`utilisation stratégique des droits de l`Homme par la

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Armony ALTINIER
L’utilisation stratégique des droits de l’Homme
par la République populaire de Chine
Mémoire de maîtrise de science politique
Sous la direction de Monsieur le Professeur Jean KLEIN
Université Paris 1 PANTHEON-SORBONNE
Année 2003-2004
Septembre 2004
Sommaire
Avant­propos et conditions d'utilisation..............................................................1
Licence du document..........................................................................................2
Introduction............................................................................................................3
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme...........................................................................................6
Chapitre 1 Ouverture de la Chine aux étrangers et implication dans les organisations internationales................................................................7
Section 1 Le changement d’attitude de la RPC depuis 1978 : une image travaillée.......................................................................................8
§ 1. La part active du régime chinois dans son ouverture au monde........8
§ 2. L’utilisation stratégique d’une ouverture contrôlée..............................9
§ 3. Une méthode bien rodée..................................................................10
Section 2 L’utilisation des failles du système onusien au profit de la Chine : l’exemple de la CNUDH.............................................12
§ 1. Les défaillances dues à l’organisation même...................................12
§ 2. L’activisme chinois dans la redéfinition des priorités de la commission
................................................................................................................13
§ 3. La complaisance de circonstance des Occidentaux.........................14
Chapitre 2 Le décalage de la politique déclaratoire chinoise et des engagements pris par la R.P.C. avec la réalité de ses actions.............................................................................17
Section 1 Un discours conforme aux attentes de la communauté internationale des droits de l’homme..................................................................................18
§ 1. L’adoption de textes en guise de sésame.........................................18
§ 2. L’élaboration d’un discours sur les droits de l’homme.......................19
§ 3. La constitution d’une société civile et les limites de la libéralisation. 20
Section 2 La sombre réalité de la violation délibérée des droits de l’homme en Chine..................................................................23
§ 1. Les laogai 劳改.................................................................................23
§ 2. Un usage abusif de la peine de mort................................................24
§ 3. Le contrôle de l’expression par le Parti............................................25
Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire ................................................................................27
Chapitre 1 La démocratie occidentale dans la Chine d’aujourd’hui : Une greffe impossible ?......................................................................................................28
­ I ­
Section 1 L’argument de l’incompatibilité des valeurs asiatiques avec la notion occidentale de droits de l’homme..........................................29
§ 1. L’humanisme confucéen à la source de la vision chinoise du monde
................................................................................................................29
§ 2. Universel contre relativisme culturel.................................................30
§ 3. La qualification du régime politique chinois......................................31
Section 2 La participation des élites au maintien du pouvoir........................................33
§ 1. L’impossible distinction privé/public .................................................33
§ 2. Une élite en mutation.......................................................................33
§ 3. Le rôle de l’élite selon les intellectuels chinois.................................35
Chapitre 2 Les effets pervers de la modernité occidentale.................................................38
Section 1 Puissance économique et gouvernance : le duo « démocraticide ».............39
§ 1. La liberté par l’expertise...................................................................39
§ 2. Une approche dépolitisée de la gestion des affaires publiques........40
§ 3. Le succès économique, critère exclusif du bon fonctionnement politique...................................................................................................40
Section 2 La mauvaise image du politique dans la jeunesse chinoise.........................43
§ 1. La montée de l’individualisme..........................................................43
§ 2. L’engagement associatif plutôt que la politique qui corrompt...........44
§ 3. La démocratie, pour quoi faire ?.......................................................45
Conclusion............................................................................................................47
Annexes................................................................................................................49
Annexe 1 Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme
Statut des instruments internationaux relatifs aux Droits de l'Homme ..........................................................................50
Annexe 2 Réserve de la Chine au PIDESC......................................................................52
Annexe 2 bis ­ Extrait du PIDESC :...................................................................53
Annexe 3 Chine : Taux bruts de natalité, de mortalité et d'accroissement naturel, pour mille, 1954­1990. ..............................................................................................54
Table des sigles....................................................................................................55
Bibliographie........................................................................................................56
Sociologie générale..........................................................................................56
Sociologie politique et des relations internationales..........................................56
Organisations internationales............................................................................56
La participation des élites au pouvoir................................................................57
Ouvrages généraux sur la Chine.......................................................................57
Droits de l’homme.............................................................................................57
Chine et droits de l’Homme...............................................................................58
Internet..............................................................................................................58
Presse...............................................................................................................59
Quotidiens....................................................................................................59
Autres...........................................................................................................59
­ II ­
B
eaucoup de chemin a été fait depuis la rédaction de ce mémoire, réalisé
alors dans le cadre d'une maîtrise de science politique spécialisée en
relations internationales à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
en 2004.
M. le professeur Jean KLEIN, que je n'ai rencontré qu'à l'occasion de ma soutenance,
enseignait alors la stratégie politique. Ayant été, au cours de cette année universitaire,
alitée quasiment toute l'année, il a gentiment accepté, et bien qu'il ne me connaissait
pas, d'être mon directeur de recherches, ce qui m'a permis de passer ma soutenance en
septembre, ainsi que l'ensemble des examens, et ainsi de valider ma maîtrise. Qu'il en
soit ici remercier.
Avant­propos et conditions d'utilisation
Avant-propos et conditions d'utilisation
Beaucoup de chemin parcouru disais-je donc, tant d'un point de vue personnel que du
côté de ce pays-continent : la Chine. Et en même temps, sur le fond, peu de choses ont
évolué concernant le sujet traité : l'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la
République populaire de Chine.
Ayant ajouté à mes spécialités le Web et en particulier l'accessibilité du Web et les
logiciels libres, je souhaite aujourd'hui mettre ce travail à disposition sur le Net, sans
modification ni mise à jour. Il s'agit donc de la version rédigée et remise lors de ma
soutenance en septembre 2004.
Bonne lecture !
Fait à Ermont, le 3 novembre 2009,
Armony ALTINIER-DIDON.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Introduction
Introduction
Tout ce qui sépare la Chine de l’Occident a depuis longtemps constitué une source de
curiosité pour les chercheurs et les aventuriers en tous genres. La barrière de la langue
et la difficulté de se procurer des archives ou des documents officiels dans un régime
peu enclin à laisser transparaître certaines informations en ont toutefois découragé plus
d’un. A tel point qu’aujourd’hui, il y a bien peu d’études sur la Chine en sciences
humaines en langue française, la maîtrise de l’anglais s’imposant aux sinophiles pour
approfondir leurs connaissances. Cependant, depuis quelques années, la Chine tend à
s’imposer dans tous les domaines et l’organisation d’évènements visant à mieux faire
connaître la culture chinoise a fait de cette puissance montante un vrai phénomène de
mode, suscitant des vocations.
Les années croisées France-Chine1 en sont un exemple parmi d’autres. Mais alors qu’à
l’occasion justement de l’année de la Chine en France, le Salon du Livre mettait ce
pays à l’honneur, le prix Nobel de littérature, GAO Xingjian, était prié de rester chez
lui, en région parisienne. La raison de cette mise à l’écart ? L’engagement de cet
écrivain de renom en faveur des droits de l’homme pourrait embarrasser les autorités
chinoises. Évidemment, ce n’est pas la raison officiellement donnée. Mais il est
difficile de croire que le simple fait que GAO ait acquis la nationalité française soit un
motif suffisant pour l’exclure d’une manifestation de cette importance. D’autant que le
Salon du Livre avait également prévu d’accueillir des écrivains de la diaspora.
Cet épisode est révélateur de deux choses. Malgré la volonté de Pékin de s’ouvrir au
monde et de s’insérer dans le jeu international aux côtés des puissances mondiales, il
est des sujets sur lesquels les autorités chinoises ne transigent pas. Quant à l’attitude de
la France à cette occasion, le fait qu’elle se soit pliée aux desiderata de Pékin au
détriment des principes de respect des droits de l’homme et plus simplement de
reconnaissance littéraire, exprime toute l’ambiguïté de ces puissances étrangères qui,
pour investir le marché chinois, cultivent des amitiés avec un régime qui va à
l’encontre des plus hautes valeurs défendues par les pays en question.
Ainsi, au delà du phénomène de mode, la Chine mérite une attention plus ciblée sur les
pratiques politiques de son régime. Le taux de croissance économique envié par tous
les pays développés, les progrès enregistrés au niveau des libertés individuelles et
même la constitution d’une société civile sont autant de dérivatifs utilisés par le Parti
communiste chinois (PCC) pour mieux préserver le régime en place et détourner
l’attention de la communauté internationale de la situation politique dans le pays. Il ne
s’agit pas pour nous de nier les réelles avancées que la Chine a connu depuis vingt ans
dans la modernisation globale du pays. En cela, la page du maoïsme a bien été tournée.
Toutefois, si la réforme de l’économie engagée dans les années 1980 a permis à la
Chine d’entrer dans l’ère capitaliste – son adhésion à l’Organisation mondiale du
commerce en décembre 2001 tenant lieu d’aboutissement de son projet
d’investissement sur la scène internationale – la réforme politique quant à elle ne
semble pas être inscrite sur l’agenda de Pékin. Alors que la Chine évoque de plus en
plus facilement la question des droits de l’homme, la rhétorique employée dénote
cependant une réticence toujours très importante quand il s’agit de faire des rapports
indépendants sur l’état réel de la situation dans le pays. Et dès que des mises en cause
directes sont faites à son égard, les grands discours font place à une diplomatie plus
menaçante, recourant à tous les moyens disponibles pour faire cesser les débats, quand
elle ne peut tout simplement les éviter. C’est cette façon déconcertante avec laquelle
Pékin manipule le débat qui nous fait penser qu’il existe bien une stratégie chinoise
utilisant la notion de droits de l’homme pour servir les intérêts du Parti, au premier
1
Ces « années croisées » commencent par l’année de la Chine en France en 2003-2004 et se
poursuivent par l’année de la France en Chine en 2004-2005.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Quand on parle de droits de l’homme, il ne faut pas perdre de vue la portée idéologique
et politique de ces termes. Née en Europe et aux États-Unis à la fin du XVIIIe siècle, la
notion a fini par s’imposer sur la scène internationale comme incontournable et
universelle. Aucun des États membres de l’ONU ne se risquerait aujourd’hui à
dénoncer leur existence, quand bien même ils ne les respectent pas. Le fait que cette
notion d’origine occidentale se soit répandue à travers le monde a parfois été dénoncé
comme de l’hégémonisme culturel. Pour autant, la reconnaissance officielle de la
légitimité des droits de l’homme par l’ensemble des États membres de l’ONU semble
avoir réglé le problème de l’existence de tels droits. La critique s’est alors tournée vers
le modèle démocratique de gouvernement. Mais peut-on envisager un État garantissant
le respect de l’ensemble des droits de l’homme et ne fonctionnant pas sur un modèle
démocratique ? En réalité, la démocratie est une composante essentielle des droits de
l’homme. C’est elle qui permet de répondre au volet politique de ces droits, celui qui
offre la possibilité aux individus citoyens d’un État de choisir librement leurs
représentants. Il est vrai que cette conception des droits de l’homme correspond à un
modèle particulier et historiquement daté, mais l’universalité de ces valeurs n’empêche
pas la portée politique dont elles sont dotées.
Introduction
rang desquels le maintien du monopole qu’il exerce sur la vie politique chinoise.
