savoir:
(18) Himenu, séu Hymenu. [«Hymen»] [Hymen], dumnedzeulu nunţei la romani ;
hymen, hymeneus : hymen menyegzönek Istene : der Hymen, Hochzeitgott.
(19) Hirundiné [«hirondelle»], f. pl. le.[hirundinea, le], subst. rỏnduné ; hirundo :
fetske : die Schwalbe ; V. Rủndune !.
L’exemple no 18 renvoie au domaine du poétique, tout en étant une
personnification. À notre avis, il s’agirait dans ce cas d’un emprunt soit au latin,
soit au français, l’étymon étant le terme grec Hymên et non pas un dérivé comme
les auteurs du DA le pensaient. En ce qui concerne l’exemple no 19, celui-ci ne
connaît pas de très large diffusion en roumain, les dictionnaires étymologiques ne
le retenant point parmi leurs variantes. Selon Ciorănescu (2007: s.v. rîndunea), son
étymon est le «lat. hirundinem, de la forme *hirundinĕlla». Nous pensons
néanmoins qu’il s’agit d’un élément transporté tel quel soit des dictionnaires latins
(lat. hirundinem), soit des dictionnaires français (fr. hirondelle). Les dictionnaires
roumains ne le mentionnent pas.
2.3. Pour ce qui est des exemples suivants, le critère qui nous a servi dans
notre sélection a été la présence de la mention «équivalent français» dans le corps
même de l’article. La présence de ce correspondant français indiquerait non
seulement un étymon commun, mais aussi une valeur de «nouveauté», une valeur
du mot ressentie comme «récente» expliquant ainsi, par l’adaptation et
l’assimilation du mot aussi bien au niveau graphique qu’au niveau sémantique, sa
présence dans le Lexicon.
Sans plus mentionner les exemples déjà analysés – harfả «harpe»,
harmonie «harmonie», harmonicesce «harmonieux», harmonicu «harmonique»,
armonizezu «harmoniser», qui bénéficient aussi d’équivalents dans les autres
langues romanes, nous avons identifié dans le corpus un nombre de 13 lexies dont
la description lexicographique mentionne des correspondants français. Il s’agit de
hảblảescu «hâbler», hảblẻitoriu «hâbleur», hảblẻtire «hâbler», hacu «bois mort»,
hảmisescu «affamer», hảrçelescu «harceller», hảrçelitu «harcelé», hảrengu
«hareng», hảrénu «raifort» hoi «hélas, ah, oh», hospả «houppe de millet», huiescu
«huer», huietu «huée».
Examinons tout d’abord la famille lexicale du mot hăblăi «hâbler» (les
exemples nos 20-22):
(20) Hảblảescu, séu hảblảescu, séu hảblảtescu, ire, itu- [«hâbler»], [hăblăesc, sau
hăblătesc, ire, it]. verb. neutr. vorbescu multe, şi fỏr de cale: lefuréscu,
flencảnescu, fleurescu, blehảescu, blảhảtescu séu blẻhẻtescu, blảterescu,
blảtecảrescu, blảterezu, bảrfescu : blatero, blatio, garrio, fabulor, sermocinor,
sermones caedo: tsátsogni, festegni, zajgani : schwaβen, plaudern, waschen,
plappern, sausen; Gallis hábler: mentiri, se jactare, confidenter loqui; Hisp.
hablar, loqui, discurrere.
(21) Hảblẻitoriu [«hâbleur»], m. óre, f. pl. ori, óre. [Hăblăitoriu, oare, pl. ori, oare],
adj. et subst. verbale: lefurả, fleurả, flérả, fléncảnitoriu, blehẻitoriu, blảteritoriu,
14
blaterỉu, bảrfitoriu: gerro, blatero, garrulus, locutuleius, in verba pojectus: f.
lingulaca garrula, dlacula: tsátsogó, fetsegő: der Schwäser, -rin, die
Plaudertasche, der Plässer, Wäscher; Hisp. habladot: Gall. hableur: garrulus,
magniloquus.
(22) hảblẻtire [«hâbler»], f. pl. i. [Hăblătire], subst. hảblẻire, fléncảnire, blẻheire,
bảrfire, lefurire, blảterire, blảte, cảrire, vorbe fẻrde trébả: blateramen,
blateramentum, blateratus, loquacitas, oramentum, Plaut. garrulitas: tsatsogás,
fetsegés, szószaparitás: das Schwaβen, Plappern, Plaudern, Gewäsche,
Geplappern, die Plauderei, Geschwäβigkeit, das Geschwaβ, Plauderwert; Gall.
Hablerie, Iactantia.
Bien qu’il n’y ait pas de documents écrits attestant leur diffusion en
roumain, et ce malgré la mention, par de nombreux dictionnaires roumains, de
leurs synonymes à valeur régionale ou péjorative qui les expliquaient, nous
pensons qu’il serait possible de les prendre pour des emprunts soit à l’espagnol
(esp. hablar), soit au français (fr. hâbler), avec les adaptations graphiques et
sémantiques inhérentes.
Une autre famille lexicale à correspondant étymologique français est celle
du mot hărţui «harceler»:
(23) hảrçelescu, ire, itu [«harceller»]. [Hărţelesc, ire, it], verb. II, act. lucru cu
quineva fỏrde milả, il necảsescu cu lucru greu, ỉl osténescu fỏrde cale, il afligescu,
il hảçescu in quoce, şi in colo: affligo, vexo aliquem, lacesso, incommodo:
sanyargatni, kinzani, nyomorgatni: üldözni: ängstigen, plagen, peinigen,
verfolgen; Gallis: harceler: II. reciproc. – me batu, mẻ ostescu, mẻ luptu, mẻ
pumnescu, mẻ trảntescu cu quineva: contendo viribus cum aliquot, pugno –
depugno, prelior, luctor certo, velitor: verekedni, küszködni, matazni, hartzólni,
birkozni, vívni: straiten, kämpfen, sechten, sich mit Temanden schlagen.
(24) hảrçelitu [«harcellé»], ả, pl. ţi, te, [Hărţelit, -ă, pl. ţi, te], adj. necảşitu, rẻu
portátu, afliptu, aflỉgitu, hẻçitu, truditu ; afflictus, vexatus, lacessitus : male
tractatus: sanyargattatott, kinzatott, üldőztetett : geängstiget, geplaget, angereizet;
Gall. harcele.
Il est évident qu’il ne s’agit pas là d’emprunts au français puisque les
formes enregistrées sont considérées par les dictionnaires roumains contemporains
comme des mots dérivés du rou. harţă «dispute», dont l’étymon est le mot
hongrois harc.
La famille lexicale du verbe hui «huer» bénéficie d’une interprétation
similaire:
(25) huiescu, ire, itu [«huer, criér haro»]. [Huiescu], verb. act. batjocorescu, strigu,
hui pe quineva, quaşi pe porcii, ’l şuieru, ’l afiscảescu : clamore, et sibillis, quem
explodo : ki süvőlteni, ki tsúfolni, ki fütyülni, ki gúnyolni : auszischen,
auspfeiffen, ausrauschen; Gall. houer, usu, numẻ huii : non me explodas.
(26) huietu [«huée»], m. pl. ete. [Huiet], subst. strigare multả a supra cuiva :
multitudinis inconditus, clamor, explosio, exsibilatio : ki süvöltés, ki fütyőlés, ki
esúfolás : die Usszischung, das Uuszischen, Uuspfiffen; Gall. houée.
15
Ces mots sont loin d’être des emprunts au français, d’autant plus que les
équivalents français mentionnés sont tout simplement fautifs: le mot fr. houer à la
place du verbe huer, respectivement le nom fr. houée au lieu de huée. Selon
Ciorănescu (2007: s.v. huideo), il y aurait là des formes dérivées de l’interjection
huideo à «origine» probablement «orientale».
Examinons maintenant les exemples suivants:
(27) hacu [«bois mort»], m. pl. uri, f, [Hac. pl. uri], subst. hiacu, hréscu, huci,
vergi, thỉrşi, séu tẻrsi, ramuri tảiéte, créngi dỉrỉmate, tảieturi, din copaci, dỉrỉmituri:
sarmenta, ramalia, virgae, cremium, rami desecti: le nyeset fa ágok, le vágott
haraszt: das Reisig, Reikholz, die Reiser, abgehauene Baumäste; Gallis, hache,
securis, hacher: incidere, concidere, minutim dissecare: Hisp. hacina: manipulus
lignorum.
(28) hảmisescu, ire, itu [«affamer»]. [Hămesesc, ire, it], verb. I. act. – p.e. pre
quineva, i: e: omoru cu fómea: íl flảmendzescu forte: il fometezu, afometezu
preste modru: fame conficio, vexo divexo, crucio, excrucio, macero aliquem:
valakit koplaltatni, éheztetni: einen aushungern, verhuugern; Gall, affamer Hisp.
hambrear. Ital. affamare. II. neutr. – í. e. periu, séu peiu, moriu de fóme, leşinezu
de fóme, me stingu de fóme, flảmẻndzescu de totu, multu, quỏtu nu potu ảmblá de
fóme, şi de flảmẻndu : fame, praefame pereo, fame, inedia conficior, maceror,
excrucior: extrema fame divexor, famesco: koplalni, nagyon megéhezni, nagy
éhséget szenvedni, éhel halni: verhungern, einen starten Hunger leiden, Hungers
Sterben; Ital. morir de fame. Hisp. hambrear, morir de hambre. A voce Lat. fameo,
h. loco f. posito, more veterum sabinorum, et hispanorum, qui f. in h. saepe
mutant.
(29) hảrengu séu hảringu [«hareng»], m. pl. i. subst. [Hăring, pl. gi]. subst. unu
pésce micu albu, quarele nu se aflả nomai in marea septemtrionului (dela
medziulnoptiei) şi se chiamả şi halecu: clupea harengus, alec, halex, thrissa
borealis, theta, alosa minor: hering: der Häring, Hering. Gall. hareng. Ital. aringa:
Hisp. harenque.
(30) hảrénu, séu herénu [«raifort»], m. pl. car. [Hărean, sau herean], subst.
cochlearia armoracea Linn, nasturtium : torma : der Hren, Meerrettig. Gall.
alenotis: species nasturtii.
(31) hoi [«hélas, ah, oh»]. [Hoi], interj. dolentis: hai! hai: hai! haj: jaj, jaj, jaj:
Uch; Ital. hai! Gal. hai.
(32) hospả [«balle, écorce»], f. pl. e. [Hoaspă], subst. 1) pelitia meului, ordziului,
faseolei, mazerei, şi altoru legumi, şi bucate cu quare e invescutu greunçulu: Gall.
houpe du milet: gluma, foliculus, siliqua, vaginula, valvula, involucrum granorum:
tokja, haja, polyvája, buzának, vagy egyéb veteménynek: der Grőbs, Griebs, Balg,
das Bälglein, Rernhaus des Getreihes, und der Hülsenfrüchten, die Schote, Hülfe,
das Schotchen. 2) pelisóra bombei de struguri : pellicula botrium, seu uvarum:
szőllő szem hártyája: das Häutchen.
L’analyse de ces exemples nous permet d’affirmer qu’il s’agirait là d’une
possible tentative des rédacteurs d’insister sur l’origine latine du roumain grâce à
un rapprochement renforcé du roumain avec les autres langues romanes. Cette
tentative est toutefois forcée, voire exagérée, puisque la plupart des dictionnaires
étymologiques roumains ne prennent pas ces mots pour des emprunts au français.
16
À regarder de plus près leurs étymons, on remarque que pour les mots rou. hacu et
hảrengu, on a l’all. Hack (holz), respectivement l’all. Hering, Häring, bien que
Ciorănescu (2007: s.v. hacu) prête à hacu un étymon fr. hache; peut-être c’est ce
rapprochement du macédo-roumain qui a pu amener les rédacteurs du Lexicon à
identifier dans les mots fr. hache, hacher un rapprochement entre le roumain et le
français même si le sens des mots français ne se retrouve pas dans la forme
roumaine. Pour le rou. hảmisescu l’étymon est l’albanais hamïs tandis que pour
hảrénu l’étymon est le slave chrĕnŭ (cf. Ciorănescu 2007). Les deux formes
enregistrées du mot hảrénu ou herénu «raifort» sont des variantes régionales
actuelles de la forme littéraire hrean.
En ce qui concerne les entrées hoi «hélas, ah, oh» et hospả «balle, écorce»,
les dictionnaires roumains actuels avancent dans leur cas une origine inconnue. Si
le mot hoi pouvait être une variante régionale de l’interjection vai!, sa présence en
roumain n’est pourtant pas attestée.
3. L’approche du corpus retenu pour l’analyse nous permet de tirer
plusieurs conclusions.
Tout d’abord, l’absence du marquage de l’emprunt, exception faite de deux
xénismes (soit 0.7%) rend difficile le repérage des emprunts, ce qui ne nous permet
pas de connaître l’opinion des rédacteurs quant à la valeur «nouvelle» d’un mot.
Ensuite, en nous rapportant à des ouvrages traitant la problématique de
l’emprunt, nous avons identifié seulement sept emprunts uniquement français (soit
2.4% du total des entrées), dont 1 appartient au champ de la mythologie, 3 à la
médicine, 2 à la musique et 1 renvoyant à un mot à valeur axiologique. Dix
emprunts (soit 3.5% du total des entrées) présentent une étymologie «multiple»: six
mots appartiennent au domaine de la musique, un mot au domaine juridique, un
mot au régime commercial et un mot au champ de la poésie. Pour la dixième
entrée, sa diffusion en roumain n’est pas attestée par les documents. La présence de
tant de domaines scientifiques est une preuve de l’érudition des rédacteurs de
même que de leur ouverture intellectuelle.
Un cas particulier qui a attiré notre attention concerne 13 entrées (soit
4.5% du total des entrées) présentant dans leur description la mention d’un
«équivalent français». Malgré la présence de cet équivalent français, il est évident
qu’on ne pourra pas parler dans leur cas de véritables emprunts au français mais
plutôt de tentatives venant de la part des rédacteurs de montrer le lien rattachant le
roumain au français, à l’italien, à l’espagnol et implicitement au latin, le noble
ancêtre du roumain.
Pour conclure, nous pouvons affirmer sans aucune hésitation que, même si
les emprunts au français sont peu nombreux, leur présence dans le Lexicon met au
jour une nouvelle tendance qui commence à se manifester à l’intérieur de la langue
et, implicitement, une réorientation de la culture roumaine vers la langue source, le
latin, et vers les autres langues romanes.
17
NOTES
*Cet article est élaboré dans le cadre du projet no PN-II-RU-TE-2011-3-0170, financé par l’Autorité
Nationale Roumaine pour la Recherche Scientifique, CNCS - UEFISCDI.
1
«se caractérise, donc, par de nombreuses tendances [...] d’enrichissement du lexique par des
emprunts lexicaux provenant surtout du côté des langues romanes et du russe, par l’abandonnement
de mots turcs, néogrecs et des éléments livresques inutiles, de même que par un éclaircissement de
la phrase grâce au rapprochement de la langue vivante du peuple» (nous traduisons). Voir aussi
Munteanu / Ţâra 1983: 109.
2
On constate chez les représentants de l’École latiniste de Transylvanie une tendance encore timide
du «purisme linguistique».
3
(Les poètes non seulement qu’ils possèdent un parler particulier, mais aussi ils mélangent les parlers.
D’où on voit que les Roumains ont le droit de venir à l’aide d’un parler, tout en appelant à d’autres,
surtout en ce qui concerne l’enrichissement lexical. J’ai tenu pour nécessaire d’attirer l’attention sur
ce fait-là, à cause de ces Roumains qui ne connaissent pas un autre parler que leur parler natif et
c’est pour cela que, lorsqu’ils entendent dans leur parler d’autres mots étrangers qu’ils n’ont pas
appris de leur nourrice, ils clament que le roumain s’effondre.) (nous traduisons).
4
Il convient de souligner la présence de sept lexies supplémentaires groupées sous 3 entrées qui sont
autant de synonymes de la même forme diminutive: Hảinicả, Hảiniçả, Hảinicea, Hảinisórả,
Hảinucả, Hảinutiả [«petit vêtement»]; Horcảire, Horcảitura [«râle»]; Hupảire, Hupảitura
[«saut»].
5
Ces deux situations ont été présentées pour la première fois dans notre étude intitulée «Mărci ale
variaţiei lingvistice în Lexiconul de la Buda (1825)», in Actele celui de-al X-lea colocviu
internaţional al Catedrei de Limba română, Bucureşti: Editura Universităţii din Bucureşti (sous
presse).
6
Une analyse sur l’indication étymologique peut être consultée dans notre article, Aldea 2011: 182.
7
Cf. DILF. I 2009: 3-4.
SOURCES PRIMAIRES
Lexicon de Buda (1825). Lesicon romănescu-lătinescu-ungurescu-nemţescu quare
de mai mulţi autori, în cursul a trideci, şi mai multoru ani s’au lucrat. Seu
Lexicon valachico-latino-hungarico-germanicum quod a pluribus
auctoribus decursu triginta et amplius annorum elaboratum est, Budae,
Typis et Sumptibus Typografiae Regiae Universitatis Hungaricae, 1825.
BIBLIOGRAPHIE
Aldea, Maria (2011): «Entre vérité scientifique et exagération: l’étymologie. Étude
de cas: le Lexicon de Buda (1825)», in Steuckardt, Agnès / Leclercq, Odile
/ Niklas-Salminen, Aïno / Thorel, Mathilde (éds.) (2011): Les dictionnaires
et l’emprunt. XVIe – XXIe siècle, Aix-en-Provence: Publications de
l’Université de Provence: 167-182.
Aldea, Maria (2011): «Mărci ale variaţiei lingvistice în Lexiconul de la Buda
(1825)», in Actele celui de-al X-lea colocviu internaţional al Catedrei de
Limba română, Bucureşti: Editura Universităţii din Bucureşti (sous
presse).
Lupu, Coman (1999): Lexicografia românească în procesul de occidentalizare
latino-romanică a limbii române moderne (1780-1860), Bucureşti: Logos.
Maior, Petru (1825): «Orthographia romana, sive Latino-Valachica, una cum clavi,
qua penetralia originationis vocum reserantur», in Lexicon de Buda,
18
Budae: Typis et Sumtibus Typografiae Regiae Universitatis Hungaricae, IVIII + 1-53.
Munteanu, Ştefan / Ţâra, Vasile D. (1983): Istoria limbii române literare. Privire
generală, Ediţie revizuită şi adăugită, Bucureşti: Editura Didactică şi
Pedagogică.
Reinheimer Rîpeanu, Sanda (2004): Les emprunts latins dans les langues romanes,
Bucureşti: Editura Universităţii din Bucureşti.
Rosetti, Al. / Cazacu, B. (1961): Istoria limbii române literare. I. De la origini
până la începutul secolului al XIX-lea, Bucureşti: Editura Ştiinţifică.
Sala, Marius (2006): De la latină la română, ediţia a II-a revăzută, Bucureşti:
Univers enciclopedic.
Steuckardt, Agnès / Leclercq, Odile / Niklas-Salminen, Aïno / Thorel, Mathilde
(éds.) (2011): Les dictionnaires et l’emprunt. XVIe – XXIe siècle, Aix-enProvence: Publications de l’université de Provence.
Ursu, N. A. (1962): Formarea terminologiei ştiinţifice româneşti, Bucureşti:
Editura Ştiinţifică.
Dictionnaires et ouvrages de référence
DA = Academia Română (1940): Dicţionarul Limbii Române, întocmit şi publicat
după îndemnul regelui Carol I, Bucureşti: Tipografia ziarului «Universul».
DER = Ciorănescu, Alexandru (2007): Dicţionarul etimologic al limbii române,
Ediţie îngrijită şi traducere din limba spaniolă, de Tudora Şandru
Mehedinţi şi Magdalena Popescu Marin, Bucureşti: Editura Saeculum I.O.
DILF = Costăchescu, Adriana / Dincă, Daniela / Dragoste, Ramona / Popescu,
Mihaela / Scurtu, Gabriela (2009-2010): Dicţionar de împrumuturi lexicale
din limba franceză DILF, vol. I-II, Craiova: Universitaria.
DILRLRV = Chivu, Gheorghe / Buză, Emanuela / Roman Moraru, Alexandra
(1992): Dicţionarul împrumuturilor latino-romanice în limba română
veche (1421-1760), Bucureşti: Editura Ştiinţifică.
Dimitrescu, Florica (1997): Dicţionar de cuvinte recente, ediţia a II-a, Bucureşti:
Logos.
19
SUB FORMĂ (DE) … [sous forme de…]
OU DES DIFFICULTÉS DE LA NÉOLOGIE EN
ROUMAIN
Mariana BARA
Université Hyperion Bucarest/
Institut Européen de Roumanie
1. INTRODUCTION
Il y a en roumain des locutions (prépositionnelles et conjonctives) qui
agissent comme des connecteurs forts pour le discours formel: dat fiind că (étant
donné que), din punct de vedere (du point de vue), în ceea ce priveşte (en ce qui
concerne), în cadrul (dans le cadre), în cazul în care / în caz că (au cas où, dans le
cas où), etc.
Bien que d’origine française certaine, ces unités ne font pas l’objet des
recherches sur les emprunts roumains au français, qui s’orientent surtout vers les
mots pleins, travaillant sur des corpus à base de dictionnaires, et non de textes
(c’est le cas des projets orientés vers des mots). Pendant la documentation pour
cette étude, j’ai découvert des références à une recherche pour laquelle je n’ai pas
eu, malheureusement, la possibilité de consulter pour le moment (Goldiş
Poalelungi: 1973), et qui prend en compte aussi les locutions et les expressions
phraséologiques.
Dans la présente étude je me propose de m’arrêter en détail sur la locution
sub formă de. Cette locution est un néologisme, provenant du français sous forme
de qui sert à exprimer «l’aspect d'une même chose subissant des transformations».
Le français connaît aussi la locution en forme de «à la ressemblance de», à
l’origine du roumain în formă de.
Il faut remarquer, dès le début, que – en dépit des différences sémantiques
nettes entre les deux locutions en français – leurs équivalences roumaines semblent
des synonymes, étant utilisées l’une pour l’autre dans une confusion née de leur
quasi homonymie. C’est la raison pour laquelle une approche comparative
s’impose, mettant en parallèle aussi bien des textes français et des textes roumains,
que les différentes occurrences en roumain de ces deux locutions.
L'étude de ces constructions intéresse tant la sémantique que la syntaxe, en
tentant compte surtout du fait que leur ancienneté en roumain ne dépasse pas la
première moitié du XIXème siècle.
20
Attesté pour la première fois en 1688 en roumain (MDA: 2002), le
substantif formă a deux étymologies (française et latine savante), étant un mot des
textes spécialisés.
L’émergence du roumain moderne, du registre littéraire et la prétention des
linguistes de l’époque de forger le langage cultivé, menèrent au changement du
lexique traditionnel du roumain, voire au remplacement du vocabulaire usuel, d’un
contenu périphérique (balkanique: slave, turc et grec) par un lexique nouveau, à
travers une européanisation, une «re-romanisation» (occidentale: française et
italienne). Depuis l’an 2000, une nouvelle «re-romanisation» a lieu, via l’acquis
communautaire, se ressourçant au français, surtout pour le langage juridique (Bara:
2011 b).
L’influence française est un sujet classique, mais c’est aussi un sujet
difficile, en raison de la diversité des formes et des étapes: le XIXe, l’entre-deuxguerres, la période communiste, le postcommunisme. Le sujet oblige à réfléchir à
l’échelle d’au moins deux siècles, à rechercher les moments forts de l’influence et à
évaluer en quoi les emprunts ont pu modeler, façonner, moderniser le roumain
actuel.
La méthode utilisée va éviter une généralisation, outrancière, lorsqu’il
s’agit de plusieurs cas de figure, d’une polysémie que le corpus met en évidence.
C’est pour cette raison que je vais donner seulement les grandes lignes de l’analyse
de corpus, en choisissant des exemples précis et en apportant les nuances
nécessaires. Le corpus comprend, d’une part, les textes juridiques (9150 au total,
publiés dans le Monitorul Oficial al României - siglé MO); environ 5000 dans le
Journal Officiel de l’Union Européenne - siglé JO), et d’autre part des extraits de
deux types de dictionnaires (usuels et spécialisés). Pour compléter le paysage, un
regard sera posé sur les textes en ligne.
La présente démarche va dans le sens des analyses récentes de Gabriela
Pană Dindelegan (2003), qui entreprend une critique de la grammaire
traditionnelle, dans une perspective dynamique et fonctionnelle, et le fait ensuite
dans la GALR (2005). L’étude des limites imprécises entre les classes et les sousclasses, avec une attention particulière pour l’article et les prépositions offre
l’occasion pour des assertions notables (Pană Dindelegan 2003: 5-9). Dans la
même direction, deux autres ouvrages récents font l’analyse des difficultés dans
l’usage (Forăscu: 2002) et établissent la norme (Vintilă Rădulescu 2009). Quant au
statut des locutions créées à l’aide de la préposition sub, Narcisa Forăscu les
considère de simples «combinaisons de mots», mais qui tendent à fonctionner
comme des locutions et elle donne trois exemples (sub formă de n’étant pas
mentionnée):
« În limba literară şi, cu cea mai mare frecvenţă, în limbajele publicistic,
administrativ, juridic, sub intră în diverse îmbinări de cuvinte care nu şi-au
dobândit încă statutul de locuţiuni prepoziţionale sau conjuncţionale, dar care tind
să funcţioneze ca acestea: sub pretext(ul) (că), sub raport(ul), sub aspect(ul)»
(Forăscu 2002).
21
En plus, la lecture du passage ci-dessus offre implicitement la base pour
une observation de nature étymologique, car toutes les formules citées sont
d’origine française (des expressions calquées sur: sous le prétexte que, sous le
rapport, sous l’aspect). Dans cette série pourraient entrer aussi les locutions qui
nous intéressent ici – sub formă (de) et în formă (de) –, qui n’ont encore été
étudiées. La pertinence de l’approche en diachronie et du point de vue stylistique
représente en conséquence la mise de la présente démarche.
2. HISTOIRE
Évaluer la force et les métamorphoses de l’influence française pour peindre
le portrait du roumain actuel est un projet d’envergure. Un début fut, par exemple,
l’objet de la célèbre analyse statistique de Dimitrie Macrea (1961), selon lequel
38,42% des mots d’un important dictionnaire du lexique roumain moderne
(DLRM : 1958) sont d’origine française. À présent, les linguistes l’ont déjà
remarqué, le lexique roumain est confronté, surtout dans les terminologies, à une
forte vague d’anglicismes (Avram: 1997; Stoichiţoiu Ichim: 2004; Zafiu: 2006 ;
Bara: 2011 a).
L’importance de la recherche des occurrences dans le corpus pour aboutir à
des conclusions sur la dynamique des emprunts sera vérifiée dans cette étude.
2.1. Le XIXème
L’adoption des codes napoléoniens au milieu du siècle contribua de
manière significative au développement de la société roumaine, y compris à travers
le registre juridique de la langue, en établissant des modèles de rédaction et des
terminologies.
Les rapports avec la France (économiques, politiques, scientifiques) font
apparaître le fondement conceptuel des nouvelles terminologies en roumain. En
fait, les grandes lignes du sujet peuvent être suivies à travers une bibliographie déjà
consacrée (Craia: 2006).
La tradition est confirmée jusqu’à nos jours, car la démocratie, la
modernité, la diffusion des connaissances prennent corps dans l’espace culturel
roumain à travers le français.
Les exemples ci-dessous montrent comment les locutions se sont insérées
en fonction de l’adhésion des auteurs des textes législatifs à la terminologie
moderne (actia «les actes», decisiunea «la decision», terminu «le terme», grefiaru
«le greffier», ministeriul publicu «le ministere public», estractu «l’extrait»). Ce
sont les plus anciens textes du corpus:
Actia se pote face sub forma de inscrisu platnicu către înfăţişătoru. (Codul
Comercial, le 1 janvier 1840).
22
Copiii de ambe secsele, cari nu voru fi implinitu etatea de 16 ani, voru pute fi
auditi numai sub forma de declarare si fara a face juramentu. (Codul de procedură
penală al Principatelor unite române, le 2 décembre 1864).
Decisiunea de respingere va fi, in terminu de trei dile, impartasita ministeriului
publicu de langa curtea de casatiune de catre grefiaru, in forma de estractu sub
semnatura acestuia. (Codul de procedură penală al Principatelor unite române, le
2 décembre 1864).
Curtea 'şi va da totu d'auna hotărârea ei în forma de sentintia […]. (Legea din 24
ianuarie 1864 pentru curtea de compturi)
2.2. Le XXème
Les structures extraites des textes de ce siècle paraissent dépendantes des
traductions d’accords internationaux et des textes techniques (privilégiant la source
française, en raison des liaisons culturelles, au cours du siècle, y compris pendant
le régime communiste, avec la France).
Les années 1980, par exemple, témoignent d’un reflux dans ces contacts (il
y a moins de textes) et de la fermeture du régime. D’une manière implicite, la
politique étrangère exerce une influence sur la politique linguistique.
Les formules restent générales et presque figées, relevant de la langue de
bois, tautologique: «condiţiile transportatorului sub formă de condiţii generale sau
de tarife legal în vigoare în fiecare stat membru» (1980).
2.3. Le XXIème
Les conditions d’entrée en roumain pour la locution sous forme de à travers
les traductions des textes législatifs de l’Union Européenne relèvent du contact très
étroit avec la langue source. En fait, il faut suivre attentivement les exemples du
tableau suivant, pour constater si l’anglais ne joue pas un rôle dans la réactivation
de la locution d’origine française dans les textes roumains (sans oublier que, y
compris en anglais, la formule in the form of est empruntée au français):
EN
tongued (wood) / flanged
(wod)
oxide form
grooved wood
powder preparation
powdered dairy products
pellet
FR
bois (langueté)
RO
(lemn) sub formă de lambă
sous forme d'oxyde
bois rainé
préparation en poudre
produits laitiers en poudre
sub formă de oxid (oxizi)
lemn sub formă de uluc
preparat sub formă de praf
produse lactate sub formă
de praf
aglomerat sub formă de
pelete
alimente sub formă de praf
pentru sugari
zer sub formă de praf sau
powders for infants
aggloméré sous forme de
pellets1
poudres pour nourrissons
whey in powder or block
lactosérum en poudre ou
23
form
bridged tap
star anise
en bloc
terminaison en T
anis étoilé2
în bloc
piesă în formă de T
anason în formă de stea
Source: recherche propre de l’auteur sur le corpus JO
Pour la démonstration, un texte3 parmi d’autres, qui contient une liste de
substances utilisées comme additifs alimentaires offre un nombre remarquable
d’exemples pour la difficulté d’exprimer en roumain la configuration, l’aspect,
l’état de ces substances. Il faut remarquer, en même temps, la manière simple
d’expression en français et en anglais:
(1) Suplimente alimentare dietetice sub formă de tablete şi drajeuri.
Compléments alimentaires en comprimes et en dragées
Dietary food supplements in tablet and coated tablet form
(2) Deserturi cu aspect de jeleu; Deserturi sub formă de jeleu.
Desserts de type gelée.
Gel-like desserts.
Le cas d’un autre document4 semble très éclaircissant, car si on trouve 213
occurrences de la locution sub formă de dans la version roumaine, la version
anglaise présente seulement 12 fois la locution in the form of, tandis que dans la
version française sous forme (de) apparaît 90 fois. L’étude comparée des textes
dans les trois langues met en évidence des différences de contenu et de moyens
d’expression pour l’identification des produits:
15.20.13.10 | Făină, pudră şi aglomerate sub formă de pelete de peşte
15.20.13.10 | Farine de poisson
15.20.13.10 | Flours, meals and pellets of fish
15.31.12.30 | Cartofi deshidrataţi sub formă de făină; pudră; fulgi; granule şi
pelete
15.31.12.30 | Farine, semoule et flocons de pommes de terre
15.31.12.30 | Dried potatoes in the form of flour, meal, flakes, granules and pellets
15.31.12.90 | Cartofi preparaţi sau conservaţi (inclusiv sub formă de griş; excl. cei
congelaţi, uscaţi, în oţet sau acid acetic, sub formă de făină, pudră sau fulgi)
15.31.12.90 | Autres préparations de pommes de terre, non congelées
15.31.12.90 | Potatoes prepared or preserved, including crisps (excluding frozen,
dried, by vinegar or acetic acid, in the form of flour, meal or flakes)
15.61.33.35 | Germeni de cereale, întregi, presaţi, sub formă de fulgi sau zdrobiţi
15.61.33.35 | Germes de céréales, entiers, aplatis, en flocons ou moulus
15.61.33.35 | Germ of cereals, whole, rolled, flaked or ground
24
Dans ces derniers exemples, aux formules elliptiques du texte français, les
traducteurs ont préféré les formules anglaises, plus explicites (sans doute, du texte
source).
L’image suivante montre la croissance du nombre atteint par les textes
identifiés pour au moins une occurrence des deux locutions. La fin du XXe montre
une croissance significative (l’année 1994), suivi par un redoublement en 2004 et
une croissance forte depuis 2004, la tendance enregistrée jusqu'en octobre 2011
étant clairement à la hausse (7500 pour sub formă de, 1600 pour în formă de):
Source : recherche propre de l’auteur, sur la base du corpus MO.
3. RELATIONS SÉMANTIQUES
Le problème spécifique que soulève cette locution est l’insertion dans le
discours, en tenant compte du contenu sémantique du mot formă. En fait, les deux
mots (fr. forme et roum. formă) ne partagent pas entièrement, ni de la même
manière, les sens (ou s’agirait-il seulement d’une maladresse des auteurs du
DEX?), comme le démontre, à l’aide des flèches, la figure suivante:
25
Source : recherche propre de l’auteur, sur la base du Larousse et du DEX
En réalité, c’est en parcourant le corpus que la diversité des relations
sémantiques s’impose et requière une approche qui doit distinguer plusieurs types
de situations. Prenons quelques extraits des textes juridiques en roumain:
veniturile sub formă de salarii;
sumă fixă acordată sub formă de indexare;
în vederea înfiinţării unui nou agent economic sub formă de societate commercială
Le même connecteur sert, dans ces exemples, à déterminer la nature des
objets abstraits5 (des revenus), la matérialisation (des sommes fixes, accordées à
titre d’indexations), l’identité ou l’identification d’une entité (l’agent économique).
3.1. Général versus particulier
On verra que la plus ancienne relation (attestée dans les premiers textes en
1860 pour sub formă de et en 1864 pour în formă de) est celle établie entre le
hypéronyme et ses hyponymes.
Il y a une tendance à uniformiser le mode d’expression, sous l’effet de la
constitution des disciplines et des domaines (financier, bancaire, technique, etc.),
reflétée dans les textes juridiques. L’évolution du discours officiel est marquée par
la prédilection pour les connecteurs formels, appréciés pour leur spécialisation, y
compris pour leur éloignement du langage courant:
26
acordarea alocaţiei individuale de hrană sub forma tichetelor de masă;
ajutorul primit din partea statului sub forma pensiei de urmaş.
3.2. Etat d’une matière
industrializarea şi valorificarea sub forma de fainuri proteice a cadavrelor de
animale;
aparatele destinate pulverizarii sau dispersarii lichidelor sau a materialelor sub
forma de pulbere;
prepararea mecanizata a furajelor concentrate sub forma lichidă
En général, cette utilisation du connecteur est très bien représentée, et dans
certains cas, rares, il y a aussi l’adjectif pour exprimer l’état, ce qui donne:
poluant – orice substanţă solidă, lichidă, sub formă gazoasă sau de vapori;
ingredient utilizat sub formă concentrată sau deshidratată.
Les adjectifs les plus utilisés font déjà partie des clichés comme :
(ajutoare, despăgubiri) sub formă bănească; (materiale radioactive, poluanţi,
substanţe toxice, deşeuri) sub formă gazoasă, lichidă sau solidă; (cupru, zinc,
metale; lemn) sub formă brută ; (informaţii, date) sub formă orală sau scrisă, etc.
3.3. Configuration – confusion avec en forme de
În formă de est moins représentée: un total de plus de 1650 textes a été
repéré dans le MO, ce qui revient à un rapport de 1/5 (le corpus comprend 9150
textes au total), soit pour une occurrence de în formă de il y a 4 occurrences de sub
formă de. Le montant s’explique par le fait que sub formă de est employée
beaucoup de fois au lieu de în formă de, pour exprimer la configuration.
Ainsi, s’il est juste de dire:
"dreptunghiurile modificate", ale căror două laturi opuse sunt în formă de arc de
cerc convex;
un semn distinctiv în forma de disc galben în centrul căruia se afla semnul
exclamării;
Constituţia pe care sînt înscrise cuvintele "JUS" şi "LEX", iar în partea de jos, în
forma de triunghi, tricolorul,
il est assez discutable de dire:
registrul va opera numai cu valori mobiliare în formă dematerializată;
gelatine (inclusiv în forma de foi, decupate patrat sau reptunghiular, chiar
prelucrate la suprafaţă sau colorate.
27
De même, c’est un abus d’employer cette locution dans sub formă pătrată
sau dreptunghiulară, où în formă de serait recommandable.
Il y a aussi des situations ou, à la limite et parce que l’habitude est déjà
forte, les deux locutions pourraient être acceptées:
data primirii avizului de la secţie, în formă definitivată;
ordonanţa este repusă în vigoare în forma de dinaintea abrogării;
deşeuri pe baza de calciu, în forma de nămol.
Il faut reconnaître l’absence de la réglementation, et de ce fait, la variation
libre des deux locutions. La dynamique de la langue – au moins dans ces textes –
montre en roumain un effacement (dès le XIXe) des différences qui existent en
français entre les deux locutions. Il y a eu, dès le début, en roumain la tentation et
la pratique de la substitution des deux locutions, comprises comme équivalentes.
4. RELATIONS SYNTAXIQUES
Il y a la possibilité d’interpréter ces locutions comme le résultat de la
contraction des énoncés du niveau de profondeur de la syntaxe de la phrase (qui a
la forme de ..., qui ressemble à ...). Ce qui est intéressant à ce point de l’analyse
c’est d’établir le type de relation syntactique.
En règle générale, la structure suivante est un groupe nominal GN, dans
lequel le connecteur introduit un (ou plusieurs) déterminants:
nom1 + sub formă de + nom2 (+ nom3 etc.) à l’accusatif
Dans le corpus, l’apparition du groupe nominal ainsi configuré est visible
dans des listes de marchandises, dans la nomenclature (douanière, tarifaire, etc.),
dans les chaîne de termes qui ont la fonction de décrire les produits dérivés de la
même matière:
materiile menţionate mai sus sub formă de metal, aliaje, compuşi chimici sau
concentraţi;
medicamente pentru tratament personal sub formă de injecţii, tablete, ceaiuri etc. ;
laminate din oţel obţinute prin deformare plastică la cald sub forma de profile
simple şi fasonate, sîrme, table, benzi, produse tubulare.
Mais, à part ce type de listes, le connecteur assure aussi – et en même
temps – un type de relation complexe, car il cumule deux fonctions distinctes.
D’une part, il assure la connexion au nom précédent, dans un GN, d’autre part la
connexion au verbe (prédicatif ou participe passe), dans un groupe verbal GV:
verbe + sub formă de + nom
28
Si dans le GN la relation établie est de détermination (identification de la
matière après traitement, sa configuration, le produit fini), dans le GV la relation
est plutôt de manière, de modalité.
Par exemple, dans «pot fi ataşate voletelor foi anexă, de acelaşi model cu
manifestul sau sub formă de documente comerciale», les relations analysables
sont simultanément:
GN: foi anexă sub formă de documente comerciale
GV: pot fi ataşate sub formă de documente commerciale
D’autres exemples confirment le fait que cette ambigüité ou double
relation syntactique représente, en fait, la règle dans les textes du corpus:
sumele primite de la partenerii externi sub formă de premii
GN: sumele sub formă de premii
GV: primite sub formă de premii
sumă fixă acordată sub formă de indexare;
porumbul care se livrează sub formă de ştiuleţi;
formularul […] transmis în original sau sub formă de mesaj modem, mesaj telex
sau mesaj telefax
Une autre remarque de nature syntactique regarde le GN [sub forma +
génitif]. L’article défini (forma) impose le génitif au nom2, qui est précédé (mais
non de manière obligatoire) par l’article indéfini:
nom1 + sub forma + (un, o) + nom2 au génitif
informarea sub forma unei notificări scrise;
laptele praf trebuie sa se prezinte sub forma unei pulberi fine;
aceste aparate se prezinta sub forma unei colivii sau a unei cutii;
acordarea alocaţiei individuale de hrană sub forma tichetelor de masă.
Les textes du corpus (MO) indiquent une préférence pour le génitif dans
les documents publiés après 1990. L’explication pourrait venir du phénomène de la
re-romanisation déjà invoquée, sous l’influence du français (corpus JO): sous la
forme d’un / d’une / des (une consultation sur ce sujet sous la forme d’un livre vert;
l’instance gestionnaire devrait être créée sous la forme d’une agence de régulation;
modèles de déclaration des grands risques [..] sous la forme des normes
techniques).
29
5. REGISTRE DE LANGUE ET TYPE DE TEXTE
5.1. Le style normatif
Les textes normatifs, en général, sont élaborés en roumain à l’aide d’une
panoplie de formules consacrées, qui soulignent leur caractère officiel: având în
vedere, dat fiind că, în cazul în care, qui correspondent aux connecteurs simples
(deoarece, căci, dacă). La constatation déjà faite, sous 3.1, que les locutions
prépositionnelles aident à introduire le rapport sémantique entre hyperonyme et
hyponyme, souligne leur rôle d’instrument pour thématiser le niveau le plus
général. Les textes normatifs se situent, en fait, au niveau le plus haut (abstrait)
possible, et parlent des notions les plus générales, des classes (venituri «revenus»,
mărfuri «marchandises», valori mobiliare «valeurs mobiliaires», deşeuri
«dechets», agenţi economici «agents économiques»). Il faut retenir la structure de
ces constructions:
NOM 1
(AU PLURIEL: CLASSE)
nom(s) 2
(Objets identifiés)
5.2. Le style descriptif
5.2.1. Les marchandises, les matières pour l’identification et la
classification des produits
Le même schéma, présenté sous 5.1, explique le recours, pour
l’individualisation, à la locution de sous forme de. Dans cette catégorie du style
descriptif, il s’agit en fait des nomenclatures et de l’expression des états, suite aux
transformations (céréales sous forme de whisky, lapte sub formă de pudră, lemn
sub formă de palete etc.).
5.2.2. Lexicographie – în formă de
Dans les dictionnaires roumains, le substantif forme ou une des locutions
discutées peuvent être repérés dans la composition des définitions
lexicographiques, surtout lorsque celles-ci décrivent des objets ou expliquent les
adjectifs désignant la configuration:
dragă 2: instrument în formă de sac sau de plasă cu care se colectează
organismele vegetale sau animale de pe fundul apelor. (DEX)
ecler: prăjitură în formă alungită, umplută cu cremă şi acoperită cu glazură de
şerbet, ciocolată etc. (DEX)
eliptic 1: în formă de elipsă. (DEX)
insignă: mic obiect de diverse forme, purtat pe piept sau la şapcă, la bască etc. şi
care indică, prin imagini simbolice sau indicaţii grafice, apartenenţa cuiva la o
organizaţie, la un club etc. (DEX)
30
Dans la pratique lexicographique, le français utilise plusieurs possibilités
pour exprimer la forme, l’aspect: en forme de, de la nature de …, en…:
bombe glacée: entremets glacé en forme de demi-sphère ou de cône. (Larousse)
corné : 1. de la nature de la corne ; 2. plié dans le coin. (Larousse)
cytise: arbuste à grappes de fleurs jaunes et à fruits en gousse aplaties et velues,
appelé aussi faux ébénier ou genêt à balai […]. (Larousse)
étoilé : 1. semé d’étoiles, d’objets en forme d’étoile. (Larousse)
Si en français il y a la possibilité de créer des adjectifs à base nominale
(corné, étoilé), qui ont la forme des participes passés, ces adjectifs ne passent pas
en roumain, langue dépourvue de ce procédé. Par exemple, l’adjectif roumain
înstelat, qui signifie «semé d’étoiles», ne signifie pas pour autant «en forme
d’étoile», comme son équivalent français. Quant à l’adjectif français corné, il peut
être traduit seulement par ca de corn «pareil à la corne» ou bien îndoit «plié en
deux» et n’a pas d’équivalent dans la même classe morphologique.
5.2.3. Terminographie – sub formă de
Quelques définitions extraites de deux dictionnaires terminologiques
serviront pour faire comprendre la différence par rapport aux dictionnaires
explicatifs de la langue courante:
fosfataza alcalină […] se prezintă sub două forme (izozime): f. a. hepatică şi f. a.
osoasă. (DM)
injecţie 2: substanţa injectată sub formă de soluţie sau de suspensie
medicamentoasă. (DM)
radiaţie 2: transport de energie sub formă de unde electromagnetice sau de
particule. (DM)
comutator de antene: ansamblu de comutatoare, în general dispuse sub forma
unei matrice ortogonale, cu un dispozitiv de comandă asociat […]. (DEŞT)
dispozitiv de afişare (al unui radiometru de produs expunere-suprafaţă):
dispozitiv care primeşte un semnal de ieşire de la un dispozitiv de măsurare,
convertind informaţia conţinută în semnal într-o formă adecvată observaţiei
vizuale. (DEŞT)
interferenţă: fenomen rezultat din suprapunerea a două sau mai multe oscilaţii sau
unde coerente de frecvenţe egale sau aproape egale, manifestate prin variaţii ale
amplitudinii rezultante, în spaţiu sub formă de franjuri de interferenţă sau în timp
sub formă de bătăi. (DEŞT)
Dans les dictionnaires spécialisés, plus la définition de l'objet abstrait est
précise, plus la probabilité de rencontrer la locution diminue. Ainsi, dans le
dictionnaire médical consulté (DM), la locution est plus rare que dans le
dictionnaire technique (DEŞT). En général, par rapport aux auteurs des textes
rédigés dans le style juridique et administratif, les auteurs des textes scientifiques
sont moins enclins à utiliser cet instrument. La raison pourrait résider dans le but
des textes normatifs, qui doivent exprimer le rapport général – particulier, en
énumérant les membres d’une classe d’objets.
31
5.3. Le style familier
Si le système des prépositions est enrichi depuis le XIXe avec les
correspondants «formels», le registre familier dispose des modalités plus simples,
qui privilégient l’attribut (adjectif ou nom précédé par la préposition ca). Le test
suivant peut illustrer ces possibilités:
în formă de triunghi, tricolorul → tricolorul, ca un triunghi;
sub formă pătrată sau triunghiulară → triunghiular sau pătrat;
ordonanţa sub forma de dinaintea abrogării → ordonanţa aşa cum era / anterioară
abrogării.
5.4. Presse (en ligne)
Ces constructions caractérisant les langages spécialisés du roumain, tels
que la météorologie (ploi scurte, sub formă de averse) passent ensuite dans les
textes de vulgarisation, dans le langage de la presse ou de la publicité des
entreprises (soluţie sub formă de spray, peeling facial uşor sub formă de gel
exfoliant, ceară sintetică sub formă de plăci, etc.). D’ailleurs, ces structures sont
assez courantes en français aussi (scénario social sous forme de vidéo, crédit sous
forme de remboursement d'impôt, résultat sous forme de tableau, un nouvel
appareil sous forme de carte de crédit, lésions malignes sous forme de masses
pseudo kystiques etc.).
6. CONCLUSIONS
En tant qu'instrument de l'écriture dans le registre formel, la locution
roumaine est présente dans les textes législatifs, dans les listes des documents
officiels de l'Union Européenne, traduits en grande partie du français. Mais
l'étymologie n’est pas la seule explication pour le grand nombre de ces
constructions prépositionnelles en roumain.
Pesant le positif (l’enrichissement) et le négatif (l’abus), il est assez clair
que, malgré le nombre de situations où une autre solution aurait été possible, la
locution sub formă de reste un instrument de construction du discours qui donne
l’apparence de la précision, du sérieux, du professionnel, tout en restant une
marque stylistique, presque une manie, un automatisme. Même si il y confusion
entre sub formă de et în formă de, la locution comme outil pragmatique est l’une
des plus importantes pour l’élaboration du discours juridique et administratif.
Bien que la spécialisation sémantique des deux locutions en français soit
évidente, en roumain on constate une suppression des différences et, par
conséquent, une assez répandue confusion dans leur utilisation. Il est évident que
les fonctions d’identifier les matières, de préciser la configuration ou l’état des
objets, d’exprimer le rapport d’hypomimie sont transférées à un seul connecteur,
dont la signification s’efface. La locution accomplit son rôle d’instrument pour ces
fonctions: indiquer, préciser la matière, l’état, la configuration, des fois même la
32
manière. La double subordination cumulée (GN et GV) indique cette dualité
fonctionnelle.
En guise de conclusion théorique, il faudrait souligner encore que
l’emprunt, le transfert des mots polysémiques ne s’accompagne pas toujours du
transfert entier de ses significations. Dans le cas des connecteurs, on l’a vu, ses
fonctions peuvent s’enrichir dans la langue cible ou diminuer. Ce dernier aspect a
été mis en lumière par le fait que le style normatif en français (officiel,
administratif, législatif) dispose de plusieurs procédés pour exprimer le même
rapport sémantique et syntactique, tandis que le style normatif en roumain est
restrictif par rapport aux connecteurs et impose, à travers la routine et les modèles
imposés historiquement, une locution pour toutes les fonctions.
La variété et la flexibilité des solutions dans les autres types de texte
(surtout littéraires et scientifiques) ou de discours (colloquial, informel) permettent
la substitution avec des prépositions simples ou la reformulation. La logique
discursive dans les textes normatifs, en général, impose de recourir en première
instance à l’hyperonyme et ensuite de particulariser à l’aide des hyponymes. Cette
organisation sémantique préétablie explique l’emploi des clichés (en guise de
stratégie syntactique). Polysémique (le MDA enregistre 32 sens), le nom formă
fonctionne aujourd’hui comme un passe-partout.
NOTES
1.
En italien, agglomerato in forma di pellets.
Nom scientifique, en latin, Illicium verum.
3.
Directive 95/2/CE du Parlement Européen et du Conseil du 20 février 1995 concernant les additifs
alimentaires autres que les colorants et les édulcorants.
4.
Règlement (CE) no 1165/2007 de la Commission du 3 septembre 2007 établissant pour 2007 la
"liste Prodcom" des produits industriels prévue par le règlement (CEE) no 3924/91 du Conseil.
5.
«Les termes abstraits, lorsqu’ils prennent un argument concret, font en fait référence à un objet
concret sous un aspect ou bien a la manifestation d’une propriété dans cet objet concrète plutôt
que une référence à un objet abstrait», Friederike Moltmann, Les Objets Abstraits: le point de vue
de la langue naturelle [2006],
http://semantics.univ-paris1.fr/pdf/Les%20lundi%20de%20la%20philosophie.pdf
2.
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33
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DM 2007 – Rusu, Valeriu: Dicţionar medical, ediţia a III-a revizuită şi adăugită,
Bucureşti: Editura Medicală.
DEŞT 2007 – Drăgan, Gleb (éd.), Dicţionar explicativ pentru Ştiinţă şi Tehnologie,
român/englez/francez, Electrotehnică, Bucureşti: Academia & AGIR.
DEX 2009 – Dicţionarul explicativ al limbii române, ediţie revăzută şi adăugită,
Bucureşti: Univers Enciclopedic Gold.
Larousse 1999 – Le petit Larousse grand format.
GALR 2005 – Gramatica limbii române. I. Cuvântul, II. Enunţul, Bucureşti:
Academia Română.
MDA 2002 – Micul dicţionar academic, D – H, Bucureşti: Univers Enciclopedic.
34
ADAPTATIONS PHONOLOGIQUES D’EMPRUNTS
FRANÇAIS EN PORTUGAIS
Kátia BERNARDON DE OLIVEIRA
Université de Strasbourg, France
1. INTRODUCTION
Une fois qu’un nouveau mot étranger entre dans une langue, son maintien
dans cette langue qui le reçoit, langue d’accueil, n’est pas assuré ni certain. La
langue en soi-même évalue le besoin du nouveau terme. En outre, la forme sous
laquelle il restera ne suit pas un seul chemin. Et, encore, le sens du mot peut aussi
être modifié selon l’usage qu’en feront les locuteurs de la langue d’accueil. Ainsi,
une fois transmis et admis dans une langue, l’emprunt devient «propriété» de la
langue d’accueil, et son rapport avec la langue source, sa langue d’origine, est dans
la plupart du temps oublié, voire négligé.
Ici, la discussion terminologique s’impose: «emprunt», est-il le meilleur
terme pour désigner le phénomène du passage des mots d’une langue à autre?
Selon Haugen (1950, apud Appel / Muysken 1987), le terme importation
exprime mieux l’idée d’emprunt. Mineiro (1995) a également choisi ce terme dans
son travail. Ce dernier auteur considère qu’importation contient l’idée du passage
d’un vocable d’une langue vers une autre. Selon cette linguiste, en réalité, les
locuteurs importent des vocables, et, ces vocables, en remplissant les lacunes
lexicales, sont intégrés dans la langue qui les reçoit. Cet argument nous renvoie à
l’idée de lexicalisation et d’intégration que le terme «emprunt» n’évoque pas si on
le compare au terme «importation», qui dit aussi acquisition, appropriation.
Notre objectif principal dans cet article n’est pas de discuter la
terminologie en soi, mais de montrer la complexité du sujet et les diverses
perspectives d’analyse des emprunts. Nous utiliserons dans ce travail le terme
«emprunts» pour faire référence au phénomène, ayant conscience qu’une réflexion
y est exigée. Nous nous proposons ici de les analyser en ce qui concerne leurs
adaptations phonologiques, marque également d’acquisition et d’appropriation du
nouveau terme. De même, l’adaptation phonologique d’un mot étranger ne se
révèle pas sur une seule voie, ni en théorie, ni en pratique. Ainsi, nous parlerons de
manière brève dans un premier moment de la discussion théorique sur les termes,
les classifications et les facteurs qui peuvent éventuellement jouer un rôle dans le
processus d’adaptation, pour parler ensuite du cas spécifique des emprunts français
en portugais et les résultats d’une récente recherche dont l’objectif a été de
récupérer le processus d’adaptations des mots français déjà intégrés en portugais.
35
2. LES ADAPTATIONS PHONOLOGIQUES DES EMPRUNTS EN
THEORIE
2.1. Le caractère variable des adaptations: les facteurs susceptibles d’y
jouer un rôle
Le fait que les langues reçoivent des emprunts et que ces mots aient besoin,
la plupart du temps, d’être soit phonologiquement, soit morphologiquement et/ou
mêmes sémantiquement adaptés à la langue d’accueil est l’idée première sur
laquelle se base une étude sur ce phénomène. Pour renforcer cette idée
indispensable, nous avons recours à la proposition de Boutet:
«La conséquence la plus évidente et la plus répandue du contact entre langues est
l’emprunt: une langue importe des mots ou des expressions provenant d’une autre
langue. En français, ‘parking’, ‘football’, sont issus de l’anglais. Ces mots sont
intégrés phonologiquement, leur prononciation étant francisée. L’intégration au
système peut aussi conduire à l’intégration morphologique et syntaxique. Ainsi, le
verbe ‘to look’, emprunté, est ensuite conjugué selon la morphologie du français.
‘T’as looké le mec’, ‘Il me look ait pas possible’» (Boutet 1997: 4)
Etant donné que les adaptations auront lieu d’une manière ou d’autre, la
question se pose du phonème avec lequel le locuteur natif adaptera le mot étranger.
Coetsen (1988), ainsi que Deroy (1956), considèrent que les locuteurs qui reçoivent
le mot étranger s’efforceront de le prononcer selon la langue source. Comme ce
n’est pas complètement réalisable à cause des différences entre les systèmes
phonologiques, ils auront tendance à remplacer le phonème étranger par un
phonème plus proche de la langue native, la langue d’accueil.
Cependant, si les phonèmes étrangers étaient toujours remplacés par les
phonèmes les plus proches de la langue d’accueil, les études en linguistique
n’auraient pas de raison d’être. Le choix du phonème le plus proche, l’adaptation
des syllabes, l’accentuation et l’orthographe sont variables. C’est cette variabilité
qui rend intéressante l’analyse des adaptations phonologiques.
L’intégration du mot dans la langue dépendra d’abord de son usage et du
besoin qu’en a la langue d’accueil. Puis, comment l’intégration se passe-t-elle? La
manière dont il sera prononcé après sa lexicalisation dépend de plusieurs facteurs,
car le mot est passé par une période de variation où plusieurs prononciations ont été
possibles. Dans le cas des emprunts, la variable est le mot étranger même, et les
variantes sont les manières possibles soit de le prononcer, soit de l’utiliser avec
d’autres sens. Du point de vue phonologique, les variantes seraient les façons de
prononcer le mot étranger. Pour qu’une variante soit établie et choisie comme la
forme acceptée et intégrée dans la langue d’accueil, l’autre doit être refusée: elle
perdra son prestige dans la communauté linguistique.
La question sur la manière dont le mot étranger se présente aux locuteurs
de la langue d’accueil est ici pertinente. Il est évident que ce sont les locuteurs qui
adaptent les mots étrangers, mais la manière dont ils en ont pris connaissance peut
36
être déterminante pour le devenir de ce mot dans leur langue. Sandmann (1992: 74)
note: «Há empréstimos que, por assim dizer, entram pelos olhos, isso é, a palavra
foi mais vista do que ouvida. Outros entram pelos ouvidos1».
De même, Deroy (1956: 73) affirme: «Par l’oreille ou par les yeux, certains
mots ont été empruntés avec leur forme erronée ou en un sens inexact.»
L’interférence des yeux et/ou de l’oreille dans l’entrée d’un mot étranger
est remarquable. Cette observation sur le rôle que le registre orthographique peut
avoir dans le choix d’adaptation de l’emprunt est présente aussi chez Coetsen
(1988: 94): «As is well-known, we may borrow not only on the basis of
pronunciation (acoustic aspect), but also on the basis of spelling (visual aspect).
Spelling and pronunciation the interact intimately.»
Nous supposons que l’adaptation aura toujours tendance à réduire les
différences entre les langues en fonction de la structure de la langue d’accueil. Si le
mot entre par la forme orale, l’adaptation des phonèmes différents se fera par les
phonèmes les plus proches possibles de la forme étrangère dans le système
phonologique de la langue d’accueil.
De même en cas d’entrée orthographique: le locuteur produira le mot
étranger en respectant le rapport graphème/phonème de sa langue native, sauf s’il a
une connaissance de la langue étrangère. Ainsi, on remarque une variation dans le
champ des adaptations et que deux facteurs peuvent y jouer un rôle: l’orthographe
et la connaissance de la langue source.
2.2 Les types d’adaptation: leur classification
En ce qui concerne les différentes possibilités d’adapter un mot étranger,
voyons la classification établie par Carvalho (1989). L’auteur propose une
typologie et donne des exemples d’emprunts dans la langue portugaise:
A) traduction littérale, ou calque: HAUTE COUTURE→ ALTA-COSTURA;
B) adaptation phonétique et orthographique: FOOTBALL→ FUTEBOL;
C) adaptation seulement phonétique: SHOW
Nous affirmons que la prononciation, dans le troisième cas, sera adaptée,
car il est peu probable que le locuteur de la langue d’accueil fasse l’effort de
prononcer le mot en réalisant les phonèmes étrangers (surtout quand les phonèmes
de la langue source ne font pas partie de son système phonologique).
Cette classification confirme que les adaptations des emprunts sont un cas
de variation. Il n’y a pas qu’une manière d’adapter un mot étranger lors de son
processus d’intégration. Pour ce qui est des classifications d’adaptations, exposons
encore celle de Haugen:
«(i) Loanwords: morphemic importation without substitution. This is the most
common kind, such as the use of the word “chic” in English. Within the category
of loanwords, we may then distinguish cases there has been substitution at the
phonemic level (phonologically adapted loans) from those where this has not been
the case.
37
(ii) Loan blends: morphemic substitution as well as importation. This class
includes “hybrids” such Dutch soft-ware ‘huis’ from soft-ware ‘house’.
(iii) Loan shifts: morphemic importation without substitution. Here only a
meaning, simple or composite, is imported, both forms representing that meaning
are native. A well-know example of a loan shift is German “Wolkenkratzer”,
French “gratte-ciel”, and Spanish “rascal-cielos”, all based on English “skyscraper”. But when the meaning is simple we can also find cases of loan shift. This
is also sometimes called a loan translation. In Dutch the verb “controleren” means
mostly “to check”, but in recent years it also acquired the English meaning of
“control”, “to have power over.» (apud Appel / Muysken 1987: 164)
Cette classification se différencie de la première en ceci qu’elle démontre
le deuxième cas, où le mot étranger, en réalité les expressions étrangères, sont
utilisées et intégrées de manière hybride. Il y a un mélange: une partie est
conservée dans sa forme originelle et le deuxième composant est remplacé
(substitué) par un composant de la langue d’accueil. Le troisième cas présenté par
Haugen équivaut au calque, ou traduction littérale, qui n’a pas de rapport avec
l’adaptation phonétique/phonologique, car il s’agit de la traduction du mot qui ne
conserve aucun de ses aspects phonétiques/phonologiques.
A partir de nos lectures, nous précisions le schéma d’intégrations possibles
des emprunts: le calque-traduction; l’adaptation phonétique/phonologique avec
changement orthographique; et l’adaptation seulement phonétique, quand le mot
conserve la graphie étrangère et que sa prononciation reste proche de la langue
source dans la langue d’accueil.
L’on peut ainsi conclure que la variation d’adaptation au niveau
phonologique des emprunts existe et que des facteurs doivent y être rajoutés pour
une analyse plus complète. Ainsi, nous parlerons dans la section qui suit du cas
spécifique des emprunts français en portugais afin d’expliciter cette variation et de
montrer par une application pratique le rôle des facteurs tels que l’orthographe et la
connaissance de la langue source dans le processus.
3. LES ADAPTATIONS PHONOLOGIQUES EN PRATIQUE
3.1. Les emprunts français en portugais: les vestiges de l’histoire
En bref, l’influence du français dans le portugais remonte au XIXème siècle
avec l’arrivée de la Cour Portugaise au Brésil, en 1808. Malgré le rapport politicoéconomique entre le Portugal et l’Angleterre et le fait que la Cour se soit réfugiée
au Brésil pour fuir l’armée française, la «Mission Française» a été organisée en
1816, pendant le séjour de la famille royale dans sa colonie. Celle-ci a contribué à
propager au Brésil les styles européens, surtout le style français, dans l’urbanisme,
dans les arts et les sciences.
Dans la deuxième moitié du XIXème siècle et au début du XXème, lors de ce
qu’on appelle significativement la «Belle Époque», la France devient la principale
référence de l’élite brésilienne, comme le montre le style de modernisation qu’a
38
subi la capitale, Rio de Janeiro, à partir de 1902. Cette adoration du français
commence à décliner dans les années 30, à cause de la politique protectionniste et
nationaliste du gouvernement de Getúlio Vargas et de la croissance de la relation
politico-économique avec les États-Unis. À partir de la IIème Guerre Mondiale, la
prédominance de la langue anglaise dans le portugais brésilien est vérifiée, et elle
perdure de nos jours.
Ainsi, le corpus de base de cette recherche est constitué à partir de la
lecture du journal «A Gazetinha». Il s’agit d’un journal brésilien de la fin du
XIXème siècle, période propice pour l’entrée de mots français en portugais. Les
mots recueillis du journal ont été vérifiés dans le dictionnaire monolingue du
portugais Houaiss, pour attester de l’intégration des mots à l’époque actuelle.
Ainsi, les possibles mots «de mode» du XIXème siècle ne sont pas considérés dans
notre travail. Voici la liste des mots:
TOILETE : TOALETE
VELOUTINE : VELUTINA
ECHARPE : ECHARPE
CARNET : CARNÊ
MIGNON
GALANT : GALANTE
CHIC : CHIQUE
GAILLARD : GALHARDETES
BOUDOIR : BUDOAR
PALETOT : PALETÓ
CHATELLAINE : CHÂTELAINE
CHAMPAGNE : CHAMPANHE
COGNAC : CONHAQUE
DEBUT : DEBUTE
POLKA : POLCA
SOIRÉE
BANQUET : BANQUETE
RESTAURANT : RESTAURANTE
COLLET : COLETE
BIJOU : BIJU
ABANDONNER : ABANDONAR
BOUQUET : BUQUÊ
ABATJOUR : ABAJUR
BIDET : BIDÉ
CANAPÉ : CANAPÊ
BIBELOT : BIBELÔ
ÉTAGÈRES : ETAGÉRES
39
L’hypothèse que l’orthographe a un rôle dans les adaptations devient
plausible à travers les processus possibles qu’atteste cette liste. Le schéma
d’adaptations est le suivant:
(1) CAS RÉGULIERS: Le maintien du phonème français
<OI>;/wa/2→<OA>; /wa/ : toilette→ toalete
boudoir → budoar
<OU>; /u/→<U>; /u/ : bijou → biju
bouquet → buquê
<GN>; /ɲ / →<NH>; /ɲ / : champagne → champanhe
cognac → conhaque
(2) CAS IRRÉGULIERS:
(A)*Chute de la consonne3 écrite finale: carnet → carnê
bidet → bidê
bibelot → bibelô
(B) *Insertion de voyelle à la fin du mot: restaurant → restaurante
banquet → banquete
galant → galante
cognac → conhaque
Ces cas valident une étude pour préciser quels choix ont la préférence et à
quel point la référence écrite peut déterminer la stratégie d’adaptation.
3.2 La méthodologie: reconstituer les processus
La méthodologie se base sur l’article de Vendelin et Peperkamp (2006),
The influence of orthography on loanword adaptations. Ces linguistes se proposent
d’analyser la manière dont les locuteurs français réalisent les adaptations des
verbes anglais. À partir de deux situations différentes, ces auteurs observent
jusqu’à quel point les locuteurs sont sensibles à l’interférence du mot écrit.
Le test, comme il est spécifié, porte sur l’influence de l’orthographe. Sa
formulation présuppose que l’orthographe intervient de deux façons dans les
adaptations: le mot étranger est tout simplement lu, ce que ces linguistes nomment
«reading adaptations», où le mot est prononcé comme s’il venait de la langue
d’accueil. L’autre cas fait appel à la manière standard dont les graphèmes étrangers
(de la langue source) sont produits (prononcés) dans la langue d’accueil. Dans ce
cas, ces linguistes utilisent le concept de «between-language grapheme-to-phoneme
correspondence rules»4.
Le test consiste en présenter aux locuteurs des non-mots (inexistants) créés
selon des structures habituelles de verbes anglais4.Tous les participants ont été
soumis à deux types d’input (stimulus), oral et oral/écrit (mixed). Dans la situation
orale, le mot est présenté oralement. Dans la situation orale/écrite (mixed), le nonmot est fourni par écrit, puis, sa forme orale est présentée au participant. Dans la
40
situation mixed, les participants sont avertis qu’ils doivent faire attention au registre
écrit du mot.
Les participants ont été partagés en deux groupes: l’un par la situation orale
d’abord et puis par la situation mixed; alors que l’autre suit l’ordre inverse des
situations. En conclusion, Vendelin et Peperkamp avancent que l’orthographe a un
rôle dans les adaptations.
Dans notre cas, nous vérifions quels facteurs sont inter-liés dans certains
choix de stratégies d’adaptations des mots français en portugais, en comparant le
portugais européen et le brésilien. Notre objectif majeur est de vérifier le rôle du
facteur orthographe. La question phonologique est analysée à partir de la
distinction entre les adaptations de lecture et d’autres liées à la prononciation du
mot étranger.
Nous avons suivi la méthode des linguistes en ce qui concerne les
situations dans lesquelles les stimuli sont présentés aux participants5.
À partir de la liste des mots recueillis du journal, certaines consonnes et
voyelles de ces mots ont été modifiées pour en gauchir la compréhension, de sorte
que le test a été construit avec des non-mots suivis de phrases correspondantes dans
lesquelles les participants doivent introduire leurs versions d’adaptation. Le test est
le suivant:
DOILETTE
FELOUTÉ
OCHARBE
GARNET
MUGNON
KALANT
GIC
KAILLART
POUTOIR
BALETOT
CHATOLLAINE
CHOMBAGNO
GEGNAC
TOPUT
BOLGA
ZOIRÉE
PANQUET
LOSTAULANT
GOLLET
PICHOU
APANTENNER
POUQUET
APATCHOUR
PITET
1) Aqui é o ______________________.
2) É um vestido de _________________________.
3) Adoro esse _____________________.
4) Esse ___________________ é meu.
5) Ela é ________________.
6) Ele é ___________________.
7) Isso é muito ___________________.
8) Essa _____________é linda.
9) Quero um ___________________.
10) Esse _______________ é bonito.
11) É uma bela _____________________.
12) Comprei ____________________.
13) Também tem ____________________.
14) Isso é o _______________________.
15) Adoro ______________________.
16) Foi muito boa a _________________.
17) Um verdadeiro _______________________.
18) Vamos ao ____________________.
19) Não gosto de ___________________.
20) Não uso ______________________.
21) Vou ter que ______________________tudo.
22) Um lindo _________________.
23) Ele tem um ___________________.
24) Está ali em cima do ___________________.
41
GANABÉ
PIPELOT
ODAGERES
25) É um _____________________.
26) Parece um _____________________.
27) Eu não tenho _____________________.
Il a été demandé aux participants d’intégrer les mots dans les phrases sans
faire attention au contexte sémantique. En effet, ces phrases sont une manière de
les pousser à «penser en portugais», ce qui pourrait empêcher l’influence ou la
réalisation des phonèmes étrangers.
Nos participants passent par deux situations: l’une, où les mots leur sont
fournis oralement, les locuteurs entendent/écoutent les mots. Puis, on arrête le
stimulus pour que le participant écrive son adaptation dans la phrase
correspondante. À la fin de cette procédure, on demande aux participants de lire les
mots ou les phrases avec les mots adaptés. Cette lecture enregistrée constitue le
corpus d’analyse.
L’autre situation est mixed, c’est-à dire que les stimuli sont fournis
oralement en même temps que le participant s’aperçoit de la forme écrite de chaque
mot. La procédure d’intégration de leur version dans les phrases et la lecture sont
les mêmes que dans l’autre situation.
Dans la deuxième situation, soit l’orale, soit la mixed, selon l’ordre
convenu au participant, on lui demande d’évaluer ce qu’il vient de faire. La
décision de reformuler l’adaptation est un choix exclusif du participant. Les stimuli
sont fournis par quatre locuteurs français (deux femmes et deux hommes) qui ont
été enregistrés pour le test sous format mp3. Ainsi, la production des segments
phonologiques étrangers est faite par des locuteurs natifs. Les productions de ces
locuteurs sont fournies de manière alternée.
A partir des cas réguliers et des cas non-réguliers constatés à partir de mots
français déjà intégrés en portugais, nous avons construit un tableau d’analyse qui
expose les types d’adaptations possibles. Ce tableau distingue l’adaptation de
lecture de celle du rapport graphème-phonème entre langues. Ce cadre sera notre
référence à laquelle nous comparerons les résultats. Voyons ce tableau construit
avant le test:
Tableau: Correspondances pré-test
Graphème;
phonème
français
Adaptation de
lecture
Rapport
graphèmephonème
entre langues
[wa]; [o.a]
<oi>; /wa/
[oj]
<ou>; /u/
[ow]
[u]
<et>; /ɛ/
[e.t ʃi]; [ ɛ.t ʃi]; [e.te];
[ɛ]; [e]
42
<u>; /y/
[ɛ.te]
[u]
[u]; [i]
<c>; /k/
[ke]
[ke]
<gn>; /ɲ/
[gi.ne]
[ɲ]
Les données ont été collectées dans quatre régions du Brésil. Les locuteurs
du portugais européen ont subi le test à Lisbonne. Les participants doivent remplir
une fiche après leur participation au test. Cette fiche comporte des données
personnelles, comme le nom, le prénom, l’âge, la classe sociale, la connaissance de
la langue étrangère. L’appartenance à une classe sociale et le niveau de
connaissance des langues étrangères (le français, l’anglais et l’espagnol) sont une
auto évaluation du participant. Nous totalisons l’analyse avec 155 participants.
Après la transcription des données, l’analyse via GoldVarb 2001 a été
développée en trois tours pour chaque phonème: un avec les groupes des locuteurs
brésiliens, l’autre avec les locuteurs portugais et un troisième avec les deux
groupes ensemble. Passons aux résultats les plus remarquables concernant le rôle
de l’orthographe dans le processus.
3.3. Les résultats pertinents
3.3.1. Graphème <ou>; phonème /u/ français adapté par les locuteurs
portugais et brésiliens
La stratégie préférée a été la même aussi bien chez les Brésiliens que chez
les Portugais. Donc, le résultat confirme que le pourcentage le plus haut est celui
du maintien du phonème français. Quelques aspects sont intéressants en ce qui
concerne l’adaptation de lecture. Même si cette stratégie est toujours la moins
choisie, il semble que, dans quelques groupes, la lecture du phonème ait un rapport
avec un facteur externe.
Ce qui peut nous fournir de vrais indices par rapport au rôle du facteur
orthographe est celui qui concerne les situations du test. Ainsi, il est important de
retenir que l’adaptation de lecture a lieu dans la situation mélangée à partir de notre
analyse.
Nous croyons que l’adaptation de lecture n’est pas fréquente comme
stratégie d’adaptation des emprunts. Nous restons dans l’idée que les processus
d’adaptation sont plutôt dépendants de la structure de la langue d’accueil du point
de vue phonologique, sans rapport étroit avec les règles graphème/phonème entre
la langue source et la langue d’accueil. Cependant, quand l’adaptation de lecture a
lieu, il s’agit vraiment de la prise en considération du graphème étranger, du
respect de la représentativité de ce graphème selon les règles de lecture de la
langue d’accueil.
43
Le fait est confirmé quand on analyse le croisement des facteurs cibles,
c’est-à-dire la connaissance de la langue française et l’orthographe. Voyons le
résultat du croisement de ces facteurs6:
Ainsi, l’adaptation de lecture est vraiment rare, mais elle existe. Son
apparition est inter-liée à la non-connaissance de la langue source et à la situation
où le mot est présenté.
Donc, le processus qui consiste à lire le graphème français selon les règles
graphème/phonème du portugais semble être la ressource utilisée par ceux qui
n’ont pas l’habitude de la sonorité française. Le locuteur cherche des outils dans la
graphie afin de pouvoir comprendre: mieux percevoir ce qui est produit en français,
et le produire dans un autre moment en portugais en fonction de ce qu’il a vu,
c’est-à-dire la graphie du mot.
Nous l’affirmons par rapport au phonème français /u/. Cependant, nous
réaffirmons que les adaptations d’emprunts méritent des études individuelles en ce
qui concerne les phonèmes adaptés pour après passer à une comparaison et avancer
des conclusions plus précises.
3.3.2. Graphème <et>; phonème /ɛ/ français adapté par les locuteurs
brésiliens
Les résultats montrent que la stratégie préférée est toujours celle du
maintien de la voyelle /ɛ/, avec ou sans application des phénomènes phonétiques
du portugais en ce qui concerne l’ouverture, la hauteur de cette voyelle.
Pour ce qui est de l’analyse des situations, nous constatons, même avec des
pourcentages assez bas, que cette stratégie a été choisie dans la situation mélangée,
c’est-à-dire que les locuteurs l’ont réalisée au moment où ils ont pu voir le registre
écrit du mot. Pour l’affirmer, nous montrons les pourcentages concernant le
croisement entre les facteurs connaissance du français et la situation, représentante
de l’orthographe.
44
Nous pouvons affirmer, d’après les pourcentages ci-dessus, que les
participants ayant réalisé une adaptation qui semble une lecture du mot français
sont des locuteurs dont la connaissance du français a été classifiée par eux-mêmes
comme nulle. Le plus important est que cette adaptation se soit produite avec une
plus grande fréquence dans la situation mélangée, avec le registre écrit du mot.
Ainsi, l’orthographe peut jouer un rôle dans le choix d’adaptation, mais son
rôle varie selon les besoins du locuteur. On réaffirme que les locuteurs qui ne sont
pas habitués à l’écriture ni à la sonorité française se servent de l’aspect visuel du
mot pour réaliser l’adaptation. L’adaptation des mots étrangers allant toujours vers
la structure de la langue d’accueil, on observe la même tendance dans les
adaptations de lecture. Le mot étranger est lu selon les règles et correspondances
graphème/phonème de la langue qui reçoit les emprunts.
Donc, l’orthographe est bien un facteur dans les adaptations, mais son rôle
est inter-lié au facteur connaissance de la langue étrangère. Les locuteurs qui ont
une moindre connaissance de la langue ont tendance à l’utiliser comme ressource.
Ils pallient leur non-habitude de la sonorité étrangère et leur non-reconnaissance
des correspondances des graphèmes de la langue source par la lecture directe du
mot étranger selon les règles du rapport entre les graphèmes et les phonèmes de
leur langue native.
Si l'on considère notre expérience comme une reproduction du processus
d’adaptation que les mots français ont subi en portugais, nous supposons que les
mots qui semblent avoir une correspondance avec la lecture des graphèmes
étrangers selon les règles de l’orthographe portugaise sont dus à l’intervention,
dans un premier moment, de gens qui ne connaissaient pas la langue française.
En considérant que cette lecture apparaît toujours dans une proportion
moindre par rapport aux autres choix d’adaptation, nous croyons que
l’établissement de telle adaptation, par exemple l’insertion d’une voyelle à la fin du
mot, ce qui rajoute une voyelle à la consonne écrite, non prononcée, du mot
français, est faite d’intellectuels qui avaient le pouvoir de systématisation de
l’écriture portugaise. Le mot doit passer par un processus d’analyse et d’usage
régulier pour pouvoir rester dans la langue d’accueil. Son intégration passe
45
également par une vérification de sa viabilité dans la langue par des intellectuels,
qui décideront de la forme adaptée ou non du mot étranger.
Ainsi, le processus choisi pour des mots intégrés avec ce type de structure a
été, dans quelques cas, celui qui a facilité la prononciation du mot écrit français.
Une autre explication pour cette adaptation de lecture sont les moyens de
communication du XIXème siècle. La presse était le moyen le plus usuel et celui où
on utilisait le plus les mots étrangers. Aujourd’hui encore, les mots étrangers sont
plutôt utilisés, dans un premier moment, par les journalistes. De sorte qu’au
XIXème, la population, y compris celle qui avait une connaissance du français,
pouvait être influencée par la forme écrite du mot français à cause de la fréquence
de sa visualisation.
Une autre explication est un moment stable de variation pleine de la
prononciation de ces mots. Tel nous semble le cas des mots dont la lecture selon les
règles de la langue d’accueil est vraiment distincte de la prononciation du mot
originel. Quelques cas ont reçu une voyelle d’autres ont gardé la sonorité française.
La convention des adaptations des mots étrangers est plutôt liée à une
manipulation, et à une systématisation par un groupe qui a le pouvoir de décision
sur la langue. Que la variation ait été prise en compte semble logique, mais ce qui
en a fait une convention (plutôt que telle autre) n’est pas complètement clair et se
rapproche plus à un jugement arbitraire.
Les adaptations suivent les règles et les structures de la langue d’accueil,
mais exigent également l’intervention de conventions qui ne dépendent pas
complètement de la réalité linguistique des locuteurs. La variation est attestée par
nos données, ce qui peut nous aider à comprendre le processus d’adaptation des
emprunts à une autre époque, et ce qui explique pourquoi on trouve des mots avec
la consonne suivie d’une voyelle à la fin du mot, ou d’autres sans.
Les adaptations de lecture, ici, sont dépendantes de l’orthographe et du
niveau de connaissance du français. Puis, la forme convenue sous laquelle le mot
étranger sera enregistré dans la langue d’accueil dépend d’un processus d’analyse
et des conventions à côté du phénomène langagier en soi7. Nous attestons que
l’adaptation de lecture (quand elle existe) et l’intervention de la connaissance de la
langue source sont inter-liés. Ce qui a transformé en conventions ces adaptations
dépasse le cadre de cette étude.
3.3.3. Graphème <u>; phonème /y/ français adapté par les locuteurs
brésiliens
La stratégie préférée chez les Brésiliens est le maintien, aussi exact que
possible, du phonème français /y/, [i]. Ce phonème-ci est un cas un peu à part, car
ce phonème français ne fait pas partie de l’inventaire phonologique du portugais.
Ainsi, pour décider des variables dépendantes, nous avons considéré les voyelles
les plus proches possibles de la voyelle française, selon le trapèze phonologique
des voyelles: les voyelles hautes du portugais, l’antérieure, /i/, et la postérieure, /u/.
Ces voyelles sont les plus proches possibles du phonème français au niveau de
l’articulation. Pour distinguer l’adaptation de lecture, nous considérons comme
telles les réalisations de la voyelle adaptée comme [u], étant donné que la lettre
46
<u> écrite correspond à cette réalisation en portugais. Ainsi, les réalisations [i] sont
des stratégies considérées comme des adaptations qui maintiennent la
prononciation française, si on considère la proximité entre ces voyelles.
Les résultats montrent que les locuteurs brésiliens préfèrent maintenir la
prononciation française, à cause de la proximité sonore des voyelles en question.
Afin de décider si l’orthographe a développé un rôle dans les stratégies
d’adaptation de lecture, nous vérifions le rapport entre les groupes des facteurs,
situation et connaissance de la langue française (les facteurs cibles).
L’intervention de l’orthographe dans la réalisation de l’adaptation de
lecture est démontrée par le croisement des deux facteurs explicités ci-dessus.
Ainsi, la situation mélangée montre un pourcentage un peu plus élevé que celle où
le mot n’est présenté que par sa sonorité. Cependant, le groupe qui présente le
pourcentage le plus élevé de cette réalisation est celui qui a une bonne
connaissance du français. Ce cas laisse un chemin ouvert à des réflexions et des
recherches.
4. CONCLUSION
Nous voyons à partir des cas pratiques que, d’abord, le phénomène
d’emprunt implique la notion d’appropriation et d’acquisition des mots étrangers et
les adaptations phonologiques soulignent cette idée. La forme étrangère, dans la
plupart du temps, reçoit une adaptation phonétique/phonologique avec changement
orthographique, ce qui conserve la prononciation d’origine le plus proche possible.
Cependant, cela n’est pas toujours le cas, et la langue d’accueil utilise d’autres
ressources, ce qui fait du mot sa «propriété».
Les cas où l’orthographe semble être présente montrent que ce facteur
apparaît lié au niveau bas de connaissance de la langue source. Cela nous permet
d’affirmer que l’orthographe est une ressource pour ceux qui ne connaissent pas les
relations graphèmes/phonèmes du français. Les résultats montrent que les
adaptations des mots étrangers sont faites vers la langue d’accueil au niveau
phonologique aussi bien qu’au orthographique. Les mots, quand «plus vus
47
qu’entendus», suivent les règles de correspondance graphème/phonème de la
langue d’accueil. Ainsi, nous croyons que ces résultats poussent à une réflexion sur
le processus d’adaptations des mots étrangers et sur l’importance d’un regard
centré sur les facteurs extralinguistiques.
En effet, notre travail est également utile pour ce qui concerne
l’apprentissage du français langue étrangère par les locuteurs du portugais dans la
mesure où on voit les phonèmes qui causent une ambigüité de prononciation. Ainsi,
les enseignants, basés sur ces résultats, peuvent développer une didactique avec des
activités centrées sur la prononciation de ces phonèmes en précis afin de faciliter
leur acquisition et leur reconnaissance à l’écrit.
En outre, cette étude laisse d’autres chemins ouverts pour la recherche. Par
exemple, la vérification et l’implication du contexte spécifiquement phonologique
et les traits des phonèmes en analyse. A partir des résultats qui révèlent une plus
grande hésitation d’adaptation, on peut se poser la question sur les caractéristiques
du phonème en soi et vérifier si le même phénomène de variation, même si dans
une échelle mineure, a lieu dans d’autres contextes phonologiques- de même, pour
ce qui est de la prosodie: essayer de voir si le mot dans un contexte phrastique
présente de différences par rapport aux mots isolement présentés.
Ainsi, au-delà de la présente contribution, les emprunts, malgré leur
exploration assez répandue en linguistique, restent un sujet avec un vaste champ
d’investigation.
NOTES
1. Il y a des emprunts qui, on pourrait dire, rentrent par les yeux, c’est-à-dire, le mot a été plus vu
qu’écouté. Et d’autres qui rentrent par l’oreille.
2. Ce cas correspond en réalité à une séquence phonémique: une voyelle avec une semi-voyelle.
3. Lettre sans réalisation phonétique, mais qui pourrait servir d’indice à l’insertion d’une voyelle, ce
qui modifie la sonorité étrangère.
4. Les linguistes avaient des voyelles intra-consonnes précises à analyser. On n’approfondira pas ici
leur analyse.
5. Évidemment, le déroulement du test (par rapport aux équipements et aux conditions) a été adapté à
notre réalité.
6. L’orthographe est représentée par les différentes situations.
7. Nous pourrions penser que ce choix peut être lié au phénomène de liaison de la langue française.
Ce qui expliquerait également le rajout d’une voyelle à la lettre française à la fin du mot. Cette
lettre pourrait être interprétée comme un élément extra-syllabique, ce qui cause le phénomène de
liaison expliqué par le Principe du Licenciement Prosodique. Le Principe proposé par Itô (1986,
p.2 apud Collischonn) prévoit l’attachement de tous les segments à un nœud syllabique, c’est-àdire, à une syllabe. Ainsi, la liaison est selon Milliken (1988, apud Collischonn), un phénomène
expliqué par les cas d’extra-syllabisme. Ce sont les éléments qui, pendant le processus de
syllabisation d’une certaine séquence, ne peuvent pas être associés à une syllabe, mais ils ne sont
pas effacés, parce qu’ils sont considérés invisibles aux opérations d’effacement. L’auteur dit que
ces consonnes sont dans le niveau sous-jacent de la langue. À partir de ces idées démontrées très
brièvement, nous pouvons penser que les mots qui présentent ce type d’adaptation sont des mots
qui ont des contextes favorables et possibles de liaison en français. Les intellectuels, de cette
sorte, ayant une bonne connaissance du français ont récupéré telle consonne extra-syllabique
française en l’application d’insertion d’une voyelle, ce qui effectue l’adaptation du mot français
avec la consonne à la fin du mot en portugais. Cela reste comme une explication hypothétique, car
il faudrait réaliser une analyse des mots qui présentent telle adaptation pour vérifier si ces mots
48
peuvent subir le phénomène de liaison en français. Restons avec l’idée de convention de la forme
du mot adapté.
BIBLIOGRAPHIE
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Kingdom: Edward Arnold.
Basilio, Margarida (2001): Teoria lexical, São Paulo: Séries Princípios, 7 ed.,
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Boutet, Josiane (1997): Langage et société, Paris: Mémo Seuil, ed. Paris.
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49
LES EMPRUNTS LEXICAUX DANS LES LANGUES
ROMANES: CHRONOLOGIE, TERMINOLOGIE,
CLASSIFICATIONS
Lucreţia-Nicoleta BICESCU
Université Technique de Constructions de Bucarest, Roumanie
1. INTRODUCTION
Les emprunts lexicaux dans les langues romanes proviennent tant des
autres langues romanes (surtout du français) que des langues non-romanes (arabe,
anglais, allemand, turc, grec, magyar, etc.). Ils se situent à deux niveaux:
- des éléments importants de la terminologie linguistique (mots et concepts
qui constituent des éléments fondamentaux du métalangage de la linguistique);
- des mots qui ont enrichi le vocabulaire général des langues romanes,
étant des éléments fondamentaux pour divers champs sémantiques.
Nous nous sommes proposé de présenter dans les pages qui suivent un bref
panorama de la situation des emprunts à ces deux niveaux linguistiques - le
métalangage de la linguistique (la terminologie) et le vocabulaire général - dans
quatre langues romanes, l’italien, l’espagnol, le portugais et le roumain, tels qu’ils
résultent de l’étude d’un corpus.
2. LA TERMINOLOGIE LINGUISTIQUE
La lecture des chapitres dédiés au lexique dans les divers livres d’histoire
des langues romanes ainsi que d’études de linguistique romane nous permettent
d’isoler la terminologie concernant l’histoire du vocabulaire et les emprunts
lexicaux:
- en français (emprunt, influence, gallicisme, calque);
- en italien (prestito, influsso, forestierismo, gallicismo, francesismo,
provenzialismo, parola di origine gallo-romanza, calco);
- en espagnol (préstamo, galicismo);
- en portugais (empréstimo (do francês / do povençal), galicismo);
- en roumain (influenţă, neologism, cuvânt împrumutat, etc.).
Dans l’organisation hiérarchique du vocabulaire, nous avons trouvé des
mots français (champ, domaine), italiens (campo, terminologia), roumains
(terminologie).
Les unités d’analyse sont désignées aussi par des termes souvent différents
dans la même langue: en français (mot, terme), en italien (parola, vocabolo, voce,
50
termine, nome, elemento), en espagnol (palabra), en portugais (palavra), en
roumain (cuvânt, termen, element, etc.) (cf. F. Brunot (1967 sqq.), B. Migliorini
(1960 / 1983), R. Lapesa (1976), P. Teyssier (2001), O. Densuşianu (1997), G.
Ivănescu (1980), W. Bal et alii (1991), G. Rohlfs, P. Bec (1970, 1971), C.
Tagliavini (1982)).
Les emprunts lexicaux interromans (spécialement au français) existent,
donc, dans toutes les langues romanes. Du point de vue chronologique, ces
emprunts existent dans les langues romanes occidentales depuis l’époque des
troubadours et des trouvères, tandis qu’en roumain on les inventorie à partir de la
fin du XVIIIe siècle.
Dans le cadre de la distinction fonctionnelle entre les emprunts à l’adstrat,
les emprunts aux superstrats et les emprunts interromans (cf. C. Tagliavini, 1982),
les emprunts lexicaux que les langues romanes ont faits au français constituent une
partie importante des emprunts interromans.
Il y a plusieurs situations d’emprunt pour une famille de mots: on emprunte
à une langue étrangère le mot base, ou bien le mot base et (une partie de) ses
dérivés, ou encore un dérivé en reprenant d’une autre langue le mot base.
Des mots qui existent dans toutes les langues romanes (nationales) peuvent
avoir des étymologies différentes.
On constate ensuite que les emprunts lexicaux touchent beaucoup de
champs lexicaux (domaines du vocabulaire). Finalement, il faut préciser que les
mots empruntés sont surtout des mots pleins: des noms (majoritairement), des
adjectifs, des verbes et des adverbes.
Nous avons inventorié la terminologie linguistique utilisée dans les
chapitres de lexique d’histoires des langues romanes et d’études de linguistique
romane pour la comparer ensuite avec celle que proposent des études plutôt
classiques de linguistique. Les inventaires de mots extraits du corpus constitué et
des dictionnaires nous ont permis de comparer la situation des emprunts lexicaux
au français dans les langues romanes nationales autres que le français (italien,
espagnol, portugais, roumain).
Les mots clés trouvés sont les substantifs français emprunt, néologisme,
mot, terme, champ, vocabulaire, terminologie et leurs correspondants romans (v.
ci-dessus). Les distinctions mot (lexème) vs. terme et lexicologie vs. terminologie
se rattachent à la distinction des registres de langue (langue générale vs. langue
spécialisée (technique vs. scientifique), vocabulaire général vs. vocabulaire
spécialisé. Il faut mentionner ici aussi les distinctions suivantes: mots de la langue
générale vs. termes techniques vs. termes scientifiques, d’une part et
dénominations générales vs. dénominations spécialisées (techniques vs.
scientifiques) de l’autre.
