Troubles dépressifs et rythmes circadiens dans les pathologies neurologiques DOSSIER 2 Les rythmes circadiens Pour qui, pourquoi, comment ? n Comprendre et agir sur les rythmes biologiques semblent fondamentaux. En effet, de nombreuses pathologies, en particulier neurologiques, perturbent les rythmes biologiques ; inversement une désynchronisation peut induire des pathologies. C hez l’Homme de nombreux travaux associent une perturbation des rythmes biologiques avec certaines pathologies et démontrent le développement de certains troubles quand les rythmes sont perturbés. Par exemple, une déstructuration du sommeil et des rythmes physiologiques et hormonaux est décrite dans certains troubles neurologiques et psychiatriques, comme chez la personne obèse ou cancéreuse. Une déstructuration des rythmes est aussi une caractéristique de la personne âgée. Parallèlement, des études épidémiologiques montrent que la désynchronisation provoquée d’avec l’environnement journalier (travail de nuit, travail posté, voyages transméridiens) est associée à un malaise général (principalement des insomnies), une diminution des performances au travail et une augmentation des risques d’accident. A plus ou moins long terme, l’apparition d’ulcères, d’affections cardiovasculaires et de cancers est notée. Comprendre et agir sur les rythmes biologiques apparaissent donc fondamentaux en termes de santé publique. Aujourd’hui, il est connu qu’un réseau multi-os*Institut des Neurosciences Cellulaires et Intégratives, Département Neurobiologie des Rythmes, UPR 3212 CNRS, Université de Strasbourg 548 cillant complexe est responsable de l’organisation temporelle optimale de nos fonctions et que c’est son dysfonctionnement qui entraîne l’apparition ou le développement des troubles. Dans cette “mini-revue” nous allons nous intéresser au fonctionnement de ce système circadien complexe et mettrons l’accent plus particulièrement sur le rôle de la mélatonine. Le système circadien : un réseau complexe d’horloges/ oscillateurs circadiens Les rythmes journaliers et saisonniers observés dans les processus physiologiques et comportementaux sont une donnée fondamentale de tous les êtres vivants, Homme compris. Ils ne correspondent pas à une adaptation passive aux variations cycliques de l’environnement mais, au contraire, dépendent d’un réseau complexe d’horloges, de synchronisateurs environnementaux, d’afférences et efférences nerveuses et endocrines, et de nombreux oscillateurs centraux ou périphériques, bref d’un système circadien multi-oscillant qui permet une organisation optimale et anticipatrice des fonctions physiologiques par rapport à l’environnement. Paul Pévet* Chez les mammifères, le chef d’orchestre de ce réseau circadien complexe est l’horloge centrale présente dans les noyaux suprachiasmatiques de l’hypothamus (NSC) (Fig. 1). Les NSC génèrent des rythmes circadiens (environ 24 h) qui persistent en situation d’isolement, démontrant ainsi leur nature endogène. Les NSC ont aussi la capacité d’être entraînés à 24 h précise (remis à l’heure) par divers synchroniseurs (Zeitgebers). Le synchroniseur le plus puissant est le cycle jour/nuit, mais d’autres facteurs, comme la restriction alimentaire, l’activité physique ou des drogues chronobiotiques sont connus pour être dans certaines conditions aussi efficaces (1, 2). “Gènes-horloges” et oscillateurs Au cours de la dernière décennie, les mécanismes moléculaires permettant d’expliquer la genèse du rythme dans les NSC ont été identifiés et une dizaine de gènes appelés “gènes-horloges” ont été identifiés (3). La présence et l’expression rythmique de ces gènes, toutefois, n’est pas exclusive aux NSC. Elle a aussi été décrite dans de nombreuses régions du cerveau (e.g. cervelet, hippocampe, noyaux arqués, noyaux paraventriculaires de l’hypothalamus, cortex piriforme et cérébral, bulbes olfactifs, amygdale, rétine, glande pinéale, Neurologies • Décembre 2011 • vol. 14 • numéro 143 Troubles dépressifs et rythmes circadiens dans les pathologies neurologiques Tous ces oscillateurs centraux ou périphériques sont des éléments importants du système circadien multi-oscillant défini plus haut. Le rôle exact de ces oscillations moléculaires n’est pas encore totalement déterminé. Très probablement, le rôle de ces oscillateurs est de permettre à l’organe de maintenir une rythmicité robuste ou de