Alors que la fin de la Guerre froide devait proclamer la victoire du camp démocratique,
le fait que de nombreux régimes continuent à bafouer les droits de l’homme prouve que
la bataille idéologique est loin d’être terminée. Et la Chine entend bien s’investir dans
ce combat afin d’écarter les risques d’un changement politique. Ne pouvant échapper à
un débat sur les droits de l’homme, le Parti communiste chinois a donc décidé de
l’adapter à ses propres intérêts. En inventant un discours chinois sur les droits de
l’homme, Pékin rompt avec son ancienne politique de dénégation pour se constituer
une nouvelle respectabilité internationale, condition essentielle à sa reconnaissance en
tant que grande puissance. Aussi a-t-elle élaboré toute une stratégie dont le but
politique est la conservation du pouvoir au bénéfice exclusif du Parti. C’est donc pour
préserver le monopole du pouvoir que le PCC a cherché à répondre à un double
objectif. Sur le plan international, la Chine avait surtout besoin de sortir de son
isolement. Avec la mondialisation des échanges, l’enfermement politique et
économique revient à terme à une implosion du régime, et cela les autorités chinoises
l’ont bien compris. En observant le retard accumulé par la RPC dans tous les domaines
par rapport aux pays occidentaux, le PCC aimerait trouver le moyen de changer le
rapport des forces à son avantage. Mais pour cela, encore faut-il « revenir dans le
monde ». L’objectif est donc de s’investir totalement sur la scène internationale en tant
que puissance mondiale devant rivaliser à terme avec les États-Unis. Ce besoin de
reconnaissance et de légitimité internationales dans un monde de plus en plus globalisé
passe notamment par l’adhésion aux grands principes du droit international, au premier
rang desquels figurent les droits de l’homme. Cet objectif requiert de la part de la RPC
une démarche active, se plaçant alors dans une posture offensive.
Le deuxième aspect de son objectif stratégique tend à assurer un minimum de liberté
aux citoyens chinois pour éviter une explosion sociale, tout en maintenant un contrôle
strict sur le plan politique afin de préserver la stabilité du régime. La distribution
sélective et contrôlée des libertés civiles à la société sert dans ce cas à prévenir contre
toute action de masse susceptible de renverser le pouvoir.
Le discours sur les droits de l’homme, autrefois dénoncé par le pouvoir de Pékin, est
donc aujourd’hui utilisé par la Chine, tant sur le plan interne qu’au niveau
international, pour conforter un régime qui n’a rien de démocratique. Alors que la
Chine se targue d’être entrée dans l’ère de la modernité, ne serait-ce pas justement cette
prétendue modernité occidentale, dont le symbole serait le succès économique, qui
donnerait les clés au PCC pour assurer la stabilité d’un pouvoir post-totalitaire ?
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Introduction
Cette problématique n’est peut-être pas très répandue, mais elle soulève des questions
qui nous semblent essentielles pour comprendre la Chine d’aujourd’hui et sortir d’une
espèce de béatitude ambiante face aux « progrès » permis par le PCC et aux efforts qui
seraient le symbole de sa prétendue « bonne foi » pour jouer le jeu politique selon les
règles internationales en vigueur. Évidemment, le constat peut sembler pessimiste,
puisque tout au long de ce mémoire nous avons essayé de trouver les arguments devant
convaincre du bien-fondé de notre hypothèse. Peu d’espace a ainsi été consacré aux
militants des droits de l’homme et aux démocrates chinois qui se battent pour dénoncer
les abus du régime commis contre les droits de l’homme. Leur combat est certes
important dans la définition d’un contre-pouvoir devant permettre la création d’une
société civile. Mais notre parti a été de nous placer du point de vue des autorités
chinoises afin de démontrer la subtilité avec laquelle elles parviennent à manipuler
leurs partenaires et la population.
Ainsi, l’investissement de la Chine dans le système international des droits de
l’Homme n’est pas anodin et l’observation de son attitude dans les débats les
concernant démontre une volonté persistante des autorités chinoises de garder le
contrôle (1ère partie). C’est alors que les droits de l’homme, concept devant en principe
être le moteur d’une émancipation de la société, se voient utilisés pour servir la stabilité
du régime de Pékin (2ème partie).
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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L’INVESTISSEMENT DE LA CHINE
DANS LE SYSTÈME INTERNATIONAL
DES DROITS DE L’HOMME
Alors que les débats se multiplient pour savoir si la Chine est
entrée ou non dans le monde2, la réponse semble s’imposer tant
les efforts fournis par Pékin pour promouvoir son ouverture sont
importants (Chap. 1). Mais à ces effets d’annonce véhiculant
souvent une image publicitaire de ce pays, il convient de
s’interroger sur la signification réelle de cette entrée dans le
monde, si tant est que l’on puisse vraiment parler d’ouverture
(Chap. 2).
2
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme
PREMIÈRE PARTIE
À l’occasion de la 24e édition du Salon du livre de Paris pour laquelle la Chine était à l’honneur,
l’un des débats était intitulé « La Chine dans le monde, la Chine et le monde ».
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Loin du portrait d’une Chine sclérosée, fermée sur elle-même, le
pouvoir chinois s’est efforcé de créer depuis le début des années
1980 une image reflétant son ouverture sur le monde (Section 1).
Mais, alors que de réels changements ont eu lieu après la mort de
Mao, cette ouverture est restée sous le contrôle politique de
Pékin qui a su s’adapter aux règles du jeu international, comme
« l’eau [qui] n’a de forme fixe »3 (Section 2).
3
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme
Chapitre 1
Ouverture de la Chine
aux étrangers et implication
dans les organisations internationales
Cette image renvoie au chapitre VI, « Vide et Plein », du traité sur l’art de la guerre de maître Sun.
Il recommande la souplesse dans l’organisation des forces armées en préconisant l’adaptation des
formations selon les principes taoïstes des cinq éléments et des quatre saisons. Voir SUN Tzu,
L’art de la guerre, Paris, Hachettes Littératures, 2000, p. 68.
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§ 1. La part active du régime chinois dans son ouverture au monde
Si la mort de Mao Zedong en 1976 constitue une rupture significative dans la vie
politique chinoise, il faut attendre l’année 1978 pour que la faction réformatrice du
Parti communiste chinois (PCC), les « rénovateurs », arrive au pouvoir. A la tête des
rénovateurs, Deng Xiaoping jouera un rôle prépondérant dans la démaoïsation du pays.
Cette « rénovation » passera notamment, en juin 1979, par la promulgation d’un code
pénal et d’un code de procédure pénal, et par le lancement d’un programme de
compilation de divers autres codes, dont le code civil en 1986 4. Par ailleurs, c’est
également en 1979 que la Chine commence à mettre en place des mesures pour ouvrir
progressivement son économie aux entreprises étrangères. Mais, à la différence de ce
qui se passa dans les années 1920-1930, Marie-Claire BERGERE souligne que « cette
participation [étrangère au développement de la Chine] n’est plus subie : elle est
voulue par le gouvernement chinois qui en fixe les modalités, autant que par les
investisseurs étrangers, toujours fascinés par le mythe du marché chinois et désireux
de pratiquer des délocalisations propres à réduire leurs coûts de fabrication. »5. En
effet, jusqu’à la prise de pouvoir du PCC en 1949 qui correspondit à un retrait du
monde, toutes les initiatives prises par l’Occident pour pénétrer le marché chinois se
firent par la force et furent très mal vécues par la population elle-même qui développa
dès lors un nationalisme farouchement anti-occidental. Si l’on doit plutôt parler
d’agression de type impérialiste que de choc des cultures, cette approche n’aida pas à
surmonter les antagonismes existants entre deux civilisations riches d’une histoire et de
coutumes différentes. CHU Xiaoquan précise en ce sens que « l’antagonisme entre la
culture chinoise et la culture occidentale est en fait né d’une conjoncture historique
particulière »6. Ainsi, à cette ouverture forcée, qui s’étendit pendant près d’un siècle et
que d’aucuns qualifient de « siècle de la honte »7, a suivi un long repli de trois
décennies auquel Deng et ses acolytes ont mis fin, mais de manière volontaire cette
fois. Les mesures qu’ils prennent permettent d’abord, sur le plan intérieur, de tripler le
revenu des agriculteurs entre 1979 et 1985, en commençant par autoriser la création de
petites entreprises privées et en rétablissant le lien entre rémunération et production.
Mais c’est surtout au cours de l’année 1984 qu’une accélération décisive des réformes
va voir le jour. Parmi les mesures adoptées, la libéralisation de près de la moitié des
prix, la création de zones économiques spéciales au Guangdong, au Fujian et dans le
bas Yangzi, ainsi que l’ouverture de quatorze villes côtières aux investissements
étrangers. Cependant, toutes ces réformes n’entament en rien la structure du régime
chinois qui continue à réserver la direction des affaires publiques au bénéfice exclusif
du PCC. Ainsi va se poursuivre le train des réformes, alternant des mesures de
libéralisation de l’économie et un retour à des mesures de contrainte.8
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme
Section 1
Le changement d’attitude de la RPC depuis 1978 :
une image travaillée
Toutefois, même si la structure du régime chinois reste inchangée, l’ouverture d’une
partie de son économie va avoir pour effet immédiat de changer l’image de la Chine
4
5
6
7
8
VANDERMEERSCH Léon, « Droits et rites en Chine », in : MICHAUD Yves (Ed.), La Chine
aujourd’hui, Paris, Odile Jacob, 2003, p. 122.
BERGERE Marie-Claire, « Les tribulations du capitalisme en Chine », in : MICHAUD Yves
(Ed.), La Chine aujourd’hui, Paris, Odile Jacob, 2003, p.
CHU Xiaoquan, « Aspects de la vie intellectuelle et culturelle », in : MICHAUD Yves (Ed.), op.
cit., p. 167.
Le siècle de la honte commencerait à la moitié du XIXe siècle, avec les guerres de l’opium et
notamment le traité de Nankin du 29 août 1842. Il s’achève avec l’accession des communistes au
pouvoir le 1er octobre 1949. Voir l’article : « Les guerres de l’opium, le début du « siècle de la
honte » », in : Diplomatie Magazine, n°9, juin-juillet 2004, p. 34.
GERNET Jacques, Le Monde chinois, Paris, Armand Colin, 1999, p.580-581.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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§ 2. L’utilisation stratégique d’une ouverture contrôlée
Les mesures prises par Pékin ne relèvent pas d’un changement d’idéal, mais plutôt du
constat pragmatique de la nécessité de s’ouvrir au monde pour mieux en tirer parti. Ce
constat s’accompagne d’une réalité d’autant plus difficile que la situation de la Chine
au sortir de trente années de fermeture maoïste rend les réformes économiques tant
indispensables que délicates. En effet, comme le remarque Rosemary FOOT, « La
composition démographique de la Chine, son impact aussi bien réel que potentiel dans
les domaines de l’environnement, de la stratégie et de l’économie[…] augmentent les
effets de son attitude envers les normes centrales[…], mettant ainsi en lumière les
faiblesses de la Chine si elle choisissait de se tenir à l’écart du système et sa force si
elle décide d’y adhérer. »9 Ayant compris le danger que courrait la Chine à rester en
dehors d’un monde caractérisé par la circulation accélérée de flux en tous genres, Deng
et les rénovateurs réalisèrent une « ouverture contrôlée »10 en négociant habilement un
retour dans le monde qui lui a épargné des modifications majeures de son système
d’organisation intérieur. Ce qui fait, comme l’écrit Jean-Luc DOMENACH, « la
grande originalité de la situation chinoise »11. La part résolument active que prend le
pouvoir chinois dans son ouverture au monde révèle donc tout à la fois une volonté de
jouer un rôle dans le monde, mais aussi, et peut-être surtout, l’espoir de maintenir le
régime en place en dynamisant l’économie par l’apport de capitaux étrangers, condition
de survie du régime dans une Chine économique dévastée par les trente années de
fermeture passées. Ainsi, c’est paradoxalement son entrée dans la mondialisation qui
aura permis au Parti communiste chinois (PCC) de survivre et de placer la Chine sur le
devant de la scène internationale.
