CONFÉRENCE DE PRESSE ANNUELLE DU 4 JANVIER 2017 Daniel Lampart, économiste en chef et premier secrétaire de l’USS Des impulsions plus fortes en politique monétaire et fiscale sont nécessaires Un PIB par habitant en quasi-stagnation Ces dernières années, l’économie suisse n’a connu qu’une croissance faible par habitant. Le PIB par habitant n’est supérieur aujourd’hui que de 0,8 % au niveau qui était le sien avant l’éclatement de la crise financière en 2008. Par rapport à l’Allemagne – par le passé, la Suisse s’était développée au même rythme qu’elle – un écart de 4 % s’est même creusé concernant leur croissance économique respective. La surévaluation du franc est la principale cause de cette évolution. Elle a durement impacté notre pays. Sans cette forte surévaluation, le PIB suisse par habitant serait aujourd’hui supérieur de 3 000 francs, comme le montre les modèles économétriques. Le choc du franc nous coûte en tout approximativement 25 milliards de francs par an. PIB réel par habitant (2008=100 ; 2016 estimation) 110 105 100 95 90 85 80 95 00 05 Schweiz Suisse 10 15 Deutschland Allemagne Depuis 2015, la Suisse fait partie des rares pays au monde où le chômage augmente. Désormais, notre pays est en moins bonne position que l’Allemagne. Pour la première fois, son taux de chômage est plus élevé que son voisin d’outre-Rhin. Selon les prévisions conjoncturelles, aucune vraie amélioration de la situation n’est en vue. L’Union syndicale suisse (USS) s’attend pour 2017 2 à une croissance du PIB d’environ 1,5 %, à un renchérissement d’environ 0,3 % et à un taux de chômage de 3,3 % (SECO), de 4,7 % (BIT) . 1 Taux de chômage, comparaison internationale (désaisonnalisé, selon le BIT) EU-28 UE 28 Suisse Schweiz Allemagne Deutschland USA 12 10 8 6 4 2 0 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016 Une place industrielle sous pression, quand elle serait plus importante que jamais à cause de la fin du système fiscal offshore Des pans entiers de l’économie d’exportation sont désormais confrontés à une forte pression. L’industrie des machines, des équipements électriques et des métaux a perdu des parts sensibles de marché. Les chiffres de l’emploi le montrent aussi. Alors que les constructeurs de machines allemands ont augmenté d’environ un quart l’effectif de leur personnel depuis 2008, 14 % des emplois de cette branche ont disparu en Suisse. Une tendance à la hausse n’est toujours pas en vue. Emploi dans l’industrie des machines : Suisse vs Allemagne (2008=100, désaisonnalisé) 130 Allemagne Deutschland Suisse Schweiz 120 110 100 90 80 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 1 L’USS établit ses prévisions en examinant quelles données récoltées (enquêtes auprès des entreprises entre autres), ont une propriété d’indicateur avancé concernant le PIB, le chômage et le renchérissement. Sur la base de ces données permettant de formuler des prévisions, un modèle est créé afin de calculer les prévisions concrètes pour l’année à venir. 3 Or il serait plus important que jamais que la place industrielle enregistre une croissance. En effet, le système fiscal suisse offshore et les recettes qui vont de pair pour la place financière touche à sa fin. Le secret bancaire a déjà été supprimé pour les clients privés étrangers. Et avec le BEPS , ce sera à l’avenir sensiblement plus difficile de transférer en Suisse de la substance fiscale étrangère en l’absence de production dans notre pays. Et les taux d’imposition très bas ne sont d’aucune aide ici. Au contraire, les mesures publiques d’austérité diminuent l’attractivité de la place industrielle (formation, infrastructure de transport, etc.). 