permettre à l’organe d’anticiper les signaux circadiens en provenance des NSC (6) sans exclure la possible distribution d’un signal circadien par voies nerveuse, humorale ou hormonale. Après lésion des NSC, l’expression circadienne des gèneshorloges persiste dans certains tissus centraux et périphériques. Toutefois les phases d’expression de ces rythmes entre les différents organes d’un même individu ne sont plus coordonnées (7). Chez l’individu intact, les NSC sont donc le chef d’orchestre qui contrôle la partition “temporelle” en synchronisant tous les oscillateurs centraux et périphériques. Les NSC sont la voie d’entrée unique de la lumière pour la synchronisation à 24h des rythmes physiologiques. Par contre, les NSC, comme les oscillateurs périphériques, sont aussi la porte d’entrée pour l’action des autres synchroniseurs potentiels. Plus précisément, dans des condiNeurologies • Décembre 2011 • vol. 14 • numéro 143 Glande pinéale DOSSIER etc.), ainsi que dans des tissus non neuronaux à la périphérie (foie, pancréas, adipocytes, intestin, poumon, cœur, etc.) (4, 5). Il apparaît donc que de nombreux tissus et organes contiennent des oscillateurs circadiens (aussi appelés horloges périphériques dans la littérature) et ce sont des mécanismes moléculaires semblables à ceux présents dans les NSC qui sont responsables de la genèse de ces rythmes. mélatonine circulante Horloge centrale (NSC) Distribution du signal circadien par voies nerveuses 07:00 19:00 Time of day (h) 07:00 Distribution du signal circadien par la mélatonine Figure 1 - L’horloge circadienne principale est localisée dans les noyaux suprachiasmatiques de l’hypothalamus (NSC). Beaucoup d’oscillateurs secondaires (aussi appelés horloges secondaires ou périphériques dans la littérature) ont été identifiés dans le cerveau et dans de nombreux tissus périphériques. L’organisation temporelle des fonctions est dépendante de l’horloge principale qui synchronise le fonctionnement des différents oscillateurs. Les flèches noires représentent les voies nerveuses utilisées par les NSC pour distribuer les messages circadiens aux structures périphériques. La mélatonine (violet) est synthétisée dans la glande pinéale et secrétée uniquement la nuit et ce sous le contrôle des NSC. Comme efférence hormonale majeure des NSC, le rythme nocturne de mélatonine distribue dans tout l’organisme, via la circulation générale, un message circadien utilisable par les structures contenant des récepteurs pour la mélatonine. Redessiné et modifié à partir d’une figure de l’article de Pevet et al. 2011 (6). tions expérimentales précises, quelques signaux/synchroniseurs en provenance d’oscillateurs centraux ou périphériques (mélatonine, glucocorticoïdes) ou des signaux externes (nutrition, activité forcée) peuvent imposer une organisation fonctionnelle circadienne. Ce système circadien multi-oscillant, même s’il est organisé hiérarchiquement - avec un contrôle fort des NSC - est très probablement flexible au niveau fonctionnel. En fonction des conditions environnementales (par exemple, travail de nuit ou travail posté) le système multi-os- cillant sous l’effet des rétrocontrôles multiples se réorganise fonctionnellement. Ce sont toutes ces inter­ actions multiples qui, in fine, permettent une bonne coordination interne (temporelle) des fonctions physiologiques et comportementales en relation avec notre monde (8, 9). La connaissance des voies utilisées par les NSC pour distribuer le signal circadien comme des voies impliquées dans les différents rétrocontrôles est une condition nécessaire à la compréhension des 549 Troubles dépressifs et rythmes circadiens dans les pathologies neurologiques DOSSIER régulations temporelles dans les organismes. Sorties nerveuses et endocrines de l’horloge impliquées dans la distribution des signaux circadiens Aujourd’hui, il est connu que les NSC distribuent le signal circadien par voies humorales, nerveuses, hormonales et comportementales (6). Des facteurs humoraux La restauration en moins d’une semaine d’un rythme circadien d’activité locomotrice après greffe dans le IIIe ventricule de NSC ensachés dans une membrane perméable chez des rongeurs arythmiques (lésion préalable des NSC) prouve que les NSC, par simple diffusion de substances, sont capables de distribuer un message circadien (10). Bien qu’ils apparaissent apparentés au