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme
sur la scène internationale. Ainsi, alors que dès 1971 la RPC entrait au Conseil de
sécurité de l’ONU au détriment de Taiwan, et malgré la visite de Nixon dans la capitale
chinoise le 21 février 1972, ce n’est qu’en 1979 que les États-Unis reconnaissent
officiellement la RPC en rétablissant des relations diplomatiques avec Pékin.
La question que l’on peut se poser alors, c’est en quoi l’entrée de la Chine sur la scène
internationale lui permet-elle de renforcer son pouvoir ? En effet, l’ensemble du corpus
juridique international s’appuie sur une contribution directe des pays occidentaux qui
se sont inspirés de leur histoire particulière pour l’élaborer. Le droit international recèle
donc toute une série de contraintes pour les pays qui y adhèrent, notamment en matière
de respect des droits de l’homme, notion a priori étrangère au système de pensée
traditionnel chinois12. Ainsi, il est plutôt difficile pour les régimes autoritaires de se
soumettre à ces normes sans risquer de perdre leur identité. C’est pourquoi nombre
d’auteurs ont tendance à confondre l’adhésion progressive de la Chine au système de
normes internationales avec une victoire de « l’impérialisme démocratique » auquel nul
pays ne pourrait échapper à terme. Une autre approche privilégie l’apparition de
nouveaux acteurs, en particulier les Organisations non gouvernementales (ONG), et
l’autonomisation des organisations internationales (OI) pour expliquer que cette
participation de la RPC au régime international des droits de l’homme est une preuve
de l’universalisation inéluctable d’une nouvelle diplomatie extra-étatique. Ce qui fait
écrire à Bertrand BADIE que les droits de l’homme auraient cessé « d’être un
habillage rhétorique pour devenir un instrument d’action du plus fort chez le plus
9
FOOT Rosemary, Rights Beyond Borders : The Global Community and the Struggle over Human
Rights in China, New York, Oxford University Press, 2000, p.62 [traduction personnelle]
10 DOMENACH Jean-Luc, « La Chine est-elle entrée dans le monde ? », in : MICHAUD Yves
(dir.), La Chine aujourd’hui, Paris, Odile Jacob, 2003, p.258.
11 Ibid., p.258.
12 Nous verrons dans la deuxième partie que si les droits de l’homme sont une invention européenne,
les penseurs chinois ont développé très tôt de leur côté les outils permettant de penser les droits
fondamentaux.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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§ 3. Une méthode bien rodée
La réforme du système politique chinois n’est pas une invention contemporaine. Les
réflexions sur une nécessaire refonte des institutions avaient déjà été entamées à la fin
de l’Empire, avant même les invasions occidentales16. Pierre-Étienne WILL écrit
d’ailleurs à ce sujet que « les solutions constitutionnelles « modernes » [chinoises] ne
sont jamais que les réponses les plus récentes à de vieilles questions tout à fait
« chinoises » »17. Les réformes commencées en 1978 ont donc bénéficié du résultat des
travaux précédents. Mais ce qui a été accompli au niveau de la libéralisation
économique était loin d’être envisagé au niveau de la société. Malgré cela, la mort de
Mao Zedong et la prise de pouvoir par les réformateurs a fait courir sur le pays un vent
d’espoir quant à l’avènement possible d’une ère de libertés . Profitant des luttes
opposant factions réformatrice et conservatrice au sommet du Parti, tout un mouvement
d’opposition va éclater au grand jour.18 Les démocrates expriment à cette occasion leurs
griefs et leurs espoirs sur les murs des grandes villes chinoises, et ce à travers tout le
pays. Réunissant victimes de l’ère maoïste, poètes et écrivains mais aussi des groupes
politiques, ce mouvement dit du « Mur pour la démocratie » ne durera que quelques
mois entre novembre 1978 et décembre 1979, ce qui pose d’emblée les limites de
l’ouverture amorcée par le régime. La méthode employée par le pouvoir pour éviter
que de tels mouvements de contestation ne s’autonomisent, d’une redoutable efficacité,
sera réutilisée pendant la terrible répression des mouvements étudiants du Printemps de
Pékin le 4 juin 1989, ainsi que lors de l’ensemble des révoltes paysannes ou ouvrières
qui auront lieu plus tard dans le pays.
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme
faible »13. Si l’on ne peut nier que « la référence aux droits de l’homme se fait
irrémédiablement présente, tel un paramètre qui doit se compter au nombre de ceux
qui pèsent sur l’action internationale »14, il semble que la Chine, qui ne figure pas
parmi les puissances les plus fortes, surtout face aux États-Unis, contredise cette
approche victimisante du régime de Pékin. Car, comme le fait justement remarquer
Jean-Luc DOMENACH : « l‘accumulation des contrôles a fait de l’ouverture chinoise
au monde une ouverture profondément stratégique, dont les cibles, l’ampleur et les
effets sur la scène politique sont en permanence demeurés sous le contrôle des
autorités […] »15.
Dans un premier temps, les autorités bloquent l’information, réduisant à néant
l’éventualité d’une structuration d’un mouvement d’une plus grande ampleur. Le
contrôle de l’information et le monopole de l’écriture de l’histoire exercé par le Parti
constituent une arme fondamentale pour le pouvoir, empêchant par ce contrôle la
structuration d’une mémoire qui permettrait aux différents mouvements d’opposition
de s’enraciner et de se construire en tant que force alternative. Après avoir isolé le
mouvement, les autorités s’emploient à punir les organisateurs, tuant dans l’œuf toute
possibilité de récidive.19 Ces méthodes, combinées à une propagande active entretenant
le nationalisme ambiant, sont directement issues de l’ère maoïste, dont le grand
mouvement anti-droitier de juin 1957 fournit un bon exemple. C’est à cette occasion
que Mao réprima les personnes qui, ayant obéi à son appel, avaient critiqué le pouvoir
13 BADIE Bertrand, La diplomatie des droits de l’homme : Entre éthique et volonté de puissance,
Paris, Fayard, 2002, p.88.
14 Ibid., p.112.
15 DOMENACH Jean-Luc, op. cit., p.251.
16 Sur la continuité du processus d’étatisation et sur l’évolution des réformes chinoises, voir :
KHUN Philip A., Les origines de l’État chinois moderne, Paris, Ed. de l’EHESS, 1999.
17 Ibid., p. 71.
18 BEJA Philippe, A la recherche d’une ombre chinoise : Le mouvement pour la démocratie en
Chine [1919-2004], Paris Seuil, 2004, p.34 + p.64-70.
19 Ibid., p.48 + BONNIN Michel, « Comment définir le régime politique chinois ? », in :
MICHAUD Yves (Ed.), La Chine aujourd’hui, Paris, Odile Jacob, 2003, p.233-234.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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S’il est vrai qu’aujourd’hui, avec justement l’ouverture du pays, le travail des ONG de
défense des droits de l’homme a été facilité et leur a permis de mener des campagnes
parfois de grande envergure, le pessimisme de Samy COHEN lorsqu’il écrit que « les
campagnes pour la défense des dissidents chinois n’ont eu d’autre effet que de
conduire le gouvernement chinois à un meilleur savoir-faire dans sa politique de
communication avec les gouvernements occidentaux […] »21 semble malheureusement
se vérifier. Car si Pékin a appris à relâcher son contrôle de la vie privée des individus
ainsi que de la vie économique, Michel BONNIN nous rappelle que « ce retrait n’est
que partiel, et, surtout, il s’agit d’une auto-limitation qui ne modifie pas
fondamentalement le rapport existant entre État et Individu. »22.
L’ouverture de la Chine est passée notamment par l’adoption progressive des normes
internationales autrefois honnies. Mais l’adoption des règles du jeu existantes permet à
la Chine de profiter des failles du système pour en changer les règles, ce qui est
d’autant plus prégnant lorsque l’on prend l’exemple de la Commission des Nations
Unies pour les droits de l’homme (CNUDH).
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme
du Parti. La dictature du Parti en était sortie renforcée20.
20 BEJA, Op. cit., p.39.
21 COHEN Samy, La résistance des États : Les démocraties face aux défis de la mondialisation,
Paris, Seuil, 2003, p.97.
22 BONNIN Michel, Op. Cit., p.238.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
­ 11 ­
§ 1. Les défaillances dues à l’organisation même
L’ONU, instrument ô combien imparfait de médiation entre les peuples pour le
maintien de la paix, est souvent pointée du doigt pour les dysfonctionnements dont elle
est l’objet23. Mais c’est pourtant le seul outil aujourd’hui en place susceptible de
prendre des dispositions au nom d’un intérêt proclamé universel. C’est bien cette
universalité supposée qui la rend incontournable, et c’est la raison pour laquelle il n’est
d’autre enceinte plus légitime que la CNUDH24 pour traiter du thème des droits de
l’homme dont l’universalité, si elle est loin d’être établie dans les faits, est du moins
aujourd’hui unanimement reconnue.
Or, la CNUDH souffre aujourd’hui de son statut même d’organisation internationale.
Certains auteurs25 tendent à présenter les organisations internationales, telle que la
commission, comme une enceinte réunissant des États libres et pleinement conscients
de leurs choix. Ce serait ignorer l’autonomie, certes relative, mais agissante, de ces
organisations. Contrairement à la vision réaliste, Marie-Claude SMOUTS souligne
même qu’ « une fois créées, les structures peuvent acquérir une dynamique
personnelle et s’interposer de manière significative dans le jeu des acteurs »26. Si nous
pensons qu’en dernier ressort, surtout pour des matières aussi sensibles que les droits
de l’homme, les États conservent une marge d’action supérieure à celle des
organisations, plusieurs effets découlant de cette autonomisation de la structure ont
contribué à dénaturer la mission première de la commission. Un de ces effets est la
dilution des objectifs initiaux de défense des droits de l’homme au profit d’une culture
organisationnelle du compromis. Les négociations à l’œuvre dans toutes les
organisations internationales rendent improbable, ou en tous cas peu souhaitable, toute
décision aboutissant à un jeu à somme nulle. Ainsi, à vouloir épargner à tout prix la
sensibilité de chacun, ce sont bien souvent les intérêts des victimes qui sont sacrifiés
sur l’autel des marchandages diplomatiques. Et la CNUDH, malgré la noblesse de son
objectif affiché, n’échappe pas à ce travers. En ajoutant à cela le principe démocratique
à l’œuvre dans la commission, principe selon lequel les membres sont élus et les
résolutions adoptées par l’ensemble des membres, en fonction du critère majoritaire, la
brèche est suffisamment importante pour permettre aux pays autoritaires de s’y
engouffrer afin de modifier le cours du jeu.
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme
Section 2
L’utilisation des failles du système onusien
au profit de la Chine : l’exemple de la CNUDH
Étant donné l’universalité de l’enjeu dont elle est porteuse, la logique visait
conséquemment à permettre l’entrée du plus grand nombre de pays possible en son
sein. On pourrait penser que les pays peu soucieux des droits de l’homme se tiendraient
à l’écart d’une telle organisation dont la vocation première est de dénoncer les pays en
infraction. La réticence fut en effet, dans un premier temps, la réaction naturelle de ces
pays. Dans le contexte d’après-guerre où la construction de nations nouvelles allait de
pair avec le développement d’une lutte idéologique sans précédent, les États en marge
du système international préféraient se tenir à l’écart en faisant prévaloir leur droit à
l’indépendance en vertu du principe de souveraineté, garanti par la Charte des Nations
unies27. Mais cette stratégie de dénonciation trouva vite ses limites dans une société
23 Cf. la revue Pouvoir, n° 109, mars 2004.
24 Fondée en 1946 par le Conseil économique et social des Nations Unies dont elle dépend, elle
compte aujourd’hui 53 membres élus pour 3 ans selon des critères géographiques et a pour
mission de veiller au respect des droits définis par la Déclaration universelle des droits de
l’homme de 1948, ainsi que par les autres pactes signés sur le sujet.
