hollandaise » (on pense aux scènes de cuisine ou de taverne de Van Ryck ou Van Ostade)
quant à lui, correspond surtout, dans l’esprit de Jean Paul aux sujets picaresques, comiques ou
bas, à la manière de Smollett, ou à certaines de ses propres productions orientées vers l’idylle
comique, le monde borné de la limitation, comme Vie de Maria Wutz, Vie de Fixlein, Vie de
Fibel. Jean Paul réactualise ainsi, semble-t-il, la trichotomie antique des styles qui s’appuyait
sur la distinction, fondée par l’œuvre de Virgile, entre humilis, mediocris et sublimis.
B) Préface de Cromwell
En France, la vocation du romantisme au sublime doit encore certainement beaucoup à
la sensibilité religieuse et enthousiaste de Madame de Staël, ainsi qu’à son cosmopolitisme,
cet esprit européen qui lui a permis de connaître avant les autres le romantisme allemand
naissant, essentiellement par l’intermédiaire de son ami A.W. Schlegel. A cet égard, on notera
que la Préface de Cromwell, qui s'inscrit bien sûr dans le contexte français de la bataille
romantique, reprend et poursuit le débat sur l’opposition entre Classiques et Romantiques,
Anciens et Modernes, qui avait déjà été formulée par A. W. Schlegel dans les années 1800,
notamment dans les Cours de littérature dramatique (Vorlesungen über dramatische Kunst
und Literatur, 1809-1811), et qui furent traduits presque aussitôt en France (1814)19. Tandis
que « l’art antique repose sur une rigoureuse séparation des contraires, écrivait Schlegel, l’art
romantique aime leur étroite fusion, en amalgamant tout ce qui s’oppose, la nature et l’art, la
poésie et la prose, le sérieux et le plaisant, [...] le terrestre et le divin »20
Il n’en demeure pas moins que la vigueur conceptuelle avec laquelle sont
présentées dans La Préface de Cromwell, et comme mises en miroir l’une de l’autre, les
catégories du grotesque et du sublime, est tout à fait propre à Hugo. En conséquence, même si
la catégorie du grotesque semble l’élément central de la Préface, la conception ancienne,
classique, du sublime, apparaît aussi transformée et repensée. Présenté comme l’un des deux
pôles fondamentaux de l’esthétique du mélange des contraires, à côté du grotesque donc, le
sublime recouvre implicitement deux acceptions: il relève d’une représentation esthétique
(d’un motif héroïque, moral et surtout religieux, dérivé du christianisme plus encore que du
classicisme); et il signifie aussi manifestement la fonction émotionnelle, ennoblissante,
idéaliste, de l’œuvre. Il est son but et sa finalité. Implicitement il représente une nouvelle
forme de catharsis aristotélicienne et de jouissance esthétique qui résulte des formes
nouvelles, des potentialités ouvertes par l’art romantique: « Le contact du difforme a donné au
sublime moderne quelque chose de plus pur, de plus grand, de plus sublime enfin que le beau
antique »
.
21. Ainsi, partant d’une rhétorique binaire des contrastes et des antithèses22, Hugo
s’achemine progressivement vers une esthétique de la fusion, d’une indissociabilité grotesque-
sublime qui deviendra interne au personnage romanesque 23
19 / La dette des théories françaises du romantisme envers les célèbres Cours de A.W. Schlegel et la postérité de
ces Cours ont été étudiées avec précision par Bernard Franco dans sa thèse sur Le Despotisme du goût, débats
sur le modèle tragique allemand en France, 1797-1814, Université de Paris-Sorbonne, 1997, t. I, p. 721-761.
. Et ceci, déjà présent dans Notre-
Dame de Paris et l’oxymore de la « grimace sublime » de Quasimodo, sera au centre de la
conception du héros romanesque de L’Homme qui rit. Dès lors, l’idée d’une sublimité
paradoxale, d’un sublime de la laideur ou du monstrueux s’installe de plus en plus nettement
pour venir compléter le concept traditionnel de sublimité morale.
20 / Treizième leçon, op. cit. , t. II, p. 134.
21/ Préface de Cromwell, in Critique, Oeuvres Complètes, sous la direction de Jacques Seebacher et Guy Rosa,
Paris, Laffont, coll. « Bouquins », 1985, p. 12.
22 / « La muse moderne [...] se mettra à faire comme la nature, à mêler dans ses créations, sans pourtant les
confondre, l’ombre à la lumière, le grotesque au sublime, le corps à l’âme, la bête à l’esprit ». Ibid., p. 9.
23 / C’est en cela qu’Hugo manifeste une voie originale dans une esthétique du mélange qui est par ailleurs depuis
longtemps revendiquée et pratiquée par les romantiques allemands.