La banque d’un monde qui change Mexique La stabilité d’abord, la croissance ensuite Les perspectives de croissance économique sont assombries par le contexte international (prix du pétrole et demande intérieure aux États-Unis révisés à la baisse) et un « policy mix » plutôt restrictif. Les autorités ont annoncé en février 2016 des mesures budgétaires et monétaires coordonnées : baisse des dépenses publiques (notamment à Pemex, compagnie pétrolière publique), relèvement des taux d’intérêt et refonte du programme d’interventions sur le marché des changes. Malgré des recettes pétrolières en baisse, les déficits jumeaux devraient rester maîtrisés. Grâce aux réformes en cours, la croissance potentielle à moyen terme pourrait augmenter d’au moins 1 pp au-dessus de 3,5 %. Toutefois, la barre des 4% apparaît difficilement franchissable. ■ Croissance économique stable mais modérée La croissance économique est restée globalement stable, autour de 2,5% en glissement annuel (g.a.), au cours des sept derniers trimestres. Ce taux, proche de la croissance tendancielle du Mexique, est plutôt faible pour un pays émergent. Le secteur tertiaire a enregistré d’assez bonnes performances (+3,3% en 2015), portées par la hausse des salaires réels, l’accélération de la croissance du crédit, une amélioration des conditions sur le marché du travail et le dynamisme des transferts des travailleurs émigrés aux Etats-Unis, qui ont soutenu la consommation (+5,1% de ventes au détail en 2015). Par ailleurs, l’essoufflement de la demande extérieure et le nouvel accès de faiblesse de la production pétrolière mexicaine ont compromis l’expansion du secteur industriel (+1% en 2015). Au cours de l’année écoulée, nous avons revu à la baisse nos prévisions de croissance économique du fait : i/ d’un contexte international moins favorable que prévu (prix du pétrole et demande domestique aux Etats-Unis) ; ii/ de la faiblesse du peso entraînant une augmentation du prix des produits importés et une érosion des marges des entreprises mexicaines freinant les créations d’emplois ; et iii/ du resserrement des politiques budgétaires et monétaires. ■ Compte courant/ taux de change/inflation ou comment gérer un contexte international plus difficile Le peso mexicain (MXN) est enclin à sur-réagir en période de turbulences financières mondiales et à reproduire les évolutions enregistrées sur les marchés des changes émergents. Il est en effet pleinement convertible, le compte de capital est ouvert (pas de contrôle des capitaux) et la participation étrangère sur le marché obligataire local est importante. En termes d’inflation, la dépréciation du MXN a eu un impact limité sur les prix domestiques en 2015 grâce à la tendance déflationniste mondiale. De plus, les facteurs domestiques tels qu’une croissance économique proche de son potentiel et les réformes (à l’origine d’une baisse des coûts de l’énergie et des télécommunications) ont permis à l’inflation globale de clôturer l’année 2015 à 2,1% en g.a., niveau le plus bas jamais atteint. Plus fondamentalement, la dépréciation de l’USD/MXN (25% depuis l’été 2014) s’explique par l’effondrement des prix du pétrole et par l’appréciation générale du dollar. La balance commerciale s’est détériorée au cours de l’année dernière suite au repli de 48% des exportations pétrolières (le prix moyen du mix pétrolier mexicain a chuté de USD 85,5 le baril en 2014 à USD 43,3 le baril en 2015), tandis que les exportations manufacturières ont continué à grimper (+2,6%), à la faveur de la dépréciation du MXN. Les produits economic-research.bnpparibas.com 1- Synthèse des prévisions 2014 2015 2016f 2017f PIB (croissance %) 2,3 2,5 2,0 2,4 Inflation (moy enne annuelle, %) 4,0 2,7 2,9 3,1 Solde budgétaire (en % du PIB) -3,1 -3,5 -3,0 -2,5 Dette publique (en % du PIB) 40,1 44,6 45,3 45,8 Solde courant (en % du PIB) -1,9 -2,7 -2,6 -2,4 Dette ex terne (en % du PIB) 3,7 33,0 33,5 33,8 Réserv es de change (USD mds, brutes) 191 173 169 172 Réserv es de change, en mois d'imports 4,8 4,4 4,2 4,2 14,74 17,27 17,00 16,50 Taux de change USD/MXN (en fin d'année) f: estimations et prévisions BNP Paribas Recherche Economique Groupe 2- Taux de change nominaux (indices : mai 2013 = 100) ▬ USD/MXN 115 110 105 100 95 90 85 80 75 70 65 60 10 ▬ USD/panier de devises émergentes 11 12 13 14 15 16 Sources : Datastream, BNP Paribas. pétroliers représentent désormais à peine 6% des exportations totales au profit des produits manufacturés (89%). Même si les investissements étrangers directs sont restés dynamiques, les solides réserves de change ont été amputées de USD 20,7 mds en 2015 suite au ralentissement des investissements de portefeuille et à l’importance des erreurs et omissions. Aussi, la Commission mexicaine des changes a-t-elle annoncé le 17 février 2016 le remplacement du programme d’adjudication de dollars par une intervention discrétionnaire sur le marché des changes, visant une utilisation plus économe des réserves en devises. L’inflation devrait accélérer dans les prochains mois (elle a grimpé à 2,9% en g.a. en février, tirée par les prix agricoles), mais elle devrait rester maîtrisée. La Banque centrale (Banxico) a entamé un cycle de resserrement monétaire en décembre 2015. Le premier relèvement Mexique 2ème trimestre 2016 19 La banque d’un monde qui change du taux directeur (+25 pb à 3,25%) depuis août 2008 a été suivi d’une deuxième hausse inattendue de 50 pb, décidée lors de la réunion du 17 février 2016 pour faire face à un nouveau fléchissement du MXN (-6,5% contre l’USD entre le début du mois de janvier et la mi-février) et ancrer les anticipations d’inflation. Ces mesures ont jusqu’à présent contribué à enrayer la tendance à la dépréciation du MXN. Le communiqué de politique monétaire de mars était globalement neutre, maintenant toutes les options ouvertes. Banxico sera notamment attentive à l’évolution de la politique de la Réserve fédérale américaine et s’attachera à lisser toute volatilité financière éventuelle. ■ Resserrement de la ceinture budgétaire Depuis la crise mondiale de 2008, le gouvernement n’a pas réussi à atteindre l’objectif de déficit fixé à 2% du PIB (dépenses d’investissement de Pemex comprises) conformément à la règle budgétaire. Mais grâce à une politique budgétaire relativement prudente, la détérioration des comptes publics a été maîtrisée malgré une croissance économique maussade et une base d’imposition faible : les soldes primaires et globaux se sont inscrits en moyenne à respectivement -0,6 % et -2,6% du PIB entre 2009 et 2014. En 2015, le déficit global s’est creusé légèrement à 3,5 % du PIB. Les recettes comme les dépenses ont augmenté de 6%. La chute de 35% des revenus liés au pétrole a été compensée par une hausse de 31% des rentrées fiscales, à la faveur de la réforme introduite en 2013. Le gouvernement mexicain a mis en place, depuis plus de dix ans, un programme de couverture des prix du pétrole sur les marchés dérivés (options put à raison d’un coût moyen annuel de USD 1 md). L’année dernière, le produit de ce dispositif s’est élevé à USD 6,3 mds ; le prix du mix pétrolier mexicain étant USD 31 inférieur au prix plancher du programme de couverture (USD 76 le baril). Au total, la part des revenus pétroliers dans les recettes totales a fondu à 17% contre 34% en moyenne au cours de la dernière décennie. Par ailleurs, alors que les dépenses courantes (salaires, retraites, transferts et subventions) ont augmenté de 6%, les dépenses d’investissement sont demeurées stables malgré le repli de 13% des