2 Politique monétaire : une orientation pas claire À cause de la surévaluation du franc, les conditions générales monétaires sont restrictives pour l’économie suisse. Or les objectifs de la politique monétaire ne sont pas clairs. Ainsi, la Banque nationale suisse (BNS) a fait savoir en décembre dernier qu’elle allait tenir compte de la « situation pour l’ensemble des monnaies ». Mais elle n’en a pas dit plus sur ce que cela signifie exactement. Implicitement, cela signifie certainement qu’elle renonce à son orientation traditionnelle, c’est-à-dire en fonction des principaux partenaires commerciaux du pays (mark allemand, puis, euro). Or, étant donné que la part de la zone euro aux importations suisses est de 70 %, il n’y a pas d’autre solution que cette orientation, également du point de vue de la stabilité des prix. Le renchérissement en Suisse est influencé par l’euro, pas par le dollar ou la livre anglaise. Une politique monétaire qui tient compte du dollar ou d’une autre monnaie est inefficace. Car, ou bien elle entraînera un manque de clarté quant aux objectifs de cours poursuivis par la BNS, ou bien celle-ci devrait créer un équilibre entre les grandes zones monétaires de l’euro et du dollar, ce qui est absurde. Un pouvoir d’achat diminué à cause du 2e pilier Entre-temps, l’économie intérieure qui, surtout grâce à la croissance démographique, a fort bien tiré son épingle du jeu ces dernières années, commence aussi à s’essouffler, en particulier parce que le pouvoir d’achat ne croît plus aussi vigoureusement. Ici, les principaux problèmes sont la e stagnation de l’emploi (en équivalents plein temps), la hausse des cotisations du 2 pilier, la baisse des rentes du même pilier et les programmes d’austérité publics. e Cette évolution du 2 pilier devrait s’accentuer pendant cette année qui commence, parce que les caisses de pensions tablent sur une faiblesse persistante des rendements des capitaux d’épargne. Compte tenu de ces hypothèses, soit les rentes baisseront, soit il faudra augmenter les cotisations afin de compenser les baisses des rentes (cf. texte de Doris Bianchi). Le risque, ce sont des salaires nets en baisse, avec les incidences négatives induites sur le pouvoir d’achat. 2 BEPS : Base Erosion and Profit Shifting, ou Érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices : programme de l’OCDE destiné à endiguer l’optimisation fiscale des entreprises via des transferts de bénéfices ou des réductions des bénéfices. 4 Taux de cotisation selon le règlement des caisses de pensions (moyenne en %, 2016/17 prévisions de l’USS) 3 20.0 19.5 19.0 18.5 18.0 17.5 17.0 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 15 16 17 Taux dereglementarischer cotisation sel. règlement Mittlerer Beitragssatz Prévisions Prognose e Taux de conversion et rente moyenne du 2 pilier (taux de conversion. en %, rente en francs) 4 7.0 37,200 6.9 37,000 6.8 36,800 6.7 36,600 6.6 36,400 6.5 36,200 6.4 36,000 6.3 35,800 6.2 35,600 6.1 35,400 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 15 16 Umwandlungssatz Swisscanto Taux de conversiongem. selon Swisscanto Durchschnittliche Männer (r.dr.) Skala) Rente du 2e pilierPensionskassenrente, moyenne, homme (échelle Les primes des caisses-maladie alourdissent aussi la charge supportée par les gens, avant tout les revenus moyens. Le recul enregistré concernant les réductions des primes est particulièrement inquiétant (sans aide sociale ni prestations complémentaires PC). Malgré la forte hausse des primes des caisses-maladie, les cantons ont réduit leur contribution, alors que les couples utilisent déjà plus de 10 % de leur salaire brut pour payer ces primes . 5 3 4 5 Cotisations selon les règlements des caisses de pensions divisé par la masse salariale assurée selon la statistique des caisses de pensions de l’OFS (2004-2014). 