TGF-α (transforming growth factor alpha) ou à la prokineticin 2 (11), la nature exacte de ce(s) facteur(s) humoral(ux), les neurones concernés comme les structures cibles ne sont pas encore parfaitement déterminés, mais la zone sub-paraventriculaire de l’hypothalamus semble être un site privilégié d’action. Dans ce protocole particulier (aucune connexion nerveuse entre le greffon et l’hôte ne peut s’établir), certains rythmes (e.g. corticostérone et mélatonine) ne sont pas rétablis. Et il apparaît donc que ces facteurs diffusibles ne sont pas suffisants pour induire l’expression de rythmes circadiens dans toutes les structures. Les autres voies de distribution du signal circadien, voies nerveuses et hormonales sont donc très importantes à considérer. 550 Les projections efférentes Depuis l’identification des NSC dans les années 70, de nombreuses études anatomiques ont porté sur l’identification de ses projections efférentes. Dès les premières études, il est apparu que les neurones des NSC projettent presque exclusivement sur des structures hypothalamiques, à l’exception notable des noyaux paraventriculaires du thalamus et des feuillets intergeniculés latéraux. Actuellement, il est connu que les cibles de ces efférences de l’horloge (noyaux paraventriculaires de l’hypothalamus - PVN -, aire préoptique médian - MPOA -, noyaux dorsomédians - DMH) projettent elles-mêmes sur de très nombreuses régions du cerveau comme sur des structures périphériques, de sorte que de multiples fonctions sont influencées par les NSC (12-14). Des efférences très spécialisées sur 3 différents types de neurones ont été identifiées dans l’hypothalamus médian. • Le premier groupe de ces neurones-cibles correspond au neurones endocrines comme ceux contenant de la corticotropin-­ releasing hormone (CRH), de la thyrotropin-releasing hormone (TRH) et de la gonadotropin-releasing hormone (GnRH). • Un deuxième groupe correspond aux neurones “autonomes” qui sont eux-mêmes à l’origine des projections hypothalamiques descendantes sur les neurones préganglionnaires parasympathiques et sympathiques respectivement dans le tronc cérébral et la corde spinale (18). • Le troisième groupe correspond aux neurones intermédiaires (dans les MPOA, PVN et DMH) qui projettent eux-mêmes sur les neurones endocrines (14-16). Très probablement, ces neurones intermédiaires intègrent les informations circadiennes avec les autres signaux hypothalamiques avant de les transmettre aux neurones endocrines. La grande diversité des neurotransmetteurs (e.g. GABA, glutamate) et des neuropeptides (en particulier la vasopressine, VP, et le peptide vasoactif intestinal, VIP) libérés au niveau des terminaisons des fibres efférentes dote l’horloge d’un grand nombre de combinaisons possibles pour la transmission du signal circadien et des associations spécifiques pour les différentes fonctions ont déjà été déterminées. Les sorties hormonales Les neurones des NSC délivrent un message circadien via la libération rythmique de transmetteurs au niveau de cibles précises dans le cerveau. Les sorties hormonales de l’horloge sont, elles, distribuées dans tout l’organisme via la circulation sanguine et les effets observés sont médiés par une action sur des récepteurs spécifiques exprimés dans les différents tissus. Le contrôle circadien du rythme journalier de corticostérone peut être pris comme exemple pour expliquer comment les NSC utilisent les efférences nerveuses et hormonales pour piloter la sécrétion circadienne des glucocorticoïdes (17). La libération circadienne de la corticostérone est sous le contrôle de l’ACTH. Elle est aussi largement dépendante d’un contrôle circadien de la sensibilité des surrénales à l’ACTH médié par une voie nerveuse poly-synaptique entre les NSC, PVN, corde spinale et surrénales (18, 19). Neurologies • Décembre 2011 • vol. 14 • numéro 143 Le rythme circadien de corticostérone, étant sous le contrôle des NSC, il représente une sortie hormonale de l’horloge. L’horloge peut donc utiliser ce rythme hormonal pour distribuer le message circadien dans tout l’organisme et, ainsi, induire des organisations temporelles de diverses fonctions. Par exemple, chez les rongeurs, ce rythme de corticostérone est responsable de la synthèse rythmique de sérotonine (5-HT) dans les neurones des raphés médians et dorsaux (au niveau de l’expression des gènes tph2 