25 Les tenants notamment de l’analyse du choix rationnel.
26 SMOUTS Marie-Claude, Les Organisations internationales, Paris, Armand Colin, 1995, p. 53.
27 L’article 2 § 7 de la Charte des Nations Unies dispose que : « Aucune disposition de la présente
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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On assista dès lors à un revirement de situation. Plutôt que de se tenir à l’écart, les pays
violateurs des droits de l’homme comprirent que le meilleur moyen de se prémunir
contre tout examen de leurs pratiques par la CNUDH était d’en faire partie. Ainsi, le
paradoxe fut atteint en 2002 quand 55 % des pays membres de la commission ne
respectaient pas les droits de l’homme28. Au premier rang de ces pays qui tirèrent leur
épingle du jeu en se faisant élire à la CNUDH, la Chine peut être considérée à bien des
égards comme un chef de file.
§ 2. L’activisme chinois dans la redéfinition des priorités de la commission
Une des pratiques les plus utilisées et les plus efficaces pour se prémunir contre une
motion condamnant la situation des droits de l’homme dans un pays est l’utilisation de
l’article dit de la motion de non action. Si cette pratique est aujourd’hui utilisée par
d’autres pays comme le Nigeria29, elle était par le passé l’apanage de la Chine qui a
ainsi ouvert la voie à de nouvelles pratiques de manipulation institutionnelle. Jouant de
sa double identité de grande puissance en devenir et de pays du Tiers-Monde 30, la
Chine se présente ainsi comme le précurseur d’une nouvelle diplomatie alliant discours
policés et manœuvres procédurales pour détourner les institutions de leur vocation
initiale. En décidant de se saisir de l’article 65.-2 du règlement intérieur des
commissions techniques du Conseil économique et social31, la Chine joue pleinement le
jeu de la commission et entre ainsi parfaitement dans le cadre institutionnel de la
CNUDH. Cet article précise : « Toute motion tendant à ce que la commission ne se
prononce pas sur une proposition a la priorité sur cette proposition »32. Rédigé à
l’origine pour éviter que toute décision hâtive n’entrave le bon déroulement des
sessions de la commission, cet article était conçu comme une mesure de prudence.
Mais, entre les mains de Pékin, il devint un redoutable instrument de blocage,
empêchant toute discussion sur un thème embarrassant les autorités chinoises. On voit
dès lors l’habileté de la Chine qui, tout en respectant le cadre procédural mis en place
avant son arrivée – et qu’elle n’a donc pas choisi33 – parvient à faire valoir ses vues
parce qu’elle en est membre.
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme
mondialisée où la communication et l’homogénéisation des aspirations des populations
rendent la critique des droits de l’homme peu tenable. En cela, on peut dire qu’il s’agit
d’une victoire idéologique du camp occidental qui a su imposer à tous un discours sur
l’existence et le respect de ces droits. L’utilisation d’un discours sur les droits de
l’homme visant à discréditer politiquement et économiquement un adversaire nondémocratique devint plus aisé pour les Occidentaux et donc plus redouté par les pays
visés.
Cette astuce procédurale, outre les avantages qu’elle offre à des pays en quête de
légitimité internationale, marque surtout le rôle résolument actif de la Chine pour se
faire une place dans les instances internationales, y compris dans celles s’intéressant
aux droits de l’homme qu’elle ne respecte pas, mais sans renoncer à l’essentiel de la
structure interne de son régime. Ainsi, après avoir usé et abusé de la clause de
souveraineté protégé par l’article 2-§7 de la Charte des Nations unies, elle a su
s’adapter à la prédominance d’un discours universaliste des droits de l’homme en
utilisant les failles du système. Mais cela ne saurait être possible sans l’appui d’un
grand nombre de pays.
28
29
30
31
32
33
Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de
la compétence nationale d’un État […] »
BUHRER Jean-Claude, LEVENSON Claude, L’ONU contre les droits de l’homme ?, Paris, Mille
et une nuits, 2003, p.190.
Ibid., p.183
FOOT Rosemary, Op. Cit., p.62.
Se reporter au site : http://www.unhchr.ch/french/html/menu2/2/rules4_fr.htm#65
Cité in : BUHRER…, op. cit. p. 176.
DOMENACH Jean-Luc, op. cit., p. 263.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme
La Chine puise ses soutiens parmi un groupe dit des « like-minded », autrement dit un
ensemble de pays « sur la même longueur d’ondes » quand il s’agit d’éviter que les
regards ne se tournent vers la situation souvent dramatique des droits de l’homme sur
leur territoire. Une vraie solidarité conçue pour préserver un intérêt objectif commun –
à savoir, le maintien de leur régime – lie des États dont la légitimité à parler des droits
de l’homme est plus que douteuse. Ainsi retrouve-t-on aux côtés de la Chine : l’Arabie
saoudite, Bahreïn, Cuba, la Libye, le Pakistan, la Russie, la Syrie, le Soudan, le
Vietnam ainsi que certains pays africains sous prétexte de « solidarité régionale »34. Ce
groupe fonctionne le plus souvent de manière informelle, organisant des coalitions de
circonstance pour voler par exemple au secours de l’un de ses membres qui risquerait
d’être mis en cause par la commission. Le principe étant bien entendu la réciprocité.
Ainsi, il devient avantageux pour ces régimes de se soutenir mutuellement afin
d’éloigner le plus possible les regards de la situation dans leur pays. Mais cette
solidarité joue également dans un cadre plus offensif, et la Chine se distingue une fois
encore dans cette catégorie. Un bon exemple nous est fourni par la demande chinoise,
formulée en 1999, de réduire la durée des sessions de six à quatre semaines35.
L’argument était notamment de réduire les coûts, tant il est vrai que ce problème de
financement revient comme un leitmotiv aux Nations Unies. Mais il n’est pas besoin
d’une longue explication pour saisir le cynisme d’une telle proposition. Surtout
lorsqu’elle émane d’un régime autoritaire qui n’hésite pas à clamer ouvertement que
six semaines consacrées aux droits de l’homme, c’est beaucoup trop. Évidemment, les
membres du groupe des « like-minded » se sont ralliés à cette proposition. Ainsi, même
si la demande ne fut pas retenue, elle totalisa tout de même le soutien d’une quinzaine
de pays, et il n’est pas dit que Pékin ne revienne à la charge dans l’avenir, avec cette
fois peut-être plus de chance…
En tous cas, cette initiative fut suivie par d’autres demandes consistant cette fois à
limiter l’accès des ONG à la CNUDH. On voit donc bien que la posture de ces pays, et
de la Chine en particulier, n’est pas seulement défensive comme on pourrait le penser
de prime abord, mais qu’il y a bien une dynamique à l’œuvre pour remodeler le
fonctionnement institutionnel de la commission.
§ 3. La complaisance de circonstance des Occidentaux
Dans cette bataille qui se livre au sein de la commission, force est de constater que la
première victime à en subir les conséquences est la protection des droits de l’homme.
Depuis la fin de la Guerre froide et la disparition du bloc soviétique, les rapports de
force idéologiques semblent avoir pris une tournure pour le moins paradoxale. En effet,
le monde libéral a gagné la bataille des idées et a su imposer une certaine conception
du droit. Les droits de l’homme ont été érigés non seulement en valeur universelle
incontestable, mais également en norme internationale obligatoire. Pourtant, les droits
de l’homme continuent à être bafoués quotidiennement, dans l’indifférence générale.
L’URSS a fait les frais de cette adhésion quasi-forcée, puisque inévitable, à ce système
d’organisation du monde, mais la situation aujourd’hui est différente. En effet, à
l’époque de l’antagonisme Est-Ouest et compte tenu des difficultés croissantes de
l’URSS à faire face aux défis lancés par les États-Unis, surtout sur le plan économique,
le bloc de l’Ouest a pu profiter de l’état de faiblesse de sa rivale pour proposer une
reprise du dialogue dans des instances fonctionnant sur un modèle démocratique.
L’URSS représentait un modèle politique et économique qui ne souffrait aucune
concession. En cela, le modèle n’est guère éloigné du régime chinois des années
maoïstes. Le fonctionnement du régime impliquait un contrôle total de la société et
aucune vie privée en dehors du contrôle du parti n’avait droit de cité. Toutefois, la
volonté de préserver le statut quo territorial hérité de la guerre amena les autorités
34 BUHRER…, op. cit., p. 150.
35 Ibid., p.63-64 ; p.144-145 ; p.177-178.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Mais à la différence d’aujourd’hui, l’implication des Occidentaux, et en premier lieu
des États-Unis, dans la bataille idéologique menée à l’Est, et leur soutien aux
populations « rebelles » ou « résistantes » – selon le point de vue – a pesé
considérablement sur le cours de l’Histoire. Par ailleurs, l’oppression des civils à
l’intérieur du bloc soviétique, la faiblesse économique et l’absence totale de liberté, le
tout dans un contexte de détente et d’ouverture relative du régime, permit de créer une
brèche suffisamment importante dans l’édifice soviétique pour que les démocrates s’y
engouffrent. La multiplication des revendications, appuyées sur les textes signés par
l’URSS et protégeant les libertés individuelles, finirent par avoir raison du système en
place.
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme
soviétiques à participer au « processus d'Helsinki ». Ce processus consistait en un
ensemble de discussions pour organiser la détente en Europe entre l’Est et l’Ouest dans
le cadre de la Conférence de sécurité et de coopération en Europe. Ces discussions
aboutirent à l’Acte final d’Helsinki36 le 1er août 1975. Parmi les principes énoncés dans
l’Acte, le principe III visait à satisfaire à la demande soviétique en inscrivant que « les
États participants tiennent mutuellement pour inviolables toutes leurs frontières ainsi
que celles de tous les États d'Europe et s'abstiennent donc maintenant et à l'avenir de
tout attentat contre ces frontières. ». La contre-partie exigée par les Occidentaux à la
préservation des gains territoriaux de l’URSS était contenue dans le principe numéro
VII relatif au « respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, y compris
la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction ». Sous-estimant le
pouvoir des mots, l’URSS pensa pouvoir adhérer formellement au texte tout en
préservant le fonctionnement de son régime. Or, si les raisons de la chute du bloc de
l’Est sont multiples, il est certain que cette adhésion formelle à des valeurs de liberté,
incompatibles avec le stalinisme, a joué un rôle important dans l’émancipation de la
société civile qui contribua à renverser le régime.
Ce bref rappel historique tend à mettre en lumière les différences fondamentales qui
existent selon nous entre la situation de l’URSS des années 1980 et celle de la RPC
aujourd’hui. Ce sont ces différences qui nous font penser qu’il n’est pas possible
d’analyser la trajectoire du PCC de la même façon que celle du PCUS.