2015, selon la Commission de haute surveillance. Selon la statistique des caisses de pensions. Pour les femmes, l’évolution est moins univoque, car leur âge de la retraite a été relevé et leur processus d’épargne est quelque peu différent de celui des hommes (en particulier à cause de leur participation structurellement croissante au marché du travail). Voir D. Lampart, K. Schüpbach, D. Gallusser, Rapport 2016 de l’USS sur la répartition des salaires, des revenus et de la fortune en Suisse, p. 19 ss ; http://www.uss.ch/fileadmin/user_upload/117f_DL-KS-DG_Rapport-repartition_2016-internet.pdf 5 Primes des caisses-maladie, réduction des primes, salaires (corrigé de l’influence des prix, sans aide sociale ni PC) Primes Prämien 120% Prämienverbilligungen Réduction primes Löhne Salaires +106% 100% 80% 60% 40% +32% 20% +13% 0% -20% 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009 2011 2013 2015 Par contre, la charge des entreprises et des actionnaires a été sensiblement allégée. Le taux moyen de l’impôt sur le bénéfice des entreprises taxées selon la procédure ordinaire a baissé. S’y ajoutent de nombreux privilèges fiscaux que les cantons n’ont appliqués qu’aux entreprises internationales mais aussi aux entreprises suisses classiques. Les actionnaires profitent surtout de la RIE II, via l’imposition partielle et le principe de l’apport de capital. Depuis leur introduction, ces allégements fiscaux ont coûté plus de 10 milliards de francs aux pouvoirs publics et plus de 2 milliards à l’AVS . 6 Taux de l’impôt sur le bénéfice des sociétés de capitaux taxées selon la procédure ordinaire (EATR selon BAKBasel, pondéré avec le produit de l’impôt sur le bénéfice des cantons ) 7 8 20% 19% 18% 17% 16% 15% 14% 13% 12% 11% 10% 2003 6 7 8 2005 2007 2009 2011 2013 2015 L’USS a publié analyse sur cette question (en allemand) : http://www.sgb.ch/fileadmin/user_upload/Dokumente/Beilagen_Medienmitteilungen/161227_Ausfaelle_usrII.pdf. EATR = mesure de la charge fiscale effective. Aucune donnée pour les années 2004, 2006 et 2008. 6 Priorités de la politique économique Le chômage doit baisser. Les bas et moyens revenus ont besoin que le poids représenté par leurs cotisations aux assurances sociales diminue via la rétrocession de recettes de la BNS et de la Confédération, mais aussi à travers le renforcement de l’AVS dont le rapport cotisationsprestations est imbattable. Par contre, étant donné le niveau déjà bas des impôts en Suisse, baisser de manière générale l’impôt sur le bénéfice des entreprises dans le cadre de la RIE III revient à dilapider de l’argent. Il faut refuser de telles baisses. L’USS attend de la BNS qu’elle s’oppose avec beaucoup plus d’énergie à la surévaluation du franc. Le but à court terme doit être de stabiliser le taux de change aux alentours de 1,10 franc pour 1 euro et ensuite d’arriver rapidement à un taux modéré qui ne porte pas préjudice à la Suisse. Aujourd’hui, la BNS gagne environ 1,2 milliard de francs grâce aux taux d’intérêt négatifs. Cet argent doit être versé aux assurances sociales, par exemple au Fonds de garantie LPP. Le Fonds de compensation AVS (compenswiss) doit échapper intégralement aux taux d’intérêt négatifs. Les réductions des primes des caisses-maladie doivent être plus importantes. Personne ne doit être contraint de dépenser pour son assurance-maladie plus de 10 % de son revenu net corrigé des déductions pour enfant. À moyen terme, la charge représentée par les primes devra être d’au maximum 8 % de ce revenu. À long terme, l’assurance-maladie devra être financée en fonction des revenus, comme toute assurance sociale. La commission de la concurrence encaisse chaque année environ 300 millions de francs d’amendes. Par là, elle puise entre autres dans des rendements réalisés par d’anciens cartels d’entreprises qui ont agi au détriment des consommateurs et des consommatrices. Cet argent doit être rendu à la population, via une réduction des primes des caisses-maladie, comme cela se fait avec le produit de la taxe sur le CO2. La prospérité suisse repose sur des services publics de très grande qualité. La Confédération, les cantons et les communes doivent préserver cette réalité à travers leur politique des dépenses. Les baisses d’impôt exagérées du type RIE III sont de l’argent jeté par les fenêtres, de l’argent qui fera plus tard défaut pour financer des tâches importantes comme la formation entre autres.