Dans la présentation du Dicionário de Estrangeirismos on explique, entre
autres, la terminologie utilisée: estrangeirismo («palavra proveniente de outra
lingua y escrita de acordo com a ortografia da sua lingua de origem, em desacordo,
num ou em vários aspetos, com a grafia, a morfologia ou a relação entre grafia e
pronúncia do português»: angl. aftershave), empréstimo(s) («palavra(s) de outra(s)
51
lingua(s), (muitas) utilizada(s) com regularidade em textos oficiais em língua
portuguesa e registada(s) em obras lexicográficas do português»), decalque
semântico (equivalente: ptg. correio eletrónico pour angl. e-mail),
aportuguesamento («uma forma adaptada a nível ortográfico, ou morfológico, ou
mesmo semântico»: ptg. suflé < fr. soufflé), internacionalismo.
Selon la langue d’origine, on utilise toute une terminologie (tirée des noms
et des adjectifs ethniques) pour dénommer les emprunts et, de manière générale, les
mots étrangers: fr. gallicisme (it. gallicismo, esp. galicismo, it. francesismo, rm.
franţuzism), fr. italianisme (it. italianismo, rm. italianism), fr. arabisme (it.
arabismo, rm. arabism), fr. anglicisme (it. anglicismo, rm. anglicism), it. grecismo
(rm. grecism), fr. latinisme (it. latinismo, rm. latinismo), etc. (cf. F. Brunot (1967
sqq.), B. Migliorini (1960 / 1983), R. Lapesa (1976), P. Teyssier (2001), O.
Densuşianu (1997), G. Ivănescu (1980), W. Bal et alii (1991), G. Rohlfs, P. Bec
(1970, 1971), C. Tagliavini (1982)).
«Anche più importante è la serie delle parole di origine galloromanza. Per quelle
francesi si può rimanere incerti se siano vocaboli entrati nell’uso siciliano (più o
meno popolare) con i Normanni, ovvero se siano vocaboli genericamente
culturali o specificamente letterari, invece per le parole provenzali la
provenienza letteraria è pressoché certa. Non si dimentichi tuttavia, che molto
spesso è difficile distinguere i francesismi dai provenzialismi.» (B. Migliorini,
1983: 128)
«Per elencare i principali gallicismi penetrate in Italia dal 1000 al 1300 le
difficoltà non mancano.» (B. Migliorini, 1983: 158)
«A influência da língua d’oïl e da língua d’oc é muito forte durante o período do
galego-português, e explica-se por uma série de causas convergentes: presence da
dinastia de Borgonha, implantação das Ordens de Cluny e de Cister, chegada a
Portugal de numerosos franceses do Norte e do Sul, influência directa da literatura
provençal, etc.» (P. Teyssier, 2001)
«Neologismele de origine latină în –ione n-au căpătat la el forma –ione, pe care
le-o dădea în acelaşi timp Iannache Văcărescul, ci au rămas cu cea veche, de
origine latină-polonă şi latină-maghiară, în –ie (cf. mai vechiul oraţie). Alţii
plecau pe atunci de la forma franceză a cuvintelor latine în –ione, pe care o
introduceau de-a-dreptul în româneşte, fără a-i mai impune alte modificări, deci
pronunţarea ca en, on a vocalelor nazale ã, ẽ, õ: pension, rezon. Asemenea cuvinte
au pătruns în graiul vorbit de masele culte, rămînînd în limbă pănă astăzi. Alături
de ele se vor introduce mai tîrziu dubletele cu aspect fonetic latin: raţie sau
raţiune şi pensie sau pensiune, adesea cu sensuri deosebite.» (G. Ivănescu 1980:
627-628)
«O serie de termeni comerciali pătrunşi în această vreme în limba noastră sînt de
origine italiană […].» (G. Ivănescu, 1980: 497)
«La terminologia scientifica moderna è piena di neoformazioni dal Greco,
talune delle quali sono foggiate in modo poco felice o addiritura irrazionale.» (C.
Tagliavini, 1982: 281-282)
«Il Russo, lingua nazionale di un popolo di più alta cultura, ha permeato di suoi
elementi il lessico dei piccolo popoli ugrofinnici che abitano nell’URSS
(Mordvini, Ceremissi [ora detti Mari], Votjachi [ora detti Udmurti] ecc.); ma
52
questi popoli, che fino a una cinquantina d’anni fa si trovavano in uno stadio
ancora primitive di cultura, sono in gran parte dediti alla caccia e alla pesca e nella
caccia e nella pesca hanno raggiunto una perfezione tecnica non commune. Nulla
quindi di più naturale che, nel vocabolario tecnico della pesca e della caccia, essi
abbiano dato alla lingua russa (per lo meno ai dialetti russi della regione del
Volga) un numero considerevole di parole.» (C. Tagliavini, 1982: 272)
Cet appareil conceptuel n’est pas expliqué par les historiens de la langue.
C’est C. Tagliavini (1982) qui expose une théorie des emprunts dans le contexte de
l’évolution du latin et des langues romanes:
«Quando si parla di influssi lessicali si usa generalmente la voce «prestiti» o
«imprestiti». Il vocabolo è ormai entrato nella terminologia linguistica
internazionale (franc. emprunts, mots d’emprunt, ted. Lehnwörter, ingl
loanwords, sp. préstamos, russo zaimstvovannye slova, ungh. kölcsönszavak, ecc.),
ma non è forse uno dei più felici adattamenti alla linguistica di voci del linguaggio
comune o di una diversa terminologia specifica. Infatti il «prestito» doverbbe
portare con sé l’idea della «restituzione», cosa che invece, nel prestito linguistico,
avviene solo molto raramente e chi «presta» una cosa ad un altro dovrebbe
rimanere, almeno temporaneamente, privo, ciò che non avviene nel prestito
linguistico.» (C. Tagliavini, 1982: 270-271)
«Si intende con «prestito» o «voce mutuata» una parola che proviene ad una
lingua da un’altra lingua, diversa da quella che forma la base principale
dell’idioma mutuante, o che proviene dalla medesima lingua base, però non per
trasmissione regolare, continua e popolare, ma in seguito ad accatto seriore.» (C.
Tagliavini, 1982: 271)
Dans la bibliographie théorique consultée nous avons isolé la terminologie
linguistique suivante, terminologie qui permet la compréhension des faits de
langue envisagés: mot (St. Ullmann (1952), O. Duchacek (1967), L. Guilbert
(1971, 1975)), terme et terminologie (M.-T. Cabré, 1998), champ (St. Ullmann
(1952), O. Duchacek (1967), H. Geckeler (1971 / 1976)), emprunt (G. Humbley
(1974), L. Guilbert (1975), J. Rey-Debove (1998), C. Tagliavini (1982)), néologie
et néologisme (L. Guilbert, 1975), pérégrinisme (L. Guilbert, 1975), xénisme (L.
Guilbert, 1975), calque, changement sémantique (St. Ullmann (1952), O.
Duchacek (1967)).
Un excellent point de départ pour inventorier et pour expliciter la
terminologie concernant les unités d’analyse en lexicologie (unités lexicales) et
terminologie (unités terminologiques), l’organisation hiérarchique du lexique est
constitué par le glossaire de linguistique (cf. http://pnglanguages.org/ linguistics/
glossary_fe/) où on trouve les termes: mot, terme, néologie, néologisme, emprunt,
xénisme, calque, doublet, créativité lexicale, néologie de forme (création lexicale),
néologie de sens (changement sémantique).
D’autres termes et oppositions terminologiques se retrouvent un peu
partout dans la bibliographie citée: langue emprunteuse (J. Dubois (1994), A.
Martinet (1960)), innovation, emprunt lexical, emprunt savant, terme d’emprunt
53
(Croissels, 1991), phonème d’emprunt (Honis, 1963), emprunt vs. heritage (B.
Pottier, 1973), emprunt dénotatif vs. emprunt connotatif (B. Pottier, 1973), emprunt
interne vs. emprunt externe (J. Dubois et al., 1994), emprunt populaire vs. emprunt
savant (A. Martinet, 1960), néologisme vs. archaïsme, néologie de forme vs.
néologie de sens, mot simple, mot polysyllabique, mot dérivé, mot variable, mot
vide, mot emprunté, mot savant.
Dans le dictionnaire de linguistique de J. Dubois et alii (1994) on trouve,
en plus, les définitions des termes suivants: mot-phrase, mot-porte-manteau, motracine, mot-valise, lexème, lexie, lexique, lexicalisation, terminologie, dérivation,
composition, champ, champ de dispersion, champ lexical, classe, domaine,
dénomination, pérégrinisme.
Pour constituer le corpus linguistique, nous avons utilisé surtout des
chapitres de lexique d’histoires de la langue et d’études de linguistique romane (F.
Brunot (1967 sqq.), B. Migliorini (1960 / 1983), R. Lapesa (1976), P. Teyssier
(2001), O. Densuşianu (1997), G. Ivănescu (1980), W. Bal et alii (1991), G.
Rohlfs, P. Bec (1970, 1971), C. Tagliavini (1982)).
3. LES EMPRUNTS DANS LE VOCABULAIRE GENERAL VS.
SPECIALISE
De manière générale, les emprunts lexicaux touchent beaucoup de champs
lexicaux (domaines du vocabulaire). Il faut préciser que les mots empruntés sont
surtout des mots à sens plein: des noms (majoritairement), des adjectifs, des verbes
et des adverbes.
Il faut distinguer entre mot étranger et mot d’origine étrangère (cf. H.
Walter / G. Walter (1992) et http://www. portaldalinguaportuguesa. org/
index.php?action = estrangeirismos&act=list): les deux expressions désignent des
mots d’origine étrangère, mais les mots étrangers ne sont pas adaptés au système
graphique et morphologique de la langue cible.
Pour cette section de notre travail, nous avons examiné des articles de
presse d’information générale (Corriere della Sera (en ligne), El País (en ligne),
Correio da manhã (en ligne), România liberă (en ligne)), des articles de presse
spécialisée (Il Giornale dell’architettura, version imprimée et en ligne), des textes
littéraires d’écrivains du 19e siècle, republiés (cf. bibliographie: B. Perez Galdós
(1958 et en ligne), Vasile Alecsandri (1852 / édition de 1988), Mihail
Kogălniceanu (1840, édition de 1987)), un certain nombre d’articles de
dictionnaires spécialisés (P. Merlin / Fr. Coay (1988 / 2000), A. Lewin (2001), L.
de Madariaga (1994), PIARC (en ligne), Dicţionar tehnic poliglot (1963)).
Nous avons utilisé aussi des dictionnaires de mots étrangers et de
néologismes: O. Lurati (1990), H. Walter / G. Walter (1992), http://www.portal
dalinguaportuguesa.org/index.php?action=estrangeirismos&act=list (Dicionário de
Estrangeirismos), http:// projects. chass. utoronto. ca/ langueXIX/ dg/08_t1-2.htm.
Le Dicionário de Estrangeirismos (1343 mots) présente des mots étrangers
appartenant à beaucoup de domaines du vocabulaire (aéronautique, art culinaire, art
54
militaire, astronomie, automobile, botanique, chirurgie, cinéma, danse, économie,
électricité, géologie, informatique, juridique, marketing, médecine, météorologie,
minéralogie,
musique,
photographie,
physique,
politique,
sports,
télécommunications, théâtre, vêtements).
Ces mots viennent de langues européennes, africaines, asiatiques, etc.
(allemand, anglais, arabe, chinois, coréen, danois, espagnol, français, ghanéen,
grec, hébraïque, hollandais, italien, japonais, langues scandinaves, latin, maori,
néerlandais, norvégien, pahoehoe, russe, sanscrit, sueco, torque, yiddish). Ces
lexèmes ne respectent pas les règles orthographiques et morphologiques du
portugais, et ils sont tous enregistrés dans MorDebe («atestados em dicionários de
referência ou frequentes em jornais portugueses»), représentant moins de 1% du
lexique portugais. Seulement 294 mots sont d’origine française (2de place), contre
808 mots anglais (tête de liste).
«Este dicionário fornece uma lista que se pretende o mais completa possível de
todos os empréstimos não adaptados ortograficamente (isto é, que não respeitam a
grafia do português, ou a relação entre grafia e pronúncia) e que se encontram
registados na base de dados. Para todas estas palavras é indicada a categoria, a
língua de origem e o domínio a que pertencem.»
A partir du corpus nous avons isolé plusieurs inventaires de mots d’origine
française appartenant au lexique général (italien (elicottero, galleria, oblio,
parterre, trincea, trinciare, trinceante1, tranciare, tranchet, progetto, progettare,
etc.) espagnol (balance, barricada, batalla, batería, baluarte, etc. (cf. B. Perez
Galdós, en ligne); cine(matógrafo) (cf. http://www.elpais.com/global)), portugais
(alarme, estrangeiro, instalação, revoltar, etc.) ou roumain (abuz, academie,
aeronautică, aritmetică, literatură, discreţie, fin, pedant, decora, publica, etc. (cf.
M. Kogălniceanu, 1840 / 1987); actualitate, artă, auto2, cultură, economie,
educaţie, tehnologie, etc. (cf. http://www.romanialibera.ro)). D’autres inventaires,
extraits de dictionnaires analogiques, explicatifs et spécialisés ou de textes
spécialisés, sont constitués par des termes du lexique spécialisé (arts, urbanisme,
architecture, constructions).
Dans les documents sélectés il y a beaucoup de termes d’origine étrangère.
Pour ce qui est des emprunts au français, ceux-ci appartiennent à de
nombreux domaines du vocabulaire.
Par exemple, dans le texte de V. Alecsandri (1852 / 1988), les emprunts au
français appartiennent aux champs lexicaux suivants: vie militaire (armes (pistol),
organisation de la vie militaire (escadron), métiers militaires (militar, ofiţer,
cadet)), vie sociale et politique (bonj(o)ur, revoltat), administration du territoire
(provincie, capitală), arts (contradans), spectacles (carnaval, scenă, teatru),
vêtements et accessoires (costum, domino, bonetă), architecture (monument,
teatru), formules d’adresse (damă, madamă, demuazelă, madmuazel,
mademuaselă), boissons (şampanie), métiers (modistă), etc.
Les mots d’origine française du corpus portugais appartiennent aux
champs de la géographie (norte, sul), des unités de mesure (quilómetro), des
55
appareils de mesure (termómetro), des objets (cofre, ecrã), des armes (bomba), des
bâtiments et des constructions (quiosque, gare, aérogare), des voies terrestres de
communication (rua), moyens de transports (camião), des matières (bronze), des
agents humains (funcionário, passageiro1), des métiers militaires (comandante).
Un mot français peut être emprunté dans plusieurs langues: esp. jardín < fr.
jardin, it. giardino < fr. jardin.
Un même mot qui existe dans plusieurs langues romanes peut avoir une
origine différente dans chacune, en parcourant des itinéraires différents:
- esp. carnaval < it. carnevale, fr. carnaval < it. carnevale, rm. carnaval <
fr. carnaval;
- it. investire < lat. investire, ptg. investir < fr. investir < lat. investīre, rm.
investi < fr. investir, lat. investire.
Il existe aussi des mots empruntés, pour lesquels l’origine française est
possible (les mots à étymologie multiple). Voici quelques exemples:
- mots portugais:
- ptg. rua < fr. rue ou cast. rúa < lat. ruga- ptg. bomba1 < it. bomba, ou fr. bombe
- ptg. alarme < fr. alarme < it. all'arme
- ptg. alarmar < alarme+-ar, ou fr. alarmer
- ptg. quilómetro < quilo-+ metro, ou fr. kilomètre
- ptg. retirar < re- + tirar, ou fr. retirer
- mots espagnols:
- ptg. avenida < cast. avenida < fr. avenue
Des mots de la même famille (base lexicale et derivé(s)) peuvent être
empruntés à des langues différentes:
- ptg. prisão < fr. prison < lat. prensiōne- ptg prehensiōne-ptg. prisional < cast. prisión +-al < lat. prensione- rm. isterie < fr. hystérie, it. isteria
- rm. istericale < ngr. isteriká.
D’autres mots portugais sont d’origine seulement française, ou dérivés
dans cette langue d’une racine provenant du français:
- ptg. comandar < fr. commander
- ptg. comandante < fr. commandant
- ptg. commando < comandar
- ptg. revoltar < francês révolter
- ptg. revoltado, p.p. < revoltar
- ptg. gare < fr. gare
- ptg. aerogare < aero-+ gare
Il existe aussi des mots espagnols ou portugais empruntés à l’ancien
français: esp. baluarte < a. fr. ant. balouart < moy. néerl. bolwerc; ptg. estrangeiro
< fr. ant. estrangier, auj. étranger < lat. *extranearĭu-.
Une autre situation intéressante est celle des mots empruntés qui ont des
doublets d’origine française, comme dans le cas du rm. şerbet < tc. şerbet où on
trouve aussi rm. sorbet < fr. sorbet.
56
En roumain, on emprunte au français la base lexicale et on construit des
mots roumains sur cette base:
- rm. complot < fr. complot
- rm. complotist < rm. complot + -ist
- rm. costuma < fr. costumer
- rm. costumat, p.p., adj. < rm. costuma
Beaucoup des mots empruntés en roumain ont une étymologie multiple:
- mots à double étymologie, il y a des lexèmes qui ont pour origine:
(a) le français et le latin: rm. artist < fr. artiste, lat. artista, rm. iluminaţie
(luminaţie) < fr. illumination, lat. illumination, rm. teatru < fr. théâtre, lat.
theatrum, rm. monument < fr. monument, lat. monumentum, rm. duel < fr. duel, lat.
duellum, rm. act < fr. acte, lat. actum, rm. opinie < fr. opinion, lat. opinio, -onis,
rm. talent < fr. talent, lat. talentum, rm. patrie < fr. patrie, lat. patria, rm. plan < fr.
plan, lat. planus, rm. provincie (provinţie) < fr. province, lat. provincia, rm.
decoraţie (cocoraţie, cocoraţii) < fr. décoration, lat. decoratio, -onis, rm. triumf <
fr. triomphe, lat. triumphus, rm. public, n., adj. < fr. public, lat. publicus, rm. adora
(adorează) < fr. adorer, lat. adorare, rm. decora < fr. décorer, lat. decorare;
(b) le français et une autre langue romane: rm. adio < it. addio, fr. adieu;
(c) le français et une langue germanique (allemand): rm. mască (maşcă) <
fr. masque, germ. Maske, rm. marş, n. < fr. marche, all. Marsch, rm. vals (valţ) <
fr. valse, all. Walzer;
(d) le français et une langue slave (russe): rm. cadet < fr. cadet, rus. kadet,
rm. comisar < fr commissaire, rus. komissar, rm. escadron (scadron) < rus.
eskadron, fr. escadron;
- mots roumains à triple étymologie:
(a) le français, une langue romane, le latin: rm. scenă < fr. scène, it. scena,
lat. scaena, rm. notă (de plată) < fr. note, lat. nota, it. nota;
(b) le français, une langue romane, le néo-grec: rm. patriot < ngr. patriótis,
fr. patriote, germ. Patriot, rm. partidă (de cărţi) < ngr. partídha, it. partita, fr.
partie;
(c) le français, une langue germanique (allemand), le latin: rm. revoluţie <
fr. révolution, lat. revolutio, -onis, germ. Revolution, rm. militar < fr. militaire, lat.
militaris, germ. Militär;
(d) le français, une langue romane, l’allemand: rm. mobilă < fr. meuble, it.
mobilia, germ. Möbel;
(e) le français et deux langues slaves: rm. ofiţer (ofiţeri) < pol. oficer, rus.
ofițer, fr. officier;
- mots qui ont plus de trois étymons: rm. muzică < lat. musica, it. musica,
fr. musique, germ. Musik, rm. orchestră < fr. orchestre, germ. Orchester, it.
orchestra, rus. orkestr, rm. serenadă < fr. sérénade, it., sp. serenata, germ.
Serenade.
Comme nous l’avons montré, les mots empruntés sont surtout des mots à
sens plein: noms (majoritairement), adjectifs, adverbes (rarement), verbes. Nous
avons individualisé les classes sémantiques suivantes:
57
- noms concrets individuels inanimés (ptg. bronze < fr. bronze < it. bronzo;
ptg. camião < fr. camion; ptg. cofre < fr. coffre < lat. eccl. coffru- ; ptg. ecrã < fr.
écran; ptg. gare < fr. gare; ptg. instalação < fr. installation; ptg. jornal < fr.
journal < lat. diurnāle-; ptg. quiosque < fr. kiosque < tc. kioskh; ptg. restaurante2 <
fr. restaurant; ptg. termómetro < fr. thermomètre < gr. thérme+ métron; rm. sală <
fr. salle; rm. salon < fr. salon; rm. lojă < fr. loge; rm. bufet < fr. bufet; rm. bal < fr.
bal; rm. carnaval < fr. carnaval; rm. pistol < fr. pistole; rm. bilet (pl. bileturi) <
fr. billet (cfr. it.); rm. costum (costium) < fr. costume; rm. domino < fr. domino;
rm. bonetă < fr. bonnet; rm. papiotă (papiliotă) < fr. papillote; rm. capitală
(capitalie, capitaţie) < fr. capitale; rm. şampanie (şampan) < fr. champagne; rm.
costrădanţ < fr. contredanse;
- noms concrets individuels animés: ptg. candidato < fr. candidat < lat.
candidātu-; ptg. funcionário < fr. fonctionnaire; ptg. passageiro1 < fr. passager;
ptg. patrão < fr. patron < lat. patrōnu-; ptg. responsável < fr. responsible; rm.
demuazelă (franţuzism, vx.)< fr. demoiselle rm. madamă [auj. madam] < fr.
madame; rm. modistă < fr. modiste; rm. amoreză < fr. amoureuse; rm. bonjur
(franţuzism) (bonjour), bonjurist < fr. bonjour; rm. revoltant < fr.révoltant;
- noms collectifs inanimés: ptg. corporação < fr. corporation < lat.
corporatiōne-;
- noms concrets collectifs animés: ptg. equipa < fr. équipe
- noms abstraits: ptg. alarme < fr. alarme < it. all'arme; ptg. choque < fr.
choc; ptg. este2 < fr. est < angl. east; ptg. funcionamento < fr. fonctionnement; ptg.
norte < fr. nord < angl. north; ptg. oeste < fr. ouest < angl. west; ptg. sul < fr. sud
< angl. ant. suth; ptg. vaga1 < fr. vague < scand. ant. wagr; rm. compliment (pl.
complimenturi) < fr. compliment; rm. complot (pl. comploturi) < fr. complot; rm.
fantazie < fr. fantaisie;
- adjectifs: rm. fin < fr. fin, rm. pedant < fr. pédant, germ. Pedant;
- verbes: esp. abandoner < fr. abandonner; ptg. garantir < fr. garantir; ptg.
investir < fr. investir < lat. investīre; ptg. revoltar < fr. révolter; ptg. surpreender <
fr. surprendre; ptg. alarmar < alarme+-ar, ou fr. alarmer.
En ce qui concerne les termes techniques des vocabulaires des arts, de
l’urbanisme, de l’architecture et des constructions, on constate qu’en roumain ils
sont le plus souvent d’origine française (qu’il s’agisse de bases lexicales ou de
termes dérivés vs. composés): rm. urbanism < fr. urbanisme, rm. urban < fr.
urbain, lat. urbanus, rm. urbanist < fr. urbaniste, rm. urbaniza < fr. urbaniser, rm.
urbanitate < fr. urbanité, lat. urbanitas, -atis, rm. arhitectură < fr. architecture,
lat. architectura, rm. architect < fr. architecte, lat. architectus, rm. architectural
< fr. architectural, rm. arhitectura < fr. architecturer, rm. architectonic < fr.
architectonique, lat. architectonicus, rm. architectonic, -ă < fr. architectonique,
lat. architectonicus, etc.
Des termes du vocabulaire des arts (désignant des courants esthétiques, des
styles architecturaux, des éléments d’architecture) sont d’origine française dans
plusieurs (sinon dans toutes) des (/ les) langues romanes: it. ogivale < fr. ogival, it.
ogiva < fr. ogive, esp. ojiva < fr. ogive, rm. ogival < fr. ogival, rm. ogivă < fr.
58
ogive, it. barocco2 < probabl. croisement du fr. baroque et du baroco, esp. barroco
< fr. baroque, rm. baroc < fr. baroque, it. art nouveau (loc. fr.), etc.
En comparant beaucoup de mots qui désignent des matériaux de
construction en français, italien et roumain, on constate que seulement it. beton et
rm. beton sont empruntés au français dans les deux langues et une bonne partie de
leurs dérivés:
(a) it. beton < fr. béton, it. betonièra < fr. bétonnière < fr. béton, it.
betonàggio < fr. bétonnage < fr. béton, it. betonista (ou betonière) < it. beton, it.
gasbetòn < it. gas + it. beton;
(b) rm. beton < fr. béton, rm. betona < fr. bétonner, rm. betonare < rm.
betona, rm. betonaj < fr. bétonnage, rm. betonieră < fr. bétonnière, rm. betonist <
rm. beton + -ist.
Comme rm. betona (vb.), beaucoup d’autres verbes roumains qui désignent
des travaux de construction sont d’origine française: asfalta, construi, dala,
gudrona, macadamiza, pava.
Pour souligner l’importance des emprunts du français, nous présentons un
bref tableau des mots du champ lexical des matériaux en français, italien et
roumain:
français
argile
MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION
italien
argilla
roumain
argilă < fr. argile, lat. argilla
asphalte
asfalto
asfalt < fr. asphalte
beton1
beton < fr. beton
bitume
beton < fr. béton,
calcestruzzo < lat. *calcestris
bitume
calcaire
calcare2
ciment
cemento
calcar < lat. calcarius, fr.
calcaire
ciment < it. cimento, fr. ciment
1
bitum < fr. bitume
dalle
dalle2
granite
lastra
dală < fr. dalle
granito3
granit < fr. granite
liant
legante
liant < fr. liant
metal
metallo1
metal < fr. metal, germ. Metall
travertin
travertino
tuf
tufo
travertin < fr. travertin, it.
travertino
tuf < fr. tuf
4. CONCLUSIONS
Dans les textes littéraires du XIXe siècle et dans les textes de la presse
actuelle il y a beaucoup de mots d’origine étrangère et, surtout, beaucoup de mots
d’origine française. Certains domaines des langues romanes actuelles sont
59
constitués majoritairement de mots d’origine française, qu’il s’agisse du lexique
général ou spécialisé.
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(2009): «Cattivi restauri in Grecia», in Il Giornale dell’architettura 73: 15
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(2009): «Firenze vista dall’alto», in Il Giornale dell’architettura 73: 15
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Primeiro nevão este Outono na Serra da Estrela (http:/ /www. cmjornal.xl.
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64
L’ADAPTATION DES EMPRUNTS LEXICAUX DU
FRANÇAIS PAR LA LANGUE RUSSE,
DE KARAMZIN À AKUNIN
Christine BRACQUENIER
MoDyCo, UMR 7114
Université Charles-de-Gaulle, Lille 3, France
CNRS / Université Paris Ouest Nanterre La Défense, France
Dès le XVIIème siècle, mais de manière beaucoup plus importante au
XVIII siècle, le russe a emprunté du lexique au français, aussi bien pour la
langue de la vie quotidienne que dans les langues de spécialité. Ce phénomène se
poursuit de nos jours, avec un accroissement du volume des emprunts dans certains
domaines depuis la dernière décennie du XXème siècle. Il sera ici question de la
manière dont le russe s’approprie les mots français en les adaptant aux niveaux
phonétique, orthographique, morphologique, syntaxique et sémantique. Il faut
cependant noter que les procédés d’adaptation dont use le russe sont les mêmes
quelle que soit la langue source. Mais avant cela, je présenterai les champs
lexicaux qui fournissent régulièrement du lexique au russe par emprunt au français.
Quelques remarques préliminaires s’imposent. Il est toujours difficile de
déterminer avec précision comment se passe l’emprunt des mots que l’on dirait,
dans notre jargon moderne, globalisés ou mondialisés, et notamment des héritages
grecs et latins. Sont-ils entrés directement en russe ou bien ont-ils transité et sontils arrivés en russe par l’intermédiaire d’une autre langue, et si oui, laquelle? le
français? le polonais? Cette question a soulevé bien des polémiques, comme le
montrent J. Breuillard / P. Keruhel (1979: 470). Par ailleurs, la langue française a
pu servir de «passeur» aussi pour d’autres langues vernaculaires, comme l’italien
ou l’anglais. Je ne m’attarderai pas sur ces problèmes ici dans la mesure où ils ne
correspondent pas à l’objectif de ce présent travail et les emprunts à étymologie
multiple sont traités de façon approfondie dans d’autres contributions de ce
volume.
ème
1. LES CHAMPS LEXICAUX DES EMPRUNTS
Les domaines qui ont fourni et fournissent le plus de lexique au russe à
partir du français sont essentiellement les suivants, mais J. Breuillard / P. Keruhel
(1979: 467) font remarquer que ces phénomènes de l’emprunt au français
concernent l’ensemble du lexique:
65
- la gastronomie: нектар (nektar: nectar)1, суп (sup: soupe), соусы (sousy:
sauces), десерт (desert: dessert), лимонад (limonad: limonade), бисквиты
(biskvity: biscuits), баваруаз (bavaryaz: bavaroise), буше (buše: petit-four), безе
(beze: meringue, macaron), майонез (majonez: mayonnaise) ou encore рагу (ragu:
ragoût) ; sans oublier les vins, comme медок (medok: Médoc), лафит (lafit:
Laffitte); et, plus récemment, круассан (kruassan: croissant).
(1) В Румынии продают шоколадные круассаны «Обама»
В румынском городе Алба-Юлия в одной из кондитерских появились в
продаже круассаны с шоколадом, которым дали название «Обама». По
мнению менеджеров предприятия, эти булочки, покрытые приправленным
ромом шоколадом, станут хитом2. (Аргументы и факты, 11/02/2009)
http://www.aif.ru/money/news/30922
V Rumynii prodaût šokoladnye kruassany «Obama»
V rumynskom gorode Alba-üliâ v odnoj iz konditerskix poâvilis’ v prodaže
kruassany s šokoladom, kotorym dali nazvanie « Obama ». Po mneniû
menedžerov predpriâtiâ, èti buločki, pokrytye pripravlennym romom šokoladom,
stanut xitom. (Argumenty i fakty)
<En Roumanie on vend des croissants au chocolat «Obama»
Dans la ville roumaine Alba Iulia dans une pâtisserie ont été mis en vente des
croissants au chocolat auxquels on a donné le nom d’«Obama». Selon les
responsables de l’entreprises, ces petits pains, recouverts de chocolat parfumé au
rhum, seront vite un succès.>
- les vêtements, la mode, les étoffes, les parfums: робы (roby: robes),
неглиже (negliže: déshabillé), корсет (korset: corset).
(2) Для верховой езды у меня прелестная амазонка из зеленого дра-де-дама и
круглая мужская шляпа, бесподобнейшая! (Булгарин, Письма провинциялки
из столицы).
Dlâ verxovoj ezdy u menja prelestnaâ amazonka iz zelenogo dra-de-dama i
kruglaâ mužskaâ šlâpa, bespodobnejšaâ! (Bulgarin, Pis’ma provincialki iz stolicy)
<Pour monter à cheval j’ai une charmante amazone en « drap de dame » vert et
un chapeau d’homme rond, des plus admirables!>3
(3) Опрыскиваться духами mauvais ton, провинциялизм! Только l'eau de
Cologne, eau des Alpes и mille fleurs – позволенные вещи за дамским
туалетом, но этим моются с водою, а не напрыскиваются, как у нас.
(Булгарин, Письма провинциялки из столицы).
Opryskivat’sâ duxami mauvais ton, provinciâlizm! Tol’ko l'eau de Cologne, eau
des Alpes i mille fleurs – pozvolennye veŝi za damskim tualetom, no ètim moûtsâ
s vodoû, a ne napryslivaûtsâ, kak u nas. (Bulgarin, Pis’ma provincialki iz stolicy)
<S’asperger de parfum est de «mauvais ton», c’est du provincialisme! Seules
l’eau de Cologne, eau des Alpes et mille fleurs sont permises pour la toilette des
femmes, mais on les mélange à de l’eau pour se laver, on ne s’en asperge pas
comme chez nous.>
- l’architecture: монумент (monument: monument), барельеф (barel’ef:
bas-relief), балюстрад (balûstrad: balustrade), террасса (terrassa: terrasse),
66
«перистили, портики, фронтоны, пиластры (perisitili, portiki, frontony,
pilastry: péristyles, portiques, frontons, pilsatres)» (Karamzin), обелиск (obelisk:
obélisque), павильйон (pavil’jon: pavillon), аркады (arkady: arcades);
- la vie intellectuelle et artistique, notamment les termes liés au théâtre:
театр (teatr: théâtre), партер (parter: parterre), ложи (loži: loges), виртуозы
(virtuozy: virtuoses); эстампы (èstampy: estampes); комплимент (kompliment:
compliment); каламбуры (kalambury: calembours);
- les artefacts: диаманты (diamanty: diamants), бриллианты (brillianty:
brillants); канапе (kanape: canapé), эшафот (èšafot: échafaud), биллиард
(billiard: billard), фиакр (fiakr: fiacre), ревербер (reverber: réverbère), телевизор
(televizor: téléviseur);
- les lieux: булевар4 (bulevar: boulevard), ресторан (restoran: restaurant),
отель (otel’: hôtel), мотель (motel’: motel), et aussi, par exemple, оберж (oberž:
auberge) et генгет (genget: guingette), féminisé par Karamzin (d’où генгета,
gengeta), mais emprunté tel quel par Bulgarin, et donc donnant un substantif
masculin:
(4) В наше время русские трактиры уже совершенно изменились, и хотя
сохраняют еще свою оригинальность, русизм, но в существе своем
благопристойнее даже парижских загородных трактиров, генгетов и
городских гарготов… (Булгарин, Русская ресторация).
V naše vremâ russkie traktiry uže soveršenno izmenilis’, i xotâ soxranâût eŝe svoû
original’nost’, rusizm, no v suŝestve svoem blagopristojnee daže parižskix
zagorodnyx traktirov, gengetov i gorodskix gargotov… (Bulgarin, Russkaâ
restoraciâ)
<De nos jours les cabarets russes ont complètement changé, et bien qu’ils
conservent leur originalité, leur caractère russe, ils sont plus convenables que les
cabarets des banlieues parisiennes, les guinguettes, ou que les gargotes de la
ville.>
- la société: il convient de préciser que ces emprunts ont été nombreux au
XVIIIème siècle, qu’ils le sont moins de nos jours et que beaucoup de ces mots
empruntés ne l’ont été que pour décrire la société française, ou plus largement,
européenne, et nettement moins la société russe de l’époque qui possédait sa propre
hiérarchie nobiliaire et ses propres termes. La plupart d’entre eux est conservée
dans la langue russe actuelle aux mêmes fins: маркиз (markiz: marquis), маркиза
(markiza: marquise), барон (baron: baron), баронесса (baronessa: baronne),
принц (princ: prince), принцесса (princessa: princesse); дофин (dofin: dauphin),
прелат (prelat: prélat); d’autres sont pérennes, comme министры и эксминистры (ministry i èks-ministry: ministres et ex-ministres), адвокаты
(advokaty: avocats), экономисты (èkonomisty: économistes), энциклопедисты
(ènciklopedisty: encyclopédistes), аристократы и демократы (aristokraty i
demokraty: aristocrates et démocrates); орден тамплиеров (orden tamplierov:
ordre des Templiers); савояры (savoâry: savoyards) n’est employé que par deux
auteurs, Karamzin d’une part, et Annenkov d’autre part, tous les deux pour
dénommer les musiciens des rues dans la France respectivement de la fin du
67
XVIIIème siècle et de la Révolution de 1848; et puis il y a aussi le петиметр
(petitmetr: petit-maître) qui fleurissait au XVIIIème siècle.
Jean Breuillard / Pierre Kerhuel ont établi une nomenclature idéologique
des emprunts au début du XIXème siècle (1820), ils obtiennent un corpus de 1355
mots et déterminent les trois domaines les plus représentés: la vie artistique (avec
la littérature 120 mots, le théâtre 50 mots, les Beaux-Arts 100 mots, la musique et
la danse 70 mots) pour un total de 330 mots; la vie scientifique et technique (300
mots), la «frivolité» 215 mots (habillement, coiffure, objets de toilette (115 mots)
et distractions et fêtes (100mots)). Certains termes empruntés au XVIIIème siècle
ont pu sortir de l’usage quotidien, mais les champs lexicaux pourvoyeurs
d’emprunts restent à peu près les mêmes, mis à part la vie scientifique et technique
qui recule dans les emprunts au français, face aux TIC et au lexique des affaires,
largement alimentés par l’anglais. Les champs lexicaux qui ont fourni au russe des
emprunts à partir du français ont été largement étudiés (notamment, J. Breuillard /
P. Kerhuel: 1979; Corrêa da Costa: 1995) et je vais davantage m’intéresser ici à
leur insertion dans le système de la langue.
2. ADAPTATIONS PHONETIQUES ET ORTHOGRAPHIQUES
L’adaptation phonétique se manifeste au travers de l’adaptation
orthographique. Quand le russe emprunte à une langue européenne, quelle qu’elle
soit, se pose le problème de la graphie. Dans les Lettres d’un voyageur russe,
Karamzin utilise le mot tel quel ou le translittère ou encore le transcrit en lettres
cyrilliques. On peut observer que Karamzin n’est pas toujours très attentif à
l’orthographe; c’est tantôt le «Café de Valois, de caveau», tantôt «Café de Foi, du
Cavot, du Valois, de Chartres»:
(5) […] – и с томною, но приятных чувств исполненною душою отдыхать в
Пале-Рояль, в «Café de Valois», de «Caveau» за чашкою баваруаза
(Kaрамзин, Письма русского путешественника).
[…] i s tomnoû, no priâtnyx čuvstv ispolnennoû dušoû otdyxat’ v Pale-Roâl’, v
«Café de Valois», de «Caveau» za čaškoû bavaruaza. (Karamzin, Pis’ma
russkogo putešestvennika)
< […] – et l’âme langoureuse mais pleine de sentiments agréables, se reposer au
Palais Royal, au «Café de Valois», de «Caveau», devant une tasse de bavaroise.>
(6) Ныне более шестисот кофейных домов в Париже […], но знаменитых
считается десять, из которых пять или шесть в Пале-Рояль: Café de Foi, du
Cavot, du Valois, de Chartres. (Kaрамзин, Письма русского
путешественника).
Nyne bolee šestisot kofejnyx domov v Pariže […], no znamenityx sčitaetsâ desât’,
iz kotoryx pât’ ili šest’ v Pale-Roâl’: Café de Foi, du Cavot, du Valois, de
Chartres. (Karamzin, Pis’ma russkogo putešestvennika)
< Actuellement il y a plus de 600 cafés à Paris […], mais on peut considérer qu’il
y en a dix de célèbres, parmi lesquels cinq ou six au Palais Royal: Café de Foi, du
Cavot, du Valois, de Chartres.>
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S’il transcrit le mot отель (otel’: hôtel), il l’écrit en français en note de bas
de page par exemple:
(7 ) Иметь хорошую комнату в лучшей отели […]
[Note]: Hôtel есть наемный дом, где вы, кроме комнаты и услуги, ничего не
имеете. Кофе и чай приносят вам из ближайшего кофейного дома, а обед – из
трактира. (Kaрамзин, Письма русского путешественника).
Imet’ xorošuû komnatu v lučšej oteli […]
[Note]: Hôtel est’ naemnyj dom, gde vy, krome komanty i uslugi, ničego ne
imeete.kofe i čaj prinosât vam iz bližajšego kofejnogo doma, a obed – iz traktira.
(Karamzin, Pis’ma russkogo putešestvennika)
<Avoir une bonne chambre dans le meilleur hôtel […]
[Note]: Hôtel est une maison louée où, outre la chambre et les services, vous
n’avez rien de plus. Le café et le thé vous sont apportés du café le plus proche et le
repas vient d’un cabaret.
Le russe contemporain insère volontiers un mot en lettres latines dans son
texte en cyrilliques sans autre forme de procès:
(8) Кажется, ее высочеству было угодно сделать меня конфидентом своей
affaire de cœur, а мне совершенно не хотелось принимать на себя эту
двусмысленную роль. (Акунин, Коронация).
Kažetsâ, ee vysočestvu bylo ugosno sdelat’ menâ konfidentom svoej affaire de
cœur, a mne soveršenno ne xotelos’ prinimat’ na sebâ ètu dvusmyslennuû rol’.
(Akunin, Koronaciâ)
<Il me semble que son Excellence voulait faire de moi le confident de son affaire
de cœur, mais moi, je n’avais pas du tout envie de prendre sur moi ce rôle
ambigu.>
Mais très rapidement, le russe translittère ou transcrit l’emprunt afin de mieux
l’insérer dans la structure de la phrase:
(9) На первый взгдяд все это выглядело как самый обычный светский суаре
[…] (Акунин, Коронация)
Na pervyj vzglâd vse èto vyglâdelo kak samyj obyčnyj svetskij suare […]
(Akunin, Koronaciâ)
<A première vue tout cela ressemblait à une soirée mondaine des plus
ordinaires.>5.
Le russe actuel transcrit phonétiquement plus qu’il ne translittère. Il attache
une importance particulière à la prononciation du mot dans la langue d’origine.
Pour les sons communs aux deux langues, ou proches, il n’y a pas de difficultés
majeures. Se pose en revanche le problème des sons vocaliques /u/ et /eu/.
-u- est transcrit par -y- (-u-) ou -ю- (-û-): буфет (bufet: buffet); меню
(menû: menu);
-ieu- donne -ье- (-’e-): крок-месье (krok-mes’je: croque-monsieur) et plus
anciennement -ьё- (-’ë-): Монтескьё (Montesk’ë) alterne, chez Karamzin, avec
69
Монтескье (Montesk’e: Montesquieu). La syllabe -eur est transcrite différemment
suivant les époques: d’abord -ёр: актёр (aktër: acteur), ресторатёр (retoratër:
restaurateur), ce dernier mot étant fixé comme ресторатор (restorator:
restaurateur) dans le dictionnaire de 1865, à l’image de директор (direktor:
directeur), телевизор (televizor: téléviseur)6, etc.
Les sons nasaux /an/in/on/ sont dénasalisés:
-on donne -он (-on): шампиньон (šampin’on: champignon);
-an est translittéré par -ан: шампань ou шампанское (šampan’ ou
šampanskoe: champagne), ресторан (restoran: restaurant), круассан (kruassan:
croissant);
-in est transcrit par -ен (-en) ou -эн (-èn), dont la prononciation est sentie
plus proche au niveau de l’émission vocalique que ne le permettrait une
translittération par -ин (-in): Тэнтэн (Tèntèn : Tintin).
Un exemple récent d’adaptation graphique est celui du nom des magasins
venus du nord de la France «Auchan» et largement installés en Russie. La
transcription phonétique voudrait Ошан (Ošan), mais le choix s’est porté sur Ашан
(Ašan). Phonétiquement, cela ne change rien. L’accent tonique final du français
étant respecté, c’est la seconde syllabe qui est accentuée, et en russe le /o/ et le /a/
en position prétonique (et ici, en outre, à l’initiale absolue) sont neutralisés au
profit de la prononciation [a]. La prononciation des graphies Ошан (Ošan) et Ашан
(Ašan) est parfaitement identique. La marque a donc choisi le «A» afin de
préserver sa signalétique qui reste ainsi la même qu’en France.
Les consonnes finales non prononcées en français subissent un traitement
différent selon l’époque à laquelle se fait l’emprunt. Le russe actuel ne transcrit
plus cette consonne puisque le principe adopté de manière générale n’est plus celui
de la translittération, mais dès Karamzin on observe de grands flottements : il écrit
Нинона Лакло (Ninona Laklo: Ninon Laclos), mais Павел Люкас (Pavel Lûkas:
Paul Lucas)7 et Дидрот (Didrot: Diderot) ou encore ресторант (restorant:
restaurant). De nos jours se côtoient эмигрант (èmigrant: émigrant) et ресторан
(restoran: restaurant), qui a perdu son -т (-t) et круассан (kruassan: croissant) qui
ne l’a jamais eu. Ainsi la présence dans la transcription russe de la consonne finale
muette en français donne-t-elle un indice de l’époque de l’emprunt au français.
Aux XXème et XXIème siècles, il semble que l’on ait définitivement abandonné
l’idée de la translittérer.
En ce qui concerne les géminées, le russe ne peut en voir apparaître dans
les mots russes que lors du contact entre préfixe et racine (par exemple,
исследовать – issledovat’: examiner, observer, étudier) ou entre racine et suffixe
(осенний – osennij: automnal) ou dans les emprunts, comme грамматика
(grammatika: grammaire), à côté cependant de комиссия (komissiâ: commission)
qui présente un -м- (-m-) et deux -с- (-s-). Dans les mots empruntés qui présentent
une consonne redoublée en français, il semble que le russe maintienne assez
régulièrement cette géminée: круассан (kruassan: croissant) tout comme il écrit
пицца (picca: pizza) emprunté à l’italien. La présence d’une consonne géminée
70
ailleurs qu’entre deux morphèmes du mot est l’indice, pour le locuteur natif, d’un
emprunt.
Enfin, signalons que les consonnes du français sont, pour la plupart,
ressenties comme molles par l’oreille russe et qu’elles sont marquées comme telles
dans la transcription: Лилль (Lill’: Lille), пье-де-пуль (p’e-de-pul’: pied-de-poule),
глясе (кофе глясе) (glâse; kofe glâse: glacé, café glacé), маникюр (manikûr:
manucure), иль де ботэ (il’ de botè: île de beauté), etc.
3. ADAPTATIONS MORPHOSYNTAXIQUES
Les mots empruntés sont avant tout des substantifs, mais ce phénomène
concerne aussi des adjectifs et des verbes.
3.1. Les substantifs
Le russe s’efforce d’adapter la forme de telle sorte que le substantif
emprunté puisse devenir un véritable substantif russe et se fléchir selon les modèles
des trois déclinaisons. Les masculins sont de manière souhaitable terminés par une
consonne pour être fléchis et les féminins par le phonème /a/. Cela peut justifier le
choix de Karamzin pour la graphie Дидрот (Didrot: Diderot) déjà évoquée plus
haut (les graphies Дидро, Дидерот, Дидрот (Didro, Diderot, Didrot) étaient aussi
en usage):
(10) Госпожа Гло* есть ученая дама лет в тридцать, говорит по-английски,
италиянски и (подобно госпоже Неккер, у которой собирались некогда
д'Аланберты, Дидроты и Мармонтели) любит обходиться с авторами.
(Kaрамзин, Письма русского путешественника).
Gospoža Glo* est’ učenaâ dama let v tridcat’, govorit po-anglijski, italiânski i
(podobno gospože nekker, u kotoroj sobiralis’ nekogda d’Alanberty, Didroty i
marmonteli) ljubit obxodit’sâ s avtorami. (Karamzin, Pis’ma russkogo
putešestvennika)
<Madame Glo* est une dame savante d’environ trente ans, elle parle anglais,
italien et (comme madame Necker chez qui se réunissaient jadis les d’Alembert,
les Diderot et les Marmontel), elle aime fréquenter les auteurs.>
Les féminins se voient volontiers ajouter un /a/ : шемизетка (šemizetka:
chemisette), шевелюра (ševelûra: chevelure), террасса (terrassa: terrasse),
генгета (gengeta: guinguette) (chez Karamzin).
Certains emprunts hésitent sur le genre; ce dernier mot est formellement
féminisé chez Karamzin, chez Bulgarin il est translittéré et le -т (-t) final le
transforme en masculin: il est fléchi en tant que tel. On observe des phénomènes
semblables chez Karamzin aussi qui ne féminise pas formellement балюстрад
(balûstrad: balustrade) ou баваруаз (bavaruaz: bavaroise) qui deviennent alors
masculins. Le russe contemporain possède des doublets comme зал ou зала (zal ou
zala: salle), le masculin étant plus employé que le féminin. Le problème est plus
71
grand encore pour les noms terminés par une consonne molle, ces substantifs
relevant de la 2e déclinaison s’ils sont masculins, de la 3e s’ils sont féminins. A côté
de Лилль (Lill’: Lille) ou прунель (prunel’: prunelle – liqueur) qui sont masculins,
on a роль (rol’: rôle) ou отель (otel’: hôtel) qui sont féminins. Le changement de
genre lors de l’emprunt pose bon nombre de problèmes aux apprenants des deux
langues: проблема (problema) est souvent traduit par les apprenants débutants
russes par «la» problème et «le» problème est, dans la bouche des russisants
francophones, *проблем (problem).
En outre, certains noms avaient d’abord été empruntés avec leur genre
d’origine et celui-ci a ensuite été modifié par l’usage:
(11) Тут посыпались со всех сторон похвалы и сравнения. Эта метода
взаимного восхваления продолжалась со всем пиитическим жаром.
(Булгарин, Хладнокровное путешествие по гостиным).
Tut posypalis’ so vsex storon poxvaly i sravneniâ. Èta metoda vzaimnogo
vosxvaleniâ prodolžalas’ so vsem piitičeskim žarom. (Bulgarin, Xladnokrovnoe
putešestvie po gostinym)
< Alors se mirent à pleuvoir de tous côtés des louanges et des comparaisons. Cette
méthode des éloges réciproques se poursuivit avec un enthousiasme passionné.>
3.2. Les adjectifs
L’adaptation s’est faite selon un procédé ordinaire pour le russe : emprunt
d’un adjectif français, translittération / transcription en cyrillique et ajout du
suffixe <-n°-> et des désinences adjectivales. Cependant, il arrive que l’adjectif
soit proche d’un substantif lui-même emprunté et adopté, et répertorié chez Dal’
par exemple ou dans un dictionnaire des mots étrangers, alors que l’adjectif, qui
présente un sémantisme proche de celui du substantif, n’est pas porté dans le
dictionnaire. C’est le cas des adjectifs proposés ici. On constate que ces adjectifs
sont empruntés directement, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas dérivés des substantifs
empruntés, comme интересный (interesnyj: intéresant) l’est de интерес (interes:
intérêt), par exemple. C’est le cas, notamment, de корпулентный (korpulentnyj:
corpulent), qui n'est attesté que depuis peu (Komlev 2006), alors que le substantif
корпуленция (korpulenciâ: corpulence) est présent chez Ušakov ou chez
Evgen'eva. Il se trouve que l'on observe le même phénomène en français avec
l'adjectif corpulent, qui vient de corpulentus lui-même dérivé de corpus alors que
corpulence vient de corpulentia (Rey 2006).
(12) – Помилуй, душа моя, воспитание дано им самое странное, комическое,
ридикюльное. (Булгарин, Хладнокровное путешествие по гостиным).
- Pomiluj, duša moâ, vospitanie dano im samoe strannoe, komičeskoe,
ridikûl’noe. (Bulgarin, Xladnokrovnoe putešestvie po gostinym)
< - Mon amie, il leur est donnée une éducation les plus étranges, comique,
ridicule.>
72
(13) «Сказывают, лет за двадцать назад служил писарем в квартале, а теперь
он так себе, человек пантикулярный*». Note de bas de page: *Т.е.
партикулярный, частный, неслужащий. (Булгарин, Русская ресторация).
«Skazyvaût, let za dvadcat’ nazad služil pisarem v kvartale, a teper’ on tak sebe,
čelovek pantikulârnyj*». Note de bas de page: T.e. partikulârnyj, častnyj,
neslužaŝij. (Bulgarin, Russkaâ retoraciâ)
< « Il paraît qu’il y a vingt ans environ il était clerc au commissariat de police du
quartier, mais maintenant il est un panticulier.» Note de bas de page : C’est-à-dire,
particulier, privé, pas fonctionnaire.>
(14) – […] Мы с вами почти одного роста, и это самое г-главное. Вы
существенно корпулентней, но это можно скрыть за счет просторной
одежды. (Акунин, Коронация)
- […] My s vami počti odnogo rosta, I èto samoe g-glavnoe. Vy suŝestvenno
korpulentnej, no èto možno skryt’ za sčet prostornoj odeždy. (Akunin,
Koronaciâ)
< - […] Nous avons presque la même taille, et c’est l’es-ssentiel. Vous êtes
nettement plus corpulent, mais on peut cacher cela par un vêtement ample.>
Les auteurs jouent avec ces adjectifs en montrant, grâce à des procédés
phonétiques ou morphosyntaxiques, leur degré d’assimilation dans la langue. C’est
ainsi que Bulgarin transcrit le défaut d’assimilation de cet adjectif «savant» (13) en
remplaçant dans la bouche de son locuteur le /r/ par un /n/. Le /n/, en effet,
remplace aisément une autre consonne en cas de dissimilation phonétique dans le
parler populaire. L'auteur estime nécessaire d'introduire une note explicative où il
reprend l'adjectif sous sa forme correcte et où il l'explique par des synonymes
russes. Akunin propose un adjectif emprunté sous la forme d'un comparatif auquel
il a ajouté le préfixe по- (po-), ce qui réduit l’impression d’emprunt, dénote un haut
degré d’adoption et manifeste la grande capacité de la langue russe à adopter et
adapter des termes étrangers:
(15) Московский почтамт показался мне нехорош, с петербургским и не
сравнить – темноватый, тесный, безо всяких удобств для посетителей.
Городу с миллионным населением, на мой взгляд, следовало бы обзавестись
главной почтовой конторой попрезентабельней. (Акунин, Коронация)
Moskovskij počtamt polazalsâ mne nexoroš, s peterburgskim i ne sravnit’ –
temnovatyj, tesnyj, bezo vsâkix udobstv dlâ posetitelej. Gorodu s millionnym
naseleniem, na moj vzglâd, sledovalo by obzavestis’ glavnoj počtovoj kontoroj
poprezentabel’nej. (Akunin, Koronaciâ)
< La poste centrale ne me plut pas, ce n’était pas comparable avec celle de SaintPéterbourg, elle était sombre, minuscule, dans aucune facilité pour les usages. Une
ville d’un million d’habitants devrait, selon moi, avoir un bureau de poste central
un peu plus présentable.>
3.3. Les verbes
Les verbes empruntés au français sont souvent transformés en verbes
russes grâce au suffixe <-ova->, très productif: контролировать (kontrolirovat’:
73
contrôler), монтировать (montirovat’: monter), организовать (organizovat’:
organiser), etc. Voici deux exemples tirés de Bulgarin et un d’Akounine:
(16) Надобно с каждым говорить смело, громко, смотреть прямо в глаза, а
иногда даже самой агасировать, т.е. самой заводить разговор с мужчиной,
особенно в танцах. (Булгарин, Письма провинциялки из столицы).
Nadobno s každym govorit’ smelo, gromko, smotret’ prâmo v glaza, o inogda daže
samoj agasirovat’, t.e., samoj zavodit’ razgovor s mužčinoj, osobenno v tancax.
(Bugarin, Pis’ma provincialki iz stolicy)
<Il faut parler avec chacun de manière audacieuse, d’une voix forte, regarder droit
dans les yeux, et même parfois soi-même l’agacer, c’est-à-dire engager la
conversation avec un homme, particulièrement pendant les danses.>
(17) Наконец хозяин дома и другие мужчины, соседи и родня, не
женируются более при любезном panu poruczniku, ибо доказали ему, что
фамилия его древнего польского происхождения. (Булгарин, Корнет).
Nakonec xozâin doma i drugie mužčiny, sosedi i rodnâ, ne ženiruûtsâ bolee pri
lûbeznom panu poruczniku, ibo dokazali emu, čto familiâa ego drevnego
pol’skogo proisxoždeniâ. (Bulgarin, Kornet)
<Enfin, le maître de maison et les autres hommes, les voisins et la famille, ne se
gênent plus en présence de l’aimable pan lieutenant, car ils lui avaient démontré
que son nom de famille était d’origine polonaise ancienne.>
(18) Разве что служитель, сидевший в окошке корреспондениции до
востребования, со временем стал бросать в мою сторону внимательные
взгляды. И то – ведь я маршировал мимо него с трех часов пополудни.
(Акунин, Коронация)
Razve čto služitel’, sidevšij v okoške korrespondencii do vostrebovaniâ, so
vremenem stal brosat’ v moû storonu vnimatel’nye vzglâdy. I to – ved’ â
marširoval mimo nego s trex časov popoludni. (Akunin, Koronaciâ)
<Il n’y avait guère que l’employé du guichet de la correspondance en poste
restante qui s’était mis à me jeter des regards curieux. Et encore, je marchais
devant lui depuis trois heures de l’après-midi.>
3.4. Les lexies
Le russe peut aussi emprunter des lexies; dans ce cas, on observe plusieurs
cas de figure:
- la lexie est écrite en un seul mot : шапоклак (šapoklak: chapeau claque),
потофе
(potofe:
pot-au-feu),
шезлонг
(šezlong:
chaise
longe),
кордебалет (kordebalet: corps de ballet);
- la lexie est écrite à l’aide de traits d’union пье-де-пуль (p’e-de-pul’: piedde-poule) ou кор-де-ложи (kor-de-loži: corps de logis), дра-де-дам (dra-de-dam:
drap de dame) chez Karamzin;
- enfin, elle peut être écrite en deux mots: от кутюр (ot kutûr: haute
couture). A propos de cette lexie il est à signaler son appréhension potentiellement
ambiguë; en effet, ot peut être interprété comme la préposition ot russe qui indique
l’origine et qui régit le génitif; or, kutûr peut, de son côté, être pris pour une forme
74
de génitif pluriel féminin ou neutre. Les Russes eux-mêmes peuvent se laisser
berner quelques secondes par cette apparence «russe» du syntagme.
La tendance contemporaine est de conserver la lexie en deux mots ou avec
des traits d’union.
4. LA SEMANTIQUE
Les phénomènes du glissement sémantique, de l’adaptation sémantique des
mots empruntés sont bien connus et je ne donnerai que quelques exemples tirés du
russe.
Пижон (pižon) signifie en russe un homme coquet, un dandy, et non
quelqu’un qu’il est facile de berner.
Безе (beze), traduit historiquement par « meringue » est en réalité un
macaron tel que nous les préparons actuellement, avec une crème entre les deux
biscuits8.
Зефир (zefir) a d’abord été un nom de marque russe pour des meringues et
est devenu un nom commun.
Неглиже est un «déshabillé» et le mot français «négligé» n’est plus guère
employé dans ce sens.
Тет-а-тет (tet-a-tet) permettait initialement de dénommer en russe une
causeuse, mais il s’emploie également de nos jours pour signifier «tête à tête».
5. CONCLUSION
Le russe est une langue qui a de grandes capacités pour adopter et adapter
les emprunts, qu’il s’agisse du français, prédominant dans les emprunts aux
XVIIème et XVIIIème siècles, à côté de l’allemand, ou de l’anglais, prédominant au
XXème siècle. Le XXIème siècle semble emprunter beaucoup aussi au français, mais
à l’italien également, et à l’anglais. Les emprunts actuels ne seront peut-être pas
aussi pérennes que les plus anciens parce qu’ils concernent surtout des marques ou
des phénomènes de mode même dans la langue source. Le russe fait siens les mots
qu’il emprunte en les transcrivant en caractères cyrilliques, en leur donnant une
forme qui permet de les fléchir et de les insérer ainsi dans le système de la langue.
Par ailleurs, tout mot emprunté peut donner naissance à un paradigme lexical, grâce
aux procédés de dérivation dont le russe est particulièrement riche. Le russe
enrichit de la sorte son lexique et se trouve être ainsi en permanente évolution.
NOTES
1
Je donne les mots russes et les exemples en caractères cyrilliques, puis en translittération selon la
translittération en usage chez les slavistes, et enfin, la traduction en français.
2
On appréciera en outre les emprunts à l’anglais (menedžer et xit).
3
Je donnerai des exemples tirés de trois auteurs littéraires choisis pour les raisons suivantes : N.
Karamzin a écrit les Lettres d’un voyageur russe (1791-1793) après son voyage effectué à travers
l’Europe et notamment la France; il avait pour objectif de décrire les sociétés européennes à ses
amis restés en Russie. Les citations que je prends de F. Bulgarin sont tirées d’un ouvrage où il
entend décrire les mœurs de la société russe de 1825 à 1843; enfin, j’ai choisi aussi B. Akunin, un
75
auteur contemporain qui utilise les idiomes étrangers de manière intéressante dans la construction
de ses romans.
4
C’est sous cette orthographe que le mot est emprunté par Karamzin ; l’orthographe actuelle est
бульвар (bul’var).
5
Dans ces deux exemples, on appréciera l’accord des déterminants, au féminin avec « affaire de
cœur » et, bizarrement, au masculin : le substantif français est féminin, et le mot transcrit ainsi a
les apparences d’un neutre…
6
Lorsque la graphie passe de -ёр (-ër) à -ор (-or), on observe conjointement un recul de l’accent sur
pénultième.
7
Karamzin rend formellement le prénom Ninon féminin en lui ajoutant un -a ; en revanche, il traduit
le prénom Paul, alors qu’une transcription était tout à fait possible (oserais-je dire, souhaitable).
8
Je renvoie ici à la contribution de Madame Maria Iliescu. Le roumain et le russe ont de toute
évidence emprunté le même mot français pour la même pâtisserie.
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77
LANGUES ET CULTURES EN CONTACT:
LE STATUT DES GALLICISMES DANS
L’ANGLAIS JURIDIQUE DU ROYAUME UNI
Silvia CACCHIANI, Chiara PREITE1
Università di Modena e Reggio Emilia, Italie
1. INTRODUCTION
À la différence des langues spécialisées des sciences exactes et des
technologies, le langage2 juridique se caractérise par une forte polysémie3 qui
dépend de l’histoire de la discipline (cf. Cornu 2000) aussi bien que de sa nature
profondément culturo-spécifique, à savoir du fait que l’évolution du langage
juridique, et donc de sa terminologie, reflète l’histoire de la société et de la culture
qui s’expriment à son travers. Il s’agit donc d’un langage qui évolue de manière
lente mais sans interruption (cf. Lemmens 2011), dans lequel la polysémie et la
spécificité culturelle compliquent la nouvelle conceptualisation de termes
caractérisés par un fort degré de spécialisation, dont l’ambigüité sémantique
éventuelle est le plus souvent levée par le co(n)texte d’emploi (cf. Lerat 1995,
Cornu 2000). Toute évolution et innovation en matière juridique entraînent donc
l’évolution et l’innovation d’une terminologie très marquée du point de vue
socioculturel.
L’une des sources majeures d’enrichissement du lexique juridique est le
contact entre systèmes juridiques (Möslein 2009) et, par voie de conséquence, entre
les langues à travers lesquelles ils s’expriment. Ce contact entraîne souvent
l’inclusion dans un système juridique déterminé d’emprunts linguistiques ayant
parfois un statut de «greffe juridique» (legal transplant, Watson 1974; Ewald
1995). Ces greffes juridiques consistent en des termes adoptés par un
système/langue juridique qui n’est pas celui qui les a forgés pour désigner une
certaine norme ou institution (ex. ang. class action > fr. class action) ou bien en
des termes appartenant à un système/langue supranational (ex. acquis
communautaire, dans le droit de l’Union européenne). Toutefois, la présence d’un
lot très riche et ancien de termes venant de la langue française dans le lexique
juridique anglais ne peut pas être expliquée en se limitant aux cas mentionnés, étant
somme toute assez récents. En effet, si d’un côté l’anglais a désormais assumé au
niveau international le rôle de lingua franca et langue globale, en compétition avec
le français pour ce qui est des textes rédigés par les institutions centrales de l’Union
européenne, de l’autre côté, il est indubitable qu’il a connu dans le passé une forte
78
influence de la part du français, encore attestée dans certains domaines
disciplinaires, et tout particulièrement dans le langage juridique.
Par conséquent, le but de cette contribution est de discuter le rôle des
gallicismes dans l’anglais juridique, y compris le dialecte hybride (Baker 1998)
qu’on appelle law French (ce dernier étant limité à une période historique ancienne
et bien déterminée, allant des premières attestations qui remontent à la moitié du
XIIIème siècle jusqu’à l’abandon graduel du français de la part des Cours de Justice
à partir de la moitié du XIVe siècle, cf. Mellinkoff 1963; Baker 1998). Notre intérêt
porte surtout sur le système juridique du Royaume Uni et touche non seulement le
fonds lexical du law French mais aussi la situation contemporaine. Alors que
beaocoup d’ouvrages de référence dans le domaine (Mellinkoff 1963; Baker 1990,
1998; Tiersma 1999) ont mis en exergue le fait que le law French constitue une
partie essentielle et incontournable de l’anglais juridique et de la Common Law,
nous nous proposons de nous pencher également vers l’inclusion, la représentation
et la conceptualisation des gallicismes dans les dictionnaires juridiques anglais
(principalement dans l’Oxford Dictionary of Law (ODL), et en moindre mesure
dans The Longman Dictionary of Law (LDL)).
A cette fin, nous fournirons en premier lieu une explication introductive
concernant le passage des gallicismes du français à l’anglais, avec une attention
particulière aux égards de la présence de termes forgés suite à la rencontre entre le
dialecte anglo-normand avec un ancien anglais non standardisé, lesquels ont
ensuite contribué à la formation d’un jargon professionnel particulier (§ 2). En
deuxième lieu, sur la base d’une série d’exemples représentatifs choisis à partir
d’une liste (non exhaustive) d’entrées sélectionnées grâce à des renseignements
étymologiques, il sera possible de fournir une typologie des emprunts au français,
fondées sur le degré d’adaptation aux caractéristiques morphologiques de l’anglais,
aussi bien que de discuter si et dans quelle mesure il est approprié de parler
d’emprunt, dans le sens de Deroy (1956: 2) qui le considère comme un élément
étranger introduit dans une langue déterminée «en usage à un moment donné dans
une société donnée […] et défini par opposition à l’ensemble des éléments
antérieurs» (§ 3). En dernier lieu, pour un nombre limité d’études de cas, nous nous
pencherons sur l’examen des dynamiques qui guident le changement du système
linguistique et juridique anglais, en nous concentrant notamment sur le law French
et sur les gallicismes dans le système juridique contemporain, pour conclure avec
l’analyse des différents parcours de conceptualisation et différenciation suivis par
des termes ayant une origine identique dans les systèmes juridiques britannique et
français (§ 4).
2. DYNAMIQUES
JURIDIQUE
TERMINOLOGIQUES
DANS
L’ANGLAIS
Il est certain que les emprunts au français – ou mieux, à l’ancien français,
au moyen français et au dialecte anglo-normand – et au latin (classique et
médiéval) à travers le français, qui ont pénétré l’ancien et moyen anglais, pour
79
former le jargon juridique appelé law French, constituent un lot fondamental et
quantitativement significatif du langage juridique anglais contemporain
(Mellinkoff 1963; Baker 1998; Tiersma 1999). Cela demeure valable non
seulement pour les termes spécialisés employés dans le domaine professionnel4,
mais aussi pour les termes génériques qui viennent de la langue courante ou qui y
pénètrent (ex. tort, trespass, nuisance, deceit, debt ou les plus récents negligence et
reasonableness) et dont la conceptualisation et la spécialisation ont demandé des
décennies, voire des siècles (Baker 1998). Le plus souvent, le sens attribué à ces
emprunts et le sens des termes d’origine ne coïncident pas:
«[…] la plupart des termes légaux anglais sont d’origine française, mais leur sens
légal est purement anglais puisqu’il résulte de la conversion de mots ordinaires en
termes techniques utilisés par des avocats bilingues se servant du français
uniquement à des fins professionnelles». (Baker 1998: 5)
Par exemple le law French et le français ancien et moderne tort décrivent un tort
ou une injustice, alors que dans l’anglais juridique contemporain tort est un
technicisme qui identifie un type particulier d’injustice (Mellinkoff 1963: 107).
Enfin, au fil du temps, à côté des emprunts, d’autres néonymes ont été forgés pour
enrichir ce jargon vulgaire particulier, employé plus souvent à l’écrit qu’à l’oral
(Baker 1998) dans le domaine juridique anglais.
Il est désormais clair que le law French a connu une croissance constante à
partir du début du XIIIème siècle. Ce qui paraît être justifié de manière différente par
plusieurs facteurs:
(i) la reconnaissance, au niveau international, du rôle du français comme
langue savante et de la diplomatie de l’époque (Baker 1998);
(ii) le bilinguisme anglo-normand assez répandu parmi les familles nobles
à la fin du XIIème siècle (qui est le fruit des mariages entre nobles autochtones et les
descendants des normands), auquel s’ajoute l’emploi du latin pour les classes
cultivées (Mellinkoff 1963);
(iii) le fait que le français était plus proche du latin, ancienne langue
internationale pour tout acte juridique, que l’anglais. En effet, jusqu’à l’an 1731 et
avec une interruption dans les années 50 du XVIIème siècle, le latin demeurait la
langue des ordonnances et des décisions de justice dans leur forme écrite, alors
qu’on ne pouvait faire recours à l’anglais que dans la res gestae (procès verbaux,
témoignages, citations, etc.) (Baker 1998);
(iv) l’absence d’un anglais suffisamment standardisé ou considéré comme
langue nationale, à utiliser donc dans les situations officielles, face aux nombreux
dialectes dont l’intercompréhension n’était pas assurée (Mellinkoff 1963; Baker
1998).
Depuis 1270, des mots français entrent dans la Common Law pour en
devenir des termes fondamentaux, comme, entre autres, action, contract et verdict.
Dans la période du moyen anglais plus de 10.000 emprunts au français entrent en
anglais, dont 7.500 sont encore employés (Baugh 1935: 220 apud Mellinkoff 1963:
97)5. Cependant, dans le domaine juridique, il est possible d’en relever au fil du
80
temps des restrictions d’emploi, au moins à l’oral, qui vont de pair avec le déclin
du law French. Cela est témoigné, par exemple, par l’introduction de l’emploi
obligatoire de l’anglais dans les tribunaux londoniens (1356) et par le Statute of
Pleading (1361), écrit en français, qui dénonce l’emploi persistant du français
auprès des Cours de Justice, alors qu’il devient la langue officielle des statuts en
Angleterre.
Le law French continue donc son parcours à l’intérieur de l’anglais
juridique, où l’on en trouve des traces de type différent, qui ne concernent pas
seulement les termes spécialisés (technical law French, Mellinkoff 1963), mais
aussi des unités lexicales non spécialisées, comme par exemple fr. cy près > ang. cy
pres. Il s’agit de termes que Mellinkoff définit comme dégénérés (degenerate Law
French), à savoir des emprunts intégrés à l’anglais, du point de vue morphologique
– nous observons par exemple la conversion d’un verbe en substantif, comme dans
le cas de cesser – ou bien, le plus souvent, du point de vue formel (phonétique et
orthographique), comme par exemple fr. fee taile > ang. fee tail ou fr. heires > ang.
heirs. Aujourd’hui, le résultat de cette adaptation est la présence abondante
d’éléments marqués par l’Oxford English Dictionary (OED)6 comme anglonormand, ancien français ou moyen français, ou bien comme éléments latins
pénétrés en anglais à travers le français.
Autrement dit, le français, ou mieux l’ancien français, le moyen français
et, surtout, l’hybride anglo-normand adopté comme anglais juridique – et par
conséquent employé par une communauté de pratique (Wenger 1988, «community
of practice») et discursive (Swales 1990) déterminée – accompagnent au fil des
siècles le développement d’un système juridique et d’une tradition, la Common
Law, distincte du droit romain, et ce law French en est la langue véhiculaire
jusqu’au XVIIème siècle (Baker 1998). Après un arrêt long de quelques siècles, c’est
à l’époque contemporaine que nous assistons de nouveau à un passage de termes,
bien que très faible, de la langue juridique française dans l’anglais juridique, suite à
la codification du droit de l’Union européenne.
Dans le cas du law French et de la Common Law, il est donc possible
d’observer des dynamiques terminologiques qui mènent à la formation d’une
terminologie diatechnique spécifique, marquée du point de vue culturel, à partir
d’emprunts venant d’une variante hybride du français et de l’anglais. Cela se
traduit dans le fait que nous ne sommes pas en présence d’emprunts sémantiques
ou de greffes juridiques proprement dits, mais d’emprunts qui subissent une
nouvelle conceptualisation et une spécialisation du sens à l’intérieur d’un jargon en
évolution. En revanche, dans le cas récent des emprunts au droit de l’Union
européenne, il est possible de relever des termes adoptés par un système
linguistique et juridique national, suite à la nécessité de se conformer aux lois et
directives qui règlent l’institution supranationale.
En d’autres termes, des périodes historiques différentes ont connu
l’inclusion dans la langue-culture juridique du Royaume Uni de gallicismes, à
savoir d’emprunts au français (langue nationale, dialecte ou variante hybride anglofrançaise), répondant à des exigences différentes: d’une part, la formation d’un
81
langage juridique national, et de l’autre, l’interaction avec un langage juridique
supranational.
3. LES GALLICISMES JURIDIQUES: ASPECTS FORMELS7
Après avoir présenté les dynamiques historiques relatives à la formation
d’une terminologie juridique «anglo-française», nous allons avancer une
classification des emprunts au français repérés dans les vocabulaires pris en
considération. Avant tout, il convient de préciser qu’à côté de l’emprunt lexical,
qui constitue la catégorie la plus riche et variée, il existe également les emprunts
morphologiques, concernant des morphèmes liés et les constructions dans
lesquelles ils trouvent occurrence (ex. -ee dans l’anglais juridique)8¸ et les
emprunts syntaxiques et phraséologiques. Ces dernières ne sont pas des catégories
nettement définies, parfois elles se superposent, comme dans le cas de attorney
general, emprunt phraséologique et en même temps syntaxique, avec l’adjectif
modificateur placé à la droite du substantif, sur le modèle de la langue française.
Du point de vue formel, suite au contact et à l’interférence entre langue
modèle et langue d’arrivée, les emprunts au dialecte anglo-normand d’abord et au
français (à ses différents stades) ensuite sont «imités» par l’anglais juridique et plus
ou moins assimilés au niveau graphique, sémantique, phonologique ou flexionnel,
de manière à résulter entièrement intégrés, en voie d’intégration ou non intégrés.
Deroy (1956: 215-234) distingue notamment entre l’emprunt «total» ou «partiel»,
selon le degré de pénétration dans la langue d’accueil. Dans le premier type il
range, d’une part, les emprunts proprement dits, désormais naturalisés et adaptés au
système jusqu’à évoluer comme les mots autochtones, d’autre part, les
pérégrinismes9 et les xénismes, ressentis comme étrangers, puisqu’ils gardent leur
forme d’origine. Dans le deuxième groupe il identifie le calque – la production
d’un mot nouveau sur un modèle étranger – et l’emprunt de sens, qui demeure le
moins perceptible.
Par conséquent, à côté de la distinction entre type d’emprunt lexical,
morphologique, syntaxique, phraséologique, il est possible d’adopter le critère
formel afin d’identifier le degré d’intégration d’un emprunt déterminé. Le renvoi à
la taxinomie proposée par Deroy (1956), nous permet de fournir à titre d’exemple
une classification des emprunts à l’anglo-normand, à l’ancien et moyen français, et
au français contemporain sur la base des caractéristiques morphologiques,
orthographiques et syntaxiques observées. Pour chaque catégorie présentée, nous
allons offrir des exemples d’emprunts tirés d’une liste préliminaire de plus de 400
occurrences enregistrées par le ODL et le LDL10.
3.1. Les emprunts intégrés
A l’intérieur de cette catégorie, il est possible de distinguer entre: 1)
emprunts lexicaux intégrés proprement dits; 2) emprunts morphologiques; 3) le cas
particulier des emprunts aller-retour (cf. Deroy 1956).
82
3.1.1. Les emprunts lexicaux intégrés
Les emprunts lexicaux intégrés montrent une forme graphique et/ou
phonique adaptée au système de la langue anglaise et représentent la plupart des
emprunts identifiés, venant de l’ancien français, de l’anglo-normand ou du latin à
travers le français. Il s’agit de technicismes ou bien de mots de la langue commune
entrés dans l’anglais juridique:
abandonment, abatement, access, accession, action, accord, accruer,
adjournment, adjustment, affray, affreightment, agreement, alien, appeal, assault,
bail, bailiff, capital, cesser, contract, conveyance, court, counsel, debt, debenture,
defence, demurrer, device, equitable, equity, espionage, espousal, estoppel,
estovers, estreat, evidence, excuse, failure, felony, feme sole, feme covert, grant,
guarantee, guardian, hereditament, indictment, issue, joinder, judge, judgement,
lease, licence, lien, malice, marriage, note, negligence (Baker 1998: du français
moderne), nuisance, obligation, Parliament, parol (ex. dans parol lease), party,
patent, plaintiff, plea, pleadings, police, process, property, purchase,
reasonableness (Baker 1998: du français moderne), request, robbery, seisin,
sentence, service, sue, suit, summon, tort, trespass.
Puisqu’il n’est pas possible de s’arrêter sur tous les éléments retenus pour des
raisons d’espace, nous allons fournir quelques observations préliminaires pour un
nombre limité d’articles significatifs, en nous servant des informations
étymologiques offertes par l’OED11:
(1) conseil, n.: […] Middle English con-, counseil, -ail, -ayl, < Old French
conseil, cunseil, in Anglo-Norman French counseil […] < Latin consilium.
(2) debt, n.: […] Middle English det, dette, < Old French dete, dette < popular
Latin *debita for Latin dēbitum.
(3) equitable, adj.: […] < French équitable, < équité equity n.
(4) estoppel, n.: […] apparently < Old French estoupail, estouppail bung or
cork, < estouper.
(5) estovers, n.: […] < Old French estover, estovoir, subst. use of estovoir to be
necessary.
(6) lease, n.: […] Anglo-Norman les = Old French lais, leis, lez, etc., a letting,
leaving (modern French, with pseudo-etymological spelling legs, ‘legacy’), vbl.
noun < laisser to let, leave.).
(7) cesser, n.: […] < French cesser to cease; the infinitive being used subst. as
in trover, misnomer.
(8) demurrer, n.: […] < Anglo-Norman demurrer = Old French demourer,
present infinitive (see demur v.) used as n.: compare refresher, user.
Les exemples (1)-(8) illustrent clairement le fait que, au fil du processus
d’intégration et acclimatation à l’anglais, certaines unités lexicales ont présenté au
début deux variantes (xénisme et emprunt intégré), qui généralement se
distinguaient du point de vue graphique à travers la chute de la voyelle non
accentuée, ex. debt (2). S’il est vrai que dans la séquence phonétique st- au début
de mot on a fait précéder une voyelle, ex. espousal vs. ancien français spouse
83
(Tiersma 1999: 30), il est possible d’observer la présence de cas où la voyelle est
déjà présente dans l’unité lexicale de départ, ex. estoppel (4) et lease (5). Ensuite,
parmi les stratégies d’intégration de l’emprunt, nous comptons la conversion Verbe
> Nom, ex. cesser (7) et demurrer (8), procédé de dérivation typique de l’anglais,
qui permet de former des gérondifs substantivables en -er (Tiersma 1999: 30) à
partir d’un verbe anglo-français. Enfin, signalons la présence d’emprunts au
français étant conformes au latin (advocate) ou remodelés sur le latin (advowdson)
(OED).
3.1.2. Les emprunts morphologiques
Les emprunts morphologiques sont des exemples de dérivation à partir
d’emprunts intégrés formés avec l’ajout d’affixes désormais anglais. Certains
éléments sont caractéristiques de l’anglais juridique, comme le suffixe -ee (ex.
employee, lessee, vendee), signalé comme tel par une marque diatechnique dans
l’OED («-ee, suffix1: […] Law»), et son complémentaire non systématique -or (ex.
creditor, debtor, factor, lessor, tortfeasor, vendor). Il convient de remarquer que,
comme l’atteste l’OED, alors que -or ne résulte plus être productif en anglais, -ee
l’est encore, mais il ne concourt qu’à la formation de mots non juridiques.
Le suffixe -age, dont l’origine remonte à l’ancien français et qui n’est pas
employé exclusivement dans le domaine juridique, forme des noms abstraits à
partir de noms et de verbes (ex. damage, espionage, marriage, peerage), et il est
désormais un élément intégré à la morphologie de l’anglais (OED).
D’autres suffixes qui identifient immédiatement l’emprunt juridique
comme dérivé du français sont -al et -el (Tiersma 1999: 30), qui forment des noms
déverbaux (ex. acquittal, denial, proposal, rebuttal, estoppel). Il convient
cependant de remarquer que l’anglais -el, du latin -ālem à travers l’ancien français,
a été ensuite remodelé en -al à l’instar des adjectifs latins en -ālis (OED). Pour la
formation de noms déverbaux, il est possible d’observer également la présence
d’autres suffixes latins pénétrés dans l’anglais juridique à travers le français, en
combinaison avec des bases françaises, comme -ance/-ence (ex. acceptance,
nuisance, conveyance, defeasance, negligence) et -ment (ex. advancement,
easement, hereditament, indictment) (OED)12.
Quant à la formation d’adjectifs, le suffixe -able, de l’anglo-normand et du
latin -ābilis, est encore très productif et son application ne se réduit pas au domaine
juridique (ex. compellable, equitable, voidable) (OED).
3.1.3. Les emprunts aller-retour
Les emprunts aller-retour représentent un troisième type d’emprunt intégré.
Il s’agit de mots de l’ancien français qui, passés en anglais, ont été rempruntés par
le français moderne (Deroy 1956: 18). Nous avons identifié ces emprunts grâce aux
informations étymologiques offertes par l’OED pour l’entrée correspondante et par
le Vocabulaire juridique (VJ), dictionnaire spécialisé comparable à ODL et LDL en
termes de fonctions et usagers visés (sur la base de Bergenholtz et Tarp 1995).
Quelques exemples en sont: fr. allégeance, budget, disqualification, estoppel, jury,
verdict et warrant.
84
3.2. Xénismes, emprunts hybrides et gallicismes syntaxiques
Parmi les emprunts non intégrés ou partiellement intégrés il est possible
d’énumérer: 1) les xénismes; 2) les emprunts hybrides; 3) les gallicismes
syntaxiques.
3.2.1. Les xénismes
Les xénismes sont des emprunts qui gardent la forme d’origine et/ou qui
essayent de reproduire la prononciation étrangère, malgré l’interférence
phonétique. Nous comptons parmi les xénismes:
(i) des maximes, adages et formules de la culture juridique, bien que rares:
ex. sois fait comme il est désiré, semble;
(ii) des substantifs qui désignent des procédures, des notions, des acteurs
ou des rôles de la culture juridique anglaise: agrément, agent provocateur, autre
vie, cestui que trust, cestui que vie, cy près, cy-près schèmes, retour sans protêt,
voire dire (vs. voir dire où voir est partiellement intégré du point de vue
orthographique);
(iii) Dans cette catégorie il est également possible d’inclure force majeure,
effet utile, et les plus récents CE et acquis communautaire.
3.2.2. Les emprunts hybrides
Les emprunts hybrides sont des associations entre unités (lexicales ou
phraséologiques) autochtones et xénismes, parfois dans des expressions figées: par
exemple, autrefois convict (vs. autrefois acquit, qui demeure un xénisme), chose in
action, tenant pour autre vie, trustee de son tort. L’emprunt hybride peut également
être formé – au moins pour l’anglais juridique – d’un emprunt intégré et d’un
xénisme: par exemple, cy-près doctrine, malice afterthought, executor de son tort.
3.2.3. Les gallicismes syntaxiques
Enfin, les gallicismes syntaxiques reproduisent l’ordre des mots typique de
la langue française pour ce qui est du syntagme nominal et parfois gardent au
moins l’un des deux éléments étrangers: attorney general, agent provocateur,
condition precedent/consequent, court martial, decree absolute, effet utile, fee
simple, fee tail, feme sole, feme covert, heir apparent, malice afterthought, tail
special/general/male.
4. LES GALLICISMES JURIDIQUES: ASPECTS SÉMANTIQUES
ET CONCEPTUELS
Le but de cette contribution étant de discuter le rôle des gallicismes dans
l’anglais juridique (et donc dans le système juridique de la Common Law au
Royaume Uni), nous pouvons passer à l’analyse du lien existant entre ce dernier et
le français, rendu évident par le passage terminologique dont nous avons brossé
une typologie fondée sur le degré d’acclimatation et intégration relevé.
Prenons en considération certains facteurs: la spécialisation terminologique
qui suit le plus souvent la première attestation des emprunts dans la langue-culture
d’arrivée; l’appartenance à deux traditions et systèmes qui évoluent et changent au
85
fil du temps; la contribution donnée par les emprunts à l’ancien et moyen français
et à l’anglo-normand à la formation de la Common Law en tant que tradition
corrélée mais séparée du droit romain et civil; et, enfin, la nécessité de conformer
les codes de loi nationaux à la législation supranationale (dans le cas des emprunts
récents au droit européen). Il en découle qu’il est légitime de croire que, dans les
systèmes juridiques actuels, les unités lexicales passées d’une langue-culture à
l’autre ont subi des processus qui en ont changé la conceptualisation à travers les
systèmes juridiques et leur histoire, qui ont mené à une différenciation de leur sens
aussi bien que de leur interprétation.
A ce propos, nous allons prendre en examen l’évolution de la
conceptualisation actuelle de: 1) certains gallicismes entrés dans le law French et
encore employés dans la langue juridique de France et du Royaume Uni, tels que
abatement, amendment, agreement et agrément; 2) un cas d’emprunt aller-retour,
tel estoppel; 3) deux emprunts au droit de l’Union européenne, tels acquis
communautaire et CE.
Aux fins de l’analyse, nous allons mettre en comparaison, lorsque
présentes, les microstructures du VJ pour le français, et de l’ODL pour l’anglais,
auquel peut s’ajouter, le cas échéant, le LDL. Il s’agit de trois dictionnaires
spécialisés équivalents du point de vue fonctionnel (cf. Cacchiani / Preite 2010),
dont les articles sont employés comme source de savoir de type propositionnel,
procédural et épisodique. En effet, ils mettent à la disposition de l’usager des
informations sectorielles qui constituent une base pour la construction de modèles
cognitifs idéalisés (Idealized Cognitive Model, Lakoff 1987), à savoir des concepts,
à travers la description de liens cohérents entre des «frames» spécifiques non
situationnels et des «scenes» situationnelles (par exemple, le script concernant
l’application ou la violation de l’application du CE). La référence au Manual of
Law French (MLF) (Baker 1990) et à l’OED nous permettra d’intégrer également
des renseignements de type étymologique.
4.1. Abatement, amendment, agreement et agrément
Dans ce paragraphe nous allons analyser rapidement la (dis)similarité dans
la conceptualisation actuelle de termes qui étaient déjà présents dans le law French.
L’appartenance des termes juridiques, profondément culturo-spécifiques, à des
traditions et systèmes juridiques différents entraîne nécessairement une
différenciation pour ce qui est des «frames» et des «scenes» en jeu et, par
conséquent, exige une compétence propositionnelle, procédurale et épisodique
différente, présentée par les dictionnaires examinés selon des degrés variables
d’approfondissement. En particulier, nous nous attendons à ce que la comparaison
des articles lexicographiques nous permette de mettre en exergue non seulement les
divergences mais aussi les points de contact dans la conceptualisation des emprunts
retenus.
86
4.1.1. Abatement
L’emprunt abatement est attesté déjà dans le MLF à l’entrée abater, abatir
(9a). A côté du sens original (to fell a tree), le MLF présente plusieurs emplois
spécialisés de abater, abatir, dans des collocations telles que to abate a nuisance et
to abate a writ (9a, MLF, abater, abatir: 2, 3), abatement de bref (abatement of a
writ) et abatement en terre (wrongful intrusion in land) (9a, MLF, abater, abatir:
3, 4):
(9a) abater, abatir, […] 1, to cast down, to knock down, to fell (a tree) […]. 2, to
abate (e.g. a nuisance) […]. 3, to abate (i.e. quash or declare void) a writ. [L.
abatere]. 4, to abate (i.e. to be quashed [L. cassari]. abatement de bref, abatement
(i.e. quashing) of a writ [L. cassatio brevis]. abatement en terre, abatement (i.e.
wrongful intrusion) in land [L. intrusion]. se abater, 1, to intrude […]. 2, to bate
[…]. (MLF)
Le terme est présent dans l’anglais juridique actuel, comme le montre
l’ODL abatement (9b), aussi bien que dans le français juridique contemporain, à
l’entrée abattement du VJ (9c).
(9b) abatement n. 1. (of debts) The proportionate reduction in the payments that
take place if a person’s assets are insufficient to settle with his creditors in full. 2.
(of legacies) The reduction or cancellation of legacies when a solvent estate is
insufficient to cover all the legacies provided for in the will or on intestacy after
payment of the deceased’s debt. The Administration of Estates Act 1925 (sch 1 pt
II) provides that general legacies, unless given to satisfy a debt, abate in proportion
to the amounts of those legacies; specific and demonstrative legacies then abate if
the estate is still insufficient to pay all debts, and a demonstrative legacy also
abates if the specified fund is insufficient to cover it. For example, A’s estate may
comprise a painting, £3000 in his savings account, and £7000 in other money;
there are debts of £1000 but his will leaves the painting to B, £5000 from the
savings account to C, £8000 to D, and £2000 to E. B will receive the painting, C’s
demonstrative legacy abates to £3000, and after the debts are paid from the
remaining £7000, D’s and E’s general legacies abate proportionately, to £4800 and
£1200 respectively. When annuities are given by the will, the general rule is that
they are valued at the date of the testator’s death, then abate proportionately in
accordance with that valuation, and each annuitant receives the abated sum. All
these rules are subject to any contrary intention being expressed in the will. 3. (in
land law) Any reduction or cancellation of money payable. For example a lease
may provide for an abatement of rent in certain circumstances, e.g. if the building
is destroyed by fire, and a purchaser of land may claim an abatement of the price if
the seller can prove his ownership of only part of the land he contracted to sell. 4.
(of nuisances) The termination, removal, or destruction of a *nuisance. A person
injured by a nuisance has a right to abate it. In doing so, he must not do more
damage than is necessary and, if removal of the nuisance requires entry on to the
property from which it emanates, he may have to give notice to the wrongdoer. A
local authority can issue an abatement notice to control statutory nuisances. 5. (of
proceedings) The termination of civil proceedings by operation of law, caused by a
change of interest or status (e.g. bankruptcy or death) of one of the parties after the
start but before the completion of the proceedings. An abatement did not prevent
87
either of the parties from bringing fresh proceedings in respect of the same cause
of action. Pleas in abatement have been abolished; in modern practice any change
of interest or status of the parties does not affect the validity of the proceedings,
provided that the cause of action survives. (ODL)
(9c) abattement
Dér. du v. abattre. V. abattage.
1 *Réduction effectuée sur la matière imposable avant application de l’impôt. Ex.
abattement à la base, abattement pour charges de famille, abattement sur la part
des héritiers. Comp. Exonération, dégrèvement, déduction, décharge.
2 Diminution du salaire légal ou d’une prestation sociale, fondée sur les
différences du coût de la vie (abattement de zone) ou des différences d’aptitude
supposée (abattement d’âge). V. discrimination. (VJ)
Nous jugeons le traitement unitaire du sens13 comme l’indication de la
nature polysémique du terme et de sa spécialisation selon les branches du droit. La
pratique lexicographique différente, d’une part, et les choix concernant la quantité
et l’approfondissement des informations fournies pour l’entrée, de l’autre part,
permettent à l’usager de reconstruire les «frames» et les «scenes» avec un degré
d’information encyclopédique et un détail de spécialisation différents, mais
également corrects. En particulier, il est clair que le sens 1 du français abattement
(9c, VJ), concernant le droit fiscal, est comparable, au moins en partie, pour ce qui
est du domaine d’application, des acteurs et des rôles, avec la réduction ou
l’annulation d’un payement de sommes d’argent en référence à dettes, legs et droit
foncier, évoquées dans l’ODL pour les sens 1, 2, 3 de abatement (9b, ODL).