D’abord, pour ce qui est du soutien des démocraties occidentales aux démocrates et
militants des droits de l’homme en Chine, le peu de vigueur des dénonciations, quand
elles existent, montre un désintérêt patent pour ce problème en Occident. Cette attitude
complaisante envers les autorités de Pékin, surtout parmi les pays de l’Union
européenne – la France en tête – est un facteur de stabilité du régime qui se voit
conforté dans sa position. Considérant que c’est par la présence d’un État fort que la
Chine trouve les ressources de son développement, et constatant que le système
politique n’est pas prêt de changer, les pays européens préfèrent bénéficier des
potentialités qu’offre cette ouverture du marché chinois plutôt que dénoncer les
violations des droits de l’homme que ce pays pratique quotidiennement. François
GODEMENT explique que cette « théorie de l’essor de la Chine à conditions
politiques grosso modo inchangées » est justement « celle […] qui influence les
diplomaties européennes qui veulent traiter avec la Chine telle qu’elle est, qui mettent
l’accent sur une diplomatie d’intérêt, notamment d’implantation sur le marché
chinois »37. Il s’agit surtout pour eux de se trouver un alibi, en évoquant par exemple le
profit que la population pourra tirer de ce partenariat avec les pays développés. Michel
BONNIN écrit par exemple que « pour les dirigeants des grands pays occidentaux,
confrontés à la collaboration avec un pays bien peu respectueux des principes
36 L’intégralité du texte est consultable en ligne sur le site :
http://www.osce.org/docs/french/1990-1999/summits/helfa75f.htm
37 GODEMENT François, « La Chine, puissance revendicatrice ou intégrée ? », in : MICHAUD
Yves (Ed.), op. cit., pp. 76-77.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Outre cette complaisance occidentale, Pékin a su renoncer à la partie économique de sa
doctrine pour mieux garantir la stabilité politique. Contrairement à l’URSS qui n’avait
pas su faire la distinction, le PCC, en promouvant le « socialisme de marché » a pu
ouvrir progressivement un espace de libertés dans la sphère économique, tout en
maintenant un contrôle accru dans la sphère politique. Et cette stratégie a plutôt bien
fonctionné jusque là. La réussite économique a un effet non seulement sur ses relations
avec l’étranger, mais elle permet surtout de changer l’image du pouvoir auprès de la
population chinoise elle-même. Ainsi, alors que l’on parle souvent de « fuite des
cerveaux », la Chine est probablement le pays qui réussit le mieux le retour des
compétences.
Enfin, c’est probablement cette dichotomie fondamentale entre discours et pratiques,
acquise par l’observation des pratiques occidentales, qui a permis l’adaptation du
régime à cette nouvelle ère de la mondialisation.
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme
internationaux des droits de l’homme, la cause est entendue : il faut participer au
développement économique de la Chine, car celui-ci mènera nécessairement à une
démocratisation du régime »38. Alors que les États-Unis, quant à eux, entendent mener
une politique moins conciliante dans le discours, les faits tendent à démontrer que leur
attitude n’est pas moins complaisante que celle des Européens. Bertrand BADIE
rappelle ainsi « comment les États-Unis avaient pu échanger l’abstention chinoise lors
du vote de la résolution 678 du Conseil de sécurité [des Nations unies], ouvrant la voie
à l’opération « Tempête du désert », contre une discrète amnistie des actes de brutalité
et de répression commis l’année précédente sur la place Tiananmen »39.
38 BONNIN Michel, op. cit., pp. 219-220.
39 BADIE Bertrand, op. cit., p. 102.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Dans sa quête de respectabilité internationale, la Chine a
entrepris de rattraper son retard en signant et en ratifiant un
ensemble de textes et en élaborant un discours sur les droits de
l’homme (Section 1). Mais alors que d’aucuns pourraient y voir
un effort pour se mettre en conformité avec le droit international,
les nombreux rapports des ONG sont là pour nous rappeler que
la signature de textes ne préjuge en rien des intentions de Pékin
(Section 2).
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme
Chapitre 2
Le décalage de la politique
déclaratoire chinoise
et des engagements pris par la R.P.C.
avec la réalité de ses actions
­ 17 ­
§ 1. L’adoption de textes en guise de sésame
Le système juridique international repose sur un ensemble de conventions et traités
dont l’application dépend de leur ratification par un nombre seuil d’États parties.
Cependant, une fois les textes en question entrés en vigueur, seuls les États ayant ratifié
le texte seront soumis aux obligations qui en découlent. La simple signature n’engage
donc pas à grand chose de concret, sinon à l’obligation morale de ratifier l’accord dans
les plus brefs délais. Toute la question est donc de savoir si la ratification par la Chine
de ces conventions a ou non de réelles conséquences sur son attitude.
Concernant les droits de l’homme, la Chine a déjà ratifié les principaux textes
internationaux sur le sujet40, dont le Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels (PIDESC) le 27 mars 2001, soit tout de même vingt-cinq ans après
son entrée en vigueur. En revanche, alors qu’elle a signé le Pacte international relatif
aux droits civils et politiques (PIDCP) le 05 octobre 1998, elle ne l’a toujours pas
ratifié. Si la ratification de ces conventions ne comportait aucun risque pour le régime
chinois, il va sans dire qu’il aurait probablement déjà tout ratifié. Cette méfiance à
l’égard du droit international est révélatrice de la force que peut avoir un texte. Ayant
conscience de la menace que pourrait faire peser sur le régime l’adhésion précipitée à
ces accords, la Chine évite soigneusement les dispositions véritablement
« dangereuses » pour elle. Ainsi préfère-t-elle prendre le temps de négocier son
adhésion à certaines conventions, sous réserve d’une interprétation toute personnelle du
texte ou en sélectionnant le contenu auquel elle souscrit. Cette pratique se vérifie par
exemple avec la ratification du PIDESC41. La Chine est revenue notamment sur
l’article 8.1-a du Pacte. Celui-ci garantit « le droit qu’a toute personne de former avec
d’autres des syndicats et de s’affilier au syndicat de son choix, sous la seule réserve
des règles fixées par l’organisation intéressée, en vue de favoriser et de protéger ses
intérêts économiques et sociaux […] »42. En déclarant lors de la ratification que cet
article « sera appliqué à la République populaire de Chine conformément aux
dispositions pertinentes de la Constitution de la République populaire de Chine, de la
Loi sur les syndicats de la République populaire de Chine et de la législation du travail
de la République populaire de Chine »43, le PCC a vidé de son contenu cette
disposition, réduisant considérablement la portée du texte. C’est donc en matière de
droit syndical que Pékin émit des réserves, jugeant qu’une telle disposition pouvait
mettre en péril la stabilité du régime. Et pour cause ! Le nombre des manifestations
ouvrières et paysannes a considérablement augmenté ces dernières années. Comme
nous l’avons vu précédemment, la méthode qu’emploie le pouvoir pour éviter toute
contagion de ces révoltes réside dans sa capacité à empêcher la structuration de ces
mouvements. Ainsi, « si, pour rétablir son efficacité, [le PCC] doit accepter de
restreindre le champ de sa dictature […], il ne peut se permettre de reconnaître à des
organisations politiques autonomes le droit d’exister à ses côtés »44. En contrôlant
l’ensemble des organisations du pays, syndicales et autres, le PCC prévient
efficacement toute tentative de subversion.
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme
Section 1
Un discours conforme aux attentes
de la communauté internationale
des droits de l’homme
40 Pour un récapitulatif des textes signés et ratifiés par la RPC, se reporter à l’annexe 1, pp. 62-63 du
mémoire.
41 Voir les annexes 2 et 2 bis p.52 du mémoire.
42 Se reporter au lien suivant http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/a_cescr_fr.htm
43 Extrait de la déclaration faite par la Chine lors de la ratification du PIDESC. Consultable en ligne
à l’adresse : http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/treaty4_asp_fr.htm
44 BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 82.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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§ 2. L’élaboration d’un discours sur les droits de l’homme
La logique voudrait que lorsqu’un pays est en infraction par rapport au droit
international, il devrait essayer de se faire discret sur le sujet. Mais alors que la Chine
bafoue allègrement les textes qu’elle signe et tend à ratifier, elle déroge au principe de
discrétion en produisant depuis quelques années toute une rhétorique au sujet des droits
de l’homme. Ainsi peut-on lire sur le site du Quotidien du Peuple 45 une déclaration de
la porte-parole du Ministère chinois des Affaires étrangères, ZHANG Qiyue, affirmant
que « le gouvernement chinois attache une grande importance à la protection des
droits de l’homme de son peuple et a obtenu des succès remarquables dans ce
domaine »46. ZHAO Qizheng, directeur du Bureau de l’information du Conseil des
affaires de l’État, va même jusqu’à prétendre que l’amélioration de la situation des
droits de l’homme en Chine est « un important objectif du développement intégral de
la société pour lequel le gouvernement et le peuple chinois veulent fournir des efforts
inlassables »47. Outre les conférences de presse données sur le sujet, le pouvoir élabore
des textes vantant le progrès des droits de l’homme en Chine. Et à chaque accord passé
avec des partenaires économiques ou politiques, la Chine n’hésite plus à faire paraître
un paragraphe sur l’importance accordée au respect des droits de l’homme en Chine.
Ainsi peut-on lire par exemple une dépêche de l’Agence de presse officielle Chine
nouvelle, Xinhua 新华, relatant en des termes élogieux les échanges sur les droits de
l’homme qui ont eu lieu entre la Chine et l’Union européenne en juin dernier à
l’occasion d’un séminaire Chine-UE sur la ratification du PIDCP48. LI Jinzhang,
assistant au ministre des Affaires étrangères, aurait ainsi indiqué que « le séminaire
montre une fois de plus l’aspiration des deux parties d’approfondir la coopération sur
les droits de l’homme »49. Par cette attitude, les autorités chinoises semblent vouloir
délivrer un message au reste du monde : il n’y a pas de sujet sur lequel la Chine ne
saurait s’exprimer. Il n’y aurait donc pas de « tabou » sur les droits de l’homme en
Chine. A condition bien entendu de rester dans le cadre officiel autorisé par le régime
pour mener les débats…
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme
Ainsi aura-t-il suffi au pouvoir chinois d’émettre une réserve sur la clause relative à la
liberté syndicale pour pouvoir adhérer au PIDESC. Pékin accède de cette manière à une
certaine légitimité face à ses interlocuteurs qui ne craignent plus d’être accusés de faire
des affaires avec la Chine. Par ailleurs, cela lui permet sur le plan diplomatique de
« prouver » les efforts que la Chine est prête à faire en matière de droits de l’homme.
Car soutenir les grands principes n’est plus un problème pour Pékin, à condition que
les dispositions restent suffisamment vagues et imprécises pour pouvoir faire l’objet
d’une interprétation accommodante.