et de la protéine tryptophane hydroxylase) (20, 21). Cette synthèse et cette libération circadienne de 5-HT induite par les NSC via le rythme journalier des glucocorticoïdes, suggèrent une modulation circadienne des fonctions physiologiques, comportementales et émotionnelles qui dépendent des structures cérébrales innervées par des fibres 5-HTergiques. Directement mesurable dans le plasma ou la salive, le rythme de MLT donne une indication robuste et fiable du fonctionnement de l’horloge circadienne. Ceci est spécialement important en recherche clinique et, aujourd’hui, la mesure du rythme de l’hormone ou de son métabolite majeur, la 6-sulphatoxymélatonine, est largement utilisée en clinique pour évaluer les caractéristiques circadiennes des sujets, et partant le bon fonctionnement de leur horloge (22). Le premier circuit nerveux identifié, sortant des NSC et clairement associé à un rythme neuroendocrine, fut celui qui utilise l’innervation sympathique afférente à la glande pinéale pour connecter l’activité circadienne de l’horloge avec la synthèse et la libération rythmique de mélatonine. La mélatonine (MLT) est donc une sortie endocrine de l’horloge qui distribue un message circadien à l’organisme via la circulation générale. Contrairement à la corticostérone, dont la régulation de la synthèse n’est pas exclusivement dépendante de l’horloge (stress, système immunitaire, réponse inflammatoire, etc.), le rythme de MLT dépend, lui, exclusivement des NSC et n’est influencé que par le cycle jour/nuit. Chez tous les mammifères qu’ils soient diurnes ou nocturnes, la MTL est toujours synthétisée et secrétée la nuit. La MLT ne distribue donc qu’une information temporelle, le signal de nuit. La MLT dérive de la sérotonine (5HT), qui est elle-même produite en grande quantité par la glande pinéale à partir du tryptophane circulant. La synthèse de MLT est induite par la libération de noradrénaline la nuit, à partir des terminaisons des nerfs sympathiques dans la glande pinéale. La MLT n’est pas stockée dans la glande pinéale et est immédiatement libérée dans la circulation générale. Le rythme du taux de MLT circulante reflète précisément le rythme de sa synthèse dans la pinéale. Neurologies • Décembre 2011 • vol. 14 • numéro 143 Dans les paragraphes suivants nous allons nous intéresser plus spécifiquement à la MLT et à son rôle dans le système multi-oscillant décrit plus haut. La mélatonine Le contrôle par les NSC de la synthèse rythmique de mélatonine Bien que le rôle de l’innervation sympathique de la pinéale dans le contrôle de la synthèse de MLT soit connu depuis longtemps, ce n’est qu’au cours de la dernière décennie que la globalité du circuit nerveux impliqué a pu être identifié. En bref, le contrôle par les NSC de la libération rythmique de mélatonine par la glande pinéale se fait par une voie polyneuronale impliquant les neurones pré-autonomiques des PVN, des neurones préganglionnaires dans les noyaux intermédiolatéraux de la corde spinale et les ganglions cervicaux supérieurs. A partir de ces ganglions, des fibres sympathiques rejoignent la glande pinéale (23). Quels sont les neurones et les neurotransmetteurs impliqués aux différents niveaux du circuit ? A l’heure actuelle, il a été démontré que les projections GABAergiques des NSC sur les PVN sont directement impliquées et les NSC contrôlent le rythme de synthèse de MLT par une inhibition directe de cette synthèse via la libération circadienne de GABA le jour au niveau des PVN. Des signaux stimulateurs la nuit (le glutamate ?) ont également été identifiés (24, 25). Le rôle de la mélatonine endogène dans le système circadien La sécrétion nocturne (circadienne) de la MLT représente un signal hormonal efférent qui permet au NSC de distribuer, via la circulation générale, un message nocturne/circadien dans tout l’organisme. La durée du pic nocturne de sécrétion de MLT, toutefois, reflète aussi la durée de la nuit. Le profil journalier de la sécrétion permet donc à la MLT de distribuer une information temporelle à la fois journalière (la nuit) et saisonnière (la longueur de la nuit) (26). Dans cette “mini-revue” nous allons plus porter notre attention sur le rôle de la MLT dans l’organisation circadienne des fonctions. 