Toutefois, il n’est pas possible de parler de sens proches et comparables pour ce
qui est du sens 2 de abattement (9c, VJ), appartenant au droit fiscal, et les sens 3, 4
et 5 de abatement (9b, ODL). En effet, le sens 3 concerne le droit foncier (à l’instar
de l’exemple 9a du MLF, abater, abatir: 4 abater en terre), le sens 4, abatement of
a nuisance, fait référence à un délit ou crime et à la possibilité de le réparer à
travers une action civile ou pénale, et le sens 5 concerne lui aussi le droit
processuel civil.
4.1.2. Amendment
Passons à la comparaison de l’anglais amendment (10b, ODL) – du law
French amendement (10a, MLF) – avec le français amendement (10c, VJ), qui est
un exemple de démultiplication et spécialisation de sens, avec perte de
significations originaires.
(10a) amendement, 1, improvement, reform. 2, amends, compensation. 3,
correction (i.e. punishment) [L. emendatio.] (MLF)
(10b) amendment n. 1. Changes made to the legislation, for the purpose of adding
to, correcting, or modifying the operation of the legislation. 2. Changes made to
the *statement of case used in civil litigation. The relevant rules are Part 17 of the
*Civil Procedure Rules. When a statement of case has been served, a party may
only amend it with the written consent of all the other parties or with the
88
permission of the court. See also DEPARTURE. 3. An alteration of a *treaty adopted
by the consent of the*high contracting parties and intended to be binding upon all
such parties. An amendment may involve either individual provisions or a
complete review of the treaty. (ODL)
(10c) amendement
N. m. – Dér. du lat. emendare: amender
1 Proposition présentée au cours de la *discussion en vue de modifier la teneur
initiale d’un texte soumis à une assemblée delibérante. Ex «les membres du
parlement et le gouvernment ont le droit d’amendement» (Const. 1958, a. 44). V.
adoption, rejet, voie, ajournement. Comp. initiative, projet, proposition.
2 Par ext., la modification apportée.
3 Aux Etats-Unis, modification apportée par la suite à la Constitution de 1787.
4 Dans la Charte de l’ONU, modification apportée par la suite à la Charte (a. 108) :
plus généralement modification apportée à un traité international ou à un acte
unilatéral d’une organisation internationale. […]
5 Amélioration escomptée en la personne du condamné qui endure sa *peine, du
fait de celle-ci, objectif de *politique criminelle, fondé sur la vertu corrective
prêtée au châtiment. V. punition, répression. Comp. prevention, mesure de sûreté.
(VJ)
En général, en ce qui concerne les termes actuels, il est possible d’observer
des conceptualisations parallèles selon le pouvoir législatif des organes et des
institutions nationales, internationales et supranationales. Dans le cadre du droit
processuel civil, l’anglais amendment (10b, ODL) développe une réflexion sur la
non-modificabilité de la déclaration formelle de faits inhérents à une affaire (et à
garantie de celle-ci) dans un contentieux civil. Par contre, c’est le français
amendement (10c, VJ) qui présente le sens, déjà attesté dans le law French,
concernant la valeur rééducative de la sanction pénale dans le droit processuel et
pénal. En particulier, le français contemporain amendement décrit le droit
parlementaire, sanctionné par la Constitution, d’apporter des modifications
mélioratives aux lois et aux propositions de loi (10c, VJ: 1, 2), et donc à la
Constitution elle-même. De même, le droit d’amendment anglais sanctionne le
droit de la part de sujets compétents de modifier la législation nationale (10b, ODL:
1), en incluant donc aussi la constitution «non écrite» du Royaume Uni, qui
comprend les statuts constitutionnels, le droit jurisprudentiel et les conventions.
Les membre des assemblées compétentes peuvent modifier (fr. amender; ang,
amend) les chartes et les traités (droit international) (10b, ODL; 10c, VJ).
Amendment trouve également une application dans le droit civil (10b, ODL: 2),
tandis qu’amendement (10c, VJ: 4) se lie à la réflexion sur la valeur correctionnelle
de la peine (10a, MLF, amendement: 3) en décrivant l’amélioration attendue de la
part du détenu escomptant sa peine.
4.1.3. Agreement, agrément
Un cas légèrement différent est celui de l’anglais agreement, agrément par
rapport au français agrément. Le MLF enregistre gre, gree, à partir duquel
agreement est dérivé. L’évolution diachronique de la langue-culture a mené au
89
terme agrément (11c, VJ) dans le français juridique actuel, alors qu’en anglais nous
assistons à une diversification des emprunts (dans des périodes historiques
successives) et des significations avec agreement (11a), du law French, et
agrément (11b), emprunt linguistique au français et terme du droit de la diplomatie
internationale, attesté dans l’OED à partir de 1917.
(11ai) agreement n. (in international law) See TREATY. (ODL)
(11aii) agreement. A consensus of minds, or evidence of such consensus, in
spoken or written form relating to anything done or to be done […]. See
CONTRACT. (LDL)
(11aiii) regulated agreements. Agreements to which provisions of C.C.A. 1974
relate, i.e., consumer credit agreements; consumer hire agreements; credit token
agreements (qq.v.): see s 189(1). The agreements must be in writing, must contain
all express terms in legible form, must comply with appropriate regulations and be
signed by the debtor personally and by the other parties. Failure to comply renders
agreements “improperly executed”. […]. (LDL)
(11aiv) agreement for a lease A contract to enter into a *lease. Special rules
govern the creation of such a contract. […] (ODL)
(11av) contract. A legally binding agreement creating enforceable obligations.
[…] Contracts under, known also as deeds or specialty contracts, must be in
writing. Simple contracts include oral contracts and contracts which require some
writing. Implied contracts arise from the assumed intentions of the parties.
Contracts of record arise from obligations imposed by a court of record (q.v.). […]
(LDL)
(11b) agrément n. The formal diplomatic notification by a state that the
diplomatic agent selected to be sent to it by another state has been accepted, i.e. is
persona grata and can consequently become accredited to it. The agrément is the
reply to a query by the sending state, which precedes the sent diplomat’s formal
nomination and accreditation. This type o mutual exchange by the states over their
diplomatic representation is called agréation and is a informal method of
determining that the representative is acceptable to the host state before the final
appointment is made. The mere expression of a wish may reasonably be enough to
prevent an appointment from being made. However, once agrément has been
made, good cause alone justifies the demand that it be cancelled. See also
PERSONA NON GRATA. (ODL)
(11c) agrément
Dér. du v. agréer, comp. de *gré.
En général, *approbation ou autorisation a laquelle est soumis un projet (de
contrat, de nomination, etc.) et qui suppose, de la parte de celui à qui on doit le
demander, un pouvoir d’appréciation en général discrétionnaire (un pouvoir de la
refuser à son gré). Ex. vente à l’agrément. Comp. essai.
I (émanant des pouvoirs publics)
1 Acte unilatéral ou conventionnel (lettre d’agrément) par lequel
l’administration, dans l’exercice de sa compétence discrétionnaire, autorise la
constitution d’un organisme ou, plus fréquemment, confère à des organismes déjà
existants le bénéfice de certains avantages, facultés ou prérogatives.
90
2 Acte par lequel un gouvernement donne son assentiment à la
nomination d’un chef de mission diplomatique, qui sera ainsi considéré comme
persona grata. Comp. agréation.
3 Approbation des autorités de tutelle administrative à laquelle la loi
subordonne l’accomplissement ou le plein effet d’actes ou d’initiatives (agrément
d’une convention collective, d’un stage de formation professionnelle).
- fiscal. Procédé de type conventionnel par lequel l’administration fait bénéficier
une entreprise d’*avantages fiscaux, à charge, pour cette entreprise, de respecter
les engagements qu’elle prend de favoriser par sa politique et ses investissements
la poursuite des objectifs du *Plan, de l’*aménagement du territoire e du
développement régional.
- technique. Autorisation spéciale que tout assurer doit préalablement obtenir de
l’État pur pratiquer un type déterminé d’assurance.
II (dans le relations privées)
1 *Adhésion donnée par un tiers à un acte juridique dont la validité ou
l’opposabilité est subordonnée à cette formalité. Ex. agrément, par le propriétaire,
d’un sous-locataire, dans le cas où le bail interdit au preneur de sous-louer sans
cette autorisation (adde C. civ., a. 1868, al. 3, dans la société en nom collectif),
2 Dans certaines ventes (vente au goûter, C. civ., 1587, vente avec clause
«gré dessus»), accord qu’il appartient à l’acquéreur de donner ou de refuser après
avoir examiné et éprouvé la marchandise. Syn. *agréage, ne pas confondre avec
agréation.
3 Dans la *distribution sélective, acte par lequel le fabricant confie la
*commercialisation de se produits à un *distributeur de son choix.
- (clause d’). Clause insérée dans les status d’une *société qui subordonne la
*cession des *parts ou *actions à l’assentiment d’un organ social. Comp.
préemption. (VJ)
Il est possible d’affirmer que le sens I, 2 d’agrément (11c, VJ) coïncide
avec le sens de l’anglais agrément (11b, ODL). Nous en recevons une confirmation
en analysant les scripts respectifs. Observons notamment le renvoi à agréation dans
les deux articles, en plus de constructions verbales, arguments et acteurs similaires
(VJ: «le gouvernement donne son assentiment à la nomination d’un chef de mission
diplomatique (persona grata)»; ODL: «the state accepts the nomination of a
diplomatic agent (persona grata) to be sent to it»). Bien que dans la première
description du sens de agrément (11c, VJ, «En général […]»), la référence à la
forme qui doit être donnée à l’expression de consensus, autorisation ou approbation
(écrit ou oral) ne soit pas fournie, et que la description du sens de agreement (11aii,
LDL), précisé par les définitions des significations successives, soit plus générique,
les descriptions initiales du sens dans les deux articles semblent indiquer la
présence d’un noyau comparable. En particulier, agreement indique un consensus
of mind, donné à l’écrit ou à l’oral, qui n’est pas légalement contraignant (11ai,
LDL), alors qu’un contract (11av, LDL) est légalement contraignant. Un lease
agreement (11aiv, ODL) et les types différents de regulated agreements (11aiii,
LDL) sont donc des contrats, et se superposent largement aux significations
regroupées au point II de agrément (11b, VJ), concernant le droit privé. Enfin, la
référence aux traités internationaux (11ai, ODL: «[…] (in international law) See
91
treaty), reste exclu d’agrément (11c, VJ: I (émanant des pouvoirs publics)), parce
que le français a à disposition traité et, dans le sens général du terme, accord et
convention.
4.2. Estoppel
Estoppel illustre le cas des emprunts aller-retour de l’anglo-normand (12a,
ODL) ou ancien français (OED, estoppel). En particulier, estoppel, attesté dans
l’OED à partir de 1530, est une institution de la Common Law présente dans le
système juridique britannique en formes diverses: estoppel by conduct, estoppel by
deed, estoppel by record, equitable estoppel (promissory and proprietary). Il s’agit
d’une greffe juridique que le système français a adopté du droit anglo-saxon en le
limitant au droit international privé (12b, VJ), ce qui a entraîné une réduction
sémantique remarquable, face à la démultiplication des significations associées au
terme anglais.
(12a) estoppel n. [from Norman French estouper, to stop up] A rule of evidence or
a rule of law that prevents a person from denying the truth of a statement he has
made or from denying the existence of facts that he has alleged to exist. The denial
must have been acted upon (probably to his disadvantage) by the person who
wishes to take advantage of the estoppel or his position must have been altered as
a result. There are several varieties of estoppel.
• estoppel by conduct (or in pais) arises when the party estopped has made a
statement or has led the other party to believe in a certain fact.
• estoppel by deed prevents a person who has executed a deed from saying that
the facts stated in the deed are not true.
• estoppel by record (or per rem judicatam) prevents a person from reopening
questions that are *res judicata (i.e. that have been adjudicated upon by a court of
competent jurisdiction). See also ISSUE ESTOPPEL.
There are two forms of equitable estoppel – promissory and proprietary. The
doctrine of promissory estoppel applies when one party to a contract promises the
other (by words or conduct) that he will not enforce his rights under the contract in
whole or in part. Provided that the other party has acted in reliance on that
promise, it will, though unsupported by consideration, bind the person making it:
he will not be allowed subsequently to sue on the contract. When applicable, the
doctrine thus modifies the common-law rules relating to *accord and satisfaction.
Under the doctrine of proprietary estoppel, the courts can grant a discretionary
remedy in circumstances where an owner of land has implicitly or explicitly led
another to act detrimentally in the belief that rights in or over land would be
acquired. The remedy may take the form of the grant of a *fee simple in the
property (Pascoe v Turner [1979] 1 WLR 431), the grant of a short-term
occupational *licence, or even a monetary sum equivalent to the value of the
detriment suffered by the claimant in reliance upon the expectation (Jennings v
Rice [2003] P & CR 8 (CA)). The court will always seek to do the minimum
necessary to satisfy the equity. (ODL)
(12b) estoppel. Terme angl. signifiant «fin de non-recevoir».
92
Notion empruntée au Droit anglo-saxon, souvent analysée comme une exception
procédurale, destinée à sanctionner, au nom de la *bonne foi, les contradictions
dans les comportements d’un État, celui-ci étant considéré comme lié par son
comportement antérieur et, dès lors, estopped à faire valoir une prétention
nouvelle. Ex. un Etat qui a expressément reconnu une ligne frontière est déchu de
son droit de contester cette ligne auprès d’un autre Etat. V. acquiescement,
reconnaissance, irrecevabilité, fin de non-recevoir. (VJ)
4.3. Acquis communautaire, CE
Considéré le rôle fondamental du droit romain en Europe, le droit européen
emploie un certain nombre de termes français pour lesquels l’anglais ne présente
pas de calques et qui ne constituent pas de greffes juridiques à partir du système
juridique national français. Considérons, par exemple, acquis communautaire et
CE, à savoir des termes employés à la fois au Royaume Uni et en France, mais
enregistrés uniquement par l’ODL. Acquis communautaire (13, ODL) décrit
l’ensemble du droit européen.
(13) acquis communautaire [French] The body of *Community legislation and
judgments of the *European Court of Justice by which all EU member states are
bound. (ODL)
Le terme connaît des variantes: acquis (avec la perte du modificateur suite
à la fréquence d’emploi) et EC acquis (avec la traduction de communautaire et la
modification du nom à gauche à travers l’acclimatation à l’anglais).
Le droit européen naît d’un traité international et, pour être applicable dans
le système juridique anglais, dualiste, il doit être ratifié par le biais de statuts
spéciaux. Grâce au principe de primauté, le droit européen jouit d’un état de
supériorité hiérarchique pas rapport aux normes statutaires nationales. Par
conséquent, l’interaction avec le droit de l’union européenne représente une source
d’innovation pour la langue-culture juridique du Royaume Uni. Cela reste valable
également pour ce qui est des directives européennes, à savoir des actes qui
demandent aux États membres d’atteindre un résultat spécifique, sans pour autant
indiquer les méthodes et les parcours à effectuer à cette fin. Les mesures pour
l’implémentation restent donc à la discrétion de chaque État membre et mènent à
une lente innovation à l’intérieur des réglementations nationales en vigueur,
intégrées afin d’assurer le respect des directives européennes. C’est bien le cas de
CE (14, ODL):
(14) CE [French Communauté européenne: European Community] A marking
applied to certain products, such as toys and machinery, to indicate that they have
complied with certain EU directives that apply to them, including
*electromagnetic compatibility. A CE marking is not a quality mark, but it
indicates that health and safety and other legislation has been complied with. The
manufacturer or first importer into the EU must apply the CE marking; fines can
be levied for breach of the rules. (ODL)
93
5. CONCLUSIONS
Dans le premier volet de cette contribution, nous avons brossé une
réflexion préliminaire sur le statut des gallicismes dans l’anglais juridique du
Royaume Uni du point de vue formel et conceptuel. D’abord, nous avons identifié
un noyau fondamental d’emprunts à l’anglo-normand et à l’ancien et moyen
français et de la part du law French, qui constitue le cœur du langage juridique
anglais et de la Common Law. Ensuite, nous avons cerné une série d’emprunts
relativement récents, venant du droit international et européen, à savoir de
systèmes juridiques et règlements supranationaux avec lesquels l’anglais doit
interagir. Du point de vue formel, les emprunts appartenant au premier groupe –
formant le law French – sont intégrés orthographiquement et/ou phonétiquement
(ex. conseil, equitable, le suffixe -ee ou les emprunts aller-retour budget, jury, etc.).
Font exception certaines maximes, adages et formules de la culture juridique qui
ont gardé la forme d’origine sans intégration (ex. sois fait comme il est désiré)
aussi bien que certains xénismes syntaxiques employés dans des expressions figées
(ex. cestui que vie). En revanche, le deuxième groupe compte de véritables
xénismes, non intégrés et adoptés récemment (ex. agent provocateur, effet utile).
Dans le deuxième volet nous nous sommes penchées sur l’évolution de la
conceptualisation des emprunts au fil du passage de la langue d’origine à la langue
emprunteuse. Du point de vue conceptuel, sur la base des renseignements offerts
par des dictionnaires spécialisés et étymologiques généraux (ODL, MLF et OED
pour l’anglais, dont on a comparé les articles, le cas échéant, avec le VJ pour le
français), nous avons pu remarquer que des termes du law French encore employés
dans le système juridique du Royaume Uni peuvent montrer une démultiplication
de significations non partagée avec les termes français ayant la même origine (ex.
ang. abatement vs. fr. abattement). Toutefois, malgré la spécialisation en plusieurs
sens, il est possible de noter, dans l’anglais, une perte de significations et emplois
originaires, gardés par contre en français (ex. la réflexion sur la valeur de la peine,
présente dans le français amendement et dans le law French amendement, mais
absente dans l’anglais amendment). La présence d’emprunts intégrés à côté de
xénismes d’adoption plus récente peut refléter non seulement le passage
terminologique dû au contact entre langues-cultures nationales, mais aussi
l’exigence éventuelle de disposer de termes différenciés pour le droit international.
Par exemple, cela se manifeste, dans le dictionnaire juridique anglais, par la
présence parallèle du terme intégré agreement et du xénisme agrément, réservé au
droit diplomatique et consulaire, alors que le français se sert uniquement du terme
agrément pour le système juridique national et international. Pour ce qui est des
emprunts aller-retour, estoppel constitue un cas particulier d’accueil d’une greffe
juridique de la part de l’anglais. Ce terme montre une restriction du sens, avec la
perte de plusieurs significations en anglais, et une conceptualisation limitée au droit
international privé plutôt qu’une extension éventuelle dans le droit privé national.
Enfin, pour revenir aux emprunts récents, des termes venant du droit européen, tels
que acquis communautaire et CE, ne peuvent pas manquer. Ces derniers jouissent
94
d’un statut hiérarchiquement supérieur par rapport aux règlements statutaires
anglais, ce qui signifie que le système juridique du Royaume Uni ne peut que subir
une lente innovation dans le processus d’adaptation aux règlements et aux
directives de l’Union européenne.
NOTES
1. Ce travail est le fruit d’une collaboration entre les auteures, cependant Silvia Cacchiani est
responsable des paragraphes 2., 3.1, 3.1.1., 3.1.2, 3.1.3, 4.1., 4.1.1., 4.1.2, 4.1.3., alors que Chiara
Preite est responsable des paragraphes 1., 3., 3.2., 3.2.1, 3.2.2., 3.2.3., 4., 4.2., 4.3., 5. et de la
rédaction en langue française.
2. Selon Ziembinski (1974), philosophe du droit, langage et langue ne sont que deux facettes de la
même médaille: le langage du droit est l’expression du législateur, alors que la langue juridique
équivaut à la langue employée par les juristes pour parler de droit. Cependant, en linguistique, le
débat autour du choix entre langage et langue juridique demeure ouvert. Sourioux et Lerat (1975:
9) emploient langage et expliquent que langue fait référence à la langue naturelle, alors que parler
de langage implique «l’existence d’usages spécifiques de la langue commune et d’éléments
étrangers au système de celle-ci». De même, selon Cornu (2000: 23) «[…] le langage juridique est
un usage particulier de la langue commune […]». En revanche, Groffier (1990) parle de La
langue du droit et Bocquet (1998: 96) explique: «[…] on pourrait opposer le langage du droit,
formé de toutes les sortes de signes linguistiques et extra-linguistiques, à la langue du droit, qui
ne comprendrait que les signes linguistiques […]». Enfin, Gémar (1999: 6-7) ajoute l’emploi de
discours, en distinguant entre la langue du droit, formée par la terminologie spécialisée, le
discours, qui est «la manière de dire le droit» des spécialistes, et le langage ou «le message dont
le discours est porteur, sa forme linguistique et sa destination particulières». Indépendamment du
débat, dans ce travail nous employons langue et langage, juridique et du droit, comme des
synonymes.
3. Au point que Gémar (1981: 342) a observé que «de toutes les langues spécialisées, la langue
juridique est peut-être celle où règne la plus grande polysémie».
4. Termes qui, selon Cornu (2000: 68-69), se caractérisent par l’appartenance exclusive au droit («Ils
n’ont de sens qu’au regard du droit»), ou bien par une double appartenance, mais dont
l’appartenance juridique est principale par rapport au sens que le mot possède dans la langue
commune. Le cas contraire de double appartenance est également possible.
5. Les études qui portent sur les gallicismes de l’anglais remontant à l’anglo-normand ne touchent pas
seulement aux emprunts juridiques, mais aussi aux emprunts appartenant à la langue générale ou à
d’autres langues spécialisées. Voir par exemple Trotter (2010).
6. La deuxième édition consultée comporte également une mise à jour (http://www.oed.com).
7. Dans ce paragraphe nous présentons la révision approfondie d’une classification préliminaire
discutée brièvement dans Cacchiani / Preite (2010).
8. Un morphème lié est identifié sur la base d’une analyse componentielle et d’une généralisation se
fondant sur une série d’occurrences lexicales qui le contiennent (Weinrich 1968). Dans ce cas, il
s’agit souvent de couples agent/patient ou masculin/féminin.
9. La liste de termes spécialisés collectés ne contient ni de calques ni des pérégrinismes. Ces derniers
sont exclus des dictionnaires juridiques à cause de leur nature même: «le pérégrinisme […] ne
devient un emprunt proprement dit que s’il est employé non plus occasionnellement, mais
couramment» (Deroy 1956: 224). En effet, un emprunt dont l’emploi ne serait qu’occasionnel et
peut-être éphémère ne fait pas l’objet d’une entrée lexicographique.
10. La sélection se fonde sur une liste (non exhaustive) de plus de 400 unités terminologiques
enregistrées par le ODL et le LDL. A cause de l’absence de tout étiquetage historique et
étymologique dans les deux ouvrages pris en considération, l’identification des emprunts a été
menée par le biais de l’OED. C’est sur la base des renseignements offerts par ce dernier qu’il est
possible de subdiviser les termes retenus selon leur origine historique en [Anglo-Norman], [Old
French], [Middle French], [French], [Latin through French].
95
11. Nous n’incluons pas les informations concernant les variantes orthographiques pour chaque entrée
et période historique énumérées par l’OED.
12. Les suffixes anglais -ure (closure, failure) et -ant/-ent (complainant, litigant, tenant) forment des
emprunts complexes, qui ne peuvent pourtant pas être considérés comme distinctifs du langage
juridique. Dans ces cas, il est possible d’observer à la fois des mots complexes formés à partir
d’une base française ou anglaise et des mots adaptés directement du latin (OED). Le préfixe non(ex. nonage, nondisclosure, nonfeasance, non-refoulment), emprunté à l’anglo-normand (non-,
noun-, nun-) et au latin nōn, à partir du XVème siècle il forme des mots complexes également en
combinaison avec des bases anglaises.
13. En opposition au traitement homonymique qui scinde le mot polysémique en plusieurs
homonymes. Selon Cornu, cette approche synchronique n’est pas satisfaisante en ce qui concerne
le langage juridique dont il juge nécessaire de prendre en considération l’étymologie des termes
pour découvrir à la fois leur polysémie «interne» («lorsqu’au regard du droit, dans un système
juridique donné, un même terme peut revêtir, dans l’usage actuel, deux ou plusieurs sens
distincts», Cornu 2000: 95) et «externe» («elle existe pour peu qu’un terme, doté d’un sens
juridique soit aussi pourvu d’un sens extrajuridique», Cornu 2000: 75). Les dictionnaires
juridiques ne s’occupent évidemment pas de cette dernière.
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97
REMARQUES SUR LES EMPRUNTS
D’ORIGINE FRANÇAISE DANS LE DOMAINE
ÉCONOMIQUE DU ROUMAIN
Corina CILIANU-LASCU
Académie d’Études Économiques de Bucarest, Roumanie
1. INTRODUCTION
Le progrès des connaissances scientifiques et techniques tout comme
l’enrichissement de l’expérience humaine se traduisent nécessairement par un
mouvement du lexique qui implique une adaptation des signes existant à de
nouveaux emplois et la création de nouveaux signes (Guilbert 1975: 82-83).
La relation entre la terminologie économique et les changements socioéconomiques, tout comme la relation entre les concepts économiques et les
possibilités morpho-syntaxiques et phonologiques des langues en contact
impliquent une approche circonstanciée des trois types d’emploi des termes
économiques: l’emprunt adapté du point de vue phonologique et orthographique au
roumain, le calque, l’emploi parallèle du terme français et du calque.
“Quand un locuteur du langage X emploie une forme d’origine étrangère, non pas
comme un recours fortuit au langage Y, mais parce qu’il l’a entendue employée
par d’autres dans des discours en langue X, alors cet élément d’emprunt peut être
considéré, du point de vue descriptif, comme étant devenu partie intégrante du
langage X” (Weinreich 1963: 11).
Les changements du domaine des finances développé en Roumanie d’une
période à l’autre ont impliqué des besoins terminologiques spécifiques. Vue du
côté de la lexicographie, la néologie n’est rien d’autre que l’enregistrement de mots
nouveaux, sous la pression des besoins de dénomination, d’expression et de
communication (Lerat 1993: 131). Pour exprimer les nouvelles réalités qui
n’avaient pas de correspondant en roumain, les professionnels ont adopté un
nombre important d’emprunts d’origine française.
Dans cet article nous nous proposons d’étudier certaines des
caractéristiques de ces emprunts. Pour y aboutir, nous avons tout d’abord défini les
objectifs de notre recherche à partir de l’arbre conceptuel du domaine des finances.
Ensuite nous avons dressé l’inventaire des emprunts d’origine française du
domaine financier en roumain afin de constituer notre corpus analysé dans le
chapitre suivant selon les différents critères de classification linguistique,
98
sémantico-syntaxiques, morpho-dérivationnels, phonologiques et orthographiques.
Enfin, nos conclusions offrent la perspective de l’étude des emprunts dans d’autres
domaines économiques pour mieux envisager les rapports entre les facteurs socioéconomiques, culturels et linguistiques.
2. OBJECTIFS
Notre recherche se propose d’étudier les caractéristiques de l’intégration
des emprunts d’origine française du domaine des finances dans le système
linguistique du roumain.
Nous voulons essayer d’aborder une approche systématique de la
recherche terminologique en économie, qui est d’habitude ponctuelle et porte sur
un terme isolé ou sur un groupe restreint de termes relatifs à un ou plusieurs
domaines (Boutin-Quesnel et al. 1985: 17, in Lerat 1993: 132). Pour y arriver,
comme l’enrichissement lexical ne se réalise pas par l’introduction dans le lexique
d’un ensemble homogène de mots nouveaux correspondant à chaque
domaine, dans une première étape de notre recherche nous avons établi l’arbre
conceptuel du domaine des finances :
Finances
Agents
Activités
Documents
Caractérisant
s
Le champ conceptuel de tout domaine est l’ensemble des concepts qui
constituent cette discipline, un ensemble de concepts structurés en d’autres sousensembles plus spécifiques encore, et ainsi de suite (Cabré 1992: 174). Comme les
objets (entités concrètes et abstraites, propriétés - états, relations, dimensions,
activités, etc.) qui partagent les mêmes propriétés ou caractéristiques sont groupés
en classes à partir desquelles on constitue par abstraction des unités de
connaissance ou de savoir appelées concepts, l’ensemble général des concepts des
finances est formé de notions renvoyant à la structure du système financier et aux
différents types d’activités et de documents ce qui détermine des catégories
comme : agents, documents, règles / techniques / méthodes, opérations, etc. Il est
utile de structurer conceptuellement notre domaine de recherche sur une base
onomasiologique, ce qui correspond premièrement à l’établissement des concepts à
dénommer. La structuration du champ conceptuel des finances reflète une certaine
99
vision culturelle et scientifique de la réalité à définir pour établir correctement les
équivalents dans les deux langues et toutes les informations pragma-linguistiques à
envisager dans les étapes ultérieures de notre recherche, à partir des différences et
des ressemblances du système financier des deux pays à des époques différentes de
leur évolution économique. Cette structuration nous donnera par la suite de mieux
vérifier les équivalents entre les termes du roumain et du français, d’élaborer des
définitions de façon systématique, en fait d’accéder plus facilement et efficacement
à l’information et aux structures du savoir selon les différentes
catégories conceptuelles.
Les étapes suivantes de notre recherche comprennent les objectifs suivants:
- dresser l’inventaire des emprunts d’origine française du domaine financier
en roumain;
- étudier le degré d’adaptation des emprunts au système linguistique de la
langue d’accueil et leur intégration;
- établir des classes de comportement linguistique des emprunts d’origine
française.
3. CORPUS
Nous avons repéré 275 emprunts roumains d’origine française dans notre
corpus qui comprend quatre cours universitaires, dictionnaires et glossaires en
ligne, guides, législation, différents journaux et revues, sites représentant en totalité
un corpus de textes qui correspondent aux exigences de représentativité,
d’exhaustivité relative et d’actualité. Cette étape de notre recherche soutient
l’intérêt d’une approche sémasiologique aussi importante pour la recherche en
terminologie que l’approche onomasiologique.
La prise en compte de l’usage et de la fréquence d’apparition des emprunts
implique l’analyse d’un corpus plus large qui inclut deux types de textes:
1) textes didactiques (cours universitaires);
2) textes journalistiques.
En fait il s’agit du discours pédagogique et du discours spécialisé de type semivulgarisation pour lesquels nous prenons en compte : la qualification du rédacteur
(enseignant, journaliste ou spécialiste en économie), le type de public (étudiants,
professionnels ou grand public), le mode de diffusion (milieu universitaire ou vente
en kiosque), le caractère professionnel du document (universitaire ou
journalistique). (v.aussi Gaudin 1993: 183 in Gaudin/Guespin 2000).
4. CRITÈRES DE CLASSIFICATION
Nous faisons appel, d’une part, à la norme socio-culturelle qui règle la
motivation et la fonction des emprunts tout comme leur acceptabilité et leur usage,
d’autre part, à la norme linguistique qui envisage le processus d’assimilation, en
tant que composante d’une norme socio-linguistique afin
d’envisager la
terminologie analysée sous l’angle d’une approche socioterminologie et d’une
100
approche linguistique. Même si certains linguistes considèrent que la norme
linguistique est codifiée en roumain d’une manière explicite tandis que la norme
sociale est implicite (cf. Stoichiţoiu-Ichim 2006), nous estimons que, pour la
terminologie des finances, aucune des deux normes n’est explicite.
Les distinctions entre les emprunts dénotatifs / connotatifs (Guilbert 1975:
91-92), techniques / stylistiques (Guiraud 1965: 7-8), de nécessité et de «luxe»
(Deroy 1956) conformément à la finalité sociale de la communication (v.
Stoichiţoiu-Ichim 2001: 85-96) n’intéressent pas expressément notre étude actuelle
car la diversité des discours relativise de telles caractérisations. Les emprunts de
nécessité se trouvent dans beaucoup de cas dans la phase de pérégrinisme, celle qui
précède l’assimilation complète, comme ango/ en gros par exemple, alors qu’il y
aussi un petit nombre de xénismes, à l’usine, à la baisse, allonge qui gardent leur
aspect étranger et restent à la périphérie du système linguistique du roumain.
Après avoir envisagé quelques caractéristiques des néologismes
sémantiques et des néologismes de forme, nous étudions les possibilités morphodérivationnelles, sémantico-syntaxiques, phonologiques et orthographiques des
deux langues.
4.1. Néologismes sémantiques et néologismes de forme
«La néologie de forme » et « la néologie de sens » dénotent une nouvelle
réalité (nouveaux concepts, nouveaux realia de la communauté linguistique
respective). Chaque sphère de significations nouvelle, correspondant à une
expérience nouvelle, se réalise lexicalement par un ensemble lexical fait d’emplois
nouveaux de mots empruntés à des sphères d’activité apparentées formées
antérieurement (Guilbert 1975: 82-83), qu’on a appelés néologismes sémantiques
(1a), et de mots nouveaux ou néologismes de forme (Dubois 1973: 334 ) (1b) :
(1a) agregate monetare, prudenţă bancară, masă monetară
(1b) (operaţiuni) bilanţiere, (elemente) extrabilanţiere, (control) prudenţial
4.2. Caractéristiques morpho-dérivationnelles
Le champ sémantique correspondant à l’activité nouvelle s’organise à
l’aide d’un ensemble de signes qui possèdent leurs propres connexions sur le plan
linguistique, différentes des relations entretenues par les notions ou les réalités
qu’ils traduisent. Comme il y a des domaines économiques apparentés, il y a des
séries de termes tirés du vocabulaire d’un domaine dans un autre, entraînés dans le
nouveau vocabulaire par un mot-base; la constitution de la série lexicale se situe
essentiellement sur le plan linguistique:
(2a) gérer  (co)gérant, (co)gérance
(2b) gérer  (auto)gestion, (auto)gestionnaire
(3) actionnaire / actionnariat – acţionar /acţionariat
(4) bourse / transaction boursière - bursă / tranzacţie bursieră
101
L’ensemble lexical propre à un domaine s’organise selon une double
structure : il comporte des séries lexicales d’ordre sémantique et des séries
lexicales d’ordre morphologique. Les séries sémantiques sont constituées par des
ensembles de vocabulaire transférées d’une technique à l’autre ou d’un domaine
économique à l’autre. Les séries morphologiques sont formées à partir d’une même
base (aval, cession, créance, débit, endos, mandat) diversifiées selon une série
d’éléments spécifiques de l’activité respective :
(5a) cession  cédé / cédant, cessible
(5b) cesiune /cedent / a cesiona / cesionare  cesionabil (Păun 2003: 207 - 208),
cesionar
Dans beaucoup de cas, si la base en roumain est d’origine française, la
dérivation est spécifiquement roumaine:
(6a) aval, avaliser, avaliste, avaliseur - aval, avaliza, avalizare, avalist
(6b) gérer, gérant - a gira, gir  girant / girator (Păun 2003: 190)
(6c) endosser, endossement/endos, endosseur, endossataire - a andosa, andosare,
andosator
Dans la plupart des activités économiques qui mettent face à face deux
partenaires, le français et / ou le roumain dispose(nt) de leur dénomination:
(7a) mandant/ mandataire – mandant / mandatar, tireur / tiré – trăgător / tras
(7b) commettant / commissionnaire, franchiseur/ franchisé
(7c) acceptant / acceptat, comanditar / comanditat
Pour d’autres cas, il n’y a qu’un seul des deux agents dans les deux
langues:
(8) andosator, avalist, bancrutar, cesionar, comisionar, furnizor, garant, gestionar
Contrairement à la plupart des terminologues qui considèrent que la
terminologie d’un domaine comprend uniquement des noms, nous devons
souligner l’existence des verbes (comme en 5b, 6a, 6b, 6c) mais aussi des adjectifs,
la détermination adjectivale étant très répandue dans la terminologie financière :
(9a) société absorbante / absorbée, actifs cédés / actionnaires cédants
(9b) banca trasă / acceptantă / negociatoare / confirmatoare/ rambursatoare /
solicitantă / avizatoare / notificatoare (Păun 2003: 199)
Notre corpus contient beaucoup d’adjectifs néologiques :
102
(10a) (cec) barat / certificat, (operaţii) bilanţiere / extrabilanţiere (Dardac, 2 :
109), mediu) concurenţial, (risc) interbancar / sectorial, (subvenţii)
rambursabile, (acreditiv) revocabil / irevocabil, terţe (persoane)
(10b) bursier, compensatoriu, forfetar, ipotecar, mutual, prudenţial
La formation d’un nouveau vocabulaire technique, notamment dans la
mesure où il se réalise par le glissement d’un matériel lexical provenant d’un autre
champ sémantique, s’opère par la détermination du mot de base emprunté par un
élément de référence au nouveau champ sémantique. Ce processus de formation
provoque la création d’un grand nombre d’unités de significations complexes
appelées néologismes syntagmatiques, qui doivent être considérées comme parties
intégrantes du lexique au même titre que les lexèmes simples (Guilbert 1975: 220):
(11a) chèque au porteur, billet à ordre, paiement en nature, paiement en
numéraire
(11b) cec la purtător, bilet la ordin, plata în natură, plata în numerar
(12a) apport / paiement en nature, en numérair ; après-vente; à vue; billet à
ordre ; chèque au porteur; économie d’échelle ; euro-niche, euro-masse; impôt
sur le revenu, sur le profit ;plafond d’exonération d’impôt; sous-traitance
(12b) aport / plată în natură, în numerar; post-vânzare; la vedere; bilet la ordin;
cec la purtător; economie de scară; euro-nişă ; impozit pe venit, pe profit; plafon
de scutire; subcontractare
Selon le modèle français, les néologismes syntagmatiques, appelés aussi
synapsies ou collocations, ont en roumain la forme d’un groupe prépositionnel
(13a), d’un nom appositif (13b) ou d’une composition (13c):
(13a) paiement par acceptation / par négociation / à vue - cu plata prin acceptare
/ prin negociere / la vedere /
(13b) crédit acheteur / vendeur - credit cumpărător / vânzător
(13c) contre-partie – contrapartidă, dommages- intérêts – daună-interese, soustraitance, sous-traitant – subcontractare, subfurnizor, subcontractant
Il y a des cas où l’emprunt n’est pas entièrement intégré et le xénisme est
employé parallèlement au calque:
(14) en détail / cu amănuntul
Une étude détaillée des affixes pourrait souligner l’existence d’affixes
semblables dans les deux langues: -ité / (at)ate, -aire / ar, mais aussi certains
affixes roumains spécifiques: in-, ne- pour les préfixes français in- ou non:
(15a) anuitate, arierate, credit obligatar, (pre)finanţare, (re)scontare
(15b) agent (ne)bancar, (ne)plată, (in)solvabilitate
103
Les emprunts se soumettent dans la plupart des cas à la spécificité morphodérivationnelle du roumain.
4.3. Caractéristiques morpho-syntaxiques
Il y a une série de différences de genre pour certains noms entre les deux
langues :
(16) une avance (n.f.) – un avans (s.n.), une commission (n.f.) – un comision
(s.n.), un arriéré (n.m.) – un arierat (s.n.), tantième (n.m.) – tantiemă (s.f.)
Dans certains cas, le spécialiste roumain emploie un terme insuffisamment
ou pas du tout adapté au roumain: cu plata “diferată” du français “différée”
(amânată). Le locuteur roumain qui ne connaît pas le français ne pourra pas
comprendre cette dernière synapsie en roumain:
(17) à paiement différée – cu plata diferată (Păun 2003: 201)
4.4. Caractéristiques sémantico-syntaxiques et dérivationnelles
Un nom polysémique du français correspond à des hétéronymes à suffixes
différents en roumain. La spécialisation sémantique est soutenue par des suffixes
différents en roumain:
(18) allocation – alocaţie / alocare, autorisation - autorizare/autorizaţie,
cotisation – cotare / cotaţie, crédit – creditare / credit, réescompte – rescontare /
rescont
(19) obligation – obligaţie / obligaţiune, opération – operaţie / operaţiune
Seul le contexte détermine le choix correct de l’hétéronyme en roumain:
(20a) spéculation – speculă / speculaţie, speculaţii ; participation – participare /
participaţii (la capital, participaţii financiare) (Dardac, 2, 200 : 105)
(20b) La spéculation sur les terrains à bâtir.
(20c) Spéculations désastreuses.
(21) Un voyageur qui demande une allocation de devises / allocations familiales
(Petit Robert) (alocare de valută / alocaţii familiale)
La polysémie du terme français provision détermine quelquefois le
spécialiste à proposer un synonyme entre parenthèses (ex. provizionul (depozitul)
(Păun 2003: 192)) implique le choix de plusieurs hétéronymes:
(22a) provizie / provizion – provizioane ”fonduri pentru riscuri bancare generale”
(22b) constituirea de provizioane, chèque sans provision – cec fără acoperire.
Un seul verbe et nom français ont des hétéronymes différents en roumain:
104
(23) accepter, acceptation - accept / acceptare, prévoir – prévision / a prevedea –
a previziona / previziune – previzionare (metoda de previzionare a creanţelor
riscante (Dardac, 2, 2003: 108)
L’infinitif long du roumain en tant que nominalisation déverbale, permet
un doublet, cas où le français n’a qu’un nom:
(24) crédit – credit / creditare, participation – participare / participaţii (la capital,
participaţii financiare) (Dardac 2003: 105)
D’ailleurs le roumain économique abonde en déverbaux infinitifs longs
d’origine française:
(25) avalizare, andosare, autorizare, avalizare, decontare, denominare, forfetare,
garantare, (strategia de ) poziţionare a băncii pe piaţă, rambursare,
regularizare,rescontare, scontare (Păun 2003: 190)
Pour le terme accise il n’y a pas de verbe français correspondant, alors
qu’en roumain on emploie le déverbal accizare sans employer le verbe
correspondant.
Dans d’autres cas, la distinction sémantique est neutralisée en roumain
sous l’influence du français:
(26) émission de monnaie – emisie / emisiune de monedă / *emitere de monedă.
Un seul nom du français impose un doublet nom simple / nom déverbal en
roumain:
(27a) instrument de gestiune, gestiunea internă a băcii / gestionarea riscurilor.
(27b) activitate de creditare / credite furnizor, cumpărător
Dans ces cas il n’y a qu’un nominal français: crédit, gestion.
Dans les deux langues, deux nominaux différents correspondent aux
différents sens du même verbe polysémique :
(28) avance / avancement – avans / avansare.
Les spécialisations sémantiques de certains termes de la langue standard
dans le langage économique ont un comportement semblable dans les deux
langues:
(29) adaos comercial, achiziţii, fuziuni de întreprinderi, marcă hibrid
La métaphorisation fonctionne de la même façon dans les deux langues:
105
(30a) modalité d’extinction des obligations de paiement - mod de stingere a
obligaţiilor de plată
(30b) niche de marché - nişă de piaţă
(30c) entrepôt douanier – antrepozit vamal
La polysémie d’un nom comme acţiune (action) détermine le blocage de
certaines dérivations ayant un des sens du mot de base:
(31) acţionar, acţionariat (fin.) et non *acţionar în justiţie, a acţiona în justiţie
(jur.), sans sens financier du verbe.
4.5. Caractéristiques phonologiques et orthographiques
Il y a des emprunts qui connaissent des variantes phoniques et qui, à la
limite, représentent des xénismes:
(32a) franchisor, mais franciză/franşiză
(32b) agiotaj, embosare, embosat
La plupart des emprunts s’adaptent du point de vue morphophonologique et orthographique:
(33) acont, acreditiv, aviz, balanţă, bancă, bancher, bancrută, cesiune, clauză,
clientelă, conosament, consorţiu,cont, curtaj, curtier, debitor, dividend, echilibru,
gaj, inventar, lichiditate, negociere, poliţă, rabat, randament, redevenţă, remiză,
renegociator, risturnă, trată, etc.
Il y a aussi la possibilité d’employer parallèlement le terme étranger et la
forme correspondante en roumain:
(34a) amortissements – amortismente / amortizări
L’emprunt en gros (avec ses variations d’orthographe jusqu’au terme
complètement roumanisé angro) redoublé en roumain de l’expression cu ridicata,
implique la formation de l’agent angrosist, qui en français n’est pas préfixé:
grossiste.
(34b) en gros – angro (en gros) / cu ridicata
Si certains termes monosyllabiques ont la même forme et prononciation
dans les deux langues : fisc, troc, pour les termes polisyllabiques, la consonne
finale est prononcée en roumain, à la différence du français:
(35) acţionariat, credit, debit, fond, mandat
106
5. CONCLUSIONS
L’analyse des néologismes d’origine française employés dans le discours
économique du roumain offre des conclusions intéressantes sur le rapport entre les
réalités socio-économiques et culturelles et la problématique de la néologie par
emprunt, tout comme sur les ressemblances et les différences entre les deux
langues.
Les relations entre la terminologie économique et les changements socioéconomiques, ainsi que les rapports entre les concepts économiques et les
possibilités morpho-syntaxiques et phonologiques des langues étudiées déterminent
certaines conclusions intéressantes pour études socioterminologiques.
L’étude d’autres domaines économiques où l’emprunt de néologismes
d’origine française est différent pourrait donner une image intéressante des rapports
socio-culturels et linguistiques des deux langues, le français et le roumain.
L’analyse linguistique et socio-linguistique des néologismes roumains d’origine
française souligne les ressemblances et les différences entre les deux langues,
comparaison utile aux recherches typologiques et à la recherche terminologique.
Les caractéristiques morpho-syntaxiques et sémantico-pragmatiques de la
terminologie étudiée représentent aussi une base de départ importante pour le
processus d’enseignement/apprentissage du français économique destiné aux
spécialistes roumains. En outre, les résultats de cette étude doivent être
efficacement utilisés pour la normalisation terminologique et l’aménagement
terminologique.
Même si l’on établit des classes morpho-syntaxiques de néologismes, on
ne peut pas exclure le comportement idiosyncrasique spécifique à certains des
termes analysés.
En même temps, la complexité du domaine économique détermine une
analyse qui dépasse le domaine de la terminologie et impose l’étude plus
approfondie de la «néologie de sens» à côté de la «néologie de forme».
Le recours simultané à divers mécanismes de néologie – néologisme
morphologique, néologisme sémantique, néologisme syntagmatique – constitue
une manifestation de la vitalité de la langue dans la période initiale de formation
d’un nouveau vocabulaire ou, par la suite, d’un nouveau système économicosocial. Foisonnement de synonymes, de néologismes et de barbarismes au début,
la décantation s’opère ensuite diachroniquement au stade de la diffusion du
nouveau vocabulaire selon le critère de la fréquence et de l’usage. Le néologisme
spécialisé, dans notre cas le néologisme économique, est défini par sa qualité
d’information et son usage particulier qui en fait un objet social car il n’y a pas de
réalité que dans la mesure où les objets dénommés font partie de la culture des
professionnels (Lerat 1993: 132). L’équilibre s’établit au sein du champ
sémantique de la nouvelle activité ou réalité en liaison avec l’organisation et la
stabilisation de l’expérience elle-même.
Les emprunts roumains d’origine française du domaine économique
manifestent un degré très élevé d’adaptation et d’intégration au système de
107
la langue d’accueil. Comme ils n’entravent pas la créativité lexicale en
roumain et qu’il s’agit d’un procédé linguistique productif dans la mesure
où il permet, sans empêcher l’utilisation des termes roumains existants,
d’intégrer efficacement des formes nouvelles, il convient de réagir d’une
manière positive aux emprunts, en tant que procédé très important
d’enrichissement de la langue. Mais, en même temps, il faut prendre en
considération une politique linguistique de l’emprunt et mettre en place des
instruments de normalisation et d’aménagement terminologique, absolument
nécessaire afin de préserver la qualité du roumain et de contribuer à l’efficacité de
la communication professionnelle.
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109
LA MOBILITÉ DES MOTS: VISÉES DISCURSIVES ET
INTÉGRATION TEXTUELLE
Cecilia CONDEI
Université de Craiova, Roumanie
1. DÉMARCHE THÉORIQUE
La présence du français dans le monde s’opère actuellement dans un
double sens: langue qui s’offre généreusement à un monde slave, germanique,
arabe, russe, et non seulement, et langue qui s’imprègne d’une sensibilité
singulière, de cultures autres, qui s’embaume d’un parfum vivifiant venu de ses
territoires lointains.
Dans la perspective que nous proposons, centrée surtout sur l’analyse du
discours et sur l’intégration textuelle des mots venus d’une autre langue dans la
langue française, le néologisme « se définit mieux en synchronie, c’est-à-dire dans
la perspective du rapport des éléments du système linguistique entre eux. C’est le
locuteur qui crée la nouvelle forme !» (Charaudeau, Maingueneau 2002: 11). En
observant les éléments déplacés d’une langue à l’autre, éléments mobiles par
excellence, affectés par des changements discursivo-graphiques et perçus par la
langue d’accueil comme des nouveautés, nous n’insistons pas sur l’opposition
générale «néologisme» - «archaïsme», mais sur leur production et/ou leur
reconnaissance en discours par une sorte d’intuition néologique (Cf. Charaudeau,
Maingueneau 2002: 401). D’ailleurs, «la formation d’un néologisme n’est pas
seulement un acte de parole, elle est destinée à être aussi un phénomène de langue»
(Guibert 1973: 13), parce que le destinataire du message est «partie prenante dans
la création» (Idem.) étant donné son rôle.
Sans doute, les domaines technique, scientifique, économique sont par
excellence le territoire de la néologie, mais qu’en est-il du domaine littéraire ? Le
patrimoine littéraire du français, composé d’œuvres d’une même configuration
d’expression, mais venant de tous les continents, les œuvres des écrivains venus
d’un ailleurs lointain dans un dedans rigidifié par des règles témoigne de la noble
modernité du français et annonce les parcours ultérieurs du changement
linguistique. On s’accorde à dire que la création linguistique est l’apanage des
écrivains (Guilbert 1973: 26) et que tout élément récemment entré dans une langue
est rangé du côté des nouveautés. A côté du discours littéraire, le discours de
vulgarisation se situe à mi-chemin entre le discours scientifique et celui ordinaire,
sorte de construction à base de «traduction», qui vise les moins spécialistes ou les
profanes. La néologie de sens ou de forme peut s’y installer confortablement. Un
110
tel type de discours sera représenté par Cloner le Christ ?, une sorte de romandossier realisé par Didier van Cauwelaert, constitué autour d’un tournage de film
présenté par Lundi investigation, émission du Canal + et intitulé Ils veulent cloner
le Christ ? Pour ce qui est du discours littéraire, celui des écrivains étrangers
d’expression française nous sert parfaitement.
Quelques pilons sémantiques et discursifs soutiennent la grille d’analyse:
les études de Louis Guilbert, Christian Marcellessi, Michale Riffaterre, pour le
côté sémantique et celles de Jacqueline Authier-Revuz, Marie-Christine Lala,
Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau, pour la perspective discursive.
Pour ce qui est de la date de l’apparition d’un mot dans la langue française, nous
utilisons Petit Robert (éd. 1977) et Trésor de la Langue Française, version
informatisée (désormais TLFi), non sans négliger une sorte de sentiment
néologique (dans le sens de Gardin, 1975) que le discours littéraire pris en compte
nous permet de dégager.
Louis Guilbert (1973: 22-23) distingue trois formes de néologie sémantique:
a) une forme qui consiste en une utilisation nouvelle du «groupement des
sèmes afférents à un lexème, type synecdoque, métaphore, comparaison,
métonymie. La nouvelle signification est perceptible dans la mutation d’un sème,
accompagnée le plus souvent d’un déterminant, type «pirate de l’air», que Guilbert
(1973: 22) appelle néologie syntagmatique, c’est-à-dire néologie sémantique
apparentée à la néologie syntaxique.
b) une autre forme qui affecte la catégorie grammaticale du lexème ; il
s’agit de la néologie par conversion, du type belle (adj.) - les belles (subst.).
c) une forme, enfin, qui couvre la néologie sociologique, touchant à des
niveaux sociaux différents et facilitant le passage d’un mot spécialisé appartenant à
un domaine vers un autre vocabulaire, lui aussi spécialisé, mais dans un autre
domaine, la signification du mot étant, évidemment, nouvelle.
Dans le discours littéraire, ce déplacement est dicté soit par le milieu
professionnel où évolue le personnage, soit par le soin du locuteur de bien faire
passer le sens. Tenant compte de notre visée, la première situation ne semble pas
soutenir le fonctionnement de la néologie sociologique, puisque c’est la situation
de communication en contexte déterminé qui l’impose. Mais, si le locuteur se
focalise sur un néologisme consacré dans un domaine pour le faire entrer dans un
autre, cette situation, par contre, est celle de la néologie sociologique véhiculée par
le discours littéraire. Par exemple, l’héroïne de Maria Maïlat (2003: 186), écrivaine
immigrée comme son auteure, affirme: «J’avais besoin d’une permanente perfusion
d’oralité, de bavardage», le mot perfusion (daté, selon Petit Robert, 1923, avec le
sens «méd. Injection lente et continue de sérum») passe d’un domaine, médical,
dans le discours littéraire et fait référence aux efforts d’un écrivain étranger
d’expression X, dans notre cas, d’expression française, de construire un discours
dans la langue d’accueil. Le texte avance sous le poids du même procédé: «Dans
mon sommeil, les phrases glanées au cours de mes flâneries se transformaient en
aiguilles et s’enfonçaient douloureusement dans ma peau» (ibidem).
111
Pour ce qui est du néologisme littéraire, Guilbert (1973: 27) évoque «les
traits caractéristiques de la création marginale»: suffixes tels que ence,
transcription phonétique ironique et télescopage de deux mots, type cordoléance,
dans le texte de Ionesco, formé de cordial + condoléances. Il est pourtant clair qu’il
s’agit dans ces situations d’hapax, moins que des néologismes en trains de
s’installer dans la langue.
Le néologisme a la fonction de transmettre de nouvelles connaissances, ce
qui le fait perdre assez rapidement la caractéristique de mot nouveau pour entrer
dans le vocabulaire courant. Son étude ne peut être séparée de «l’ensemble de la
situation de production, linguistique et extralinguistique: contexte linguistique
direct de l’unité néologique – son environnement-, insertion de ce contexte dans
l’ensemble du discours» (Marcellessi 1974: 95-96).
Pour esquisser une typologie de la néologie, Charaudeau et Maingueneau
(2002: 400-401) propose une première distinction entre la néologie de sens et celle
de forme, cette dernière divisée encore en fonction de la manière de création du
nouveau signifiant: a) exploitation des ressources internes du système de la langue;
b) réalisation d’un signifiant totalement nouveau, comme dans le domaine de la
création des noms de marques; c) emprunt. Les situations a) et c) seront analysées
dans ce qui suit.
Le corpus considéré nous permet de distinguer plusieurs formes lexicales,
créations néologiques dans le domaine littéraire qui servent à la transmission du
sens, et en même temps au fonctionnent en tant qu’éléments expressifs. Ainsi, sous
un air d’épanorthose, se cache la preuve d’une évolution de sens qui génère une
nouveauté saisissable au cours du XXème siècle, d’après Petit Robert:
(1) «Dorénavant, pour me rejoindre chez moi le soir, Yacef se voyait contraint à
d’inénarrables ruses: garer sa voiture le plus loin possible de mon immeuble.
Attendre qu’il n’y ait personne devant l’entrée. Tromper la vigilance du concierge
qui, comme tous ses collègues, se comportait en véritable geôlier garant de
l’honorabilité de son fief» (Mokeddem 1995: 42).
Pour inénarrable, le Petit Robert mentionne l’origine latine et le sens du
XV siècle «qu’on ne peut pas narrer». Comme la séquence continue à détailler
les ruses du personnage, ce sens est à abandonner. En fait, le mot signifie «dont on
ne peut pas parler sans rire», signification vers laquelle s’oriente le ton du
discours.
a) La dérivation suffixale. Un subtil jeu de mots de Malika Mokeddem,
évoquant le temps de l’Algérie d’avant la guerre pour le mettre en contraste avec le
temps de l’Algérie extrémiste, est basé sur la dérivation suffixale:
ème
(2) «En ce temps-là nous n’étions divisées qu’en Algé-Rois et Algé-Riens. Et la
majorité des ‘Riens’ et les moins-que-rien, les femmes, s’accommodaient encore
assez bien des prétentions de quelques ‘Rois’. En ce temps-là les Algé-Rois
méprisaient encore notre raï, mais rappliquaient en meutes chaque fin de semaine,
parce que les Oranaises avaient du chien» (Mokeddem, 1995 : 33).
112
Une combinaison nouvelle dont la valeur expressive se combine avec un
jugement évaluatif, les moins-que-rien, est expliquée immédiatement après, les
femmes.
b) Fonctionnement de l’emprunt
Nous dirons, tout comme Amira Lakhdhar (2008 :55), que le français
n’emprunte pas, mais s’empare des mots d’une autre langue. La longue
cohabitation avec les langues parlées dans ses colonies et ses protectorats, ou dans
les pays sur lesquels il a exercé une forte domination culturelle, comme on peut
constater dans les pays de l’Est européen, cette situation de contact, donc, favorise
l’enrichissement du français avec des mots nouveaux.
Un personnage de Dumitru Tsepeneag, metteur en scène, explique devant
l’équipe d’acteurs avec laquelle il travaille sa vision sur un film qu’on est en train
de tourner:
(3) «Le metteur en scène se tait. Il a devant lui plusieurs feuillets tapés à la
machine et qui, vraisemblablement, forment le synopsis, mais aussi des notes
manuscrites. Il les compulse, semble ne pas trouver ce qu’il cherche, et finit par
lire une autre phrase du synopsis.
-Marie se sent de plus en plus attirée par la nouvelle venue qui d’ailleurs se
prénomme également Marie et lui ressemble beaucoup.
-C’est kif-kif bourricot !
-Les Marie sont mariées ? demande un malin» (Tsepeneag 1985: 23).
L’apparition et l’évolution du syntagme kif-kif bourricot sont liées à l’arabe
et datées, d’après l’information de Petit Robert 1867, pour la forme kif-kif et 1914,
pour la forme populaire «Celui-ci, c’est kif-kif bourricot», avec le sens, enregistré
en France, de «superlatif de toute ressemblance» (Idem)
(4) «Vous les médecins, même en étant quotidiennement au contact de dialysés,
vous ne pouvez guère avoir qu’une approche intellectuelle de leur ressenti […]
Vous créez ‘un abord vasculaire’. Vous ‘artérialisez’ une veine pour lui donner un
débit suffisant à une circulation extra-corporelle. Vous appelez ça ‘un pont artérioveineux’, une ‘fistule’. Pour moi, le malade, cette chose c’était un petit cœur qui
battait à mon poignet, un relais électrique qui me branchait à une mécanique
savante […]» (Mokeddem 2007: 104)
Marqué
discursivement
par
des
gloses
ou
accompagné
d’explications «Vous ‘artérialisez’ une veine pour lui donner un débit suffisant à
une circulation extra-corporelle», le discours parle de soi-même et montre, en
même temps, ses composants néologiques.
113
2. NÉOLOGIE ET DISCOURS (NON)LITTÉRAIRE
Le néologisme apparaît en discours comme une aspérité, un élément pas
comme les autres, «qui ne va pas de soi», dans le sens de J. Authier-Revuz, un
élément qui bénéficie d’un traitement méta/linguistique par traduction ou
association d’une glose (par exemple comme on dit aujourd’hui, qui s’appelle).
Le discours de vulgarisation scientifique est beaucoup plus commode pour
l’insertion des néologismes que le discours littéraire, surtout si ces néologismes
viennent des domaines scientifique et technique. La situation qui nous intéresse est
celle de la présence du néologisme sous forme d’élément ajouté. L’ajout est défini
d’après Pierre-Marc Biasi, Anne Herschberg-Pierrot et Jacques Neefs (2007: 33),
qui font cependant référence au discours littéraire:
(5) «Toute ‘intervention’ de l’écrivain, dans la mesure précisément où l’on peut la
considérer comme un travail pour l’œuvre, pourrait donc être considérée comme
un ‘ajout’ à cette œuvre, à sa conception, à sa disposition et finalement à son
existence.»
Jacques Neefs distingue plusieurs types d’ajouts: a) l’ajout dans la genèse,
plutôt esthétique, forme qui «participe de la construction en cours, et du jeu de
possibles au sein desquels une “version” se stabilise temporairement» (Idem: 31) et
b) l’ajout linguistique «avec cependant parfois de saisissants effets de spécularité»
(Idem: 30-31). Un ajout peut avoir une longueur variable, un mot ou un paragraphe.
Envisageant les situations où on utilise l’ajout dans le discours de vulgarisation
scientifique, comme celui de Van Cauwelaert, nous avons constaté une
préoccupation du locuteur de mettre sous forme d’élément annexé surtout les mots
ou syntagmes considérés nouveaux ou moins connus par le possible lecteur. C’est
ici que nous rejoignons Bernard Gardin qui parle d’un «sentiment néologique».
Mais cette situation nous a permis de parler de boucle néologique, terme qui
rappelle la boucle énonciative de J.Authier Revuz, mais qui s’en distingue
pourtant par sa substance. Une boucle néologique est déclenchée par la présence
d’un néologisme. C’est un ajout de grandeur variable, un mot ou une phrase, ou
même une séquence entière qui laisse l’impression de changement de registre, de
« mot qui ne va pas de soi » comme l’aurait dit J. Authier Revuz.
Le thème du livre de Van Cauwelaert est la présentation de son enquête sur
les découvertes concernant les Linges de la Passion, plus précisément les entretiens
avec plusieurs enseignants-chercheurs et prélats catholiques. L’auteur, constitué en
voix narrative, rapporte la scène d’une entrevue avec un tel chercheur, généticien,
le Pr. Lucotte, qui avait réussi à étudier le sang de la Tunique d’Argenteuil,
supposé être celui de Jésus Christ. Le généticien lui expose ses résultats:
« […]le curé ouvre son reliquaire, et me voici seul face à la fameuse Tunique sans
couture, effectivement couverte de sang.
Il prend une longue inspiration, bloque l’air, hoche la tête:
-Et alors ?
114
-Je la lave.
-Pardon ?
Il vide son verre.
-C’est le terme que nous employons. Un produit fixe les protéines du sang, je
récupère le tout dans un tube, et je l’emporte au labo pour en extraire l’ADN. J’en
trouve cinq microgrammes. Je l’amplifie au moyen de l’hybridation moléculaire ;
puis, dix ans plus tard, j’améliore les résultats avec la PCR, la réaction de
polymérisation en chaîne qu’on venait d’inventer. (Van Cauwelaert 2007: 86)
Laver est ici dépourvu de son sens quotidien pour se présenter avec un sens
nouveau, spécialisé, expliqué ensuite dans le texte. L’enchaînement des répliques
«-Et alors ? -Je la lave.-Pardon ?» suivi d’une pause verbale décrite par la voix
narrative procure un effet programmé, de nouveauté, montré discursivement et
affirmé par la séquence explicative.
(6) « C’est un homme. Un homme ordinaire avec des chromosomes X et Y […]
J’ai comparé ses haplotypes du chromosome Y avec mes collections d’ADN
sémite ancien: il est juif. Et il est porteur de la FMF, la fièvre méditerranéenne
familiale. Une maladie très rare aujourd’hui, mais courante aux premiers siècles en
Palestine, qui se traduit par des poussées de température fréquentes et sur le tard,
des complications rénales.» (Van Cauwelaert 2007: 88)
La boucle néologique que nous distinguons est l’ajout explicatif la fièvre
méditerranéenne familiale, placé après FMF, initiales qui auraient restées
totalement incompréhensibles sans cet ajout. Si haplotype, qui est lui aussi un
néologisme, (appartenant au domaine médical, sans être mentionné ni par Petit
Robert, ni par TLFi) peut indiquer une caractéristique du chromosome, sens
déductible même par un public assez profane, FMF serait resté inaccessible sans
son ajout.
Une situation semblable dans:
(7) «La recherche des polymorphismes de l’ADN n’a pas permis, au moins jusqu’à
maintenant, de relever des dissemblances. Il faut entendre par polymorphismes les
variations des marqueurs utilisés en médecine légale pour procéder à
l’identification des individus» (Idem: 35)
(8) «Depuis des années, le Pr. Marion travaille sur la Tunique d’Argenteuil, cette
chemise sans couture que Jésus, d’après la tradition, aurait portée lors de
l’ascension du Golgotha. Grâce au matériel sophistiqué de l’Institut d’optique
d’Orsay (microdensitomètre, caméras CCD, scanners pour numériser et traiter les
photos dans l’infrarouge), Marion a répertorié les taches de sang sur la relique»
(Idem: 12)
(9) «Si l’on en croit Pierre Mérat, qui dirige de CIELT(Centre international
d’études sur le Linceul de Turin), c’est bien un cadavre qui a laissé des traces de
sang dans ce drap de lin, et qui en a disparu de manière inexplicable, tandis que se
115
formait par un procédé inconnu son image en négatif à la surface des fibres»
(Idem: 22)
Les exemples (7), (8), (9) nous permettent de constater que le repérage des
boucles néologiques est possible grâce à leur détachement du texte, réalisé soit par
des marques typographiques (7), soit par des parenthèses, comme les ajouts
explicatifs de (8) et (9).
3. INTÉGRATION TEXTUELLE DES NÉOLOGISMES
Comme nous venons de le constater, les néologismes sont souvent signalés
textuellement par l’association de guillemets, de caractères typographiques
marqueurs ou de changement graphique.
Malika Mokeddem a besoin d’un mot d’origine russe pour un contexte
français, un mot qui, même transformé par le système latin, reste reconnaissable:
« La salle est comble […] Propos confus ou de mauvaise fois de quelques
apparatchiks du gouvernement» (Mokeddem 1995: 151). Apparatchik, avec son air
néologique, est mentionné par Petit Robert et placé dans les années ’65 « polit.
Membre influent du parti communiste ». Les apparatchiks de Malika Mokeddem ne
sont pas nécessairement représentants d’un parti de gauche, mais d’un parti du
pouvoir présents aux conférences d’une réfugiée algérienne, d’après la guerre de
l’indépendance, pour augmenter le capital politique.
Nous avons signalé plusieurs fois le traitement des mots étrangers entrés
dans le discours littéraire des écrivains étrangers d’expression française avec leurs
formes d’origine ou francisés plus ou moins pour effacer les aspérités. Mais ces
mots étaient dans la majorité des cas signalés comme « étrangers » par divers
moyens, guillemets, changement de caractère typographique par exemple, quelques
fois même par deux ou trois stratégies, comme dans la situation du discours de
Panait Istrati.
Temporellement et spatialement éloigné, le discours de Malika Mokeddem
utilise simultanément plusieurs stratégies discursivo-graphiques pour insérer les
mots nouveaux.
(10) «Le FLN, il a fabriqué des hittistes. Les fissistes les ont rendus azimutés.
- C’est-à-dire ?
- C’est-à-dire des catastrophes ambulantes. Des kamikazes du malheur.»
(Mokeddem 1995: 100)
Hittistes est expliqué en bas de page: «ceux qui tiennent les murs. Les
exclus» et, en même temps, est signalé à l’aide des italiques; fissistes, dérivé de
FIS, nom d’un parti algérien extrémiste, est également signalé typographiquement,
mais azimutés est intégré dans le texte, bien que néologisme daté 1937 par le Petit
Robert, appartenant au registre familier, «qui est fou, qui a perdu la boussole,
l’azimut».
116
Côtoyer longtemps une langue autre permet au français de s’en emparer
des mots et de les traiter selon ses propres règles. En échangeant quelques mots
avec Kenza, protagoniste du roman Des rêves et des assassins, le personnage Slim
affirme à propos de la famille algérienne de sa mère que ses parents:
(11) «[…]ont très vite compris qu’ils pourraient profiter d’elle [de sa mère].
- Comment ça ?
- Chaque fois, toute la smala d’Algérie nous tombe dessus et nous ruine. Comme
elle était pleine aux as, ma mère. Ils s’en foutent qu’elle trime toute l’année. Ils
repartent avec des valises et des sacs bourrés de cadeaux.» (Mokeddem 1995: 100)
Même sans être expliqué, on se rend compte que smala désigne une
famille. Le mot
d’origine arabe zmâla a souffert des transformations
orthographiques pour s’intégrer dans le discours. Signalé depuis 1872 comme
appartenant au registre familier, smala signifie «famille ou suite nombreuse qui vit
aux côtés de quelqu’un» (Petit Robert 1977: 1821).
Même situation pour les jeunes hommes algériens qui désirent se
marier: «Il leur faut l’autorisation et la bénédiction de papa, maman et de toute la
tribu pour se marier. Sinon makach !» (Mokeddem 1995: 69). Le texte de Malika
Mokeddem propose la forme makach, mais le dictionnaire Petit Robert signale la
forme macache, mot de provenance arabe, enregistré pour la première fois en 1861,
«emprunté à l'arabe maghrébin
s» (TLFi). D’ailleurs, TLFi le traite de
vieilli, citant comme source le Nouveau Larousse illustré, Lar. 20e.
4. EN GUISE DE CONCLUSION
Nous signalons pour conclure que l’emprunt, forme d’enrichissement
néologique, est caractérisé par l’adaptation au code de la langue d’accueil. Le
discours analysé dévoile l’existence des mots d’une autre langue récemment entrés
dans le lexique français, mots spécialisés pour un certain domaine, surtout
technique ou scientifique, d’où la rare présence dans le discours littéraire et la
fréquence plus grande dans le discours de vulgarisation. S’ils apparaissent dans le
discours littéraire, cela renforce plus d’une fois, l’effet stylistique. Michael
Riffaterre affirme l’impossibilité d’analyser la littérarité en dehors d’une
description du «fonctionnement du néologisme dans le système qui constitue le
texte» (1973: 60). Il continue mettant l’accent sur la singularité du néologisme qui
provient d’après lui, «non pas de l’isolement, de la position du néologisme ‘hors
contexte’, si on peut dire, mais de la rigueur des séquences sémantiques et
morphologiques dont il est le point d’aboutissement ou d’inférence» (Idem).
La position du néologisme dans le discours est celle d’un ajout, comme
prolongement discursif, mais aussi comme marque de ce qui n’est pas totalement
intégré dans le discours. D’où sa tendance à se distancier. Le texte, en tant
qu’élément indissociable du discours, va dans la même direction, s’efforçant
d’inventer, lui aussi, des frontières. La boucle néologique, que nous venons de
signaler sous forme d’ajout tient en même temps du texte et du discours.
117
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Tsepeneag, Dumitru (1985): Roman de gare, Paris: P.O.L.
118
BREF VOYAGE CULTUREL: LES NOMS PROPRES
DANS LE VOCABULAIRE DE LA GASTRONOMIE*
Adriana COSTĂCHESCU
Université de Craiova, Roumanie
Membre FROMISEM
1. INTRODUCTION
Le vocabulaire roumain de la cuisine et de la gastronomie constitue une
preuve impressionnante de la complexité des contacts culturels que les Roumains
ont vécus au cours des siècles. Dans la terminologie de la cuisine roumaine, à côté
des termes latins hérités (pâine «pain», grâu «blé», peşte «poisson», vin «vin»,
aluat, «pâte», …) et des créations lexicales propres, on trouve:
- des mots slaves, provenant d’un des quatre strates de cette influence (borş
«soupe aigre», povidlă «marmelade de prunes», piroşti «(sorte de) gnocchi»,
piftie «gelée», colac «gimblette (pain blanc en forme d’anneau)», smântână
«crème», drob «plat de viscères d’agneau», …);
- des mots turcs (pilaf «pilaf», şerbet «(sorte de) confiture», sarailie
«gâteau feuilleté aux noix», telemea «feta», sarma «boulette de viande hachée
enveloppée dans une feuille (de vigne, de chou, etc.)», musaca «met de viande
hachée et aubergines ou pommes de terre», kebab «kébab», …);
- des mots hongrois (gulaş «goulasch», pogaci «galette», papricaş
«ragoût au paprika», … );
- des mots grecs (pesmet «croûte de pain râpé», stufat «ragoût d’agneau à
oignons et à l’ail», …).
Dans une mesure plus réduite, on trouve aussi des plats qui ont des noms
qui sont des mots allemands, anglais, espagnols, etc.
À présent, le vocabulaire roumain de la cuisine s’ouvre vers des horizons
nouveaux, surtout de la cuisine asiatique, grâce non seulement au grand nombre
de restaurants chinois mais aussi au fait que certains restaurants proposent des
plats japonais, indiens ou indonésiens.
Pour illustrer la complexité des contacts historiques dans le domaine de la
cuisine nous donnons un seul exemple, celui du bouillon épaissi qui, en Roumanie,
constitue traditionnellement l’entrée du déjeuner. Ce met présente trois variétés
principales, à savoir: supă (du français soupe, surtout si elle contient de la viande),
ciorbă (du turc çorba) si le liquide est aigri, et borş (du russe, ukr. borsc) qui
désigne tant le liquide fermenté qui sert à aigrir les bouillons (obtenu par la
fermentation du son de blé ou de maïs) que le résultat, donc un bouillon aigri
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contenant souvent des légumes, mais aussi du poisson ou de la viande. On y ajoute
quelques formats autochtones comme fiertură «bouilli» (du verbe a fierbe
«bouillir») ou bien zeamă «soupe / sauce longue».
Les termes d’origine française occupent dans ce secteur du vocabulaire
roumain aussi une place remarquable, tant par le nombre que par l’importance des
termes: des mots français comme endive, aspic, entrecôte, béchamel(le), biscuit,
blanquette, brioche, bonbon, bouillon, carotte, compote, filé, foursec, pâtée,
crème, sauce, roulade, tarte, salade, sauce, etc. sont entrés en roumain, et la liste
pourrait continuer avec quelques dizaines d’autres mots.
Parfois le nom de certains mets contient un nom propre toponyme ou
anthroponyme, qui est lié d’une manière ou d’une autre au plat en question.
Quelques-uns de ces mots ont été repris en roumain, langue qui a conservé dans
tous les cas leur sens culinaire. Il est clair que la propriété référentielle
fondamentale des noms propres, celle de désigner une entité individuelle, se
transfère aussi aux syntagmes dont ils font partie.
Nous avons concentré notre attention sur ce secteur du vocabulaire des
plats et de leur préparation, invitant ainsi le lecteur à un bref voyage culturel car la
cuisine est considérée un élément important de la culture de chaque peuple, étant
une partie constitutive de son patrimoine non-matériel. Dans ce contexte, la
mémoire historique est assez approximative. Dans peu de cas les documents nous
ont conservé le nom de «l’auteur», souvent un humble cuisinier, donc une
personne du peuple. La manière de préparation du plat étant souvent une
manifestation de l’inspiration du cuisinier ou le fruit du hasard, il est extrêmement
difficile d’établir qui est l’inventeur réel. Souvent on retrouve plusieurs
hypothèses regardant l’origine ou l’auteur de certaines préparations.
2. LES TOPONYMES
Les toponymes qui nomment des plats se retrouvent sous deux formes: tels
quels ou comme dérivé d’un nom propre sous la forme d’un adjectif, souvent
substantivé.
2.1. Les adjectifs dérivés de toponymes
FR. sauce béarnaise ou béarnaise < ROUM. sos bearnez
En français, béarnais est un adjectif dérivé du toponyme Béarn, qui
désigne une province du sud-est de la France. Il est employé comme tous les
autres dérivés de ce type, désignant, donc, les habitants ou les personnes nées dans
le Béarn (paysan béarnais), les éléments caractéristiques de la zone (coutumes
béarnaises, folklore béarnais, mouton béarnais), l’idiome (le patois béarnais), etc.
En cuisine l’adjectif, parfois substantivé, désigne un type spécial de sauce, la
sauce béarnaise ou simplement la béarnaise, qui accompagne les viandes et les
poissons grillés.
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Pourtant, dans ce contexte, béarnais (ne signifie pas dans la région
parisienne, par le chef Collinet, cuisinier au restaurant «Pavillon Henri IV» à
Saint-Germain-en-Laye, petit localité près de Paris où se trouve un beau château
«originaire ou caractéristique du Béarn», puisque la sauce a été inventée qui,
pendant plusieurs siècles, a été résidence royale Louis XIV y est né). L’anecdote
dit que la découverte de la sauce a été le fruit du hasard: le 24 août 1837 Collinet a
tenté de sauver une réduction d’échalote ratée en y ajoutant du jaune d’œuf. Les
clients ont demandé le nom de cette sauce extraordinaire et le cuisinier, regardant
le buste d’Henri IV qui se trouvait dans la salle, a inventé le nom «sauce
béarnaise», vu que le Béarnais a été le surnom de ce premier roi de France de la
dynastie des Bourbons.
En roumain, l’adjectif bearnez n’existe pas et tous les syntagmes ci-dessus
se traduisent avec din Bearn «du Béarn» (ţăran din Bearn «paysan de Béarn»,
obiceiurile din Bearn «les coutumes de Béarn», graiul din Bearn «le patois de
Béarn»). L’adjectif substantivé bearnez peut se retrouver dans des traductions, par
exemples des romans historiques d’Alexandre Dumas-père dédiés aux Valois,
pour désigner Henri de Navarre (le futur roi Henri IV de Bourbon). À part cette
situation, l’adjectif bearnez se retrouve en roumain seulement comme terme de
cuisine, dans le syntagme sos bearnez, traduction de sauce béarnaise, sauce qui a
la même recette.
Les toponymes entrés dans le vocabulaire français de la cuisine ne sont pas
nécessairement des noms de lieux de France, parfois ce sont des noms de villes ou
de régions se trouvant à l’étranger. Nous présentons trois exemples de ce type.
FR.
parmesan – ROUM. parmezan
La situation de ce mot ressemble beaucoup à celle de béarnais, dans le
sens que c’est un adjectif dérivé d’un toponyme parfois substantivé. Cette fois-ci le
toponyme originaire est le nom de la ville italienne de Parme, et le sens
fondamental est «de Parme», mais les emplois avec cette acception sont assez
rares, comme il résulte d’une recherche statistique sur TLFi, où 21 des 23
occurrences du mot ont le sens culinaire, de «fromage italien à pâte dure, employé
surtout râpé». D’ailleurs la première attestation du mot en français, en 1414 (cf.
TLFi) dénote le fromage (fromage parmigean), étant un emprunt de l’italien,
formaggio parmigiano, spécialité culinaire très ancienne, puisqu’elle figure déjà
dans un texte du Boccace. D’ailleurs, certains dictionnaires donnent le sens de
«fromage de Parme» comme unique signification du mot (Dictionnaire de
l’Académie 9e, Petit Robert, Le Nouveau Littré).
Le mot qui désigne en roumain un fromage du même type, parmezan, qui
est un emprunt du français, fait incontestable, car un emprunt de l’italien aurait
conduit à une forme différente (probablement parmigian).
FR.
bavarois – ROUM. bavareză
L’adjectif dérive du nom d’un land méridional de l’Allemagne, nommé en
français Bavière. Comme dans les cas précédents, l’adjectif désigne les personnes
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nées en Bavière ou qui y habitent, ainsi que toutes les entités qui proviennent de
cette zone (l’armée bavaroise, le dialecte bavarois). Comme terme du vocabulaire
de la gastronomie, l’adjectif substantivé connaît en français trois emplois. Le
substantif féminin, la bavaroise, nom mentionné dans certains dictionnaires
comme «vieilli», désigne une infusion de thé et de sirop, sucrée et mêlée avec du
lait. Dans le deuxième emploi, le substantif masculin le bavarois est le nom d’un
entremets froid, sucré, à base de mousse de fruits. Enfin, la crème bavaroise,
originaire de la Suisse, est une mousse collée à la gélatine, éventuellement
parfumée d’un alcool. Cette acception a été reprise en roumain, sous la forme d’un
substantif féminin: o bavareză.
FR. mayonnaise – ROUM. maioneză
Le nom de cette émulsion froide, fameuse dans tout le monde, préparée
d’huile, de sel, de poivre, de vinaigre, de moutarde et de jeunes d’œuf, ingrédients
battus ensemble jusqu’à la consistance d’un sirop épais, a une étymologie très
controversée.
Selon l’Oxford English Dictionary, la forme initiale du mot a été
mahonnaise, la forme actuelle du mot étant due à une erreur d’impressions dans un
livre de cuisine de 1841. Si cette observation est vraie, on doit lier le nom de cette
sauce à une victoire du maréchal français Louis François Armand de Vignerot du
Plessis, duc de Richelieu (1696 - 1788), fils du petit-neveu du célèbre cardinal de
Richelieu, qui a été premier ministre de Louis XIII. Le duc de Richelieu a été
vainqueur de la bataille de Minorque (1756), au début de la Guerre de Sept Ans.
Cette bataille, navale et terrestre, opposait la France et l’Angleterre pour la
conquête de l’île de Minorque, dans les Baléares. La chute de l’île, qui était
occupée auparavant par les Anglais, et l’entrée victorieuse du maréchal de
Richelieu dans la ville de Port Mahón, capitale de l’île serait à l’origine du nom
donné par un cuisinier à la sauce qu’il a dû improviser parce qu’il n’y avait dans la
cuisine que des œufs et de l’huile d’olives. Il a créé ainsi une nouvelle sauce qu’il a
appelée mahonnaise en honneur de la victoire du duc.
Le fait que le mot est attesté seulement en 1806, donc un demi-siècle après
la bataille, fait douter de cette hypothèse, qui est pourtant présente dans les
dictionnaires Robert, dans le TLFi et dans l’ Oxford English Dictionary.
Le dictionnaire Nouveau Littré, en revanche, parle d’une possible altération
du mot bayonnaise, qui dérive de la ville française de Bayonne, en Aquitaine.
Selon une autre hypothèse encore, la sauce a été nommée mayennaise en honneur
de Charles de Lorraine, due de Mayenne (1554-1611), après la bataille d’Arques,
en 1589.
Il existe deux autres hypothèses à propos de l’origine du nom de cette
sauce. Le fameux chef et auteur de livres de cuisine Marie Antoine Carême (17841833) soutient que le substantif mayonnaise dérive de moyennaise, à son tour
dérivé du verbe magner ou manier. Prosper Montagné soutient que le nom dérive
de moyennaise, vu que moyen signifie en ancien français «jaune d’œuf» (cf. TLFi).
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2.2. Les substantifs toponymes
Un autre moyen morphosyntaxique pour fournir des informations sur le
lieu d’origine d’une préparation culinaire est celui d’introduire directement ce nom
de lieu à côté du nom de la préparation.
FR. crème (à la) Chantilly – ROUM. cremă Chantilly
Ce dessert célèbre a une histoire particulièrement intéressante. Le nom
dérive du château de Chantilly qui, au temps du Roi Soleil, a été la résidence de
Louis de Bourbon, Prince de Condé (1621 - 1686), appelé aussi le Grand Condé.
La création de la crème est attribuée, selon certains à tort, au fameux François
Vatel (1631- 1671), pâtissier et maître d’hôtel de Nicolas Fouquet et,
ultérieurement, du Prince de Condé. Trois événements de la vie de François Vatel
ont frappé tant les contemporains que la postériorité, qui a fait de lui un personnage
cinématographique. Deux de ces événements sont constitués par l’organisation de
deux festins fameux, auxquels a participé le Roi Soleil.
Le premier, qui a eu lieu le 17 août 1661, a été organisé par le surintendant
de finances Nicolas Fouquet à son château de Vaux-le-Vicomte. Louis XIV, qui
avait alors 23 ans et la reine mère, Anne d’Autriche y ont participé et la légende dit
que c’est à cette occasion qu’on a servi pour la première fois la crème fouetté et
sucré dont nous parlons. Les fêtes et le festin ont été d’un luxe tellement
extravagant que Fouquet est tombé en disgrâce et ensuite arrêté; Vatel, son maître
d’hôtel, épouvanté, s’est réfugié en Angleterre.
Le deuxième événement est lié à un autre festin, donné par le Prince de
Condé toujours en honneur au roi, en avril 1671, au Château de Chantilly. À
l’occasion de cette fête, qui lie la crème au nom de Chantilly, François Vatel s’est
suicidé parce que la livraison de la pêche du jour avait du retard, ce que le maître
de cérémonies a considéré une tache indélébile sur son honneur, et cette attitude,
quasi de samouraï japonais, est le troisième événement qui a impressionné tant ses
contemporains que les générations ultérieures.
Le nom de crème Chantilly est enregistré seulement en 1784, quand elle a
été servie à la Baronne d’Oberkirch pendant sa visite au Hameau de la reine (Marie
Antoinette) dans le parc du château de Versailles. Ce nom a été donné,
simultanément, en souvenir de François Vatel et parce que le château de Chantilly
était considéré le symbole d’une cuisine raffinée. Le syntagme cremă Chantilly et
sa recette se retrouvent dans beaucoup de livres de cuisine roumains.
3.2. Comment exprimer l’origine d’un plat en roumain
Quand il s’agit de préciser le lieu de provenance d’un certain plat, en
roumain il existe trois possibilités principales:
- employer l’expression spécifique empruntée au français: salată à la russe
«salade à la russe», ciuperci à la grec «champignons à la grec»; à un certain
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moment cette procédure a été tellement populaire, qu’on parlait de varză à la Cluj
«choux à la Cluj» expression qui, clairement, est une création roumaine.
- à présent les syntagmes de ce type sont en concurrence avec ca la
«comme à»: varză ca la Cluj «chou comme à Cluj», friptură de iepure ca în
Transilvania «rôti de lapin comme en Transylvanie», tocană ca la Abrud «ragoût
comme à Abrud»;
- employer un adjectif dérivé du toponyme (selon le modèle sauce
béarnaise qui se retrouve dans plusieurs langues romanes): borş moldovenesc
«soupe (aigre) moldave», ciorbă ardelenească «potage transylvain», supa
franţuzească «soupe française», tochitură dobrogeană «hachis de la Dobroudja»,
cozonac moldovenesc «brioche moldave», etc.
3. LES ANTHROPONYMES
Beaucoup d’anthroponymes se retrouvent dans la dénomination de diverses
préparations culinaires. Nous avons trouvé deux situations: dans beaucoup de cas,
le nom fait allusion à la personne qui a créé la préparation; dans d’autre cas, le
nom de la personne incluse dans la désignation est celui d’une personnalité qu’on a
voulu honorer.
3.1. Les ‘auteurs’
FR. sauce (à la) Robert - ROUM. sos Robert
La sauce (à la) Robert est faite d’oignons hachés, beurre, vin blanc, farine,
vinaigre, sel, moutarde et poivre et elle s’appelle ainsi parce qu’elle a été inventée
par le cuisinier Robert. Cette sauce a été vantée par Rabelais qui l’a considérée
salubre et nécessaire, estimant aussi que son inventeur fait partie de ceux qui ont
bien mérité de la patrie. La sauce figure dans la Belle au bois dormant de Charles
Perrault (1697) où la Reine Mère, qui est aussi une Ogresse, veut manger sa bru et
ses petits-enfants:
« […] la Reine Mère envoya sa Bru et ses enfants à une maison de campagne dans
le bois, pour pouvoir plus aisément assouvir son horrible envie. Elle y alla
quelques jours après, et dit un soir à son Maître d’Hôtel: Je veux manger demain à
mon dîner la petite Aurore. – Ah ! Madame, dit le Maître d’Hôtel. – Je le veux, dit
la Reine (et elle le dit d’un ton d’Ogresse qui a envie de manger de la chair
fraîche), et je la veux manger à la sauce Robert. » (Charles Perrault, la Belle au
bois dormant http://clpav.fr/lecture-belle-bois-dormant.htm)
La sauce Robert est entrée dans la cuisine roumaine et certains de nos
compatriotes semblent ignorer son origine française. Sur un forum contenant la
recette du rôti d’oie à la sauce Robert, un internaute a demandé pourquoi la sauce
s’appelle Robert et l’auteur de la recette a répondu qu’elle s’appelle ainsi «du nom
de mon ami Robert qui aime ce plat à la folie». (www.reteteculinare.ro/
forum/.../friptura_de_gasca_cu_sos_robert-25...).1
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FR.
bain-marie - ROUM. bain-marie
Ce terme ne désigne pas un plat, mais une manière de cuisson «indirecte»,
car on plonge le récipient contenant les aliments dans un liquide porté à
l’ébullition. Le terme existe dans beaucoup de langues européennes, y compris le
roumain où le mot est prononcé [bεnmari]. Son histoire est particulièrement
intéressante.
C’est un terme de chimie et d’alchimie, la méthode étant décrite, semble-til, pour la première fois dans l’Antiquité, par le médecin et mathématicien
Hippocrate de Chios (Vème siècle av. J. C.) et, un siècle plus tard, par le naturaliste
Théophraste. On attribue la diffusion du terme bain-marie à côté de bain de Marie
à l’alchimiste Albert le Grand, au XIIIème siècle.
Il existe plusieurs théories sur l’identification de son éponyme. Selon une
de ces théories le nom vient de Marie la Juive (IIIème siècle av. J.C.) à qui la
tradition attribue l’invention de plusieurs ustensiles de laboratoire. Selon une autre
tradition, le nom viendrait de la prophétesse Miriam, nom hébreu de Marie (Exode,
XV, 20), sœur de Moïse et d’Aaron et auteur de traités d’alchimie. Une troisième
théorie, explique l’apparition du terme par une tentative d’intégration symbolique
de la Vierge Marie à la mystique des alchimistes, le nom de Marie succédant ainsi
au nom d’Isis de la tradition égyptienne (cf. TLFi et Wikipédia). La première
attestation du terme se retrouve en latin médiéval, balneum Mariae au début du
XIVème siècle. (cf. TLFi).
FR. madeleine - ROUM. madlenă
Ce petit gâteau à saveur proustienne est un dessert traditionnel lorrain. Le
nom semble provenir de Madeleine Paumier, cuisinière de la marquise Perrotin de
Barmond, qui a préparé ce gâteau en 1755. Ce dessert a été offert à Stanislas
Leszczynski, ex-roi de Pologne et beau-père du roi Louis XV (TLFi, New Oxford
American Dictionary). Selon d’autres, Madeleine Paumier aurait été la cuisinière
de Stanislas Leszczynski et le roi Louis XV lui-même a voulu honorer la cuisinière
de son beau-père en donnant son nom au petit gâteau. Une autre hypothèse attribue
la création de ce gâteau au cuisinier du prince Talleyrand, un certain Jean Avice.
Une autre source encore lie la madeleine au pèlerinage de Saint-Jacques-deCompostelle: une jeune fille qui s’appelait Madeleine aurait offert aux pèlerins un
gâteau aux œufs moulé dans une coquille Saint-Jacques.
3.3. Les noms en honneur de …
FR.
sauce (à la) Béchamel ou béchamelle - ROUM. sos Beşamel
Cette fameuse sauce blanche, préparée avec du beurre, de la farine et du
lait, se retrouve probablement dans la plupart des cuisines européennes
contemporaines. Son nom dérive de Louis de Béchamel, marquis de Nointel (1630
- 1703), un fameux gourmet et maître d’hôtel de Louis XIV.
125
Il existe plusieurs suppositions sur la provenance de cette sauce. Selon une
de ces théories, à l’origine de la sauce se trouverait une préparation italienne, une
sauce toscane à base de crème appelée salsa colla, portée en France par la reine
Catherine de Médicis. Cette sauce a été probablement perfectionnée par François
Pierre de La Varenne (1618 - 1678), cuisinier du marquis d’Uxelles et auteur du
livre Le Cuisinier françois (1651), ouvrage qui marque le passage de la cuisine du
Moyen Âge à la cuisine moderne. Il parait que la préparation est arrivée à porter le
nom de Louis de Béchamel parce que de La Varenne lui a dédié la sauce, selon une
habitude des cuisiniers de l’époque, à savoir celle de dédier une invention culinaire
à un représentant de la noblesse. Grâce au grand succès de la sauce, le nom de
Louis de Béchamel est devenu célèbre, ce qui a provoqué l’envie de ses
contemporains, si on croit à une remarque sarcastique attribuée au vieux duc
d’Escars:
« Est-il heureux, ce petit Béchamel! J’avais fait servir des émincés de blancs de
volaille à la crème plus de vingt ans avant qu’il fût au monde et, voyez, pourtant je
n’ai jamais eu le bonheur de pouvoir donner mon nom à la plus petite
sauce!» (Anette Smedley-Weill, Les intendants de Louis XIV, Paris, Fayard, 1995,
p. 40, apud Wikipédia en français)
Cette phrase est typique pour la mentalité de l’aristocratie avant la Révolution
Française: le duc d’Escars considère que le mérite pour une préparation culinaire
excellente n’est pas de celui qui l’a faite (dan notre cas le cuisinier de La Varenne)
mais de celui qui l’a fait servir, estimant, donc, que la sauce béchamel aurait dû
s’appeler «sauce d’Escars»!