La Chine n’est certes pas la seule à faire usage de cette capacité à produire un discours
contraire aux intentions réelles du pouvoir. Jean-Luc DOMENACH remarque en ce
sens que « leur regard extérieur met en relief une caractéristique à la fois ancienne et
bien réelle de l’action occidentale sur le monde : la dualité des principes et de
l’effectivité, du discours et de la pratique »50. C’est peut-être d’ailleurs de l’analyse
pragmatique des pratiques occidentales que la Chine a tiré les leçons les plus efficaces
pour la conduite de sa politique. En effet, « les Chinois, peuple et dirigeants
confondus, ont du mal à concevoir [la société mondiale] autrement que comme une
45 http://french1.peopledaily.com.cn/french/
46 http://french1.peopledaily.com.cn/french/200203/15/fra20020315_53086.html
47 Citation trouvée sur le site de l’ambassade de Chine en France à l’adresse : http://www.ambchine.fr/fra/25004.html
48 Dépêche du 2 février 2004, consultable à l’adresse :
http://www.french.xinhuanet.com/french/2004-07/02/content_6717.htm
49 Ibid.
50 DOMENACH Jean-Luc, op. cit., p.263-264.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
­ 19 ­
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme
hypocrisie centrale »51. Forte de cette vision du monde, la Chine va mettre son
pragmatisme au service d’une diplomatie sophistiquée, fruit d’une histoire et d’un
savoir-faire pluri-millénaires. Car de l’avis des spécialistes, la Chine excelle dans l’art
diplomatique. Jean-Vincent BRISSET affirme ainsi que « en comparaison à de très
nombreux pays, la Chine cultive une stratégie du verbe très élaborée, qui lui permet
souvent de compenser certaines faiblesses »52. Alors que la capacité opérationnelle de
ses forces armées reste d’une faible portée, l’auteur explique que le pays s’emploie
justement à « compenser cette faiblesse par une diplomatie performante, qui
s’app[uie] sur une utilisation optimale de toutes les « armes » non militaires basées
sur l’apparence plus que sur la puissance réelle, celles dont l’utilisation a toujours été
prônée par Sun Zi et ses successeurs et qui lui ont, à ce jour, plutôt mieux réussi que
les canons »53. Se servant de cet atout comme d’une arme, la Chine applique donc les
leçons de maître Sun pour tenter de conquérir une place plus importante dans le jeu
international. Le mensonge, dans de telles circonstances, devient alors un outil
stratégique classique et légitime. Un des préceptes de maître Sun conviendrait très bien
à cet état d’esprit : « La guerre repose sur le mensonge. […] Attirez l’adversaire par la
promesse d’un avantage ; prenez-le au piège en feignant le désordre ; s’il se concentre,
défendez-vous ; s’il est fort, évitez-le »54. Ainsi, consciente de sa position d’infériorité
dans encore bien des domaines par rapport aux démocraties occidentales, la Chine
ménage ses adversaires et tente de se trouver des partenaires au sein du continent
asiatique55 et au-delà. Jean-Vincent BRISSET va même jusqu’à dire que « pour eux,
cette étape contrariante ne durera qu’un temps, et elle permettra d’atteindre au plus
vite un stade de puissance qui permettra de « faire payer » les humiliations subies »56.
En tous cas, c’est bien pour permettre au pays de devenir compétitif que le régime a
ménagé un espace restreint de libertés à sa population en procédant à des réformes
internes.
§ 3. La constitution d’une société civile et les limites de la libéralisation
Quand on compare la société chinoise d’aujourd’hui avec celle des années maoïstes, il
semblerait que nous ayons affaire à deux mondes différents, au moins dans les grandes
villes. Si la population a encore du chemin à faire avant d’avoir accès à la pleine
citoyenneté – au sens politique du terme – elle est déjà entrée dans la société de
consommation qui caractérise si bien l’ère de la mondialisation. Mais les succès
économiques du pays ont moins un impact sur la réalité du niveau de vie de l’ensemble
de la population que sur la représentation qu’elle se fait de sa situation. Ainsi, un récent
sondage effectué par l’Académie chinoise des sciences sociales révèle que 46,8 % des
Chinois considèrent appartenir à la classe moyenne, alors que si l’on retient
uniquement le critère du revenu57, cette même étude estime que seulement 24,6 %
entrent effectivement dans cette catégorie58. Sans entrer dans une analyse précise du
phénomène, puisque tel n’est pas notre propos ici, notons tout de même la dynamique à
51 Ibid., p. 263.
52 BRISSET Jean-Vincent, La Chine, une puissance encerclée ?, Paris, IRIS/PUF, 2002, p.112.
L’auteur renvoie aux faiblesses militaires de la Chine, en rappelant que « la Chine demeure un
pays pauvre et [que] les moyens matériels de l’Armée populaire de libération (APL) sont très
limités ». Ibid., p. 26.
53 Ibid., p.123-124.
54 SUN Tzu, L’art de la guerre, Paris, Hachettes Littératures, 2000, p. 54.
55 Sur la « diplomatie du pourtour » menée par la Chine pour s’assurer une place privilégiée sur le
continent asiatique, voir l’article de COLIN Sébastien, « La Chine et son retour au centre de
l’Asie », in : Diplomatie Magazine, n°9, juin-juillet 2004, p. 35s.
56 BRISSET Jean-Vincent, op. cit., pp.85-86.
57 L’étude prenait également en compte d’autres paramètres, tels que la profession exercée, le mode
de vie, le comportement en tant que consommateur. Nous ne prenons ici le seul critère du revenu
qu’à titre d’exemple.
58 Voir l’article « Classes moyennes de toutes les régions, unissez-vous ! », in : Courrier
international, (703), du 22 au 28 avril 2004, p. 30.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
­ 20 ­
des personnes ne disposant pas d’un permis de résidence, le Hukou 户口. Mis en place
par le PCC en 1958 pour contrôler les migrations internes à la Chine et limiter l’exode
rural, le Hukou est un document d’état civil obligatoire qui a pour conséquence, surtout
depuis l’ouverture économique et l’essor des grandes villes, de pénaliser
considérablement les habitants des zones rurales61. Ce système place le migrant chinois
dans une situation paradoxale de clandestinité au sein de son propre pays. Un fait
divers a donné une résonance nouvelle à ce problème en mars 2003. Un jeune diplômé
de 27 ans, Sun Zhigang, trouva la mort dans un de ces camps de détention provisoire
où il avait été placé illégalement parce qu’il n’avait pas sur lui son permis de résidence
provisoire. Une vague de protestation était alors montée de tout le pays par le biais
d’une mobilisation Internet. Dès lors, le PCC a décidé de répondre à la demande
populaire en supprimant du règlement administratif du Conseil des affaires d’État, « les
mesures de détention et de rapatriement des vagabonds et des mendiants en milieu
urbain »62. Par ailleurs, le Parti s’est engagé à procéder à une réforme du système de
gestion de l’état civil, ce qui devrait permettre d’assouplir le Hukou et autoriser une
plus grande liberté dans le changement de domicile.
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme
l’œuvre au sein de la société chinoise dans la définition de son rôle et de son champ
d’action. Ce mouvement en cours n’est certes pas anodin. Cependant, il ne s’agit pas
d’une autonomisation pure de la société par elle-même, mais plutôt du résultat d’une
politique sciemment organisée par Pékin pour offrir toujours plus de stabilité au
régime. Nous ne souhaitons pas par cette affirmation nier les efforts des militants
chinois qui travaillent utilement à faire respecter leurs droits et à conquérir toujours
davantage de libertés. Toutefois, lorsque nous adoptons le point de vue des autorités
chinoises, nous ne pouvons que constater la cohérence de leur démarche. En offrant un
espace d’autonomie privée à la population, le PCC favorise un épanouissement
personnel pour mieux détourner l’attention de ses administrés des problèmes plus
politiques, tel celui de la démocratisation. Comme le souligne Frédéric BOBIN,
correspondant du Monde en Chine, « toutes ces avancées sont confinées au champ de
la liberté individuelle. Tel est le contrat social que le PCC cherche à faire avaliser
depuis Tiananmen (1989) : jouissance privée contre silence public »59. Et pour ce faire,
Pékin multiplie les initiatives. D’un point de vue juridique d’abord, le PCC a annoncé,
lors du troisième plénum du Comité central en octobre dernier, une série de réformes
visant à assouplir son fonctionnement et à améliorer son image auprès de la
population60. Parmi les mesures ayant une incidence sur la vie des citoyens, il en est
une à rattacher directement à la volonté de remédier à une violation patente des droits
de l’homme. Il s’agit de la suppression de la loi sur le transfert en centre de détention
D’autres mesures, telle que la suppression de l’examen prénuptial et de l’attestation
fournie par l’unité de travail (le danwei 单 位 ) pour l’enregistrement d’un mariage63,
vont également dans le sens d’une plus grande liberté des individus dans leur vie
privée. Mais les réformes concernant une révision de la Constitution restent
symboliquement les plus fortes, même si dans la pratique, elles sont moins porteuses de
changement. Ainsi en va-t-il de l’adoption par l’Assemblée populaire nationale (APN),
le 14 mars dernier, du projet d’amendement de la Constitution stipulant que « l’État
59 Voir l’article de BOBIN Frédéric, « Les droits de l’homme au service de la stabilité en Chine »,
in : Le Monde, 15 novembre 2003, p. 1 et 8.
60 Voir l’article « Neuf réformes qui vont changer la Chine », in : Courier international, (680), du 13
au 19 novembre 2003, p.34-35.
61 En effet, il est possible d’aller d’une grande ville vers une plus petite, de la ville à la campagne
sans difficulté, mais la détention d’un permis, le Hukou, est indispensable pour faire le chemin
inverse.
62 Cité in : Courrier international, (680), op. cit., p. 35.
63 Mesure entrée en vigueur le 1er octobre 2003. Voir l’article de HASKI Pierre, « Mariage sans
licence en Chine », in : Libération, 14 octobre 2003.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
­ 21 ­
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme
respecte et protège les droits de l’homme »64. Si cette annonce tend davantage à
rassurer l’opinion internationale qu’à modifier l’approche de la Chine en matière de
droits de l’homme, la réforme inscrivant l’inviolabilité de la propriété privée dans la
Constitution65 entérine quant à elle une réalité déjà existante. Mais son inscription dans
la loi est probablement plus porteuse de sens que ce n’est le cas pour les droits de
l’homme…Car malgré quelques réelles avancées sur le plan des libertés civiles, tous
les efforts de Pékin pour se donner une image positive ne peuvent faire oublier la
réalité des violations quotidiennes des droits de l’homme en Chine.
64 Information communiquée sur Internet par l’agence de presse officielle chinoise, Xinhua, le 15
mars 2004. Voir le site : http://www.10thnpc.org.cn/french/106323.htm
65 C’est lors de la clôture de la session annuelle de l’APN, le 14 mars 2004, que l’amendement « la
propriété légalement acquise par les citoyens est inviolable » a été adopté. Il place ainsi sur un
pied d’égalité la propriété privée et la propriété publique.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
­ 22 ­
Étant donné le contrôle exercé par les autorités chinoises, l’évaluation précise de la
situation des droits de l’homme en Chine par les ONG est une tâche difficile. Cette
difficulté est accrue par le fait que la plupart des ONG chinoises de protection des
droits de l’homme ont leur siège aux États-Unis et doivent travailler à distance, en
utilisant des relais au sein du pays. Toutefois, les rapports de quelques grandes ONG
peuvent servir de base sérieuse pour dresser le portrait peu glorieux de la répression en
Chine.