551 DOSSIER Troubles dépressifs et rythmes circadiens dans les pathologies neurologiques Troubles dépressifs et rythmes circadiens dans les pathologies neurologiques DOSSIER L’horloge centrale utilise la MLT pour distribuer un signal circadien, du moins à toutes les structures contenant des récepteurs de la MLT. Les sites potentiels sont très nombreux et des sites de liaison à la MLT ont été décrits dans de très nombreuses structures dans le cerveau et à la périphérie. Une grande variabilité dans le nombre et la localisation de ces structures existe entre les espèces et l’impact physiologique de cette variabilité n’a pas encore été clairement établi (27). Néanmoins, ce n’est que par l’étude de l’effet direct de l’hormone sur certaines de ces structures que nous pourront caractériser le rôle de la MLT. Au niveau expérimental nous devons faire face aux redondances du système. Le rythme de MLT n’est pas le seul signal efférent de l’horloge. Pour une fonction donnée, même sans la présence de MLT (e.g. après pinéalectomie), le signal circadien peut toujours être distribué par les autres efférences (endocrines ou nerveuses). Cela explique que seules quelques modifications mineures dans l’organisation circadienne des fonctions ont été décrites après pinéalectomie. Pour pouvoir analyser plus avant le rôle de la MLT, il est nécessaire d’identifier des structures dans lesquelles l’organisation temporelle d’une réponse dépend exclusivement du signal mélatoninergique. Dans le contexte de la nature multi-oscillante du système circadien, deux mécanismes d’action sont à considérer ; le signal mélatoninergique (sécrétion nocturne) : • impose directement les rythmes ; • ou entraîne un oscillateur périphérique. ❚❚Le signal mélatoninergique impose directement un rythme La présence de récepteurs de la 552 MLT dans de nombreuses structures périphériques explique les effets rapportés de l’hormone sur ces structures (28). Ceci toutefois ne veut pas dire que la MLT a un rôle dans leurs fonctionnements temporels. Dans la pars tuberalis (PT) de l’adénohypophyse, des “gènes-horloges” sont exprimés, mais, à la différence des NSC ou des oscillateurs périphériques, le rythme observé semble directement dépendant de la MLT. En effet, il disparaît après pinéalectomie (e.g. Per1) et est rétabli après administration de MLT (e.g. Cry1) (29, 30). Ce résultat démontre que c’est le rythme de MLT qui impose l’oscillation à cette machinerie moléculaire. Cette régulation par la MLT de l’expression d’un rythme circadien dans un tissu qui par ailleurs n’a pas de connections nerveuses avec les SCN est-elle spécifique à la PT ou constitue-t-elle un mécanisme général présent dans un grand nombre de structures ? De nombreux autres travaux sont nécessaires pour répondre complètement à cette question. ❚❚Le signal mélatoninergique entraîne les oscillateurs périphériques Les oscillateurs centraux et périphériques sont des éléments importants du système circadien et une régulation tissu spécifique de la phase des rythmes entre ces oscillateurs est nécessaire pour un fonctionnement normal de l’organisme (par exemple, la corticostérone doit être secrétée quelques heures avant le réveil pour préparer ce réveil, les horaires de prise de nourriture doivent correspondre à la période d’éveil, l’hormone de croissance doit être secrétée et la température corpo- relle doit baisser pendant la période de repos, etc.). Des études in vitro et in vivo ont déjà démontré que de nombreux signaux (glucocorticoïdes, activité physique, prise alimentaire) jouaient un rôle important. La MLT, très probablement, est aussi un acteur majeur dans cette synchronisation interne. Aujourd’hui, toutefois, les redondances du système (messages circadiens distribués par différentes sorties de l’horloge) rendent les expérimentations in vivo extrêmement difficiles. Les résultats sont inconsistants et des conclusions fermes ne peuvent être tirées. Toutefois, récemment, TorresFrafan et al. (31) ont montré, dans des cultures de surrénales fœtales, que la MLT induit un changement de phase dans le cycle de 24h d’expression de Bmal1 et Per2. Ce travail démontre que définir le pouvoir synchronisateur potentiel de la MLT sur les oscillateurs centraux ou périphériques est possible et ouvre de nouvelles perspectives pour le futur. Effets chronobiotiques de la mélatonine exogène Chez de nombreux mammifères, Homme compris, des récepteurs de la MLT sont présent dans les NSC. La MLT circulante est donc capable d’agir