FR. sauce Mornay - ROUM. sos Mornay
Cette sauce est une variante de la sauce béchamel, à laquelle on ajoute du
fromage râpé. On débat encore auquel duc de Mornay le cuisinier a dédié la sauce,
et Philippe duc de Mornay (1549-1623), gouverneur de Saumur, seigneur
protestant, écrivain et diplomate, est le candidat le plus probable. On attribue à ce
duc d’autres sauces, comme la sauce lyonnaise, la sauce chasseur, la sauce au porto
et même la sauce béchamel (Stradley 2004).
Pourtant, la sauce Mornay ne figure ni dans Le Cuisinier françois de la
Varenne, ni dans les livres de cuisine du début du XIXème siècle (par exemple Le
cuisinier Royal, 10e édition, de 1820). Il est possible, si on prend en considération
ces données, que la sauce ait été introduite seulement au XIXème siècle au grand
restaurant parisien Le Grand Véfour, sous les arcades du Palais Royal. Si cette
hypothèse est vraie, le nom Mornay serait celui de deux gentilshommes très à la
mode dans le tout-Paris de Charles X, le marquis de Mornay et son frère, le comte
Charles de Mornay.
FR. savarin - ROUM. savarină
Ce gâteau représente une modification du baba au rhum, introduit en
France (en Alsace et en Lorraine) par Stanislas Leszczynski, ex-roi de Pologne ou,
126
peut-être, par son pâtissier, Nicholas Stohrer. Ce dernier a introduit ce dessert à
Versailles, quand il a accompagné là Maria Leszczynska, devenue reine de France.
L’innovation appelée savarin (abréviation de brillat-savarin) a été créée en 1844
par les frères Julien, pâtissiers parisiens. Ils ont proposé un gâteau en forme de
couronne, garni de crème et imbibé d’un sirop de rhum. Ils ont appelé leur
invention savarin en honneur de l’écrivain et gastronome français Jean BrillatSavarin (1755-1826), auteur du livre La Physiologie du goût (1825), livre dédié à
la gastronomie qui a connu un grand succès.
FR.
pêche Melba - ROUM. piersici Melba
Ce dessert consiste dans une combinaison de pêches et sauce de
framboises, avec de la glace à la vanille. Il a été inventé en 1892 par le chef
français Auguste Escoffier (1846-1935) du Savoy Hotel à Londres, et présenté à un
dîner qui fêtait le triomphe de la cantatrice australienne Nelly Melba dans l’opéra
Lohengrin de Wagner à Covent Garden. Selon la légende, la cantatrice, qui habitait
à cet hôtel, avait donné à Escoffier des billets pour son spectacle. Pour montrer sa
reconnaissance et pour fêter le triomphe, Escoffier a offert offrir un diner, à la fin
duquel il a présenté un nouveau dessert, sous la forme d’un cygne sculpté dans la
glace qui soutenait les pêches, le cygne faisant allusion à Lohengrin, le Chevalier
du Cygne.
FR. poires La belle Hélène - ROUM. pere La belle Hélène
C’est toujours Auguste Escoffier, «roi des cuisiniers et cuisinier des rois»,
qui a inventé, en 1864, ce dessert, selon une formule similaire aux pêches Melba (il
y a toujours la glace à la vanille et le sirop, seulement les fruits sont le poires). Le
nom du dessert a été donné pour célébrer un opéra comique de Jacques Offenbach,
représentée dans la même année, qui a comme sujet l’enlèvement d’Hélène par
Pâris. L’opéra a connu un succès extraordinaire, ayant 700 représentations de file,
fait unique jusqu’alors.
ROUM. (prăjitură cu ciocolată) Joffre «gâteau au chocolat Joffre»
Nous avons vu jusqu’à présent des situations dans lesquelles des
préparations culinaires contenant un nom propre ont été reprises en roumain. Nous
avons trouvé aussi un cas contraire, un dessert roumain qui contient un
anthroponyme français, à savoir le gâteau au chocolat Joffre. Ce dessert est lié aux
célébrations de la victoire à la fin de la Première Guerre Mondiale.
Cette guerre a été particulièrement douloureuse pour la Roumanie, car
l’armée roumaine est restée seule devant les troupes allemandes et bulgares, en
1917, après le retrait de la Russie de la guerre et la paix de Brest-Litovsk. La
Roumanie a été réduite à une petite zone autour de Yassy, le reste du territoire se
trouvant sous occupation allemande, y compris notre capitale, Bucarest. La
Roumanie a été obligée de sortir de la guerre, qu’elle a reprise seulement en
novembre 1918.
127
En janvier 1920, Joseph Joffre, maréchal de France et artisan de la victoire
alliée de la bataille de la Marne, est arrivé en Roumanie pour remettre la médaille
militaire au roi roumain Ferdinand Ier et la Croix de guerre à la ville de Bucarest.
La cérémonie de remise de la Croix de guerre à la ville a été suivie par un banquet.
À cette occasion les frères Capşa2 ont créé un gâteau au chocolat qu’ils ont nommé
Joffre, en l’honneur du maréchal. Ce petit cylindre rempli de mousse de chocolat,
avec un glaçage toujours de chocolat a eu un grand succès, il a plu tant au maréchal
qu’aux Roumains, qui continuent à le préparer jusqu’à présent.
4. CONCLUSIONS
Le vocabulaire roumain de la cuisine a repris beaucoup de mots et de
recettes de la France. Quelques-uns de ces mots se retrouvent seulement dans le
vocabulaire de la cuisine – bearnaz, parmezan, bain-marie, savarină, sont
quelques exemples.
Nous avons constaté que la grande majorité des termes de cuisine
contenant un nom propre ont été repris dans d’autres langues aussi – en anglais, en
italien, en allemand, en russe, en néerlandais et probablement dans beaucoup
d’autres langues encore. Il est intéressant de constater que les emprunts regardent
surtout les grandes innovations apportées par la cuisine française dans la manière
de se nourrir d’abord en France et, ensuite, dans une grande partie de l’Europe
survenue au XVIIème siècle. Le tournant est marqué clairement par le livre de
cuisine de François Pierre de La Varenne, publié, comme nous l’avons dit, en
1651. Le livre est plutôt l’expression que la cause du changement, car ce processus
se déroulait déjà depuis un certain temps.
L’idée fondamentale de cette nouvelle cuisine est celle de retrouver la
saveur naturelle des produits. On abandonne l’emploi diffus des épices exotiques
caractéristiques de la cuisine du Moyen Âge qui avait comme caractéristique celle
de cacher le goût naturel des aliments. Dans la nouvelle cuisine des épices comme
la cannelle, le cumin, la maniguette, la muscade, etc. ont été remplacées par les
fines herbes locales (laurier, thym, persil). On renonce aussi aux saveurs aigresdouces et on emploie le sucre, qui avait été considéré jusqu’alors une épice,
seulement dans les desserts. On introduit dans la cuisine des légumes nouveaux,
comme le chou-fleur, l’asperge, le petit-pois, le concombre, l’artichaut. Toutes ces
légumes devaient être fraiches et précoces et le poisson, grâce à l’amélioration des
transports, devait être très frais aussi, ce qui nous fait comprendre un peu le
désespoir de François Vatel, poussé au suicide par l’absence du poisson frais.
Le XVIIème siècle marque, dans la cuisine française, un retour à la nature,
que notre époque essaie aussi de retrouver. Le slogan de l’époque classique semble
être la fameuse phrase de La Varenne : «Quand je mange une soupe aux choux, je
veux qu’elle ait goût de choux.»
Cette révolution de la manière de préparer les plats s’est constituée peu à peu,
en commençant probablement avec la Renaissance. Les nouvelles recettes ont
128
connu un grand succès dans toute l’Europe, étant ainsi une contribution essentielle
de la France au patrimoine non matériel de notre continent.
NOTES
* L’article est publié dans le cadre du projet de recherche FROMISEM (PN II – IDEI 383/2008),
financé par le CNCS–UEFISCDI.
1 «Sosul se numeşte Robert după numele prietenului meu căruia îi place la nebunie această mâncare».
2 Il s’agit de la fameuse famille Capşa, formée de douze frères. Vasile et Anton Capşa ont ouvert en
1852 une confiserie à Bucarest, qui est devenue ensuite lieu de réunion d’importants écrivains et
artistes bucarestois ainsi que de l’élite politique de l’époque. Les frères Capşa ont apporté à
Bucarest des produits de confiserie de Vienne et Paris et ils ont introduit les glaces, les bonbons
au chocolat et les bonbons fondants. Le cadet des frères, Grogore, élève du fameux confiseur et
pâtissier parisien Bélisaire Boisier, a ouvert, avec son frère ainé Constantin, en 1869, le «Café
Capşa», avec restaurant et hôtel, dans une rue centrale de Bucarest où il se trouve jusqu’à nos
jours (rue Edgar Quinet, à l’angle avec Calea Victoriei).
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131
LES AVANTAGES DE LA LEXICOGRAPHIE
INFORMATISÉE DANS L’ÉTUDE DES EMPRUNTS
1
LEXICAUX AU FRANÇAIS
Elena DĂNILĂ / Marius Radu CLIM /
Ana-Veronica CATANĂ-SPENCHIU
Institut de Philologie Roumaine „A. Philippide”
Académie Roumaine – Filiale Iassy
Un objectif actuel des politiques européennes est représenté par la
préservation et la valorisation de l’identité linguistique nationale, vu le fait qu’il y a
une tendance générale d’utiliser certaines langues privilégiées par le fait qu’elles
possèdent des moyens informatisés de se promouvoir.
Dans ces conditions, en Roumanie on a commencé à créer des instruments
et des ressources électroniques nécessaires pour soutenir la langue et la culture
roumaines, dans le contexte de la recherche académique fondamentale.
Pendant les dernières années, des lexicographes et des informaticiens ont
réalisé quelques projets de recherche communs sur l’informatisation de la
recherche linguistique roumaine, d’une part, pour valoriser les ressources
existantes par leur acquisition en format électronique et, d’autre part, pour la
création de nouvelles ressources et de nouveaux instruments pour le traitement
automatique de la langue. Ainsi, on a travaillé pour réaliser une version
informatisée du Dictionnaire «Trésor» de la Langue Roumaine, qui représente le
plus complexe ouvrage lexicographique créé sous l’égide de l’Académie Roumaine
– commencé il y a 105 années. Le Dictionnaire comprend 13 tomes en 37 volumes,
totalisant plus de 20.000 pages et plus de 175.000 entrées, y compris les variantes,
et se situe, par la conception et par la réalisation, parmi les travaux similaires
européens et c'est pourquoi sa digitalisation s'est imposée, en tant qu'une étape
normale dans l'évolution de la lexicographie roumaine.
Ce qui est spécifique au Dictionnaire de la langue roumaine, du point de
vue lexicographique, rapporté à d'autres ouvrages lexicographiques édités sous
l'égide de l'Académie Roumaine, est déterminé par son caractère de «trésor», ce qui
suppose l'enregistrement et le traitement lexicographique de tous les mots de la
langue roumaine enregistrés dans des textes écrits, dans au moins deux styles
fonctionnels, à partir des sources écrites, citées sous chaque définition.
La première édition du Dictionnaire-trésor de la langue roumaine vient
d’être achevée en avril 2010.
132
Même avant l’achèvement de la première édition du Dictionnaire on a
réalisé des projets pour trouver une solution pour l’acquisition en format
électronique de la variante imprimée de DLR.
Jusqu’à présent, dans le Département de Lexicologie – Lexicographie de
L’Institut de Philologie Roumaine «A. Philippide»2, on a finalisé quelques projets:
a) Dicţionarul limbii române (DLR) în format electronic. Studii privind
achiziţionarea [Le Dictionnaire de la Langue Roumaine (DLR) en format
électronique. Études sur l’acquisition], projet financé par le CNCSIS (2003 –2005)
– par ce projet on a vérifié et on a démontré la possibilité de transformer Le
Dictionnaire de la Langue Roumaine du texte imprimé en texte électronique
annoté3, traité à l’aide d’un programme spécifique, DLRex – un instrument
d’acquisition, de traitement et consultation du DLR, à partir d’une heuristique par
laquelle on reconnaît les différents champs formels du texte d’un article, ayant pour
résultat la possibilité d’identifier automatiquement le texte des définitions, des
citations et celui des sigles.
b) Resurse lingvistice în format electronic: Monumenta linguae
Dacoromanorum. Biblia 1688. Regum I, Regum II – Ediţie critică şi corpus
adnotat [Les Ressources linguistiques en format électronique: Monumenta linguae
Dacoromanorum. Biblia 1688. Regum I, Regum II – édition critique et corpus
annoté], (projet CNCSIS 2006 – 2007). Dans ce projet on a trouvé une méthode
d’acquisition en format électronique des livres anciens de la Bibliographie DLR4
(en particulier deux livres de la Bible imprimé à Bucarest en 1688, Regum I,
Regum II) et la création de certains instruments pour indexer et annoter
automatiquement, au niveau du mot, des textes roumains anciens.
c) DLRI. Bază lexicală informatizată. Derivate [DLRI. Base lexicale
informatisée. Des dérivés] (projet CNCSIS 2007 – 2008). Par ce projet on a étudié
un échantillon lexicographique formé des dérivés dans la langue roumaine avec les
suffixes -ime et -işte, de la série ancienne DA et de la série nouvelle DLR,
l’unification du point de vue des normes lexicographiques des articles de DA et de
DLR et l’analyse de cet échantillon en utilisant des moyens informatiques.
Fondamentalement, ces démarches de digitalisation de la recherche
philologique roumaine visent, d'une part, la réalisation d'instruments informatisés
spécifiques à la recherche philologique (des programmes de traitement / analyse
automatique du texte écrit / parlé; des interfaces de travail en ligne, nécessaires
pour valoriser les ressources crées ou existantes) et, d'autre part, la réalisation des
ressources linguistiques digitalisées (des dictionnaires informatisés, des corpus de
textes écrits / parlés).
Ces démarches ont préparé le terrain pour le projet complexe eDTLR –
Dicţionarul tezaur al limbii române în format electronic (eDTLR – Le Dictionnaire
trésor de la langue roumaine en format électronique)5. Ce projet national (financé
par Le Conseil National du Management des Projets – CNMP, 2007-2010;
directeur: prof. univ. dr. Dan Cristea) représente l’un de plus importants projets de
type collaboratif des dernières années, qui entremêle l'expérience des linguistes
lexicographes et les recherches linguistiques appliquées, assistées par l’ordinateur6.
133
L'initiateur et, en même temps, le coordonnateur est la Faculté
d'Informatique de l'Université «Alexandru Ioan Cuza», Iaşi; directeur dr. Dan
Cristea. Dans le projet se sont impliqués, en tant que partenaires:
– les trois instituts académiques qui ont participé à la rédaction du
Dictionnaire:
– L'Institut de Linguistique «Iorgu Iordan – Al. Rosetti», Bucarest7;
– L'Institut de Philologie Roumaine «A. Philippide», Iaşi8;
– L’Institut de Linguistique et d’Histoire Littéraire «Sextil Puşcariu», Cluj9
Napoca ;
– les deux instituts académiques spécialisés dans le traitement du langage
naturel:
– L’Institut de Recherches pour l’Intelligence Artificielle, Bucarest;
– L’Institut d’Informatique Théorique, Iaşi;
– La Faculté de Lettres, de l'Université «Alexandru Ioan Cuza», Iaşi;
Dans le projet se sont impliqués, en tant que volontiers, des étudiants, des
masterands et des doctorants dans le domaine de la philologie et de l’informatique,
de plusieurs facultés du pays.
Les principaux objectifs du projet ont été: la réalisation du format
électronique Dictionnaire de la langue roumaine, la création d’une archive
électronique de textes roumains comprenant toutes les sources dépouillées en vue
de l’élaboration du Dictionnaire (donc, qui font partie de la Bibliographie du
DLR), la réalisation des liaisons entre le dictionnaire électronique et les sources
bibliographiques du celui-ci, organisées en tant que base de données, ce qui
permettra des interrogations complexes du Dictionnaire et la continuation des
activités d'actualisation et de publication. Donc, la base de données comprendra,
d'une part, la version informatisée du dictionnaire actuel, toutes les sources
bibliographiques, en format électronique, et, d'autre part, des programmes
spécifiques, réalisés dans le projet, des moteurs de recherche, etc. Le Dictionnaire
devient, de cette manière, un instrument et une base de données structurée
intelligemment, avec des applications salutaires dans l’actualisation des moyens de
recherche lexicographique en Roumanie.
Pour la réalisation du projet on a établi deux étapes principales:
1. Scanner, OCR10-iser, corriger le Dictionnaire de la langue roumaine
(DA + DLR) (approximativement 175.000 pages) et la réalisation du format
électronique du Dictionnaire.
2. Scanner, OCR-iser, traiter du point de vue informatique la Bibliographie
du DLR et réaliser des liaisons entre le dictionnaire électronique et les sources
bibliographiques du celui-ci (approximativement 3000 volumes).
eDTLR permet de nouvelles modalités de travail / étude / recherche dans la
lexicographie roumaine, en incluant sa perspective computationnelle, il offre la
seule modalité moderne de compléter et actualiser le Dictionnaire de la langue
roumaine et la possibilité de consulter interactivement le dictionnaire par tout
connaisseur de la langue roumaine de Roumanie ou de n'importe où.
134
eDTLR permet des recherches variées qui peuvent être utilisées selon de
divers critères – l'étymon, les types de calques, le domaine, la période envisagée,
selon le mot «franţuzism» pour pouvoir analyser les emprunts français du point de
vue de l'histoire de la langue roumaine, de la première attestation, de l'influence du
modèle culturel (voir les traduction), du point de vue statistique, etc.
Par ses dimensions, eDTLR se situe à côté des grands dictionnaires
d’autres langues romanes (Trésor de la langue française informatisé – TLFi;
Diccionario de la lengua española de la Real Academia Española – DRAE, Tesoro
della lingua italiana delle origini et d’autres), des dictionnaires de grandes
dimensions, qui ont déjà une variante informatisée.
Une étape obligatoire qui suit à la digitalisation du DLR est représentée par
la réalisation d’un corpus lexicographique qui inclut eDTLR et les autres
dictionnaires essentiels de la langue roumaine (dictionnaires anciens et nouveaux,
dictionnaires généraux ou «spéciaux» etc.), alignés au niveau de l’entrée.
C’est pourquoi on a proposé le projet CLRE. Corpus lexicographique
roumain essentiel. Les dictionnaires de la langue roumaine alignés au niveau de
l’entrée11.
De cette manière, la langue roumaine va se comparer avec les autres
langues qui possèdent déjà un corpus pareil:
– Le rayon des dictionnaires, http://www.atilf.fr/ – collection de
dictionnaires informatisés français, du XVIème jusqu’au XXème siècle;
–
Nuevo
tesoro
lexicográfico
de
la
lengua
española,
http://buscon.rae.es/ntlle/SrvltGUILoginNtlle – base de données qui inclut les
versions facsimilées de tous les dictionnaires édités et publiés par la Real
Academia Espagnola;
– Das Wörterbuchnetz, http://germazope.uni-trier.de/Projects/WBB/ –
réseau de dictionnaires de langue allemande, créé à l’Université Trier d’Allemagne,
etc.).
Le collectif de recherche du projet est formé de:
– Elena Dănilă – lexicographe à l'Institut de Philologie Roumaine «A.
Philippide», de Iaşi, directeur du projet;
– Marius-Radu Clim – lexicographe à l'Institut de Philologie Roumaine
«A. Philippide», de Iaşi;
– Ana-Veronica Catană-Spenchiu – doctorant à la Faculté de Lettres, de
l’Université «Alexandru Ioan Cuza», Iaşi;
– Marius Iulian Răschip – doctorant informaticien à la Faculté
d’Informatique, de l’Université «Alexandru Ioan Cuza», Iaşi.
Le projet CLRE a pour buts:
1. la réalisation d’une base de données qui comprenne les dictionnaires
essentiels de la Bibliographie du DLR, alignés au niveau de l’entrée et,
partiellement, au niveau du sens (en respectant la loi de la propriété intellectuelle).
Pour cela on va scanner et OCR-iser, puis utiliser un parseur pour identifier
automatiquement les entrées des dictionnaires scannés et OCR-isés déjà, et, où estil possible, pour identifier le sens dans les entrées des dictionnaires, on va réaliser
135
une interface en ligne pour valider / corriger les résultats du traitement à l’aide du
parseur et pour valider l’alignement entre les articles du eDTLR et les articles des
dictionnaires de référence de la Bibliographie du DLR.
2. la réalisation des logiciels qui permettent la consultation interactive de
ce corpus, qui peut constituer un cadre modern de travail et de recherche
lexicographique.
3. la réalisation d'une liste de mots quasi exhaustive, pour la langue
roumaine, à partir du corpus aligné.
4. croître la visibilité de l'activité de recherche des professionnels linguistes
et informaticiens, dans le domaine de la langue roumaine, pour promouvoir les
moyens informatiques de traitement linguistique créés dans le projet par des études
ou par des articles publiés dans des revues de spécialité.
Dans l'espace de la langue roumaine il y a un premier essai qui est proche á
l'idée de notre projet, par le site http://dexonline.ro/, où un nombre de 32
dictionnaires ont été transposés textuellement sur l'Internet, ce qui – á présent –
représente un point de départ pour le public intéressé par la langue roumaine.
La spécificité de notre projet est représentée par:
– le grand nombre de dictionnaires qu'on envisage (environ 100
dictionnaires de la Bibliographie de DLR – 150.000 pages de dictionnaire), qui
doivent être inclues dans la base de données et alignées au niveau de l'entrée et,
partiellement, du sens;
– la perspective historique sur la lexicographie roumaine et, implicitement,
sur la langue roumaine qui suppose la sélection des dictionnaires proposée par
nous;
– le fait que ce qu'on propose est un corpus suivant toutes les normes
scientifiques, sa réalisation par une équipe mixte, formée par des linguistes et des
informaticiens, et l'évaluation des résultats par des professionnels consacrés dans le
domaine, assurant la qualité demandée par les exigences par une recherche
compétente et adéquate.
Donc, ce que nous nous proposons d'obtenir par l'intermédiaire du CLRE
c’est un corpus bien individualisé, supérieur tant du point de vue quantitatif, que du
point de vue qualitatif – réalisé sous l'égide de l'Académie – à tous les essais de
jusqu'à présent.
Dans le corpus on inclura de divers types de dictionnaires (on y présente
seulement quelques exemples pour chaque catégorie):
– des dictionnaires de type général:
le DA = Dicţionarul limbii române, tomes I-II. Bucureşti: Tipografia
ziarului „Universul”, Imprimeria Naţională, 1907-1944;
le DLR = Dicţionarul limbii române, Serie nouă, tomes VI-XIV.
Bucureşti: Editura Academiei, 1965-2010;
le DEX = Dicţionarul explicativ al limbii române. Bucureşti: Editura
Academiei, 1975;
136
le DEXI = Dicţionarul explicativ ilustrat al limbii române, Auteurs: Dima,
Eugenia / Doina Cobeţ / Laura Manea / Elena Dănilă / Gabriela E. Dima / Andrei
Dănilă / Luminiţa Botoşineanu. Chişinău: Editurile Arc şi Gunivas, 2007;
le MDA = Micul dicţionar academic. Vol. I–IV. Bucureşti: Editura
Univers Enciclopedic. Vol. I: A–C (2001); vol. II: D–H (2002); vol. III: I–Pr
(2003); vol. IV: Pr–Z (2003);
le NDU = Noul dicţionar universal al limbii române. Auteurs: Oprea, Ioan
/ Carmen-Gabriela Pamfil / Rodica Radu / Victoria Zăstroiu, Bucureşti / Chişinău:
Litera Internaţional, 2006.
– des dictionnaires auxiliaires:
A. de Cihac, Dictionnaire d’etymologie daco-romane. Vol. I. Elements
latins, comparés avec les autres langues romanes, Francfort A.-M., Ludolphe St.
Goar; Berlin, A. Asher; Bucarest, Socec, 1870. Vol. II. Elements slaves, magyars,
turcs, grecs-moderne et albanais, Francfort, Ludolphe St. Goar; Berlin, S. Calvary;
Bucureşti: Sotschek, 1879;
Alexandru Ciorănescu, Dicţionarul etimologic al limbii române [Ediţie
îngrijită şi traducere din limba spaniolă de Tudora Sandru-Mehedinţi şi Magdalena
Popescu Marin]. Bucureşti: Editura Saeculum I. O., 2002;
*** Dicţionarul ortografic, ortoepic şi morfologic al limbii române [Ediţia
a II-a revăzută şi adăugită]. Bucureşti: Univers Enciclopedic, 2005;
Florin Marcu, Noul dicţionar de neologisme. Bucureşti: Editura Academiei
Române, 1997;
– des dictionnaires spéciaux (encyclopédiques ou spécialisés, choisis sur le
critère de leur importance pour la perspective diachronique sur la langue):
Dicţionar enciclopedic. [Vol.] I: A–C (1993), [vol.] II: D–G (1996), [vol.]
III: H–K (2000), [vol.] IV: L–N (2001), [vol. V]: O–Q (2004). [vol.] VI: R–S
(2006). [vol.] VII: T–Z (2009). Bucureşti: Editura Enciclopedică;
I.-Aurel Candrea / Gh. Adamescu, Dicţionarul enciclopedic ilustrat.
Partea I: Dicţionarul limbii române din trecut şi de astăzi par I.-Aurel Candrea.
Partea II: Dicţionarul istoric şi geografic universal par Gh. Adamescu. Bucureşti:
Editura Cartea Românească, [1926–1931];
Lexiconul tehnic român. I ş. u. Elaborare nouă. Bucureşti: Editura Tehnică,
1957, etc.
Dans le projet on utilisera tant des méthodes classiques / traditionnelles
(par exemple, la translittération des entrées écrits en alphabet cyrillique ou en
alphabet de transition) ou l'étude comparatif, au niveau sémantique des
dictionnaires, que de méthodes nouvelles, de lexicographie computationnelle.
Les difficultés d’une telle démarche sont liées à la grande quantité de
matériel qui doit être traité du point de vue lexicographique informatique et alignés
(presque 100 dictionnaires – d’environ 150.000 pages de dictionnaires), à la
situation des dictionnaires écrits en alphabet cyrillique ou en alphabet de transition,
aux problèmes de copyright dans le cas des dictionnaires plus récents, etc.
Il y a aussi des problèmes en ce qui concerne les corpus de textes, en
général, des problèmes qui sont liés à:
137
– le financement et l’initiative, ce qui suppose le besoin de raffiner la
politique linguistique de Roumanie;
– le respect pour la législation concernant la propriété intellectuelle;
– sécuriser les informations des corpus;
– l’accès du public aux informations. Dans ce dernier cas il y a déjà des
solutions proposées – voir, par exemple, la solution du projet GOOGLE BOOKS12
ou, pour la langue roumaine, les solutions du site DACOROMANICA13.
L’importance de ce corpus, qui doit être accessible à tous les chercheurs –
et non seulement à ceux qui travaillent au Dictionnaire Trésor de la langue
roumaine – est indiscutable. Les résultats finaux de ce projet, surtout la réalisation
du Corpus lexicographique roumain essentiel, qui inclura un nombre significatif de
dictionnaires de la langue roumaine, alignés du point de vue formel et partiellement
sémantique, permettront le développement des applications d’envergure sur la
désambiguïsation sémantique des mots, la sélection des types d’entrées en vue de
l’élaboration de nouveaux dictionnaires spécialisés (thématiques, étymologiques,
etc.), la corrélation à d’autres ressources linguistiques ou multimédia, ce qui
amènera la lexicographie roumaine au niveau de la lexicographie européenne. Bref,
CLRE représente un point de départ pour des recherches futures.
L’importance de ce corpus, qui doit être accessible à tous les chercheurs –
et non seulement à ceux qui travaillent au Dictionnaire – est indiscutable.
En utilisant les ressources offertes par ce projet on peut illustrer maintenant
un exemple concret de l’évolution sémantique d’un mot. On va présenter plusieurs
acceptions des lexicographes roumains, énoncés tout au long du temps, qu’on
considère significatives, concernant la notion du néologisme. Le concept du
néologisme a provoqué beaucoup de débats parmi les linguistes qui lui ont donné
plusieurs variations sémantiques.
La première attestation du terme dans la langue roumaine écrite, selon les
N.A. Ursu, se trouve dans l’œuvre de I. Golescu, Condica limbii rumâneşti, le IVe
tome, page 184r, publiée en 1830, œuvre considérée le premier dictionnaire
explicatif complet de la langue roumaine. Selon le même chercheur le terme
apparaisse puis dans quelques traductions du français (par exemple, George Sand,
Indiana, traduction de P. Teulescu, Bucarest, 1847 et A. de Lamartine, Moartea lui
Socrat, traduction de Gh. Sion, Iassy, 1847).
Le XIXème siècle a été «le siècle du néologisme» pour la langue roumaine
parce que on a eu les plus divers débats concernant la théorie du néologisme et les
plus nombreuses empruntes pour la langue, particulièrement des langues romanes,
mais aussi du grec, allemand, hongrois, russe, etc. On peut mentionner ici le
premier dictionnaire académique roumain, réalisé par A.T. Laurian şi I.C. Massim
et intitulé Dicţionariul limbei romane où les auteurs ont proposé vraiment des
néologismes (mots pris du latin et formés selon les moyens internes du roumain)
qui n’existaient jusqu’alors dans la langue et plusieurs de ces mots sont présents
maintenant dans le vocabulaire courant du roumain.
On peut illustrer quelques définitions des dictionnaires importants de ce
période:
138
néologisme (s. m.) «neologism, obişnuinţă, nărăvire de a întrebuinţa ziceri nouă,
sau de a da zicerilor obişnuite înţelesuri nouă; se ia spre rău» (POENAR–
AARON–HILL 1841)
neologism (s. n.) «căutare de espresii şi de vorbe nuoe» (NEGULICI 1848)
neologism «plecare, patimă de a tot înoi, a reforma (limba)» (STAMATI 1851)
neologism «obicinuinţa de a întrebuinţa ziceri expresii noi» (PROTOPOPESCU–
POPESCU 1862)
neologism «afectaţiune de a se servi cu vorbe noue» (ANTONESCU 1862)
«Neologia anunţă o nouă specie de limbagiu, nişte maniere noi de vorbire,
invenţiunea sau aplicăţiunea nouă a terminilor. Neologismul înseamnă abuzul sau
afectaţia de a se servi cineva cu termini noi, cu expresiuni şi vorbe ridicul întoarse
din înţelesul lor natural sau din usul lor ordinar. Gramaticii au tractat altă dată
asupra acestei chestiuni dacă e permis să se facă vorbe noue; aceasta preţuieşte
mai tot atât ca când am întreba dacă e permis să dobândim nouă idei şi nouă
avuţie. Este dar aci o neologie laudabilă, utilă, necesară şi opusă la neologism.
Neologia are legile şi regulele sale: cea întâi din aceste legi e de a nu se adăuga în
limbă decât aceea ce-i lipseşte, cea întâi din aceste regule e de a urma în
formaţiunea nouălor vorbe după capacitatea, analogia şi formele proprii ale limbei.
Vorbe deşerte şi de prisos ce nu fac de cât a încărca peste mesură limba cu o
abundenţă stearpă; vorbe şi expresiuni pocite şi bizare care deşteaptă ideea
barbarismului sunt curat de tot neologism» (CANELLA 1867: 234–235).
neologism (s. n.) «căutare, aflare de expresiuni noi, de ziceri noi – se ia cu înţeles
rău» (COSTINESCU 1870)
neologism «espresione, covent, intorsura, sens sau forma de covent neusitata inco
in limba populare» (LAURIAN–MASSIM 1876, s.v. neo-)
On remarque aussi une variation orthographique du mot: neologhism,
neologhizm, neologizm (voir le DLR).
Dans les dictionnaires suivants on va trouver un essai de systématisation
théorique, parce que les lexicographes cherchent à éliminer l’ambiguïté sémantique
de ce terme et à définir d’une manière plus adéquate le néologisme.
neologism «vorbă nouă. Neologismele sunt indispensabile, când denotă un obiect
necunoscut, o nouă invenţiune, o idee necesară sau o nuanţă a cugetării; ele sunt
superflue, când servesc pur şi simplu a înlocui momentan un termen indigen
(tendenţa modei trecătoare sau a presei periodice): astfel sunt numeroasele
franţuzisme care abundă în ziare şi în conversaţiunea banală. O categorie specială
o formează mahalagismele» (ŞĂINEANU 1929)
neologizm «cuvânt nou» (SCRIBAN 1939)
139
neologism «1. Cuvânt nou împrumutat dintr-o limbă străină (în epoca modernă)
sau creat recent (prin mijloace proprii) în limba respectivă din acest împrumut.
(Restr.) Împrumut lexical recent. 2. Accepţie nouă a unui cuvânt. 3. (Înv.)
Neologie» (DEXI 2007)
La variation sémantique est visible aussi dans les éditions différentes du
même dictionnaire, par exemple: Le dictionnaire des néologismes de Florin Marcu:
«cuvânt nou într-o limbă, împrumutat dintr-o limbă străină sau format prin
mijloace proprii în limba respectivă» (lingv.) (DN 1961)
«cuvânt împrumutat dintr-o limbă străină sau creat prin mijloace proprii în limba
respectivă» (DN2 1966)
«cuvânt nou împrumutat dintr-o limbă străină sau creat prin mijloace proprii în
limba respectivă; (p. restr.) împrumut lexical recent» (lingv.) (DN3 1978)
«cuvânt nou, împrumutat dintr-o limbă străină sau creat prin mijloace proprii în
limba respectivă; (p. restr.) împrumut lexical recent; accepţie nouă a unui cuvânt»
(NDN 1997, MDN2 2007).
Les acceptions du concept de néologisme dans les dictionnaires roumains
présentées ici relèvent l’évolution sémantique, mais aussi l'orthographie et
l’orthoépie du mot dans la langue roumaine. Par ces définitions les lexicographes
ont illustré tant l’histoire de la perception des linguistes roumains concernant ce
concept, que les ambigüités qu’il a générés dans la langue roumaine. Aussi, par ces
exemples, on peut remarquer le fait que dans les dictionnaires roumains on ne
trouve pas des classifications des néologismes comme dans les autres dictionnaires
étrangers.
CONCLUSIONS
La version informatisée du dictionnaire (eDTLR) et le corpus
lexicographique roumain essentiel (CLRE) faciliteront l’étude des emprunts au
français du point de vue de leur reflet dans les dictionnaires de la langue roumaine,
à partir de plusieurs critères: chronologie, texte / auteur–source, etc. et la
comparaison avec la situation des emprunts au français dans d’autres langues
européennes.
NOTES
1
Cette communication présente les préliminaires d'un projet financé par le Ministère de l’Education et
de la Recherche (MEC), par le Conseil National de la Recherche Scientifique de l’Enseignement
Supérieur (CNCSIS) de Roumanie, qui s'appelle CLRE: Corpus lexicographique roumain
essentiel. Les dictionnaires de la langue roumaine alignés au niveau de l’entrée et du sens (2010–
2013 – cod TE_246).
2
http://www.philippide.ro/pages/lexicografie.html
140
3
Le texte annoté est un texte analysé et marqué du point de vue formel, de sorte qu’il peut être
consulté, corrigé, modifié, etc. par les lexicographes, à l’aide de l’ordinateur. On a la possibilité
d’extraire du format complet une forme destinée seulement à la consultation, qui s’adresse à un
public plus large que celui des experts. Pour des détails, voir Haja/Dănilă/Forăscu/Aldea (2005).
4
Parallèlement, à Bucarest s’est déroulé un autre projet destiné à l’acquisition en format électronique
des livres de la Bibliographie DLR, CNR – Corpus de referinţă al limbii române pentru
constituirea de dicţionare academice [CNR – Corpus de référence pour la langue roumaine, pour
la réalisation des dictionnaires académiques] (projet CNCSIS, 2007-2008).
5
Des informations concernant le projet sont publiées à l’adresse:
https://consilr.info.uaic.ro/edtlr/wiki/index.php?title=Despre_proiect
6
Pour des détails sur les méthodes et les outils utilisées dans le projet eDTLR, voir Aldea / Dănilă /
Forăscu / Haja (2006); Cristea / Răschip (2008); Cristea / Răschip / Forăscu / Haja / Florescu /
Aldea / Dănilă (2007); Curteanu / Moruz / Trandabăţ (2008); Dănilă (2010); Haja (2007); Haja /
Dănilă / Clim / Patraş (2009); Haja / Dănilă / Forăscu / Aldea (2005); Haja / Forăscu / Aldea /
Dănilă (2006).
7
http://www.lingv.ro/
8
http://iit.iit.tuiasi.ro/philippide/
9
http://www.acad-cluj.ro/institut_lingvistica_istorie_literara.php
10
Optical Character Recognition permet la transformation du format image (.jpg, .tiff, .gif etc.) en
format texte (.doc, .rtf).
11
Des informations concernant le projet sont publiées à l’adresse:
http://consilr.info.uaic.ro/~mraschip/clre/index.php?title=Pagina_principal.
12
Voir la description et les solutions de partager l’information de ce très connu projet à l’adresse:
http://books.google.com/intl/en/googlebooks/about.html.
13
DACOROMANICA (http://www.dacoromanica.ro/) – projet réalisé par la Bibliothèque
Métropolitaine de Bucarest et la Bibliothèque de l’Académie Roumaine – à présent la plus
importante bibliothèque digitale roumaine, accessible en ligne, qui offre un fond de 2000 volumes
(environ 1.000.000 pages, 400 images et quelques ressources sonores numérisées), contenant des
textes qui couvrent l’intervalle Moyen Age – le début du XXème siècle. DACOROMANICA est un
partenaire officiel de la plus importante bibliothèque digitale au niveau européen EUROPEANA
(http://www.europeana.eu/portal/). Ainsi, pour certains documents, qui ne se trouvent plus sous
l’incidence de la loi du droit d’auteur ou pour lesquels les droits ont été négociés avec les
héritiers, l’accès est libre, et pour les documents qui se trouvent encore sous l’incidence de cette
loi – ils sont disponibles exclusivement in situ et sans pouvoir être copiés, sur le site étant
affichées seulement des métadonnées, la pictogramme et, sélectivement, les 5 premières pages.
BIBLIOGRAPHIE
= Antonescu, G. M. (1862): Dicţionar rumân. Mic repertor de
cunoştinţe generali, coprinzând vorbe streine, cu etimologia, termini
technici, numini proprie, notiţiuni historice, ş.c.l., Bucureşti: Imprimeria
Naţională a lui Stephan Rassidescu.
1
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Tipografia Naţională.
COSTINESCU = Costinescu, Ion (1870): Vocabular româno-frances, lucrat după
Dicţionarul Academiei Francese, după al lui Napoleone Landais şi alte
dicţionare latine, italiane, etc., Bucureşti: Tipografia Naţională.
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Bucureşti: Tipografia ziarului „Universul”, Imprimeria Naţională.
DEXI = Dima, Eugenia (éd.) (2007): Dicţionarul explicativ ilustrat al limbii
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ANTONESCU
141
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DN = Marcu, Florin / Constant Maneca (1961): Dicţionar de neologisme, Bucureşti:
Editura Ştiinţifică.
2
2
DN = Marcu, Florin / Constant Maneca ( 1966): Dicţionar de neologisme,
Bucureşti, Editura Ştiinţifică.
3
3
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Bucureşti: Editura Academiei.
DRAE = Diccionario de la lengua espanola de la Real Academia Espagnola –
http://buscon.rae.es/draeI/.
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LAURIAN–MASSIM = Laurian, A. T. / I. C. Massim: Dicţionariul limbei române.
După însărcinarea dată de Societatea Academică Română. Elaborat ca
proiect. Tomu I A–H, 1871 [în realitate: 1873 ]; tomul II (colaboratori Iosef
Hodosiu şi G. Bariţiu) I–Z, 1876; tom. III: Glosariu, care cuprinde vorbele
din limba română străine prin originea sau forma lor, cum şi cele de
origine înduioasă, 1871 [în realitate: 1877], Bucureşti: Noua Tipografie a
Laboratorilor Români.
2
MDN = Marcu, Florin (2007): Marele dicţionar de neologisme, Ediţia a IX-a
revăzută, augmentată şi actualizată, Bucureşti: Editura Saeculum Vizual.
NDN = Marcu, Florin (1997): Noul dicţionar de neologisme, Bucureşti: Editura
Academiei Române.
NEGULICI = Negulici, I. D. (1848): Vocabular român de toate vorbele străbune
reprimite până acum în limba română, şi de toate cele ce sunt a se mai
primi d-acum înainte, şi mai ales în ştiinţe, Bucureşti: Tipografia
Colegiului.
POENAR–AARON–HILL = Peonar, P. / F. Aaron / G. Hill: Vocabular franţezoromânesc, după cea din urmă ediţie a Dicţionarului de Academia
Franţozească, cu adăogare de multe ziceri, culese din deosebite dicţionare
de…, tomul I: A–H, 1840; tomul II: I–Z, 1841, Bucureşti: Tipografia
Colegiului Sf. Sava.
PROTOPOPESCU–POPESCU = Protopopescu, E. / V. Popescu (1862): Nou dicţionar
portativ de toate zicerile radicale şi streine reintroduse şi introduse în
limbă, coprinzând şi termeni ştienţifici şi literari, volumul I: A–J, volumul
al II-lea: K–Z, Bucureşti, vol. I: Tipografia Toma Teodorescu, vol. II:
Tipografia Oprea Demetrescu.
SCRIBAN = Scriban, August (1939): Dicţionaru limbii româneşti. (Etimologii,
înţelesuri, exemple, citaţiuni, arhaizme, neologizme, provincializme),
Ediţiunea întâia, Iaşi, Institutul de Arte Grafice „Presa Bună”.
STAMATI = Stamati, Pah. T. (1851): Disionăraş românesc de cuvinte tehnice şi
altele greu de înţeles. Întâia ediciune, Iaşi: Tipografia Buciumului Român.
DLR
142
= Şăineanu, Lazăr (1929): Dicţionar universal al limbei române,
coprinzând: 1. Vocabularul complet al limbei vorbite şi literare, arhaismele
culturale, expresiunile idiomatice, neologismele uzuale, accepţiunile
cuvintelor în ordinea logică a evoluţiunii lor cu exemple din viul grai şi cu
citaţiuni din cei mai buni scriitori români. 2. Terminologia ştiinţifică,
artistică şi industrială. 3. Nomenclatura mitologică şi folklorică. 4.
Etimologia vorbelor populare. 5. Vocabular general biografic, geografic şi
istoric cu privire specială la România şi la ţările locuite de români. A şeasa
ediţiune, Revăzut şi adăogit la Ediţia VI-a, Craiova: Editura „Scrisul
Românesc”.
TLFI = Le Trésor de la Langue Française Informatisé – http://atilf.atilf.fr/ .
TLIO
=
Tesoro
della
lingua
italiana
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origini
–
http://tlio.ovi.cnr.it/TLIO/index2.html .
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Dănilă, Elena / Ofelia Ichim, Florin-Teodor Olariu (éds.), Comunicare
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Cristea, Dan / Marius Răschip (2008): «Linking a Digital Dictionary onto Its
Sources», in Marko Tadic / Mila Dimitrova-Vulchanova / Svetla Koeva
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1688 şi eDTLR», in Botoşineanu, Luminiţa / Elena Dănilă, Cecilia Holban,
Ofelia Ichim (éds.), Distorsionări în comunicarea lingvistică, literară şi
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ŞĂINEANU
143
Haja, Gabriela / Elena Dănilă / Corina Forăscu / Bogdan-Mihai Aldea (2005):
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Haja, Gabriela / Corina Forăscu / Bogdan-Mihai Aldea / Elena Dănilă (2006): «The
dictionary of Romanian Language: steps toward the electronic version», in
Proceedings of EURALEX 2006. Torino: Italy, september 2006.
144
LES MOTS FRANÇAIS EN -EUR (-EUSE) / -AIRE EN
ANGLAIS CONTEMPORAIN: EMPRUNT
ET CRÉATION LEXICALE
Elodie DESCLOUX / Pierre FOURNIER /
Marjolaine MARTIN / Sophie VANHOUTTE
Laboratoire Ligérien de Linguistique (E.A. 3850)/
Université de Tours, France
INTRODUCTION
Les emprunts au français en anglais représentent une proportion non
négligeable de son lexique. La présente étude propose de s’intéresser à quelques
300 d’entre eux: les mots qui se terminent par -eur (-euse) et par -aire. Notre
approche se situe au croisement des théories lexicographiques et phonologiques.
Nous présenterons en premier lieu le contexte historique des phénomènes
d’emprunt de ces mots. Ensuite nous nous intéresserons à la méthode utilisée pour
la mise en place de notre corpus. Enfin, nous proposerons une analyse approfondie
des phénomènes lexicogéniques et accentuels qui caractérisent ces éléments.
1. LES EMPRUNTS AU FRANÇAIS EN ANGLAIS
1.1. Perspectives historiques
En 1066, Guillaume Duc de Normandie, cousin du défunt roi d’Angleterre
Édouard le Confesseur, attaqua l’Angleterre pour faire valoir ses droits sur le trône.
Il comptait parmi ses ancêtres des Vikings scandinaves qui avaient descendu la
Seine sur des drakkars aux IXème et Xème siècles et s’étaient installés en Normandie.
Il devint roi après sa victoire sur Harold II lors de la bataille de Hastings.
L’influence française dans les hautes sphères de la société anglaise existait
déjà en 1066. Mais cette fois-ci, l’aristocratie anglo-saxonne dut laisser place à une
élite normande. Cette dernière avait perdu la langue scandinave au profit d’un
dialecte du français, le franco-normand1. Le français devint donc une langue de
prestige, alors que l’anglais était une langue vernaculaire2 parlée par la majorité de
la population.
L’année 1066 avait donc marqué le début d’un bouleversement social et
linguistique avec l’introduction, dans une société soumise à l’influence
germanique, d’une langue romane. Il faudra néanmoins attendre de nombreuses
145
années avant que les changements linguistiques ne soient véritablement ancrés
dans la langue et marquent le passage du vieil anglais au moyen anglais.
La situation changea en 1204, lorsque le roi Jean d’Angleterre entra en
conflit avec le roi Philippe de France et dut abandonner la Normandie par décret.
Les liens entre la couronne d’Angleterre et la France furent donc rompus. Les
nobles perdirent leurs terres et l’hostilité entre les deux pays alla croissant, pour
trouver son apogée durant la guerre de Cent Ans (1337-1453). La déstabilisation
qui s’ensuivit modifia considérablement la situation linguistique. Le sentiment
d’appartenance nationale se faisait jour en Angleterre, tandis que la population
d’origine normande se mêlait à la population anglaise. L’anglais devint
progressivement la langue officielle du pays. Le XIVème siècle vit le triomphe
définitif de l’anglais: la littérature fut de plus en plus écrite en langue anglaise et
l’anglais fut désormais utilisé dans l’administration. C’est en 1362 que l’on
employa pour la première fois l’anglais au Parlement3.
1.2. Conséquences linguistiques
La période de domination française (XIème – XIIIème siècles) se traduisit par
de nombreux emprunts au français (10 000 mots environ). Les mots empruntés, qui
étaient marqués par les préoccupations d’une élite riche et cultivée, avaient trait à
l’administration, à la justice, mais aussi à la médecine, à l’art et à la mode. Les trois
quarts de ces mots sont encore en usage aujourd’hui. L’anglais restait la langue
populaire, pour laquelle il n’existait pas de norme. Le latin, qui était la langue de
l’érudition, demeurait la référence en matière de langue écrite.
C’est à partir du XIIIème siècle que naquit le concept d’anglais standard et
que l’on commença à faire la distinction entre la forme standard d’expression et les
formes régionales ou populaires. Pourtant, l’anglais n’était pas sans rival puisque le
latin, qui restait la langue du savoir et de la communication internationale, jouissait
toujours d’un grand prestige.
Durant la période moderne, si la structure de la langue a connu peu de
modifications en comparaison des siècles qui l’ont précédée, la création lexicale a,
en revanche, connu une expansion nouvelle. En effet, la Renaissance fut l’époque
de l’intérêt retrouvé pour les auteurs anciens, celle aussi de nombreuses
découvertes scientifiques, du rayonnement artistique et de l’exploration du monde
lors d’expéditions lointaines. Les conséquences sur le langage ne tardèrent pas à se
faire sentir, car le manque de mots pour exprimer les concepts nouveaux conduisit
à la recrudescence des emprunts, surtout au latin et au grec, mais aussi au français,
à l’italien, à l’espagnol, au portugais et à d’autres langues encore.
Ainsi, les deux corpus utilisés dans le cadre de cette étude (mots terminés
en anglais par -aire et par -eur/-euse) comprennent principalement des termes
empruntés au français depuis la Renaissance jusqu’à la fin du XIXème siècle ou le
début du XXème siècle. Beaucoup de ces emprunts ont trait à des domaines aussi
variés que l’administration, l’économie, le monde militaire, la religion, la
médecine, l’alimentation, l’art, la mode, ou encore l’amour. C’est déjà pour
146
enrichir les mêmes champs lexicaux que l’anglais avait eu recours à l’emprunt au
français du XIème au XIIIème siècles.
Il ne faudrait pas conclure trop rapidement que l’anglais ne possédait pas
dans ses ressources propres la capacité à nommer certains concepts. D’ailleurs, des
mots d’origine romane et germanique coexistent aujourd’hui, avec des sens plus ou
moins différents, comme chasseur et hunter. Le terme d’origine romane possède
alors souvent une connotation sinon savante, du moins éduquée, et son usage est
plus restreint (dans l’exemple cité, il s’agit de l’art culinaire dans l’expression à la
chasseur). Notons qu’il arrive que les termes du doublet soient tous deux d’origine
romane, mais empruntés à des moments différents (par exemple dancer et
danseur).
Les emprunts n’étaient évidemment pas la seule façon pour l’anglais
d’étendre son lexique, les sources internes furent également utilisées: adjonction
d’affixes, recours à la conversion. En conséquence, à partir de la Renaissance,
l’anglais commença à apparaître comme une langue véritablement «hybride»: il
n’était pas simplement «émaillé» de mots d’origine étrangère, mais ces mots
étaient si bien intégrés à la langue qu’on pouvait leur adjoindre un préfixe ou un
suffixe germanique (ex. undoctrinaire). De même, des affixes d’origine latine (tels
que les suffixes -aire et -eur/-euse) pouvaient désormais être utilisés avec des
radicaux germaniques (ex. thousandaire).
1.3. Exemples tirés du corpus
Les exemples cités sont suivis de la période à laquelle l’Oxford English
Dictionary (OED) atteste leur première utilisation dans la langue anglaise.
-
-
Registre financier: beneficiaire, millionaire et numeraire (première moitié du
19ème siècle),
Registre administratif: secretaire et rapporteur (14ème siècle), notaire (15ème
siècle), procureur (fin du 16ème siècle), militaire (17ème siècle), commissaire et
propriétaire (18ème siècle), legionnaire et communautaire (19ème siècle),
protocolaire (20ème siècle),
Registre religieux: pensionnaire (14ème siècle dans le sens de person who receives
a pension), reliquaire (17ème siècle), confessionaire (18ème siècle),
Registre guerrier: tirailleur (fin du 18ème siècle), voltigeur et sabreur (19ème
siècle), torpilleur (20ème siècle),
Registre artistique: amateur, prosateur et litterateur (fin 18ème – début 19ème),
danseur/danseuse et art connoisseur (19ème siècle), auteur et porteur (20ème
siècle),
Registre de la santé: valetudinaire (17ème siècle), malade imaginaire et
accoucheur (18ème siècle), poitrinaire et masseur (19ème siècle), milieu interieur et
main d’accoucheur (20ème siècle),
Registre de l’alimentation: traiteur, primeur et restaurateur (18ème siècle), bon
viveur (19ème siècle), croque-monsieur et vin d’honneur (20ème siècle),
147
-
Registre de la mode et de la beauté: capillaire (18ème siècle), tricoteuse,
causeuse et coiffeur (19ème siècle), tailleur, charmeuse, poudreuse et luminaire
(20ème siècle),
Registre de l’amour: affaire de cœur (19ème siècle), grande amoureuse (20ème
siècle),
Registre des idées: raisonneur, doctrinaire et solidaire (19ème siècle).
2. CONSTITUTION DU CORPUS
2.1. Mots en -eur (-euse) / -aire
Les mots choisis pour notre étude sont d'origine romane. Dans ses travaux,
Lionel Guierre, phonologue français, spécialiste de la morphophonologie de
l’anglais, a mis en évidence que les emprunts contenant ces terminaisons tendent à
être accentués sur la syllabe finale. Ce comportement n’est pas typique des mots de
l’anglais qui présentent généralement, du fait de la logique germanique, leur
accent primaire à gauche. Ceci est en partie lié au fait que:
«The stress systems of Romance languages share a feature which is the exact opposite of
the stress systems of Germanic languages: stress is determined from the end of words (or
tone units) rather than from their beginning.» (Fournier 2007: 228).
En outre, considérant les langues comme des systèmes, il nous semble que,
comme selon Tournier:
«dans la plupart des cas, l’emprunt subit un processus d’adaptation qui tend à l’assimiler au
système linguistique de la langue emprunteuse. Cette assimilation concerne le signifiant
(graphique et phonique), les flexions et le contenu sémantique du mot.» (1993: 148)
Notre étude vise à analyser ces indices étymologiques et accentuels nous
permettant d’associer ces items aux langues romanes et à voir dans quelle mesure il
existe d’autres éléments pouvant témoigner du degré d’intégration de ces emprunts
au système de la langue anglaise.
2.2. Les sources
Nous avons effectué un relevé dictionnairique complet dans les sources
décrites ci-dessous, seuls les quelques noms propres présents dans la première
extraction ont été écartés.
L’Oxford English Dictionary (OED)
Ce dictionnaire est un ouvrage de référence pour les anglicistes qui a été
fondé en 1857 et comporte environ 600 000 entrées. Pour chaque emprunt
considéré nous avons relevé: l’étymologie, l’origine du mot, la date de première
apparition dans la langue, le sens, la catégorie syntaxique, la prononciation et
l’accentuation lorsqu’elle était indiquée. Notre travail traitant de l'anglais
148
contemporain, nous n’avons pas pris en compte les mots répertoriés comme
obsolètes.
Le Longman Pronunciation Dictionary (LPD)
Cette ressource est un dictionnaire de prononciation élaboré par le
phonologue Daniel Jones. Dans cet ouvrage sont données, pour les variétés de
l’anglais britannique standard et de l’anglais américain standard, les prononciations
principales et leurs variantes. Il comprend 135 000 entrées, les catégories n’étant
fournies que de façon sporadique (essentiellement en cas de mots pluricatégoriels).
La version que nous avons utilisée dans notre étude est la troisième édition,
publiée en mars 2008 et éditée par Wells.
Le Cambridge English Pronouncing Dictionary (EPD)
Au sein de ce dictionnaire, nous retrouvons le même type d’informations
que dans LPD. Cet ouvrage compte 80 000 entrées et la version à laquelle nous
avons eu recours est la 17ème édition.
Le Macquarie Dictionary (MD)
Il s’agit d’un dictionnaire d’environ 300 000 entrées qui recouvre
l’ensemble des mots et expressions usités en Australie. Nous nous sommes servis
de cette ressource pour compléter notre liste d’items, mais également pour
approfondir notre recherche sémantique en confrontant les données de MD à celles
de OED. MD nous a permis, tel OED, de pouvoir affiner nos informations en
termes de catégories, systématiquement présentes dans notre relevé pour chaque
entrée.
2.3. Les chiffres
Notre corpus brut présentait 301 mots, 214 en -eur (-euse) et 87 mots en aire. De ce corpus nous avons retiré 4 noms propres, ce qui nous laisse dès lors 168
mots en -eur, 42 mots en -euse et 87 items en –aire, soit un total de 297 mots.
Nous avons choisi de travailler à partir de sources très complètes (ie.
OED), pourtant le nombre d'items relevé peut paraître relativement restreint. Il
nous semble que ceci est directement lié à l'existence d'une concurrence suffixale
entre la langue source et la langue cible.
2.4. La concurrence suffixale
Par concurrence suffixale, nous entendons qu’il existe en anglais des
suffixes équivalents aux suffixes français -eur, -euse et -aire: -er, -or, -ess, et -ary.
Quelles sont les différences sémantiques marquées par l’utilisation d’une forme ou
d'une autre?
Le terme arbitrageur connaît un équivalent arbitrager, de même que
claqueur connaît un équivalent claquer. Ces paires ne montrent pas de différences
sémantiques notables. Il en est de même pour la paire pudeur / pudor.
Le terme repetitor est restreint au sens de tuteur universitaire, tandis que
celui de répétiteur recouvre en plus de ce dernier, le sens qu’on lui connaît en
149
français, à savoir la personne en charge des répétitions dans les domaines
artistiques.
A l’inverse, dans le cas de la paire poseur / poser, c’est le suffixé en -eur
qui revêt un sens plus restreint: il renvoie uniquement à une personne qui prend une
pose, alors que poser désigne également un examinateur.
Le cas de la paire railleur/railler a retenu notre attention pour une autre
raison puisque, contrairement à ce à quoi on pourrait s’attendre, c’est le terme
suffixé en -er qui est tombé en désuétude.
En ce qui concerne -aire, 42 cas de concurrence suffixale avec -ary sont
attestés. Une recherche avancée dans OED répertorie 1791 termes qui se terminent
en -ary. Cet écart démontre que la conservation du suffixe -aire en anglais
correspond à des besoins sémantiques.
Une différence sémantique apparaît nettement entre les emprunts et les
suffixations d’origine germanique. Ainsi, militaire renvoie à un soldat français
tandis que military fait référence au domaine militaire et à l’armée en général. Dans
le cas de pensionnaire/pensionary, le terme en -aire renvoie soit à un étudiant de
Cambridge soit à une personne versant une pension.
3. ANALYSE LEXICOGRAPHIQUE
L'apparition de ces termes en anglais relève d'un doule mouvement : un
phénomène d'emprunt direct et un processus de création lexicale.
3.1. Les emprunts directs
3.1.1. Les mots en -aire
La majorité des termes en -aire en anglais contemporain provient
d’emprunts directs au français. Sur les 87 termes attestés, 70 sont ainsi empruntés à
la langue française, sans modification de la catégorie grammaticale, et avec des
changements sémantiques rares et très localisés. L’estimation de la date de
l’emprunt est rendue possible grâce à OED qui répertorie les dates de première
occurrence des termes en anglais. La répartition des emprunts par siècle
d’apparition au sein de la langue anglaise débouche sur les résultats suivants:
20ème
siècle
9
19ème
siècle
18ème
siècle
17ème
siècle
autres
non-précisé
4
Tableau 1: Répartition des dates de première occurrence des 70 emprunts directs en -aire
selon les siècles
20ème siècle
19ème siècle
acquis communautaire, claire, extraordinaire, funiculaire,
luminaire, musée imaginaire, praire, protocolaire, undoctrinaire
affaire, ambulacraire, beneficiaire, calcaire, celibataire,
cessionaire, communautaire, concession(n)aire, cordon sanitaire,
150
18ème siècle
17ème siècle
Autres
doctrinaire, laissez-faire, legionnaire, milliardaire, millionaire,
multimillionaire, nécessaire, numeraire, ordinaire, parlementaire,
poitrinaire, questionnaire, réseau ordinaire, retardataire,
revolutionaire, savoir faire, scène à faire, sepiostaire, sociétaire,
solidaire, stationnaire, tout au contraire, vin ordinaire
capillaire, commissaire, commissionaire, confessionnaire, maire,
malade imaginaire, militaire, mousquetaire, proletaire,
propriétaire, secretaire, solitaire
elaire, reliquaire, valetudinaire
debonnaire (1230), mainfaire (1400), notaire (1474), pensionnaire
(1598)
Tableau 2: Liste des 70 emprunts directs au français en -aire attestés en anglais
contemporain
Les emprunts au français sont principalement concentrés sur la période du
19ème siècle. Cette activité se ralentit ensuite au 20ème siècle, en raison d’un
processus de reconnaissance suffixale et de création lexicale, preuve de
l’autonomie du suffixe en anglais. Les emprunts directs sont principalement des
suffixés en -aire renvoyant à son sens de base « qui est caractérisé par » le premier
élément, en l’occurrence la base française à laquelle est accolé le suffixe -aire. Les
exemples suivants sont particulièrement révélateurs: doctrinaire (doctrine),
legionnaire (légion), confessionnaire (confession).
Les emprunts investissent toutes les sphères sémantiques du vocabulaire
anglais, avec un penchant pour les domaines artistiques, juridiques et militaires. Le
cas de undoctrinaire, cité précédemment, mérite de plus amples explications. En
effet, l’emprunt concerne doctrinaire, qui subit une préfixation en un-, affixe
d’origine germanique. Cet adjectif illustre parfaitement le caractère hybride de la
langue anglaise, avec des emprunts d’origine romane, dont l’intégration à la langue
anglaise déclenche l’application des processus lexicogéniques propres à l’anglais.
3.1.2 Les mots en -eur/-euse
Sur les 210 termes en -eur/-euse de notre corpus, 193 sont des emprunts
directs au français. Les conclusions que nous pouvons en tirer sont sensiblement
équivalentes à celles dégagées de l’observation des termes en -aire. Les emprunts
sont principalement concentrés sur la période du 19ème siècle, avec un net
ralentissement du processus lors du 20ème siècle.
Cependant, l’emprunt ne constitue pas la principale source d’apparition des
termes en -aire, -eur et -euse en anglais. Un certain nombre d’entre eux sont issus
d’un phénomène de création lexicale.
3.2. Création lexicale
3.2.1 Reconnaissance suffixale et productivité lexicale
Le recours à l’emprunt au cours de l’histoire de l’anglais a une
conséquence non négligeable sur les processus lexicogéniques de cette langue. Le
151
terme emprunté à la langue source est incorporé de façon globale à la langue cible.
En d’autres termes, la structure morphologique du terme est opaque, car régie par
des mécanismes lexicogéniques propres à la langue source, en l’occurrence le
français. En revanche, devant l’afflux considérable d’emprunts, la sensibilité des
locuteurs anglais aux mécanismes morphologiques du français s’accroît, au point
de reconnaître l’existence des suffixes -aire, -eur et -euse, tout en conservant le
sémantisme issu du français.
Ainsi, ces suffixes deviennent productifs en anglais, et permettent de
former des substantifs ou des adjectifs. La particularité de ces suffixes est qu’ils
sont concaténés à des bases d’origine romane ou germanique. Ce processus de
création lexicale est particulièrement intéressant puisque la productivité des
suffixes français sur des bases romanes ou germaniques voit émerger des termes
non attestés en français, mais dont le sens est déductible.
De plus, la concurrence intra-matricielle au sein de la suffixation implique
que l’émergence de ces suffixes en anglais relève d’un choix délibéré. En effet,
nous avons montré précédemment que les suffixes français ont des équivalents
sémantiques en anglais (-ary et -er/-or…). Par conséquent, la productivité des
suffixes d’origine française en anglais contemporain est liée à des besoins lexicosémantiques.
Les sous-parties suivantes sont consacrées aux créations lexicales attestées
en anglais contemporain concernant les suffixes -aire, -eur (-euse).
3.2.2 Les créations en -aire
17 termes en -aire attestés en anglais contemporain sont le fruit d’une
création lexicale. En revanche, les mécanismes de formation à l’œuvre sont
différents. Le premier constat au regard de ces créations est que le suffixe -aire
semble peu productif en anglais. La question découlant logiquement de ce constat
est la suivante: a-t-il acquis une réelle reconnaissance suffixale en anglais? Les
trois adjectifs suivants semblent indiquer que c'est effectivement le cas:
thousandaire (thousand + -aire) 1896 = «qui a mille livres» (monnaie anglaise)
opinionnaire (opinion + -aire) 1939 = «document qui regroupe les opinions»
pillionaire (pillion + -aire) 1931 = «personne qui chevauche le siège arrière d’une
moto»
Ces trois créations sont particulièrement intéressantes, à plus d’un titre.
Tout d’abord, elles démontrent un potentiel de productivité du suffixe -aire en
anglais. De plus, l’étymologie diverse des bases démontre qu’il est actif aussi bien
sur des bases romanes (opinion) que sur des bases germaniques (thousand). Enfin,
le potentiel humoristique de ces créations en -aire émerge de pillionaire. Ce trait
humoristique est confirmé par l’observation des 14 créations restantes, qui
entretiennent un lien sémantique commun:
bazillionaire, bimillionaire, billionaire, demi-millionaire, gazillionaire, megamillionaire, multibillionaire, narco-billionaire, oilionaire, quadrillion(n)aire,
squillionaire, trimillionaire, trillionaire, zillionaire
152
Le rapport sémantique avec l’argent est évident au vu de la liste ci-dessus.
Pour être plus précis, tous ces termes se rapportent à millionaire. L’emprunt de
millionaire a débouché sur la création de tout un champ sémantique en relation
avec la notion de «millionaire», et dont les mécanismes de formation relèvent de
processus distincts. Ainsi, millionaire subit une préfixation dans les cas de
bimillionaire, mega-millionaire, trimillionaire et demi-millionaire. L’équivalent
anglais billion du français milliard est aussi utilisé comme base permettant de
générer billionaire et multibillionaire. En revanche, la détermination des processus
lexicogéniques des autres termes est plus difficile à déterminer. Les substantifs
suivants sont attestés en anglais, et supposent donc un processus de suffixation en aire: bazillion, gazillion, quadrillion, squillion, zillion.
Les substantifs ci-dessus ont un sens équivalent et renvoient à une très
grande quantité. Ces suffixations en -aire en anglais sont perçues comme des
formations humoristiques obtenues à partir du fonctionnement morphologique de
millionaire, et relatives à d'importantes sommes d’argent. La formation narcobillionaire relève elle d’un phénomène de composition et fait référence à une
personne devenue riche par l’intermédiaire du trafic de stupéfiants. Cependant, le
cas de oilionaire met à mal l’hypothèse de la suffixation en -aire. En effet, il s’agit
d’une formation amalgamée construite de la façon suivante: oil + -ionaire
(troncation antérieure de millionaire).
Il s’avère en réalité que les 14 formations relatives à la notion de
«millionaire» sont des amalgames formés à partir de -ionaire. Cette hypothèse
semble la plus pertinente pour déterminer le processus lexicogénique à l’œuvre
puisque le suffixe -aire ne peut véhiculer à lui seul le sémantisme de «millionaire».
Or, rien ne renvoie non plus à ce champ sémantique dans les substantifs bazillion,
gazillion, zillion… La seule possibilité est donc de les conceptualiser de la façon
suivante:
bazill(ion) + -ionaire
gazill(ion) + -ionaire
zill(ion) + -ionaire…
Les créations en -aire en anglais contemporain concernent donc
principalement des formations amalgamées obtenues à partir de l’interaction de la
base avec -ionaire. Les termes en -eur et -euse créés en anglais mettent en évidence
un fonctionnement similaire.
3.2.3 Les créations en -eur/-euse
L’observation des créations lexicales en -eur et -euse est plus complexe
que dans le cas de -aire. D’une part, le corpus est plus conséquent, mais d’autre
part, beaucoup de termes ont un sens altéré après l’emprunt. Par conséquent, des
substantifs tels que couleur, coureur et diseuse sont empruntés au français mais
adoptent un sens différent en anglais. Ainsi, couleur ne renvoie qu'à la couleur
rose, tandis que coureur ne concerne que les coureurs évoluant dans les bois. Enfin,
diseuse fait référence, en anglais, à une actrice spécialisée dans les monologues,
tandis que le terme français renvoie à une voyante. Ces phénomènes de transfert
153
sémantique vis-à-vis de la langue source constituent des voies à explorer qui feront
l'objet de recherches futures. De la même façon les modifications de genre qui
interviennent dans la langue réceptrice ne semblent pas prédictibles.
Les 17 créations en -eur (-euse) relèvent de trois processus distincts. Le
premier phénomène permettant de générer des termes en anglais est la
composition:
art connoisseur, delusions of grandeur, hunt saboteur, hunt saboteuse, physicianaccoucheur, pot-et-fleur, rank amateur, surgeon-masseur
Ces huit composés adoptent une structure similaire. Seul pot-et-fleur est
formé à partir de deux éléments d’origine française, tandis que les sept autres
représentent des compositions hybrides avec un élément d’origine française associé
à un élément d’origine germanique. La particularité de ces composés réside
également dans le type de composition adopté: la composition de type roman (N1
de N2) est minoritaire vis-à-vis de la composition de type germanique (N2 N1).
Les trois créations suivantes correspondent à des suffixations:
restauranteur, strippeuse, stripteuse.
Le terme restauranteur est une alternative au substantif restaurateur en
anglais contemporain, mais le recours à la fréquence démontre dans la partie
suivante qu’il est comparativement peu utilisé. Les substantifs strippeuse et
stripteuse renvoient au sémantisme de stripteaseuse tout en se construisant à partir
de bases anglaises.
Enfin, le processus de création atypique repéré en anglais concerne,
comme dans le cas des créations en -aire, des formes amalgamées, qui sont au
nombre de six: infopreneur, intrapreneur, netpreneur, netrepreneur, shamateur,
technopreneur.
Le cas de shamateur est isolé puisque sa création correspond au verbe
sham qui signifie «faire semblant», et à une troncation antérieure de amateur. Le
terme renvoie à un sportif professionnel qui concourt dans les compétitions
amateures dans le but de gagner de l’argent. La constitution morphologique des
cinq autres formes amalgamées est réductible à la relation suivante:
X- + (ent)(re)preneur
infointranettechno-
Le terme entrepreneur subit une troncation antérieure. Ces cinq substantifs
correspondent à des créations basées sur l’émergence de concepts liés aux
nouvelles technologies:
info(rmation) + (entre)preneur
intra- (préfixe) + (entre)preneur
154
(inter)net + (entre)preneur
(inter)net + (ent)repreneur
techno(logy) + (entre)preneur
Cette analyse morphologique et lexicographique a démontré que la
productivité des suffixes -aire, -eur et -euse est extrêmement réduite. La présence
en anglais contemporain de suffixes concurrents, d’origine germanique et
possédant un sémantisme moins marqué explique cette faible productivité.
Néanmoins, la présence de formes amalgamées répond à des besoins
lexicographiques précis : l’émergence de nouvelles industries et la notion d’argent
dans le cas de -aire (en dehors de son caractère humoristique). Elle provoque
l’apparition de formes atypiques en anglais, formes hybrides intégrant une
dimension sémantique du français, alliée à des processus lexicographiques propres
à l’anglais.
La prochaine partie vise à apporter un éclairage phonologique à ces
problèmes d’ordre lexicographique et morphologique. En effet, il convient tout
d’abord d’observer la fréquence d’apparition de ces créations en anglais, afin de
déterminer si ces formes amalgamées ne correspondent pas à de simples pulsions
ludiques. De plus, l’accentuation de ces termes pourrait également être riche
d’enseignements. Conservent-ils les propriétés phonologiques de la langue
d’emprunt ou adoptent-ils les caractéristiques de la langue réceptrice?
4. ECLAIRAGE PHONOLOGIQUE
Nous avons souhaité compléter notre corpus par des données
fréquentielles: les dictionnaires nous ayant permis de réunir une liste d'emprunts,
sinon exhaustive, tout du moins, représentative, nous avons choisi de procéder à
une analyse fréquentielle permettant de mettre en évidence la relative activité de
ces mots en anglais contemporain. Pour ce faire nous avons utilisé le Corpus of
Contemporary American English (COCA).
4.1. Les fréquences extraites de COCA
COCA est le plus grand corpus d’anglais accessible gratuitement en ligne
(http://corpus.byu.edu/coca/). Il a été créé par Mark Davies en 2008 et comporte
425 millions de mots issus de textes qui se répartissent en cinq catégories:
transcriptions de données orales, fictions, magazines, journaux et textes
académiques. 20 millions de mots ont été inclus chaque année dans le corpus
depuis 1990.
COCA propose des fonctions de recherches avancées qui nous ont
notamment permis de trouver, pour un item donné, une fréquence d’apparition
globale, ainsi que les fréquences par catégorie.
Le tableau 3 présente les effectifs par tranche de fréquences pour les 297
items concernés:
155
Tableau 3: Effectifs par classes de fréquences
Il est intéressant de noter en premier lieu, que la moitié des emprunts
étudiés a une fréquence nulle dans le COCA, ce que nous considérons comme un
signe de leur rareté en anglais contemporain. Il s'agit des mots suivants:
-en -eur/-euse (112 mots): à contre-cœur, à la chasseur, accoucheur, accoucheuse, affaire
d'honneur, affaire de cœur, arpenteur, art connoisseur, balayeuse, Beaujolais Primeur, bon
viveur, carillonneur, causeuse, chauffeur (v), chauffeuse, ciseleur, claqueur, commisvoyageur, cotillonneur, dame d'honneur, decoupeur, debiteuse, descendeur, diseur,
dormeuse, dynamiteur, ecraseur, en cœur, en grand seigneur, extincteur, fracteur, franctireur, friseur, frotteur, gaiété de cœur, graineur, grande amoureuse, hocheur, hunt
saboteur, hunt saboteuse, infopreneur, liqueur (v), lithofracteur, m'sieur, main
d'accoucheur, mauvais coucheur, melangeur, meuse (n), meuse (v), milieu intérieur,
mitrailleur, modérateur, netrepreneur, noceur, novateur, ouvreuse, par cœur, petroleur,
petroleuse, physician-accoucheur, piqueur, pisteur, plaisanteur, plastiqueur, portebonheur, poseuse, pot-et-fleur, porteur, poudreuse, première danseuse, procureuse,
proneur, prosateur, quatre-couleur, raconteuse, railleur, raisonneur (v), razeteur,
receveur, rédacteur, remueur, répétiteur, rose amateur, rôtisseur, sans peur, savateur,
siffleur, smeuse (n), smeuse (v), souffre-douleur, souteneur, strip-teaseuse, strippeuse,
stripteuse, surgeon-masseur, Swedish masseur, technopreneur, torpilleur, traceur,
trembleuse cup, tricoteuse, trotteur, veilleuse, vendangeur, vendeuse, vie d'interieur, vieux
marcheur,Virgouleuse, viveur, voltigeur, voyeur, vulgarisateur,
-en -aire (38 mots): ambulacraire, badelaire, beneficiaire, bimillionaire, calcaire,
capillaire, celibataire, cessionnaire, confessionaire, demi-millionaire, Frimaire,
funiculaire, mainfaire, narco-billionaire, nécessaire, oilionaire, pensionnaire, pillionaire,
poitrinaire, proletaire, propriétaire, protocolaire, quadrillion(n)aire, reliquaire, réseau
ordinaire, revolutionaire, scène à faire, sepiostaire, sociétaire, solidaire, stationnaire,
thousandaire, tout au contraire, trillionaire, trimillionaire, two-bob millionaire,
valetudinaire, Vendémiaire.
41,4% des items ont une fréquence comprise entre 1 et 100 sur 425
millions de mots que nous considérons comme une activité restreinte mais
manifestement existante. Nous les avons classés par ordre croissant de fréquence
d'utilisation:
-en -eur/-euse (83 mots): beau sabreur, blagueur, chronique scandaleuse, collaborateur,
diseuse, ecoteur, farceuse, micro-entrepreneur, précieuse, pro-amateur, regisseur, rondeur,
sabreur, tirailleur, vin d'honneur, vive l'empéreur, coiffeuse, intrapreneur, littérateur,
mitrailleuse, pasticheur, pesanteur, procureur, raisonneur, chasseur, coureur, cuisine
minceur, douceur, rongeur, shamateur, soigneur, Swedish masseuse, tailleur, traiteur,
156
colporteur, migraineur, plongeur, premier danseur, primeur, animateur, longueur,
merveilleuse, farceur, netpreneur, berceuse, coiffeur, droit(s) du (de) seigneur, pudeur,
radio amateur, conteur, couleur, danseur, persifleur, social entrepreneur, bateleur, cœur,
minceur, bricoleur, jongleur, restauranteur, danseuse, religieuse, rank amateur, sieur,
monseigneur, arbitrageur, croque monsieur, cri de cœur, special rapporteur, rapporteur,
charmeuse, agent provocateur, poseur, flâneur, delusions of grandeur, voyageur, seigneur,
fleur, hauteur, saboteur, masseur, raconteur, chanteuse,
-en -aire (40 mots): malade imaginaire, milliardaire, mousquetaire, musée imaginaire,
paper millionaire, parlementaire, squillionaire, undoctrinaire, mega-millionaire,
numeraire, praire, bazillionaire, commanditaire, debonnaire/debonair, retardataire, acquis
communautaire, claire, Cuisenaire rods, communautaire, vin ordinaire, notaire, Brumaire,
cuisenaire, gazillionaire, cordon sanitaire, luminaire, secretaire, opinionnaire,
commissionaire, commissaire, ordinaire, maire, militaire, zillionaire, affaire,
multibillionaire, savoir faire, legionnaire, au contraire, concession(n)aire.
8,1% des emprunts ont, quant à eux, une fréquence supérieure à 100 et
nous les considérerons comme d'usage relativement courant en anglais
contemporain. Il s'agit des mots suivants, classés par ordre croissant de fréquence
d'apparition:
-en -eur/-euse (15 mots): masseuse, provocateur, auteur, voyeur, de rig(u)eur, chartreuse,
restaurateur, connoisseur, liqueur (n), derailleur, chauffeur (n), monsieur, grandeur,
entrepreneur, amateur.
-en -aire (9 mots): frigidaire, doctrinaire, extraordinaire, solitaire, multimillionaire,
laissez-faire, billionaire, millionaire, questionnaire.
4.2. Accentuation lexicale
Afin de traiter de l'accentuation lexicale nous avons relevé les
accentuations attestées dans les dictionnaires suivants: LPD, EPD, MD et OED.
Dans de rares cas, les dictionnaires proposaient des schémas accentuels différents
et nous n'avons alors retenu que la prononciation indiquée dans LPD pour l'anglais
britannique.
Comme le montre le tableau 4, les dictionnaires ne proposaient aucun
schéma accentuel pour 30% des items concernés.
Tableau 4: Données chiffrées du «nettoyage» du corpus en vue de l'analyse de
l'accentuation lexicale
157
Par ailleurs, nous remarquons que 3% des emprunts au français étudiés ici
sont des monosyllabes et nous les avons donc retirés pour cette partie de l'analyse
du fait que la détermination de leur schéma accentuel ne pose pas de problème.
Finalement, 67,3% des items sont concernés par l'analyse du schéma
accentuel, soit 200 mots.
Parmi ces items nous observons une accentuation finale dans environ 90%
des cas:
Tableau 5: Répartition des schémas accentuels: données chiffrées
Ainsi, une très grande majorité des emprunts en -eur/-euse, -aire en anglais
contemporain conservent l'accent démarcatif final des groupes intonatifs du
français. Il s'agit des mots suivants qui ne connaissent aucune variante (sauf
accoucheur, accoucheuse, railleur, seigneur et voyeur qui ont tous les cinq une
variante accentuelle sur la pénultième et colporteur une variante sur
l'antépénultième):
-en -eur/-euse (118 mots): à contre-cœur, accoucheur, accoucheuse, affaire d'honneur,
affaire de cœur, agent provocateur, animateur, arbitrageur, arpenteur, auteur, beau
sabreur, berceuse, bon viveur, bricoleur, carillonneur, chanteuse, chartreuse, chasseur,
coiffeur, colporteur, connoisseur, cri de cœur, croque monsieur, cuisine minceur, danseur,
danseuse, de rig(u)eur, debiteuse, decoupeur, descendeur, diseur, dormeuse, douceur,
ecoteur, ecraseur, entrepreneur, farceur, farceuse, fracteur, franc-tireur, hauteur,
intrapreneur, jongleur, liqueur (n), liqueur (v), littérateur, longueur, m'sieur, main
d'accoucheur, masseur, masseuse, mauvais coucheur, melangeur, merveilleuse,
migraineur, milieu intérieur, minceur, mitrailleur, mitrailleuse, modérateur, monseigneur,
monsieur, noceur, novateur, ouvreuse, par cœur, pasticheur, pesanteur, petroleur,
petroleuse, piqueur, pisteur, plaisanteur, plastiqueur, plongeur, porte-bonheur, poseur,
poseuse, pot-et-fleur, poudreuse, précieuse, premier danseur, première danseuse, primeur,
procureur, procureuse, proneur, prosateur, provocateur, pudeur, quatre-couleur,
raconteur, raconteuse, railleur, raisonneur, raisonneur (v), rapporteur, razeteur, receveur,
rédacteur, regisseur, religieuse, remueur, répétiteur, restauranteur, restaurateur, rondeur,
rongeur, rôtisseur, saboteur, seigneur, smeuse, social entrepreneur, strippeuse,
technopreneur, traceur, voyeur (n), voyeur (v).
-en -aire (61 mots): acquis communautaire, affaire, ambulacraire, au contraire,
bazillionaire, billionaire, Brumaire, calcaire, celibataire, cessionnaire, commissaire,
commissionaire, communautaire, concession(n)aire, cuisenaire, Cuisenaire rods,
debonnaire/debonair, doctrinaire, extraordinaire, frigidaire, Frimaire, gazillionaire,
legionnaire, malade imaginaire, mega-millionaire, militaire, milliardaire, millionaire,
mousquetaire, multibillionaire, multimillionaire, musée imaginaire, nécessaire, notaire,
numeraire, oilionaire, ordinaire, paper millionaire, parlementaire, pensionnaire,
158
pillionaire, poitrinaire, proletaire, propriétaire, protocolaire, quadrillion(n)aire,
questionnaire, reliquaire, réseau ordinaire, retardataire, revolutionaire, sepiostaire,
sociétaire, solidaire, squillionaire, stationnaire, thousandaire, trillionaire, trimillionaire,
Vendémiaire, zillionaire.
4.3. Les mots qui ne sont pas accentués sur la finale
Les 10,5% de mots qui présentent un schéma accentuel non final sont
présentés dans les tableaux 6 et 7:
Tableau 6: Emprunts en -eur/-euse non accentués à la finale classés par schéma accentuel
Le schéma accentuel de la plupart de ces mots peut s'analyser en utilisant
les règles morphophonologiques développées dans l’Ecole de Guierre. Ainsi, la
référence au dérivant permet d’expliquer une accentuation en /10/ pour charmeuse
(ie. charm), derailleur (ie. derail, préfixé non substantif), grandeur (ie. grand). Il
est également possible que l'existence du mot battle en anglais contemporain ait un
impact sur l'accentuation du très proche bateleur; de même le morphème -port peut
tout à fait être reconnu du fait de l'existence du paradigme purport, support,
import, export et avoir une influence non négligeable sur la détermination du
schéma accentuel de porteur. Les règles d'accentuation des dissyllabes et
trisyllabes permettent de rendre compte du fait que chauffeur (n et v), chauffeuse et
claqueur sont accentués à l'initiale et netpreneur, persifleur, amateur, pro-amateur
et shamateur en /(-)100/.
159
Tableau 7: Emprunts en -aire non accentués à la finale classés par schéma accentuel
De même, les schémas accentuels de ces 6 mots en -aire peuvent
s'expliquer à l'aide des règles d'accentuation de l'anglais. La référence au dérivant
est importante dans le cas de opinionnaire (ie. opinion); la reconnaissance de main
dans mainfaire peut avoir un impact sur son schéma accentuel; la détermination
accentuelle des mots composés explique le schéma à l'initiale de laissez-faire.
Enfin, la règle normale permet de rendre compte du schéma en /100/ de badelaire,
luminaire et solitaire.4
Le déplacement de l'accent vers la gauche témoigne, pour ces mots, d'une
diminution de l'influence des structures suprasegmentales de la langue source dans
laquelle l'accent démarcatif est final. Pour eux, la logique romane laisse place à la
logique germanique présente en anglais. Si l'on s'intéresse par ailleurs à la
fréquence des items concernés, on se rend compte que la plupart d'entres eux sont
relativement fréquents. Ainsi, d'un point de vue global, la fréquence moyenne des
297 items pris en compte est de 95 occurrences pour 425 millions de mots tandis
que la fréquence moyenne des mots dont l'accentuation est non-finale est de 407
occurrences pour 425 millions de mots. Il se pourrait donc que plus un mot est
utilisé et plus il est susceptible d'intégrer les caractéristiques phonologiques de la
langue qui l'accueille.
4.4. Accentuation des créations lexicales
Si l'on s'intéresse de plus près aux créations lexicales, on remarque que les
éléments chiffrés sont globalement semblables aux données qui concernent les 297
items étudiés:
Tableau 8: Effectifs pour l'étude des schémas accentuels des créations lexicales
160
Environ 64% des items ont une accentuation attestée dans au moins une
source. Parmi eux, plus de 81% connaissent une accentuation finale, témoin de la
persistance de la logique romane pour ces mots dont seule la terminaison a été
empruntée au français. 4 mots connaissent cependant une accentuation non finale:
netpreneur, netrepreneur, shamateur et opinionnaire.
5. CONCLUSION
Cette étude des emprunts au français en -eur (-euse) / -aire en anglais
permet de mettre en évidence l’intégration de ces suffixes en anglais contemporain.
Celle-ci est notamment caractérisée par la productivité lexicale.
La fréquence d’utilisation d’un mot est souvent liée à son niveau
d’intégration dans la langue et il se pourrait que celle-ci constitue un indice de son
adaptation au système phonologique.
Bien que les processus lexicogéniques à l’œuvre relèvent de l’anglais, les
caractéristiques accentuelles du français sont conservées dans 90% des cas,
également dans les cas de création.
NOTES
1
Ce dialecte est parfois appelé anglo-normand (ce qui risque, à tort, de faire croire qu’il s’agit d’une
variété d’anglais). Il différait du français central, mais nous désignerons globalement ces deux
dialectes par le terme général de français.
2
Une langue vernaculaire est une langue parlée seulement à l’intérieur d’une communauté. Dans le
contexte qui nous intéresse, ce terme en souligne également l’absence de prestige.
3
Mais il faudra attendre 1731 pour que les tribunaux cessent d'utiliser le français.
4
Pour des éléments plus précis concernant la détermination du schéma accentuel en anglais on pourra
se référer à Fournier 2010.
BIBLIOGRAPHIE
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Crystal, D. (2002): The English Language (2nd ed.), London: Penguin.
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corrigée), Paris: Nathan.
Wells, J.C. (2008): Longman Pronunciation Dictionary (3rd édition), London:
Longman.
162
LE PROJET FROMISEM:
BILAN ET PERSPECTIVES*
Daniela DINCĂ
Université de Craiova, Roumanie
Membre FROMISEM
1. INTRODUCTION
L’étude des mots empruntés à d’autres langues reflète l’évolution et la
transformation de la société, en général, et de son vocabulaire, en particulier. Les
linguistes sont généralement unanimes pour reconnaître que tout contact plus ou
moins prolongé entre deux ou plusieurs langues entraîne inévitablement des
interférences linguistiques dont le degré le plus élevé est représenté par l’emprunt
lexical. Le français et le roumain illustrent avec prégnance ce phénomène, surtout
dans le cas de ce qu’Alf Lombard (1969) appelle «emprunts à distance», qui, à côté
des contacts directs, ont profondément modifié la physionomie lexicale de la
langue roumaine.
Ce qui explique en fait l’ouverture de la langue roumaine vers la réception
permanente des mots d’origine française est, d’une part, la conscience de l’origine
romane commune des deux peuples et de leur parenté linguistique, et d’autre part,
la valorisation du prestige culturel de la France au début du XIXème siècle et des
relations d’ordre politique, économique et culturel existantes entre la France et la
Roumanie. En effet, il y a deux siècles, le français était considéré comme la langue
universelle de l’Europe, même s’il était confiné aux cercles de l’élite.
Le sigle FROMISEM représente l’abréviation d’un titre beaucoup plus
généreux qui se propose de surprendre quelques aspects essentiels concernant
l’étude des emprunts lexicaux: Typologie des emprunts lexicaux français en
roumain. Fondements théoriques, dynamique et catégorisation sémantique. Les
objectifs majeurs poursuivis par le projet ont été:
1) Définir les concepts opérationnels mobilisés dans la recherche;
2) Constituer un corpus général des emprunts lexicaux français en
roumain;
3) Analyser les problèmes étymologiques posés par les emprunts lexicaux ;
4) Faire l’analyse sémantique comparative des mots roumains et de leur
étymon français en vue de l’élaboration d’une typologie sémantique des emprunts
français en roumain.
163
2. PRÉSENTATION DES PRINCIPAUX RÉSULTATS DE LA
RECHERCHE
Comme c’est l’heure de bilan pour le projet FROMISEM, cette
présentation synthétique mettra en évidence les principaux résultats obtenus par
l’équipe de recherche pendant le déroulement du projet (2009-2011).
2.1. Définir les principaux concepts opérationnels mobilisés dans la
recherche
Dans une première étape, nous avons fait la présentation critique de la
terminologie roumaine en ce qui concerne la définition des concepts opérationnels
mobilisés dans la recherche: emprunt, gallicisme, néologie, néologisme, néonyme,
étymologie multiple, etc. Cela nous a paru nécessaire d’autant plus que les ouvrages
théoriques consacrés à ces aspects ont un caractère plutôt confus. Là où la
linguistique roumaine n’a pas encore opéré une délimitation claire des concepts et
de leur aire d’utilisation, les membres du projet ont essayé de préciser, d’une
manière argumentée, le sens dans lequel ils les ont employés.
Nous voulons illustrer la démarche terminologique par l’analyse d’un seul
terme, celui d’emprunt lexical.
Le terme emprunt, qui comporte une certaine ambiguïté, a deux acceptions
fondamentales: (i) élément emprunté à une autre langue (Dimitrescu 1994); (ii)
processus d’intégration d’un élément dans une langue («l’emprunt est une forme
d’expression qu’une communauté linguistique reçoit d’une autre communauté»
(Deroy 1956). Vu sa deuxième acception, l’emprunt peut être considéré comme
l’un des principaux mécanismes de la création néologique, étant souvent la solution
la plus viable pour remplir les lacunes lexicales et, par conséquent, pour enrichir
l’inventaire des éléments lexicaux d’une langue. Il est favorisé par des facteurs
extralinguistiques tels que le voisinage, les rapports économiques, politiques et
culturels de deux ou plusieurs communautés.
Mais les emprunts ne sont pas sans poser des problèmes, dont, en
particulier:
a. les problèmes sociolinguistiques des différences de statut axiologique
entre les langues (cf. Arrivé et al. 1986: 244-252);
b. l’intégration (phonologique, orthographique, morphosyntaxique,
sémantique) de l’unité empruntée dans la structure de la langue réceptrice;
c. l’établissement correct de l’étymologie du mot emprunté, etc.
Du point de vue de l’intégration phonologique, orthographique,
morphosyntaxique et sémantique des emprunts français dans la langue roumaine,
nous avons identifié trois sous-classes :
(i) les emprunts naturalisés, assimilés par la langue réceptrice;
(ii) les xénismes – des mots étrangers considérés du point de vue des
locuteurs en fonction de leur forme exotique (Chadelat 2000);
164
(iii) les pérégrinismes (Kocourek 1982: 133) - des mots voyageurs ou
migrateurs considérés du point de vue linguistique en fonction d’une place
hypothétique au sein du système susceptible de les adopter. Dimitrescu (1994)
identifie cette dernière catégorie avec les franţuzisme et donne comme exemple:
boutique (avec sa variante butică), milieu, grand-guignol, cache-radiator, coupé,
voyeur, voyeurisme, café-concert, policier, café, frappé, clou.