§ 1. Les laogai 劳改67
Il est un terme qui devrait faire frémir les personnes se sentant concernées par les
grandes tragédies de l’Histoire que sont le Lager et le goulag. Pourtant, une ignorance
mâtinée d’indifférence pèse sur les laogai 劳 改 , les camps chinois. La traduction
exacte serait « camp de rééducation par le travail ». Nous emploierons dans ce
paragraphe le terme de laogai dans un sens générique, mais il faut savoir qu’il existe
plusieurs types de centre. Le Parti a par ailleurs modifié le vocabulaire, toujours dans
un souci d’image, en supprimant le terme de laogai dans la loi et en le remplaçant en
1994 par celui de jianyu 监 狱 , qui signifie « prison ». Mais ce changement de
vocabulaire ne modifie pas la réalité des camps. Dans le même esprit, une réforme de
1997 a remplacé le « crime contre-révolutionnaire » par celui d’ « incitation à la
subversion de l’État ». Mais que l’on ne s’y trompe pas : il s’agit toujours d’enfermer
les gens pour leur opinion – politique ou religieuse – dans des « prisons » dont le but
premier est l’endoctrinement politique au service du dogme du Parti unique. Alors que
le code pénal chinois protège en théorie la mise en détention dans l’un de ces camps
(laogai ou jianyu) pour qu’elle ne soit prononcée que contre des personnes dûment
jugées par un tribunal chinois, « tous les citoyens chinois peuvent être enfermés
pendant des périodes pouvant aller jusqu’à trois ans dans des camps de rééducation
(laojiao 劳 教 ), sans procès et sans procédure pénale quelconque »68. Alors que le
système judiciaire chinois demeure pour une large part inféodé au Parti 69, n’offrant que
peu de garantie au justiciable d’obtenir un procès équitable, la détention administrative
en laojiao institue officiellement le règne de l’arbitraire. En outre, l’idée que n’importe
qui peut être arrêté et placé en détention pendant une période de trois ans, sans aucune
explication, laisse imaginer la lourdeur des peines prononcées généralement contre
ceux pour qui un procès a eu lieu. Mais l’arbitraire des mises en détention est encore
accentuée par la fonction économique de ces camps. Même si la rentabilité économique
de l’activité des camps est médiocre, on peut penser que le fait que les prisonniers
constituent une main d’œuvre gratuite pour des travaux souvent dangereux incite
certainement les autorités chinoises à voir dans leurs compatriotes davantage de
personnes subversives qu’il n’y en a réellement. Quoi qu’il en soit, la simple existence
de ce genre de camps suffit à rappeler à ceux qui éprouveraient de la sympathie pour un
tel régime que la Chine reste une dictature et probablement l’un des derniers pays au
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme
Section 2
La sombre réalité de la violation délibérée
des droits de l’homme en Chine66
66 Pour écrire cette partie, nous nous sommes essentiellement appuyée sur l’ouvrage de RSF (Ed.),
Chine, le livre noir, Paris, La Découverte, 2004. Cet ouvrage représente une synthèse des
principaux rapports et témoignages recueillis par Amnesty International, le Centre tibétain pour
les droits de l’homme et la démocratie (TCHRD), Human Rights Watch, Human Rights in China,
Reporters sans frontières et The Laogai Research Foundation.
67 Voir les ouvrages de Harry WU, dont le dernier : WU Harry, Danse pas avec la Chine,
Montpellier, Ed. Indigènes, 2000.
68 RSF (Ed.), op. cit., p. 65.
69 Voir l’article de MEVEL Jean-Jacques, « Une justice qui reste aux ordres », in : Le Figaro, 31 mai
2004.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
­ 23 ­
§ 2. Un usage abusif de la peine de mort
Il est un record dont la Chine ne peut se vanter : celui du nombre d’exécutions
capitales. Le chiffre exact reste un secret d’État jalousement gardé par le Parti, mais
une estimation approximative d’Amnesty International dénombre pas moins de 1 060
exécutions pour la seule année 200270. Toutefois le mystère reste entier quant à la
qualité réelle des personnes exécutées. Quelle est la proportion de prisonniers
d’opinion trouvant la mort sur le peloton d’exécution ? Celle de ceux qui ont vu leur
peine de prison muée en peine de mort, juste pour pouvoir alimenter le trafic
d’organes71 ? Nul ne peut répondre à ces questions. La multiplication des chefs
d’accusation pour condamner les « crimes » d’opinion empêche tout recensement. Par
ailleurs, au nombre déjà excessif de condamnés à mort, il convient d’ajouter celui de
ceux ayant trouvé la mort en détention à la suite des tortures72 ou mauvais traitements
infligés par la police. Car s’il arrive qu’une affaire telle que celle de Sun Zhigang
entraîne un tollé médiatique, un grand nombre d’anonymes meurent tous les jours dans
l’ignorance générale. Enfin, il y a ceux qui disparaissent et dont personne n’a plus de
nouvelles.
Il n’y a malheureusement rien d’original à dénoncer les pratiques que nous venons de
décrire. Les organisations de défense des droits de l’homme travaillent déjà depuis de
nombreuses années à faire connaître ces pratiques. Pourtant, cela ne semble pas affecter
la relation qu’entretient la RPC avec l’étranger. Comment cela est-il possible ? Par le
miracle d’une Realpolitik privilégiant une diplomatie d’intérêts au détriment des grands
principes ? Peut-être, mais pas seulement. Car même si personne en Chine n’est à l’abri
de l’arbitraire du pouvoir, une majorité de gens soutient malgré tout la politique de
répression véhiculée notamment par la campagne « Frapper fort » lancée en 2001. Une
fois encore, le discours employé par Pékin pour justifier sa politique liberticide semble
être payante. Qui reprocherait en effet à un pays de combattre la grande criminalité sur
son territoire ? La politique américaine conduite depuis le 11 septembre 2001 favorise
en outre la mise en place d’un arsenal répressif destiné à lutter contre le terrorisme73. Il
n’en fallait pas tant à Pékin pour procéder à des vagues de répression dans la région
autonome ouïghoure du Xinjiang74 qui, comme le Tibet, abrite un peuple d’une culture
très différente de la culture dominante Han, et souffre de la colonisation culturelle et
idéologique chinoise. Sous prétexte que cette région est traditionnellement musulmane,
la suspicion de voir se développer le terrorisme a servi à légitimer les basses œuvres du
Parti pour éteindre toute revendication autonomiste.
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme
monde à organiser aussi minutieusement et à une telle échelle la répression et le
conditionnement politique de sa population.
Si le pouvoir arrive si bien à manipuler l’opinion publique, c’est surtout grâce à son
contrôle des principaux canaux d’expression.
70 Estimation proposée par Amnesty International, obtenue en recoupant uniquement des sources
publiques. Une autre étude recense 15 000 personnes chaque année. La réalité se situe
vraisemblablement entre les deux, l’estimation d’Amnesty International étant du propre aveu de
l’organisation certainement très inférieure à la réalité. Voir RSF (Ed.), op. cit., p. 14.
71 RSF rapporte que « le trafic d’organes de prisonniers exécutés en Chine a commencé à la fin des
années 1970. Les organes récupérés sur les prisonniers sont utilisés pour des greffes effectuées
sur des Chinois privilégiés ou des étrangers ». Voir : RSF (Ed.), op. cit., p. 66.
72 Malgré la ratification par la Chine de la Convention contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants le 04 octobre 1988, la torture y est couramment
pratiquée. Bien que le PCC dénonce cette pratique comme étant le fait d’individus isolés, aucune
mesure efficace n’a à ce jour été prise pour endiguer le phénomène.
73 Voir l’article de SPIEGEL Mickey, « Under cover of ‘terrorism’ », in : International Herald
Tribune, 28 février 2003.
74 Voir RSF (Ed.), op. cit., pp.121-135.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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La gestion par le pouvoir de l’épidémie de SRAS au printemps 2003 et surtout sa
gestion de la présentation de l’affaire par les médias révèle assez bien l’habileté de
Pékin dans ce domaine. Alors que l’information sur la gravité de la crise a dans un
premier temps été tenue secrète, une fois l’affaire dévoilée, Pékin a changé totalement
de stratégie, opérant un virage à 180°, en sur-médiatisant les mesures prises par le Parti
pour remédier au problème. Les journalistes étaient alors invités à multiplier les
reportages sur le sujet, relayant ainsi la propagande du Parti. Mais une fois la crise
passée, début juin 2003, le département de la Propagande convoqua les responsables
des grands journaux à Pékin pour leur signaler que le temps de l’euphorie médiatique
devait cesser. Un des journalistes présents en fait un constat désabusé : « Nous avons
pensé que l’épidémie nous permettrait d’avoir la liberté de la presse. Mais le Parti n’a
pas la même idée »76.
Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme
§ 3. Le contrôle de l’expression par le Parti
Si le ministère de la propagande a été renommé en ministère de la publicité, son rôle
n’a pas changé. La modernisation voulue par le Parti a eu toutefois quelques effets
notables en transformant le paysage médiatique chinois. En effet, juillet 2003 marque
une étape importante en lançant la privatisation de la presse autrefois monopole d’État.
Mais ce changement ne modifie pas la conception que se fait le PCC des médias. La
privatisation ne signifie donc en rien un relâchement du contrôle de l’information.
Cependant, elle a eu un effet sur les journalistes chinois que le Parti n’avait sans doute
pas envisagé. Une dynamique et même une certaine audace a vu le jour dans certains
grands journaux chinois, comme l’hebdomadaire Nanfang Zhoumo. Mais le ministère
de la publicité veille et réprime les audacieux qui oseraient ternir l’image du PCC.
L’organisation Reporters Sans Frontières (RSF) dénombre ainsi au 1er janvier 2004
vingt-trois journalistes emprisonnés pour avoir écrit des articles jugés « subversifs »
par les autorités75.
Le contrôle de l’expression passe aussi par une surveillance accrue des débats ayant
lieu sur la Toile. Mais là, le pouvoir a beaucoup plus de mal à appliquer un contrôle
total. Face au développement exponentiel d’Internet en Chine, les autorités ont donc
abandonné l’idée d’une « grande muraille électronique » pour s’engager dans la
réalisation du « Bouclier doré »77. Il ne s’agit plus de limiter l’accès à Internet, mais de
contrôler le contenu des sites et des messages échangés en rendant obligatoire
l’installation de logiciels de filtrage, tel que Filter King, permettant d’interdire l’accès à
certains sites « dangereux » et de censurer les e-mails « subversifs », pour employer la
terminologie du Parti. Si un contrôle d’Internet peut paraître dérisoire, tant les
possibilités offertes par ce vecteur sont grandes, le PCC ne ménage toutefois pas ses
efforts pour dissuader cyber-dissidents et mécontents en général de s’exprimer par ce
biais. Le régime a dès lors multiplié lois liberticides et mesures de répression. A tel
point que RSF comptait au 1er avril 2004 soixante-douze cyber-dissidents et
internautes emprisonnés.
Cependant, malgré la répression très dure qui sévit contre les internautes, malgré les
risques que courent les propriétaires de cybercafés à tenir de tels établissements,
malgré la censure que le « progrès » technologique rend de plus en plus efficace,
Internet est une bouffée d’air frais dans un pays où l’autoritarisme enserre l’individu.
C’est également par Internet que les grandes mobilisations ont lieu aujourd’hui dans le
pays. C’est donc par Internet que l’espoir en un avenir plus libre en Chine peut renaître.
Mais la bataille opposant les libéraux – au sens politique du terme – au PCC est loin
d’être gagnée, et la participation des puissances étrangères, aussi bien politiques
qu’économiques, devrait avoir une influence sur l’issue de cette lutte.
75 Ibid., op. cit., p. 55.
76 Cité in : RSF (Ed.), op. cit., pp.59-60.
77 Ibid., op. cit., p. 84 s.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme
Malheureusement, ce n’est pas forcément dans un sens favorable au développement des
droits de l’homme que cette influence a cours. Si la complaisance des démocraties
occidentales et la politique ambiguë de l’Union européenne envers la Chine ont déjà
été évoquées, le rôle des grandes firmes multinationales peut avoir également une
incidence non négligeable. Sur le site de RSF, on trouve par exemple un article du 26
juillet 2004 intitulé « Google vs Yahoo : une guerre commerciale qui menace la liberté
d’expression »78. L’organisation dénonce le rôle actif que jouent ces deux entreprises
américaines dans le développement de la censure en Chine. Ainsi explique-t-elle
que « Yahoo ! censure depuis des années son moteur de recherche en chinois pour se
plier aux desiderata de Pékin. Google, qui vient de prendre une participation dans
Baidu, un moteur de recherche chinois qui filtre ses résultats, semble aujourd’hui
emboîter le pas à son concurrent. Pour conquérir le marché chinois, ces deux
entreprises acceptent des compromis qui ont des répercussions directes sur la liberté
d’expression. ». L’attitude irresponsable de ces entreprises pourrait faire pencher la
balance en faveur des autorités chinoises si les politiques continuent à fermer les yeux.