sur l’horloge. Aujourd’hui, le rôle physiologique exact de ce rétrocontrôle n’est pas connu, mais il est probable qu’il soit important dans le fonctionnement de l’horloge à long terme (e.g. le vieillissement). Plus important, dans le contexte de cet article, la présence de récepteurs de la MLT dans les NSC implique que la MLT exogène ait la caNeurologies • Décembre 2011 • vol. 14 • numéro 143 Troubles dépressifs et rythmes circadiens dans les pathologies neurologiques Après un décalage de phase de quelques heures (e.g. par avance brutale du début de la période obscure) l’administration de MLT perNeurologies • Décembre 2011 • vol. 14 • numéro 143 Jour subjectif A Temps (jours) Si nous définissons comme “chronobiotique” une drogue capable de modifier la phase (par rapport au cycle jour/nuit) ou la période de l’horloge biologique, la MLT exogène est une drogue chronobiotique (32, 33). Quand elle est administrée quotidiennement à heure fixe chez des rongeurs maintenus en obscurité totale (conditions dites de libres court, périodicité du rythme propre de l’animal, différent de 24 heures), la MLT (ou divers agonistes) est capable d’entraîner à 24 heures le rythme de température corporelle de l’activité locomotrice (homologue du cycle veille-sommeil) (Fig. 2). L’entraînement s’observe quand il y a un rapport précis entre le moment de l’administration et le rythme circadien propre de l’animal. Cette observation souligne qu’en termes d’applications thérapeutiques, le moment de l’administration est un paramètre important à considérer, d’autant plus qu’il dépend de la durée de la présence quotidienne de mélatonine, donc de la dose administrée (34). Ce sont ces résultats expérimentaux qui expliquent les effets positifs de la MLT rapportés chez certains aveugles. Ces individus présentent un cycle veille/sommeil différent de 24 h (libre court) qui se traduit indirectement par des troubles de sommeil. Les effets bénéfiques de la MLT sur la qualité du sommeil de ces patients s’expliquent par la resynchronisation à 24h du cycle veille-sommeil induite par la MLT (35). ESPÈCES NOCTURNES (Rat) ESPÈCES DIURNES (Arvicanthis ) Nuit subjective Jour subjectif Nuit subjective B Obscurité constante (DD) Obscurité constante (DD) DD + Infusion quotidienne de Mélatonine DD + Infusion quotidienne de Mélatonine DD + Infusion quotidienne du solvant 0 DOSSIER pacité d’agir sur le fonctionnement même de l’horloge. 12 Temps (h) DD + Infusion quotidienne du solvant 24 0 12 Temps (h) 24 Figure 2 - Chez le rat (espèce nocturne) placé en conditions constantes (obscurité totale), les rythmes s’expriment toujours, mais l’horloge n’étant pas synchronisée à 24h par l’alternance jour/nuit, ils s’expriment avec la période propre de l’horloge : ici supérieure à 24h. Une administration quotidienne de mélatonine entraîne à 24 h le rythme d’activité locomotrice du rat (schématisé par les lignes noires horizontales. Nota : Le rythme d’activité locomotrice chez les rongeurs est l’homologue du cycle veille/ sommeil chez l’Homme. Dans cette expérience, l’entraînement se fait quand la présence de mélatonine coïncide avec le début de l’activité (le crépuscule subjectif ). Chez une espèce diurne (Arvicanthis), l’effet de la mélatonine s’observe quand l’administration de l’hormone coïncide avec la fin de l’activité. Ceci indique que la fenêtre de sensibilité à la mélatonine est la même pendant le crépuscule subjectif. Dans les deux expériences, l’entraînement à 24 h n’est plus observé quand l’administration de mélatonine est arrêtée. Redessiné et modifié à partir d’une figure de l’article de Pevet et al. 2011 (6). met à l’animal de se resynchroniser rapidement à ce nouvel environnement lumineux. C’est sur ces bases expérimentales que des tests ont été faits pour utiliser la MLT contre le jet lag ou dans des cas de troubles induits par le travail posté (36). Cette capacité de la MLT à induire une avance de phase de l’horloge permet également d’expliquer les travaux sur le syndrome d’avance de phase du sommeil. Un effet positif a d’ailleurs été rapporté chez certains patients (32). Au cours du vieillissement, l’affaiblissement de l’organisation temporelle de certaines fonctions (diminution de l’amplitude des rythmes hormonaux, avance de phase de la température corporelle, déstructuration des cycles du sommeil) est bien documenté, y compris chez