On outre, si l’on veut trouver des points communs et divergents, les
xénismes sont dus à des contacts culturels et ils sont le résultat d’une attitude
cosmopolite des locuteurs qui veulent utiliser des mots étrangers pour la couleur
locale par rapport aux pérégrinismes, qui sont définis comme des éléments ayant
une utilisation assez restreinte, des mots à la mode, ayant donc un caractère
arbitraire. Sur la même ligne, Deroy ajoute que: «le pérégrinisme appartient
souvent à la langue cultivée, savante, écrite » pour annoncer un peu après que « le
pérégrinisme appartient souvent aux langues spéciales» (Deroy 1956: 224).
Un autre terme qui a commencé à gagner du terrain les derniers temps est
celui de gallicisme. Défini par le TLFi comme «emploi, tournure propre à la langue
française» (Dict. XIXe et XXe s.) ou «emprunt d’une langue étrangère au
français», ce terme a eu, au début, le sens de «construction française abusivement
introduite dans une autre langue». Étymologiquement, il s’agit du «dérivé savant
du lat. gallicus, v. gallican; suff. –isme» (TLFi), ce qui le situe dans la catégorie
des mots ressentis comme étrangers dans une langue, tout comme les grécismes, les
latinismes, les germanismes, les anglicismes, les italianismes et les hispanismes.
Par conséquent, un emprunt est ressenti comme un étrangérisme jusqu’à sa
naturalisation complète et à son intégration dans la langue réceptrice.
2.2. Constituer un corpus général des emprunts lexicaux français en
roumain
Pour constituer le corpus-registre des emprunts lexicaux roumains au
français, nous avons pris comme point de départ le Dicţionarul explicativ al limbii
române (DEX), le plus grand dictionnaire d’usage général de la langue roumaine,
publié par l’Institut de Linguistique „Iorgu Iordan - Alexandru Rosetti” de
l’Académie Roumaine. Sa première édition date de 1975 et les autres éditions
(1996, 1998) se sont beaucoup enrichies, de sorte que son édition actuelle (1998)
contient 65 000 mots.
Ce corpus-registre a été publié sous la forme d’un Dicţionar de
împrumuturi lexicale din franceză (DILF) qui est à même d’offrir des indications
précieuses sur les divers aspects linguistiques que soulèvent les emprunts : nombre
et importance, force dérivative, problèmes d’étymologie, particularités
sémantiques, etc.
Pour ce qui est de la structuration du Dictionnaire, celui-ci a été conçu en
deux sections différentes, qui correspondent à deux catégories d’emprunts:
165
1. Emprunts à étymologie uniquement française: mots considérés comme
pénétrés du français en roumain, c’est-à-dire des mots venus indubitablement par
filière française et seulement française.
2. Emprunts à étymologie multiple, y compris française. Ce sont des mots
dont la filière de pénétration peut être due non seulement au français, mais aussi à
d’autres langues où circule le même mot.
C’est grâce au DILF qu’on a pu faire une statistique sur un corpus de
grandes dimensions concernant le nombre de mots à étymon français et établir ainsi
leur pourcentage dans le lexique du roumain. Il faut tenir compte du fait que les
statistiques faites jusqu'à présent reposent sur des dictionnaires de dimensions
différentes et surtout, sur des dictionnaires généraux (Candrea, Macrea), sur des
dictionnaires de néologismes (Dimitrescu) ou sur des fonds principaux (Graur,
Sala), ce qui explique les grandes fluctuations concernant les chiffres obtenus.
Auteur
Alexandru Graur
(1954)
Marius Sala
(1988)
Ouvrage
Pourcentage
de mots
français
1%
Incercare asupra fondului principal lexical al
limbii române
Nombre de mots recensés: 1.419
Vocabularul reprezentativ al limbilor romanice 22,12%
Nombre de mots recensés: 2.581
Dimitrie Macrea
(1961)
Dicţionarul enciclopedic ilustrat «Cartea
Românească» d’A. Candrea (1931)
Nombre de mots recensés: 43.269
Dimitrie Macrea Dicţionarul limbii române moderne (DLRM)
(1961)
(1958)
Nombre de mots recensés: 49.649
Florica Dimitrescu Dictionar de cuvinte recente (1982)
(1994)
Nombre de mots recensés: 3.749
29,69%
38,42%
19,3%
Pour ce qui est de la statistique faite sur le DILF, nous avons obtenus les
chiffres suivants:
A. Mots-bases
Mots à étymologie uniquement française
Total
B. Mots dérivés
Mots a étymologie multiple, y compris 9,04%
française
39,64%
Mots à étymologie uniquement française et 7,87%
multiple
47, 51 %
Total général
166
30,60%
À juger d’après le corpus élaboré jusqu’à présent, on pourrait formuler les
considérations suivantes:
1. le point de départ de notre statistique est le plus grand dictionnaire
d’usage général de la langue roumaine, qui comprend 65 000 mots, faisant ainsi
une large place aux néologismes;
2. la plupart des emprunts au français appartiennent à la catégorie des mots
à étymologie uniquement française (30%) et si l’on ajoute les mots à étymologie
multiple, y compris française, le pourcentage atteint 39% sur l’ensemble du
dictionnaire, ce qui rapproche notre statistique de celle faite par Macrea sur le
DLRM (39%). Cela pourrait constituer un argument que les mots d’origine
française ont pénétré massivement jusqu'à la moitie du XXème siècle. Dans les
dernières décennies on parle d’une invasion d’anglicismes dans le lexique de la
langue roumaine;
3. le total général de 47% est assez relatif, tributaire aux indications
étymologiques du dictionnaire utilisé pour cette recherche, ce qui impose une
recherche étymologique minutieuse pour vérifier les étymologies présentées dans
le dictionnaire de départ avec le DA, DLR et le DER;
2.3. Aspects étymologiques
En ce qui concerne les aspects étymologiques, nous avons appuyé notre
analyse sur la typologie suivante:
1) Emprunts à étymologie uniquement française
À juger d’après le DILF, la plupart des emprunts roumains au français
appartiennent à cette catégorie (30,60%)
2) Emprunts à étymologie multiple
Selon le registre DILF, la première source indiquée le plus souvent dans le
cas des étymologies multiples est le français. Le latin savant et l’italien suivent le
français, selon la fréquence des renvois. Il y a peu de situations où l’étymologie
française soit en alternative avec des langues non romanes. Il s’agit dans ce cas du
néogrec, de l’allemand, du russe et, enfin, surtout ces derniers temps, de l’anglais
qui est, du point de vue lexical, assez ‘romanisé’. Pourtant, les cas dans lesquels on
peut établir sans aucun doute le rôle et l’importance des langues indiquées dans une
étymologie multiple sont en général rares (Ivănescu 1980: 671).
3) Emprunts à étymologie incertaine ou controversée
Il s’agit en premier lieu de mots où il n’y a pas moyen de faire une
distinction nette entre emprunt et création interne. Les cas de désaccords entre les
dictionnaires ne sont pas négligeables: les mots sont considérés comme dérivés en
roumain ou empruntés au français. Souvent sont prises en compte les deux
hypothèses. Par exemple, ultrasonoterapie est considéré comme formé de
ultrasonic + terapie (DEX) ou venant directement du fr. ultrasonothérapie (DLR).
Les étymologies multiples et les mots dérivés sont donc deux points
faibles qui attendent encore une tentative de solution de la part des chercheurs, au
niveau de la théorie linguistique ainsi que de l’activité lexicographique.
167
2.4. Typologie sémantique des emprunts français en roumain
Sur l’ensemble des ouvrages consacrés aux emprunts lexicaux, l’étude du
sémantisme des mots roumains à étymon français a été, dans une certaine mesure,
négligée, malgré le fait que cet aspect est fort révélateur pour le caractère réceptif
et créatif du roumain. C’est pourquoi une direction de notre recherche a été
l’analyse sémantique comparative des lexèmes qui appartiennent à divers microchamps et de leurs étymons français afin d’esquisser une typologie sémantique de
ces emprunts.
En outre, du point de vue sémantique et pragmatique, l’emprunt lexical se
relève en tant que marqueur socio-culturel qui reflète les changements de nature
sociale, politique et culturelle existants dans la vie d’une communauté à un certain
moment donné ; c’est un indicateur d’univers mentalitaire ou bien un élément
distinctif entre les langues au niveau axiologique (cf. Arrivé et al. 1986: 244-252).
Les études sémantiques menées dans le cadre de ce projet ont fait relever la
typologie suivante:
(i) conservation - totale ou partielle - du sens / des sens de l’étymon
français, (parfois avec le maintien en roumain d’un sens aujourd’hui disparu en
français);
(ii) innovations sémantiques opérées en roumain, ayant comme point de
départ une signification de l’étymon français. Ces innovations se manifestent à
travers divers mécanismes sémantiques : extensions analogiques et restrictions de
sens, métaphorisations, passages métonymiques, glissements connotatifs, etc.
À noter que ces deux catégories, le plus souvent, se superposent (v. Iliescu
et all. 2010). Sablayrolles considère d’ailleurs que «les deux grandes voies
reconnues de la néologie sémantique sont la métaphore et la métonymie»
(Sablayrolles 2000: 155), procédés qui reposent sur la similitude entre les deux
référents.
2.4.1. Conservation totale des sens de l’étymon français
La conservation totale des sens de l’étymon français est une situation
fréquente, surtout dans le cas des mots appartenant à un domaine scientifique et
technique, à une terminologie :
cenomanian (du fr. cénomanien), desherenţă (du fr. déshérence), dol (du fr. dol),
galactic (du fr. galactique), imparisilabic (du fr. imparisyllabique), impunitate (du
fr. impunité), juxtapoziţie (du fr. juxtaposition), macrofotografie (du fr.
macrophotographie), necrobioză (du fr. nécrobiose), paleografie (du fr.
paléographie), postverbal (du fr. postverbal), radiolarit (du fr. radiolarite),
recriminatoriu (du fr. récriminatoire), spectrograf (du fr. spectographe), toxicoză
(du fr. toxicose), etc.
Quant aux signifiants, il est facile de constater leur ressemblance ou même
leur identité dans les deux langues, sauf les quelques adaptations orthographiques
et phonétiques imposées par la langue réceptrice.
168
2.4.2. Conservation - totale ou partielle - du sens / des sens de l’étymon
français, avec le maintien en roumain d’un sens aujourd’hui disparu en français
- fr. chouette / roum. şuetă
Fr. chouette, s.f. 1. (Ornith.) rapace nocturne de la famille des Strigidés; 2. (Jeux)
a) faire la chouette: jouer seul contre plusieurs, notamment au trictrac, au billard;
b) jeu de la chouette: jeu analogue à celui de l’oie; je fais la chouette à trois
personnes, signifiant «j’entretiens correspondance avec trois personnes» (Littré,
1971).
Roum. şuetă, s.f. conversation légère, spirituelle et amusante entre amis.
Malgré le fait que le signifiant du mot roumain prouve son origine
française, le sens de «bavardage, conversation familière» ne se retrouve pas dans
les dictionnaires français. C’est Littré (1971) qui vient à l’aide de l’étymologiste.
Sous le deuxième sens de chouette (comme terme de jeu) on trouve l’exemple
figuré je fais la chouette à trois personnes, signifiant «j’entretiens correspondance
avec trois personnes». Si, en français, ni le sens de «jeu» ni le sens de
«correspondance» n’ont survécu, en roumain il existe encore aujourd’hui un sens
dérivé de l’expression faire la chouette, avec un petit transfert de ‘correspondance
(écrite)’ à ‘conversation (orale)’ (Iliescu 1998). Ce sens est encore bien vivant,
surtout dans la langue littéraire soignée.
2.4.3. Conservation partielle des sens français et création de nouveaux
sens en roumain
Un grand nombre de signifiés des emprunts au français ont subi des
modifications plus ou moins importantes dans leur passage du français au roumain.
Le plus souvent, les significations fondamentales du mot français se retrouvent
aussi en roumain, mais cette langue, sur la base des processus sémantiques
complexes mentionnés ci-dessus, a développé des sens nouveaux.
La création d’un nouveau exige que le locuteur connaisse le sens
fondamental du mot emprunté. Cela veut dire que l’adjonction d’un sens figuré
vient en deuxième position, après que les locuteurs ont fait un certain usage du mot
emprunté.
- fr. mansarde / roum. mansardă
Fr. mansarde, s.f. 1. (archit.) comble brisé à quatre pans appelé aussi comble à la
Mansart, ou à la mansarde, ou en mansarde; 2. pièce aménagée sous un comble
brisé; p. anal., toute pièce à plafond bas et dont un mur au moins est en pente selon
l’inclinaison du toit; 3. fenêtre pratiquée dans la partie verticale d'un comble brisé.
Roum. mansardă, s.f. 1. (archit.) étage situé sous le toit d’une maison; 2. chambre
ou ensemble de chambres habitables situées sous le toit (ayant le plafond ou les
murs obliques); (fig., dans l’expres. a fi deranjat la mansardă) être déséquilibré.
Le cas du mot roumain mansardă est très intéressant puisqu’il a repris les
sens fondamentaux de son étymon français, mais, en plus, par métaphore et
glissements connotatifs, il est aujourd’hui employé dans toute une série
d’expressions de la langue parlée
169
La mise en parallèle des significations données par les dictionnaires
français et roumains montre que, à partir du sens fondamental («pièce ou ensemble
de pièces sous le toit d’un bâtiment»), emprunté au français, le mot roumain
mansardă est employé comme métaphore pour désigner la tête des personnes, dans
un sens positif ou négatif.
Le sens mélioratif se retrouve dans des expressions comme: o mansardă
bine echipată (trad. litt. «une mansarde bien équipée»), ce qui veut dire «une
personne compétente et intelligente» ou a-şi mobila mansarda (trad. litt. «meubler
sa mansarde»), qui signifie «s’informer, se documenter, se former».
Le sens péjoratif, par lequel le locuteur met en doute la santé mentale de
quelqu’un, est présent dans des expressions comme: a avea păsărele / lilieci la
mansardă, (trad. litt. «avoir des oiseaux / des chauves-souris à la mansarde»), a fi
deranjat la mansardă (trad. litt. «être dérangé à la mansarde»), signifiant toutes
«être déséquilibré».
2.4.4. Mots avec des sens métaphoriques familiers ou/ et argotiques en
roumain
- fr. salon / roum. salon
Fr. salon s.m. I. 1. pièce aménagée avec un soin particulier où l’on reçoit les
visiteurs; (p. méton.) mobilier de cette pièce; 2. demeure privée où la maîtresse de
maison reçoit; (p. ext.) lieu de réunions mondaines; II. 1. pièce d’un édifice public
réservée aux réceptions; 2. grande salle où on organise des expositions; (p. méton.)
exposition périodique d’œuvres d’artistes vivants; (p. anal.) grande exposition,
généralement annuelle où sont présentés les produits d’une branche particulière de
l’industrie ou du commerce; lieu de cette exposition; 3. (arg.) dans des locutions:
salon calin, salon contact, etc. (cf. ARG FAM).
Roum. salon, s.m. 1. chambre d’une habitation, destinée à recevoir les invités; 2.
salle pour des festivités, bals, fêtes publiques; salle pour les expositions
périodiques de peinture, sculpture, etc.; (p. ext.) les expositions présentées dans
cette salle; réunion à caractère culturel, artistique, mondain, etc.; 3. chambre à
plusieurs lits, dans un hôpital. 4. (fam., dans l’expres.) a fi salon (trad. litt.) «être
salon» avoir un comportement irréprochable.
Le mot roumain salon, sauf son sens principal de «pièce aménagée avec
soin particulier où l’on reçoit les visiteurs et l’on se réunit en famille et entre
amis» (cf. TLFi), a acquis des connotations dans les locutions familières, presque
argotiques, du type a fi salon «être de bonne qualité / se comporter d’une manière
distinguée» et à l’impératif: fii salon, «comporte-toi comme il faut, d’une façon
convenable». On peut employer le mot même comme adjectif épithète: Paul e un
băiat salon («Paul est un type bien élevé»).
2.4.5. Emprunts roumains au français enrichis par l’anglais
Une autre catégorie d’emprunts qui a fait l’objet de notre analyse
sémantique contient les mots roumains d’origine française qui se sont enrichis
sémantiquement sous l’influence de l’anglais grâce à leur ressemblance formelle
évidente.
De ce point de vue, Costăchescu (2010) a identifié les cas suivants:
170
(i) mots français du roumain enrichis sémantiquement par l’anglais;
(ii) mots français repris partiellement en anglais et en roumain;
(iii) mots anglais d’origine française revenus en français et repris en
roumain.
2.4.5.1. Mots français du roumain enrichis sémantiquement par l’anglais
Il s’agit de la re-sémantisation de beaucoup de mots roumains, en fait des
emprunts au français, sous l’influence de l’anglais.
- fr. appliquer / angl. apply / roum. a aplica
Fr. appliquer 1. poser, mettre en contact; 2. utiliser qch. pour obtenir un certain
résultat; 3. employer pour un usage déterminé, faire servir dans une situation
donnée; 4. (pronom.) apporter beaucoup d’attention, faire des efforts.
Angl. apply 1. poser, mettre en contact; 2. utiliser, employer; 3. faire une requête,
d’habitude officielle et écrite; 4. ~ oneself travailler dur.
Roum. aplica 1. mettre une chose sur une autre, la fixer, l’unir; 2. mettre quelque
chose en pratique, employer; (vieilli) se dédier, étudier qch. a se aplica la algebră
«s’appliquer à l’étude de l’algèbre».
En roumain, les dictionnaires enregistrent pour le verbe a aplica (ayant une
double étymologie possible, du français ou du latin) les sens fondamentaux du
verbe français. Récemment, le verbe a aplica, accompagné souvent par la
préposition la, a acquis un sens supplémentaire, celui de «requête officielle» dans
des syntagmes comme a aplica la universităţi din străinătate / la un job «faire une
requête pour être inscrit à des universités étrangères / pour un travail», un calque
sémantique de l’anglais, le locuteur roumain ayant eu, inconsciemment, l’intuition
du lien qui existe entre le mot anglais to apply et le verbe roumain a aplica, à
savoir le même étymon.
2.4.5.2. Mots français repris partiellement en anglais et en roumain
- fr.toupet / angl. toupee / roum. tupeu
Fr. toupet n. m. I. 1. petite touffe de poils; touffe de cheveux sur le sommet du
crâne; 2. (expr.) (faux) toupet postiche qui recouvre le sommet du front; 3.
vieillot, ridicule; 4. touffe de crins; II. (fig.) assurance, aplomb mêlé d’effronterie:
il a un sacré toupet!
Angl. toupee n. 1.boucle de cheveux artificiels portée sur le sommet de la tête,
portée tant par les hommes que par les femmes au 18ème siècle; (usuel) touffe de
cheveux artificiels; (vieilli) personne qui porte le toupet; personne à la mode.
Roum. tupeu, n.n. 1. audace qui dépasse les limites convenables; effronterie,
impertinence; impudence; 2. (au théâtre) touffe de cheveux de diverses couleurs,
collé à la limite des cheveux, sur le front et qu’on peigne avec ses propres
cheveux.
Dans le processus d’accueil des mots français, l’anglais et le roumain ont
pris parfois une partie des significations de l’étymon, souvent pour des raisons
historiques. Dans le cas du mot toupet, le lexème est entré en anglais avec le sens
propre «mèche postiche de cheveux», puis il
a connu en français un
171
développement connotatif «assurance effrontée», que l’anglais n’a pas repris. Le
mot est arrivé en roumain, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, avec le sens
connotatif. Le sens du mot roumain est plus péjoratif que son correspondant
français et, à présent, il y a la tendance vers un emploi plutôt positif dans des
formulations du type: Invaţă engleza cu tupeu litt. «apprends l’anglais avec
toupet».
Cette analyse sémantique comparative met en valeur le lien entre le
vocabulaire d’une langue et l’histoire de la communauté linguistique qui la parle.
En anglais, l’emprunt est survenu à une époque où les coiffeurs l’employaient,
tandis qu’en roumain le mot a seulement le sens figuré car il a été repris beaucoup
plus tard, à la fin du XIXème siècle, quand les personnes n’utilisaient plus le toupet
pour leurs coiffures.
2.4.5.3. Mots anglais d’origine française revenus en français et repris en
roumain
Beaucoup de mots d’origine français ont acquis en anglais des
significations spéciales et sont entrés en français et en roumain avec ce nouveau
sens. Pour cette catégorie de mots, les dictionnaires roumains mentionnent souvent
une double étymologie, française et anglaise.
- fr.corner / angl. corner / roum. corner
Fr. corner n. 1. point de convergence de deux lignes, de deux surfaces; angle; 2.
partie angulaire entre deux lignes ou surfaces convergentes ou la limite d’un objet
ou d’un territoire; la zone d’un terrain de sport, près de l’intersection de la ligne
latérale avec la ligne du but; 3. (fooball) le tir d’un angle du terrain obtenu par
l’équipe à l’attaque pour punir l’équipe dont un membre a envoyé le ballon au-delà
de la ligne du propre but; un des quatre angles d’un ring de boxe; 4. zone privée,
secrète ou isolée; situation difficile ou embarrassante, de laquelle il est difficile ou
impossible de sortir; 5. possession d’un stock suffisamment grand d’un produit
pour permettre la manipulation des prix; accaparation 6. point à partir duquel
apparaissent des changements significatifs.
Angl. corner n. m. 1. arrangement entre spéculateurs en vue d'obtenir la maîtrise
du marché d'un produit dont on provoque artificiellement la hausse en acquérant
les stocks disponibles; 2. (sport) fait qu'un joueur envoie le ballon derrière sa
propre ligne de but, cette faute entraînant à titre de sanction un coup de pied de
remise en jeu accordé à l'équipe adverse et tiré à partir d'un coin du terrain; (p.
méton.) coup de pied de remise en jeu accordé à l'équipe adverse.
Roum. corner1 n. n. sanction accordée en faveur de l’équipe à l’attaque sous la
forme d’un coup de pied de remise en jeu, tiré à partir d’un coin du terrain, si un
défenseur a envoyé le ballon derrière sa propre ligne de but; de angl., fr. corner.
Roum. corner2 forme simple d’organisation monopoliste qui consiste dans un
arrangement entre spéculateurs pour acheter des marchandises et les vendre à des
prix élevés; mot anglais.
En anglais, le sens de «coin» a eu des développements sémantiques
intéressants dans le langage du sport, puisqu’il désigne le coin de repos d’un ring
de boxe ainsi que le coin d’un terrain de football ou de hockey. Par extension, le
règlement de ces deux jeux sportifs désigne par le mot corner la faute commise par
172
un joueur qui a envoyé le ballon derrière la ligne de but de son équipe ainsi que le
coup accordé à l'équipe adverse à la suite de cette faute et qui est exécuté de l’angle
du terrain. En français le mot est revenu à la fin du XIXème siècle, pour le football,
avec le même passage métonymique de «lieu» à «action exécutée dans/ de ce lieu».
En roumain, la situation du mot est tout à fait similaire à celle du français,
puisqu’on y retrouve les significations décrites ci-dessus. La seule différence se
manifeste au niveau lexicographique: les dictionnaires considèrent qu’il s’agit de
deux mots homonymes, à cause de leur étymologie: le mot avec la signification
boursière provient directement de l’anglais américain, tandis que le mot
appartenant au vocabulaire sportif est indiqué avec une étymologie multiple, les
dictionnaires mentionnant l’anglais mais aussi le français, fait qui suggère comme
filière possible du mot le trajet anglais - français - roumain.
3. EN GUISE DE CONCLUSION
1. L’influence française représente sans conteste le principal moyen
d’enrichissement et de modernisation du roumain, ainsi que de redéfinition de sa
physionomie néo-latine, dans l’aire de la romanité sud-est européenne. C’est un
exemple unique d’influence d’un adstrat de prestige, à distance, qui s’explique
aussi par le penchant que les couches intellectuelles roumaines ont toujours eu et
ont encore pour la France, considérée comme une sœur aînée.
2. La dynamique du vocabulaire roumain actuel est mise en évidence par le
fait que le fonds néologique continue de s’enrichir (voir dans ce contexte les
nombreux dictionnaires de néologismes / mots récents parus au cours des dernières
années ou bien les nouvelles éditions mises à jour, révisées et corrigées des
dictionnaires existants déjà, mais qui ne réussissent pourtant pas à tenir le pas avec
l’avalanche des mots nouveaux qui entrent dans la langue).
3. Les modifications sémantiques subies par les emprunts au français
montrent la vivacité et l’originalité de la langue roumaine, qui a su intégrer les
éléments étrangers dans son propre système lexical et sémantique, leur accordant
une valeur particulière (dans l’acception saussurienne du mot).
4. Les études menées dans le cadre de ce projet se constituent dans un
miroir des tendances enregistrées dans l’évolution du roumain sous l’influence du
français, mettant aussi en évidence les changements culturels, sociaux et
historiques des deux sociétés parlant ces deux langues. Le comparatisme
linguistique a été ainsi doublé d’un comparatisme socio-historique étant donné que
l’emprunt témoigne a la fois de l’idéologie elle-même d’une langue, et,
conséquemment, du peuple qui la parle.
5. En fin de compte, on pourrait dire que le projet FROMISEM a frayé un
chemin dans l’étude des emprunts lexicaux avec les instruments de l’analyse
sémantique et lexicographique et que cette recherche a ouvert de nouvelles pistes
de recherche dans les domaines de la lexicologie et de la lexicographie romanes :
(i) Étude des emprunts lexicaux au français du point de vue étymologique ;
173
(ii) Dynamique des emprunts dans les principaux domaines de
manifestation: vocabulaire général vs. vocabulaires spécialisés;
(iii) Adaptation des emprunts aux systèmes graphique, phonétique et
morphologique de la langue roumaine.
NOTE
* L’article est publié dans le cadre du projet de recherche FROMISEM (PN II – IDEI 383/2008),
financé par le CNCS–UEFISCDI.
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175
DES EMPRUNTS D’ORIGINE FRANÇAISE DANS
LA LANGUE ROUMAINE ACTUELLE:
LE DOMAINE CULINAIRE*
Ramona DRAGOSTE
Lycée ”Dimitrie Filişanu” Filiaşi, Roumanie
Membre FROMISEM
L'influence française sur la société roumaine, exercée d’une manière
cohérente et continue depuis la fin du XVIIIème siècle, a touché différents secteurs
de la vie publique. L'un des domaines dans lequel cette influence s'est manifestée
de façon spectaculaire a été celui culinaire.
En ce qui suit, nous présenterons quelques-uns des emprunts d’origine
française entrés en roumain du domaine culinaire, comme les noms de certains
gâteaux: şarlotă (du fr. charlotte, dessert nommé d'après la reine qui a vécu entre
1744 et 1818) jofră (un dessert existant seulement en Roumanie, inventé en 1920
par les frères Capşa en l'honneur du maréchal français Joffre, qui a visité la
capitale roumaine, Bucarest), amandine (du fr. amandine – le roumain a importé du
français seulement le sens culinaire et non pas celui de cosmétique) baiaderă (du
fr. bayadère: même si le gâteau existe dans les deux langues, ce sens n’est attesté
ni dans les dictionnaires français, ni dans les dictionnaires roumains), flan (du fr.
flan), etc.
Dans le cas des mots présentés nous avons analysé le contexte historique et
social dans lequel ces termes sont entrés en roumain ainsi que les extensions ou les
restrictions sémantiques et les changements d’ordre formel.
1. fr. amandine / roum. amandină
FR. amandine, adj./ s.f. 1. (adj.) qui a la forme de l'amande; 2. qui contient des
amandes; 3. (subst.) sorte de cosmétique dont l'amande forme la base et dont on se
sert pour se laver les mains et même le visage; 4. gelée comestible où entrent des
amandes ou de l'huile d'amandes; 5. globuline retirée de divers fruits (TLFi); 6.
petit gâteau frais aux amandes (GR).
Étymologie : dér. de amande + suff. -in; amande < lat. pop. amandula (altération
du lat. amygdala) (GR, TLFi).
ROUM. amandină, s. f. 1. cremă de migdale (DN); 2. prăjitură preparată din
ciocolată şi cremă (de migdale) (DEX, DN, MDN); 3. bomboană în formă de
1
migdală, umplută cu cremă de ciocolată şi tăvălită în cacao (DEX).
176
En français, amandine signifie tout ce que contient de l’amande sous
différentes formes, ou ce qui est en forme d'amande: tartes, crèmes, produits de
beauté. Le mot est attesté en français pour la première fois dans la 19e édition du
dictionnaire Larousse (1866), où il signifie «sorte de cosmétique dont l'amande
forme la base et dont on se sert pour se laver les mains et même le visage»
Le roumain n'a pas importé le sens cosmétique de ce terme, mais
seulement celui culinaire. En roumain, amandine est un gâteau à la crème
d’amandes, ou des bonbons en forme d'amande. Dans l’usage actuel, amandine (le
gâteau) n'a plus rien de la signification originale, parce que rarement il contient la
crème d'amandes; caractéristique pour ce gâteau est devenu le glaçage au chocolat.
De même, les bonbons appelés «amandines» n’ont plus nécessairement la forme
d'amande.
2. fr. entrecôte / roum. antricot
FR. entrecôte s.f. 1. tranche de viande de bœuf coupée dans la région des
côtes (TLFi, GR); 2. (fam.) côte (humaine) (GR).
Étymologie: entre + côte; entre < lat. inter; côte < l'anc. forme coste < lat. costa
(GR, TLFi).
ROUM. antricot, s.n. 1. carne de vacă, de oaie sau de porc provenită din regiunea
intercostală; (p. ext.) friptură din această carne; cotlet (DLRC, DEX, DN, MDN,
2
DGE); 2. (intl.) bărbat slab / costeliv / jigărit (ARGOU).
A l'origine, en français ce mot a été du genre masculin (GONCOURT,
Journal, 1859, p. 584-TLFi), mais aujourd’hui il est féminin. Comme son nom
l'indique, entrecôte signifie en français une «tranche de viande de bœuf coupée
dans la région des côtes» (TLFi).
En roumain, le mot est devenu, grâce à l'adaptation phonétique, antricot.
Ainsi, le mot «antricot» peut-il designer un morceau de viande de la région
intercostale, provenant aussi d'autres animaux et pas seulement la viande de bœuf.
Par extension, en roumain antricot se réfère aussi au rôti de cette viande.
Des réminiscences de la signification française «côte» se trouvent dans
l'argot roumain, ou antricot désigne un homme très maigre (Dictionnaire d'argot
du roumain), qui n’a que la peau sur les os. Si maigre qu’on peut voir les côtes
sous la peau. On peut clairement observer que ce sens est directement liée à
l'original français (côte) et qui a peu à faire avec le sens de «rôti».
3. fr. bayadère / roum. baiaderă
bayadère, s.f./ adj. 1. danseuse sacrée hindoue; 2. p. ext. danseuse professionnelle
de spectacle; 3. (avec valeur d'adj. modes. drap, étoffe, tissu bayadère) étoffe en
soie, en coton ou en aine à larges rayures multicolores; 4. robe bayadère (TLFi,
GR).
177
Étymologie: empr. d'abord par l'intermédiaire d'un texte néerl., au port. bailadeira
< vb. bailar < lat. ballare (GR, TLFi).
baiaderă, s.f. 1. dansatoare indiană care execută dansuri rituale sau laice (DA,
3
DLRC, DLRM, DEX, DN, MDN).
Le premier sens de ce mot en français et en roumain désigne une
«danseuse sacrée hindoue (TLFi) qui exécute des danses rituelles ou laïcs (d’après
les dictionnaires roumains). » Comme un sens dérivé du premier, en français
apparaît aussi l’extension «danseuse professionnelle de spectacle» (TLFi); cette
signification en roumain n'est attesté que dans le DA:
«Dănţuitoare (de teatru, etc.). „Nobilul poet [Ienăchiţă Văcărescu] ştiuse a se
înconjura, cu o rafinare adevărat orientală...de toate desfătările simţurilor. O
mulţime de fete, tinere şi gingaşe nimfe şi baiadere, îmbrăcate cu cele mai luxoase
veşminte, cu rochii cu şaluri...îi slujeau” (Alexandru Odobescu).»4
Ainsi, au début du XIXème siècle, le deuxième sens du français était-il
encore fonctionnel en roumain.
Le troisième sens en français est utilisé dans le domaine vestimentaire,
désignant une «étoffe en soie, en coton ou en aine à larges rayures multicolores».
Dans le dictionnaire roumain de textile on-line il y a l’explication suivante:
«Ţesătură cu dungi, adesea regrupate spre bordură, dungi transversale de diferite
lăţimi, în culori vii, uneori contrastante sau prost asortate. Această ţesătură este
5
adesea utilizată la confecţionarea fustelor.»
Ni les dictionnaires roumains, ni les dictionnaires français n’attestent le
sens culinaire de bayadère. En français, bayadère est un dessert qui peut prendre
différentes formes et compositions (comme on peut le voir en consultant les sites
culinaire français), par exemple: «bayadère de fruits rouges à la mousse de
mascarpone » (http://www.recettes-et-terroirs.com/recette_detail-16-373.html).
En roumain, il ya a une particularité du gâteau appelé « bayadère » :
indépendamment de sa composition, ce gâteau doit toujours être recouvert d'une
couche de chocolat, qui est caractéristique aussi pour le dessert appelé «négresse»,
à partir des similitudes physiques (de couleur de la peau des danseuses indiennes
ou des femmes africaines) (cf. les sites culinaires roumaines).
4. fr. bistro(t), - ote / roum. bistrou
FR. bistro(t), -ote, s.m./ f. 1. (fam.) petit café, petit restaurant sympathique et
modeste; 2. (p. méton.) le patron de cet établissement (TLFi, GR); 3. (au fém.,
bistrote) femme qui tient un café (TLFi).
Étymologie: orig. obsc.; à rattacher au poit. bistraud (GR, TLFi); prob. de
bistouille (GR).
178
ROUM. bistrou, s.n. 1. mic local în care se servesc aperitive, băuturi (răcoritoare)
6
(DEX, DN, MDN).
Le mot roumain bistrou provient du français bistro (on rencontre aussi la
forme bistrot). En français, le mot bistro désigne «un petit café, un petit restaurant
sympathique et modeste» et aussi «le patron de cet établissement», où l’on sert
principalement des boissons et des nourritures (TLFi). En roumain, le sens de
«patron d’un petit café» n’existe pas. DEX et DN considèrent le mot bistrou
comme un gallicisme.
En français, il n'y a pas d’unanimité sur l'étymologie du mot bistro /
bistrot, donc plusieurs hypothèses sont discutées. L’une des variantes considère le
mot bistrot comme un régionalisme qui, au XIXème siècle, s’été imposé partout: le
poitevin bistraud ou le mot du sud de la France bistroquet. Une autre hypothèse est
plus proche du mot bistrouille qui, dans le nord de la France, désignait un mélange
de café et d'alcool.
On constate aussi le rapprochement de l’argotique bistingo, qui signifie
«cabaret» (TLFi). Une autre opinion est celle d’une étymologie populaire, qui
rapproche le mot français bistrot du mot russe bîstro «vite». La légende dit que
pendant l'occupation russe de Paris (1814-1818), les soldats russes entraient dans
les restaurants pour boire de l’alcool. Comme ils n’avaient pas le droit d’entrer
dans les restaurants et qu’ils avaient peur d’être surpris par leurs gradés, ils
pressaient sur des serveurs français, en criant «bîstro».
En roumain, le mot bistro connaît de nos jours une revitalisation parce que
de nombreux restaurants portent ce titre, ce qui confère un certain prestige et un air
de bohème. Si, en France, le bistrot signifie un petit restaurant, sans grandes
prétentions, où l'atmosphère est l’élément le plus important, la tendance actuelle en
Roumanie transforme le bistro dans un restaurant avec des touches de luxe, ayant
comme public cible le nouveau riches.
Au-delà de l'usage familier, on trouve une acception officielle du mot
bistrot, dans le document intitulé Normele metodologice privind clasificarea
unităţilor de alimentaţie publică «Normes pour la classification des établissements
d’alimentation publique». Ici, le bistrot est considéré comme une unité de
«restauration rapide» et il est défini ainsi:
«Bufetul tip expres – bistrou - este o unitate cu desfacere rapidă, în care fluxul
consumatorilor nu este dirijat, servirea se face de către vânzător, iar plata se face
anticipat.
Unitatea
este
dotată
cu
mese
tip
expres.»
(http://
7
rotur.ro/index.jsp%3Fpage%3 Dleg_tur%26tip%3Dalimentatie).
5. fr. flan / roum. flan
FR. flan, s.m. 1. (pâtiss.) crème sucrée à base d’œufs, de lait et de farine que l'on
fait prendre au four; (p. méton.) tarte garnie de cette crème. (TLFi, LITTRÉ, GR);
2. (numism.) disque de métal destiné à la frappe d'une monnaie, d'une médaille
179
(TLFi); 3. (typogr.) carton enduit d'une colle spéciale que l'on applique humide sur
des caractères mobiles afin d'en prendre l'empreinte pour le clichage (TLFi, GR);
4. (loc. pop.) en être, en rester comme deux ronds de flan; en rester comme du flan
(rare) être frappé de stupeur (TLFi); 5. [l'idée dominante est celle de hasard] (loc.
adv.) au flan. au hasard, sans préméditation. (synon. au petit bonheur); 6. (loc.
adj.) à la fla qui se laisse guider par le hasard (TLFi); 7. [l'idée dominante est
une idée d'amateurisme, de manque de soin] (loc. adj). à la flan. qui ne peut être
pris au sérieux. (synon. à la noix) (TLFi); 8. personne incapable (synon. imbécile)
(TLFi).
Étymologie: du germ. occid. flado, cf. l'a. h. all. flado (GR, TLFi).
ROUM. flan, s.n. 1. un fel de prăjitură cu cremă şi fructe. (DEX, DN); DN
8
precizează că există şi varianta „flanc”.
En roumain et en français, le premier sens du mot est celui de pâtisserie.
Mais si en français, flan est un dessert à la crème qui peut varier, en roumain flan a
évolué vers d'autres préparations: «flan au fromage», «flan aux courgettes», «flan
au thon et à la sauce aux poireaux», etc. (sens identifiables sur les sites culinaires).
Le roumain n’a pas pris le sens technique français du mot flan, celui
typographique, ni les expressions qui mettent en évidence soit l'idée de hasard, soit
le danger, la fidélité ou l'amateurisme. En roumain il existe, en revanche, le sens
numismatique, en dépit du fait qu'il n'est pas attesté par les dictionnaires roumains.
On trouve sur internet:
„Prima dintre acestea priveşte interpretarea unei serii de groşi „fără legendă”, cu
flanul mic şi greutatea redusă” (Ernst Oberländer-Târnoveanu, „Emisiunile
monetare bătute pe teritoriul Moldovei în vremea lui Ştefan cel Mare (1457-1504).
O analiză critică”, în Cercetări numismatice, IX-XI Bucureşti, 2003-2005, p.293399).
„Era mult mai uşor, dar şi mai rapid (şi fără pierderi de metal) să se realizeze
9
flanuri pătrate, nu rotunde” (Colecţionarul Român, nr.14, 26 aprilie 2008).
6. fr. - / roum. jofră
ROUM. jofră, s.f. 1. prăjitură de formă cilindrică din cremă de ciocolată acoperită
10
cu glazură (DEX, DN, MDN).
Ainsi que Marius Sala l’indique, ce mot n'est pas enregistré par les
dictionnaires français (Sala 2006: 128). Le nom de ce gâteau au chocolat vient du
nom propre Joffre (DN). Il s’agit du maréchal français Joseph Jacques Césaire
Joffre, qui, pendant la Première Guerre mondiale, a réussi à vaincre les armées
allemandes dans la bataille de la Marne (1914).
Le 20 août 1920, le maréchal Joffre a visité la Roumanie pour remettre la
Croix de Guerre à la ville de Bucarest et la médaille militaire au roi Ferdinand Ier
de Roumanie. Après la cérémonie, au Palais des Arts du Parc Carol, le maréchal a
été invité par le roi Ferdinand à un banquet, où on a servi le gâteau, créé
180
exclusivement en l'honneur du maréchal. Le dessert a obtenu un énorme succès
auprès des célèbres invités. Très peu connu est le fait que ceux qui ont créé ce
dessert étaient les frères Capşa (Constantin et Grigore); ces restaurateurs et
pâtissiers, propriétaires d’un fameux café de Bucarest, sont ceux qui ont apporté les
fondantes à Bucarest et les premiers qui ont introduit la production de crème
glacée en Roumanie.
À côté de la version adaptée jofră, en roumain il existe aussi le nom
prăjitură Joffre «gâteau Joffre»:
„Nu vreţi mai bine să încercaţi o jofră?” (hot city, 07.04.2010).
„Nimic nu se compară cu jofra!” (http://www.cafeneaua.com/ nodes/ show/
24592/ amandina-amandine-amandin/1).
„Aşa este tortul Joffre: blatul mic de înălţime şi cremă multă deasupra.”
(http://forum.desprecopii.com/forum/recipe.asp?action=info&id=518);
„Unul din preferatele sale e tortul Joffre, pe care a învăţat să-l prepare”
11
(Libertatea, 27 februarie 2009).
7. fr. patricien / roum. patrician
patricien, -ienne, s.m / f ./adj. 1. (hist. rom.) personne qui appartenait, de par sa
naissance, à la classe sociale la plus élevée chez les citoyens romains, qui jouissait
de nombreux privilèges et qui, à l'origine, pouvait seule prétendre à une haute
magistrature (TLFi, LITTRÉ, GR); 2. (p. ext.) personne issue de la noblesse, d'une
classe sociale privilégiée; 3. (p. anal.) celui ou celle qui appartient à une élite
(intellectuelle ou morale) (TLFi, LITTRÉ).
Étymologie: dér. de patrice + suff. -ien; patrice < lat. patricius < lat. pater (GR,
TLFi).
patrician, -ă, s.m. şi f. 1. (în Roma antică) membru al comunităţii gentilice, iar mai
târziu al aristocraţiei gentilice, care se bucura de toate drepturile şi privilegiile;
patriciu (DLR, DLRC, DEX, DN, MDN); 2. ( p. gener.) nobil, senior, aristocrat
(DLR, DLRC, DEX, DN, MDN); s.m. 3. cârnat preparat din carne de vită tocată,
cu condimente, care se consumă fript pe grătar (DLR, DLRC, DEX, DN,
MDN)adj. 4. de origine nobilă; rafinat (DLRC, MDN); 5. mândru, îngâmfat
12
(DN).
Le premier sens du français coïncide avec celui du roumain et se réfère à
l'aristocratie (et non seulement chez les Romains de la Rome antique), aux qualités
et aux défauts qui caractérisent cette catégorie sociale.
En roumain il existe un sens culinaire très bien développé et largement
utilisé: il s’agit de cârnat patrician «saucisse patricienne», mais un tel sens en
français n’existe pas. A l'origine, le nom patricien a été utilisé pour décrire la
quantité: les saucisses patriciennes étaient grandes, par opposition aux petites
saucisses (cf. Vlad Nicolau, Mai pe larg, despre mici, gustos.ro; Alex Lancuzov,
Nimic despre mititei, totul despre patricieni Radio România Actualităţi, 28 aprilie
2010). Du syntagme originaire saucisse patricienne l'adjectif est devenu
181
indépendant, se transformant en un nom, de sorte qu'aujourd'hui, on peut dire
seulement patricien pour designer ce type de saucisses.
Il semble que le célèbre humoriste N.T. Orăşanu a inventé le nom de
patriciens en 1912, après avoir fait la liste ludique des plats principaux du
restaurant La Iordache:
«Hazosul ziarist îi numea „patricieni". În faţa acestei situaţii neprevăzute,
patronului Iordache i-a venit inspiraţia să frigă patricienii pe grătar fără înveliş,
dar într-o forma mai mică.» (http:// www. ziua.net/ f.php? data=2008-0913
18&thread=192061&I d=7247&zyear =2006 & nswitch= 1&kword2=Ionut04).
8. fr. charlotte / roum. şarlotă
FR. charlotte, s.f. 1.(pâtiss.) entremets fait de marmelade de pommes ou de crème
fouettée entourée de tranches de pain beurrées ou de biscuits. (GR, TLFi,
LITTRÉ); 2. (habill.) large chapeau souple dont le bord est froncé de volants
(TLFi).
Étymologie: du prénom fém. Charlotte (FEW, GR, TLFi).
ROUM. şarlotă, s.f. 1. amestec de marmeladă şi pâine prăjită (DLR); 2. cremă
preparată din lapte, ouă, zahăr, frişcă şi gelatină (cărora li se adaugă şi fructe) şi
14
care se serveşte ca desert (DLR, DLRC, DEX, DN, MDN).
Charlotte est actuellement l'un des desserts les plus populaires en
Roumanie et le sens du mot a dépassé le sens primaire du français, celui de
«entremets fait de marmelade de pommes ou de crème fouettée entourée de
tranches de pain beurrées ou de biscuits» (TLFi). Dans les deux langues, cette
préparation a évolué: ainsi trouvons-nous en roumain et en français «charlotte de
légumes», «charlotte de veau », «charlotte aux champignons », etc.
Le dessert aurait été nommé ainsi en l'honneur de la reine Charlotte
(duchesse Sophie Charlotte von Mecklenburg-Strelitz), épouse de George III (roi
du Royaume-Uni et d’Irlande entre 1760 à 1801, puis roi du Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d’Irlande, entre 1801 et 1820). Le TLFi ne considère pas qu'il
existe des preuves suffisantes en faveur de cette hypothèse. Si l’éponyme du
dessert est la reine, son moment d’apparition peut être établi avec suffisamment de
précision, parce que la reine Charlotte a vécu entre 1744 et 1818.
En roumain, seulement le MDN atteste la contribution des biscuits à la
préparation de ce dessert; les autres dictionnaires (par exemple le DEX) proposent
comme définition seulement les différentes variétés de crème. La recette originale
de la charlotte a été inspirée par la crème bavaroise, qui a été inventée par les
Suisses.
Ce que le roumain n’a pas importé est le sens suivant: «large chapeau
souple dont le bord est froncé de volants» (TLFi). C’était un chapeau de dame,
populaire au XVIIIème siècle et au début du XIXème parmi les classes moyennes et
inférieures. On considère que le nom vient du nom Charlotte, à savoir de la célèbre
182
Charlotte Corday, qui, le 13 Juillet 1793, a tué Jean-Paul Marat. En 1838, nous
trouvons:
«[...] une duchesse porte des bonnets à la Charlotte Corday, une méthodiste porte
des turbans à la Juive [...]» D. de Girardin, Let. parisiennes, 258 (Charpentier).
C’était un bonnet comme celui porté par Charlotte Corday. Le chapeau de
type charlotte était encore connu en France au XIXème siècle comme le bonnet des
laitières (on remarque le sens péjoratif). Aujourd’hui, en France, c'est aussi le nom
du bonnet qui recouvre les cheveux dans certaines industries (en particulier les
industries agro-alimentaires, pharmaceutiques et parfois chimiques) et en chirurgie,
pour des raisons d'hygiène.
9. CONCLUSIONS
L’itinéraire des mots roumains empruntés au français est parfois sinueux,
car ils ont subi des extensions ou des restrictions sémantiques, des innovations
sémantiques, etc. L’histoire des mots pris du français doit être poursuivie en étroite
relation avec les transformations sociopolitiques et culturelles qui ont marqué
l'évolution de la société roumaine. Les mots français empruntés par le roumain ont
acquis d'autres sens par des relations de contiguïté avec les réalités qui les ont
transformées. Dans notre article nous avons analysé plusieurs transformations
subies par les mots roumains empruntés au français.
On constate de l'analyse des mots ci-dessus que les termes pris du français
ont évolué différemment à cause de plusieurs facteurs, dont l'action a été souvent
combinée. En partant des mots d’origine française, le roumain a prouvé des
valences créatives, par dérivation des sens et des formes; les mots empruntés au
français ont reçu, à l’aide des éléments roumains de composition, une nouvelle
vitalité.
NOTES
* L’article est publié dans le cadre du projet de recherche FROMISEM (PN II – IDEI 383/2008),
financé par le CNCS–UEFISCDI.
1 «amandine subst. fém. 1. crème d’amandes (DN); gâteau préparé de chocolat et de crème
(d’amandes) (DEX, DN, MDN); 3. bonbon à forme d’amande, remplie de crème de chocolat et
couvert de poudre de cacao (DEX)».
2 «entrecôte, subst. neutre. 1. viande de bœuf, de mouton ou de porc coupée dans la région
intercostale; (par extension) rôti préparé de cette viande; côtelette (DLRC, DEX, DN, MDN,
DGE); 2. (argot) personne très maigre, décharnée, efflanqué (ARGOU).»
3 «bayadère, subst. fém. 1. danseuse indienne qui exécute des danses rituelles ou laïques (DA,
DLRC, DLRM, DEX, DN, MDN).»
4 «Danseuse (de théâtre, etc.) «Le noble poète [Ienăchiţă Văcărescu] a su s’entourer, avec un
raffinement vraiment oriental … de tous les délices des sens. Il était servi par une foule de filles,
véritable nymphes, jeunes et délicates, habillées avec des vêtements luxueux, des robes et des
châles. » (Alexandru Odobesscu) »
183
5 «Tissu avec des rayures groupés souvent vers le bord ou avec des raies transversales de divers
largeurs, à couleurs vives et souvent mal assorties. Ce tissu est souvent employé façonner des
jupes.»
6 «bistro, subst. neutre 1. petit local où on sert des apéritifs, des boissons rafraichissantes.»
7 «Le buffet de type express - bistro - est une unité de restauration rapide, dans lequel le flux des
clients est dirigé; ils sont servi par le vendeur et la paie se fait en avance. L’unité est prévue de
tables de type express (où on reste debout).»
8 flan subst. neutre 1. type de gâteau à la crème, avec des fruits. (DEX, DN); le DN précise qu’il
existe aussi la variante flanc.
9 «La première <remarque> regarde l’interprétation d’une série de groschen «sans légende» de flan
petit et de poids réduit (Ernst Oberländer-Târnoveanu, „Emisiunile monetare bătute pe teritoriul
Moldovei în vremea lui Ştefan cel Mare (1457-1504). O analiză critică”, «Les émissions
monétaires frappées sur le territoire de la Moldavie à l’époque d’Étienne le Grand (1457-1504).
Une analyse critique» dans Cercetări numismatice, IX-XI Bucureşti, 2003-2005, p.293-399).
«C’était beaucoup plus facile et plus rapide (et sans perte de métal) de réalise des flans carrés au
lieu de ronds» (Colecţionarul Român, no.14, 26 avril 2008)
10 joffre, subst. fém. 1. petit gâteau à forme cylindrique, de mousse de chocolat et recouvert d’une
graçage de chocolat. (DEX. DN. MDN).
11 Ne voulez-vous pas essayer un joffre? (hot city, 07.04.2010).
Rien ne peut se comparer avec un joffre (http://www. cafeneaua.com/ nodes/ show/ 24592/
amandina-amandine-amandin/1).
Le gâteau Joffre est comme ça: le biscuit est très bas et il y a beaucoup de mousse au chocolat
dessus (http:// forum. desprecopii.com/forum/ recipe.asp?action=info&id=518)
Un de ses préférés est le gâteau Joffre, qu’il a appris à préparer (le journal Libertatea, 27 februarie
2009)
12 patricien, -nne, subst masc., fém 1. (dans la Rome antique) membre de la communauté gentilice,
et plus tard de l’aristocratie gentilice (DLR, DLRC, DEX, DN, MDN); 2. (par généralisation)
noble, seigneur, aristocrate (DLR, DLRC, DEX, DN, MDN; 3. subst. masc. saucisse de viande
de bœuf hachée, assaisonnée, qu’on mange rôtie sur le gril. (DLR, DLRC, DEX, DN, MDN)
adjectif 4. d’origine noble, raffiné ; 5. fier, présomptueux (DN).
13 «Ce journaliste très rigolo les appelle patriciens. Devant cette situation imprévue, le restaurateur
Iordache a eu l’inspiration de rôtir les patriciens directement sur le gril, mais dans une forme
plus petite.» (http:// www. ziua.net/ f.php? data=2008-09-18&thread=192061&I d=7247&zyear
=2006 & nswitch= 1&kword2=Ionut04).
14 «charlotte nom. fém. 1. mélange de marmelade et de pain grillé (DLR) ; 2. crème préparée de lait,
d’œufs, de sucre, de crème fouettée et de gélatine (à laquelle on ajoute des fruits), servie comme
dessert (DLR, DLRC, DEX, DN, MDN).
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186
PRÉSTAMOS DEL FRANCÉS EN EL LENGUAJE
ECONÓMICO ESPAÑOL Y RUMANO:
SINTAGMAS NOMINALES
Oana-Adriana DUŢĂ
Université de Craiova, Roumanie
1. INTRODUCCIÓN
En el contexto pragmático actual de un mundo globalizado, en el cual cada
vez adquieren más importancia las realidades económicas y financieras, el lenguaje
económico viene a ser uno de los campos donde más innovaciones y desarrollos se
observan. Consideramos que a la hora de analizar este proceso hay dos evoluciones
cronológicas significantes que se pueden recalcar. Primero, muchos términos
económicos se vulgarizan, pasando al lenguaje común y siendo utilizados por un
gran número de no especialistas. Segundo, una cantidad impresionante de términos
se presta de una lengua a otra, con pocas modificaciones o sin cambio alguno, ya
que, gracias a las nuevas tecnologías y medios de comunicación, un vocablo
extranjero se puede diseminar y acuñar fácilmente y rápidamente, mientras que el
proceso de creación lingüística interna sería más largo y difícil. Aunque
últimamente se habla cada vez más de la importancia del inglés y de los
anglicismos para el desarrollo del lenguaje económico a nivel mundial, nuestro
propósito es presentar y subrayar, en este artículo, la significante influencia del
francés en el lenguaje económico del castellano y del rumano. Nuestra tesis es que
en el lenguaje económico de estos dos idiomas las palabras de origen francés son
fundamentales.
2. CONSIDERACIONES TEÓRICAS
En primer lugar, cabe señalar que las lenguas especializadas
(también llamadas lenguas especiales, microlenguajes, lenguajes sectoriales, etc.)
son variaciones del sistema de la lengua común, caracterizadas por la especificidad
del léxico (términos específicos, que no se suelen utilizar en otros ámbitos), de la
sintaxis (combinaciones, colocaciones y estructuras sintácticas que resultarían
“anormales” en el lenguaje común) y de la configuración textual. Las lenguas
especializadas no se atienen a criterios geográficos (no son dialectos), ni a criterios
sociológicos (pues no corresponden a niveles socioculturales) y, generalmente,
para su adecuado manejo se necesitan competencias discursivas, culturales y
profesionales. A diferencia del argot, las lenguas especializadas identifican un
187
determinado dominio social y de actividad y no tienen finalidad críptica (v.
Rodríguez Díez 1979: 37). Dado su uso predilecto en ámbitos profesionales y para
la comunicación de informaciones científicas, las lenguas especiales se manifiestan
a nivel escrito, más que a nivel oral.
Aunque, por lo general, es difícil establecer la frontera entre una lengua
especial y la lengua común, Inmaculada Sanz (2009: 23-44) propone algunos
rasgos prototípicos del lenguaje especializado, que presentaremos brevemente en
las líneas siguientes. El lenguaje especializado es monosémico y utiliza un
vocabulario unívoco, ya que los tecnicismos y neologismos en pocos casos toleran
polisemia, sinonimia y homonimia; los neologismos se crean por composición,
derivación y préstamos léxicos. El lenguaje especializado es denotativo, realizando
una referencia estricta al objeto y rechazando el uso del lenguaje oblicuo. El
lenguaje especializado es objetivo y recurre a definiciones, enunciaciones,
descripciones, explicaciones, demostraciones y caracterizaciones sin involucrar
sentimientos o posturas personales. En el lenguaje especializado se valoran la
precisión y la claridad, se usan conectores para secuenciación simple, se recurre a
nominalizaciones y a tiempos verbales simples; suelen faltas las perífrasis verbales
y otros adornos retóricos. El lenguaje especializado está marcado por la
impersonalidad, el uso del plural de modestia, de la voz pasiva y del indicativo
presente (con valor gnoseológico). Finalmente, los lenguajes especializados son
universales, utilizan ejemplificaciones y convenciones metodológicas. Según el
ámbito profesional en y para el cual se utilizan, los lenguajes especializados
pueden clasificarse en: lenguaje económico, lenguaje jurídico, lenguaje médico,
lenguaje técnico, etc.
Dentro de las lenguas especiales, el lenguaje económico representa un caso
aparte, porque, en la actualidad, la información económica ya no queda restringida
al estrecho círculo de los especialistas, sino que se difunde mediante textos que
pueden ser interpretados correctamente por un conjunto de receptores mucho más
amplio. Tal como observa Nevado Llopis (2011: 10), esto se debe en gran medida a
la evolución y el desarrollo de la ciencia económica junto con la evolución
continua del mundo de los negocios en el ámbito internacional. Los medios
informativos, a través de su acción divulgadora, hacen llegar hasta el hombre de la
calle un caudal de neologismos y tecnicismos que, de otra manera, seguirían
limitados al ámbito de los especialistas. Esta tendencia favorece la interacción entre
la terminología científico-técnica y las estructuras lingüísticas de la lengua común,
por lo cual podríamos decir que el lenguaje económico es la lengua especializada
más fácil de entender para los hablantes no especialistas. Al igual que todos los
lenguajes especiales, el lenguaje económico presenta particularidades a nivel de
léxico (lexemas específicos, que no se utilizan en la lengua común; o lexemas de la
lengua común, utilizados con un sentido distinto); sintaxis (oraciones sencillas y
claras, tiempos verbales simples; alto uso de la fraseología profesional y de las
colocaciones); semántica y pragmática (textos denotativos, ausencia de los usos
figurativos, objetividad, propósito: informativo). El léxico o vocabulario
económico (que es la perspectiva que nos interesa para el análisis de los préstamos)
188
está constituido, en la economía actual, en su mayoría, por neologismos, entre los
que predominan las siguientes clases: extranjerismos, préstamos naturalizados,
calcos semánticos, términos formados a partir de creación neológica y términos que
tienen su origen en procesos de creación metafórica. El proceso de formación de
este vocabulario, que posee una estabilidad relativa, se ve sometido constantemente
a una sucesión de cambios y reajustes, por lo que las voces que lo componen
pueden tener una vida efímera. En ocasiones, la caída en desuso y posterior
desaparición de un término se deben a la connotación peyorativa que, en un
momento dado, haya llegado a alcanzar el concepto, objeto o actividad que designa
esa voz o a la desaparición o al desprestigio de los conceptos u objetos para cuya
denominación fueron acuñados. Resulta evidente que el nuevo vocabulario irá
creándose su propio prestigio, el cual dependerá directamente de la aceptación y
reconocimiento que la sociedad otorgue a cada uno de los términos. Es posible
afirmar, por lo tanto, que el nacimiento y la vida de los nuevos términos
económicos dependen en gran medida de factores sociolingüísticos. Este proceso
de acusada creación neológica se desarrolla dentro de una lengua de grupo o
metalenguaje cuyos protagonistas son tanto los especialistas (terminólogos-juristas,
políticos, economistas, etc.) como los no especialistas (periodistas y comunicadores
en general) y se refleja en momentos concretos que van desde la creación de
términos por parte de los terminólogos hasta la vulgarización de los mismos por
parte de los periodistas a través de procesos reformulativos.
En castellano, concretamente, el vocabulario económico se ha desarrollado
mediante varios métodos. Los préstamos son vocablos que han sufrido un proceso
de naturalización mediante el cual se han acomodado a la estructura del español,
pero conservan, en la medida de lo posible, el significante de la lengua de origen,
con alguna adaptación fonética y gráfica (finanzas < fr. finances, contabilidad < fr.
comptabilité, optimización <ingl. optimisation, maximización <ingl. maximisation). Los extranjerismos originan principalmente en Norteamérica y la mayoría
son vocablos relativamente recién introducidos (broker, consulting, joint venture).
Otros, en cambio, han permanecido en el vocabulario de la economía a lo largo de
los años sin sufrir ningún tipo de modificación en su estructura gráfica ni fonética
(marketing, holding, stand, slogan) Este último grupo de términos se emplea desde
hace más de treinta años en la lengua española y ha llegado a naturalizarse hasta tal
punto que estas palabras aparecen en la prensa desprovistas de marcas discursivas
como podrían ser la cursiva o las comillas, pero ello no quiere decir que hayan sido
aceptadas por la Real Academia Española. Entre los calcos semánticos destacan
aquellos que se acuñan a partir de significantes de la lengua receptora y, por
consiguiente, aportan un término nuevo. Un ejemplo de esta categoría sería fusión
(ingl. merger), concepto metafórico ampliamente empleado por los economistas
para referirse a la operación financiera que consiste en formar una sola empresa a
partir de la unión de intereses de dos o más empresas previamente existentes. En el
lenguaje económico del castellano se han forjado, además, nuevos signos a partir
de los elementos formadores de palabras de los que dispone la lengua. Los
neologismos así creados presentan una nueva relación entre significante y
189
significado basada en la motivación morfosemántica. Desde este punto de vista,
adquieren gran importancia las palabras derivadas (compatibilizar, consensuar,
operacional, desincentivar, renegociación, cofinanciar) y compuestas (acuerdo
marco, mercado continuo, capital riesgo). El vocabulario económico español
presenta un patente predominio de neologismos formados por derivación frente a
los compuestos. El empleo de metáforas conceptuales para la formación de nuevos
términos, vía metaforización, pone de manifiesto el mútuo influjo que se produce
entre la lengua común y el lenguaje de la economía. En general, los procesos
metafóricos característicos del español económico se centran en la identificación
con diversos instrumentos que son necesarios para el hombre de nuestros días,
como por ejemplo el automóvil. Este campo semántico aparece en sintagmas como
ralentización de los precios, brusco frenazo de los tipos de interés, desaceleración
económica. Otras veces se asocia con situaciones emocionales o afectivas del ser
humano, tales como: debilitamiento de la moneda, apatía en los mercados
bursátiles, temores inflacionistas, sacrificios salariales y al considerar la economía
como a un ser humano, las crisis económicas se explican en los mismos términos
con los que se alude a la enfermedad de las personas, hablando, por ejemplo, de
convulsión en los mercados financieros, síncopes inflacionistas, o el virus amarillo
(el poder de inversión de los japoneses). No podemos dejar a un lado las
abreviaturas y las siglas, como método de formación de vocabulario. Las
abreviaturas se leen con las palabras enteras, marcando una reducción de carácter
gráfico y no fonético, como por ejemplo en el caso de mbd (millones de barriles
diarios). La finalidad de la abreviatura es suprimir parte de las letras de un
sintagma por una razón de economía en la escritura. Por otro lado, las siglas leen
como palabras autónomas. Es evidente que la sigla en el uso corriente se ha
convertido en una palabra, por ejemplo, NIF funciona en la lengua como tal
palabra, puesto que al nombrarlo nos referimos al NIF y no decimos Número de
Identificación Fiscal.
Desde un punto de vista morfológico, el vocabulario económico presenta
particularidades a nivel de: sustantivos, verbos y adjetivos (palabras
semánticamente plenas), ya sea utilizando lexemas que son poco frecuentes en la
lengua común, o utilizando vocablos del lenguaje general, pero cambiando su
sentido. En los diccionarios especializados, predominan los sustantivos y los
grupos nominales. La importancia de los grupos (sintagmas) nominales en el
lenguaje económico es alta, ya que en ellos se concentra la mayor cantidad de
información en un texto dado. Los sintagmas nominales en el lenguaje económico
son entidades consagradas, que funcionan como una unidad fraseológica en
términos de fijación y de unidad del significado. En castellano, gran parte de los
sintagmas nominales del lenguaje económico no han sido creados dentro de la
lengua, sino que se han prestado de lenguas como el francés o el inglés.
La importancia de la lengua francesa para el lenguaje económico a nivel
mundial se debe a que numerosos investigadores franceses han contribuido al
desarrollo de la economía (obviamente, sus obras fueron escritas en francés y
después difundidas a nivel mundial): Olivier Blanchard, François Quesnay,
190
Antoine de Montchrestien, Jean-Baptiste Say, Léon Walras, etc. Como la mayoría
de las investigaciones económicas no se desarrollaban dentro de sus respectivas
fronteras nacionales, la lengua española y la lengua rumana necesitaron recurrir a
un método de adquirir los nuevos conceptos propuestos y las nuevas teorías. Así, se
optó por el préstamo (con la correspondiente adaptación al propio sistema
fonológico y gráfico) de numerosos vocablos del francés. De hecho, incluso hoy en
día, en los manuales universitarios de economía, en Rumania, la mayor parte de la
bibliografía sigue siendo representada por obras escritas originalmente en francés.
3. ANÁLISIS DE UN CORPUS
Para realizar un análisis aplicativo de los préstamos del francés al español
y al rumano, en el ámbito de los sintagmas nominales del lenguaje económico,
hemos recurrido al curso de análisis y gestión financiera de Natalie Gardes (véase
la bibliografía). De este corpus, hemos extraído todos los sintagmas nominales,
ateniéndonos principalmente a los criterios de unidad de significado (que el
sintagma tuviera cohesión interna, que se refiriera a un concepto autónomo) y
fijación (se han seleccionado términos consagrados en el lenguaje económico, para
los que se pueden encontrar al menos otras tres referencias, evitándose las
colocaciones que pudieran ser una creación de la autora del curso). Después, hemos
buscado los equivalentes semánticos en español y rumano utilizando para este fin,
principalmente dos diccionarios para cada combinación lingüística: Dicţionar
juridic, economic şi de afaceri francez-român (Feneşan 2010), Dicţionar economic
francez-român (Dumitrescu 2009), Diccionario jurídico-económico francésespañol (Sambola Cabrer 2011) y Diccionario para traducción económica (grupo
de investigación de la Universidad Autónoma de Madrid, 2008). Para los sintagmas
que no se han encontrado en estos diccionarios, se ha recurrido a manuales de
análisis financiero: Analiză economico-financiară (Buşe 2005), Diagnosticul
financiar al firmei (Siminică 2010), respectivamente Manual de análisis financiero
(Rubio Domínguez 2007). Nos ha interesado mucho que los materiales del corpus
fueran recientes, para que ilustraran de manera adecuada el vocabulario económico
actual y, a partir de ellos, hemos realizado una comparación desde un punto de
vista estructural, considerando que la componente semántica es la constante del
análisis.
Examinando las similitudes y las diferencias de índole estructural entre
grupos nominales franceses y sus equivalentes semánticos del español y del
rumano, observamos tres niveles de correspondencia, mencionados en el cuadro
que sigue, en un orden decreciente de la frecuencia: las situaciones de
correspondencia total entre el francés y el inglés por un lado y el francés y el
rumano por otro lado; las situaciones de correspondencia total entre el francés y el
rumano, pero correspondencia parcial entre el francés y el español; las situaciones
de correspondencia parcial en ambas combinaciones lingüísticas.1
191
Categoría de
correspondencia
Correspondencia
total F-E,
correspondencia
total F-R
Francés
Español
Rumano
bourse des valeurs
capitaux propres
résultat
d'exploitation
augmentation de
capital
bolsa de valores
capital propio
resultado de
explotación
bursă de valori
capitaluri proprii
rezultat de
exploatare
aumento de capital
majorare de capital
umbral de
rentabilidad
teoría del
compromiso
apalancamiento
seuil de rentabilité
Correspondencia
parcial F-E,
correspondencia
total F-R
Correspondencia
parcial F-E,
correspondencia
parcial F-R
théorie de l'arbitrage
effet de levier
tableau de
financement (des
flux)
théorie du
financement
hiérarchique
produit dérivé
financier
prag de rentabilitate
teoria arbitrajului
efect de levier
estado de flujo de
efectivo
tablou de finanţare
(flux)
teoría de la jerarquía
de preferencias
teoria ierarhizării
surselor de finanţare
derivado financiero
instrument financiar
derivat
Cuadro 1. Niveles de correspondencia estructural entre los grupos nominales
francés y sus equivalentes semánticos en español y rumano
del
Hemos notado en nuestro análisis que la gran mayoría de los grupos
nominales del francés (más de la mitad) tienen un equivalente semántico en
español y rumano perfectamente congruente desde un punto de vista estructural.
Mediante el préstamo idéntico, se perpetúan las metáforas conceptuales de una
lengua a otra (seuil/umbral/prag, levier/apalancamiento). En cuanto a las
divergencias estructurales entre la fuente francesa y los préstamos españoles y
rumanos, éstas son más frecuentes en castellano. Finalmente, no se han encontrado
casos de divergencia total entre los grupos nominales de las tres lenguas, sólo de
correspondencia parcial.
El segundo propósito ha sido el de extender el análisis para incluir los
equivalentes semánticos ingleses, otra lengua que ha influido mucho en el lenguaje
económico a nivel internacional, con las siguientes finalidades: observar si la alta
congruencia de los sintagmas nominales seleccionados se debe efectivamente a su
préstamo del francés, o se trata de simples coincidencias y la correspondencia con
el inglés sería aun más alta; ver si la congruencia estructural inferior entre el
francés y el español se debe a algún acercamiento entre el español y el inglés.
Como corpus para las equivalencias inglesas se ha utilizado Glossaire bilingue des
termes de la microfinance (GRET 2007). El análisis de la convergencia estructural
de los grupos nominales seleccionados y el equivalente inglés lleva a la
observación de cuatro niveles de correspondencia: correspondencia estructural total
192
entre las cuatro lenguas; correspondencia total entre francés, español y rumano,
pero divergencia con el inglés; correspondencia parcial entre el francés y el
español, pero correspondencia total entre el francés y el rumano por un lado, y el
español y el inglés, por otro lado; correspondencia parcial entre todas las lenguas.
Categoría de
correspondencia
Correspondencia
estructural total
entre F, E, R, I
Francés
Español
Rumano
Inglés
résultat
d'exploitation
resultado de
explotación
rezultat de
exploatare
structure de
financement
estructura
financiera
structură
financiară
coste de
oportunidad
bolsa de
valores
cost de
oportunitate
operating
result
financial/
capital
structure
opportuni
ty cost
stock
exchange
coût d'opportunité
bourse des valeurs
Correspondencia
total entre F, E, R;
divergencia con I
Correspondencia
parcial F-E,
correspondencia
total F-R y
correspondencia
total E-I
Correspondencia
parcial entre todas
las lenguas
bursă de valori
capitaux propres
capital propio
capitaluri
proprii
equity
augmentation de
capital
aumento de
capital
majorare de
capital
secondary
equity
offering
droit préférentiel
de souscription
derecho de
suscripción
preferente
drept
preferenţial de
subscriere
rights
issue
seuil de rentabilité
umbral de
rentabilidad
prag de
rentabilitate
théorie de
l'arbitrage
teoría del
compromiso
teoria
arbitrajului
breakeven
point
trade-off
theory
tableau de
financement (des
flux)
estado de
flujo de
efectivo
tablou de
finanţare (flux)
cash flow
statement
théorie du
financement
hiérarchique
teoría de la
jerarquía de
preferencias
teoria
ierarhizării
surselor de
finanţare
pecking
order
theory
Cuadro 2.Niveles de correspondencia estructural entre los grupos nominales del
francés y sus equivalentes semánticos en español, rumano e inglés
El análisis realizado demuestra que la mayoría de los grupos nominales del
corpus son isomórficos en francés, español y rumano, y difieren en inglés, por lo
cual queda clara la gran influencia del francés en el lenguaje económico del
castellano y del rumano. Además, debemos mencionar que los casos de
correspondencia total entre las cuatro lenguas incluyen situaciones de
correspondencia superficial u homonimia interlingual. Por ejemplo, el término
193
résultat d’exploitation difiere de su equivalente inglés operating result mediante la
metodología de cálculo y structure de financement corresponde al inglés financial
structure sólo en los contextos macroeconómicos. Sin embargo, en los contextos
microeconómicos (donde se utiliza con mucha más frecuencia), structure de
financement corresponde al término inglés capital structure. Estos casos deberían
ser tratados con cautela, por los traductores por ejemplo. No se han encontrado
casos separados de correspondencia total entre francés y español, duplicada por una
correspondencia total entre el rumano y el inglés, pero al revés, sí, lo cual nos
llevaría a concluir que existe una correspondencia mórfica mayor entre el español y
el inglés que entre el rumano y el inglés. ¿Será que la lengua francesa ha influido
más en el lenguaje económico rumano que en el lenguaje económico español? Una
explicación plausible podría encontrarse fácilmente si habláramos del español de
Hispanoamérica, donde la influencia inglesa es, desde luego, mucho más poderosa,
pero todas nuestras fuentes bibliográficas para el castellano se refieren al español
peninsular. Nuestra opinión es que la influencia mayor del francés sobre el léxico
rumano se debe a la cronología de los procesos de enseñanza de lengua extranjera,
ya que en Rumania el francés empezó a enseñarse y aprenderse mucho más
temprano que el inglés (a fines del siglo XIX, no sólo por razones de interacción
con la civilización francesa, sino también por el gran auge del francés en la corte
rusa).
4. CONCLUSIONES
Para resumir los resultados de esta investigación, queremos recalcar que el
léxico funciona como una componente esencial y característica del lenguaje
económico. Un texto de este ámbito profesional se puede reconocer
inmediatamente por los términos específicos. Dentro del léxico especializado, los
nombres y los grupos nominales son los que más información aportan,
constituyendo la base del vocabulario económico. La lengua francesa ha sido una
fuente importante para la adquisición de nuevos términos económicos en el español
y el rumano. El corpus analizado ha revelado que la mayoría de los grupos
nominales del lenguaje económico francés han sido naturalizados en español y
rumano con una congruencia estructural perfecta, por lo cual podemos concluir que
el francés ha influido considerablemente el vocabulario económico de estas dos
lenguas. Por otro lado, las divergencias son más frecuentes entre el francés y el
español que entre el francés y el rumano, mientras que las convergencias son más
frecuentes entre el español y el inglés que entre el rumano y el inglés.
NOTAS
1
Hemos preferido presentar las categorías mediante ejemplificación, en orden decreciente de la
frecuencia, pero sin hacer ningún tipo de caracterización cuantitativa (por ejemplo, distribución
porcentual), porque el inventario de 65 sintagmas nominales es bastante escaso, en nuestra
opinión, para merecer un análisis cuantitativo. El propósito de este artículo es exclusivamente
descriptivo, pero es posible que retengamos la idea del análisis cuantitativo para futuros trabajos.
194
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195
COMMENT SE FAIT-IL QUE LES NOMS BOUCHÉE ET
BAISER SE TROUVENT SUR LES MENUS ROUMAINS?*
Maria ILIESCU
Université d’Innsbruck, Autriche
Membre FROMISEM
1. INTRODUCTION
Du riche ensemble de mots que le roumain a emprunté au français, le
vocabulaire de la gastronomie et de la cuisine a été très peu étudié par les
linguistes. Nous avons arrêté notre attention seulement sur deux mots, les
substantifs français bouchée et baiser, qui se retrouvent en roumain sous la forme
buşeu et bezea. L’évolution sémantique de ces mots est particulièrement
intéressante.
2. BOUCHÉE, s.f.
2.1. Les dictionnaires roumains nous informent que le mot buşeu a le
sens suivant:
prăjitură cu nuci, cremă, frișcă sau ciocolată. (DEX s.v.)
«pâtisserie avec des noix, de la crème, de la crème fouétée ou du chocolat»
ou bien, avec plus grande exactitude:
mici pateuri din foitaj, umplute divers (DGE s.v.)
«petites croûtes farcies de différentes manières»
L’étymologie incontestable du mot roumain est le fr. bouchée.
L’adaptation phonétique et morphologique du français au roumain a été faite
conformément aux règles générales, c'est-à-dire que les mots français qui finissent
en [e] phonétique sont prévus avec un [u] final qui forme une diphtongue
descendante avec le [e] qui précède [éu], et adoptent le genre masculin ou neutre:
fr. entrée n. fém. > roum. antreu n. neutre, fr. pensée n. fém. > roum. panseu n.
neutre, fr. dîner n. masc. > roum. dineu n. neutre, fr. guichet n. masc. > roum.
ghișeu n. neutre, etc. (Șora 2006, 1733).
Le mot bușeu ne se trouve ni dans le DA (Vol. I 1917), ni dans Tiktin
(début du XXème siècle), ni dans le DLRC.
196
2.2. Le sens principal du mot français bouchée est:
‘morceau, quantité d’aliment qu’on met dans la bouche en une seule fois’ (PR).
Première attestation de bouchiée : 1120 Psautier Cambridge, ed. F. Michel, CXL
VII 6 (TLFi s.v.).
L’étymologie indiquée par les dictionnaires est BUCCATA, avec oscillation
entre deux hypothèses:
a) héritage du mot directement du latin, bien que BUCCATA ne soit pas
attesté par les textes, mais représenté par un grand nombre de formes romanes
parallèles, ou bien
b) dérivation de BUCCA avec le suffixe -ée < -ATA1 (comme le supposent la
plupart des dictionnaires français).
En roumain la forme du mot est bucată. Le sens est presque identique à
celui français, avec la différence qu’il s’agit seulement de ‘morceau (d’un tout’)’.2
Pour le choix entre les deux possibilités étymologiques, d’une grande
importance est le fait que le roumain n’a pas hérité le suffixe latin -ATA. La
conséquence logique est que roum. bucată ne peut provenir de BUCCA + -ATA,
mais seulement du mot latin entier BUCCATA, ce qui est un indice sérieux pour
abandonner la théorie de la dérivation et pour supposer que l’étymologie directe
du mot latin non dérivé est valable aussi pour les autres langues romanes. (Pour
encore un indice philologique de l’existence du mot déjà en latin cf. infra 2.4.).
2.3. En ce qui concerne l’évolution du sens ‘bouche’ à ‘bouchée’, il s’agit
d’une métonymie, du type synecdoque: la bouchée (< BUCCATA) est un morceau,
une partie d’un tout qui entre dans la bouche (< BUCCA). L’extension du mot
contient donc les sèmes /partie/ et /petit/.
Les sens gastronomiques du mot français bouchée, soit ‘petit vol au vent’
(attesté en 1810) ’soit ‘petit four’ (attesté en 1828) proviennent aussi d’une
métonymie, comme l’explique le TLFi :
«la petite taille de ces préparations permettait de les porter à la bouche en une fois
et de les manger en une seule bouchée.» (TLFi s.v).
Des dates des attestations françaises il s’ensuit que le mot a dû entrer en
roumain pendant la deuxième moitié du XIXème siècle, mais n’était pas encore
assez fréquent pour être lexicalisé.
2.4. Arrivés ici, il mérite sans doute de jeter un regard sur les lexèmes qui
désignent la notion de ‘bouche’ en latin: OS, ORIS, GULA et BUCCA. En ce qui
concerne le dernier, BUCCA3, on constate qu’il s’agit d’une autre métonymie, car
en latin le premier sens de BUCCA était ‘joue’, surtout au pluriel ‘les joues’, dont le
synonyme était le diminutif BUCCULAE ‘joues’, ayant aussi le sens de ‘bouchée’.
Mot familier et expressif, BUCCA a évincé le classique OS, ORIS, dont
l’initiale se différentiait seulement par la quantité vocalique longue de son
paronyme monosyllabique OSSUM «os», à initiale courte. OS, ORIS avait d’ailleurs
197
surtout le sens de ‘bouche en tant qu’organe de la parole’ et aussi de ‘face’,
‘expression’, ‘visage’. (DEL s.v.).
Le mot BUCCA avait le grand avantage d’appartenir au registre expressif
familier4, oral5, motif pour lequel il a été hérité par une grande partie des langues
romanes (dont le roumain fait exception) pour désigner non pas les joues mais la
‘bouche’ (cf. REW 1357)6.
Dès le latin, BUCCA avait aussi le sens de ‘morceau d’aliment introduit
dans la bouche’ (ce qui gonfle les joues), peut être était-ce même une métonymie
intermédiaire entre ‘joues’, et ‘bouche’, dans ce cas ‘contenu’ pour ‘contenant’ et,
en latin familier oral, le sens de ‘morceau qu’on met dans la bouche en une fois’,
donc le sens de ‘bouchée’. Ici il faut citer un passage illustre du Satyricon de
Pétrone:
buccam panis non invenire potui
syntagme traduit d’habitude par «je n’ai pas pu trouver une bouchée de pain»,
mais qu’on pourrait mieux traduire par «je n’ai pas pu trouver un morceau de
pain».
Cette seconde acception expliquerait bien l’origine de BUCCATA > petit
morceau (qu’on peut mettre dans la bouche c'est-à-dire ‘bouchée’). De cet usage
provient probablement le sens intermédiaire de ‘morceau’, qui est le sens usuel du
roumain bucată jusqu’aujourd’hui.
Cette lecture semble confirmée par l’interprétation d’un copiste, qu’on
trouve dans le TLL II sous Epist. imp. Aug. Suet. Aug 76:
duas buccas (bucceas vulg. cum codd. deter; buccatas excerpta Heirici)
manducavi.
Il est donc probable que le fr. bouchée, ainsi que les autres formes cités par
REW 1358 sous BUCCATA (et auxquelles se réfère aussi le TLFi cf. 2.2. supra)
proviennent d’un mot qui circulait déjà en latin tardif, d’abord avec le sens de
‘morceau’.
2.5. On vient de voir que le roumain n’a pas adopté comme la majorité des
langues romanes BUCCA comme lexème principal pour la notion de ‘bouche’. Il a
préféré le deuxième concurrent de OS, ORIS, c'est-à-dire GULA > gură. Du point de
vue du sens, GULA était plus près de OS, car il avait l’acception de ‘partie de la
bouche par laquelle on avale, gosier, cou’ et seulement dans la langue populaire
‘bouche’. Le sens figuré et expressif de GULA était ‘gloutonnerie, gourmandise’
(DEL s.v.).
Pourtant le roumain n’est pas le seul idiome roman qui a conservé GULA
dans le sens ‘bouche’. Cette acception est largement répandue au sud et au nord
de la France. Il suffit de jeter un regard sur l’entrée gole, gule, etc. de l’AND pour
trouver des exemples pour tout le champ lexical de GULA avec de nombreux
exemples pour la ‘bouche humaine’:
198
(anat.) mouth(-cavity): En la gule n’out nule dent E baubeout trop ledement. Jos
629; (XIIIe s.).
2.6. Si le roumain n’a pas choisi BUCCA pour désigner la ‘bouche’, il a
pourtant bien conservé le mot avec l’ancien sens de bucă ‘joue’7, qui dans la
langue moderne a l’acception ‘fesse’. Le sens ancien ‘joue’ est témoigné par des
mots comme bucălai, bucălat ‘avec les joues rondes‘.
D’ailleurs étant donné le verbe composé a îmbuca (<IN+BUCCA) pop.
‘manger, fourrer dans la bouche’ et îmbucătură ‘bouchée’ ainsi que l’existence de
la forme dalmate, il n’y a aucun doute que BUCCA avec le sens ‘bouche’ a circulé
aussi dans l’est de l’empire (cf. 2.2. note 2).
3. BAISER, s.m.
3.1. Le mot fr. baiser, emploi substantivé du verbe baiser, à son tour un
dénominatif, provient du latin BASIUM, attesté déjà au Xème siècle: ‘action
d’appliquer ses lèvres sur une partie d’un être ou d’une chose en signe d’affection,
d’amour, de respect’. Le latin BASIUM est probablement d’origine celtique (cf. DEL
s.v.). Aujourd’hui le mot est concurrencé dans la langue orale par bise, bisou,
lorsque le contexte n’est pas érotique.
Le français comme les autres langues romanes ne font pas de
différenciation lexicologique entre les divers genres d’un baiser, comme le latin:
[…] pacem amicis, filiis osculum dari dicimus, uxoribus basium, scorto savium,
item osculum caritatis est, basium blanditiae, savium voluptatis (Isidor,
Differentiae, 1, 398 apud Gloss. V 401.26, Gramm.suppl. 209, in TLL s.v.BASIUM)
«[…] nous disons donner la paix aux amis, des bisous aux enfants, des baisers aux
épouses, des savium aux maitresses. Donc les bisous (osculum) expriment
l’affection, les baisers (basium) la tendresse, et savium la volupté.»
3.2. Le mot baiser n’a pas été emprunté par le roumain avec son premier
et à la fois le plus important de ses sens mais, je dirai, marginalement par une
locution et un sens gastronomique.
L’adaptation phonétique s’est faite probablement à partir du pluriel plus
fréquemment employé, et ceci d’après le modèle d’autres mots étrangers comme
par exemple perdele ‘rideaux’ pl. de perdea < turc. perde [perdé], finissant en [e]
accentué8.
Sous bezea on trouve dans tous les dictionnaires roumains, deux sens: 1.
‘Baiser envoyé du bout des doigts. 2. Meringue’ (cité d’après DA 1913) qui
renvoie pour les deux sens au dictionnaire roumain-allemand de H. Tiktin
(commencement du XXème siècle).
Pour le premier sens Tiktin offre la traduction allemande Kusshand,
Kusshändchen et il cite l’exemple suivant:
199
Umblă după dânsa și o curtenește. Ii face bizele. (Anton Pann Povestea Vorbei II
97, ed. 1852/53 Pann, PV II 97)
«Il la poursuit et il lui fait la cour. Il lui envoie des baisers.»
Pour le deuxième sens Tiktin cite un auteur de la fin du XIXème siècle,
Dimitrie Xenopol (Brazi si putregai ‘Sapin et pourriture’ Buc. 1892):
Fă-le cataifuri, fă-le bezele, fă-le baclavale.
«Fais leur des cataïfs, des baisers, des baclavale» (substantifs qui désigne des
pâtisseries, dont la première et la dernière sont turques).
Intéressant pour nous est que la traduction allemande de bezele, à savoir
Baiser, mot écrit avec majuscules comme tout substantif allemand. En parenthèse
on trouve l’explication ‘Eiweißschaumgebäck’.
3.3. En ce qui concerne les dictionnaires roumains il est encore à remarquer
que même DEX, le plus récent des dictionnaires, ne fait aucune restriction
stylistique. Pourtant, le premier sens a face, a trimite cuiva bezele «faire, envoyer
à quelqu’un des baisers (d’un geste de la main)» n’est plus usuel dans la langue
contemporaine, comme le démontre d’ailleurs les pages de Google, qui s’occupent
surtout du gâteau bezea et non pas du signe fait avec la main.
Ce qui est encore beaucoup plus curieux c’est le fait qu’aucun des
dictionnaires français consultés (PR 2011, Grand Robert, Le nouveau Littré, Le
dictionnaire historique d’Alain Ray, enfin le TLFi) n’enregistrent les deux sens des
dictionnaires roumains. Une heureuse exception est la 9e édition du Dictionnaire
de l’Académie Française (DAF) qui enregistre quelque locutions dont aussi
«envoyer des baisers, appliquer ses lèvres sur la main, puis la tendre en direction de
la personne à qui les baisers sont destinés».
Bien que non enregistré par les dictionnaires consultés le sens
gastronomique du substantif baiser a dû être fort répandu en France au XIXème
siècle étant donné qu’il existe encore aujourd’hui non seulement en roumain mais
aussi en allemand, en russe et d’autres langues européennes. Baiser avec le sens
gastronomique se trouve même dans le Universalwörterbuch (Duden) (2006).9
3.4. Quant à l’évolution de sens du substantif baiser de «l’action
d’appliquer ses lèvres sur une partie d’un être ou d’une chose en signe d’affection,
d’amour, de respect» à un petit gâteau formé de deux parties qui s’unissent par la
crème fouettée, par une crème de chocolat ou bien simplement par la superposition
de deux parties d’œuf à la neige (cf. l’image infra), elle s’explique par une
métaphore.
3.5. La disparition du mot baiser à sens gastronomique du français est due
probablement à un tabou de vocabulaire, à cause du sens populaire du verbe
homonyme, donc par la force, ici par l’évitement, de l’expressivité.
En roumain et dans plusieurs langues européennes le sens du mot emprunté
au français a survécu à l’original.
200
Pourtant le mot avec son sens gastronomique est encore vivant en français
dans le vocabulaire ‘technique’, car on le trouve avec beaucoup d’exemples dans le
Google sous l’entrée ‘recette baiser’.
Dans un vieux livre de cuisine autrichien (Hess /Hess 1906) qui donne la
traduction française de tous les mots allemands, le substantif allemand Baiser est
traduit en français par baiser. Aujourd’hui on trouve à sa place dans les
dictionnaires meringue, qui n’est pas exactement la même chose.
Baisers des dames
(Ajouté le 28/10/2008 11:52:21)
C’est sur le blog talons et chocolat que j’ai découvert ces petites merveilles. A l’amande et
au chocolat ces petites douceurs ne font qu’une bouchée! Je retranscris la recette telle
quelle [...]
4. CONCLUSIONS
Je finis cette petite contribution avec un bref plaidoyer en faveur de notre
projet, FROMISEM, et, implicitement, en faveur de notre colloque, donc une vraie
oratio pro domo.
L’étude des emprunts au français non seulement du roumain, mais aussi
d’autres langues européennes offre aux chercheurs des surprises intéressantes et
inattendues. Nous n’avons fait qu’ébaucher un travail qui mérite d’être continué.
NOTES
* L’article est publié dans le cadre du projet de recherche FROMISEM (PN II – IDEI 383/2008),
financé par le CNCS–UEFISCDI.
TLFi s.v. : «Dérivé de BUCCATA*, suff. -ÉE* ; le prototype *BUCCATA remonte au lat. vulg. car il est
attesté dans toutes les langues romanes (REW3 , no 1358)». REW cite rum. bucată, it boccata, frz.
bouchée, prov., kat., sp., pg. bocada. PR et Lexis : bouchée de bouche.
2
L’interprétation sémantique des dictionnaires roumains qui soutiennent que le premier sens est celui
de toutes les langues romanes, c’est à dire ‘morceau, partie d’un tout qui entre dans la bouche’
n’est pas convaincante. Des exemples anciens ayant le sens ‘bouchée’ manquent. En roumain
contemporain le sens est exclusivement ‘morceau’. Pourtant le sens ‘bouchée’ est attesté
indirectement par îmbucătură «bouchée», un dérivé du verbe a îmbuca, «avaler (une bouchée)»,
déverbal de BUCCA.
3
DEL n’exclu pas une origine celtique du mot.
4
Väänänen 31983 §151.
5
Mais qui étaient encore employé dans l’Itala et la Vulgata (cf. Lundström 1948, 102, apud.
Stefenelli 70 note 103).
1
201
6
Vegl., it., log., engad., frioul., frz., prov., cat., esp., port. (auxquelles s’ajoute l’albanais une des
sources importantes du latin tardif oral).
7
Remplacé aujourd’hui par le slav. obraz.
8
Les mots finissant en [e] accentué en français s’adaptent généralement en recevant un -u
final comme bușeu < fr. bouchée; (cf. supra 2.1. et Șora 2006, 1733).
9
Il n’est donc pas probable que le mot soit entré en roumain par filière grecque, comme le suppose
Graur (1963, 50) qui ne cite que le grec, le bulgare et le russe, comme langue où circulait baiser.
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203
QUELQUES CAS D’ENRICHISSEMENT SÉMANTIQUE
DES MOTS D’ORIGINE FRANÇAISE DANS LE
ROUMAIN ACTUEL
Alice IONESCU
Université de Craiova, Roumanie
1. INTRODUCTION
Le vocabulaire roumain actuel se caractérise par un dynamisme
exceptionnel, dû aux multiples influences externes et à une créativité interne
stimulée par des besoins de communication très diversifiés, notamment dans la
presse, la publicité et la communication spécialisée. Sa richesse, sa flexibilité et sa
diversité sur le plan lexical et sémantique ont été remarquées par de nombreux
spécialistes du domaine, qui y ont consacré des ouvrages importants (v. Zafiu,
Stoichiţoiu-Ichim, Bidu-Vrânceanu e. a).