investissements de Pemex. L’encours de la dette du secteur public fédéral a augmenté de 11 % par an sur la période 2009-2015. Dans un contexte de croissance médiocre du PIB nominal, la dette publique brute a grimpé de 19 points de pourcentage à 45% du PIB, niveau le plus élevé depuis deux décennies. La dette publique est libellée à 67% en monnaie locale, dont 36% sont détenus par des investisseurs étrangers. Comme ces derniers détiennent 45% de la dette publique totale, le Mexique est exposé au risque de fluctuations du sentiment des marchés. La charge d’intérêts sur la dette a grimpé de 25% au cours de l’année écoulée mais reste gérable à 9,6% des recettes totales. Malgré le durcissement des conditions de financement, le gouvernement mexicain continue d’avoir facilement accès aux marchés locaux et internationaux. Les rendements des obligations locales à cinq ans ont augmenté à partir du milieu de l’année 2013, mais tout en restant modérés à 5,5% en mars 2016, de quoi soutenir avantageusement la comparaison avec la plupart des pays émergents. Les primes de risque restent modestes : les spreads de rendements des obligations en devises à 10 ans par rapport aux economic-research.bnpparibas.com 3- Rendements des obligations d’État à 5 ans (%, annuel) ▬ Mexique — Chine ▬ Inde — Russie ▬ Turquie — Brésil (4 ans) 18 16 14 12 10 8 6 4 2 0 05/13 11/13 05/14 11/14 05/15 11/15 Source : Bloomberg. Treasuries américains s’établissaient à 270 pb en mars 2016 (130 pb à la mi-2014), et les spreads de CDS 5 à 190 pb (70 pb à la mi-2014). Outre la protection des recettes pétrolières en deçà de USD 49/baril, le budget 2016 comprend une baisse des dépenses (équivalente à 1,3% du PIB) à laquelle s’ajoutent de nouvelles coupes annoncées en février (0,7% du PIB, concentrées sur Pemex), ce qui pourrait permettre d’atteindre l’objectif de déficit de 3% du PIB cette année. Nous tablons sur un déficit global inférieur à 3% en 2017, à la faveur de l’accélération de la croissance économique et d’un rebond très progressif des prix du pétrole. Concernant la dynamique de la dette publique/PIB, notre scénario central prévoit une hausse continue sur la période 2016-2017 à 46% avant un repli très progressif. ■ Elever la croissance potentielle à 4% ou plus ne semble pas envisageable à moyen terme Les fondamentaux du Mexique sont toujours solides, soutenus par des déséquilibres macroéconomiques raisonnables (inflation, déficits jumeaux, dettes publique et extérieure), une politique économique plutôt prudente et coordonnée, un système bancaire sain et une faible exposition directe au ralentissement de la Chine. La détérioration du contexte mondial a néanmoins levé son tribut et retardé le « décollage » du PIB réel du Mexique. Le pays pourrait accroître sa croissance potentielle à moyen terme d’au moins 1 pp au-dessus de 3,5%, pour peu que les réformes structurelles engagées en 2012 (marché du travail, télécommunications, concurrence, éducation, sécurité sociale, système politique et électoral, secteur financier, fiscalité et, surtout, énergie) soient mises en œuvre avec succès. Il sera néanmoins difficile de porter la croissance potentielle à 4% ou plus, compte tenu de l’important contre-choc pétrolier et des incertitudes entourant les perspectives mondiales. Les coupes sombres dans les plans d’investissement des majors pétrolières compromettent à présent la réalisation de l’objectif consistant à attirer de nouveaux investissements à hauteur de 1 pp de PIB d’ici à 2020. Le potentiel de croissance du Mexique se heurte également à un climat des affaires difficile. L’administration doit désormais s’attacher à faire respecter l’Etat de droit, notamment au niveau local. Sylvain Bellefontaine [email protected] Mexique 2ème trimestre 2016 20