l’Homme (37). Les causes de ces changements sont très mal connues mais résultent probablement d’une combinaison de facteurs internes et externes. Le vieillissement de la rétine et de l’horloge comme la di553 Troubles dépressifs et rythmes circadiens dans les pathologies neurologiques DOSSIER minution de l’efficacité des circuits nerveux et neuroendocrines distribuant les signaux circadiens ou des mécanismes de transduction par exemple dans la pinéale sont des causes internes possibles tandis que les modifications de l’environnement lumineux induites par les changements comportementaux sont des facteurs externes. La MLT exogène, en agissant sur l’horloge et sur les autres éléments du système circadien, peut participer à une amélioration de l’organisation rythmique des fonctions citées ce qui expliquerait les effets positifs de l’administration de l’hormone sur le “sommeil” des personnes âgés rapportés dans la littérature (38). Les effets chronobiotiques de la mélatonine impliquent des récepteurs à haute affinité. Ceci indique que tous les agonistes de ces récepteurs sont potentiellement des drogues chronobiotiques. Conclusions et perspectives Une perturbation des rythmes est observée dans certaines pathologies (e.g. dépression, altération métabolique) et les perturbations induites sont associées, a plus ou moins long terme, à l’émergence de pathologies spécifiques (troubles du sommeil, ulcères, obésité, diabète, affections cardiovasculaires, cancers). Un effet boule de neige est aussi apparent. Par exemple l’obésité se traduit par des changements profonds dans les rythmes mais la désynchronisation interne qui en résulte va par elle-même aggraver l’obésité. Un tel “cercle vicieux” peut aussi être noté dans les altérations du sommeil, les troubles psychiatriques et peut-être les affections cardiaques et le cancer. Comme discuté dans cette revue, l’organisation temporelle des fonctions d’un organisme par rapport au fonctionnement des organes (par exemple la prise de nourriture journalière doit être précisément coordonnée avec le fonctionnement quotidien de l’axe glucose-insuline, les séquences du cycle sommeil doivent être en phase avec le cycle jour/nuit, etc.) dépend d’un réseau d’horloges, d’oscillateurs centraux ou périphériques, de signaux synchroniseurs, et de voies nerveuses et hormonales complexes. Agir sur ce réseau pour induire une bonne synchronisation interne des fonctions est une des stratégies possibles pour traiter, prévenir ou retarder l’apparition des troubles liés aux désynchronisations. Les causes de ces désynchronisations toutefois peuvent être multiples et se situer aux différents niveaux d’organisation du système (rétine, horloge, voies nerveuses synchronisatrices, voies nerveuses de sortie, réponses hormonales, etc.). Comprendre l’organisation hiérarchique du système circadien multi-oscillant avec les NSC comme chef d’orchestre peut aider la recherche clinique en ciblant les NSC pour développer de nouvelles approches thérapeutiques. Contrairement aux autres efférences hormonales de l’horloge, le rythme de MLT est très stable et ne dépend que des NSC et du cycle jour/nuit. Comme détaillé dans la présente revue, la MTL est plus qu’une efférence des NSC. Du fait de la présence de récepteurs melatoninergiques dans les SCN, la MLT exogène a des propriétés chronobiotiques. Les agonistes et antagonistes spécifiques aux divers récepteurs de la MLT sont donc des outils pharmacologiques utiles aux innovations thérapeutiques dans ce domaine particulier. n Correspondance Paul Pévet Institut des Neurosciences Cellulaires et Intégratives Département Neurobiologie des Rythmes, UPR 3212 CNRS Université de Strasbourg 5 rue Blaise Pascal 67084 Strasbourg E-mail : [email protected] Mots-clés : Dépression, Noyaux suprachiasmatiques, Hypothalamus, Rythmes circadiens, Horloge biologique, Gènes-horloges, Mélatonine Bibliographie 1. Challet E, Pevet P. Interactions between photic and nophotic stimuli to synchronize the mammalian circadian clock. Frontiers in Bioscience 2003 ; 8 : 246-57. 2. Challet E., Mendoza J, Dardente H et al. Neurogenetics of food anticipation. Europ. J. Neurosc 2009 ; 30 : 1676-87. 3. Dardente H, Cermakian N. How many pieces to build a circadian clock? Med Sci (Paris) 2005 ; 21 : 66-72. 4. Schibler U, Ripperger J, Brown SA. 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