Notre communication mettra en ligne de mire un phénomène intéressant
d’enrichissement sémantique des mots d’origine française entrés en roumain
pendant le siècle passé avec leurs sens originels et qui sous l’influence de l’anglais,
en vogue dans la langue des jeunes, de la presse, de la publicité ou de l’entreprise
acquièrent des sens nouveaux, pas encore attestés par les dictionnaires.
2. L’EVOLUTION
SÉMANTIQUE: CAUSES
EXTERNES, DÉFINITION ET FORMES DU PHÉNOMÈNE
INTERNES,
A côté des emprunts et des calques linguistiques, un moyen important
d’innovation lexicale est représenté par l’évolution sémantique, phénomène qui
affecte tant les mots autochtones que les emprunts plus anciens et qui touche les
domaines référentiels les plus variés (économie, politique et législation,
informatique, vie sociale et mondaine, mode et cuisine).
Du point de vue étymologique, on distingue d’un côté les évolutions
sémantiques obtenues sur le terrain autochtone et de l’autre coté les sens d’origine
étrangère (empruntés à une autre langue). Dans une perspective stylisticofonctionnelle, on remarque que la plupart des unités prises en compte par notre
étude sont employées avec une valeur dénotative.
La cause des changements sémantiques présentés en ce qui suit est le
passage du modèle français au modèle anglais : le sens d’un mot emprunté il y a
plusieurs décennies au français s’est enrichi par l’acception qu’il a acquise en
anglais. La forme roumaine ne change pas, mais les sens nouveaux entrent en
concurrence avec les sens plus anciens. La condition du changement est, bien sûr,
204
que le terme anglais soit d’origine latine ou française et qu’il ait développé, par
évolution interne, d’autres sens.
3. ÉTUDES DE CAS. ÉVOLUTIONS SÉMANTIQUES RÉCENTES
DES MOTS EMPRUNTÉS AU FRANÇAIS AUX XIXème ET XXème SIÈCLES
Nous procéderons en ce qui suit au passage en revue de quelques unités
lexicales qui ont connu des enrichissements du sémantisme dû à l’influence de
l’anglais, tout en précisant que les exemples sont encore plus nombreux. Le
classement de ces unités sera fait en fonction de leur classe grammaticale.
3.1. Verbes
A abuza < fr. abuser 1. A folosi ceva excesiv, fără măsură. 2. A comite nedreptăţi,
incorectitudini profitând de o anume situaţie. (DN3)
Sens récent emprunté à l’anglais to abuse (somebody): «a viola, a
maltrata».
Le verbe anglais to abuse (somebody) fait partie d’une terminologie de
spécialité (psychologie, assistance sociale) et reflète la vision occidentale des
relations humaines, ou les abus physiques et moraux se trouvent sur le même plan.
Dans ses emplois courants, fait remarquer R. Zafiu, le verbe a abuza garde ce
dualisme et apparait tantôt comme euphémisme pour «a viola, a maltrata», tantôt
comme terme aggravant “a exploata, a umili”, pour les peines morales. Comme le
roumain ne disposait par d’un verbe d’une telle couverture sémantique et en plus
avec cette charge idéologique, le verbe a abuza et sa famille (le participe abuzat, le
nom abuz employé surtout au pluriel) se sont imposés dans la langue de la presse.
(1) Mii de bărbaţi, abuzaţi de neveste. (Gândul, 21.02.2010) [Des milliers d’hommes,
maltraités par leurs femmes].
(2) Cruzime ignorată - animale abuzate pentru bani (animalutze.com) [Cruauté ignoréeanimaux exploités pour l’argent] (exemples empruntés à R. Zafiu).
(3) O parte dintre copiii abuzaţi nu găsesc altă metodă de a relaţiona cu ceilalţi decât la
nivel sexual. http://www.calificativ.ro/Cum_sa_recunosti_un_copil_abuzat_sexuala15913.html [une partie des enfants abusés ne trouvent pas d’autre moyen d’interagir
que le sexe].
(4) Alina Budnaru, mama fetiţei care-l acuză pe Cristian Tabără că a abuzat sexual de
ea, a declarat pentru ziarul Ring că fiica ei nu este singura victimă sexuală a
realizatorului de televiziune. http://www.cotidianul.ro/cristi-tabara-acuzat-ca-in-trecuta-abuzat-o-alta-minora-122470/ [Alina Budnaru, la mère de la fillette qui a accusé
Cristian Tabără de l’avoir violée, a déclaré pour le journal Ring que sa fille n’était pas la
première victime du réalisateur TV]
205
A aplica < fr. appliquer 1. tr. A face (un lucru) să adere, să se lipească de ceva. 2. tr. A
pune în practică; a folosi. ♦ A face, a administra (un tratament medical). 3. tr. A raporta
un principiu general la ceva, a compara cu ceva. 4. refl. (rar) A se dedica, a se
consacra. (DN3).
Sens nouveau provenant de l’anglais o apply (for): «a-şi depune
candidatura, a postula».
Le verbe a aplica, entré depuis longtemps en roumain avec ses sens
originels du français, connait depuis deux décennies un emploi nouveau, explicable
par l’influence de l’anglais.
Il s’agit pourtant d’un snobisme, car en roumain il existe bien des
synonymes consacrés: a candida, a postula, a concura, etc. Dans notre opinion, ce
terme s’est imposé au sein des communautés étudiantes anglophones, grâce aux
bourses d’études et à d’autres financements offerts aux étudiants par divers
organismes internationaux.
(5) În această lună voi aplica la o universitate din Stockholm, în Suedia. Mi-am întocmit
deja dosarul de admitere şi voi urma studii de comunicare acolo, însă sper să obţin o
bursă de studii pentru a putea acoperi cheltuielile”, afirma Elena B., absolventă a
Facultăţii de Litere, în cadrul Universitatii Bucuresti. http://www.wallstreet.ro/slideshow/Careers/80333/Ultima-suta-de-metri-Student-roman-caut-bursa-instrainatate.html [ce mois-ci je vais poser ma candidature pour une université de
Stockholm, en Suède. J’ai déjà préparé mon dossier d’inscription et je compte y faire
des études de communication, affirme Elena B., diplômée de la Faculté des Lettres].
(6) Cinci comunităţi vor primi fiecare câte un grant de aproximativ 20.000 $ (15.000 €)
pentru a fi folosiţi la înscrierea şi menţinerea în grădiniţă a copiilor în anul şcolar 20102011.
Aplicaţiile
vor
fi
acceptate
până
la
15
august
2010.
(www.edu.ro/index.php/articles/14163) [Cinq communautés recevront chacune un
montant d’environ 20.000 dollars (15.000 euros) pour l’inscription et le maintien en
école maternelle des enfants pendant l’année scolaire 2010-2011. Les candidatures
seront reçues jusqu’au 15 août 2010].
Dans le roumain actuel, la structure sémantique du verbe a realiza s’est
considérablement élargie, comme le signale Fl. Dimitrescu (1995). Parmi ces sens
nouvellement acquis l’auteur mentionne «a alcătui, a elabora, a lucra, a fabrica, a
produce, a efectua, a duce la capăt», etc. A côté des sens empruntés au français ou
calqués, deux nouveaux sens du verbe a realiza se font remarquer dans la langue
courante 1. «a ȋnţelege, a sesiza» et 2. «a-şi da seama». Ces sens appartiennent au
verbe anglais to realize et ont été transmis tant au français qu’au roumain, où il est
pénétré probablement par double filière.
A realiza < fr. réaliser 1. A ȋnfăptui, a face ceva; 2. A crea, a plăsmui, a desăvârşi; 3. A
obţine, a câştiga ceva.
206
Sens récent empruntés à l’anglais to realize: «a ȋnţelege, a-şi da seama, a
conştientiza».
(7) Dan Şucu: “Încă nu realizăm, în totalitate, cât de nenorocită este măsura măririi
TVA”.
(http://www.sfin.ro/articol_23293/dan_sucu_inca_nu_realizam_in_totalitate_cat_de_ne
norocita_este_masura_maririi_tva.html#ixzz1dEVcJvAb) [Dan Şucu:”on ne realise pas
encore, pleinement, la tragédie de l’augmentation de la TVA].
(8) Am realizat că nu există «momentul potrivit»... există doar teama de a acţiona şi
dorinţa de a amâna… http://suflet-pierdut.blogspot.com/2011/06/am-realizat.html [J’ai
compris qu’il n’y a pas de “moment opportun », il n y a que la peur d’agir et le desir de
remettre a plus tard].
Un verbe qui connait un grand succès dans le parler des jeunes et des
internautes ces dernières années est a rula, employé surtout à la IIIe personne de
l’indicatif présent (rulează). A coté des sens plus anciens, on distingue un sens
nouveau lié au domaine informatique «a merge, a functiona» et un autre qui est
d’une manière évidente calqué a l’anglais to rule («a conduce», « a domina ») et a
l’expression populaire et argotique (it) rules! qui signifie, selon le contexte,
« merge strună! » ou « e super! ».
A rula < fr. rouler 1. tranz. 1) (materiale textile, fire etc.) A înfăşura în formă de sul; a
suci. 2) (corpuri, sisteme tehnice, etc.) A face să se mişte prin rostogolire. 3.
(terenuri, suprafeţe) A netezi cu ajutorul unui obiect în rostogolire. 4) (fonduri
băneşti) A face să circule; a pune în circulaţie. 2. intranz. 1) (despre vehicule) A se
deplasa cu ajutorul roţilor sau al rotilelor. 2) (despre filme) A se proiecta pe un ecran.
Un sens récemment enregistré qui appartient au domaine informatique est
«a merge, a funcţiona».
(9) Salut! Am observat că jocurile online... (Tot ce e legat de flash) rulează foarte greu
de ex dacă mişc rapid mausu la un joc de ex atunci ia aproape o secundă pentru ca să
urmeze
drumul
parcurs
de
maus
adică
reacţionează
ft
greu.
http://forum.ubuntu.ro/viewtopic.php?id=9899 [Salut! J’ai constaté que les jeux en
ligne (en fait tout ce qui tient du flash) roulent très lentement, par ex si je fais un
mouvement rapide avec la souris ça met une seconde pour suivre le parcours requis,
c'est-à-dire que ca réagit très lentement].
Un autre sens nouveau: «merge strună! e super!» est celui calqué à l’anglais to
rule, it rules (used as a generalized term of praise or approval) «it’s great».
(10) Muzica pop rulează. Kesha este cea mai cea! (traduction libre du titre Why pop
rules sur la couverture du magazine Billboard).
(11) Jersey Shore rulează! Am mai scris despre serial. E mişto de tot, la fel cum e mişto
să vezi chestii gen Jackass. E un fel de “Big Brother” combinat cu “Vara Ispitelor”, cu
207
oameni mai reali şi mai amuzanţi. http://www.zoso.ro/jersey-shore-ruleaza/ [Jersey
Shore roule! Ce n’est pas la première fois que je parle de cette serie. C’est tres tres cool,
comme c’est cool de vois des trucs du genre Jackass. C’est une sorte de Big Brother
combiné avec L’été des tentations avec des gens plus réels et plus amusants].
3.2. Noms et adjectifs
Le nom féminin «cabrioletă», emprunté au français il y a presque deux
siècles avec le sens «trăsurică uşoară, cu două roţi, trasă de obicei de un singur cal»
acquiert grâce à l’influence de l’anglais un sens moderne, désignant actuellement
une voiture de luxe, décapotable.
Cabrioletă < fr. cabriolet s.f. trăsură uşoară, cu două roti; brişcă. (DN3).
Cabriolet < fr. cabriolet s.n. caroserie de maşină cu capota de ploaie, rabatabilă, din
pânză. (DN3).
Le sens plus récent de « maşină de lux decapotabilă » est emprunté à
l’angl. cabriolet «a convertible coupe».
(12) Aşadar, fetelor, acum chiar că ne putem permite o cabrioletă pe care s-o conducem,
cu muzica la maxim, pe Autostrada Soarelui! [En conclusion, les filles, on peut
maintenant se permettre la décapotable de nos rêves, qu’on peut conduire, la musique au
maximum, sur l’Autoroute du Soleil !]
http://www.feminis.ro/tehnologie/cabriolete-pentru-fete-la-preturi-decente-689
(13) Top cabriolete în România. Conform statisticilor APIA, românii s-au înghesuit în
acest an să cumpere modele cabrio, în primele opt luni ale acestui an fiind vândute 474
de bucăţi, ceea ce înseamnă o creştere de 116% faţă de anul trecut. [Les décapotables le
mieux vendues en Roumanie. Conformément aux classements d’APIA, les Roumains se
sont empressés d’acheter cette année des modèles décapotables ; 474 unités se sont
vendues pendant les huit premiers mois de l’année, soit une croissance de 116% par
rapport à l’année passée.]
http://www.promotor.ro/masini-noi/dosar-analize/top-cabriolete-in-romania-936541
Le nom abstrait expertiză, entré en roumain par filière française et dont les
sens originels ont été bien fixés par l’usage s’enrichit grâce à l’influence anglaise
récente avec un sens nouveau.
Expertiză < fr. expertise 1. Cercetare cu caracter tehnic făcută de un expert, la cererea
unui organ de jurisdicţie sau de urmărire penală ori a părţilor, asupra unei situaţii,
probleme etc. a cărei lămurire interesează soluţionarea cauzei. ♦ (Concr.) Raport
întocmit de un expert asupra cercetărilor făcute. 2. (Med.; în sintagma) Expertiză
medicală a) stabilire, în urma unui examen medical, a capacităţii de muncă a unui
bolnav sau a unui om sănătos în condiţiile solicitărilor fizice şi psihice din diferite
profesiuni; b) consultaţie sau autopsie efectuată de medicul legist în cazuri de rănire,
accident, viol, otrăvire, omor, etc.
208
Le sens récemment acquis de «competenţă» est calqué à l’angl. expertise
«great skill or knowledge in a particular field» (The Concise Oxford Dictionary,
1999).
(14) Să permită studenţilor care nu au posibilitatea să participe la programele de
mobilităţi să beneficieze de cunoştinţele şi expertiza cadrelor didactice din instituţii de
învăţământ superior şi a personalului invitat din întreprinderi din alte ţări europene; Să
promoveze schimbul de expertiză şi experienţă privind metodele pedagogice;
(http://www.llp-ro.ro/userfiles/fiches_ro.pdf) [...permettre aux étudiants qui ne sont pas
inclus dans les programmes de mobilité de profiter des connaissances et de l’experience
enseignants des universités étrangères ou des cadres des entreprises européennes
invités ; promouvoir l’echange d’experience en ce concerne les methodes
pedagogiques].
(15) […] bogătanii au bani cu caru, da n-au cunoştinţe, noi avem expertiză câtă vrei, da
n-avem bani, rezultatul e acelaşi tată, apa sâmbetei. [les riches ont de l’argent à gogo,
mais n’ont pas de connaissances, nous, nous avons des connaissances mais pas d’argent;
le résultat est le même, mon vieux: zéro!]
http://danieltudose79.wordpress.com/2011/10/04/expertiza/
Le prestige des termes internationaux du domaine économique (marketing)
et l’image suggestive créée par la métaphore architecturale ont sans doute
contribué au succès du nom nişă dans le roumain actuel. Ses nombreux dérivés
attestent sa vitalité dans la langue de la presse et de l’entreprise.
Nişă< fr. niche s.f. 1. Firidă. ♦ Intrând amenajat într-un perete, unde se poate aşeza o
mobilă, se poate adăposti ceva etc. 2. (Geol.) Formă de relief cu aspect de firidă, creată
prin eroziune la baza unei faleze, în jurul unui izvor, în malul concav al unui meandru
etc. 3. Dulap cu pereţi de sticlă legat de un coş de evacuare, folosit în laboratoare
împotriva gazelor vătămătoare. 4. (Anat.) Mic spaţiu în formă de intrând. 5. (Biol.)
Regiune în care un organism sau o populaţie găseşte cele mai bune condiţii pentru a
supravieţui şi a se reproduce.
Sens spécialisés empruntés à l’anglais niche «a: a place, employment, status, or
activity for which a person or thing is best fitted <finally found her niche>
b: a habitat supplying the factors necessary for the existence of an organism or
species c: the ecological role of an organism in a community especially in regard to
food consumption d: a specialized market (Merriam-Webster).
(16) Renault-Nissan vrea să intre pe nişa automobilelor electrice [Renault-Nissan veut
pénétrer la niche des automobiles électriques] (Curierul Naţional, 13.05.2008),
(17) Dezvoltarea bloguri de nişă, capabile să atragă un trafic atât consistent, cât şi cu un
potenţial de conversie, superior altor metode. [la proliferation des blogs de niche,
capables d’attirer un trafic aussi consistant qu’avec potentiel de conversion, superieir
aux autre modeles] (www.webwriters.eu/bloguri-de-nisa).
209
(18) Produsele de nişă câştigă teren pe piaţa de creditare. [les produits de niche gagnent
du terrain sur le marche des credits] http://www.dailybusiness.ro/stiri-finantebanci/produsele-de-nisa-castiga-teren-pe-piata-de-creditare-68690/
Nous avons également remarqué la popularité exceptionnelle du participe passé
nişat: bloguri nişate, forumuri nişate, pieţe nişate, soluţii financiare nişate.
(19) Din păcate, acest concurs nu ajută într-o foarte mare măsură la luarea pulsului
blogosferei nişate pe turism, ci este doar o cale de a afla mai bun blog din această arie,
din cele înscrise. [malheureusement ce concours n’aide pas trop la prise de contact avec
la blogosphère nichée sur le tourisme] www.gtd20.ro/2011/02/sa-luam-pulsulblogosferei-nisate-pe-turism/
De même pour le participe passé du verbe a dedica, d’étymologie romane, qui
connait dernièrement des emplois inhabituels qui s’expliquent toujours par
l’influence de l’anglais.
Dedicat, participe passé du verbe a dedica < fr. dédier, lat., it. dedicare : tr. A închina
cuiva (o carte, o operă artistică sau ştiinţifică proprie) ca omagiu. ♦ A consacra, a pune
toate puterile în slujba unei idei, unei acţiuni. ♦ A rezerva o parte din timp pentru a se
ocupa exclusiv de cineva sau de ceva. 2. refl. A se consacra (unui studiu, unei meserii
etc.) (DN3)
Sens nouveau: «specializat, adresat unui public anume» de l’angl.
dedicated: 2.set apart or reserved for a specific use or purpose;
3. assigned
or
allocated to a particular project, function, etc.
(20) Un server dedicat ȋţi permite controlul deplin al prezenţei pe internet, oferindu-ţi
flexibilitate maximă în ce priveşte alegerea sistemului de operare, a politicii de
securitate şi a aplicaţiilor instalate. [un serveur dédié permet un contrôle total de la
présence sur internet, offrant une flexibilité maximale en ce qui concerne le système
d’opération, la politique de sécurité et les applications installées.] http://www.srv.ro/
(21) Site dedicat pescarilor de Crap! [site qui s’adresse aux pêcheurs de Carpe !]
http://pescardecrap.ro/
(22) Panasonic Lumix GX1 - modelul dedicat profesioniştilor. [Panasonic Lumix GX1le modèle réservé aux professionnels] http://www.go4it.ro
Un autre adjectif d’origine française qui a acquis des sens particuliers en anglais
est dramatic, réemprunté en roumain avec ces sens nouveaux, spécialisés pour le
domaine de la mode et de la cosmétique.
Dramatic < fr. dramatique 1. Care ţine de dramă sau de teatru, privitor la dramă sau la
teatru. Genul dramatic = gen literar care cuprinde opere scrise pentru a
fi reprezentate pe scenă. ♦ (Despre vocea cântăreţilor) Care are o sonoritate amplă,
intensă, capabilă să exprime situaţii zbuciumate, de tensiune. 2. Fig. (Despre întâmplări,
210
împrejurări, situaţii, moment, etc.) Bogat în contraste şi în conflicte; zguduitor,
impresionant. (DN3)
Sens nouveau provenant de l’anglais dramatic: «spectaculos, uimitor,
impresionant» («sensational in appearance or thrilling in effect»; «a dramatic
sunset». Syn. «spectacular, striking, impressive»).
(23) Vreau o mascara care să ofere un aspect dramatic genelor, să încarce. [Je cherche
un mascara qui confère un aspect spectaculaire aux cils, qui les surcharge]
(kudika.ro).
(24) Un efect dramatic în modul de intrare în casa ta. [un aspect impressionnant au hall
d’entrée de ta maison] http://www.homegdecor.com/ro/1258.html
(25) Fixează linerul cu ajutorul unui fard de culoare închisă iar pentru un look
dramatic îngroaşă puţin linia exterioară faţă de cea interioară. [Fixe la trace du crayon à
l’aide d’une ombre à paupieres foncee et pour un look encore plus saillant renforce la
ligne extérieure de l’œil] www.apropo.ro/life-style/frumusete/look-dramatic-2376522
L’adjectif roumain intrigant, -ă provient du français intriguant qui a le
même sens: (despre persoane) «care ţese intrigi» (dexonline.ro).
On remarque depuis quelque temps un emploi paradoxal, parfois strident,
de cet adjectif, qui avait des connotations négatives en français et en roumain. Le
sens nouveau «care trezeşte interesul, curiozitatea, care atrage», présent dans le cas
du verbe français intriguer et roumain a intriga, mais qui n’est pas valable pour
l’adjectif intrigant s’explique par le calque sémantique de l’anglais intriguing
«arousing great interest or curiosity».
(26) Durian, cel mai bizar, urât mirositor şi intrigant fruct exotic. [Durian, le plus
bizarre, puant et curieux fruit exotique] http://www.garbo.ro/articol/Tratamentenaturiste/9594/durian-fructul-putoare-sau-regele-fructelor.html
(27) Un puzzle intrigant. [Un puzzle incitant]
http://hoinareala.blogspot.com/2011/08/puzzle-intrigant.html
(28) Clasic şi totuşi atât de nou, elegant şi intrigant în acelaşi timp. [Classique et
pourtant
si
nouveau,
élégant
et
original
en
même
temps]
(intreprietene.ro/articole/black_&_white.php)
Stilistic «referitor la moda, stil vestimentar».
Les emplois plus récents du terme proviennent de l’anglais, ou le terme
style (d’origine française), et ses dérivés (stylish, stylist) ont acquis des sens liés à
la mode et à la coiffure. En tant qu’emprunts livresques du XIXème siècle, stil şi
stilistic gardaient en roumain les sens originels du français, attestés comme tels par
211
les dictionnaires. Stilistic est sorti du domaine littéraire et artistique pour entrer
dans le domaine de la mode, signifiant “referitor la moda, stil vestimentar”.
Stilistic < fr. stylistique 1. Privitor la stil. 2. Care se referă la mijloacele de exprimare
afectivă a limbii. (DN3)
Le sens nouveau «referitor la modă, stil vestimentar» est calqué à l’angl.
stylish «fashionable».
(29) Au fost şi incidente stilistice. Într-o dimineaţă şi-a luat o bluză mulată, fără sutien,
şi şi-a pus cerceii lungi. [Il ya eu aussi des incidents vestimentaires. Un matin elle a mis
un top moulé, sans soutien-gorge et a mis ses boucles d’oreilles longues] (tabu.ro).
(30) Matematică stilistică. Dacă iţi faci cumpărăturile cu atenţie şi iţi planifici ţinutele,
poţi reuşi să recreezi look-uri de designer pe un buget rezonabil [Budget mode. Si tu
fais tes achats avec attention et si tu planifies tes tenues, tu peux recréer un look haute
couture
à
un
prix
raisonnable]
http://www.kudika.ro/articol/tendinte-inmoda/14631/Matematica-stilistica.html
Un autre adjectif dont l’influence anglaise contemporaine a modifié le sens
ancien est versatil, qu’on retrouve de plus en plus souvent dans des contextes
positifs inhabituels (surtout dans les publicités).
Versatil < fr. versatile (livr.; despre oameni) «Care îşi schimbă cu uşurinţă părerile;
nehotărât, nestatornic, schimbător, instabil» (DN 3)
Sens nouveau: «flexibil, adaptabil, polivalent», calqué à l’angl. versatile
«having varied uses or serving many functions».
(31) Samsung NX10 - uşor de utilizat, versatil. Simpatic. [Samsung NX10- facile à
utiliser, flexible. Sympa.] http://www.dandragomir.biz/drive-test/samsung-nx10-usorde-utilizat-versatil-simpatic.html
(32) Fiindcă merg atât la ţinute casual, cât şi la cele formale, consider că bretelele sunt
un accesoriu versatil, care nu se poartă doar pentru a susţine pantalonii, ci şi pentru a
face o declaraţie cu privire la stilul vestimentar. [Parce qu’elles vont aussi bien avec des
tenues sport qu’avec les tenues élégantes, les bretelles sont l’accessoire polyvalent, qui
ne sert pas seulement à soutenir le pantalon, mais aussi à faire une déclaration sur le
style vestimentaire.] http://www.stilmasculin.ro/2010/02/bretelele-accesoriul-versatil
4. CONCLUSION
Notre communication a essayé de surprendre et d’illustrer une tendance
actuelle d’enrichissement sémantique des emprunts plus anciens au français qui se
manifeste en même temps que l’anglicisation accentuée du lexique de certains
domaines comme celui de l’entreprise, du commerce, de la mode et de la presse,
212
surtout féminine. Quoique certains termes, employés dans de nouveaux contextes
ou avec de nouvelles acceptions, soient perçus comme bizarres et même
inappropriés, leur emploi semble être en train de se généraliser.
BIBLIOGRAPHIE
TLFi, Trésor de la langue française informatisé, atilf.atilf.fr/tlf.htm
DEX, Dicţionarul explicativ al limbii române, Bucureşti, 1998.
DN3, Florin Marcu / Constant Maneca (19783), Dictionar de neologisme, Editura
Academiei RSR, Bucuresti
MDN, Florin Marcu (2002), Marele Dicţionar de neologisme, Bucureşti.
DCR2, Dimitrescu, Florica (19972), Dicţionar de cuvinte recente, Bucureşti.
Dimitrescu Florica (1995): Dinamica lexicului românesc, Bucuresti : Logos
Guţu-Romalo, Valeria (2005): Aspecte ale evoluţiei limbii române, Bucureşti:
Humanitas Educaţional.
Stoichiţoiu-Ichim, Adriana (2007): Vocabularul limbii române actuale: dinamică,
influenţă, creativitate, Bucuresti: All, p. 83-111.
Zafiu, Rodica (2001): Diversitate stilistica în româna actuală, Bucuresti: EUB,
http://www.scribd.com/doc/9163506/Rodica-Zafiu-Diversitate-Stilisticain-Romana-Actuala
Zafiu, Rodica, Păcatele limbii (archive d’articles) www.romlit.ro
http://forum.softpedia.com/lofiversion/index.php/t633317.html
http://www.pruteanu.ro/6atitudini/2007.09.27-limba.htm
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REY = Rey, Alain (éd.) (22006): Dictionnaire historique de la langue française,
Paris: Le Robert.
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Wörterbuch. Heidelberg: Carl Winter.
TIKT / MIR = Tiktin, Hariton / Miron, Paul (1985-1989): Rumänisch-Deutsches
Wörterbuch, Wiesbaden: Harrassowitz
TIKTIN = Tiktin, Hariton, Rumänisch-Deutsches Wörterbuch, Wiesbaden:
Harrassowitz.
TLFi = Trésor de la langue française informatisé, http://atilf.atilf.fr/tlf.htm.
TLL = Thesaurus Linguae Latinae.
213
UN CAS D'INTERFÉRENCE LINGUISTIQUE:
L'ÉTAT DE LA LANGUE ROUMAINE COURANTE
SOUS L'INFLUENCE DU FRANÇAIS
À LA FIN DU XIXème SIÈCLE
Ramona LEAHU
Université Jean Moulin, Lyon 3, France
Au XVIIIème siècle, la culture française jouissait du plus grand prestige
dans toute l’Europe et implicitement dans les principautés roumaines. L’influence
culturelle et linguistique du français a atteint son apogée vers la fin du XIXe siècle,
quand la société roumaine a manifesté une tendance générale à imiter le modèle
français. Si à l'aube du XVIIIe siècle le français était présent uniquement à la cour
princière, graduellement, l'influence du français est descendue aussi parmi les
autres couches de la société. Désireuses de copier les habitudes langagières des
classes privilégiées, la bourgeoisie, la petite bourgeoisie et même les classes
populaires commencent à employer des gallicismes1 dans leurs conversations.
Tout au long du XIXème siècle, le système linguistique roumain a subi un
intense processus de modernisation, connaissant de profondes transformations
notamment au niveau lexical. Dans ce processus d'enrichissement lexical, le
français a joué un rôle considérable, car il a fourni au lexique roumain
d'innombrables termes appartenant à des domaines conceptuels extrêmement
divers.
L'objectif de la présente contribution a été de constater dans quelle
mesure le roumain parlé à la fin du XIXème siècle portait l’empreinte de l'influence
française.
A la base de mon corpus se trouve un texte dramatique roumain datant de
la fin du XIXème siècle, plus précisément, la comédie O noapte furtunoasă 2 qui a
été mise en scène pour la première fois en 1879 et représente l'un des chefsd'œuvre du grand écrivain roumain Ion Luca Caragiale. À travers cette pièce de
théâtre, l'auteur offre à ses lecteurs une image lucide, souvent ironique de la société
roumaine qui, au XIXème siècle, traversait une période de transition évolutive, en
s'arrachant au modèle culturel ancien, dominé par des influences balkanicoorientales, pour accueillir les nouvelles valeurs culturelles véhiculées par l'Europe
occidentale.
Etant donné que ma recherche porte sur l'influence lexicale exercée par le
français sur le roumain courant de la fin du XIXème siècle, le texte théâtral m'a
donné la possibilité d'avoir un aperçu sur la langue parlée, en découvrant les
214
habitudes langagières des locuteurs de l'époque. L'élément inédit apporté par cette
comédie réside en grande mesure dans la capacité de l'auteur de transmettre à
travers les dialogues créés entre les personnages la façon de parler de ses
contemporains. Doué d'un grand esprit d'observation, l'auteur transpose dans ses
pièces la langue orale de son époque, soit la langue des personnes qu'il entendait
parler autour de lui. Selon le linguiste roumain George Ivănescu, les gallicismes
auraient pénétré dans le parler des classes bourgeoises entre 1830 et 1880. Si nous
prenons en considération l'année de parution de la pièce, nous pensons que
l'écrivain a vraisemblablement trouvé des termes français dans le parler de la
bourgeoisie et qu'il n'a pas eu besoin d'innover (cf. Ivănescu 1980: 672-673). Le
texte dramatique choisi dévoile donc les particularités de la langue commune, telle
qu'elle était parlée à la fin du XIXème siècle.
À partir de cette pièce de théâtre qui a constitué mon support de recherche,
les unités lexicales de provenance française, ont été classifiées et analysées sous
plusieurs aspects: dans un premier temps, les lexèmes répertoriés ont été classés
selon la typologie de l'emprunt, l'origine et les champs sémantique désignés; dans
un deuxième temps, les mêmes lexèmes ont été analysés du point de vue
phonétique, morphologique, sémantique et sociolinguistique. Les lexèmes d'origine
française, une fois repérés, ont été insérés dans un tableau qui constitue le point de
départ de ma recherche. À l'intérieur de ce tableau, à chaque lexème, j'ai ajouté des
indications concernant la filière étymologique, ainsi que des indications de nature
phonétique, morphologique et sémantique. Par manque d’espace et de temps je me
contente dans ce qui suit de brièvement les lexèmes de provenance française
rencontrés dans la pièce de théâtre citée ci-dessus.
I. Les unités lexicales présentant une étymologie uniquement française
Les gallicismes
Emprunts de luxe3
amploiat, comersant,
democraţiune, fason,
madamă, maşer,
monşer, musiu,
pasion, peripeţiune
rezon, signal
Autres emprunts
venus du français
Emprunts durables
adresă, baionetă,
bilet, cintiron, crimă,
curaj, damă,
egalitate, gardă,
insultă, jurnalist,
opozant, portret,
refuz, reverie,
suveranitate
democrat, gazos,
215
afront, apel, atac,
bază, colaboratore,
companie,
compliment, destin,
entuziasm, galon,
gaz, grup, listă,
localitate, mandat,
masă, mizerabil,
modistă, , poezie,
post, publicist,
reacţiune, redactor,
regim, sergent,
situaţiune, şalon,
tiradă
mizericordios, perfid,
Les calques lexicaux
ambetat
suveran, tandru,
viritabil
a depanda, a importa, a abandona, a (se)
a manca, a prezanta
amoreza, a anexa, a
fredona, a parfuma, a
persecuta, a profita, a
recomanda, a
turmenta
precedent, sublim
a accentua, a asasina,
a ataca, a completa, a
complimenta, a
comprima, a
comunica, a periclita,
a persuada
alevoa (au revoir),
mersi (merci),
bonsoar (bonsoir),
pamplezir (par
plaisir)parol (parole),
sanfaso (sans façon)
a combate
(combattre), a
compătimi
(compatir), a consimţi
(consentir),a distrage
(distraire), a încânta
(enchanter), a
întrerupe
(interrompre), a
retrage (retirer), a
subsemna
(soussigner),
a tresări (tressaillir)
aparte (à part)
II. Les unités lexicales présentant une étymologie multiple
1. Les emprunts latino-romans4
Les emprunts latino-romans à
étymologie double
(latin/français)
Les emprunts latino-romans à
étymologie triple
(latin/français/italien)
accent, adoraţiune, album, ambiţ, articol,
onoare, prefaţiune
auroră, bagabont, candoare, ceferticat,
chestiune, circumscripţie, conflict,
costituţiune, declaraţie, dicoraţie, domiciliu,
educaţie, eternitate, existenţă, fraternitate,
geniu, gest, impresie, inspiraţiune, izirciţ,
libertate, liră, ministru, obscuritate, opiniune,
patrie, poblic, progres, respect, satisfacţie,
societate, sufragiu, ton, tragedie, trebunar,
volubilitate
civic, delicat, dramatic, fatal, formal, fragil, curios, radios
fundamental, furios, grav, implacabil, infinit,
ingenios, ingrat, judiciar, lugubru, naţional,
nominal, onorabil, oribil, original, pozitiv,
tenebros, universal, urgent, venerabil
a adora, a chiarifica, a confunda, a considera,
216
a dedica, a informa, a inspira, a intitula, a
isplica, a observa, a permite, a protege, a
transporta
2. Les emprunts romans (français/italien)
capriţ, ciment, dipotat, emoţie, gazetă, palpitaţie, republică
misterios, pitoresc
a corespunde, a maltrata, a palpita, a scuza
adio, bravo(s)
3. Les emprunts mixtes
Les emprunts présentant
une étymologie latinoromane combinée avec
l'allemand
Les emprunts présentant
une étymologie latinoromane combinée avec le
grec moderne
levorver (fr./all.), mobilă
filozofie (ngr./fr.), patriot
(fr./it./all.), moment
(ngr./fr./all.), poet
(lat./fr./it./all.), motiv
(ngr./lat./it./fr.)
(fr./it./all.), muzică
(lat./it./fr./all.), ocaziune
(fr./all./lat.), pact (fr./lat./all.),
pardon (fr./all.), pauză
(lat./fr./all.), perlă (fr./it./all.),
persoană (lat./all./fr.),
poziţiune (fr./lat./all.),
reflecţie (fr./lat./all.),
reglement (fr./all.), rond
(fr./all.), roză (fr./it./lat./all.)
sistematic (lat./fr./all.)
Les emprunts présentant
une étymologie mixte
combinée avec le russe
lampă (all./russ./fr.).
liric (fr./lat./ngr), poetic
(ngr./lat./it./fr.), politic
(lat./ngr./fr.)
a repeta (fr./ all.)
Avant toute chose, nous observons que les unités lexicales insérées dans le
tableau présenté ci-dessus ont été classifiées en fonction de leur origine. Cela dit,
une première séparation a été effectuée entre les unités lexicales présentant une
étymologie simple, uniquement française, et celles présentant une étymologie
multiple - le cas où un étymon français est combiné à un étymon ou à plusieurs
étymons issus d’autres langues. Il est important de préciser que l’étymologie de ces
unités lexicales a été établie en consultant les dictionnaires suivants: Dicţionarul
217
explicativ al limbii române (plusieurs versions ont été utilisées: celle de 1975, celle
de 1998, ainsi que la version informatisée du DEX), Dicţionarul etimologic al
limbii române (dont l'auteur est Alexandru Ciorănescu) et le Dictionnaire des
emprunts latins dans les langues romanes (publié sous la direction de Sanda
Reinheimer-Rîpeanu).
Nous constatons que la première catégorie, qui regroupe les lexèmes
d’origine uniquement française, est à son tour divisée en plusieurs sections: une
section dédiée aux gallicismes, une autre regroupant les emprunts français ayant un
statut spécial, car ils ne peuvent pas être considérés des gallicismes et, finalement,
une troisième section dédiée aux calques lexicaux.
La section des gallicismes comprend tout d’abord, les unités lexicales
françaises, dans une forme non assimilée au roumain, reproduit par Caragiale pour
ironiser la langue des locuteurs incultes, qui veulent montrer qu’ils savent parler
français.
roum. alevoa <fr. au revoir, roum. bonsoar <fr. bonsoir, roum. madamă <fr.
madame, roum. maşer <fr. ma chère, roum. mersi <fr. merci, roum. monşer <fr.
mon cher, roum. musiu <fr. monsieur.
Deuxièmement, nous appelons gallicisme, toute forme lexicale formée en
français et qui ne se retrouve dans des autres langues que sous la forme
d’emprunt. Cela veut dire que les lexèmes regroupés dans cette première sousdivision sont soit des créations internes à la langue française5 - obtenues
notamment à travers le processus de dérivation -, soit des mots hérités du latin qui
ont suivi au long des siècles une évolution phonétique propre au bloc gallo-roman
septentrional ou d’origine germanique, cela dit, des lexèmes tels que: amploiat
(<fr. employé), damă (<fr. dame), fason (<fr. façon), rezon (<fr. raison) ou
suveran (<fr. souverain), gardă (<fr. garde), en se distinguant ainsi de leurs
correspondants dans les autres langues romanes (cf. les équivalents italiens:
impiegato <impiegare, donna, ragione, sovrano, guardia).
Troisièmement, nous avons considéré comme étant des gallicismes, les
termes qui n’étaient pas forcément spécifiques à la langue française, mais qui se
présentaient sous une forme graphique et acoustique extrêmement proches de la
prononciation française (voir dans ce sens les lexèmes comersant, gazos, a
depanda, a prezanta).
A l’intérieur de cette section consacrée aux gallicismes, nous avons dû
effectuer une division complémentaire. Ainsi, les gallicismes ont été différenciés
en fonction de leur parcours sémantique au fil du temps et en fonction de leur statut
actuel. D’un côté, nous avons relevé les unités lexicales qui sont sorties de l’usage
courant, ayant eu une existence relativement éphémère. C’est ce que la plupart des
linguistes désignent sous l’appellation emprunts de luxe. La plupart de ces lexèmes
d’origine française n’ont apporté presque aucune utilité pratique à la langue
emprunteuse, car le roumain disposait déjà de ses propres moyens pour désigner les
concepts en question. Leur brève existence dans la langue commune à un moment
donné n’est que le résultat d’un effet de mode et d’un sentiment d'admiration pour
218
la culture et le savoir vivre français. Nous constatons que la plupart de ces
gallicismes «de luxe» sont des termes mondains avec lesquels la bourgeoisie
roumaine ornait autrefois d’une façon maladroite ses conversations quotidiennes:
roum. alevoa <fr. au revoir, roum. ambetat <fr. embêté, roum. amploiat <fr.
employé, roum. bonsoar <fr. bonsoir, roum. a importa <fr. importer6, roum.
madamă <fr. madame, roum. a manca <fr. manquer («se soustraire à une
obligation sociale et morale»), roum. maşer <fr. ma chère, roum. monşer <fr. mon
cher, roum. musiu <fr. monsieur, roum. rezon <fr. raison, roum. sanfaso <fr. sans
façons.
A travers l'emploi de ces gallicismes ‘mondains’, le locuteur souhaitait
impressionner son interlocuteur et se rapprocher d'une certaine manière des classes
cultivées de la société. Cependant, bien qu'ils aient été très en vogue au XIXe et au
début du XXème siècle, ces termes mondains sont disparus de l’usage courant, étant
perçus aujourd'hui comme vieillis et désuets.
Nous constatons toutefois l'existence de quelques gallicismes de luxe qui
ont résisté au passage du temps et ont fini par s’intégrer au système linguistique
roumain. Cependant, lors du processus d'adaptation, ces lexèmes ont subi une
transformation et ont perdu leur aspect francisé, en donnant naissance à de
nouvelles formes adaptées au roumain. De cette manière, le substantif comersant a
évolué vers comerciant, les verbes a depanda et a prezanta ont évolué vers a
depinde et a prezenta, alors que le substantif signal a laissé place à semnal.
Il existe aussi des gallicismes mondains dont l'emploi connaît toujours un
vrai succès. C'est le cas des termes mersi (<fr. merci), pardon (<fr. pardon) ou
parol (<fr. parole). De nos jours, ces termes sont employés notamment en tant
qu'interjections. Actuellement, le terme de remerciement mersi est tout aussi utilisé
que son équivalent autochtone mulţumesc. Le terme mulţumesc semble être
toutefois employé dans des situations plus formelles, alors que mersi caractérise les
situations de communication plus familières (cf. Zafiu 2007). En outre, ce
gallicisme s'est si bien adapté au système linguistique roumain qu’il a été même
intégré dans de nouvelles tournures idiomatiques: a zice mersi / bine mersi.
De son côté, le gallicisme pardon est fréquemment utilisé en tant que
modalité de s’excuser, et, de plus, le terme a été intégré dans la phraséologie: a
avea pardon (s’excuser, être pardonné):
«Jupân Dumitrache, adică să am pardon de impresie, eu gândesc că numai ţi-ai
făcut spaimă degeaba» (Caragiale 1985: 6).
L’emploi de l’interjection parol a le rôle de renforcer ou de garantir la
véridicité d’une affirmation. Le terme a même un dérivé sur terrain roumain, à
l’aide du suffixe -ist: parolist (personne qui tient sa parole).
En outre, ce serait intéressant d'évoquer que le corpus étudié nous fournit
même des ‘gallicismes’ inconnus au français, car ils se sont formés au sein de la
langue roumaine. C’est le cas du substantif joben (rencontré dans le texte sous la
forme giuben). Le terme, désignant le haut-de-forme, continue le nom du chapelier
219
français Jobin, établi à Bucarest vers la deuxième moitié du XIXème siècle. C’est
probablement grâce à lui que les bourgeois roumains ont connu ce type de chapeau
et ce fut donc une bonne raison pour que le nom du chapelier soit lexicalisé.
Le verbe a se amoreza ‘tomber amoureux’ représente un autre exemple de
dérivation sur terrain roumain. Le verbe provient du substantif amorez, masculin de
amoreză, fausse adaptation du fr. amoureuse. Amorezat(ă) sont des participes
passés du verbe a (se) amoreza.
«Vezi dumneata cine mi-a fost soră-mea Ziţa! D-aia se ţinea dumneei de capul
meu să tot batem grădinile; era amorezată» (ibidem: 34).
Un autre terme qui présente une évolution intéressante est le substantif
gardist, formé par dérivation à partir du substantif d’origine française gardă. Le
lexème gardist désignait dans le passé «un officier de police qui surveillait les rues
d’une ville».
La deuxième catégorie intitulée emprunts durables regroupe les
gallicismes qui se sont maintenus au long du temps et ont fini par trouver leur place
définitive dans le système lexical roumain. Il s’agit des emprunts de nécessité qui,
contrairement aux emprunts de luxe énumérés ci-dessus, ont apporté une certaine
utilité au système lexical roumain. Bien que, dans la plupart des cas, la langue
disposait déjà d’éléments autochtones pour désigner les concepts évoqués par ces
gallicismes, ces derniers ont sans doute eu le mérite d’avoir apporté un nouveau
souffle à la langue roumaine, en l'enrichissant et rendant plus moderne. Ces termes
sont liés à des champs sémantiques très divers. Cependant, la plupart de ces
lexèmes ont trait à la terminologie militaire (apel, baionetă, cintiron, companie,
galon, gardă, post, sergent, signal), administrative (adresă, a anexa, bilet, listă,
mandat) et politique (democraţiune, democrat, egalitate, opozant, reacţiune, regim,
suveran, suveranitate). En outre, parmi ces emprunts faits au français nous
repérons aussi de nombreux termes désignant des noms de métiers: jurnalist,
colaborator, publicist, redactor.
Les autres emprunts regroupés dans cette catégorie sont des termes
abstraits: des adjectifs qui servent à caractériser les êtres animés et inanimés
(mizerabil, mizericordios, perfid, sublim, tandru, viritabil) ou des substantifs et des
verbes qui sont perçus comme livresques et soutenus (afront, a comprima,
entuziasm, insultă, refuz, reverie, a persecuta, a periclita, a persuada).
Toujours parmi les lexèmes d’origine uniquement française, nous avons
relevé une deuxième section regroupant un type différent d’emprunts faits au
français. Ces emprunts ne peuvent pas être considérés des gallicismes car ils ne
désignent ni un concept spécifique à la culture française, ni un terme développé à
l’intérieur du français. Après avoir consulté les dictionnaires étymologiques italien
et espagnol, nous avons pu remarquer que tous les termes regroupés dans cette
section se retrouvaient aussi dans ces deux langues romanes. Cela s’explique soit
par le fait qu’à l’origine il s’agit d’emprunts faits au latin savant, soit qu’il s’agit de
formes répandues d’une langue à une autre, cela étant le cas des emprunts
220
interromans. Cette catégorie est donc consacrée aux lexèmes d’origine latinoromane qui, d'après la plupart des dictionnaires consultés, sont entrés en roumain
uniquement par l’intermédiaire du français. Quelques-uns de ces termes présentent
pourtant beaucoup d’irrégularités au niveau étymologique, ce qui peut soulever un
grand nombre de questions.
La troisième section comprend les unités lexicales obtenues par calque
lexical. Il s’agit de ces situations où, à l’emprunt lexical, le roumain a eu recours au
calque. Cela dit, les lexèmes français n’ont pas été empruntés tels quels, mais ils
ont été découpés en plusieurs unités de sens et, ultérieurement, chaque unité a été
littéralement traduite en roumain. Le lexème français est par conséquent reconstruit
à l’aide des éléments autochtones correspondants. En analysant les unités lexicales
formées par calque et présentes dans le corpus, nous remarquons qu’elles peuvent
être facilement découpées en plusieurs morphèmes: un préfixe auquel vient
s’ajouter un radical - qui peut être un verbe ou un participe passé adjectif. Grâce
aux moyens autochtones, chaque préfixe et chaque radical ont reçu un équivalent
roumain. De nos jours, pour les locuteurs non-avertis il est difficile de reconnaître
l’origine étrangère de ces unités lexicales :
a combate (<fr. combattre), a compătimi (<fr. compatir), a consimţi (<fr.
consentir), a distrage (<fr. distraire), a încânta (<fr. enchanter), a întrerupe (<fr.
interrompre), a retrage (<fr. retirer), a subsemna (<fr. soussigner), a tresări (<fr.
tressaillir).
Enfin, la deuxième grande catégorie regroupe les unités lexicales
auxquelles les dictionnaires consultés attribuent une étymologie multiple. Par
étymologie multiple ou collective, nous entendons la propriété d'un lexème d'avoir
plusieurs étymons. Plus précisément, ce concept désigne la capacité d'un terme «x»
de parvenir dans le système lexical d'une langue emprunteuse par plusieurs voies,
ou, autrement dit, il montre la capacité d'une certaine langue d'emprunter un même
terme à plusieurs autres langues. L'emprunt de ce terme «x» peut être effectué soit
simultanément, soit à des intervalles de temps plus ou moins proches.
A l’intérieur de la catégorie des emprunts à étymologie multiple, nous
avons relevé l’existence de trois types différents d’étymologie collective.
Premièrement, nous avons distingué les emprunts d’origine latino-romane qui, à
part un étymon français, présentaient aussi un étymon latin ou, plus rarement, un
étymon italien. Nous avons inclus dans cette sous-division les latinismes parvenus
en roumain par l’intermédiaire du français et, dans une moindre mesure, par
l’intermédiaire de l’italien.
D'ailleurs, tout au long de la recherche entreprise, nous avons accordé une
attention particulière aux unités lexicales présentant une double étymologie latinofrançaise. En analysant leur intégration phonétique, morphologique et sémantique
au système linguistique roumain, nous avons observé que ces lexèmes présentaient
un comportement extrêmement intéressant. Cela dit, nous nous sommes aperçus
que du point de vue graphique et phonétique, ces unités lexicales devaient être
221
rapprochées plutôt de leurs étymons latins et que leurs formes définitives avaient
été obtenues sur le modèle des correspondants latins.
En vérifiant l’origine de ces emprunts dans plusieurs dictionnaires
étymologiques français7, nous avons noté qu’ils sont presque tous empruntés au
latin cultivé. Il s’agit des termes que le français a empruntés dès le Moyen Age au
fonds latin savant. Quelques siècles plus tard, le français transmettra ces latinismes
au lexique roumain. L’étymon français marque donc la source directe du
néologisme, la langue fournisseuse, alors que l’étymon latin signale la source
primordiale du néologisme en question. Par conséquent, c’est grâce au latin que ces
lexèmes étrangers ont fini par s’installer dans le système linguistique roumain et
ont trouvé leur allure définitive. Toutefois, le français n’a pas joué que le rôle de
simple fournisseur. Tout au contraire, à travers notre recherche, nous avons
constaté que le français a eu une contribution fondamentale dans l’intégration
sémantique des lexèmes analysés. Nous avons remarqué que, du point de vue
sémantique, ces latinismes arrivés probablement en roumain au XVIIIème et XIXème
siècle désignaient des réalités conformes à l’époque en question. La plupart de ces
néologismes sont donc parvenus en roumain avec des signifiés modernes,
développés au cours des siècles sur le terrain de la langue française, et non pas avec
les signifiés anciens du latin classique.
Prenons l'exemple du substantif roumain candoare (<fr. candeur, <lat.
CANDOREM). Le substantif semble avoir été adapté au système linguistique
roumain d'après le correspondant latin CANDOREM, soit à partir de la forme
d'accusatif des substantifs latins provenant de la troisième déclinaison
imparisyllabique.8 Cependant, sémantiquement parlant, le terme roumain renvoie,
de même qu'en français, à «la pureté morale», à «l'innocence», alors qu'en latin
classique le terme désignait uniquement «une blancheur éclatante» (cf. Le Gaffiot:
253).
La caractéristique fondamentale des néologismes latino-romans (ou latinofrançais) consiste donc dans une espèce de dualité, car leur forme est due au latin,
alors que leur sens est dû au français, à l’italien ou à toute autre langue qui aurait
pu jouer le rôle de langue intermédiaire.
La deuxième sous-division de la catégorie des emprunts à étymologie
multiple réunit les emprunts romans. Il s’agit des unités lexicales parvenues en
roumain par le biais du français et de l’italien. A l’origine, ces unités lexicales sont
soit des latinismes, soit des formations développées à l’intérieur de l’une de ces
deux langues romanes:
capriţ (aujourd'hui capriciu) <fr. caprice, it. capriccio (terme d'origine italienne);
emoţie <fr. émotion, it. emozione (en français, le nom est formé par dérivation à
partir du verbe émouvoir); gazetă <fr. gazette, it. gazzetta (terme d'origine
italienne); misterios <fr. mystérieux, it. misterioso (en français, aussi bien qu'en
italien, l'adjectif est dérivé de mystère, misterio) ; bravos (aujourd'hui bravo) <fr.
bravo, it. bravo (terme d'origine discutable); adio <fr. adieu, it. addio (lexèmes
créés par composition : à + Dieu, respectivement a + Dio).
222
Enfin, la troisième sous-division est dédiée aux unités lexicales ayant une
étymologie mixte. Par étymologie mixte, nous désignons ces emprunts qui ont à la
fois une origine latino-romane et une origine non-romane. Parmi les étymologies
classiques (latin, français, italien), nous retrouvons aussi des origines non-romanes
telles que l'allemand, le russe et le grec moderne. En analysant ces lexèmes nous
pouvons facilement constater qu’à l’origine nous avons affaire à des latinismes ou
à des néologismes romans. Nous pourrions supposer que ceux-là sont arrivés en
roumain par le biais de l’allemand, du russe et du grec moderne. Il s’agit d’ailleurs
des langues proches du point de vue géographique qui ont influencé le roumain à
un moment donné de son évolution.
Le corpus de recherche analysé a pu être exploité aussi du point de vue
sociolinguistique, car la comédie étudiée expose une tendance linguistique typique
du XIXème siècle: le jargon à la française – jargonul franţuzit. Ce type de jargon se
définit comme une forme de langage typique de certaines catégories sociales, qui,
par désir de se distinguer des autres locuteurs, utilisent des mots et des expressions
d'origine étrangère. Ce phénomène linguistique aurait commencé à se produire au
début du XIXème siècle et, dans un premier temps, il aurait caractérisé le parler de la
classe des boyards. L'emploi abondant des gallicismes n'était qu'un moyen à travers
lequel les locuteurs essayaient de se distinguer des autres classes de la société en
imitant les habitudes occidentales. En 1879, l'année où la comédie O noapte
furtunoasă a eu sa première représentation, nous constatons que ce jargon était déjà
descendu parmi les autres couches de la société, étant donné que les personnages
emploient un nombre considérable d'éléments spécifique à ce jargon à la française:
alevoa (<fr. au revoir), ambetat,-ă (<fr. embêté, -e), amorezat, -ă (<fr. amoureux,
amoureuse), amploiat (<fr. employé), bonsoar (<fr. bonsoir), comersant (<fr.
commerçant), fason (<fr. façon), madam ou madamă (<fr. madame), maşer (<fr.
ma chère), mersi (<fr. merci), modistă (<fr. modiste), monşer (<fr. mon cher),
musiu (<fr. monsieur), pamplezir (<fr. par plaisir), pasion (<fr. pension), pardon
(<fr. pardon), parol (<fr. parole), rezon (<fr. raison), sanfaso (<fr. sans façon).
L'emploi ostentatoire des termes d'origine française souligne le désir des
couches moyennes de la société de copier les classes sociales dites privilégiées et
de paraître ainsi cultivées et instruites.
Le texte dramatique sur lequel porte notre corpus de recherche a le mérite
de mettre en relief le parler d'un groupe social bien défini, soit la petite bourgeoisie
roumaine. Cette couche sociale est représentée par des personnes issues des
milieux populaires habitant dans les faubourgs de la capitale roumaine, ayant
connu une certaine aisance. Au long du XIXème siècle, nous assistons à un
phénomène culturel extrêmement intéressant, car la société roumaine tourne son
visage vers les nouvelles valeurs véhiculées par les pays occidentaux. Cela dit, les
classes bourgeoises roumaines commencent à devenir cosmopolites, ce qui a
comme résultat immédiat l'apparition des termes de provenance occidentale,
notamment françaises, dans la langue courante. Il est intéressant de constater que
223
l'influence française s'est manifestée inégalement d'une classe sociale à l'autre.
Autrement dit, le langage des locuteurs roumains a été différemment influencé par
le français en fonction de leur appartenance sociale et de leur niveau d’instruction.
Au début du présent article nous avons déjà signalé que les classes privilégiées de
la société: l’aristocratie, la haute bourgeoisie et les élites intellectuelles possédaient
de très bonnes connaissances de français. En outre, dans la plupart des cas, ces
personnes étaient même parfaitement bilingues car le français était employé de
manière quotidienne dans les conversations intimes. Les autres classes sociales
accueillent différemment l’influence française. Ayant reçu moins d’éducation, les
membres de la petite bourgeoisie et des classes populaires connaissaient peu ou pas
du tout la langue française. Cependant, l’influence française se manifeste aussi au
sein de ces milieux sociaux, car, comme nous l’avons déjà constaté, ces locuteurs
utilisent assez fréquemment des gallicismes et des expressions françaises entendus
ailleurs. Généralement, ce sont les gallicismes les plus «mondains», ceux qui
réussissent à franchir les frontières établies entres les différentes classes de la
société (cf. supra). D’habitude, ces nouveaux termes étrangers sont écorchés par la
mauvaise prononciation des locuteurs. D’autres fois, leur signifié est mal compris
et ils sont utilisés dans de mauvais contextes. Ce qui est certain, c’est que ces
locuteurs paraient leurs conversations de gallicismes pour impressionner leurs
interlocuteurs, pour se faire ainsi admirer et, le plus important, pour se rapprocher
en quelque sorte des classes élitistes.
NOTES
1
Dans cet article les termes ‚gallicisme‘ et ‚emprunts de luxe’ et ‘de nécessité’ sont employés dans le
sens de Deroy (1956).
2
La pièce a été adaptée en français par Eugène Ionesco sous le titre d'Une nuit orageuse.
3
Il s’agit de mots d’origine française mal assimilés au roumain, qui ne se sont pas maintenus sous
cette forme et qui remplacent des termes existant déjà en roumain. ****
4
Dont une partie n’ont pas (encore) été assimilée au roumain et fait partie du type qu’on trouve sous I
(dicorație, ambiț, ceferticat, izirciț, poblic, trebunar, a isplica,levorver etc.).
5
Voir dans ce sens les lexèmes suivants: baïonnette, courage, ceinturon, égalité, embêter, portrait,
rêverie, refus, gazeux, fredonner, tourmenter, etc.
6
Il faut noter que le verbe a importa n'a perdu que le signifié évoqué dans notre corpus, soit «être
important, compter», car de nos jours il a garde encore son sens spécialisé, en désignant «l'action
d'introduire dans un certain pays les produits qui viennent d'un autre pays».
7
Les principales sources consultées ont été: le Dictionnaire étymologique de la langue française
(ayant comme auteurs Oscar Bloch, Walther von Wartburg), le Dictionnaire étymologique (de
Jean Dubois, Henri Mitterrand et Albert Dauzat) et le Trésor de la langue française informatisé.
8
À remarquer la conservation de la voyelle atone /e/ en position finale et la diphtongaison
conditionnée du ō tonique latin, traits spécifiques à l'évolution phonétique du roumain.
224
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española, Real Academia Española).
226
L’ÉTYMOLOGIE DES GALLICISMES DU ROUMAIN*
Mihaela POPESCU
Université de Craiova, Roumanie
Membre FROMISEM
1. INTRODUCTION
1.1. Objectifs
Dans le cadre de cette communication nous nous proposons de faire le
point sur l’une des directions de recherche qui s’est constituée comme objectif
majeur dans le cadre du projet FROMISEM. Plus précisément, il s’agit de l’analyse
des problèmes étymologiques posés par les emprunts roumains au français (ou par
les gallicismes du roumain, selon la terminologie proposée par A. Thibault 2004;
2009), à partir des indications données par les dictionnaires roumains. Nous avons
tenu compte de plusieurs critères, dont les plus importants sont: la première
attestation, l’analyse des lexèmes correspondants aux autres langues envisagées
comme sources potentielles d’emprunt, les variations diachroniques, diastratiques,
diaphasiques de la langue source ainsi que de la langue cible et la recherche de la
filière, c'est-à-dire, de la voie de pénétration.
Une telle entreprise s’avère inépuisable pour les recherches linguistiques
car, en dépit de la pratique lexicographique inconséquente, incomplète ou parfois
même erronée, il est aujourd’hui reconnu d’une manière unanime que, de toutes les
langues romanes, le roumain a subi la plus grande influence de la part du français.
La période de pénétration a été longue et les mots entrés en roumain représentent
une partie nombreuse et importante du vocabulaire de la langue moderne.
En même temps, il s’agit d’une démarche très compliquée, étant donné,
d’un côté, les situations étymologiques diverses du roumain et, de l’autre, le
caractère hétérogène des indications étymologiques données par les dictionnaires
roumains surtout dans les cas, très nombreux, des mots à « étymologie multiple »1
où les critères étymologiques, linguistiques (sémantiques et formels) et
extralinguistiques (d’ordre socioculturel, historique, etc.), ne sont pas toujours
appliqués de manière correcte.
1.2. Sources lexicographiques
Pour cette démarche nous avons pris en considération, dans un premier
temps, toutes les sources lexicographiques roumaines disponibles (le DA / le DLR,
le DEX, le CDER, le RDW, le DLRC et le DN - v. la bibliographie). Une telle
227
confrontation lexicographique a été nécessaire surtout pour mettre en évidence les
problèmes d’attestations et d’indications étymologiques douteuses, ainsi que la
distinction, très difficile à opérer, entre les mots dérivés en français et ceux créés
ultérieurement en roumain (cf. Hristea 1968: 32 et suiv.; Reinheimer-Rîpeanu
1989; Popovici 1992, 1996).
Les résultats étymologiques des gallicismes roumains obtenus dans un
registre extrait de l’édition 1998 du DEX2, c’est-à-dire le Dicţionar de împrumuturi
lexicale din limba franceză (DILF: 2009), ont été corroborés avec les données
offertes surtout par le DA / DLR, le dictionnaire historique trésor de la langue
roumaine3, le CDER et le RDW (1895-1925) qui, dans sa première édition, offre de
bonnes étymologies bien que le nombre des mots de la deuxième moitié du
XVIIIème siècle et du XIXème reste assez limité. La seconde édition réalisée par Paul
Miron (1985-1989) se révèle d’une très grande importance, en indiquant la
première attestation qui a été déduite en fonction de l’année de l’apparition de la
première attestation écrite, mentionnée dans le DA, respectivement, dans le DLR.
En principe, nous avons fait abstraction des dictionnaires parus avant 1950,
date de la publication de l’article de Graur sur l’«étymologie multiple», c'est-à-dire
le CDDE (1907-1914), le SDLR (1939) et le DU (1896) qui indiquent, bien que
d’une manière inconséquente, ci et là, plusieurs sources étymologiques.
2.
LES
GALLICISMES
CATÉGORISATION
DU
ROUMAIN:
ESSAI
DE
Dans un premier temps, nous avons essayé d’esquisser une typologie des
emprunts roumains au français du point de vue de leurs étymologie, tout en tenant
compte aussi bien des critères et des taxonomies véhiculées dans la littérature de
spécialité, que de leur application dans les ouvrages lexicographiques roumains. On
est arrivé aux distinctions suivantes (v. Iliescu et al. 2010: 590-591):
(a) la catégorie des gallicismes à étymologie uniquement française: il s’agit des
mots considérés comme pénétrés du français en roumain, c’est-à-dire des mots
venus indubitablement par filière française et seulement française.
(b) la catégorie des gallicismes à étymologie multiple: il s’agit des mots dont la
filière de pénétration peut être due non seulement au français, mais aussi à
d’autres langues où circulait le même néologisme.
(c) la catégorie des gallicismes à étymologie controversée: il s’agit surtout des
mots où il n’y a pas moyen de faire une distinction nette entre emprunt (au
français, dans notre cas) et création interne. Tel est le cas, par exemple, du mot
roumain revoltat qui pourrait être soit un participe passé du verbe A REVOLTA
soit un emprunt direct d’après le fr. REVOLTE.
2.1. L’étymologie uniquement française
Dans le cas des mots à étymologie uniquement française, les dictionnaires
roumains indiquent comme origine exclusive un mot français, hypothèse renforcée
par l’aspect phonétique (y compris l’accent), plus ou moins adapté au roumain
228
(leurs signifiants se caractérisent en général par peu de changements phonétiques
ou morphologiques dus au passage du français au roumain), le sens spécifique pour
le français, la date de pénétration et / ou l’auteur dont provient la première
attestation. Très important est aussi le canal de pénétration: écrit (par exemple,
automat, certificat) ou oral (par exemple, manşetă, coşmar), les deux voies de
pénétration étant parfois possibles pour le même mot (cf. Iliescu: 2003-2004).
À juger d’après le registre DILF, la plupart des gallicismes du roumain
font partie de cette première catégorie d’étymologies, c'est-à-dire des emprunts
pénétrés en roumain directement du français, parfaitement intégrés dans le
vocabulaire roumain. Dans cette catégorie entrent par exemple: fabricant, -ă du fr.
FABRICANT, a fabula du fr. FABULER, fantezie du fr. FANTAISIE, frenetic du fr.
FRENETIQUE mais aussi rău famat calque partiel du fr. MAL FAME ou cale ferată
qui est un calque partiel du fr. VOIE FERREE ou bien des emprunts plus récents qui
circulent surtout dans le langage de la presse, mais qui ne figurent pas encore dans
les dictionnaires, tels : a antama (du fr. ENTAMER), a anvizaja (du fr. ENVISAGER),
inubliabil (du fr. INOUBLIABLE) et dont l’origine française est évidente (cf. Şora
2006: 1728).
Une sous catégorie des mots à étymologie uniquement française est
constituée par ce qu’on pourrait nommer mots à «étymologie unique indirecte»,
c’est-à-dire les mots dont la filière est française, mais qui, en français, proviennent
à leur tour d’une autre langue. Un tel exemple que le roumain doit à la filière
française est interviu «interview». Il est entré en roumain par l’intermédiaire du
français, où, à son tour, il vient de l’anglais, un calque sur l’ancien français
entrevue (cf. TLFi, s.v.). Le même mot était déjà entré une fois en roumain, comme
calque du français, sous la forme transparente întrevedere (cf. Iliescu 2007: 133).
Des cas similaires sont ceux des mots qui désignent généralement des objets ou des
concepts directement liés à des cultures et civilisations étrangères, tels fandango,
mot d’origine espagnole, ou canoë, d’origine anglo-américaine, entrés d’abord en
français et ensuite en roumain.
2. 2. L’étymologie multiple
Dans le cas des gallicismes à étymologie multiple, on peut encore
distinguer (v. Király 1988: 34-37; Hristea 1973 : 4) plusieurs situations :
2.2.1. L’étymologie multiple externe
La catégorie des gallicismes à étymologie multiple externe apparaît
explicitée dans les ouvrages lexicographiques roumains de deux manières :
(a) les dictionnaires indiquent en premier lieu un étymon français,
renvoyant en même temps à une autre source possible. Par exemple, le mot filtru
«dispositif, appareil ou installation qui sert à débarrasser un liquide des particules
solides qui s’y trouvent […]» est défini dans le DEX de la manière suivante : du fr.
FILTRE, cf. l’it. FILTRO ou financiar : du fr. FINANCIER, cf. l’it. FINANZIARIO ou
bien rugos (rare, médical) : du fr. RUGUEUX, cf. le lat. RUGOSUS, etc.
229
Malheureusement, les renvois manquent souvent de support scientifique, étant fort
discutables.
(b) les dictionnaires indiquent plusieurs langues comme étymons possibles,
dont le français, le latin savant, le néogrec, l’italien, l’allemand, l’anglais. Il s’agit
des emprunts qui auraient pu provenir de plusieurs langues de culture
simultanément ou à distance, dans le temps et dans l’espace.
Nous nous sommes intéressé(s) surtout aux mots pour lesquels le français
occupe la première, la seconde ou bien la troisième place, tels que l’exemple
célèbre de lampă [avec la variante (populaire) lambă] où le sens de l’étymon
primaire, le néogrec λαμπάς, ne suffit pas pour expliquer les autres significations
(lampă de gaz « lampe à gaz », lampă electrică « lampe électrique », lampă de
radio « lampe-radio », etc.) que le mot acquiert en roumain une fois avec le
développement de la technique. Par motivation d’ordre extralinguistique (qui
tient de la vie culturelle et économique), ce mot aurait pu provenir sous cette forme
de l’allemand LAMPE, du français LAMPE, du hongrois LAMPA ou même du russe
LAMPA (Graur 1950: 23-24).
En général, l’étiquette d’«étymologie multiple» apparaît:
(i) par motivation d’ordre formel:
- la position de l’accent: Hristea (1968: 104) cite le cas du mot roumain
caractér qui, avec cette structure phonologique, renvoie au fr. CARACTERE, tandis
que la variante carácter peut s’expliquer aussi bien par le lat. CHARACTER, que par
l’all. CHARAKTER. Si l’on prend en charge encore deux autres variantes: haractir et
haracter, alors le nombre des sources s’accroît avec le néogrec χαρακτήρ,
respectivement, le rus. HARACTER.
- la prise en compte des variantes graphiques: Hristea (1968: 105)
mentionne que le mot roumain rasă, pour lequel on a longtemps invoqué
uniquement l’étymologie française, circulait en Transylvanie, avant la réforme
orthographique de 1932, avec la graphie rassă, donc avec deux s, comme en
allemand.
- l’adaptation formelle d’une bonne partie des emprunts au français, sous
l’influence de la forme latine correspondante. Par exemple, dans le cas du mot
culoare qui provient du fr. COULEUR et du lat. COLOR, COLORIS, la métaphonie de
la voyelle o, inattendue ici, caractérise des mots plus anciens hérités du latin et
terminés en –or, tels: floare du lat. FLOS, FLORIS. Si le critère formel favorise la
source latine, il doit être corroboré avec celui morphosyntaxique, car le mot
roumain est de genre féminin tout comme son correspondent français (LA
COULEUR), par rapport aux autres langues romanes qui maintiennent le genre de
l’étymon latin (it. il colore, esp. el color, etc.).
(ii) par motivation sémantique:
Il s’agit des mots qui pourraient s’expliquer, du point de vue de la forme,
comme appartenant à une certaine langue, mais qui, du point de vue sémantique,
pourraient provenir d’une autre langue source. Dans une telle situation se trouvent
certains lexèmes dont la forme renvoie au latin savant et dont le sens correspond à
celui des mots représentant la filière de pénétration. Par exemple, le mot roumain
230
stat provient, selon le critère formel, du lat. STATUS mais, puisque son sens est
celui du fr. ETAT «forme de gouvernement, régime politique, etc.», il est aussi un
emprunt sémantique au français (cf. Hristea 1968: 107).
Dans bien d’autres cas, les filières différentes expliquent le plus souvent
l’une des causes de l’apparition des variantes lexicales non littéraires, populaires,
vieillies, mais avec le même sens que la forme acceptée par la langue standard: v.
les variantes populaires, vieillies: şoholadă (de l’all. SCHOKOLADE) ou şoholată
(du fr. CHOCOLAT) et cf. la forme littéraire ciocolată (de l’it. CIOCCOLATA)4 (v.
Hristea 1968: 104) ou bien des variantes littéraires libres, telles: cofeină (de l’all.
KOFFEIN) et cafeină (du fr. CAFEINE). De même, les variations formelles
diastratiques / diatopiques attestées sont indispensables pour indiquer l’étymologie
dans d’autres cas de figure, tels que : renglotă [variantes: renclodă, ringlotă] du fr.
REINE-CLAUDE, all. RINGLOTTE, ou bien retenţie [variante : retenţiune] du fr.
rétention, lat. retentio, etc.
2.2.2. L’étymologie multiple interne
La catégorie des gallicismes à étymologie multiple interne prend en charge
les créations internes, à la formation desquelles ont pu contribuer, en roumain
même, plusieurs mots base appartenant à la même famille lexicale. C’est par
exemple le cas des dérivés régressifs du type: a recepta qui pourrait provenir de
plusieurs étymons: RECEPTOR, RECEPTIV et RECEPTIE ou bien a candida qui
pourrait provenir de CANDIDAT et de CANDIDATURA (Groza 2004: 83), etc.
2.2.3. L’étymologie multiple mixte ou combinée
Enfin, le cas des mots à étymologie multiple mixte ou combinée (Sala
1999: 67), c’est-à-dire, les situations lexicales où il peut s’agir d’emprunts et des
créations internes à la fois, tels que: pastelist qui par ses sens: 1. «peintre de
pastelles» et 2. «poète qui compose un certain type de poésies, appelé en
roumain pastel» ne doit pas être considéré comme provenant uniquement du fr.
PASTELLISTE (pour le sens 1), mais aussi du PASTEL + –IST (pour le sens 2) (v.
Hristea 1973: 146-147; Sala 1999: 204-205). Il est vrai ce sont des cas plutôt rares
(Ivănescu 1980: 671).
2.2.4. Analyse statistique sur les gallicismes
Selon le registre DILF, la première source indiquée le plus souvent dans le
cas des étymologies multiples est le français. Le latin savant et l’italien suivent le
français, selon la fréquence des renvois. Pourtant, il y a de situations où
l’étymologie française côtoie des étymologies non romanes. Il s’agit dans ce cas du
grec moderne, de l’allemand, du russe et, enfin, surtout ces derniers temps, de
l’anglais qui est, du point de vue lexical, assez romanisé». Par exemple, dans la
langue parlé contemporaine, un bon nombre de néologismes d’origine française,
tels que a aplica (du fr. APPLIQUER), ou oportunitate (du fr. OPPORTUNITE)
acquièrent de nouveaux sens – «demander, solliciter» (pour le mot a aplica),
respectivement, «chance, possibilité, occasion» (pour le mot oportunitate) – qui
représentent des calques sémantique d’après l’anglais APPLAY / OPPORTUNITY
(Groza 2004: 122). Mais c’est un autre type d’étymologie multiple où il y a
superposition de deux emprunts successifs.
231
Une analyse statistique sur les gallicismes de la lettre R du DEX démontre
que pour les 288 unités lexicales à «étymologie multiple», la première alternative,
abstraction faite du français, est le latin, la deuxième l’allemand et la troisième
l’italien (v. infra l’Annexe no. 1). Mais, la confrontation de cette statistique avec le
DLR met en évidence plusieurs divergences.
Par exemple, 30 unités lexicales ne sont pas enregistrées par le DLR, plus
d’une moitié (16 mots) représentant des emprunts plus récents à étymologie
multiple française et anglaise, telles: relaţional, rift, robotică, rubylith, rutherford,
etc.
Les séries les mieux représentées dans les deux dictionnaires consultés sont
celles qui visent l’étymologie double française-latine (122 vs. 83 unités lexicales),
respectivement, française-allemande (63 vs. 46 unités lexicales). Pour une bonne
partie des mots appartenant à ces séries le DLR préfère l’étymologie à source
unique.
Les séries à étymologie multiple triple et quadruple sont faiblement
représentées dans le DLR qui accepte, en général, l’étymologie à double source et
qui présente séparément l’origine des variantes lexicales au cas où celles-ci
existent. Par exemple, pour le mot rit du ngr. RITON, lat. RITUS, fr. RITE, le DLR
mentionne aussi la variante rituş dont l’origine est hongroise.
3. L’«ÉTYMOLOGIE MULTIPLE» ET LES GALLICISMES
Il s’ensuit que l’étymologie multiple, un concept adopté aujourd’hui par la
majorité des linguistes roumains (cf. Sala 1999: 67), s’avère d’une très grande
importance et utilité pour la lexicologie roumaine, si et seulement si elle est
appliquée de façon correcte (cf. Şora 2006: 1728). Mais il y a toute une série
d’obstacles qui se dressent devant le lexicographe étymologiste. C’est pour cela
que nous nous sommes dirigés dans un deuxième temps vers le raffinement de cette
théorie, mettant en évidence tant les pratiques lexicographiques inconséquentes ou
bien erronées, que les déficiences méthodologiques. Un tel approfondissement
nous a permis d’esquisser une typologie des mots qui sont hautement susceptibles
de provenir du français, présentant toutefois d’autres possibilités en tant que
sources étymologiques.
3.1. L’étymologie multiple dans la pratique lexicographique roumaine
Abstraction faite du RDW, les dictionnaires roumains ne mentionnent pas
la première attestation. Ursu (1965: 55-57) cite le cas du mot clas – une variante
plus ancienne de clasă «classe» – dont l’étymon ne doit pas être considéré
(contrairement à l’opinion d’autres chercheurs) de provenance russe, car ses
premières attestations sont enregistrées dans les textes parus en Transylvanie, en
1780, donc dans une période où l’influence russe ne s’était pas encore faite sentir.
L’étymologie correcte serait: clasă [variante vieillie: clas] du fr. CLASSE, all.
KLASSE (Ursu 1965: 55-57).
232
Une autre déficience est l’explication erronée ou même l’ignorance des
variantes qui pourraient être une aide précieuse pour trouver la bonne étymologie,
respectivement la filière de pénétration. Hristea (1968: 105) cite entre autres le cas
du roumain monedă dont l’étymologie est indiquée ou bien de manière unilatérale
(uniquement de provenance latine d’après le CDDE), ou bien elle est trop vague (le
DN indique l’italien MONETA et renvoie en même temps au latin MONETA). En
réalité, du latin et surtout de l’italien provient seulement la variante vieillie moneta,
tandis que la forme roumaine littéraire monedă est d’origine néogrecque (Hristea
1968: 104-105; Graur 1936: 103). Un autre exemple illustratif nous est offert par le
mot inginer que certains dictionnaires (le DU, le DLRM et le CDDE) explicitent
seulement par le français INGENIEUR sans prendre en considération deux aspects
très importants: (1) les formes analogiques qui indiquent l’évolution -or de la finale
française -IEUR dans plusieurs autres mots comme le fr. TRIEUR > roum. trior; le fr.
SKIEUR > roum. schior. L’adaptation du fr. INGENIEUR en roumain aurait donc du
être à *ingeni-or ou bien à *injeni-or; (2) la variante plus ancienne (attestée en
1891 chez George Bariţiu, apud Hristea 1968: 111), ingenier, dont la forme renvoie
à l’italien INGEGNERE. Dans ce cas, une solution étymologique correcte serait:
inginer de l’it. INGEGNERE, d’après le fr. INGENIEUR, l’all. INGENIEUR, cf. le rus.
INGENER.
Le dernier exemple met en discussion un autre aspect des indications
étymologiques incomplètes ou erronées des dictionnaires roumains. Il s’agit d’un
nombre élevé de mots «internationaux» qui proviennent en roumain de plusieurs
langues européennes simultanément ou de manière successive et qui sont
fréquemment enregistrés dans les dictionnaires comme des emprunts au français.
En fait, cette situation spéciale renvoie à – on pourrait déjà le dire – «un hyper
topos» de la littérature de spécialité: la tendance vers l’exagération du nombre des
gallicismes du vocabulaire néologique du roumain moderne et contemporain,
exagération explicable d’un côté par une certaine subjectivité, et de l’autre, par une
certaine commodité des chercheurs. À ce point, plusieurs cas peuvent être soumis à
l’analyse:
(a) les dictionnaires ne mentionnent pas que, dans certains cas, le roumain a
emprunté au français seulement la forme et quelques significations et non pas
toutes les significations et qu’en réalité, pour ce type d’emprunts, il s’agit
d’une véritable « étymologie multiple mixte ou combinée ». Tel est, par
exemple, le cas du mot roumain pastelist (discuté supra – v. § 2. 2. 3.) ou
celui du mot a articula (du fr. ARTICULER, lat. ARTICULARE), dont le second
sens «ajouter un article à un nom ou à un autre équivalent nominal» est une
création de la langue roumaine (Hristea 1968, 111);
(b) (ou bien) les dictionnaires arrivent parfois à inventer des étymons français
qui, en fait, sont inexistants dans la langue parlée en France, en Belgique ou
en Suisse. Par exemple, on indique comme étymologie pour frizer «coiffeur»
le mot français *FRISEUR qui n’existe pas. Une analyse un peu plus poussée
montre que frizer est un emprunt à l’all. FRISEUR (Hristea 1968: 112).
233
3. 2. Déficiences méthodologiques de l’étymologie multiple
D’autre parte, les critères linguistiques sont encore plus difficiles à être
appliqués dans bien des cas à étymologie multiple.
Par exemple, le critère formel n’est pas toujours applicable dans plusieurs
cas de figure, tels que:
(1) L’existence de plusieurs variantes lexicales ne fait parfois qu’augmenter le
nombre des langues potentielles sources de l’emprunt et, par conséquent,
mettre le chercheur dans l’embarras du choix en ce qui concerne l’étymon
(les étymons) primaire(s). Şora (2006: 1726) cite le cas du roumain arteră,
attesté sous cette forme à partir du XIXème siècle, qui renvoie au fr. ARTERE et
qui présente les variantes: artirie (du XVIIIème siècle), explicable par le
néogrec ARTIRIA, respectivement, arterie (attestée vers 1850) qui pourrait être
d’origine italienne, allemande ou russe. Il s’agit, dans ce cas, (a) de plusieurs
formes qui ont coexisté, chacune venue par une autre filière, (b) on pourrait
considérer que la variante du roumain actuel (arteră du fr. ARTERE) s’est
greffée sur toutes les autres variantes ou bien (c) qu’il s’agit d’une forme
empruntée une deuxième fois.
(2) Au contraire, la disparition de certaines variantes formelles et la prise en
charge d’un seul modèle, qui s’est imposé finalement dans la langue,
pourraient conduire à une fausse étymologie qui, fréquemment, envoie à une
source unique. C’est toujours Şora (2006: 1727) qui cite la situation où
certaines variantes signalées au XIXème siècle, dues aux hésitations
d’accentuation, se sont perdues jusqu’à l’état actuel de la langue où s’est
imposé – dans la plupart des cas – le modèle français (antípod, modestie,
etc.).
(3) La différence assez grande entre le phonétisme français et celui roumain a
conduit à une adaptation quasi générale des emprunts au français (pénétrés
surtout par voie culte, écrite) à la phonétique roumaine. De là, la confusion
fréquente entre ce type de néologismes et ceux pénétrés directement de
l’italien. Cela pourrait être l’explication pour le petit nombre (obtenu dans
notre analyse statistique sur les gallicismes de la lettre R) de lexèmes (6
unités) à étymologie double française-italienne du DLR, qui explique des
mots comme a restitui, rezistent, rotondă uniquement par le français, ou bien
par une source triple: française, italienne et latine, dans le cas des mots tels
que romanitate «romanité», republică «république».
(4) D’autre part, les mots roumains pénétrés par filière française et surtout ceux à
étymon italien se confondent du point de vue formel avec les cultismes (les
latinismes mis en circulation vers la fin du XVIIIème siècle par la Şcoala
Ardeleană5) (cf. Ursu 1962: 115). Ainsi l’adaptation formelle des gallicismes
tenant compte du modèle latin pourrait-elle être le critère qui détermine le
DLR à considérer certains néologismes comme provenant uniquement du
latin (v. a rugi dont la source est, selon le DLR, le latin RUGIRE et pour lequel
234
le DEX mentionne: cf. le lat. RUGIRE, le fr. RUGIR), situation qui surgit dans
notre analyse statistique sur les gallicismes de la lettre R.
D’ailleurs, les critères linguistiques, aussi bien que les critères
extralinguistiques semblent impuissants à faire la distinction entre les emprunts
(qui représentent des dérivés dans la langue source) et les créations internes,
réalisées parfois avec des affixes latino-romans. Un exemple classique est celui des
mots roumains terminés en –bil (v. Iliescu: 1959), qui peuvent être soit des dérivés,
tels acceptabil, adaptabil, calculabil, etc. provenant des verbes roumains A
ACCEPTA, A ADAPTA, A CALCULA, soit des emprunts, tels accesibil du fr.
ACCESSIBLE, lat. ACCESSIBILIS; solubil du fr. SOLUBLE, lat. SOLUBILIS ou bien
inflamabil du fr. INFLAMABLE, etc.
Mais ce dernier aspect reste de nos jours encore très difficile à résoudre (cf.
Graur 1950: 32).
4. CONCLUSIONS
La définition étymologique des néologismes du roumain représente encore
un problème extrêmement compliqué.
La notion d’étymologie multiple est une aide précieuse si elle est bien
appliquée, mais elle ne peut pas, à elle-même résoudre toutes les difficultés. Dans
les cas où la source immédiate d’un emprunt reste ambiguë ou lorsqu’il est
possible, en principe, qu’un néologisme provienne au moins par deux filières,
s’impose l’étymologie multiple (cf. Hristea 1968: 114). Au moment où l’Institut de
Linguistique de Bucarest publiera le corpus auquel il travaille, en fournissant des
données plus exactes sur l’attestation des mots au moins dans la langue écrite, le
principe de l’étymologie multiple sera une aide encore plus concrète pour tous ceux
qui se préoccupent des étymologies, surtout des néologismes roumains.
NOTES
*
L’article est publié dans le cadre du projet de recherche FROMISEM (PN II – IDEI 383/2008),
financé par le CNCS–UEFISCDI.
1
L’«étymologie multiple» est un concept introduit dans la linguistique roumaine par Alexandru Graur
(1950: 22-34) qui considère qu’un mot peut avoir à la fois un, deux ou bien n étymons possibles,
surtout dans une langue comme le roumain, formée sous l’influence d’aussi nombreuses cultures
étrangères.
2
Parmi les autres dictionnaires roumains plus récents qui appliquent le principe de «l’étymologie
multiple» d’une manière scientifique quasi correcte on mentionne le DEX, dont les indications
étymologiques (améliorées à partir de la seconde édition, publiée en 1996, grâce à la collaboration
de Theodor Hristea) sont presque semblables à celles du DLR, à l’avantage d’avoir un nombre
plus élevé de néologismes du roumain contemporain.
3
En ce qui concerne Le dictionnaire de la langue roumaine, paru sous l’égide de l’Académie
Roumaine, il faut pourtant préciser son histoire. À partir de 1913 et jusqu’au 1949, on a fait
publier trois grands volumes (A-B, C et F-I) et encore quatre fascicules (une première partie de la
lettre D-De et la lettre L jusqu’au mot lojniţă) (cf. Sala 1999: 104). Mircea Seche (1966 – 1969:
II, 70) attire l’attention qu’avec le DA, c’est pour la première fois qu’un dictionnaire roumain
accepte deux solutions étymologiques alternatives. Étant donné la période de son élaboration, une
bonne partie des néologismes du roumain moderne et contemporain y manque. Cet imposant
ouvrage, connu sous le nom de DA, a été continué après 1965 avec une nouvelle série (le DLR)
235
4
5
qui contient jusqu’à présent les volumes des lettres M, N, O, P, R, S, Ş, T, Ţ, V, X, Y et Z. Le DLR,
le dictionnaire historique trésor de la langue roumaine, dont les parties publiées avant la deuxième
guerre mondiale n’ont pas encore étaient reprises, applique le principe de «l’étymologie multiple»
non seulement aux néologismes, mais aussi aux unités lexicales plus anciennes.
L’étymologie reproduite pour les mots ciocolată et sa variante şocoladă est discutable : le mot
français étant masculin, il est très peu probable qu’il soit la source directe du mot roumain, qui est
féminin. L’italien suffit pour expliquer l’entrée.
Şcoala ardeleană («L’École transylvaine») est un mouvement de renaissance culturelle de la fin du
XVIIIème siècle et du début du XIXème marqué par une prise de conscience accrue de l’origine
latine du peuple roumain et de la langue roumaine.
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237
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înţelesuri, exemple, citaţiuni, arhaizme, neologizme, provincializme), Iaşi:
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TLFi = Trésor de la Langue Française Informatisé, Centre Nationale de la
Recherche Scientifique (CNRS) / Analyse et Traitement Informatique de la
Langue Française (ATILF) / Université Nancy 2, http :
//atilf.atilf.fr/tlf.htm.
238
ANNEXE No. 1 - Statistique des gallicismes à étymologie multiple de
la lettre R du DEX
1.
SÉRIES
FR. – LAT.
DEX
122
84
2.
FR. – ALL.
63
46
3.
FR. – IT.
19
6
4.
FR. – ANGL.
26
4
5.
6.
FR. – RUSSE
FR. – NÉOGREC
5
2
3
0
7.
8.
FR. – ESP.
FR. – LAT. – ALL.
2
13
1
5
9.
FR. – LAT. – IT.
13
4
10.
FR. – ALL. – IT.
5
1
11.
FR. – ANGL. – ALL.
4
0
12.
13.
14.
15.
16.
17.
FR. – RUS. – ALL.
FR. – LAT. – NÉOGR.
FR. – ESP. – ALL.
FR. – LAT. – ALL. – IT.
FR. – ALM. – RUS. –ANGL.
FR. – LAT. – IT. – NÉOGR.
2
2
1
3
1
1
1
2
0
2
0
0
239
DLR
+ 4 unités non enregistrées
+ 20 unités du fr.
+ 3 unités du fr., cf. lat.
+ 2 unités du lat.
+ 6 unités du fr., lat, all.
+ 1 unité du fr., all., néogr.
+ 1 unité du fr., all.
+ 1 création interne
+ 3 unités non enregistrées
+ 8 unités du fr.
+ 2 unités de l’all.
+ 2 unités du fr., all., hongr.
+ 1 unité du fr., all., cf. l’hongr.
+ 1 unité du fr., all., cf. l’angl.
+ 2 unités non enregistrées
+ 5 unités du fr.
+ 2 unités du fr., lat. all.
+ 1 unité du fr., it. all.
+ 1 unité du fr., it., lat.
+ 1 unité du fr., it., lat., all.
+ 1 création interne
+ 16 unités non enregistrées
+ 5 unités du fr.
+ 1 unité de l’angl.
+ 2 unités du fr.
+ 1 unité du fr., néogr., all.
+ 1 unité du fr., néogr.,
all., lat., it.
+ 1 unité non enregistrée
+ 1 unité non enregistrée
+ 6 unités du fr., lat.
+ 1 unité du fr., it.
+ 1 unité non enregistrée
+ 6 unités du fr., lat.
+ 1 unité du fr., it.
+ 1 unité cf. lat., fr., all.
+ 1 unité du lat., all., fr.
+ 1 unité du lat., all., fr.,
cf. le rus.
+ 2 unités du fr., all.
+ 3 unités du fr.
+ 1 unité de l’angl.
+ 1 unité non enregistrée
–
+ 1 unité du fr., all.
+ 1 unité du fr., lat., all.
+ 1 unité non enregistrée
+ 1 unité du fr., néogr., lat.
FACTEURS D’USAGE DES EMPRUNTS LEXICAUX DU
GREC AU FRANÇAIS FONCTIONNANT COMME FAUX
AMIS: L’INFLUENCE DE LA LANGUE MATERNELLE A
LA COMPETENCE DE LA LANGUE ETRANGERE
Varvara PYROMALI
Collège d’Antiparos, Grèce
1. CADRE THÉORIQUE
1.1. L’emprunt linguistique
«Les langues vivantes ne sont pas des systèmes figés pour l’éternité, mais plutôt
des systèmes mouvants en élaboration continue, qui ne cessent de se renouveler et
de s’enrichir. Cet enrichissement est dû, en grande partie, au phénomène de
l’emprunt, et plus spécifiquement de l’emprunt lexical, qui suppose toujours un
mouvement de passage d’hommes et de choses.» (Lakhdhar 2008: 55)
Humbley (1974: 51, apud Pavel 1989: 125-137), définit l’emprunt en tant
que passage d'un élément d'une langue à une autre, intégré au «processus
d'adoption de mots nouveaux ou néologie» et analysé selon une typologie
exhaustive qui tient compte de ses manifestations à tous les niveaux de la langue
emprunteuse-phonétique, graphie, morphosyntaxe ou sémantique. Haugen
(Haugen: 1950) propose la définition de l’emprunt en tant que reproduction dans
une langue des modèles préalablement trouvés dans une autre langue. Nous
pouvons procéder à diverses catégorisations des emprunts en relation avec des
paramètres différents. Pour ce qui est de la langue emprunteuse, nous pourrions
distinguer l’emprunt interne à l’emprunt externe. Concernant le mode d'intégration
des emprunts dans le système de la langue cible, nous en distinguons trois types
selon Deroy (1956: 224): les emprunts proprement dits, les xénismes ou
pérégrinismes et les occasionnalismes. Pour ce qui est de la forme des emprunts,
nous pourrions les distinguer en emprunts intégraux, sémantiques, syntagmatiques,
syntaxiques, phonémiques, graphémiques, réfectionnels ou emprunts de
morphèmes.
240
1.2. Les faux amis
Les faux amis sont les unités lexicales présentant des similitudes
phonologiques, morphologiques entre deux ou plusieurs langues, mais ayant des
sens différents. Le terme faux amis (false friends) a été introduit par les linguistes
français Koessler et Derocquigny (Koessler / Derocquigny: 1928) pour désigner les
unités lexicales appartenant à deux ou plusieurs langues sonnant de la même façon,
mais ayant une signification différente. Domininguez et Nerlich nous donnent deux
définitions importantes pour les faux amis:
«Les faux amis accidentels (Chance false friends) partagent la même forme, mais
ont une étymologie différente et des significations différentes en langues
différentes. Les faux amis sémantiques (Semantic false friends), au contraire, ont
la même origine étymologique, mais des significations différentes en langues
différentes, ayant quand même des relations sémantiques entre eux.»
(Domininguez / Nerlich: 2002)
Nous pourrions aussi distinguer les faux amis stricts des faux amis partiels.
Les faux amis stricts ont un sens différent malgré les apparences, alors que les faux
amis partiels ont un ou plusieurs sens équivalents et un ou plusieurs sens différents.
La majorité des faux amis que le grec a empruntés au français constituent des faux
amis partiels. Nous nous référons à titre d’exemple au mot français garçon et au
mot grec γκαρσόνι. Les deux mots partagent la signification «homme en service ou
employé subalterne dans certains établissements ou administrations, généralement
chargé d'accueillir et servir la clientèle» (Le Petit Robert: 1996). Pourtant, le mot
garçon signifie aussi «enfant de sexe masculin», «homme de peu de poids, de peu
d'expérience», «jeune homme; homme», «jeune homme non marié», «domestique,
valet, ouvrier» (ibidem).
2. CADRE MÉTHODOLOGIQUE
Notre étude est le produit d’une recherche réalisée en 2009 en Grèce. Les
résultats se basent sur les réponses données par un échantillon de 222 locuteurs
grecs francophones à un questionnaire à choix multiples examinant la pertinence et
la fréquence d’utilisation des emprunts lexicaux au français fonctionnant comme
faux amis, dans le but de constater l’influence de la langue maternelle à la
compétence de la langue étrangère. Dans les exemples du questionnaire nous
utilisons des unités lexicales parmi une liste de paires d’emprunts-faux amis que
nous avons divisées en dix champs lexicaux.
Tableau 1 - Champs lexicaux
Mode
caleçon/καλσόν
collant/κολάν
bracelet/μπρασελέ
occasion/οκαζιόν
Automobile
capot/καπό
garage/γκαράζ
réservoir/ρεζερβουάρ
bougie/μπουζί
Gastronomie
baguette/μπαγκέτα
menu/μενού
éclair/εκλέρ
marmelade/μαρμελάδα
241
Domicile
décor/ντεκόρ
boudoir/μπουντουάρ
cabinet/καμπινές
salon/σαλόνι
boutique/μπουτίκ
serviette/σερβιέτα
mousse/μους
bouquet/μπουκέτο
ventilateur/βεντιλατέρ
levier/λεβιές
Moteur/μοτέρ
Sport
pirouette/πιρουέτα
tour/τουρ
revanche/ρεβάνς
tournoi/τουρνουά
course/κούρσα
marche/μαρς
carré/καρέ
Mass média
vignette/βινιέτα
nouvelle/νουβέλα
effets/εφέ
tirage/τιράζ
reportage/ρεπορτάζ
réclame/ρεκλάμα
brochure/μπροσούρα
rubrique/ρουμπρίκα
Notions
série/σερί
clou/κλου
prestige/πρεστίζ
gaffe/γκάφα
avantage/αβαντάζ
succès/σουξέ
toupet/τουπέ
Équipement
crayon/κραγιόν
panneau/πανό
carnet/καρνέ
dossier/ντοσιέ
emballage/αμπαλάζ
chiffonnier/σιφονιέρα
baladeuse/μπαλαντέζα
tirebouchon/τιρμπουσόν
fiche/φις
tourte/τούρτα
bifteck/μπιφτέκι
couverture/κουβερτούα
couvert/κουβέρ
sauter/σοτάρω
Loisirs
boîte/μπουάτ
rendez-vous/ραντεβού
souvenir/σουβενίρ
plage/πλαζ
repos/ρεπό
valet/βαλές
atelier/ατελιέ
pion/πιόνι
soirée/σουαρέ
pension/πανσιόν
silo/σιλό
dépôt/ντεπό
parterre/παρτέρι
Métiers &
Caractéristiques de
personnes
chauffeur/σοφέρ
chef/σεφ
engagé/αγκαζέ
coquette/κοκέτα
garçon/γκαρσόνι
réception/ρεσεψιόν
excentrique/εξαντρίκ
expert/εξπέρ
Le questionnaire comporte des questions à choix multiple examinant dans
la première partie la pertinence et dans la deuxième partie la fréquence d’utilisation
des emprunts lexicaux, et aussi, une troisième partie qui porte sur les éléments
personnels de l’échantillon. Les réponses données au questionnaire étudiées en
relation avec tous les éléments personnels nous procurent des conclusions
importantes sur les paramètres éventuels influençant le choix des mots dans le
discours des locuteurs natifs d’une langue et sur l’origine de leurs erreurs.
Pour l’élaboration des résultats nous avons établi des variables
dépendantes et indépendantes. Pour ce qui est de la partie du questionnaire étudiant
la pertinence d’utilisation des emprunts, nous signalons que pour traiter les
données, qui sont dans le questionnaire sous forme de choix multiples de type a, b,
c, nous avons distingué les réponses en correctes, auxquelles nous avons attribué la
valeur 1, ou fautives, auxquelles nous avons attribué la valeur 0. Les réponses ont
été traitées, d’abord dans leur totalité et, par la suite, divisées en champs lexicaux.
Concernant la fréquence d’utilisation des emprunts, nous avons distingué les
réponses de l’échantillon, données dans le questionnaire sous forme de choix
multiples de type a, b, en réponses où les sujets ont préféré utiliser l’emprunt au
français, auxquelles nous avons attribué la valeur 1, et en réponses où ils ont
préféré utiliser l’équivalente unité lexicale grecque, auxquelles nous avons attribué
la valeur 0. Nous avons étudié la fréquence d’utilisation des emprunts dans la
totalité des phrases et, après, pour les phrases relatives à chacune de dix catégories
lexicales. Les éléments personnels sur les sujets de la recherche ont été examinés
242
en corrélation avec les réponses aux questions concernant la pertinence et la
fréquence d’utilisation des emprunts. Nous avons ainsi fixé comme variables de
contrôle le sexe, l’âge, le statut, la formation, le pays d’origine, la langue
maternelle, le niveau de français, d’anglais, ou d’autre langue étrangère, le contact
avec l’étranger et la France, les circonstances d’utilisation des langues étrangères et
du français, l’opinion des sujets de la recherche sur l’utilisation des mots étrangers
dans leur discours, leur opinion concernant la facilité, l’utilité et l’intérêt des
langues étrangères et du français.
3. RÉSULTATS
3.1. Statistiques descriptives
Relativement au profile des sujets de la recherche, 12,2% sont hommes,
alors que 87.8 % sont femmes. 24,3% ont moins de 24 ans, 35,1% ont entre 24 et
40 ans et 40,5% ont plus de 40 ans. 9,4% d’entre eux sont collégiens, 5,6%
lycéens, 12,2% étudiants et 72,8% employés.
Tableau 2 - Age
24.30%
<24
40.50%
24-40
>40
35.10%
Tableau 3 - Statut
9.40%
5.60%
12.20%
collégiens
lycéens
étudiants
72.80%
employés
57,1%des employés exercent des métiers relatifs aux sciences humaines et
sociales, 31.3% ont des métiers économiques ou administratifs ou s’occupent des
services, alors que 11,5% pratiquent un métier appartenant au domaine des
sciences naturelles ou mathématiques. Parmi les employés, nous repérons plusieurs
occupations: agriculteurs, archéologues, avocats, chimistes, employés bancaires,
enseignants, entrepreneurs, fonctionnaires, ingénieurs, instituteurs, mathématiciens,
médecins, psychologues, physiciens, programmeurs, secrétaires, sociologues,
243
traducteurs. Le métier dominant est celui des enseignants qui constituent 33,3% du
total des employés. 15,4% du total des employés travaillent en tant que professeurs
du F.L.E. ou traducteurs.
Tableau 4 - Métier
sciences humaines et sociales
11.50%
31.30%
économie - administration services
57.10%
sciences naturelles mathématiques
Tableau 5 - Métier
35.00%
33.30%
30.00%
25.00%
20.00%
18.00%
14.90%
15.00%
10.00%
6.80%
5%
5.00%
2.70%
2.30%
2.30%
3.20%
0.90%
0.90% 0.90% 0.50% 0.50%
1.80% 1.40% 2.30% 1.80%
0.00%
Agriculteur
Archéologue
Avocat
Chimiste
Employé
Enseignant
Enterpreneur
Fonctionnaire
Ingénieur
Instituteur
Mathématicien
Médecin
Psychologue
Physicien
Programmeur
Secrétaire
Sociologue
Traducteur
Concernant la formation, nous constatons que 8,6% des sujets de la
recherche ont un «brevet de primaire», 5,9% ont un brevet des collèges, 10% ont
un baccalauréat, 43,4% sont titulaires d’un master 1, 26,2% possèdent un master 2
et 5,9% un doctorat.
244
Tableau 6 - Formation
50.00%
43.40%
45.00%
40.00%
brevet de primaire
35.00%
brevet des collèges
30.00%
baccalauréat
26.20%
25.00%
master 1
20.00%
master 2
doctorat
15.00%
10.00%
10.00%
8.60%
5.90%
5.90%
5.00%
0.00%
97,7 % de l’échantillon déclarent avoir comme pays d’origine la Grèce et
comme langue maternelle la langue grecque.
Pour ce qui est de la connaissance du français et des langues étrangères,
nous déduisons que 8,2% ont une connaissance de français au niveau A1, 9,1% au
niveau A2, 14,1% au niveau B1, 16,8% au niveau B2, 13,6% au niveau C1 et
38,2% au niveau C2. 5,4% connaît l’anglais au niveau A1, 10,7% au niveau A2,
4,9% au niveau B1, 17,1% au niveau B2, 23,9% au niveau C1, 38% au niveau C2.
Parmi les sujets de la recherche, 41,9% connaît une troisième langue étrangère,
dont 18,3% au niveau A1, 12,9% au niveau A2, 22,6% au niveau B1, 18,3% au
niveau B2, 11,8% au niveau C1 et 16,1% au niveau C2.
245
Tableau 7 - Français
Tableau 8 - Anglais
5.40%
A1
8.20%
9.10%
38.20%
A2
10.70%
4.90%
38.00%
B1
14.10%
16.80%
13.60%
A2
B1
B2
17.10%
C1
C2
A1
B2
C1
23.90%
C2
Tableau 9 - 3e langue
16.10%
18.30%
A1
A2
B1
11.80%
12.90%
B2
C1
C2
18.30%
22.60%
La majorité de l’échantillon n’a pas vécu à l’étranger. Plus précisément,
32% affirme avoir vécu à l’étranger, tandis que 18,8% a vécu en France. Par
contre, la majorité a voyagé à l’étranger et en France. 86,5% déclarent avoir
voyagé à l’étranger et 64,3% a déjà visité la France. 87% ont des parents ou des
amis à l’étranger, alors que 39,2% ont des parents ou amis en France.
En ce qui concerne les circonstances d’utilisation des langues étrangères et
du français, nous constatons que 74,3% utilisent les langues étrangères via courrier
postal, électronique ou chat, 83,3% en raison du tourisme, 53,2% au travail, 39,6%
pour des études, 32,4% en famille ou entre amis et 9,5% pour d’autres cas. En plus,
nous observons que 42,3% utilise le français pour communiquer via lettres, mails
ou chat, 71,6% pendant des visites touristiques, 39,2% au travail, 29,3% pour des
études, 27,5% entre parents ou copains et 14% pour d’autres raisons. Nous
remarquons donc que la moyenne personne utilise les langues étrangères et le
français surtout en raison du tourisme.
246
Tableau 10 - Circonstances
d'utilisation des langues
étrangères
9.50%
32.40%
39.60%
53.20%
83.30%
74.30%
0.00%
10.00%
20.00%
30.00%
40.00%
50.00%
60.00%
70.00%
80.00%
courriel
tourisme
travail
études
famille
autre cas
90.00%
Tableau 11 - Circonstances
d'utilisation du français
14.00%
27.50%
29.30%
39.20%
71.60%
42.30%
0.00%
10.00%
20.00%
30.00%
40.00%
50.00%
60.00%
70.00%
courriel
tourisme
travail
études
famille
autre cas
80.00%
Au sujet de l’opinion de l’échantillon sur l’utilisation des mots d’origine
étrangère dans leur discours, 55,6% répondent qu’ils en utilisent quelquefois, alors
que 26,9% en utilisent souvent. Seulement 11,1% affirment en utiliser rarement
contre 6,5% qui disent qu’ils en utilisent toujours.
247
Tableau 12 - Fréquence d'utilisation
des mots d'origine étrangère
55.60%
60.00%
50.00%
rarement
40.00%
quelquefois
26.90%
30.00%
souvent
toujours
20.00%
11.10%
10.00%
6.50%
0.00%
À propos de l’opinion sur la facilité, l’utilité et l’intérêt des langues
étrangères et du français, nous remarquons que 60,1% trouvent les langues
étrangères de moyenne difficulté et 56,5% disent que le français est de moyenne
difficulté. 28,2% croient que les langues étrangères sont faciles, alors que 6,6% les
trouvent difficiles, 3,3% très faciles et 1,9% trop difficiles. Respectivement, 19%
croient que le français est difficile contre 18,5% qui le trouvent facile. Seulement
4,2% disent que le français est très facile et 1,9% le trouve trop difficile. Nous
déduisons donc que le français est considéré plus difficile relativement aux autres
langues apprises par les locuteurs grecs.
En ce qui concerne l’utilité des langues étrangères et du français, nous
concluons que 54,7% considèrent les langues étrangères utiles, 24,5% très utiles,
18,9% de moyenne utilité et seulement 1,9% peu utiles. Par contre, 38,4%
considèrent le français de moyenne utilité, 36,1% utile, 15,3% peu utile et
seulement 10,2% très utile. Nous constatons donc que le taux de l’utilité des
langues étrangères est très élevé pour les locuteurs grecs. Pourtant, le français est
considéré moins utile que les autres langues étrangères.
Relativement à l’intérêt pour les langues étrangères et le français nous
tirons les conclusions suivantes: 57,1% trouvent les langues étrangères agréables,
40,7% les considèrent extraordinaires, 2,4% les caractérisent neutres. La tendance
est pareille pour le cas du français. Plus précisément, le français est caractérisé
agréable par 56,2%, extraordinaire par 36,9%, neutre par 5,5% et désagréable par
1,4%.
3.2. Statistiques descriptives pour les variables dépendantes
3.2.1. La pertinence d’utilisation des emprunts
Concernant la pertinence d’utilisation des emprunts, nous constatons une
tendance, chez les personnes ayant complété le questionnaire, de les utiliser plutôt
correctement qu’incorrectement. La majorité des réponses correctes sont données
aux catégories Notions, Domicile et Gastronomie. Suivent les catégories Métiers &
248
Caractéristiques de personnes et Sport, puis les champs lexicaux Loisirs, Mass
média et Automobile, tandis que la majorité des réponses fautives se présentent aux
catégories Équipement et Mode.
Tableau 14 - Pertinence / champs lexicaux
Tableau 13 Pertinence
1
Pertinence
0.9
0.8
0.7
0.6
0
0.5
0.5
1
Français
0.4
0.3
0.2
0.1
0
Pertinence en français
Mode
Automobile
Gastronomie
Domicile
Sport
Mass Média
Loisirs
Métiers & Caractéristiques de personnes
Notions
Equipement
3.2.2. La fréquence d’utilisation des emprunts
Selon les tests effectués, nous déduisons que les sujets de notre recherche
tendent à utiliser les emprunts plus fréquemment que les mots natifs
correspondants. Plus précisément, les catégories où les emprunts sont les plus
préférés sont l’Automobile et la Mode. S’ensuivent le Domicile, les Notions, les
Métiers & Caractéristiques de personnes avec l’Équipement et puis succèdent les
Loisirs et le Sport. Seulement aux champs Mass média et Gastronomie les
locuteurs grecs francophones préfèrent utiliser plus les mots natifs aux emprunts.
Tableau 16 - Fréquence / champs lexicaux
Fréquence
Tableau 15 Fréquence
0
0.5
1
Français
249
1
0.9
0.8
0.7
0.6
0.5
0.4
0.3
0.2
0.1
0
Fréquence en français
Mode
Automobile
Gastronomie
Domicile
Sport
Mass Média
Loisirs
Métiers & Caractéristiques de personnes
Notions
Equipement
3.3. Contrôle des variables indépendantes
3.3.1. La pertinence d’utilisation des emprunts
En ce qui concerne le sexe des sujets de la recherche, nous remarquons que
les femmes tendent à utiliser plus correctement les emprunts que les hommes dans
tous les champs sémantiques. Les réponses correctes des hommes sont presque
égales avec celles des femmes seulement au champ Sport. Sur ce sujet, Baylon
(2008: 119) réfère que du point de vue lexical, le seuil qualitatif dans le choix du
vocabulaire est plus élevé chez la femme.
Pour ce qui est de l’âge, nous trouvons que les personnes âgées de plus de
40 ans donnent le plus de réponses correctes à toutes les catégories lexicales en
comparaison avec celles qui ont entre 24 et 40 ans et celles qui ont moins de 24
ans, tandis que les personnes âgées de moins de 24 ans répondent moins
correctement que les autres tranches d’âges. Nous pourrions considérer le fait de
commettre plus d’erreurs de la part des jeunes en tant que facteur de variation
linguistique et le fait de donner plus de réponses correctes chez les plus âgés
comme résultat de leur attitude plus conservatrice.
Relativement au statut de l’échantillon, nous concluons que les employés
tendent à donner la majorité des réponses correctes, et s’ensuivent les étudiants, les
collégiens et les lycéens. Cela justifie la remarque de Llamas (2007: 69-76) selon
laquelle l’adulte est considéré comme participant au marché linguistique standard
au cours de la période où il travaille. Les étudiants donnent la plupart des réponses
correctes seulement dans la catégorie Mass média. La majorité des réponses
fautives sont données par les lycéens. La plupart des réponses fausses donnent les
collégiens aux champs Automobile, Gastronomie, Domicile et Notions.
250
Concernant la profession, nous voyons que les sujets de la recherche
exerçant des métiers relatifs aux sciences humaines et sociales donnent plus de
réponses correctes en comparaison avec ceux qui pratiquent un métier relatif à
l’économie, l’administration et les services, mais aussi avec ceux qui ont un métier
relatif aux sciences naturelles et mathématiques. Ceux qui s’occupent des sciences
naturelles et mathématiques donnent la plupart des réponses fausses. La tendance
des personnes ayant un métier relatif aux sciences humaines et sociales à donner la
majorité des réponses correctes est attestée à toutes les catégories lexicales, sauf la
Mode et les Métiers & Caractéristiques de personnes. Ainsi, la minorité des
réponses correctes sont données par les personnes exerçant un métier sur les
sciences naturelles et mathématiques dans les champs Automobile, Gastronomie,
Domicile, Loisirs, et Équipement, alors que dans les champs Sport, Mass média et
Notions ce sont les personnes avec un métier sur le secteur de l’économie, de
l’administration et des services qui donnent la plupart des réponses fautives. Ceux
qui ont un métier relatif aux sciences humaines et sociales répondent le moins
correctement sur la Mode et les Métiers & Caractéristiques de personnes. Les
professions relatives au F.L.E. tendent à utiliser plus correctement les emprunts au
français que les autres professions dans toutes les catégories lexicales.
Concernant la formation, nous déduisons que les personnes ayant un
doctorat tendent à répondre le plus correctement, s’ensuivent celles ayant un master
2 et les possesseurs d’un master 1. Nous signalons que les détenteurs d’un brevet
du primaire donnent plus de réponses correctes que les bacheliers. Ceux qui ont un
brevet des collèges donnent la minorité des réponses correctes. Les docteurs
donnent la plupart des réponses correctes à toutes les catégories, sauf l’Automobile,
le Domicile et les Métiers & Caractéristiques de personnes, où avancent les
diplômés d’un master 1, et les Mass média, où sont premiers les possesseurs d’un
master 2. La plupart des réponses fausses sont donnés par les bacheliers pour ce qui
est de la Mode, de la Gastronomie, du Domicile et des Loisirs, par les personnes
possédant d’un brevet des collèges pour les champs Sport, Mass média et
Équipement, et, enfin, par les détenteurs d’un brevet du primaire pour les champs
lexicaux Automobile, Métiers & Caractéristiques de personnes et Notions.
En ce qui concerne le pays d’origine et la langue maternelle, nous
signalons la tendance des locuteurs grecs à utiliser plus correctement les emprunts
dans tous les champs lexicaux, sauf la Gastronomie, les Mass média et
l’Équipement.
Quant au niveau de connaissance du français, nous voyons que les
utilisateurs expérimentés (C1-C2) tendent à répondre plus correctement,
s’ensuivent les utilisateurs indépendants (B1-B2) et les utilisateurs élémentaires
(A1-A2). Il est remarquable de mentionner que ceux qui ont un niveau A1 se
montrent en général plus compétents des personnes ayant un niveau A2. Si l’on
compare les réponses données aux champs lexicaux, nous trouvons que la
compétence des utilisateurs élémentaires (A1-A2) est très bonne aux champs
Mode, Mass média, Loisirs et Équipement. Ainsi, les utilisateurs avancés (B2)
donnent plus de réponses fautives que les utilisateurs intermédiaires (A2) aux
251
champs Mode, Mass média, Loisirs et Équipement, tandis que les utilisateurs de
niveau seuil (B1) font plus d’erreurs que les utilisateurs introductifs (A1) aux
champs Mass média et Équipement. Concernant l’influence de la connaissance de
l’anglais sur la pertinence d’utilisation des emprunts, nous notons que les réponses
ont été très dispersées. Nous remarquons que les utilisateurs élémentaires (A1, A2)
en anglais tendent à utiliser plus correctement les emprunts au français. Vu que
notre échantillon comprend des personnes polyglottes, nous avons ajouté le
paramètre de la troisième langue pour chercher une relation éventuelle entre
l’utilisation des emprunts au français et le plurilinguisme. Ainsi, les utilisateurs
expérimentés (C1-C2) d’une troisième langue étrangère tendent à donner plus de
réponses correctes que les utilisateurs élémentaires (A1-A2) ou les utilisateurs
indépendants (B1-B2). Nous déduisons donc que le plurilinguisme influe
positivement sur la compétence d’utilisation des emprunts, si elle existe à un
niveau très élevé.
En ce qui concerne les réponses à la question sur la fréquence avec la
quelle on juge utiliser des mots d’origine étrangère, nous référons quelques
constatations qui retiennent notre attention. La plupart des réponses correctes sont
données par les personnes déclarant utiliser toujours des emprunts, à l’exception de
la Mode et de l’Automobile. Par contre, les personnes déclarant utiliser rarement
des mots d’origine étrangère donnent la plupart des réponses fausses aux catégories
lexicales Mode, Gastronomie, Sport, Métiers & Caractéristiques de personnes et
Équipement et elles sont presque les moins compétentes aux champs Automobile,
Domicile et Notions.
Concernant le séjour à l’étranger, nous observons que les personnes y
ayant vécu tendent à répondre le plus correctement. Quant aux catégories
sémantiques fixées, elles donnent moins de réponses correctes seulement aux
champs Automobile et Domicile. Les personnes ayant vécu en France tendent à
répondre plus correctement que les personnes n’ayant jamais vécu en France. Cette
tendance est valide aussi pour toutes les catégories lexicales, à l’exception de
l’Automobile. De plus, nous déduisons que les personnes ayant voyagé à l’étranger
tendent à donner la majorité des réponses correctes. Quant aux catégories lexicales,
les personnes n’ayant pas voyagé à l’étranger se montrent plus compétentes
seulement à la Mode et aux Mass média. Aussi, les personnes ayant voyagé en
France tendent à répondre plus correctement que celles qui n’y sont pas allées.
Cette tendance est observée dans toutes les catégories lexicales. Concernant le
contact avec des parents ou des amis à l’étranger, nous déduisons que les personnes
ayant des parents ou des amis à l’étranger tendent à donner la minorité des
réponses correctes. La même tendance est aussi observée à presque toutes les
catégories lexicales: à l’Automobile, aux Mass média, aux Métiers &
Caractéristiques de personnes, aux Notions et à l’Équipement. En revanche, les
personnes ayant des parents ou des amis en France tendent à donner plus de
réponses correctes. Elles sont plus compétentes à toutes les catégories sauf la
Mode, la Gastronomie et les Loisirs.
252
Par rapport aux circonstances d’utilisation des langues étrangères et du
français, nous constatons que les personnes utilisant les langues étrangères via
courrier, courriel et chat tendent à répondre plus correctement que celles qui
n’utilisent pas ces moyens de communication. Elles sont plus compétentes dans la
plupart des catégories à l’exception du Domicile, des Loisirs et des Notions. Les
personnes utilisant le français via courrier, courriel et chat tendent aussi à donner la
majorité des réponses correctes. Cette tendance est observée à toutes les catégories
sémantiques sauf la Mode. Par rapport au tourisme, nous signalons que les
personnes utilisant les langues étrangères ou le français en tant que touristes
tendent à donner plus de réponses correctes que celles qui ne communiquent pas en
langues étrangères ou en français en raison du tourisme. Cette constatation est
valable pour toutes les catégories lexicales considérées séparément. Par rapport à
l’utilisation des langues étrangères et du français au travail, nous constatons que les
personnes qui les utilisent tendent à être plus compétentes concernant l’emploi
correct des emprunts. Quant aux catégories sémantiques, cette constatation est
valable dans toutes les catégories lexicales pour l’utilisation du français et dans
toutes les catégories lexicales sauf les Loisirs pour l’utilisation des langues
étrangères. Nous déduisons donc que la profession joue un rôle très important dans
la compétence d’utilisation des emprunts en français. En examinant la relation
entre l’utilisation des emprunts et les études à l’étranger, nous voyons que les
personnes ayant réalisé des études à l’étranger tendent à être plus compétentes.
Cela va de même pour les personnes ayant effectué des études en France. Nous
arrivons à la constatation contraire seulement au cas de la Mode, de l’Automobile et
du Domicile pour les personnes ayant effectué des études à l’étranger et à la
catégorie Métiers & Caractéristiques de personnes pour celles ayant fait des études
en France. Concernant les circonstances d’utilisation des langues étrangères et du
français, nous avons aussi considéré que la famille et l’entourage amical pourrait
influer sur l’utilisation des emprunts. Ainsi, nous constatons que les personnes
communiquant en langues étrangères ou en français avec leur famille ou leurs amis
utilisent plus correctement les emprunts. Cette tendance est aussi observée à toutes
les catégories lexicales examinées séparément à l’exception des champs
Automobile, Mass média et Loisirs pour les langues étrangères et de l’Automobile
pour le français. Nous avons voulu aussi tester s’il y a une relation entre
l’utilisation des emprunts et l’utilisation des langues étrangères ou du français dans
d’autres circonstances que celles mentionnées. Nous trouvons donc que ceux qui
affirment utiliser les langues étrangères ou le français dans d’autres cas tendent à
commettre plus de fautes dans l’utilisation des emprunts en français. Aussi, cette
tendance est-elle observée dans la plupart des catégories lexicales sauf
l’Automobile et les Mass média pour les langues étrangères et les Métiers &
Caractéristiques de personnes et les Notions pour l’utilisation du français.
Quant à l’opinion de l’échantillon sur la facilité des langues étrangères et
du français, nous constatons que les personnes considérant les langues étrangères
ou le français très faciles tendent à être plus compétentes dans l’utilisation des
emprunts. En ce qui concerne l’opinion de l’échantillon sur l’intérêt que présentent
253
pour eux les langues étrangères et le français, nous observons que les personnes qui
caractérisent les langues étrangères ou le français comme extraordinaires tendent à
être plus compétentes dans l’utilisation des emprunts, alors que celles qui s’y
montrent neutres tendent à faire la majorité des erreurs. Pour ce qui est de l’opinion
de l’échantillon sur l’utilité des langues étrangères et du français, nous constatons
que les utilisateurs trouvant les langues étrangères et le français très utiles tendent à
être plus compétents dans l’utilisation des emprunts. La plupart des erreurs sont
commises par les personnes trouvant les langues étrangères peu utiles et par les
personnes qui caractérisent le français utile.
3.3.2. La fréquence d’utilisation des emprunts
En ce qui concerne la fréquence d’utilisation des emprunts, nous voyons
que les femmes tendent à utiliser plus d’emprunts que les hommes. Concernant les
catégories lexicales considérées séparément, les femmes utilisent plus d’emprunts
surtout à la Mode et à la Gastronomie, mais aussi aux Loisirs et aux Notions. Les
hommes devancent les femmes aux catégories Automobile, Domicile et
Équipement; aussi, au Sport, aux Mass média et aux Métiers & Caractéristiques
de personnes.
Quant au critère de l’âge, nous constatons que les personnes ayant plus de
40 ans utilisent la majorité des emprunts au détriment des mots natifs dans tous les
champs lexicaux. Les personnes ayant moins de 24 ans utilisent la majorité des
mots natifs aux champs Mode, Automobile, Domicile, Mass média et Loisirs. Le
groupe des âgés entre 24 et 40 utilisent les moins d’emprunts aux champs
Gastronomie, Sport, Métiers & Caractéristiques de personnes et Notions. Dans la
catégorie Équipement le taux des réponses de choix des emprunts des personnes
entre 24 et 40 coïncide avec celui des personnes de moins de 24 ans.
Relativement à la profession, nous constatons que les employés tendent à
utiliser plus fréquemment des emprunts que les autres groupes. S’ensuivent les
collégiens, les lycéens et les étudiants. La fréquence la plus élevée des emprunts en
français présentent les employés aux catégories Mode, Automobile, Domicile et
Mass média, les lycéens à la catégorie Gastronomie, les collégiens aux champs
Sport, Loisirs, Métiers & Caractéristiques de personnes et Notions, tandis que les
étudiants sont premiers au champ Équipement. La majorité des choix de mots natifs
font les collégiens à la Mode, au Domicile et aux Mass média, les lycéens à
l’Automobile et à l’Équipement, les employés à la Gastronomie et les étudiants au
Sport, aux Loisirs, aux Métiers & Caractéristiques de personnes et aux Notions.
Les personnes exerçant un métier dans les sciences naturelles et
mathématiques optent le plus à utiliser des emprunts au français, alors que les
professions de l’économie, de l’administration et des services utilisent le moins
d’emprunts. Les professions des sciences humaines et sociales utilisent la majorité
des emprunts dans les catégories Mode, Automobile, Loisirs et Notions, alors
qu’elles utilisent le moins d’emprunts au cas de la Gastronomie, du Domicile, du
Sport et de l’Équipement (10e). Les métiers de sciences naturelles et mathématiques
tendent à utiliser le plus d’emprunts à la Gastronomie, au Sport et aux Mass média,
et ils utilisent le moins d’emprunts aux Métiers & Caractéristiques de personne et
254
aux Notions. Enfin, les professions sur l’économie, l’administration et les services
occupent le premier rang au Domicile, aux Métiers & Caractéristiques de
personnes et à l’Équipement, alors qu’ils viennent derniers aux catégories Mode,
Automobile, Mass média et Loisirs. Les personnes exerçant un métier sur le F.L.E.
utilisent le moins d’emprunts au français que les autres, à l’exception des champs
lexicaux Automobile et Équipement.
Relativement à la formation, nous déduisons que les docteurs, tendent à
utiliser le plus fréquemment des emprunts. Après les docteurs, ce sont les
détenteurs d’un master 1 qui optent plus pour l’utilisation des emprunts au français,
suivis par les bacheliers, les personnes possédant un brevet du primaire, un brevet
des collèges et celles qui ont un master 2. Les docteurs avancent dans toutes les
catégories à l’exception de l’Automobile et des catégories Domicile et Équipement.
Concernant les catégories lexicales, nous signalons les personnes qui tendent à
éviter l’utilisation des mots empruntés: pour le Sport, les Loisirs, les Notions, ce
sont les bacheliers, pour la Gastronomie et les Mass média, ce sont les détenteurs
d’un master 2, pour les Métiers & Caractéristiques de personnes, ce sont les
diplômés d’un master 1, pour l’Équipement, ce sont les docteurs, pour
l’Automobile, ce sont les personnes ayant un brevet des collèges, et pour la Mode et
le Domicile, ce sont les personnes ayant un brevet du primaire.
Quant à la langue maternelle, nous notons que les locuteurs natifs du grec
utilisent moins d’emprunts au français, à l’exception de la Mode, de la
Gastronomie et du Domicile.
Relativement au niveau du français, nous voyons que les personnes ayant
un niveau C1 de connaissance du français tendent à utiliser plus de mots d’origine
française que les autres groupes. Concernant la connaissance de l’anglais, nous
voyons que les personnes ayant un niveau C1 tendent à utiliser plus de mots
d’origine française que les autres groupes. Cette constatation est analogue à celle
que nous avons déjà faite quant au niveau de français. Aussi, nous devons noter
que les personnes ayant un niveau A1 en anglais tendent à utiliser le moins de mots
empruntés au français. En examinant les réponses entre les personnes connaissant
une troisième langue étrangère, nous observons que les personnes ayant un niveau
B2 dans une troisième langue étrangère tendent à utiliser plus fréquemment des
emprunts que les autres groupes. En outre, les utilisateurs introductifs (A1) d’une
troisième langue tendent à utiliser le moins d’emprunts au français.
Il est important d’étudier la relation entre les réponses données dans la
partie du questionnaire examinant la fréquence d’utilisation des emprunts et la
réponse donné à la question personnelle sur la fréquence avec laquelle on croit
utiliser des emprunts, dans le but de vérifier le degré de conscience qu’on a de
l’utilisation des emprunts. Il est étonnant de constater dans presque toutes les
catégories l’inverse tendance de celle que nous pourrions imaginer. Ainsi, à toutes
les catégories, sauf l’Automobile et le Domicile, ceux qui prétendent toujours
employer des mots d’origine étrangère tendent à utiliser le moins d’emprunts dans
leurs réponses. Au contraire, les personnes affirmant utiliser rarement des mots
d’origine étrangère tendent à utiliser la majorité des emprunts. Cette tendance n’est
255
pas observée aux champs lexicaux Automobile, Domicile et Notions, où les
personnes prétendant employer toujours des mots d’origine étrangère, en effet,
utilisent la majorité des emprunts au français, et celles qui déclarent utiliser
rarement des mots d’origine étrangère utilisent la quasi minorité des emprunts.
Concernant le séjour à l’étranger, nous signalons que les personnes ayant
vécu à l’étranger choisissent plus d’emprunts dans leurs réponses que celles qui n’y
ont pas vécu. Plus précisément, celles qui ont vécu à l’étranger utilisent la majorité
des emprunts dans les champs lexicaux Mode, Automobile, Mass média, Loisirs et
Notions. Quant au séjour en France, nous constatons que les personnes ayant vécu
en France utilisent moins d’emprunts au français dans leur discours sauf aux
champs lexicaux Mode et Automobile. En plus, les personnes ayant voyagé à
l’étranger choisissent le plus d’emprunts dans leurs réponses. Elles tendent à
utiliser la plupart des emprunts à toutes les catégories lexicales sauf la Gastronomie
et le Sport. Quant aux personnes ayant voyagé en France, nous constatons qu’elles
tendent à utiliser le plus d’emprunts au français dans tous les champs lexicaux sauf
la Mode, l’Automobile et les Mass média. En outre, nous notons que les personnes
ayant des parents ou des amis à l’étranger utilisent moins d’emprunts que celles qui
n’ont pas à l’exception des catégories sémantiques Sport et Équipement. Par contre,
les personnes ayant des amis ou des parents en France tendent à utiliser plus
d’emprunts au français que celles qui n’y ont pas d’amis ou de parents. Si nous
étudions les réponses concernant les divers champs lexicaux considérés
séparément, nous constatons que les personnes ayant des parents ou des amis en
France sont les plus fréquentes utilisatrices des faux amis seulement à l’Automobile
et à l’Équipement.
Par rapport aux circonstances d’utilisation des langues étrangères et du
français, nous retenons les résultats suivants; les sujets envoyant des courriers ou
courriels ou faisant du chat en langues étrangères tendent à utiliser moins de faux
amis empruntés au français. La même constatation est valable pour les personnes
utilisant le français via courrier, courriel ou chat. Si nous considérons séparément
les réponses aux diverses catégories lexicales, nous voyons que les personnes
communiquant en langues étrangères via courrier, courriel et chat utilisent plus
d’emprunts à tous les champs lexicaux sauf le Domicile et les Mass média, tandis
que les personnes utilisant le français via courrier, courriel et chat tendent à
employer plus de faux amis seulement à l’Automobile. Les sujets utilisant les
langues étrangères en raison du tourisme tendent à utiliser plus fréquemment des
emprunts. Cette tendance existe aussi dans tous les champs lexicaux sauf la
Gastronomie, le Sport et les Loisirs. Les personnes utilisant le français en raison du
tourisme utilisent aussi plus d’emprunts que celles qui ne le font pas. Concernant
les catégories lexicales, nous observons la tendance inverse au Sport, aux Loisirs et
aux Notions. Les sujets utilisant les langues étrangères ou le français au travail
tendent à utiliser moins fréquemment des emprunts. Quant aux catégories lexicales,
cette constatation n’est pas valable pour l’utilisation des langues étrangères aux
champs Automobile, Domicile et Équipement et pour l’utilisation du français aux
champs Automobile et Équipement. Les sujets ayant fait des études à l’étranger ou
256
plus précisément en France tendent à utiliser moins fréquemment des emprunts, si
nous considérons la totalité des réponses données dans la partie respective du
questionnaire. Si nous examinons séparément les réponses aux diverses catégories
lexicales, nous arrivons à la constatation contraire pour les études à l’étranger dans
l’Automobile, le Sport, les Mass média, les Loisirs, les Métiers & Caractéristiques
de personnes et les Notions. Pour ce qui des catégories lexicales concernant les
études en France, on utilise moins d’emprunts dans l’Automobile, les Mass média,
les Notions et l’Équipement. Les sujets communiquant en langues étrangères en
famille ou entre amis tendent à utiliser plus fréquemment des emprunts. Cette
tendance est remarquée aussi dans la plupart des catégories lexicales sauf dans la
Mode, la Gastronomie, le Sport et les Loisirs. Concernant l’utilisation du français
pour la communication en famille ou entre amis, nous voyons que les personnes
communiquant en français utilisent moins d’emprunts que celles qui ne le font pas.
La même tendance nous signalons aux catégories lexicales sauf les cas de la Mode,
de l’Automobile et de l’Équipement. Les personnes déclarant utiliser les langues
étrangères dans d’autres cas que celles déjà cités tendent à utiliser plus
fréquemment des emprunts au français. Relativement aux catégories lexicales
examinées séparément, elles tendent à être plus fréquentes utilisatrices d’emprunts
aux champs Automobile, Gastronomie, Mass média, Loisirs Métiers &
Caractéristiques de personnes, Notions et Équipement. Au contraire, celles qui
affirment utiliser le français dans d’autres circonstances que celles déjà
mentionnées, tendent à utiliser moins fréquemment des emprunts. Cette tendance
n’est pas valable à l’Automobile, à la Gastronomie, aux Loisirs et aux Notions.
En ce qui concerne l’opinion des sujets de la recherche sur les langues
étrangères et plus précisément sur le français, nous retenons les conclusions
suivantes; relativement au degré de facilité, la plupart des emprunts sont utilisés
par les personnes trouvant les langues étrangères et le français de difficulté
moyenne. Pour ce qui est des langues étrangères, les personnes qui les jugent
difficiles utilisent le moins d’emprunts, tandis que concernant le français, celles qui
le considèrent comme très facile utilisent la majorité des mots natifs. Concernant
l’intérêt des langues étrangères et du français, nous constatons que plus on les
aime, moins on utilise des emprunts. De cette façon, les personnes trouvant les
langues étrangères neutres utilisent la majorité des emprunts, tandis que celles qui
les jugent extraordinaires utilisent la minorité des emprunts. Aussi, les personnes
trouvant le français désagréable utilisent le plus d’emprunts, alors que les
personnes trouvant le français extraordinaire tendent à utiliser moins d’emprunts.
Quant à l’utilité des langues étrangères et du français, nous constatons que ceux qui
croient que les langues sont peu utiles utilisent la plupart des emprunts, tandis que
ceux qui les trouvent très utiles tendent à en utiliser le moins. Concernant l’utilité
du français, nous constatons que plus on croit que le français est utile moins
on l’utilise. Plus précisément, ceux qui utilisent le plus d’emprunts au français sont
ceux qui croient que le français est peu utile. Par contre, le moins d’emprunts
utilisent ceux qui trouvent le français très utile.
257
4. COMMENTAIRES
Les emprunts fonctionnant comme faux amis ne sont pas envisagés avec la
régularité qui leur convient par les manuels sur l’enseignement/apprentissage de la
langue française en tant que langue étrangère. En plus, on ne s’y réfère pas dans les
dictionnaires destinés à public non natif du français. Par contre, on propose souvent
comme synonymes des faux amis des unités lexicales ayant des significations
différentes ou sans contexte d’utilisation. De cette façon, les locuteurs natifs de la
langue grecque, au cours de l’apprentissage de la langue étrangère sont conduits à
des erreurs sémantiques et stylistiques dans leur discours. La création d’un
dictionnaire thématique sur les faux amis français-grecs serait un outil essentiel qui
pourrait aider les apprenants de la langue française à utiliser ces unités lexicales
correctement selon les différentes situations de communication. En outre, dans les
manuels didactiques destinés au public grec francophone, il serait utile d’ajouter
dans chaque unité thématique les faux amis les plus souvent attestés appartenant au
champ lexical à étudier. De plus, on devrait attribuer une importance particulière à
l’explication des différences de signification entre les mots natifs et les mots
d’origine étrangère considérés comme synonymes.
Via cette recherche nous avons essayé de toucher plusieurs champs de
recherche. Il y a quand même plusieurs questions à traiter dans le futur. Dans notre
recherche nous avons abordé certains aspects fondamentaux pour ce qui est des
emprunts lexicaux fonctionnant comme faux amis. Les résultats pourront servir
donc d’initiation à une problématique concernant les facteurs d’usage, en français,
des faux amis empruntés au français par les locuteurs grecs francophones,
démontrant donc l’influence de la langue maternelle à la compétence de la langue
étrangère.
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édition 1996], Paris: Armand Collin.
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Vocabulaire Anglais: Conseils aux Traducteurs, Paris.
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Traduction, terminologie, rédaction 2, 1: 125 - 137.
Rey-Debove, Josette / Rey, Alain (1996): Le Petit Robert Dictionnaire analogique
et alphabétique de la langue française, Nouvelle édition. Paris:
Dictionnaires le Robert.
259
EMPRUNTS ROUMAINS DES TERMES FRANÇAIS
DU VOCABULAIRE SPÉCIALISÉ:
HÔTELLERIE ET TOURISME
Anda RĂDULESCU
Université de Craiova, Roumanie
1. PRÉLIMINAIRES
Ayant comme point de départ l’affirmation de Maillot (1970: 41) qui
estimait que
«Chaque langue a naturellement tendance à former des termes techniques en
puisant dans son vocabulaire général, mais elle peut aussi recourir à une langue
classique, latin ou grec ou encore les emprunter, en plus ou moins grande quantité
à une autre langue vivante, notamment lorsqu’il s’agit d’une technique en voie de
développement dans le pays considéré»
nous nous proposons d’examiner l’évolution de quelques emprunts lexicaux du
domaine particulier de l’hôtellerie et du tourisme, deux branches en plein essor, qui
se caractérisent par l’existence d’un grand nombre de termes implantés en roumain
par filière française.
Même si notre corpus est formé d’environ 427 mots d’un vocabulaire
spécialisé particulier, inventoriés par le Dictionnaire de géotourisme en ligne
(http://geotourweb.com), nous n’en avons retenu que 6 (hôtellerie, collation,
restauration, taxe, tourisme, voyage), parce qu’ils nous ont semblé représentatifs
pour illustrer le phénomène de l’enrichissement d’une langue, de l’acclimatation
d’un mot étranger dans un nouvel espace, avec sa forme d’origine (le calque) ou en
subissant des transformations graphiques, phonétiques et sémantiques. Certains de
ces emprunts constituent des néologismes1, dans le sens le plus restreint du terme, à
savoir des termes créés dans les années 1980, tels que corem  Fr. chorème,
geoturism  Fr. géotourisme, ecoturism  Fr. écotourisme, agroturism  Fr.
agrotourisme. D’autres sont des calques (tourisme gastronomic  Fr. tourisme
gastronomique; turism de masă  Fr. tourisme de masse; caiet de sarcini  Fr.
cahier de charges) ou des barbarismes (hotelărie  Fr. hôtellerie; colaţiune  Fr.
collation).
260
2. PROBLÈMES DE TERMINOLOGIE: EMPRUNTS, CALQUES,
GALLICISMES, BARBARISMES
2.1. Emprunts
L’emprunt fait partie des moyens dont disposent les locuteurs pour
accroître leur lexique, au même titre que la catachrèse2 ou la dérivation. Dans les
vocabulaires spécialisés, l’emprunt s’avère être nécessaire, parce qu’en général,
lorsqu’on crée une terminologie dans une langue et on dénomme un outil, son
fonctionnement, son entretien, on transfère en totalité le mot emprunté (signifiant
et signifié).
Un terme peut être emprunté directement (firmă de catering3  Angl.
catering, terme à peu près synonyme du mot français restauration légère et qui
désigne toute activité de fabrication et de service des repas et des boissons). En
roumain on utilise le mot dans le sens restreint, de livraison sur commande et des
services de boissons et des plats ou de l’organisation d’événements sociaux –
mariages, fêtes, anniversaires, etc.
Dans la plupart des cas, l’emprunt est indirect, c’est-à-dire qu’un terme
passe par une ou plusieurs autres langues pour s’implanter finalement dans un
nouveau territoire. Dans le cas particulier du vocabulaire du tourisme et de
l’hôtellerie, la langue-vecteur qui sert d’intermédiaire pour l’implantation des mots
d’origine latine, grecque ou anglaise est le français.
Ainsi, par exemple, le mot roumain restauraţie est un emprunt au mot
français restauration, qui, a son tour, provient du latin restauratio4 qui signifiait
«renouvellement». Dans d’autres langues de spécialité, comme l’informatique, ce
terme constitue un néologisme, parce qu’à partir de 1981 il désigne une «opération
qui consiste à rétablir le contexte d’une instruction ou d’une séquence de
programme» (cf. TLFI). Donc, l’informatique l’a utilisé dans un sens plus proche
du sens latin, parce que le verbe qui se trouvait à la base du nom était restauro, qui
signifiait «rebâtir, réparer, refaire». De même, colaţiune provient du mot latin
collatio, qui passe en roumain par la filière française (collation), dans le sens
gastronomique de «goûter, repas léger».
Le mot corem, emprunt au mot français chorème, est un néologisme, car il
est une création récente du géographe Roger Brunet, en 1980. Il provient du grec
chora qui signifie «tendue, lien, contrée». Le sens que Brunet donne au terme est
de «représentation schématique d’un espace donné».
Parfois, l’emprunt fait partie d’un phénomène de mode plus général. Il
n’est qu’une des manifestations de la volonté d’imiter une culture sentie, à un
certain moment, comme ayant plus de prestige. Même si l’on dispose d’un terme
recouvrant à peu près la même aire, on ressent le besoin d’emprunter un mot
étranger, parce que «les peuples en contact ne s’échangent pas seulement des biens
ou des idées. Des mots étrangers sont reproduits parce qu’ils peuvent être entendus
plus souvent que les mots vernaculaires» (http.wikipedia.org/wiki/Emprunt). En ce
sens, nous estimons que c’est dans la dernière décennie du XXème siècle, lorsque les
261
Roumains, une fois délivrés du communisme, se sont mis à voyager, qu’on a
commencé à utiliser le terme hotelărie, à la place du syntagme industria hotelieră /
industrie hôtelière, sous l’influence du mot français hôtellerie, un mot dérivé de
hôte  Lat. hospes. Le français ne représente pas pour le roumain la langue d’un
pays dominant du point de vue culturel, économique ou politique, mais on lui
accorde à juste titre le statut de langue de prestige, qui a fréquemment constitué
une donneuse de mots, notamment dans les domaines de pointe, dont le tourisme et
l’hôtellerie.
Les emprunts sont intéressants aussi du point de vue de l’évolution du sens
d’un mot (aspect diachronique). Dans nombre de cas, on constate soit des
rétrécissements sémantiques, soit des extensions du sens d’un terme qui, au cours
de son histoire, passe sous forme d’emprunt dans une autre langue. Ainsi, par
exemple, le mot voyage5 signifiait en ancien français «pèlerinage», «croisade». Le
sens moderne du mot apparaît, conformément à Dauzat, Dubois, Mitterand (1971:
800) à la fin du XVème siècle, du latin viāticum, «argent pour un voyage» puis
«provisions de voyage», qui, par extension, a donné voyage, du mot latin via
«chemin». Le roumain a emprunté le terme français avec ce sens précis, de
déplacement d’un endroit à l’autre, et pas avec les sens antérieurs.
2.2. Calques
Le Petit Robert (1991: 240) définit le calque linguistique comme une
«traduction littérale d’un mot composé sans en changer ni le sens, ni la
désignation», alors que les stylisticiens Vinay et Darbelnet (1958: 47) considèrent
le calque comme une sorte «d’emprunt d’un genre particulier», parce qu’on
«emprunte à la langue étrangère le syntagme, mais on traduit littéralement les
éléments qui le composent». Ainsi, par exemple, le roumain a calqué les structures
turism rural, asociativ, sportiv, de afaceri, cultural, de proximitate, internaţional
etc. sur les structures françaises tourisme6 rural (=activités d’accueil,
d’hébergement, de restauration, et de loisirs dont le siège est une exploitation
agricole); tourisme associatif (=ensemble d’associations de tourisme ayant pour
vocation des activités touristiques, réceptives ou émettrices); tourisme sportif
(=ensemble des produits et des services qui utilise le sport à des fins touristiques);
tourisme d’affaires (=ensemble des voyages déterminés par l'activité économique,
qui comprend déplacements individuels à but professionnel, réunions, congrès,
colloques et séminaires, participation à des salons comme exposant ou comme
visiteur, voyages d'études et voyages de stimulation); tourisme culturel
(=déplacement dont la motivation principale est d'élargir ses horizons intellectuels
en accroissant ses connaissances et en satisfaisant sa curiosité à travers la
découverte des biens culturels matériels: monuments, musées, sites, etc., ou
immatériels : traditions, événements festifs, etc.); tourisme de proximité (=voyages
ou séjours à une distance relativement courte du domicile, généralement pour de
courtes durées, d’habitude à la fin de la semaine); tourisme international
(=ensemble des flux et des consommations touristiques entre un pays et d’autres
262
pays voisins ou éloignés). De même, les touristes doivent payer toutes sortes de
taxes ( Lat. méd. taxa), dont taxă de sejur ou taxă de staţiune, expressions
calquées sur les syntagmes français taxe de séjour ou taxe touristique (=taxe
décidée par la municipalité de la ville où se situe un hôtel, appliquée surtout dans
les villes où le tourisme a un caractère saisonnier); taxă de mediu ou taxă verde du
syntagme taxe environnement ou taxe verte (=taxe qui a pour but de diminuer la
pollution de l’environnement due aux gaz à effet de serre par la taxation des
émissions de dioxyde de carbone), etc.
2.3. Gallicismes
Les gallicismes sont soit des emprunts faits au français par une autre
langue, soit des «tournures ou constructions du français qu’il est impossible de
traduire littéralement dans une autre langue» (Dubois 1992: 243). Ainsi, dans cette
catégorie entrent des syntagmes comme: tourisme de rencontre et de partage,
tourisme doux, sites-écrin, sites néo-géniques, etc. constructions difficile à
transférer en roumain, justement parce qu’elles sont spécifiques au français. Les
traducteurs se servent de périphrases plus ou moins longues pour les rendre en
roumain: turism prin reţele de socializare / prin schimburi culturale, turism verde /
ecologic, situri de patrimoniu / patrimoniale, situri nou apărute / de curând
apărute. Parfois un gallicisme peut avoir plusieurs variantes de traduction en
roumain, qui dépendent d’une option du traducteur plutôt que de l’usage qui a fixé
l’une ou l’autre des variantes. Ainsi, par exemple, une chaîne hôtelière franchisée
peut avoir en roumain des équivalents comme lanţ hôtelier în sistem de franciză
[chaîne hôtelière en système de franchise], lanţ hotelier sub / de franciză [chaîne
hôtelière sous / en franchise], ou simplement hotel în franciză [hôtel en franchise].
2.4. Barbarismes
Selon les grammairiens, les barbarismes ou solécismes sont des fautes de
langue dues à un emploi de mots forgés, déformés ou résultés de l’utilisation d’un
mot dans un sens qu’il n’a pas. Sont également traités de barbarismes les mots
impropres ou les expressions étrangères à une langue. Ainsi, selon cette définition,
on pourrait considérer comme barbarismes les mots roumains hotelărie (Fr.
hôtellerie) et colaţiune (Fr. collation). Si le premier n’est pas enregistré par les
dictionnaires roumains en usage (DEX, DOM, MDA), mais figure dans de
nombreux sites internet comme mot appartenant à une langue de spécialité (les
sites mentionnent: diplome de hotelărie / Fr. diplômes en hôtellerie; tehnician
hotelărie / Fr. technicien en hôtellerie; recepţioner hotelărie / Fr. réceptionniste en
hôtellerie; turism şi hotelărie / Fr. tourisme et hôtellerie et font fortune dans la
presse écrite: «Ungurii fac turism, românii doar hotelărie 7» cf. Adevărul, 17.
10.2010), le second y apparaît et il est employé même dans des œuvres littéraires
roumaines (Călinescu, Enigma Otiliei: «O astfel de colaţiune la ora mesei, într-o
casă în care se gătise şi in care gazda putea organiza o cină în regulă, miră pe
263
Felix»8.) ou dans les traductions des œuvres étrangères (Joyce, Ulysses, traduction
de Mircea Ivănescu: «O mâncare bună, o colaţiune, de frică să nu-i vină rău de
foame pe treptele altarului»9.)
3. CARACTÉRISTIQUES DES TERMES EMPRUNTÉS
Les termes du vocabulaire de l’hôtellerie et du tourisme que le roumain a
empruntés au français se sont très bien acclimatés en roumain. La preuve en est
qu’ils sont devenus des bases de dérivation pour former d’autres noms, des verbes
ou des adjectifs, ce qui démontre leur contribution importante à l’enrichissement du
vocabulaire roumain. Les syntagmes et les collocations où ils figurent comme
termes-noyaux constituent également des moyens d’implantation de nouveaux
concepts véhiculés par cette branche d’activité. Le roumain s’est avéré être une
langue accueillante pour tous ces mots, étant donné que maintenant ils ne sont
presque plus ressentis comme mots étrangers, surtout parce qu’ils utilisent les
marques autochtones de formation du pluriel (-uri, -e) et qu’ils ont développé
même deux formes différentes en roumain (restauraţie et restaurare  Fr.
restauration; colaţiune et colaţionare  Fr. collation).
3.1. Dérivation et composition
Beaucoup de mots empruntés au français sont devenus des bases de
dérivation par préfixation pour d’autres mots. Ils ont également formé des mots
composés, notamment avec des éléments grecs (geo-, agro-, oikos-10) ou latins
(agri-). Les mots composés et dérivés peuvent venir aussi directement du français,
dans beaucoup de cas les linguistes ne pouvant pas déceler la véritable source d’un
mot dérivé en roumain: emprunt tel quel ou création interne. Ainsi, par exemple, le
terme voiaj ( Fr. voyage) aurait pu former le nom et l’adjectif voiajor et le verbe a
voiaja, synonyme livresque du verbe a călători (Fr. se déplacer d’un endroit à
l’autre). Mais, ces mots peuvent également venir directement du français:
voyageur, voyager. Ce qui est intéressant c’est que le mot voyagiste du français qui
désigne un tour-opérateur ( Angl. tour operator) ne figure pas en roumain, qui a
préféré emprunter dans ce cas le mot anglais, voilà pourquoi on se sert du
syntagme tur operator pour désigner un opérateur de tourisme.
On enregistre la même situation dans le cas du nom turism (emprunt au
français tourisme et à l’italien turismo servant de langues-vecteur pour le mot
anglais tourism) qui présente de nombreux dérivés, dont: turist (Fr. touriste),
turistic (Fr. touristique), turistificare (Fr. touristification), turisticitate (Fr.
touristiticé) et le verbe a turistifica (Fr. touristifier). Les trois derniers mots sont
des néologismes même pour le français, qui les a empruntés à l’anglais. Par
ailleurs, les dictionnaires français d’usage général (Le Petit Robert, Le Grand
Larousse, Le Trésor de la Langue française) ne les ont pas encore enregistrés, mais
ils figurent dans des ouvrages de spécialité (voir Lozato & Balfet 2007: 29-38) et
sur des sites internet (par ex. Comment se touristifier sans perdre son âme? Ou
264
comment le développement touristique peut-il s'accommoder des identités locales,
sans les altérer? cf. www.harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no).
Si la touristicité est une analyse et une évaluation des potentialités attractives d’une
région / d’un pays, la touristification «désigne l’intensité du phénomène touristique
sur le territoire d’accueil» (Lozato / Balfet 2007: 36). En roumain, on constate que
les termes sont fréquemment utilisés par les spécialistes du domaine, qu’ils figurent
également sur les sites internet (par ex: Procesul de turistificare a spaţiului dans
facultate.regielive.ro/.../analiza_sistemelor_turistice_mijloace_si_metode168855.ht
ml et Superlative şi turisticitate www.epix.ro/jurnal/2010/06/superlative-situristicitate.html), mais qu’ils ne figurent pas encore dans les dictionnaires
roumains.
Ce terme s’avère être une base de dérivation non seulement suffixale, mais
il constitue également le noyau de quelques mots-composés. Ainsi, on parle de
quelques néologismes, créés dans les années 1980, comme:
- géotoursime, terme ayant deux significations complémentaires: 1)
tourisme qui soutient et met en valeur le caractère géographique d’un lieu, son
environnement, sa culture, son esthétisme, son patrimoine et le bien de ses
habitants (définition de la National Geographic Society, cf. geotourweb); 2)
ensemble de pratiques, d’infrastructures et de produits visant à promouvoir les
sciences de la Terre par le tourisme; activité spécialisée qui consiste à s’intéresser
aux aspects géologiques et géomorphologiques des paysages et régions visitées
(définition de E. Reynald, cf. geotourweb);
- agritourisme, qui comprend «les activités d'accueil, d'hébergement, de
restauration et de loisirs dont le siège est une exploitation agricole» (cf.
geotourweb);
- écotourisme11 «déplacement à caractère touristique dans la Nature qui
contribue à la conservation de dernière» (cf. geotourweb).
3.2. Formation du pluriel
Beaucoup de mots du vocabulaire du tourisme et de l’hôtellerie sont du
genre neutre en roumain (hotel / hôtel, voiaj / voyage, mediu / environnement, flux
/ flux, centru / foyer).
Certains présentent la particularité d’avoir développé en roumain deux
formes de pluriel, en -uri et en –e. Le premier type de pluriel est la forme normée,
caractéristique des mots mono et bisyllabiques: hoteluri / hôtels, voiajuri / voyages,
alors que le pluriel en –e est courant notamment avec les mots plurisyllabiques qui
présentent aussi une alternance phonétique12. Le pluriel hotele est sorti d’usage,
mais voiaje représente une variante libre de voiajuri.
3.3. Polysémie et synonymie
Il y a un grand nombre de termes qui figurent dans le corpus de notre
analyse qui sont polysémiques et qui ne sont pas réservés uniquement au domaine
265
de l’hôtellerie et du tourisme. Parfois ces mots présentent deux formes différentes
en roumain, fait qui facilite le décodage correct du sens, même sans un contexte
minimal.
Par exemple, le mot collation a eu plusieurs sens en français (cf. TLFI): 1)
(vx.) action de conférer avec quelqu'un; petite conférence qui avait lieu au cours de
la soirée chez les moines et, par extension, léger repas que prenaient les moines
après cette conférence; 2) (usuel) repas léger, que l'on prend à tout moment de la
journée, mais le plus souvent dans l'après-midi ou la soirée; 3) action de comparer
des copies avec l'original afin de s'assurer de leur conformité avec celui-ci; 4)
action de conférer qqch. (un grade universitaire, un titre de capacité) à qqn. En
roumain on n’a pas emprunté le premier et le dernier sens du français, on s’est
limité aux deux autres (2 et 3). En plus, le roumain utilise deux mots différents,
colaţiune et colaţionare. Si colaţiune est employé dans le sens de confrontation
entre un original et sa copie ou sa reproduction pour établir les ressemblances et les
différences (syn. comparaison, confrontation), et dans le sens de repas léger et
rapide (syn. goûter), le mot colaţionare est réservé uniquement au premier sens,
celui de confrontation de la copie / de la reproduction avec l’original (cf. MDA, vol
I, 2010: 458).
De même, le mot restauration a développé en français quatre sens
différents13 (Cf. TLFI): 1) action de remettre en bon état une chose dégradée (syn.
réfection, rénovation, réparation); 2) action de remettre en activité, en vigueur, de
rétablir au pouvoir une dynastie qui avait été écartée (syn. rétablissement,
réhabilitation); 3) branche d’activité qui consiste dans la fabrication et / ou le
service des repas et des boissons; 4) (vieilli) en Suisse auberge, restaurant; (rég).
Allemagne restaurant; mets servi dans un restaurant.
En roumain on dispose de deux termes différents, restaurare et restauraţie
(avec la variante plus ancienne restauraţiune, à présent sortie d’usage). Restaurare
et restauraţie commutent dans tous les contextes, sauf dans le domaine de la
gastronomie, où le seul terme utilisé en roumain est restauraţie. Dans les autres
cas, l’emploi de l’un ou de l’autre est juste une option du locuteur. Ainsi, on peut
faire restaurarea ou restauraţia unei case [la restauration d’une maison],
restaurarea ou restauraţia unui regim politic [la restauration d’un régime
politique], mais on n’est jamais invité à une restaurare uşoară la vagonulrestaurant [restauration légère au wagon-restaurant]. Dans le MDA, vol II, 2010:
697 parmi les sens que restauraţie a empruntés au français figure aussi celui de
restaurant / restaurant14, cârciumă / taverne et sală de aşteptare / salle d’attente.
Quant à la synonymie que certains termes présentent, il faut préciser que
dans la plupart des cas elle n’est que partielle (agri / agrotourisme et tourisme
rural), rarement totale (par ex. écotourisme et tourisme vert). Ainsi, le tourisme
rural est l’hypéronyme de l’agritourisme, qui est l’une de ses formes de
manifestation, à côté du tourisme vert, du tourisme de randonnée, des activités de
pleine nature, etc. De même, pour les non spécialistes, les termes écotourisme,
tourisme rural et tourisme vert pourraient sembler être des synonymes totaux. En
266
fait, ils ne le sont pas et les définitions que les dictionnaires en donnent offrent des
précisions qui constituent des traits distinctifs pour les différencier.
Si l’écotourisme se définit comme «voyage responsable dans des
environnements naturels où les ressources et le bien-être des populations sont
préservés» (définition donnée par la Société Internationale de l’Écotourisme en
1991, cf. Wikipedia), le tourisme vert est une forme de tourisme qui vise à la fois la
protection de la nature et la rentabilisation des investissements en terme
d'infrastructures (www.intelligenceverte.org), alors que le tourisme rural est une
activité touristique qui a lieu en milieu rural15 notamment chez les agriculteurs,
mais aussi chez des gens du pays qui ne vivent pas de l'agriculture; dans le cadre de
ce type de tourisme l’accent est mis sur la qualité de la vie à la campagne et sur les
bienfaits des produits locaux. Donc, si tous les trois représentent des formes du
tourisme alternatif, ayant pour objet les environnements naturels et leur
préservation, le tourisme rural se fait notamment à la campagne, alors que le
tourisme vert et l’écotourisme peuvent se faire aussi dans des zones urbaines non
polluées, caractérisées par une petite densité de la population et par des industries
«propres».
4. CONCLUSIONS
L’étude de l’emprunt, de quelque point de vue qu’elle soit faite –
étymologique, sémantique, traductologique, etc. – s’avère être particulièrement
intéressante, d’un côté parce qu’elle offre des informations précieuses sur l’état
d’une langue à un certain moment de son évolution, et, de l’autre côté, parce
qu’elle constitue une source importante de l’enrichissement du vocabulaire de toute
langue. Le roumain a beaucoup emprunté au français, non seulement des mots du
vocabulaire général, mais notamment des mots appartenant aux vocabulaires de
spécialité (mode, architecture, gastronomie, hôtellerie, tourisme, sports, etc.). Le
grand nombre de mots entrés en roumain du français ou par filière française se
sont parfaitement adaptés au système linguistique roumain, de sorte qu’à présent on
ne se rend plus compte que ce ne sont pas des créations autochtones. Dans la
plupart des cas, ces emprunts sont parfaitement justifiés, compte tenu du fait qu’ils
appartiennent aux domaines techniques, scientifiques ou des métiers qui ont créé
non seulement le concept, mais également l’appareillage nécessaire à l’étude de ces
domaines. Nous estimons que la terminologie précise et sans équivoque que le
roumain a empruntée au français dans le domaine de l’hôtellerie et du tourisme
ouvre la possibilité à tout le monde, non seulement aux spécialistes, de comprendre
et d’utiliser correctement des termes d’un domaine particulier.
NOTES
1
Le néologisme est une unité lexicale (nouveau signifiant ou nouveau rapport signifiant-signifié)
fonctionnant dans un modèle de communication déterminé, et qui n’était pas réalisé
antérieurement. […] Selon le modèle choisi, on distinguera des néologismes en synchronie large
et étroite, des néologismes pour la langue dans son ensemble ou pour des usages particuliers
(ex : les technolectes). Il s’agit donc d’un concept relatif et opératoire. (Dubois 1992: 322)
267
2
Figure de rhétorique qui consiste à détourner un mot de son sens propre, à en éteindre la
signification (cf. www.mediadico.com)
3
Traiteur-rétisseur.
4
cf. TLFI, qui précise que le mot restauratio existait en bas latin.
5
Dauzat, Dubois, Mitterand 1971: 800 attestent la forme veiage en 1080 dans La chanson de Roland.
6
Le mot français tourisme est un emprunt du mot anglais tourism. Le mot tour dans faire un tour est
synonyme de voyage et l'anglais l'a emprunté au français au XVII-ème. Le suffixe –isme existe en
français. Le mot anglais tourism était péjoratif au début de sa fabrication (fin du XVIII-ème),
lorsque les Anglais passent de traveller à tourist. Le français n'a donc emprunté que le dérivé,
tour + isme / iste.
7
Trad. fr: Les Hongrois font du tourisme, alors que les Roumains font de l’hôtellerie.
8
Trad. équiv. Une telle collation à l’heure du repas surprit Félix, surtout dans une maison où l’on
avait cuisiné et dans laquelle l’hôtesse pouvait organiser un dîner approprié.
9
Trad. équiv. De la bonne nourriture, une collation, de peur de ne s’évanouir de faim sur les marches
de l’autel.
10
Il a donné éco- en passant par l'allemand (1874 selon le Robert étymologique) et donc emprunt du
français à l'allemand.
11
Le concept d'écotourisme a été forgé dans les années 1980 par la World Wildlife Fund, la plus
puissante O.N.G. conservationniste mondiale. (cf. geotourweb)
12
Type telefon – telefoane.
13
Dans d’autres domaines spécialisés, le mot a des sens particuliers. Par ex: ARCHIT. style dans l’art
français caractérisé par formes arrondies et ornements gracieux; ARBORIC. Réparation et
conservation des arbres d'ornement; CHIR. Réparation chirurgicale d'un élément du corps, en
particulier des os; ECOL., PEDOL, SYLV. technique de conservation des sols; INFORM.
opération de rétablissement du contexte d’une instruction.
14
Le MDA précise que c’est un sens vieilli du mot restaurant, alors que pour les deux autres, taverne
et sale d’attente, il indique le caractère régional.
15
Ou «agricole», ajout qui justifie la différence entre agri- / agro-.
BIBLIOGRAPHIE
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Dicţionar ortografic al limbii române (DOM) (ww.webdex.ro/online/dictionar...al.../dom)
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www.epix.ro/jurnal/2010/06/superlative-si-turisticitate.html
www.intelligenceverte.org
269
«GALLICISMES» «PANROMANS»
Sanda REINHEIMER RÎPEANU
Université de Bucarest, Roumanie
1. Les emprunts interromans constituent un ensemble de mots qui ont
enrichi en permanence le vocabulaire de nos langues. Chacune des langues
romanes a eu une contribution spécifique à l’enrichissement des langues sœurs et,
dans cet ensemble, les emprunts au français (ci-dessous gallicismes), se présentent
comme un ensemble à part. C’est ce qui nous semble indiquer d’ailleurs le 7e
volume du Lexikon der romanistischen Linguistik, Tübingen, Niemeyer, 1998, où
les articles dédiés aux relations interromanes ont une structure différente: si les
sections consacrées à l’italien, espagnol, etc., s’occupent de l’enrichissement du
vocabulaire de ces langues par des emprunts aux langues sœurs, seule la section
consacrée au français développe une perspective différente, en s’occupant de la
diffusion des termes français dans les autres langues romanes (Bouvier, 1998).
Ces gallicismes, dont le nombre peut s’élever de quelques milliers de mots
(dans les langues de l’Europe de l’ouest) à quelques dizaines de milliers (en
roumain) font preuve d’une grande diversité: les différences d’ordre quantitatif
nous indiquent sans conteste qu’ils ne figurent pas dans les vocabulaires de toutes
1
nos langues; à part cela, ils y sont entrés à différentes époques , ils ne sont pas
2
utilisés d’une manière similaire dans différentes variétés diastratiques , ils
présentent des sémantismes plus ou moins distincts, etc.
Malgré cette diversité, il existe, dans cet ensemble d’emprunts au français,
3
une série de mots dont la diffusion peut être considérée comme «panromane».
Pour l’instant nous envisageons seulement les langues romanes pour lesquelles il
existe une variété littéraire et cultivée à évolution continue (roumain, italien,
catalan, espagnol, portugais), mais certains de ces gallicismes connaissent sans
4
conteste une diffusion au-delà de ces langues.
En jetant un coup d’œil sur les gallicismes panromans, nous nous sommes
imposé une restriction, qui concerne les étymons français pris en considération:
nous avons exclu de notre inventaire les étymons français qui sont des emprunts au
5
6
latin : la diffusion des «latinismes» dans les langues romanes (de l’ouest), d’une
part, et en roumain, de l’autre, par emprunt direct ou par intermédiaire, pose des
problèmes qui réclameraient une approche spécifique. Ainsi, les mots qui forment
l’objet de cet aperçu sont des mots français à étymologie variée: ce sont des mots
hérités du latin sous une forme qui est propre au français, formés (par dérivation ou
composition) en français ou empruntés par le français à toute autre langue que le
latin. Ils acquièrent le statut de «gallicismes panromans» dans la mesure où ils ont
270
été empruntés par les langues romanes citées ci-dessus et figurent (ou ont figuré)
7
dans des dictionnaires explicatifs de ces langues.
2. Si l’on envisage ces mots du point de vue de leurs référents, il est
évident qu’il faut identifier d’abord les objets qui sont liés au territoire francophone
et qui ont connu une expansion au-delà des frontières de la France:
8
a) des objets dont l’origine française est unanimement connue ; il s’agit en
général d’appellations d’origine contrôlée, qui sont parfois utilisées également pour
des objets similaires, fabriqués ailleurs:
FR
ROUM
champagne şampanie
cognac
coniac
IT
CAT
sciampagna,
sciampagne,
champagne
cognac
xampany
ESP
PTG
champaña, champanha,
champán
champanhe
conyac
coñá,
conhaque
coñac
camembert camembert camember,
camembert
camembert camembert camembert
Même si ce sont des toponymes, il est très probable que la diffusion des
termes s’explique plutôt par l’expansion des objets et moins par les connaissances
géographiques des locuteurs des autres pays (pour lesquels, d’ailleurs, les
toponymes apparaissent dans l’écriture sans adaptation graphique).
(b) des objets apparus dans l’ambiance francophone9:
FR
ROUM
IT
CAT
ESP
PTG
brioche 10
baïonnette11
cancan ‘danse’12
cabaret13
bidet 14
châssis 15
brioşă
baionetă
cancan
cabaret
bideu
şasiu
brioche, brioscia
baionetta
cancan
cabaret, cabarè
bidè, bidet
châssis
brioix
baioneta
cancan
cabaret
bidet
xassís
brioche
bayoneta
cancán
cabaré
bidé
chasis
brioche
baioneta
cancã
cabaret, cabaré
bidé, brés. bidê
chassi
Ce sont en général des mots à référent concret, mais pas seulement; parmi
les mots à référent abstrait, qui ont trouvé en français leur première désignation, on
peut mentionner:
FR
ROUM
IT
CAT
ESP
PTG
chauvinisme şovinism sciovinismo xovinisme chovinismo, chauvinismo
chauvinismo
3. La grande majorité de ces mots désignent des objets dont une origine
dans l’ambiance francophone n’est pas évidente : des recherches approfondies
seraient nécessaires pour expliquer la manière dont ces mots, qui font référence à
des objets concrets, utiles, ont eu la chance d’une telle expansion:
271
FR
ROUM
IT
CAT
ESP
bielle16
bistouri 17
biberon 18
bidon19
bobine20
buffet21
bielă
bisturiu
biberon
bidon
bobină
bufet
biella
bisturi
biberon
bidone
bobina
buffet, buffè, buffetto
biela
bisturí
biberó
bidó
bobina
bufet
biela
bisturí
biberón
bidón
bobina
bufé
PTG
biela
bisturi
biberão
bidão
bobina, bobine
bufete, bufê, buffet,
Certains d’entre eux (bielle, bistouri) sont des objets singuliers, uniques si
l’on pense à leur destination précise, appartenant même à des domaines spécialisés.
Et on peut se demander si la diffusion de tous les mots de ce type ne s’expliquerait
pas par l’emploi unique auquel ils étaient destinés au début; il s’agit, par exemple,
de bidon, bobine, noms qui se seraient rapportés au moment de leur pénétration
dans la langue cible à un emploi précis de l’objet en question; ils seraient entrés par
la suite en concurrence avec des noms d’objets similaires existants dans la langue
et auraient perdu la spécialisation initiale. L’emprunt serait entré en concurrence
avec les noms de ces objets (noms génériques ou cohyponymes du gallicisme) et
c’est parfois par rapport à cette concurrence que s’établit finalement le sens du
nouveau venu (qui conserve ou non sa place de terme spécialisé, suit l’évolution du
terme français dont il provient, connaît des élargissements nouveaux de sens,
etc.22). Par exemple:
- les mots en provenance de bidon désignent dans toutes les langues un
‘récipient (en métal ou d’autres matières) servant à contenir des liquides’; les
définitions données par quelques dictionnaires inventorient certaines
caractéristiques de l’objet concernant soit sa fermeture étanche (en espagnol), soit
sa capacité (ptg. ‘de grande capacidade’ ; it. ‘di media capacità’ ; esp. ‘de regular
tamaño’ ; en roumain même un récipient ‘de mică capacitate’), soit l’usage que
l’on en fait (par exemple, le dictionnaire roumain explicatif de 1908 spécifie son
emploi dans le domaine militaire: ‘cană de apă, vin, uleiu – mai ales la militari’,
DULR; en italien, bidone a aussi le sens de ‘[mar.] recipiente metallico di forma
troncoconica per contenere il vino del rancio per l’equipaggio’; en catalan, il est
repéré comme terme de manutention);
- les emprunts au fr. buffet n’ont pas partout le même sémantisme. Leurs
premiers emplois semblent s’être maintenus dans le domaine de l’ameublement. Le
sens de ‘table’ est récupéré de façons distinctes: soit comme (i) ‘table pour écrire’
(bufete, uniquement en espagnol : ‘mesa de escribir con cajones’, sens qui apparaît
enregistré dans le DRAE en 1770 et continue à y figurer, d’où se développe le sens
de ‘estudio o despacho de un abogado’, sens présent aussi en catalan), (ii) ‘table(s)
où sont disposés les mets, la pâtisserie, les boissons, dans une réunion de société’
(toutes les langues), mais aussi comme (iii) ‘meuble de rangement’ (roumain,
italien, catalan et portugais; ce dernier sens disparaît dans l’espagnol péninsulaire,
pour lequel il est attesté uniquement en 1726, mais est conservé au Nicaragua); les
élargissements sémantiques par métonymie à partir du second sens (ii) sont
272
enregistrés par les dictionnaires avec une certaine variation (cat. ‘taula assortida de
menges preparades, dolces o salades, fredes o calentes, amb begudes o sense, que
se serveix en una festa o en un restaurant’; esp. bufé − dans le DRAE à partir de
1983, doublet étymologique de bufete − ‘comida, por lo general nocturna,
compuesta de platos calientes y fríos, con que se cubre de una vez la mesa’ ; mais
aussi it. ‘il rinfresco stesso’). Dans toutes les langues figure ‘restaurant de la gare’
(l’italien y ajoute ‘aeroporti, teatri’, le roumain ‘instituţie’, et même ‘mâncăruri
care se servesc într-un asemenea local’), etc. On peut être assez sûr que les
dictionnaires n’enregistrent pas toutes les utilisations actuelles de l’emprunt et que,
sauf pour le premier sens, les langues se comportent d’une façon similaire.
4. Les mots que nous avons pris en considération ci-dessus sont surtout des
substantifs, désignant des objets appartenant à différents domaines, ceux auxquels
on attribue généralement le rôle d’avoir diffusé une terminologie spécifique du
français (mode et vêtement, meubles et logement, technique, art culinaire, vie
militaire, etc.). Mais l’influence «panromane» du français ne s’y arrête pas:
(a) des termes appartenant au domaine de la suprastructure, du vocabulaire
de l’administration, des relations sociales, politiques, etc., avec des référents
abstraits:
FR
ROUM
IT
CAT
ESP
charade
arriviste
bureaucratie
bureaucrate
şaradă
arivist
birocraţie
birocrat
sciarada
arrivista
burocrazia
burocrata
xarada
arribista
burocràcia
buròcrata
charada
arribista
burocracia
burócrata
PTG
charada
arrivista
burocracia
burocrata
(b) s’y ajoutent autres termes abstraits, adjectifs et verbes:
FR
ROUM
IT
CAT
ESP
PTG
complot
contrôle
banal
coquet
abandonner
arranger
complot
control
banal
cochet
abandona
aranja
complotto
controllo
banale
coquette
abbandonare
arrangiare
complot
control
banal
coquet
abandonar
arranjar
complot
control
banal
coqueto
abandonar
arranchar
complô, complot
controlo, controle
banal
coquete
abandonar
arranjar
5. Atelier, bagage, bébé, batterie, beige, blinder, blouse, brevet, bricolage,
bureau, cabine, camion, chauffeur, chef, chic, cliché, convoi, coupon, etc.23 −
autant de mots français qui figurent avec le statut d’emprunt dans les dictionnaires
des langues romanes !
Même s’ils ont connu une diffusion panromane, la plupart d’entre eux
n’ont pas été accueillis avec bienveillance dans aucune de ces langues; la critique
de leur emploi n’a rien d’original, si l’on pense à l’histoire de l’acceptation des
mots étrangers dans différents parlers en commençant par les italianismes dans le
français de la Renaissance et en finissant par les anglicismes dans toutes les
langues de nos jours. Voici quelques exemples:
273
- en 1926, par exemple, G. Cappuccini in Aggiunte a G. Rigutini, I
neologismi buoni e cattivi più frequenti nell’uso odierno, Firenze, traite le mot
bidone de «voce popolare francese, che noi abbiamo preso solo dicendo bidone di
petrolio, di benzina »; sa prévision, selon laquelle le mot, qui « ora [en 1925, n.n.]
ha perduto terreno, sostituito da latta col suo nuovo significato» (apud DELI, s.v.
bidone), disparaîtra complètement de l’usage, ne s’est pas accomplie!
- on propose le remplacement des emprunts par des mots « autochtones » :
« caballete debe ocupar el papel de bidet »24 ;
- les emprunts font leur entrée dans les dictionnaires accompagnés d’un
indice qui marque leur appartenance à cette catégorie (la première entrée de bidón
dans le dictionnaire de l’Académie, présente le mot comme «galicismo25 por lata,
bote» ; le mot n’est plus qualifié de « galicismo » en 1970 et acquiert une définition
qui ne renvoie plus à une synonymie avec lata26).
Ce serait le premier volet d’une recherche concernant les gallicismes
panromans: apprendre des détails sur les premiers emplois des emprunts (domaine,
motivation, réception, mots avec lesquels il entre en concurrence, etc.).
Un deuxième volet supposerait une perspective synchronique sur la langue
contemporaine à un moment où il est possible d’évaluer les effets de l’influence
française (résultat de la concurrence entre les mots, diffusion des emprunts dans les
variétés diastratiques des langues cible, identification du degré d’adaptation27 dans
les différentes langues, sémantisme actuel). Une telle perspective permettrait
d’établir des paramètres pour la comparaison du statut actuel des termes empruntés.
Entre les deux volets? L’histoire de la destinée de quelques centaines de mots, dont
la diffusion panromane devrait nous dévoiler d’autres aspects sur l’évolution de
nos langues: enrichissement du vocabulaire dans le contexte d’un enrichissement
culturel, d’une part, et rayonnement d’une culture vu dans l’expansion du
vocabulaire28, de l’autre.
NOTES
1
Voir, par ex., pour la chronologie des emprunts italiens au français: Bezzola (1925), Dardi (1992),
Hope (1971).
2
VRR, 517-518, indique les pourcentages des emprunts au français qui figurent dans le vocabulaire
représentatif de nos langues: 7.37% pour le roumain, 4.00 % pour l’italien, 1.51 pour le catalan,
2.45 pour l’espagnol et 2.98 pour le portugais.
3
Le terme est utilisé surtout pour désigner les mots latins hérités dans l’ensemble du territoire roman
4
Directement ou par intermédiaire.
5
Des mots romans qui, selon leur aspect extérieur, peuvent être considérés comme des emprunts au
latin, figurent comme emprunts au français dans les dictionnaires étymologiques (par ex. des mots
qui, d’après leur forme, pourraient être des emprunts au lat. DEMISSIO, INCANDESCENS sont entrés
en italien et en portugais (probablement) par l’intermédiaire du français.
6
Voir Reinheimer Rîpeanu, 2004.
7
Nous avons pris en considération des mots français commençant seulement par les lettres A, B, C, et
nous avons prêté peu d’attention aux emprunts en roumain; pour évaluer la place des emprunts
roumains au français dans une perspective romane, voir Reinheimer Rîpeanu, 2007.
8
Il y en a qui ne connaissent aucune adaptation graphique et/ou phonétique : par ex. chartreuse.
9
Pour avoir des renseignements rapides sur l’origine des objets, nous avons eu recours à Wikipedia,
même si on ne doit pas faire toujours confiance aux informations qui s’y trouvent.
274
10
«La brioche serait née en Normandie au 16e siècle. La pâte à brioche remonte au Moyen Âge, où
l’on aurait fabriqué des pâtisseries ressemblant aux brioches actuelles.» «Brioche is a highly
enriched French pastry.»
11
«Dérivé de Bayonne, sous-préfecture du département des Pyrénées-Atlantiques, ville qui possédait
aux 16e et 17e s. des fabriques d'armes et de coutellerie » (TLFi).
12
«The cancan first appeared in the working-class ballrooms of Montparnasse in Paris in around
1830.»
13
Le premier cabaret apparaît à Montmartre en 1881 ; en 1885, aux Pays Bas ; en 1901, en
Allemagne.
14
‘Meuble de toilette’, inventé vers 1710; diffusé dans toute l’Europe, surtout dans les pays
méridionaux.
15
«Durante años el chasis [...] fue el único sistema constructivo para todos los vehículos. Sin
embargo, a partir de los años 30 (Citroën "Traction") y sobre todo los 50, en los automóviles de
turismo se empezó a integrar en la carrocería, pasando ésta de cumplir una función meramente
protectora a ser estructural ». L’emprunt en question (s’il s’agit, par exemple, du châssis de
l’automobile, apparaît dans les explications des dictionnaires comme hyponyme d’un mot
générique existent dans la langue : esp. chasis ‘armazón, bastidor (del coche)’ ; it. châssis ‘telaio
di un autoveicolo’.
16
Attesté en français en 1684, ‘tige de fer rigide qui sert à communiquer le mouvement entre deux
pièces écartées’ ; en italien en 1876 ; 1899, dans le DRAE.
17
Attesté en 1564 en tant que mot féminin en médecine, bistorie chez Ambroise Paré; en catalan en
1839.
18
‘Petit vase qui a un bec ou tuyau par lequel on fait boire un petit enfant’ (Dictionnaire de
l’Académie, 1835; déjà employé en 1777 comme mot « de spécialiste »). It. biberoni (pl.) attesté
dans une publicité en 1868; le mot espagnol est enregistré par le DA en 1884. En italien et en
portugais, le mot a des synonymes : it. biberone − poppatoio (qui renvoie dans le GRADIT à
biberone); ptg. biberão − mamadeira (DPLPi), dont l’origine pourrait s’expliquer par le fait qu’il
s’agit d’objets destinés à des bébés.
19
Attesté en 1523 ‘petit récipient portatif et fermé, fait de bois ou de métal’; auj. ‘récipient avec
fermeture étudié pour le transport et le stockage de liquides à moindre coût’ ; réutilisable ou
jetable ; réalisé en métal ou en matière plastique.
20
Attesté dès 1410 avec des sens techniques; 1865, vocabulaire de l’électricité; 1896 ‘rouleau de
pellicule’.
21
Les attestations des sens, les plus significatives, offertes par TLFi: 1268 ‘table, dressoir, comptoir’ ;
1547 ‘meuble de rangement’; 1690 ‘table longue, où on met la vaisselle d’argent, les verres et les
bouteilles pour le service de la table’; 1832 ‘(dans une réunion) table où sont présentés mets et
boissons’; 1863 ‘buffet de gare’.
22
Pour les modifications sémantiques des emprunts au français en roumain, voir un inventaire
schématique dans Reinheimer Rîpeanu, 1985.
23
Dont certains figurent dans le vocabulaire représentatif des langues romanes et ont été empruntés
aussi par des langues non-romanes.
24
Ramón Franquelo y Romero, Frases impropias, barbarismos, solecismos y extranjerismos de uso
más frecuente en la prensa y en la conversación, Málaga, Tip. El Progreso, 1911, apud Montero
Curiel, 1992).
25
Signalons le sens que pouvait avoir le mot galicismo en espagnol à la fin du 19e s. et au début du
20e : « giros, locuciones y modos de decir que desfiguran y vician radicalmente la lengua en que
se admiten» (Rafael Ma Baralt, Diccionario de galicismos, Madrid, 1885, apud Montero Curiel,
1992).
26
Même si dans les dictionnaires français-espagnol fr. bidon continue d’être expliqué non seulement
par ‘bidón’, mais aussi par ‘lata’.
275
27
28
Aspect sur lequel nous ne nous sommes pas arrêtés ci-dessus.
Aussi comme intermédiaire pour des mots appartenant à d’autres langues romanes; voir dans ce
sens Reinheimer Rîpeanu, 2008.
BIBLIOGRAPHIE
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276
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TLFi Trésor de la langue française informatisé, ATILF / CNRS.
277
LES EMPRUNTS AU FRANÇAIS EN LANGUE SLOVÈNE
DES NOMS COMMUNS AUX MOTS DÉSIGNANT DES
SPÉCIFICITÉS CULTURELLES FRANÇAISES
Mojca SCHLAMBERGER BREZAR
Université de Ljubljana, Slovénie
1. UN APERÇU HISTORIQUE DE L’ATTITUDE NORMATIVE
CONCERNANT LES EMPRUNTS
Le slovène, une langue slave du sud, possède un certain nombre
d’emprunts au français. Historiquement et culturellement conditionnés, ces mots
sont entrés dans la langue slovène à différentes époques et n’étaient pas considérés,
contrairement aux emprunts à l’allemand, nuisibles à la pureté de la langue
slovène. Nous proposons, dans la suite, une recherche transversale
interdisciplinaire s’inspirant tantôt de la traductologie et de la sociolinguistique,
tout en mentionnant quelques faits historiques.
La Slovénie, avant son indépendance à partir de 1991, a fait partie d’États
multinationaux, notamment de l’empire Autrichien (et puis Austro-Hongrois)
jusqu’en 1918, puis de la Yougoslavie, ancienne (1918–1941) et nouvelle, à partir
de la fin de la 2e guerre mondiale jusqu’en 1991. Les langues majeures d’État,
l’allemand et le serbo-croate, ont influencé partiellement la terminologie et le
lexique du slovène. Entre-temps, il y a eu aussi différents modes de création des
mots nouveaux, par exemple, à la fin du 19ème siècle, on cherchait dans le trésor des
mots slaves pour les suppléer aux mots d’origine germanique. Le mouvement
panslaviste avait, entre autres activités, lutté pour l’inclusion de plus de termes
slaves dans le lexique slovène et contre la germanisation, même dans le
vocabulaire. De ce temps, le slovène possède un deuxième verbe pour «lire». Il y a
brati qui est calqué sur l’allemand lesen – les deux veulent dire aussi bien cueillir
(brati jagode, die (Erd)Beeren lesen – cueillir les baies (les fraises)) que lire (brati
knjigo, Das Buch lesen - lire le livre), et čitati d’origine slave. Seul le verbe brati
est neutre aujourd’hui, čitati ayant été banni du lexique contemporain avec la
désignation «archaique, désuet», puisque, dans les années 70 et 80 du siècle
précédent, en revanche, il était à la mode de lutter contre les emprunts venus du
serbo-croate, la langue dominante du territoire yougoslave.
Ces mouvements ont été influencés par a lutte pour la normativité et pour
la préservation, même artificielle, d’un slovène pur. Il faut savoir que ces efforts
ont aussi garanti, dans les yeux du peuple, la survie du slovène, aujourd’hui parlé
par 2 millions d’habitants, pendant les siècles où il a fait partie des Etats
278
multinationaux. Aujourd’hui, cette lutte se retourne contre l’anglais, langue de la
mondialisation.
1.1. Histoire des contacts entre le français et le slovène
La France et la Slovénie sont deux Etats situés à une distance de plus de
mille kilomètres. Les contacts directs n’ont été vécus que pendant la période de
Napoléon. La première entrée de Napoléon sur le territoire slovène se situe en 1797
quand il a assiégé la région de Gorizia (Goriška pokrajina). La deuxième fois, ce
fut en 1805, et la troisième fois, entre 1809 et 1813 quand la Slovénie faisait partie
intégrante de l’Empire avec la législation française. Son territoire était alors
nommé les Provinces Illyriennes.
Quant aux emprunts dus à l’Empire, il faut surtout mentionner les noms
propres. De cette époque datent les dénominations de nombreux ponts : Pont
Napoléon (Napoleonov most), par exemple dans la ville d’Idrija et dans la région
de l’Ouest de la Slovénie sur la rivière l’Isonzo (Soča), ainsi que quelques allées
(Napoleonov drevored - allée de Napoléon), par exemple à Logatec.
Il persiste aussi quelques noms de famille français, venus avec les soldats
qui restaient en Slovénie et se mariaient avec les femmes du pays, parmi lesquels
sont souvent mentionnés: Žibert, Valant, Ferle, Tibaut, Šertel, Sluga, ce dernier est
présumé être la traduction slovène de «servant».
Dans le dictionnaire des noms français, nous avons trouvé les origines des
noms Žibert, Valant, Tibaut, Ferle et Serva(i)n(t) (http://jeantosti.com/noms/a.htm)
que nous présentons dans la suite:
Žibert, écrit en français, viendrait du nom Gibert:
Gibert Nom porté en Catalogne. C'est un nom de personne d'origine germanique,
sans doute Giliberht (gili = ardent + berht = brillant), qui est aussi à l'origine de
Gilbert.
Valant est un vaillant slovénisé:
Vaillant - On peut hésiter entre un surnom (signifiant évidemment «vaillant»,
mais aussi «fort») et un nom de personne d'origine latine, Valentius, dont le sens
initial est de toute façon le même. Le nom est fréquent dans toute la France,
notamment dans le Nord-Pas-de-Calais, la Loire-Atlantique et la région RhôneAlpes. Variantes: Vailland (44, 69), Vaillen (84), Vaillend, Vailent (74).
Diminutifs: Vaillandet (70), Vaillendet (59).
Tibaut présente deux variétés dans le dictionnaire des noms français,
Tibaut et Thibault:
Tibaut Voir Thibault pour le sens. Le nom est surtout porté dans les PyrénéesOrientales, les Alpes-Maritimes et l'Indre. Variantes: Tibau (66), Tibaud (06, 85),
Tibault (79, 23, 54), Tibaux (59, 62, 51), Tibbaut (59), Tibeau (82, 59). Formes
italiennes: Tibaldo, Tibaldi. Diminutif: Tibaudeau (85).
279
Thibault Nom de personne d'origine germanique, Theodbald (theod = peuple +
bald = audacieux), très fréquent en France, surtout porté dans la Vienne et dans
l'Indre. Variantes: Thibau (33), Thibaud (85, 44, 16), Thibaut (59, 80, 60).
Ferle s’écrivait Ferlay en français:
Ferlay Nom assez répandu dans la région lyonnaise (69, 42, 26 notamment).
Désigne celui qui est originaire d'un lieu-dit (le) Ferlay ou qui y habite. Il s'agit
d'une terre où pousse la férule (occitan ferla), plante herbacée aux racines
énormes.
Pour Sluga¸comme traduction du nom de famille français, il y a les
possibilités Serban, Servain, Servan, Servant:
Serban Nom dont l'origine géographique est difficile à localiser (on le rencontre
aujourd'hui en Martinique). C'est une variante de Servan, ancien nom de baptême
(latin Servanus) popularisé par un saint qui évangélisa les îles Orcades, près de
l'Ecosse.
Servain Le nom est surtout porté en Normandie. Le sens paraît identique à celui
de Servan (voir ce nom), c'est de toute façon un ancien nom de baptême. La forme
voisine Servin est également portée en Normandie, mais on la rencontre aussi en
Bourgogne et en Franche-Comté. A noter l'existence d'un lieu-dit Saint-Servin à
Boz (01).
Servan Patronyme porté à la fois dans le Bordelais et aux confins de la Bretagne.
C'est un ancien nom de baptême. Dans le Sud-Ouest, il devrait s'agir d'une variante
de Silvain (latin Silvanus). Vers la Bretagne, on a affaire au latin Servanus: saint
Servan fut l'évangélisateur des îles Orcades (Ecosse). Une commune de l'Ille-etVilaine porte son nom.
Servant Fréquent en Poitou-Charentes, correspond normalement à l'ancien
français servant (= serviteur). On peut cependant penser parfois à un prénom,
variante de Servan (voir ce nom). Il en est de même avec la forme Servans (15).
Il est intéressant que Janez Keber (1988) ne tient pas compte de ces noms
dans ses ouvrages (à comparer Keber 1988). Ces noms de famille sont pourtant
assez fréquents aujourd’hui: dans l’annuaire slovène (http://www.itis.si) il y a 297
abonnés qui s’appellent Sluga, 427 avec le nom Ferle, 75 Tibaut, 160 Valant, 469
Žibert et 14 Šertel. Pour comparer avec la fréquence des autres noms d’origine
slovène, il y a dans l’annuaire 488 personnes qui s’appellent Novak, ce mot étant
considéré comme le nom de famille le plus fréquent en slovène.
Il est vrai aussi que le procédé de chercher l’origine étrangère et les racines
«nobles» est à la mode et fait souvent partie des étymologies populaires. Ainsi a été
créée une légende datant de cette époque concernant un certain vin blanc slovène.
Le vin qui était «si bon» pour Napoléon et ses soldats est nommé en slovène šipon,
280
ce qui pourrait s’expliquer par le développement phonétique. Malheureusement,
selon le dictionnaire étymologique de M. Snoj (1997) ceci ne serait qu’une
étymologie populaire. L’origine de ce mot ne serait pas expliquée mais concerne
plusieurs domaines du vin du territoire slave: les crus de la Styrie (ošip, pošipon,
šipolina, šipina), Vipava (ošip) et Kaïkavie (šipon, šipel, šipelnjak, šipelj) ainsi
que de la Dalmatie (pošip).
1.2. Histoire des emprunts au français après la période du contact
culturel direct
Les mots français sont entrés en slovène aussi à d’autres époques. Après la
défaite de Napoléon, c’est l’Autriche qui l’emporte et revient sur le territoire
slovène. Dans un tel État multinational qu’était l’empire autrichien, les nouveautés
n’étaient pas générées sur le territoire slovène mais venaient du centre, qui était
Vienne. Le slovène a puisé la plupart des mots-emprunts au français toujours par le
biais de l’allemand (Snoj 1997). De là le double aspect sous lequel ces mots sont
entrés en slovène, par exemple: éventuel est entré en slovène comme eventualen ou
evenutelen. Seule l’orthographe du premier est normative, mais en effet on préfère
l’équivalence slovène možen, mogoč.
Les mots qui entrés en allemand et en slovène étaient surtout les mots
désignant les nouveautés ou les particularités venant de la France, c’est-à-dire les
«spécificités culturelles» dans la cuisine, l’art, l’architecture, les finances et la
politique.
2. QU’EST-CE QU’UNE «SPÉCIFICITÉ CULTURELLE» ?
Comment définir une spécificité culturelle? Parmi de nombreuses
définitions, nous nous sommes inspiré chez Paur Newmark (1988) qui affirme que
(nous paraphrasons) la plupart des termes culturels sont facilement perceptibles
puisqu’ils sont liés à une langue spécifique et ne peuvent être traduits directement.
Les catégories culturelles chez Newmark sont établies selon le modèle de
E. Nida et comprennent l’écologie où l’on trouve les sous-ensembles suivants:
plantes, animaux, vents, montagnes (les exemples peuvent être mousson ou mistral,
steppe); culture matérielle où sont énumérés la nourriture, les vêtements, les
maisons, les lieux, les transports (sake, anorak, métro), la civilisation générale avec
le travail et le loisir, par exemple rap, rock; organisation, coutumes, activités avec
les grands sous-ensembles politique, administration, religion, art, par exemple
démocratie, christianisme, théocratie; les gestes et les mœurs.
Les exemples de Newmark concernent surtout les mondes lointains; il ne
faut pas oublier que l’Angleterre était une force colonisatrice qui se heurtait à des
différences culturelles et civilisationnelles que les colonisateurs ne pouvaient pas
décrire avec des mots d’équivalence mais prenaient tout simplement les mots qui
étaient déjà créés. Dans le contexte européen, la France a joué un rôle de moteur du
développement surtout dans le champ culturel.
281
Et quels sont les mots d’origine française marquant les spécificités
culturelles qui viennent le plus vite à l’esprit d’un Slovène ?
Dans le domaine de la cuisine on trouve du tout: šalotka («échalotte»),
šampinjon (pour champignon de Paris), notons que le même procédé a été adopté
en allemand et en hongrois où le mot champignon, en français l’hypéronyme,
désigne une variété, le champignon de Paris). Le pain allongé à la française
s’appelle bageta («baguette»), on peut boire šampanjec («du champagne») et
manger le pomfrit («les pommes frites») ou pir, adapté à la prononciation slovène
(«de la purée des pommes de terre»), il existe même le verbe pirirati. Le mot
kompot, au masculin, a subi un glissement de sens, probablement aussi sous
l’influence allemande–autrichienne et ne veut pas dire «compote», comme en
français (on a un mot slave čežana), mais «fruits au sirop».
Dans le vocabulaire vestimentaire, il y a šal – de l’allemand Schal du
français châle (étant venu en France du perse). Le mot kostim venu de l’allemand
Kostüm (pour le français costume) a subi un glissement de sens et désigne le
tailleur.
Dans le cadre de la culture de fabrication, nous pouvons mentionner le mot
keramika (Keramik de l’allemand, venu de la céramique en français), dans le cadre
du divertissement, le mot pornografija («pornographie»), dans le monde des
animaux, c’est kolibri de l’allemand Kolibri puisé du français colibri), pour n’en
mentionner que quelques-uns.
Le mot slovène apartma, venu du français appartement par l’allemand
Appartmenet a subi un glissement de sens; le mot s’emploie en slovène pour un
appartement des vacances, dans d’autres contextes on emploie le mot slovène
stanovanje.
Ces étymologies sont parfois dubitatives car il est très difficile de trancher
entre le français et le latin, surtout quand il s’agit de mots savants qui sont venus
comme néologismes même en français. Il faudrait aussi vérifier, ce que le
dictionnaire étymologique de Snoj (1997) ne le permet pas (c’est d’ailleurs la
remarque très pertinente orale de Mme Maria Iliescu lors du colloque de Craiova
pour laquelle nous la remercions).
En slovène, il existe quelques mots où français se présente comme
épithète, désignant l’origine présumée française du mot. Ainsi, nous avons un plat
qui s’appelle francoska solata («salade française» et désignant une macédoine des
légumes). Le mot français montre bien que ce n’est pas un emprunt au français
mais à une autre langue, probablement à l’allemand, et qu’on a voulu souligner par
cet adjectif la différence. Il en va de même avec la clé anglaise qui, en slovène,
s’appelle francoz (le Français) et francoski poljub désignant une manière
particulière de s’embrasser.
282
2.1. Possibilités de l’intégration des emprunts en slovène
Les emprunts, pour qu’ils puissent fonctionner, doivent s’intégrer à la
langue dans laquelle ils sont entrés. En slovène, il existe deux
possibilités (Slovenski pravopis 2004):
a) prendre le mot français en tant que citation qui ne change pas
d’orthographe et reste invariable (comme il faut, jour fixe, au contraire – ce qui se
fait et se traduit comme marque de la culture de celui qui parle).
Exemple:
Igral je «comme il faut», kot se spodobi ...
Il a joué comme il faut, comme il sied.
(www.fidaplus.com)
Nous pouvons voir que le mot d’origine française comme il faut est
paraphrasé dans la suite pour les locuteurs slovènes qui ne comprennent pas
forcément le français.
b) écrire le mot avec la prononciation slovène et adapter l’orthographe
selon les règles d’orthographe valables pour le slovène. Normalement une lettre
représente un son (un phonème). En ce qui concerne les sons qui n’existent pas en
slovène, ils sont adaptés à la prononciation slovène. Ainsi, le [y] est prononcé [i],
la prononciation des nasales est adaptée à la prononciation slovène [an], [en] et
[in], avec la possibilité de la chute de n final (amendement – amandma, mais
Rostand, prononcé [rostan]. Pour les noms propres, l’orthographe est conservée,
c’est la prononciation qui s’adapte.
Ces mots entrent dans le système morphologique slovène et se déclinent ou
conjuguent selon le cas (noms ou verbes). Ainsi, ces mots ne diffèrent en rien au
premier coup d’œil des mots slovènes (voir l’exemple ci-dessous) :
Exemple:
Amandmaja k družinskemu zakonu niso sprejeli.
L’amendement à la loi concernant la famille n’a pas été adopté.
Nous pouvons voir que le mot amandma (venu du français amendement) se
décline comme tout autre nom d’origine slovène.
Les verbes en –iser sont passés, avant d’entrer en slovène, d’abord par
l’allemand qui présente la terminaison –isieren, visible aussi en slovène
aujourd’hui. Prenons l’exemple du verbe finaliser, écrit en slovène comme
finalizirati (dokončati) qui a passé par le verbe allemand finalisieren:
Exemple:
Finalizirali so fasado.
La façade a été finalisée.
283
Nous pouvons constater que le verbe d’origine française se conjugue
comme tout autre verbe slovène. La politique des emprunts dans la norme slovène
est assez stricte; si l’on emprunte une image, le tamis par lequel sont passés les
emprunts est muni des trous les plus petits possibles. Ainsi, selon les
recommandations de la grammaire (Toporišič 2000) et les manuels d’orthographe
(cf. Slovenski pravopis 1963, 1991, 2004) il serait à éviter d’employer les mots
d’emprunt dans les cas de la langue écrite et il est de règle de les remplacer, en
fonction des possibilités, par les mots d’origine slovène s’il ne s’agit pas de termes
techniques très précis.
En ce qui concerne ces derniers, il existe les mots d’emprunt français qui se
sont frayé le chemin parmi les termes techniques et sont de ce point de vue devenus
irremplaçables. C’est le cas de quelques termes de l’architecture (gargojli pour
gargouilles), de finances (portfelj pour portefeuille etc.), de l’archéologie
(abbévillien – de l’époque des grottes trouvées à Abbéville) entre autres. Dans les
domaines de spécialité, nous pouvons remarquer aussi le procédé inverse; quelques
mots du slovène sont entrés en vocabulaire des français pour désigner les notions
de la carstologie (doline, uvala, poljé) (www.atilf.atilf).
Les noms communs ont conservé leur orthographe originale pour un public
restreint d’experts (à propos, au contraire) sinon ils sont adaptés à la tradition
morpho-syntaxique du système slovène (pommes frites – pomfrit).
Les noms propres s’écrivent comme dans la langue d’origine sauf s’il
s’agit de lieux bien connus ou communs à la culture slovène (Pariz à la place de
Paris; Alzacija, Bretanja, Šampanja – mais rien pour Dordogne, moins connue en
Slovénie; Rona pour Rhone, etc.) Parfois on a le nom d’origine et sa traduction: par
exemple
Les champs Elysées – Elizejske poljane qu’on peut employer
indifféremment, selon l’effet stylistique voulu (Slovenski pravopis 1963, 1991,
2004).
Dans ce cas-là, il faut aussi tenir compte de la mode; aujourd’hui le monde
est devenu plus petit grâce aux échanges d’informations rapides, les moyens de
transport à la portée de tous et la mondialisation qui efface peu à peu les
différences culturelles. Alors on favorise l’écriture des noms propres de leur
manière d’origine et une introduction plus rapide des termes spécifiquement
culturels qu’avant, quand on avait plus tendance à chercher l’équivalence
concernant l’italien et non pas le français (Schlamberger Brezar 2009). Récemment
la rouquette est devenue très à la mode dans les restaurants italiens en Slovénie et
on a pris le nom rukola tandis qu’il existait déjà en slovène le nom rukvica mais
qui était moins attrayant car trop commun (www.fidaplus.net).
Pour les noms communs, la tendance générale est à l’adaptation au système
du slovène; il en va de même avec les emprunts de l’anglais: džins, luk, kul pour
jeans, look, cool (Slovenski pravopis 1991, 2004).
Le français se présente aujourd’hui surtout comme langue de culture et les
mots désignant les spécificités culturelles, liées à la France, s’emploient
quotidiennement. Les domaines de manifestation des emprunts sont surtout la
cuisine, la mode, l’architecture et les arts plastiques. Mais les emprunts
284
commencent à vivre leur propre vie dès qu’ils sont entrés dans la langue
quotidienne. Comme tels, ils ne sont plus repérables à l’œil dans les textes écrits
mais, étant donné leur intégration au système slovène, cachés aux locuteurs.
3. LES EMPRUNTS FRANÇAIS EN SLOVÈNE COMMENÇANT
PAR A
Pour l’illustration quantitative des emprunts au français en slovène, nous
avons entamé une courte recherche concernant les emprunts commençant par la
lettre a. Nous avons commencé dans le dictionnaire des emprunts (Tavzes et al.
2007) pour trouver tous les mots auxquels l’annotation «frc.» signifiant «du
français» a été attribuée. Ensuite, nous avons cherché l’étymologie de ces mots
dans le dictionnaire étymologique (Snoj 1997) et le nombre d’occurrences des
emprunts dans le corpus monolingue slovène Fidaplus (www.fidaplus.com).
Sur les 3400 mots-emprunts recensés commençant par a (96 pages, environ
35 mots par page) il y en a 114 que le dictionnaire des emprunts traite comme étant
venus du français (avec la mention frc.).
À partir des 114 mots identifiés, nous avons adopté deux démarches: il a
fallu alors vérifier leur origine dans le dictionnaire étymologique (Snoj 1997) et
voir quelle est leur fréquence dans le corpus monolingue pour le slovène Fidaplus.
La vérification dans le dictionnaire étymologique (Snoj, 1997) a donné les
résultats suivants: nous n’avons pas pu trouver d’indications étymologiques pour
tous les mots du dictionnaire des emprunts, mais seulement pour 32, apparemment
les plus fréquents, ce qui a resulté après l’épluchement du corpus Fidaplus.
Nous avons pu vérifier l’origine française des mots suivants:
Abonma, abonent (et le verbe abonirati et le participe passif aboniran)
dans le sens français «abonner»; avec l’indication emprunt au français étant venu
en slovène par le verbe allemand abonieren.
Les mots absolutist, absolutizem sont expliqués avec la même remarque.
Pour akord, M. Snoj n’a pas pu trancher entre le nom d’origine française
ou italienne qui, lui aussi serait venu en slovène de l’allemand.
Il en va de même pour akt et akter ainsi que akvarel (all. Aquarell du
français aquarelle), alarm et alarmirati (du français alarmer; all. alarmieren).
Par contre, pour aleja, il présume que ce nom est venu du français par la
filière de l’italien ou de l’allemand, les deux langues géographiquement proches du
slovène.
Alkalija, amater, arkada, artikel, artist et ambulanta auraient suivi le
même chemin du français vers l’allemand et puis vers le slovène. Il est intéressant
de remarquer que le mot ambulanta, venant du français ambulant et l’allemand
Ambulanz, signifie en slovène contemporain «cabinet de médecin».
Selon Snoj (1997), seuls les mots anketa, angažma, ansambel, apartma,
aranžirati, aspik, atašé et avenija sont estimés venir en slovène directement du
français.
285
Il est intéressant que le mot arbitraža, très employé ces derniers temps, ne
s’y trouve pas.
Sur les 114 mots estimés être d’origine française, les fréquences et les
contextes d’apparition sont très variés. Nous les avons vérifiés dans le corpus du
slovène monolingue, accessible sur l’internet Fidaplus (www.fidaplus.com).
Les résultats seront énumérés, des plus fréquents aux moins fréquents.
Quatre catégories ont été ainsi établies: a) plus de 1000 occurrences; b) entre 100 et
1000 occurrences; c) moins de 100 occurrences; d) les mots qui n’apparaissent que
dans les mots croisés ou dans des contextes étroitement spécialisés.
Dans la catégorie des mots les plus fréquents, le champion est ansambel
(au sens de «ensemble musical»), mais dans la plupart des contextes on voit que
c’est l’ensemble musical populaire qui joue la musique ethnique des Alpes) avec
12.980 occurrences, suivi de près de anketa (au sens de «sondage»), avec 11.955
occurrences. Suit le mot amandma avec 7278 occurrences (d’amendement ou
modification au sens politique et administratif, www.evroterm.gov.si, akt (le
nu dans le contexte de la peinture ou l’acte) avec 6239 occurrences (le mot de la
même famille aktant n’atteint que 2 occurrences). Il y a encore ambulanta avec
3673 occurrences (au sens de «cabinet médical»). Le nombre d’occurrences du mot
arbitraža, 3.521, au sens politique et diplomatique, est partiellement dû à la
situation politique. Il est intéressant que dans le corpus il n’y a aucune occurrence
d’arbitre - arbiter. Le dernier mot qui atteint plus de 1000 occurrences est aranžma
(au sens musical) avec 1069 occurrences.
Entre 1000 et 100 se trouvent akord (de l’accord en musique, mais aussi
fonctionnant comme nom propre), avec 662 occurrences, angažma (engagement)
avec 742 occurrences, artikel 799, akter 691 (de l’acteur en français mais comme
personne qui entre en jeu dans la situation, pas dans le sens de «comédien»),
aliansa (aliance) avec 327 occurrences, art déco 476, art nouveau (301),
avantgarda (567), artist (599). Ce dernier mot vient bien sûr du français artiste
mais a subi un glissement de sens et désigne surtout les artistes de moindre valeur
comme par exemple ceux qui performent au cirque.
Moins de 100 occurrences sont enregistrés pour artilerija (94), apoen (66),
pour appoint dans le sens des finances), aliteracija (15), arteški (artésien) (20),
agrema (agréement en diplomatie) 40, aspik (pour aspic) 46, altruist (40) et
armagnac (26); ces dernières occurrences apparaissent exclusivement dans des
recettes de cuisine.
Les mots qui n’apparaissent que dans les mots croisés sont par exemple
arkebuza, alkova, alonža, akolada, apanaža, c’est-à-dire tous les mots devenus en
slovène les termes d’un domaine spécialisé.
Il y a aussi plusieurs citations, parmi lesquelles au contraire (avec 49
occurrences), au naturel (22 occurrences) et au pair (162 occurrences) et art déco
(476 occurrences). Mais en général, les citations sont beaucoup plus rares que les
adaptations au système phono-morpho-syntaxique du slovène.
286
4. EN GUISE DE CONCLUSION
Avant de conclure, nous nous devons encore de polémiser avec le seul
ouvrage français qui traite des emprunts au français dans plusieurs langues
européennes. C’est le livre Mots migrateurs (les «tribulations» du français)
de Marie Treps (2009) et le slovène y apparait comme une des langues
représentées. Comme il n’y a aucun ouvrage scientifique traitant du slovène dans la
bibliographie, nous présumons que Mme Treps a été mal informée, déjà en ce qui
concerne les frontières de la Slovénie. Il est vrai que l’irruption des Hongrois a
coupé les Slovènes des Slovaques mais il reste une longue frontière slovène et
croate. A côté de quelques remarques pertinentes, il y a bien des explications
erronées sur la non-existence de quelques emprunts pourtant très fréquents.
Comme nous venons de l’expliquer, champignon (šampinjon) et costume (kostim)
existent aussi en slovène, ainsi que lampe (lampa, utilisation populaire) et bérét
(sous une forme slovénisée baretka, n. f.). Mais il est vrai que ces mots ne sont pas
facilement reconnaissables pour un Français parce qu’ils sont complètement
adaptés à l’orthographe slovène.
Pour faire le point sur notre recherche, l’approche quantitative a rendu
possible l’observation de la fréquence des emprunts. L’approche qualitative des
emprunts, qui n’a été que partiellement entamée dans cette communication, pourra
identifier les glissements de sens des emprunts par rapport au français, leur
spécialisation dans les domaines du slovène technique et leur inclusion dans la
morpho-syntaxe du slovène ainsi que les contextes particuliers où apparaissent les
emprunts.
Ce qui justifie les emprunts dans le cadre du slovène, tellement soucieux de
la norme, c’est leur côté culturellement spécifique: les mots qui déterminent les
entités ou les notions qui ne peuvent pas être nommées différemment se sont
maintenus dans la langue, étant donné qu’ils se sont adaptés à l’orthographe de la
langue d’arrivée. Le slovène est d’ailleurs moins enclin à puiser dans la langue
française.
Vu le matériel présenté, une recherche s’impose qui traiterait tous les
emprunts au français de manière approfondie, prenant en compte aussi bien leur
étymologie que la vie nouvelle que ces emprunts ont commencé en leur langue
d’arrivée.
BIBLIOGRAPHIE
4
Keber, Janez (2008 ): Leksikon imen: onomastični kompendij, Celje: Celjska
Mohorjeva družba: Društvo Mohorjeva družba
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Schlamberger Brezar, Mojca (2009) : «Odgovori sodobnih slovenskih jezikovnih
virov na vprašanja prevajanja francoskih lastnih imen in kulturnospecifičnih izrazov v slovenščino», in Stabej, Marko (éd.) Infrastruktura
287
slovenščine in slovenistike, (Obdobja, Simpozij = Symposium, 28).
Ljubljana: Znanstvena založba Filozofske fakultete: 355-340.
Schlamberger Brezar Mojca (2010) : «Des théories pragmatiques aux spécificités
culturalles entre le français et le slovène», in Alao, George (éd). Implicites,
stéréotypes, imaginaires: La composante culturelle en langue étrangère,
Paris: Éditions des archives contemporaines: 105-11.
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Snoj, Marko (1997): Slovenski etimološki slovar, Ljubljana: Mladinska knjiga.
Tavzes, Miloš et al. (2002): Veliki slovar tujk, Ljubljana: Cankarjeva založba.
Toporišič, Jože (2000): Slovenska slovnica, Maribor: Obzorja.
Treps Marie (2009): Mots migrateurs – Les tribulations du français en Europe,
Paris: Seuil.
Sources internet
Corpus slovène monolingue www.fidaplus.net accès octobre – novembre 2011.
Dictionnaire des noms http://jeantosti.com/noms/a.htm accès novembre 2011.
Evroterm http://evroterm.gov.si/index.php accès novembre 2011.
Telefonski imenik Slovenije (annuaire) http://www.itis.si accès novembre 2011.
Trésor de la langue française informatisé www.atilf.atilf accès novembre 2011.
288
UN CAS DE CONTACT LINGUISTIQUE FRANÇAISROUMAIN: LE DOMAINE DU MOBILIER*
Gabriela SCURTU
Université de Craiova, Roumanie
Membre FROMISEM
1. INTRODUCTION
1.1. L’influence française sur le lexique du roumain
Les linguistes sont généralement unanimes pour reconnaître que tout
contact plus ou moins prolongé entre deux ou plusieurs langues entraîne
inévitablement des interférences linguistiques dont le degré le plus élevé est
représenté par l’emprunt lexical. L’emprunt mais aussi le calque représentent un
moyen privilégié de diversification et d’enrichissement du fonds lexical de toutes
les langues naturelles.
Dans le cadre de cette problématique, il a été souligné, à maintes reprises,
le rôle qu’a joué l’influence française pour l’achèvement du caractère moderne du
roumain littéraire, sans doute dans une mesure plus grande que dans aucune autre
langue européenne (la plus forte influence qu’une langue de culture ait exercée sur
une autre). L’appréciation du grand linguiste suédois Alf Lombard à cet égard est
relevante: il considère la reromanisation due à l’influence française comme
«unique au monde, en ce qui concerne ‘les emprunts à distance’» (1969: 646).
Nous voulons souligner que pour le roumain, le français a représenté
beaucoup plus qu’une influence culturelle due au prestige de la langue prêteuse,
mais bien un facteur responsable d’une restructuration profonde de toute la
structure lexicale – et non seulement lexicale (c’est ce qu’on appelle reromanisation), réalisée beaucoup plus tard que la relatinisation des langues romanes
occidentales, et ce, à cause des facteurs historiques, socioculturels et linguistiques
particuliers qui ont marqué le développement de notre langue.
1.2. Domaines de manifestation
L’insertion des termes néologiques d’origine française dans le lexique du
roumain a été faite dans les domaines les plus variés de l’activité humaine. La
terminologie scientifique et technique, sociale, politique, administrative, juridique,
économique, artistique n’est plus à concevoir aujourd’hui sans l’apport quantitatif,
289
mais aussi qualitatif, des mots d’origine française. Sauf le domaine de la technique,
(selon Dimitrie Macrea 1982, plus de 70% de la terminologie scientifique et
technique est représenté par des emprunts au français et les mots à étymologie
multiple, y compris française), celui de la mode ou de la cuisine seraient
aujourd’hui parmi les plus actifs en ce qui concerne les emprunts au français, la
France ayant toujours constitué un repère et un étalon de raffinement dans ce sens
(Dragoste 2011).
1.3. Études sur le sémantisme des emprunts au français
Vu leur présence massive en roumain, les emprunts au français ont fait
l’objet de nombreuses études portant sur des aspects variés tels que dynamique,
domaines de manifestation, adaptation et, bien sûr, aspects sémantiques. Puisque
nous avons constaté que sur l’ensemble des ouvrages consacrés aux emprunts
lexicaux, l’étude du sémantisme des mots roumains à étymon français (donc des
gallicismes du roumain, pour employer la terminologie proposée par A. Thibault,
2004, 2009) a été, dans une certaine mesure, négligée, le projet de recherche dans
le cadre duquel nous faisons cette étude (v. www.fromisem.ro), a envisagé comme
objectif majeur de réaliser une typologie sémantique de ces gallicismes.
Ainsi dans Iliescu et al. (2010) on propose une telle typologie, concernant:
la conservation (totale ou partielle) des sens de l’étymon et les innovations
sémantiques opérées en roumain.
Une autre direction d’étude a visé, plus récemment, l’appréhension de
quelques domaines et champs sémantiques tels que: (i) l’espace; (ii) la mode
vestimentaire; (iii) l’art culinaire; (iv) le mobilier, tout en vérifiant de la sorte
comment fonctionnent dans des zones plus restreintes les mécanismes généraux
énoncés supra.
1.4. Le domaine du mobilier
L’objet de cette communication est constitué par des remarques autour de
quelques lexèmes appartenant au domaine du mobilier. Un simple coup d’œil sur la
terminologie du domaine nous fait voir que les mots qui désignent les meubles
‘fondamentaux’: pat «lit», masă «table», scaun «chaise», dulap «armoire» ne sont
pas des emprunts au français, mais des mots appartenant au fonds héréditaire (masă
< lat. MENSA et scaun < lat. SCAMNUM), ou bien des mots représentant des
emprunts anciens (pat, avec une origine obscure – du néogrec, mais on a proposé
aussi une étymologie latine, et dulap, emprunté au turc).
Les autres mots désignant des pièces de meuble sont, pour la plupart, des
emprunts au français: balansoar (du fr. balançoire), bibliotecă (du fr.
bibliothèque), birou (du fr. bureau), bufet (du fr. buffet), canapea (du fr. canapé),
comodă (du fr. commode), dormeză (du fr. dormeuse), etajeră (du fr. étagère),
fotoliu (du fr. fauteuil), garderob (du fr. garde-robe), gheridon (du fr. guéridon),
290
servantă (du fr. servante), şezlong (du fr. chaise longue), şifonier (du fr.
chiffonnier), taburet (du fr. tabouret), vitrină (du fr. vitrine), etc.
1.5. Objectifs visés
Dans cette communication, nous allons nous référer à deux micro-champs
qu’on peut établir à l’intérieur du domaine envisagé:
1. le micro-champ des meubles de rangement (avec l’archisémème «petite
armoire»);
2. le micro-champ des «sièges», définis comme «objet(s) fabriqué(s),
meuble(s) disposé(s) pour qu’on puisse s’y asseoir» (NPR), formé à son tour de
microsystèmes, en fonction des traits définitoires considérés:
(i) [pour s’asseoir] / [pour dormir];
(ii) [pour une personne] / [pour plusieurs personnes].
L’analyse que nous avons effectuée a porté sur quatre points principaux:
1) la description lexicographique des lexèmes qui appartiennent aux microchamps précisés;
2) l’analyse sémantique comparative de ces lexèmes;
3) la comparaison lexico-sémantique des gallicismes du roumain et de
leurs étymons;
4) la corrélation entre la description linguistique et la réalité
extralinguistique (par l’analyse de l’évolution des référents à travers le temps).
Dans le micro-champ des meubles de rangement nous avons analysé les
lexèmes: fr. buffet / roum. bufet, fr. commode / roum. comodă, fr. servante / roum.
servantă.
Dans celui des «sièges»2, nous avons traité uniquement du champ
sémantique (lexical et conceptuel) des lexèmes marqués par le trait
définitoire [pour s’asseoir]: fr. banc / roum. bancă3, fr. banquette / roum. banchetă,
fr. chaise longue / roum. şezlong, fr. fauteuil / roum. fotoliu, fr. pouf / roum. puf,
fr. strapontin / roum. strapontină, fr. tabouret / roum. taburet.
2. REMARQUES SUR LES GALLICISMES ROUMAINS DANS LE
DOMAINE DU MOBILIER
Cette communication se propose de présenter les principales conclusions
qui se sont dégagées à la suite d’une analyse entreprise sur les deux micro-champs
(v. Scurtu / Dincă 2011). Elles se rapportent à des aspects que nous avons
considérés comme pertinents pour ce qui est de la configuration de ces microchamps en roumain, par rapport au français, et, de façon plus générale, pour
caractériser le contact entre les deux langues.
En nous arrêtant sur les termes mentionnés sous 1.5. et en envisageant,
comparativement, les sens des étymons, leur transmission dans la langue réceptrice
et les changements sémantiques qui caractérisent ces emprunts, nous avons retenu
291
quelques aspects essentiels, à l’intérieur desquels se dessinent d’autres possibles
remarques et autant de pistes à suivre.
2.1. Conservation partielle des sens des étymons
La première constatation majeure: les étymons étant pour la plupart des
mots polysémiques, le roumain en a emprunté l’acception fondamentale, celle
de «pièce de meuble», qu’il s’agisse des [meubles de rangement] ou des [sièges].
Notons à cet égard que dans l’aire des changements sémantiques subis par
les emprunts au français, la sélection des sémèmes de l’étymon est le phénomène le
plus fréquent: «cette sélection dépend entièrement du cadre extra linguistique»
(Thibault 2004: 104).
Dans le cas pris en compte, le principal facteur extra linguistique responsable des différences relevées dans les deux langues, au niveau de la
configuration sémique des lexèmes analysés, est représenté, à notre avis, par le
décalage temporel entre les dates d’attestation des acceptions des étymons et
l’époque où se sont produits les emprunts.
1) Ainsi, tous ces mots n’entrent en roumain qu’au cours du XIXème siècle.
Les dates exactes, comme on le sait bien, manquent le plus souvent dans les
dictionnaires de cette langue (seuls DA, DLR et RDW l’indiquent parfois), par
exemple:
- bufet, attesté en 1835 (au sens de «petite unité de restauration» et celui
de «petite armoire», presque à la même époque (selon les exemples
littéraires cités);
- ou bien bancă, attesté en 1830, dans l’expression a sta pe băncile şcolii
(«être sur les bancs de l’école»).
Les référents eux-mêmes apparaissent plus tard dans l’espace
civilisationnel roumain (jouissant de faveur en tant que meubles, parfois de style,
surtout au cours du XIXème siècle ou dans la première moitié du XXe.
2) En français ces mots sont attestés bien des siècles avant, avec des sens
relevant du domaine du mobilier, pas nécessairement le sens actuel, souvent à côté
de sens vieillis et sortis de l’usage, par exemple:
- buffet est attesté dès 1150 avec le sens de «escabeau», puis il a évolué
vers le sens de «table, dressoir, comptoir» (1268), pour acquérir en
1547 l’acception de «meuble de rangement». Les premiers sens sont
donc liés à l’idée de mobilier de différents types;
- servante circule dès la première moitié du XIVème siècle avec le sens de
«femme employée comme domestique» et, quatre siècles plus tard, en
1746, avec celui de «petit meuble de salle à manger»;
- tabouret est attesté en 1525, déjà avec son sens actuel: «siège pour une
personne, à trois ou quatre pieds, sans bras ni dossier»;
- la première acception de strapontin, en tant que type spécial de siège,
repliable, date de 1666;
292
-
que dire de banc, mot ancien, dont le sens fondamental «siège» est déjà
attesté au XIème siècle, alors que celui de «étal d’un marchand» au
XIIème?
Ce décalage temporel explique nombre de phénomènes d’ordre
sémantique. Il s’agit, comme déjà précisé, d’une conservation partielle des sens des
étymons, car le roumain ne garde que l’acception fondamentale: «un certain type
de meuble», les sens vieillis du français étant déjà sortis de l’usage au moment où
le mot a été emprunté. Quelques exemples:
- le sens ancien de commode: «sorte de coiffure» (comme dans
l’exemple de Saint-Simon: «On portait dans ce temps-là des coiffures
qu’on appelait des commodes, qui ne s’attachaient point», in Littré) ne
se retrouve pas en roumain;
- strapontin a dans les deux langues la même acception: «siège d’appoint
servant à augmenter le nombre de places assises dans les véhicules et
les salles de spectacles)». Le roumain n’a pas pris les acceptions de
l’étymon, aujourd’hui disparues de l’usage, dans le domaine de la
marine: «matelas placé sur une couchette de bord et maintenu par une
planche à coulisse et qui, serré le jour dans un caisson, était un lit
d’appoint» ni dans celui de la mode: «coussinet que les femmes
attachaient au bas du dos pour faire bouffer leur robe, suivant la mode
des années 1883 à 1889» (in TLFi);
- tout comme dans le cas de strapontin, pouf a été employé comme
terme de mode, signifiant «tournure qui faisait bouffer la jupe ou la
robe», selon l’analogie entre un coussinet et la tournure de la jupe,
bouffée par derrière, sens inexistant en roumain;
- banquette est attesté en 1417 au sens de «selle», sens absent du
roumain, pour des raisons objectives, et ainsi de suite.
Ces gallicismes illustrent donc une certaine étape d’évolution de la
société, ce qui veut dire que, dans le domaine du mobilier, les mots sont entrés en
roumain avec leurs référents, par nécessite de dénomination4.
Des nuances s’imposent, évidemment, par exemple le banc, en tant
qu’objet de mobilier, était sans doute connu avant 1830, mais son utilisation n’était
pas encore tellement répandue dans l’espace civilisationnel roumain5.
2.2. Évolutions sémantiques
Un deuxième point d’intérêt porte sur les évolutions sémantiques
survenues dans les deux langues.
2.2.1. Le cas du français
Les termes analysés ont connu en français des évolutions sémantiques,
sinon spectaculaires, au moins dignes d’être enregistrées:
(i) D’une part, du sens étymologique à celui de «meuble», par exemple:
- commode représente la substantivation de l’adjectif commode, en
raison du caractère éminemment pratique de ce meuble;
293
-
servante vient du participe présent du verbe servir, substantivé au
féminin;
- tabouret vient de ta(m)bour, par analogie de forme;
- pouf est à l’origine une onomatopée;
- strapontin est lié à strapunto «matelas», etc.6
Les mots que nous utilisons peuvent donc paraître bizarres, ils voyagent
dans le temps et à travers le monde, se métamorphosent, se modifient, tant au
niveau du signifiant, bien sûr, mais aussi à celui du signifié, aspect qui nous
préoccupe dans cette présentation.
(ii) D’autre part sont à noter des modifications à l’intérieur du champ
même de «meuble», par exemple:
a) l’apparition de trais sémiques nouveaux
- dans le cas du mot tabouret, le trait [+haut], pour les tabourets de bar
(www.leguide.com/tabourets_de_bar.htm), pour que les consommateurs soient assis au niveau du bar; cf. les expressions monter, grimper,
être juché sur un tabouret), le différencie des tabourets ‘ordinaires’
(surtout les tabourets de cuisine);
- en outre, le tabouret de bar, pour raisons de commodité, est parfois
pourvu d’un dossier, ce qui l’oppose au tabouret, pris dans l’acception
courante, et qui est celle de «siège sans dossier»;
b) la modification de la fonctionnalité de l’objet
Un phénomène qui nous semble encore plus intéressant réside dans le fait
que ces changements vont jusqu’à la modification de la fonctionnalité de l’objet,
par exemple:
- tabouret de pieds («petit support où l’on pose les pieds, lorsqu’on est
assis», in GRLF), où l’on enregistre le changement du sème générique:
[pour s’asseoir]  [pour reposer les pieds];
- ou banc, qui illustre, dans un de ses emplois, le glissement vers une
autre catégorie de mobilier: il s’agit de son emploi actuel en tant que
meuble de rangement pour les chaussures, pour les chaussettes, etc.
Cette acception n’est enregistrée par aucun des dictionnaires consultés,
mais elle est détectable dans les offres présentées dans les catalogues
de mobilier (par exemple www.touslesprix.com/achat,banc-achaussure.html).
Évidemment, ces divers changements sont parallèles aux modifications
survenues dans la sphère de la référence, car ces objets de mobilier ont connu de
grands changements à travers le temps, sous l’effet de la mode et des nouvelles
fonctions qui leur incombent; ils voient donc modifier leur forme, les parties
composantes et la fonctionnalité7.
(iii) Enfin, nous avons identifié des extensions à partir de «siège» vers des
sens spécialisés dans divers domaines: marine, géologie, mines, technologie, ou vie
courante. Ainsi, à partir de certains traits physiques ou fonctionnels des objets de
mobilier en discussion, on peut enregistrer des glissements connotatifs, des
passages métonymiques ou des analogies métaphorisantes, par exemple banc de
294
gazon, de neige, etc., qui reposent sur une telle analogie, bancs de l’école, qui
signifie, par métonymie, l’école elle-même, banquette, qui désigne divers objets
[+allongé], [+étroit], [pour soutenir qch.], etc.
2.2.2. Le cas du roumain
a) En roumain, par contre, ces mots, entrés avec le sens de «meuble», n’ont
pas donné lieu à des métasémies importantes. C’est ainsi que le roumain a
emprunté la majorité des sens des lexèmes relevant des champ des meubles (de
rangement ou des sièges), maintenant, dans la plupart des cas, les traits sémiques
des étymons français; pour des raisons objectives, il y a, comme déjà précisé, des
sens absents en roumain (dans la plupart des cas, les sens antérieurs à leur
emprunt), le tout en dépendance étroite des évolutions qu’ont connues les référents,
dans le cadre de l’évolution de la société.
b) Mais on enregistre aussi des innovations sémantiques opérées en
roumain:
- banchetă, à coté du sens de «siège», présente une multitude
d’acceptions spécialisées, qui ne correspondent pas toujours à celles de
l’étymon, ce qui signifie que ce mot a donné lieu en roumain à des
glissements dénotatifs: (équitation) «obstacle naturel formé d’un talus
couvert d’herbe»; «bande horizontale, en forme de marches, le long
d’un terrassement», etc.;
- le cas le plus saillant est sans doute celui du mot servantă. Dans
l’acception de «meuble», servante signifie en français «petit meuble de
salle à manger (table, étagère) servant de desserte ou placé à côté d’un
convive» (GRLF), sens considéré comme vieilli, et n’a pas le sens de
«petite armoire». En roumain, le mot servantă signifie «meuble
d’appoint servant de desserte», sens emprunté au français (qui l’a
abandonné), et a développé le sens de «armoire où l’on garde la
vaisselle, les couverts pour le service de la table» (cf. fr. buffet). C’est
un sens qui a été créé en roumain. Le mot roumain représente un cas
particulier, car il a développé un sens nouveau, à partir de «meuble
d’appoint» (de l’étymon français servante) à «meuble de rangement»,
qui n’est pas attesté en français.
3. CONCLUSIONS
Il n’y a pas de reconfiguration sémique importante dans le passage des
lexèmes qui ont fait l’objet de cette étude du français vers le roumain: les termes
analysés ont été empruntés par nécessité de dénomination, avec le sens de «pièce
de meuble»8.
Mais, une fois assimilés par la langue d’accueil, ces mots connaissent la
même évolution qu’en français, alors que les référents subissent les mêmes types
de transformations, suite au contact serré entre les deux espaces de civilisation et
de culture et, sans nul doute, suite au processus de globalisation.
295
Tous les mots discutés enregistrent aujourd’hui des extensions de sens,
désignant des pièces de meubles de différentes formes et dimensions, en devenant
des objets polyfonctionnels9.
Disons, pour finir, que l’étude de chaque microsystème de la langue, pris
en soi ou en vision comparative, en synchronie ou en diachronie, est à même
d’apporter des éclaircissements importants sur:
(i) l’originalité, la spécificité, le génie créateur de chaque langue;
(ii) les relations entre les langues;
(iii) la dépendance étroite entre la langue et la société.
NOTES
*
L’article est publié dans le cadre du projet de recherche FROMISEM (PN II – IDEI 383/2008),
financé par le CNCS–UEFISCDI.
1. Qu’il nous soit permis d’ouvrir une brève parenthèse pour rappeler que dans le cas de l’anglais, les
emprunts faits au français relèvent de quatre champs notionnels privilégiés que sont: 1) les
vêtements, les tissus, la mode; 2) les beaux arts, la littérature et la critique; 3) la cuisine; 4) la
«galanterie» (Tournier 1985: 331), alors que Chadelat (2000: 209) montre aussi que l’anglais a
emprunté beaucoup de termes français relatifs à la distinction, aux manières, à l’esprit et au
langage.
2. Notons toutefois qu’il n’y a pas unanimité en ce qui concerne la délimitation précise du microchamp des sièges: par exemple Schwischay (2002) inclut dans cette classe les meubles [pour
dormir], alors que Sanfourche (1997) la limite aux meubles [pour s’asseoir].
3. Le mot banc a une étymologie multiple controversée, liée à ses différentes acceptions (les
dictionnaires roumains indiquent comme sources le fr. banc, l’it. banca, l’all. Bank).
4. Une des motivations de l’emprunt est, comme on le sait bien, d’ordre linguistique: «En effet, un
emprunt peut répondre, au moins au départ, au besoin de combler un vide lexical, correspondant à
l’absence, dans la langue d’arrivée, de l’objet, de la technique ou du phénomène auquel renvoie le
terme», rappelle Corinne Wecksteen (2009: 139). Tel est le cas de nombreux gallicismes du
roumain, dont ceux qui ont fait l’objet de la présente communication.
5. Les copistes écrivaient debout, devant un pupitre; dans les maisons paysannes il y avait une sorte
de bancs de bois rangés le long des murs, qui s’appelaient laviţă (du bg. lavica), mais nous ne
nous sommes pas proposé de faire des études de civilisation concernant l’histoire du mobilier
dans les principautés roumaines.
6. Et que dire du sémantisme du mot canapé, qui offre une évolution tellement intéressante, à partir
de l’étymon latin conopeum, conopiun qui signifiait «moustiquaire» (sens pris au grec, dont le
mot latin est issu par emprunt), d’où, suite à un processus de type métonymique, il arrive à
désigner une «sorte de lit entouré d’une moustiquaire» (cf. TLFi). Par extension, en perdant les
sèmes «protection contre les moustiques» (le mot grec kônôpeion est d’ailleurs dérivé d’un mot
signifiant «moustique»!) canapé signifie aujourd’hui «siège à dossier, pourvu d’accoudoirs, où
plusieurs personnes peuvent s’asseoir, pouvant aussi servir de lit de repos pour une personne».
7. Qui reconnaitrait un ‘vrai’ fauteuil, en conformité avec la définition ‘traditionnelle’ («siège à
dossier, généralement à bras, pour une personne, et dans lequel on est assis confortablement», in
TLFi), dans les fauteuils conçus par les designers contemporains et qui ne ressemblent point à
leurs ancêtres: vifs en couleurs, de formes bizarres (en œuf, en boule, en cocon, en coquille, etc.)?
(v. par exemple, www.leblogdeco.fr/tag-deco/fauteuil)
8. Cette conclusion ne s’applique pas dans le cas d’autres nombreux gallicismes du roumain,
caractérisés, au contraire, par des innovations sémantiques manifestées à travers des
mécanismes divers (extensions analogiques et restrictions de sens, métaphorisations, passage
métonymiques, glissements connotatifs, etc.), opérées dans la langue d’accueil et ayant comme
point de départ une signification de l’étymon français (v. Iliescu et al. 2010).
9. Un exemple suggestif nous est offert aussi par l’objet appelé en fr. guéridon, en roum. gheridon,
qui, d’un meuble à vocation plutôt esthétique qu’utilitaire, est arrivé à désigner des meubles ou
296
objets qui ont très peu à voir avec la petite table initiale, ronde, à un ou à trois pieds. Les
guéridons s’étant spécialisés dans divers domaines: restauration, médical, musical, ils se
présentent aujourd’hui sous des formes diverses, telles que tables roulantes, chariots, coffres à
anses, etc.
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298
L’ANGLO-NORMAND ET LE FRANÇAIS
ET LES EMPRUNTS EN ANGLAIS
David TROTTER
Aberystwyth University, Royaume-Uni
Le français implanté en Angleterre à la suite de la Conquête par
Guillaume, duc de Normandie, en 1066 a fourni un élément majeur de l’anglais
1
moderne, à savoir un pourcentage important de son lexique. Il s’agit moins d’un
phénomène d’«emprunt» au sens classique du mot, que d’un processus
d’hybridisation et de fusion de deux lexiques qui en 1066 étaient
étymologiquement et sans doute socialement séparés. La manière dont les mots
anglo-normands se sont établis en moyen anglais est donc à distinguer
rigoureusement des transferts de vocables du français d’outre-Manche, au Moyen
Âge et plus tard. Il peut être résumé par le schéma suivant (cf. Trotter 2009b: 155):
* très ancien français
anglo-normand
=========== ancien français de
France
moyen anglais
Mais comment identifier les mots qui ont suivi cette voie – somme toute, la
plus logique – vers l’anglais? La première édition de l’OED a eu beaucoup de
difficultés dans ce domaine, surtout parce que le seul dictionnaire de l’ancien
français à la disposition des rédacteurs à l’époque, Godefroy, ne signale pas qu’une
source est anglo-normande (Trotter 2009b); la nouvelle version de l’OED en ligne
(www.oed.com) est à cet égard beaucoup plus fiable et elle retravaille, de manière
très sérieuse, les étymologies de tous les mots, pour la première fois donc depuis la
première édition de la fin du XIXème siècle (cf. Durkin 1999; Rothwell 2002).
L’Anglo-Norman Dictionary (première édition 1977-1992) est depuis 1989 en
pleine révision, ayant atteint la lettre L pour une deuxième édition, entièrement
refondue et au moins trois fois plus volumineuse que la première (www.anglonorman.net). Le Dictionary of Medieval Latin from British Sources (DMLBS)
avance allègrement vers la fin de l’alphabet et se montre de plus en plus hospitalier
aux mots vernaculaires, fournissant ainsi la preuve de la réalité de la continuation
sur le sol des Îles britanniques d’un monde latin manifestement plurilingue (Adams
299
2003; 2007; pour l’OED, Durkin 2002). Le Dictionnaire du Moyen Français
(www. http://www.atilf.fr/dmf/) et le DEAF (www.deaf-page.de) fournissent des
éléments essentiels pour l’examen de l’anglo-normand face au français de France.
C’est ainsi que, grâce aux outils actuellement disponibles sous forme des
dictionnaires de l’anglais, du français et du latin du Moyen Âge, nous sommes en
mesure de reprendre l’étude du phénomène quand même très connu de l’influence
du français sur l’anglais du Moyen Âge.
L’approche traditionnelle de la question de l’influence du français sur
l’anglais part de deux présupposés, parfois explicites, mais souvent implicites. La
première se trahit par la terminologie dont on se sert pour décrire le processus:
essentiellement, on parle de l’emprunt. Ainsi, exemple récent dans un ouvrage
grand public mais qui fait néanmoins autorité, dans la Cambridge Encyclopedia of
the English Language (Crystal 2003), se trouve (p. 47) une petite liste de «Some
French loans in Middle English».
L’idée même d’«emprunt» a été mise en question il y a trente ans par
William Rothwell (Rothwell 1980) et ne correspond visiblement pas à la situation
de l’Angleterre trilingue, beaucoup plus proche d’une triglossie que d’un contexte
d’emprunt classique. En tant que langues vernaculaires, le français et l’anglais se
côtoyaient, étaient écrits par les mêmes copistes (forcément plurilingues du moins
pour l’écrit), et se fusionnaient souvent dans des documents de langue mixte
(Wright 1996). Le modèle classique d’emprunt ne convient guère à cette situation
qui, par l’hybridisation lexicale, allait faire naître la langue anglaise moderne,
mélange du roman et du germanique (Trotter à paraître a; à paraître d).
Deuxième point de départ, c’est que dans la mesure où l’on prend la peine
de distinguer «français» et «anglo-normand», la distinction se fera suivant des
critères dits phonétiques – mais en réalité, trop souvent (ortho)graphiques. C’est
l’approche classique de la morpho-phonologie (cf. Diensberg 1985). L’on repère
les mots anglais provenant de l’anglo-normand par leur forme (graphies dites
«anglo-normandes»), mais cela implique une régularité graphique qui nous semble
fort peu assurée. Dans la même Cambridge Encyclopedia (p. 46), David Crystal
dresse une liste de formes provenant du «Norman French» et de celles, plus
tardives, dont la graphie révèle qu’elles proviennent par contre du «Parisian
French» (laissons de côté l’imprécision voire l’inexactitude de ces désignations).
Les traits distinctifs sont connus: /k/ latin non palatalisé, par exemple: calange ~
challenge; w- dit “germanique” (mais voir Möhren 2000) en face de g- (warden ~
guardian, wile ~ guile), etc. L’explication (qui remonte à Burnley 1992) n’est pas
dénuée de valeur – il n’y a pas de doute que les mots français de forme anglonormande font partie d’une vague plus ancienne que les gallicismes à l’air plus
continental et souvent, leurs formes les trahissent – mais l’argument reste trop
souvent confiné à une discussion de la forme, sans que le sens soit discuté ou
même, mentionné, et comme si les formes graphiques étaient régulières, stables, et
fiables. L’ouvrage de vulgarisation de Melvyn Bragg, The Adventure of English,
déclare:
300
«In the first century after the Conquest, most imported words came from
Normandy and Picardy. But in Henry II’s reign (1154-89), other dialects,
especially Central French or Francien, contributed to the speech of the country. So
‘catch’, ‘real’, ‘reward’, wage’, ‘warden’ and ‘warrant’ from Norman French sat
alongside ‘chase’, ‘royal’, ‘regard’, gauge’, ‘guardian’ and ‘guarantee’ from
Francien.» (Bragg 2003: 45).
Exemple plus récent et plus scientifique, Mark Chambers, dans une étude
tout à fait remarquable sur le lexique du vêtement en Angleterre médiévale
(Chambers 2010), traitant du mot canevas en anglais:
«We can conclude with some confidence, then, that as with many words
beginning ca-, the Middle English word canevas has made its way through AngloNorman, rather than having been borrowed from a central French variety.»
(Chambers 2010: 69-70; renvoie à Baugh / Cable 1993: 171).
Sont cités à l’appui de l’hypothèse générale: caitif ~ chétif, cauldron ~ chauderon
(n. 21). Laissant provisoirement de côté le problème – surtout dans le monde du
tissu – de la Picardie, dont les villes ont fourni des mots anglais pour les tissus
(arras, cambric2 < Kamerijk [nom flamand de Cambrai], lisle < Lille, ou de la
Champagne: chalon, les hésitations des copistes devant ca- ~ ch- devraient inspirer
de la caution.
Car pour tout ce qui relève de la forme (de l’orthographe), on le sait,
l’anglo-normand était très variable (voir les variantes fournies par l’AND). À cet
égard, c’est peut-être le dialecte le plus chaotique de l’ancien français. Même dans
le cas de certaines graphies typiquement anglo-normandes, au point où leur
présence permet à elle seule de coller l’étiquette «anglo-normand» à un document,
comme -aun- qui en est l’exemple le plus notoire (Kristol 1989; Trotter, à paraître
b),3 ce ne sont pas des formes majoritaires en anglo-normand où, grosso modo,
elles ne dépassent pas les 25% des occurrences. De surcroît, certaines des formes
que l’on tient pour «anglo-normandes» sont également attestées sur une grande
partie de la région d’oïl, et notamment en Picardie et en Normandie (pour les
éléments picards en anglo-normand, voir Roques 1997, 2007). C’est notamment le
cas pour les graphies w- ~ g-, et ca- ~ che-. Enfin, les copistes du Moyen Âge, en
France comme en Angleterre, étaient souvent conscients de la valeur régionale et
aussi politique de certaines graphies révélatrices, qu’ils étaient capables de
modifier en fonction surtout du destinataire (Lusignan 2004; Trotter 2009b).
En fait, pour canevas, la situation graphique semble relativement (et
anormalement) claire: l’anglo-normand et le moyen anglais utilisent
systématiquement la graphie ca-. Dans TL 2,217 par contre, sub chanevaz, glosé
«Hanfleinwand» [?], plusieurs graphies sont possibles: chanevas, canevas,
canevaç, chenevaus. Si les formes en ca- proviennent de textes soit picards (Les
Merveilles de Rigomer [RigomerF],4 picard, du XIIIème siècle), soit anglonormands (Manières de langage [ManLangK]) ou normands (Le Bon Berger de
Jean de Brie (en Normandie?), 1379 [BonBergL], cf. Möhren 1985: 133 et la
301
discussion, 141-142), l’on retrouve aussi la graphie chenevaus dans une citation
d’un recueil de trouvères belges (TrouvBelg1). Godefroy (GdfC 9,67a) ajoute
nombre de graphies tirées notamment de documents d’archives, et qui confirment
la «régularité» des graphies palatalisées et non-palatalisées, sauf pour un chenevas
rouennais de 1315. Malgré ces exceptions, la stabilité des formes anglo-normandes
et continentales tend à confirmer la position de Chambers (cf. Chambers 2010: 69
n.11), tout en incitant à la prudence avant d’en tirer des conclusions trop
générales.5
En dépit donc de l’exemple de canevas, j’ai abouti à la conclusion
inévitable que les graphies ne sont pas – ou ne sont pas à elles seules – fiables.
Pour retracer l’histoire des mots français absorbés par l’anglais, et surtout pour
distinguer des mots «anglo-normands» des mots transmis par le français
continental, il faudra d’autres méthodes. D’une part, il faut faire appel à la
sémantique historique et d’autre part, il faut se pencher sur l’anglo-normand mais
aussi sur le français continental, pour établir une chronologie convaincante; et
celle-ci doit aussi inclure le latin médiéval, source fréquent de renseignements
précieux au sujet des langues vernaculaires.6 Dans le présent article, il ne saurait
bien entendu être question de dresser un catalogue de tous les mots concernés. Je
viserai par contre l’élaboration d’une méthodologie pour traquer les transferts
lexicaux en anglais. Pour chaque cas, je discuterai de manière plus approfondie
d’un exemple précis.
Pour prouver qu’un mot anglais d’origine «française» a bien été transmis
par l’anglo-normand – somme toute, l’explication la plus plausible – il faut
envisager plusieurs cas de figure qui peuvent étayer l’hypothèse de «l’anglonormandicité» du mot-source:
a) mot qui n’est attesté qu’en anglo-normand (absent du français
continental ou présent en tant que lexème repris de l’anglo-normand) par ex.: buket
(Trotter 2009b: 160-161; Roques 2007: 287);
b) mot qui existe en français comme en anglo-normand, mais dont le
sémantisme anglo-normand (et par la suite: le sémantisme anglais) est spécifique:
son dérivé anglais ne se comprend que s’il provient de l’anglo-normand, par ex.:
dungeon (Rothwell 1998: 162) ou encore, montrant le même phénomène, motte >
moat en anglais (dans les deux cas, un mot désignant une construction au-dessus de
la surface est devenu le nom d’une construction souterrain);7 apareil (Rothwell
1991: 175; Chambers 2010: 64); liner/lineure (Rothwell 1992: 35; Chambers 2010:
66);
c) mot qui existe en anglais, qui est apparemment d’origine française, mais
pour lequel la documentation manque: par exemple, mommet en anglais dialectal
(Trotter à paraître c); pour la refonte de l’OED, qui recouvre un tiers du
dictionnaire, une centaine de mots d’origine apparemment française, mais pour
lesquels il n’existe par – en tout cas pour l’instant – d’attestation anglo-normande,
ont été identifiés (Durkin à paraître; cf. Trotter 2003).
Il y a aussi bien entendu une quantité importante de mots qui ont survécu
en anglais/anglo-normand tout en étant sortis d’usage en français (remembrer;
302
reherser), ou qui ont en anglais – souvent grâce à une évolution sémantique en
anglo-normand – un sens inconnu sur le continent, mais cela (la question des
fameux ‘faux amis’: Rothwell 1993) nous entraînerait trop loin de notre propos.
Pour chaque mot, en principe, il faut une chronologie du transfert aussi
exacte que possible – il faut faire de l’étymologie au sens plein du mot – mais on
sait aussi que la documentation médiévale est souvent lacunaire.8 Le *très ancien
français de mon schéma est souvent exclusivement documenté en Angleterre. Les
mots du type (a), entièrement absents du français continental, sont assez rares –
sauf pour les mots tirés de l’anglais, bien sûr – et leur identification est
problématique, ne serait-ce que parce que la précocité des textes anglo-normands
rend difficile toute comparaison avant environ 1200. Et il faut toujours avoir
présent à l’esprit le problème des sources incomplètes.
Il existe néanmoins des exemples de cette même exclusivité anglonormande, par exemple dans le cas de motley, peut-être en rapport avec medley.
Motlé est attesté en anglo-normand, assez tardivement il est vrai (les seules
citations connues de l’AND1 sont du registre de Henry Chichele, archevêque de
Cantorbéry [RegChichJ] au début du XVème siècle, et des Rotuli Parliamentorum
[RotParl1M] de la fin du XIVe siècle et du XVe aussi, auquel on ajoutera celles de
LiberDonati (XVe s.) et ManLangK de 1415) avec le sens (adjectival)
«variegated», depuis le XIVème siècle (AND motlé). Les attestations du mot anglais
remontent à 1371 (OED). L’OED avoue que l’origine est incertaine, signale un
rapport possible avec medley; et renvoie au mōtlē du MED qui, lui, propose
l’étymon anglo-saxon mōt n. (1), c’est-à-dire «speck, particle, bit of dirt or foreign
matter». L’OED compare motley à l’anglo-normand motlé, «although the direction
of borrowing is unclear». L’OED mentionne aussi l’adjectif mottled, qui viendrait
du verbe mottle, lui-même provenant du substantif et du verbe … motley, «to
impart or give to (something) a particoloured or patchwork appearance; to make
diverse in character; to mix incongruously». Il est difficile de croire qu’on n’a pas
affaire à un dérivé de medlee (graphie qui préserve la dentale) qui existe en anglonormand depuis le XIIIe siècle, avec une gamme de sens où celui de l’anglais (cf.
OED3 medley) est un élément parmi d’autres. Medley en anglais a, de surcroît,
parmi ses sens celui de «of a mixed colour; variegated, motley» depuis c1350, sens
également présent en anglo-normand («drap medlee» Corr Lond [ChappleLond]
210.485, lettre de 1354; «xiiij draps longez et dys doszeyns de mellez
d’Oxenford» Rom 32.55 = DialFr1415K de 1415, cf. aussi ManLangK 5.36, de
1396). Meslee est bien attesté en français continental, et avec le sens «de couleur
mixte» (TL 5,1651: «gemischt, mittler (Farbe); bunt, aus verschiedenen Farben»;
5,1653, part. passé comme subst.: «Stoff von gemischter Farbe»; Gdf 5,287a meslé
adj.; FEW 62,159a), motlé est absent. L’existence en français continental
(normand) d’une attestation de motelé (TL 6.362) «klümperig», dans la Chirurgie
de Mondeville («Les causes, pour quoi les incisions sont compétentes es
apostumes, si sont: [...] aucune fois que ces autres superfluités soient traites hors, si
com sanc coagulé et char motelee (=caro globosa)» HMondB 2154, n’est
303
apparemment pas du même mot; et Mondeville est la seule source pour TL. Dans le
glossaire, on explique le mot ainsi:
«Char motelee signifie peut-être ici excroissances, fongosités au fond des abcès, à cause de
9
leur surface irrégulière, ayant l’aspect de grumeaux» (HMondB 2,303a).
Du point de vue sémantique, les sens du mot anglais motley sont inclus
parmi ceux de medley (OED) et il semble probable que les deux mots se sont
influencés, ou encore, ne sont que des variantes d’un seul et même mot. TL meslee
(5,2639) ne révèle pas cette confusion et motley est sans doute une variante
essentiellement anglo-normande. Il semble en tout cas que la confusion ait eu lieu
en anglo-normand.
Un autre mot de la même partie de l’alphabet – choisie parce que c’est là
où l’OED est partie pour la troisième édition, et c’est en même temps le point où
est arrivé l’AND dans sa révision. Le mot en question est OED3 mangle v.1, lui
aussi problématique à plusieurs niveaux. Le dictionnaire d’Oxford propose une
étymologie anglo-normande mangler, mahangler, «to mutilate» en expliquant que
le mot serait une forme de mahaignier, éventuellement influencée («reinforced»)
par le mnd. mangelen «to mingle». On renvoit à anglais maim < agn. mahaigner.
Le dictionnaire de Joseph Wright (English Dialect Dictionary) signale l’existence
de la forme manghangle dans le Northamptonshire et dans le sud-ouest de
l’Angleterre,10 citant à l’appui de l’hypothèse d’un étymon anglo-normand
mahangler «langtoft». Vérification faite, l’attestation en question est probablement
la suivante (ChronPLangW2 1,254):
Il joure la mort Oswald serra ben vengé;
Il pense a destrure tay e tun regné.
Donez may la cure, e je pur verité,
A ws le meneray ou mort u mahanglé (vars. mahaigné, maygné).
À mon avis, les variantes confirment la parenté entre mahaigner (forme
bien attestée en anglo-normand et sur le continent: TL 5,777; Gdf 5,284a; FEW
16,500b) et notre ma(ha)ngler qui, lui, aura sans doute subi l’influence soit de
mangoner, soit du moyen néerlandais mangelen (mais comment cette deuxième
influence se serait introduite, l’OED n’explique pas).
L’AND1 n’a aucune citation pour mangler (cf. par contre demangler, qui
connaît aussi les formes dénasalisées (?) demagler et desmagler); mais c’est une
omission, car les attestations de mangler dans TL 5,1053 (les mêmes déjà dans Gdf
5,145a) «verwunden, verstümmeln» se basent sur des citations du texte anglonormand Du Bon William Longespee (JubNRec 2,353 = maintenant [GuillLongH
360; 446]) avec un renvoi à DC mangulare (lettre de rémission de 1361,
attestation glosée «vulnerare, mutilare»; cité par l’OED; le mot est absent du
DMLBS), et à demangler, également JubNRec 2,341 et 3,351. Malgré l’apparition
du mot dans deux dictionnaires de l’ancien français, il s’agit d’un mot
irrémédiablement anglo-normand. Mais voici où tout se complique. Le FEW
304
(61,199a) propose une étymologie totalement différente et à mon sens moins
probable, à savoir mánganon (gr.), «zaubermittel; werkzeug», la forme la plus
pertinente en ancien français étant mangonel, «engin de guerre, catapulte».
Mangler serait donc une variante de mangoner (attesté dans TL, Gdf, DMF), «Mit
altem suffixtausch (-eler statt -onner) und unter semantischer anlehnung an
1
MANCUS [MANCUS «verkrüppelt» FEW 6 ,138b] ist in der französischen nordweste
die gruppe b [= notre mangler] entstanden». Cette conclusion dans la «sauce» est
basée sur la partie documentaire de l’article où l’on lit qu’en dehors d’estre manglé
(hapax agn.) «être mutilé, estropié», il y a aussi «apik. mangler» et «estre
demanglé» (tous les deux des hapax), avec en plus des attestations picardes
dialectales modernes (c’est-à-dire: du XIXe) avec le même sens. Or, si la source de
la documentation anglo-normande est claire (Godefroy), celle des attestations
picardes (anciennes ou modernes) ne l’est pas. Résumons: si l’étymologie proposée
par l’OED semble plus convaincante, le FEW (s’il a raison de proposer un élément
picard) introduit un élément supplémentaire dont il faudra rendre compte et qu’il
faut expliquer.11 Pour l’instant en tout cas, les attestations vérifiables sont
clairement anglo-normandes et quelle que soit l’étymologie, on peut affirmer que le
mot mangler et son dérivé anglais mangle, sont bien des formes provenant de
l’anglo-normand, et donc transmis in situ en Angleterre.
Quelles sont les conclusions à tirer de cette analyse? Premièrement et
surtout: il faut revoir les occurrences dans les trois langues de l’Angleterre mais
aussi, en français de France. Négliger un de ces éléments, c’est s’exposer à l’erreur.
Deuxièmement, que la méthode sémantique, si elle exige plus de travail, est sans
aucun doute plus fiable que le recours aux graphies variables et peu sûres.
Troisième conclusion: chaque mot, comme on dit, a son histoire; dans les cas de
l’anglais ou de l’anglo-normand, cette histoire sera très probablement plurilingue.
Quatrième et dernière conclusion: la chasse aux voies de transmission et aux
origines montre, paradoxalement peut-être, dans quelle mesure les langues de
l’Angleterre médiévale sont liées les unes aux autres, et pourquoi une approche
globale – onomasiologique et non pas sémasiologique? – pourrait s’avérer
12
fructueuse. ****
NOTES
1 Pour une vue d’ensemble, voir Trotter à paraître a.
2 Cambric n’est attesté en anglais qu’au XVe siècle selon l’OED, et ne semble pas avoir d’équivalent
(anglo-)français. L’AND sub cambre1 propose une glose «linen, cambric» («Mostrent les
covrechief de seye e de kaunbre» NicBozCharV 262) mais le sens de base («hemp») semble plus
probable, et l’allusion à cambric est sans doute incorrecte; voir aussi chanvre, auquel renvoie
l’article cambre1. D’ailleurs le mot kaunbre chez Bozon semble être là pour la rime et peut-être
pour créer un jeu de mots sur les homophones: «Des braz font la joie quant entrent la chambre /
Mostrent les covrechef de seye et de kaunbre, / Attachent les boutouns de coral et de l’ambre, /
Ne sessent de jangler taunt com sont en chaunbre». La base de données du projet Lexis of Cloth
(cf. Chambers 2010) reprend la glose de l’AND mais avec des points d’interrogation, et relève
dans le DMLBS/MED une citation «Duae tuaillae de cambric» de 1385. Je remercie Mark
Chambers de m’avoir aimablement communiqué ces renseignements précieux.
3 Également attesté sur les îles anglo-normandes au Moyen Âge, cf. Goebl 1970: 263.
305
4 Les sigles entre crochets sont ceux du DEAF, voir www.deaf-page.de.
5 Cf. cependant Brüll 1913: 46: (Chenevaz) «Gebl. im Engl. unter der pik. Forme canvas ‘toile et
canevas’, me. canevas». Cf. FEW 21,212a chenevas, «grosse toile de chanvre»: «mfr. nfr.
canevas (seit 16 jh.)» (chronologie évidemment à revoir!).
6 Le phénomène n’est pas unique au Moyen Âge tardif. Pour une époque antérieure (variabilite
occitan-latin) voir Carles 2011: 378 et n. 173, qui cite notamment Lazard.
7 De même, l’anglais dyke/ditch: dyke (et dans une certaine mesure ditch aussi) peut/peuvent désigner
une construction élévée (haie, mur, banc) mais également, le fossé (OED s.v.); et
éventuellement, fosse dans le toponyme Fosse Way (route romaine allant du sud-ouest au nordest de l’Angleterre), à moins que l’on ne retienne l’explication de l’OED: «perhaps so-called
with reference to a defensive ditch associated with the road».
8 Un exemple classique est fourni par les surnoms qui assez souvent, sont attestés avant les noms
communs qui (en bonne logique) antidatent dans la langue parlée les surnoms. Par ex.:
makerellus, surnom 1115-1118, bien avant le nom commun en latin britannique (c. 1159); attesté
en agn. 1140. Cf. OED3 mackerel n. 2. Tout cela est improbable et ne s’explique que par les
insuffisances de la documentation qui a survécu – ou qui a été dépouillée.
9 Brüll (1913: 175) signale motley sub motel: «später motteau Cotgr.: ‘little clod; clot of congealed
moisture’; Dim. von afr. mote, nfr. motte ‘petite masse de terre compacte’, dessen Herkunft
unbekannt ist. Dazu ? engl. motley ‘buntscheckig’» et renvoie à mattelé (Brüll 1913: 170),
«‘clotted, curdled’ bei Cotgr. Daher wird gewöhnlich [...] engl. motley abgeleitet.»
10 Wright (1898-1905), sub «MANGHANGLE, v., sb. and adj. Nhp. Dor. Som. Dev. Also in form
manangle Dev. [maenae’nl.] 1. v. To mangle; to mix in a wild and confused manner. Dor. Grose
(1790) MS. add. (M.) Dev. The shot ‘ad manangled ’is ’hupper leg somethin’ shocking Phillpotts
Dartmoor (1896) 229.
11 Commentaire intéressant de Gilles Roques au sujet des picardismes en anglo-normand: «je suis
persuadé, et de de plus en plus persuadé, qu’en avançant, et en n’établissant pas de barrières, des
correspondances picard-anglo-normand se trouveront plus souvent. Il ne faut pas dire, par
exemple: «c’est anglo-normand et picard, donc c’est français en général». Anglo-normand et
picard représentent ensemble plus de la moitié des textes de l’ancien français; aussi le réflexe
d’un chercheur est-il actuellement de dire: le mot est picard et anglo-normand, il s’agit donc
forcément de français général» (Roques 2007: 293 [discussion]).
12 Pour deux tentatives dans ce sens, outre l’article de Chambers (2010), voir Trotter 2006 et Trotter
2010, pour bonnet et mazer respectivement.
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309
FRENCH BORROWINGS – LOGONOMIC RULES AND
TRANSLATORIAL EGO IN ACTION
Titela VILCEANU
Université de Craiova, Roumanie
1. TRAINING HISTORICAL AWARENESS. ETYMOLOGY AND
BEYOND
Yallop (2004: 30) quotes Warburg (1968: 351-2) who tells the story of a
lawyer’s etymological arguing about a witness's use of the word hysterical. The
witness had described a young man's condition as 'hysterical'. In response, the
lawyer claimed that the word came from the Greek hystera, meaning 'uterus' or
'womb'. Consequently, the young man didn't have a uterus, so he couldn't possibly
be 'hysterical'.
First of all, this is an example of etymological fallacy – it is out of the
question that the lawyer was not aware of the word change of meaning (the original
meaning is still preserved in English medical terms such as hysterectomy and
hysteroscopy), he provides the explanation in order to mislead. The point is that the
etymological look is indicative of a lexeme semantic evolution.
Secondly, the example supports the existence of logonomic rules
governing linguistic behavior as evidence of macro- and micro-context sensitivity
in communication. In this respect, Crystal (1995: 170) considers that the English
lexicon “is a particularly sensitive index of historical, social and technical change”,
containing multilayered information: historical data, structural dimension, regional
dimension, social dimension and occupational dimension.
There is a long history of interest in etymology, in 'where words have come
from', and many large dictionaries of English include etymological information.
For much of the nineteenth and twentieth centuries, most dictionaries gave
considerable prominence to historical information. The first complete edition of
what is now commonly referred to as the 'Oxford dictionary' was entitled A New
English Dictionary on Historical Principles, and it set out to record the history of
words, not just their current meanings.
2. SOME USEFUL TERMINOLOGICAL DISTINCTIONS
We shall start from Crystal’s comments (1995: 126): “When one language
takes lexemes from another, the new items are usually called loan words or
310
borrowings – though neither term is really appropriate, as the receiving language
does not give them back.”.
Literature distinguishes between borrowing, loan, foreign word. Within
this triad, borrowing is a blanket term covering all types of cross-linguistic
influences, which more often than not, fill in a cultural and linguistic gap.
A loan word displays a narrower sense as opposed to a foreign word and
overlapping borrowing – it indicates lexicalization, i.e. assimilation at the
phonological, graphemic and morphosyntactic levels. In its broader sense, a loan
word is inclusive of both foreign word (non-assimilated item) and loan word.
Bussmann (1996: 420ff) draws our attention to the fact that these
terminological distinctions are often fuzzy and that “and foreign-word status is
particularly questionable in lexicalized hybrids like anti-aircraft, regretful,
megabuck”. Admittedly, the author establishes a set of criteria against which to
assign the status of a lexical import:
- the integral presence of the ‘foreign’ structure (which we equate to total
transfer);
- frequency of occurrences, irrespective of the ‘life’ of the foreign word
(stability) being irrelevant: influenza (in use since the mid eighteenth century)
would more likely be characterized as ‘foreign’ than, for instance, diskette, in
currency only in the 20th century;
- the orthographic representation.
Obviously, it all depends on geopolitical factors and the cultural stance of speech
communities.
3. FRENCH BORROWINGS INTO ENGLISH. THE REMOTE AND
LESS REMOTE PAST
Once again, we consider Crystal’s statement (1995: 126) far-reaching:
“English, perhaps more than any other language, is an insatiable borrower”.
Similarly, Mugglestone (2006: 73) points out that the size of the English lexicon as
a whole has grown steadily over the course of time: estimates place the size of the
Old English lexicon at c 50–60,000 words, and that of Middle English at 100–
125,000 (that of modern English is placed at over half a million). This expansion
has occurred overwhelmingly through the transfer of words from source languages,
rather than through the formation of new words out of native resources.
Furthermore, according to Crystal, the French influence represents “the
most significant change of direction in the history of English vocabulary” and that
“by 1400 about 10,000 new lexemes had entered the English vocabulary from
French and several thousand more from Latin. By the end of the Middle English
period, the surviving Old English lexicon was in the minority”. In fact, a wealth of
numerical data is provided: the French influx after the Norman Conquest almost
doubled the lexicon to over 100,000 items, a phenomenon that the British scholar
labels “the lexical conquest” (p.125).
311
It is also worth mentioning that except a few early loans in Old English, the
French loans in Middle English are traditionally subdivided into two groups: an
earlier group from Norman French dialect, and a later group from central French
(reflecting the
shift in power and influence from Normandy to Paris and the Ile de France from
the thirteenth century onwards).
4. TRANSLATORIAL ACTION: A CASE OF LOGOMONIC RULES
OBSERVANCE OR TRANSLATOR’S CHOICE?
The analysis underpins a corpus-based approach of 176 synonymic series,
more precisely it investigates French borrowings in 3 translations of Le rouge et le
noir in English. The purpose is twofold: on the one hand, we aim to highlight
language policies and translation ideology as controlling factors shaping translation
performance (fitness for purpose) and evaluation; on the other hand, we shall prove
that in some cases, French borrowings seem to be motivated by the translator’s
ego, roughly equated to his/her high profile that s/he asserts in order to guide, if not
to force, the readership to go beyond aesthetic pleasure. We shall exemplify in
what follows:
4.1. Change at the level of denotation involving single meaning lexemes
Sample 1- [1830] 1990: .. petits intérêts d’argent. (p. 23) vs. [1927] 1938: .. small
financial interests. (p.11) vs. [1953] 1976: …petty financial interests. (p.24) vs.
1991: petty financial intrigue. (p.5)
petite - [dans l'ordre quantitatif] qui est d'une taille inférieure à la moyenne.
- [dans l'ordre qualitatif] qui implique un trait minoratif.
small – comparatively less than another or than a standard  OE smael.
petty - having little worth, importance, position, or rank; trifling; inferior. The
term is a French borrowing in Middle English < OF petit, strictly referring to
quality. The two synonyms differ in point of denotation, small including both
quantity and quality. Under the circumstances, petty is the optimal equivalent of
petit.
Sample 2- [1830] 1990. ... est un des ceux qui étonnent de plus. (p.22) vs. [1927]
1938: … is one of the industries that most astonish. (p. 10) vs. [1953] 1976: But
what most amazes ... (p. 23) vs. 1991: …which … finds most surprising. (p. 4)
étonner - surprendre par quelque chose d'extraordinaire ou d'inattendu.
to astonish - to affect with wonder and surprise; amaze; confound. The term
started to be widely circulated since the 16th century, coming from Old French <
OF estoner < Lat. ex+tonare.
to amaze – to overwhelm, as by wonder or surprise; astonish greatly. The term is
of of Anglo-Saxon origin, being recorded in OE (< OE veche āmasian).
to surprise - to cause to feel wonder or astonishment because unusual or
unexpected. The term is a French borrowing in late ME < Fr. surprendre.
312
The 3 synonyms differ at the denotative level, where surprise is characterised by
[+unusual or unexpected] and amaze indicates intensity. The heteronym of
étonner is to surprise.
Sample 3 -[1830] 1990: ... voyageur parisien est choqué .... (p.22) vs. [1927]
1938: … the visitor from Paris is annoyed …. (p.10) vs. [1953] 1976: … a visitor
from the larger world of Paris would quickly note, and be repelled … (p. 24) vs.
1991: … the traveller from Paris is shocked ... (p. 4)
voyageur - personne voyageant seule ou en groupe par goût de l'aventure, du
dépaysement et dans un but de détente et de loisir.
traveller – one who travels or journeys from place to place. The term, on record in
ME, originates in the verb to travel, a borrowing from French < Fr. Travail. In this
case, we witness a shift in meaning.
visitor - one who visits, as for reasons of friendship, courtesy, on business, etc. It is
a French borrowing in late ME < Fr. visiteor.
Traveller and visitor differ denotatively: visitor has the trait [+reasons of
friendship, courtesy, on business]. The heteronym of voyageur is traveller.
Sample 4 -[1830] 1990 : .. à ce qu’on prétend, établi dans le pays.... (p. 23) vs.
[1927] 1938: …or claims to have been established in the country ... (p.11) vs.
[1953] 1976: … so it is said ..established… before this province ... (p.24) vs. 1991:
… it is said …in the region... (p.5)
prétendre - revendiquer, poursuivre quelque chose comme un dû, comme la
rétribution nécessaire d'une certaine activité, position ou qualité.
to claim - to demand on the ground or The term comes from French < OF clamer
< Lat. clamare. Most likely, the connotation associated with the original term has
integrated to the denotation.
to say - to pronounce or utter; speak. The term is of Anglo-Saxon origin < OE
secganthe former being characterised by [+on the ground or right]. To claim is the
heteronym of prétendre.
Sample 5 - [1830] 1990 : ... un immense mur de soutènement ... (p.26) vs. [1927]
1938: …, a huge retaining wall … (p. 14) vs. [1953] 1976: … a huge supporting
wall … (p.27) vs. 1991: …a massive retaining-wall … (p.7)
immense – dont les dimensions sont si vastes qu'elles semblent illimitées.
huge – having great bulk; vast. The ME term comes from French < Fr. ahuge.
massive – constituting a large mass; ponderous; large. The French borrowing
dates back to ME < Fr. massif.
The two synonyms differ denotatively, huge showing higher intensity. The
heteronym of immense is huge.
Sample 6 - [1927] 1938: … a sound in the corridor… (p. 156) vs. [1953] 1976: …
a noise in the corridor …. (p. 135) vs. 1991: … a noise in the corridor... (p. 125)
bruit - ensemble de sons, d'intensité variable, dépourvus d'harmonie, résultant de
vibrations irrégulières.
sound – noise of any specified quality. The ME term was borrowed from Latin via
French: < OF son. < Lat. sonus.
noise - a sound of any kind, especially a loud or disturbing sound. The ME term is
a French borrowing < OF noyse.
313
The two lexemes differ denotatively, noise being marked by [+loud or disturbing].
The heteronym of bruit is noise.
4.2. Change at the level of denotation involving multiple meaning
lexemes
Sample 4
pays - division territoriale habitée par une collectivité, et constituant une entité
géographique et humaine.
country - a land under a particular sovereignity or government, inhabited by a
certain people, or within definite geographical limits.. The term was borrowed
from French in ME < OF contree < Lat. contrata.
province – any large administrative division of a country with a permanentt local
government. The transfer from Latin in ME is mediated by French < Lat.
provincia.
region - a portion of territory or space; a country or district. The term, a ME
borrowing, is of French origin < Fr. veche regiun < Lat. regio.
It is worth mentioning that province is a multiple meaning lexeme, also entering
the synonymic series of field, domain. Country is the hyperonym of province and
region, while province and region are differentiated through [+permanent local
government]. The heteronym of pays is country.
4.3. Change at the level of connotation involving single meaning
lexemes
Sample 3
choquer – fig. [avec l'idée de blesser moralement, de déplaire ou de scandaliser]
offenser en heurtant les idées, les habitudes.
to shock – fig. to disturb the emotions or mind of; horrify, disgust. The term was
borrowed in late ME < Fr. choquer (meaning donner un choc, faire se heurter des
choses, this primary meaning is obsolete in E).
to annoy - to be troublesome to; bother; irritate. The term dates back to 12501300: < OF anoier, anuier < Lat. in odio (French mediated the transfer from
Latin).
to repel - to cause distaste or aversion. The term originates in ME from < Lat.
repellere. It is also a specialised item preserving the original meaning.
The three synonyms differ denotatively: to shock and to repel are featured by [+
disgust/aversion], as well as connotatively, differing in point of register (fieldrelated variation). Moreover, at the denotative level, to shock indicates higher
intensity. The heteronym of choquer is to shock.
Sample 7 - [1830] 1990 : .. mon affreuse aventure fera le plus extrême plaisir.(p.
151) vs. [1927] 1938: … “my appalling misfortune will give the most intense
pleasure. (p. 160) vs. [1953] 1976: …every one will be intensely gratified by my
frightful misadventure. (p. 140) vs. 1991: … “will get the greatest enjoyment from
my frightful misadventure.” (p. 130)
affreuse - qui inspire ou est propre à inspirer tous les degrés de l'horreur ou de
l'angoisse douloureuse.
314
appaling – causing or apt to cause dismay or terror. The term was borrowed in
ME from French < OF apallir.
frightful – apt to induce terror; shocking. This obsolete item is of Anglo- Saxon
origin, deriving from the noun fright in ME.
The synonyms differ denotatively - appaling seems to express a higher degree, and
connotatively – at the diachronic level. The heteronym of affreuse is frightful.
4.4. Change at the level of denotation and connotation involving single
meaning lexemes
Sample 8 - [1830] 1990 : Une voix douce prononçait ... (p.27) vs. [1927] 1938: A
gentle voice then uttered ... (p. 16) vs. [1953] 1976: … a gentle voice called out ….
(p.29) vs. 1991: A gentle voice was then heard calling... (p.9)
prononcer - énoncer un propos par la parole physiquement articulée avec
l'intention de le communiquer et d'appeler éventuellement une réponse ou une
réaction.
to utter – to give out or send forth with audible sound; express; say. The lexeme
has been circulated since Middle Ages, and derives from < Fr. outre. To utter is
marked for the formal style.
to call out- to call with the fullest volume of sustained voice.
to call – to send out the voice in order to attract another’s attention, either by
word or by inarticulate utterance. The term is of Scandinavian origin and it is
recorded in OE.
The lexemes differ denotatively (to call out indicates higher intensity) and
connotatively (register-related variation). The heteronym of prononcer is to utter.
Sample 9 - [1927] 1938: …to make him angry … (p. 156) vs. [1953] 1976: … just
to vex him… (p. 136) vs. 1991: … to annoy him ... (p. 126)
irriter – mettre dans un état d'énervement pouvant aller jusqu'à la colère.
to make angry - v made up of the copulative verb make and the adjective angry.
to vex – to provoke to anger or displeasure by small irritations; irritate, annoy.
The term, recorded in ME, was borrowed from Latin via French: < OF vexer < Lat.
vexare. Vex is obsolete.
to annoy – to be troublesome to; bother; irritate. It is transferred from Latin via
French: < OF anuier, anoier < Lat. in odio.
The lexemes have different denotations, to vex indicating a smaller degree, and
connotatively, they belong to different time spans (diachronic variation). The
heteronym of irriter is to annoy.
Sample 7
plaisir– état affectif agréable et durable.
pleasure – an agreeable sensation or emotion, gratification; enjoyment. It was
transferred from French in ME < OF plaisir.
gratification – the act of gratifying; a satisfying or pleasing. The lexeme, dating
back to ME, was borrowed from Latin via French < Fr. gratifier < Lat. gratificari.
It belongs to the formal style.
enjoyment – the act or state of enjoying; pleasure. It is a French borrowing,
recorded in ME < Fr. veche enjoir.
315
The three terms display different connotations – in point of level of formality.The
heteronym of plaisir is pleasure.
4.5. Change at the level of denotation and connotation involving
multiple meaning lexemes
Sample 10 - [1830] 1990 : ... il ne rapporte pas de revenu. (p.26) vs. [1927] 1938:
… it yields a return.” (p. 15) vs. [1953] 1976: … it doesn’t bring in money. (p.
28) vs. 1991: … it doesn’t bring in money.” (p. 8)
revenu – profit en nature ou en argent qui revient à un individu, à un groupe
d'individus, à une institution, pour une période déterminée, à titre de rente ou de
rémunération de son activité.
return – that which accrues, as from investments, labor, or use, profit. The item is
recorded in ME, coming from French < Fr. returner. Furthermore, return is a
technical term belonging to the economic vocabulary and to the formal style. It is
also a multiple meaning term, its primary meaning being coming back,
reapparance.
money – anything that serves as a common medium of exchange in trade, as coin
or notes. The term is a dictionary entry for ME, its transfer from Latin being
mediated by French: <OF veche moneie < Lat. moneta.
Return and money differ at the level of denotation - money is shaped by [+medium
of exchange], and connotatively – return belons to the formal style and is a
specialised term (field-related variation). The heteronym of revenu is return.
5. CONCLUSIONS
The problem of synonymy in the translation of Le Rouge et le Noir in
English is basically a problem of heteronyms (considered as optimal equivalents)
and of potential equivalents. Obviously, in the series of synonyms, only one of the
synonyms in the series is the heteronym of the French term. Therefore, the question
of the translators’ motivation in choosing the equivalents arises.
Statistically, the largest number of heteronyms appears in the first
translation, and the second translation has the fewest. The first and the third
variants show similar preferences for the choice of optimal equivalents while in the
second one, optimal equivalents are met in cases when potential equivalents appear
in the other two translations.
Most of the terms of the synonymic series were borrowed from French or
Latin in Middle English, and French mediated the transfer in many cases.
Furthermore, the heteronyms are largely of French origin. In some instances, both
synonyms are of French origin, but one of them has acquired a different
connotation. We should also note that there are cases when the term which was
borrowed from French narrowed its meaning. Contrary to the widespread belief
that connotative synonyms are most frequent, the majority of the analysed lexemes
differ at the denotative level.
To put it in a nutshell, meaning is not isomorphic across languages.
316
NOTE
1. Logonomic rules are defined as “very high-level rules governing discourse in a particular setting”,
and failure to observe them will provide “evidence of your inadequate communicative
competence” (Trask 1999: 118)
BIBLIOGRAPHY
Bussmann, Hadumod (1996): Routledge Dictionary of Language and Linguistics
(translated and edited by Trauth, G. and Kazzazi, K.), London and New
York: Routledge.
Crystal, David (1995): The Cambridge Encyclopedia of the English Language,
Cambridge: CUP.
Trask, Robert Lawrence (1999): Key Concepts in Language and Linguistics,
London and New York: Routledge.
Halliday, Michael Alexander Kirkwood, Teubert, Wolfgang, Yallop, Colin and
Cermakova, Anna (2004): A. Lexicology and Corpus Linguistics. An
Introduction, London and New York: Continuum.
Mugglestone, Lynda (ed.). (2006): The Oxford History of English, Oxford: OUP.
***(2004) : Trésor de la langue française informatisée (version électronique),
Paris: CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique).
***(1996): The New International Webster’s Comprehensive Dictionary of the
English Language, Deluxe Encyclopaedic Edition, Trident Press
International.
Corpus
Le Rouge et le Noir, Stendhal [1830] 1990
Scarlet and Black, transl. by C.K. Moncrieff [1927] 1938
Scarlet and Black, transl. by Margaret R.B. Shaw [1953] 1976
Red and Black, transl. by Catherine Slater 1991
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