Si nous ne pouvons qu’espérer que le vent tournera en faveur des démocrates, nous ne
pouvons nous prononcer sur la forme que prendra le régime dans l’avenir. Toutefois, la
complexité de la réalité présente tend à faire penser que le chemin sera encore très long
et semé d’embûches avant que la démocratisation de la Chine ne soit ne serait-ce
qu’envisageable.
78 http://www.rsf.fr/article.php3?id_article=11032
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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AU SERVICE DE LA STABILITÉ
D’UN RÉGIME POST-TOTALITAIRE
L’histoire de la Chine est celle d’un pays dominé depuis des
siècles par la conception d’un pouvoir nécessairement éclairé par
quelques esprits supérieurs et marquée par une centralisation
toujours croissante des prérogatives étatiques. Ainsi, « suivie
d’année en année, l’histoire politique du XXe siècle [en Chine]
nous apparaît chaotique et pleine d’orientations contradictoires.
Saisie dans la totalité du siècle, c’est celle de la progression
implacable de l'État central »79. En cela, on peut observer un
mouvement d’une grande continuité historique de la politique en
Chine. Or, la notion même de droits de l’homme est
irréductiblement liée à une forme de gouvernement tout à fait
occidentale, la démocratie. Cela signifie-t-il qu’il n’y a pas de
place pour les droits de l’homme en Chine, à moins d’un coup de
force brisant cette continuité chinoise ? (Chap. 1) En tous cas,
l’observation de la mutation qui touche aujourd’hui les grandes
démocraties occidentales semble donner les clés pour une
explication des travers que connaît la modernisation à la
chinoise. (Chap. 2)
Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire DEUXIÈME PARTIE
LES DROITS DE L’HOMME
79 KUHN Philip A., op. cit., p.174.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
­ 27 ­
Depuis le grand mouvement de décolonisation d’après-guerre et
la constitution d’une identité « tiers-mondiste », il est de bon ton
de respecter les différences culturelles entre pays, sous peine de
voir les anciennes puissances coloniales être qualifiées
d’impérialistes. Le problème de ce discours est qu’il a souvent
été détourné pour justifier des actes d’oppression, telle que la
lapidation dans certains États islamistes, en les qualifiant de
traditionnels. Pour la Chine, il y aurait de même une conception
du monde, inscrite dans le patrimoine culturel asiatique,
incompatible avec la notion occidentale démocratique de droits
de l’homme (Section 1). Mais ce discours sur la prétendue
existence de « valeurs asiatiques »80 allant à l’encontre de toute
universalité des droits de l’homme ne suffit pas à expliquer la
stabilité du système de gouvernement chinois, davantage
maintenu par une corruption sélective (Section 2) que par une
philosophie.
Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire Chapitre 1
La démocratie occidentale dans la Chine d’aujourd’hui :
Une greffe impossible ?
80 Avant d’être reprise par la Chine, cette notion fut d’abord mise en avant par Lee Kwan-Yew,
figure tutélaire de Singapour et le docteur Mahathir Mohamad, homme fort de la Fédération de
Malaisie. « Ce discours-alibi enfermé dans des pratiques politiques autoritaires et fortement antioccidental a tourné cours avec la crise de 1997 ». Voir l’article rédigé par Marianne PERONDOISE à l’automne 2002 sur le site de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques
(IRIS) : http://www.iris-france.org/pagefr.php3?fichier=fr/Archives/Notes/2002-09-21.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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§ 1. L’humanisme confucéen à la source de la vision chinoise du monde
La vision adoptée communément pour définir la culture chinoise est fondée sur une
approche strictement communautaire de la société, opposée à la culture occidentale qui
reposerait quant à elle sur la reconnaissance de l’individu. Prenant appui sur l’héritage
confucéen, qui marque profondément, il est vrai, la culture chinoise encore
aujourd’hui81, le PCC nous explique qu’au nom de l’importance de la communauté
dans la pensée chinoise, il est inconcevable d’introduire la démocratisation du régime.
Le Parti serait ainsi investi de la mission de diriger le pays pour le bien et l’intérêt de sa
population. Considérant que cette mission lui aurait été confiée par le peuple lui-même
dès 1949, il va même jusqu’à prétendre que le régime en place fonctionne déjà sur un
mode démocratique. Mais pour justifier l’interdiction de la tenue d’élections libres,
Pékin affirme qu’il s’agit d’une démocratie « à la chinoise », basée sur le principe
communautaire véhiculé par ces fameuses « valeurs asiatiques ». L’argumentation est
osée, elle n’en est pas moins bancale. Mais qui était donc ce Confucius que Mao avait
tant décrié avant qu’il ne soit repris par ce même Parti 82 pour légitimer sa toute
puissance ? Et surtout, que disait-il vraiment ?
Pour répondre à cette question, la présentation que fait Anne CHENG du maître dans
son ouvrage Histoire de la pensée chinoise83 paraît plus appropriée que l’interprétation
officiellement donnée par le Parti. Alors que l’on s’attendrait à découvrir le
développement d’une doctrine organique fondée sur le strict respect de la hiérarchie
établie, on apprend que le maître est avant tout le précurseur d’une pensée humaniste 84.
Ainsi, dès le Ve siècle avant notre ère, ce lettré chinois œuvrait à propager l’idée selon
laquelle l’Homme doit être au centre de toute réflexion. Anne CHENG souligne même
que « pour la première fois dans une culture aristocratique fortement structurée en
castes et en clans, l’être humain est pris dans son entier […]. On peut dès lors parler
d’un pari universel et d’un optimisme foncier sur l’homme »85. Ainsi, maître Kong86
consacrait-il l’essentiel de son enseignement à l’être humain, en partant du principe que
la nature humaine de l’homme, perfectible à l’infini, est le fruit d’une recherche
volontaire et d’un travail personnel sur soi, et non un acquis dont on n’aurait plus
besoin de s’occuper87. Si cette qualité d’humanité est à rechercher dans la relation aux
autres, Confucius ne nie pas pour autant l’individu. L’individu est au contraire placé au
cœur de la pensée du maître pour qui l’aboutissement à une société harmonieuse ne
peut être atteint que par la recherche première de l’accomplissement individuel. Ainsi,
« la famille étant perçue comme une extension de l’individu et l’État comme une
extension de la famille, et le prince étant à ses sujets ce qu’un père est à ses fils, il n’y
a pas de solution de continuité entre éthique et théorie politique, la seconde n’étant
Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire Section 1
L’argument de l’incompatibilité des valeurs asiatiques
avec la notion occidentale de droits de l’homme
81 Anne CHENG écrit au sujet de Confucius : « Plus qu’un homme ou un penseur, et même plus
qu’une école de pensée, Confucius représente un véritable phénomène culturel qui se confond
avec le destin de toute la civilisation chinoise ». Voir CHENG Anne, Histoire de la pensée
chinoise, Paris, Seuil, 1997, p. 62.
82 La participation de Jiang Zemin à une cérémonie commémoratrice des 2450 ans de Confucius à
l’automne 1989 marque la volonté de récupération par le pouvoir des valeurs traditionnellement
conservatrices. Voir l’article de HASKI Pierre, « A Pékin, la parti réhabilite Maître Kong », in
Libération, 30 octobre 2004.
83 CHENG Anne, op. cit., pp. 61-93.
84 Voir KONG Qiu, Les entretiens de Confucius, trad. Anne CHENG, Paris, Seuil, 1981.
85 CHENG Anne, op. cit., p. 65.
86 Confucius est la retranscription phonétique donnée par les jésuites à partir du XVI e siècle de
Kongfuzi 孔夫子 , qui signifie « maître Kong ». Son nom chinois, sous lequel on trouve parfois
ses écrits est KONG Qiu 孔丘.
87 CHENG Anne, op. cit., p. 68.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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(wenhua 文化) dans la tradition chinoise : « il indique un état d’instruction, un niveau
de civilité et donc une certaine manière de se comporter vis-à-vis des autres »89. Joël
THORAVAL rappelle ainsi que « être un Hua signifiait tout uniment être chinois et être
civilisé »90. D’origine confucéenne, cette conception distingue entre « l’humain et la
brute, mais aussi entre êtres civilisés et « barbares » » en fonction de la connaissance
plus ou moins approfondie des rites en vigueur, et non selon des critères ethniques91. La
pensée de Confucius ne correspond donc pas à l’image qu’en donnent les autorités
chinoises pour cautionner leur politique « d’exception démocratique »92. Par ailleurs,
quand on sait que « Kant représente un point majeur de focalisation dans le processus
d’appropriation de la philosophie occidentale au Japon, puis en Chine »93, nul doute
que la Chine possède bien les outils philosophiques nécessaires au développement
d’une pensée humaniste sur les droits de l’homme.
Ainsi, même si la philosophie confucéenne n’a pas ouvert la voie à une théorisation des
droits de l’homme, au moins ne peut-on pas lui reprocher d’avoir interdit toute
réflexion sur le sujet. Dans un sens, elle aurait même posé un des jalons à
l’épanouissement de la notion.
§ 2. Universel contre relativisme culturel
Danièle LOCHAK dénombre trois conditions nécessaires à l’émergence du concept de
droits de l’homme. L’homme doit d’abord être pensé comme un individu autonome et
premier par rapport au tout social. En outre, le droit doit être considéré comme un droit
subjectif dont l’individu est titulaire, et non comme un droit objectif. Enfin, ces droits
subjectifs doivent être pensés comme inhérents à la nature humaine94. Ainsi peut-on
constater que Confucius, dans le développement de sa pensée humaniste, répondait
déjà en partie à la condition de reconnaissance de la primauté de l’individu95.
Cependant, si en Occident le droit a très tôt servi de base à l’élaboration d’une société
fondée sur la recherche d’un contrat social, « dans la tradition chinoise, la relation
contractuelle pouvait d’autant moins être considérée comme susceptible d’armer
valablement le lien social qu’elle était essentiellement liée au commerce et que dans
l’idéologie dominante la profession commerciale a toujours été placée au plus bas de
l’échelle sociale »96. Alors que le concept même de droits de l’homme est doté
intrinsèquement d’une portée inévitablement universelle, puisqu’il s’adresse à l’être
Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire qu’un élargissement de la première à la dimension communautaire »88. En revanche,
s’il est vrai que Confucius cautionne l’ordre hiérarchique, il lui donne un sens moral.
C’est dans l’intérêt du peuple que l’élite doit gouverner, et cette même élite ne doit pas
être recrutée sur un critère de naissance mais en fonction de ses qualités morales. Cette
précision explique la définition particulière qui est donnée au concept de « culture »
88 Ibid., p. 79.
89 CHU Xiaoquan, « Aspects de la vie intellectuelle et culturelle », in : MICHAUD Yves (Ed.), op.
cit., p. 178.
90 THORAVAL Joël, « Ethnies et nation en Chine », in : MICHAUD Yves (Ed.), op. cit., p. 50.
91 CHENG Anne, op. cit., p. 76.
92 Nous employons cette expression en référence à « l’exception culturelle française », pour
renvoyer au discours du PCC sur une prétendue « démocratie à la chinoise ».
93 CHENG Anne, « Modernité et invention de la tradition chez les intellectuels chinois du XXe
siècle », in : MICHAUD Yves (Ed.), op. cit., p. 190.
94 LOCHAK Danièle, Les droits de l’homme, Paris, La Découverte, 2002, pp. 7-8.
95 En partie seulement, parce que nulle part dans ses écrits n’est édicté directement ce principe.
Cependant, la façon qu’il a de placer l’être humain au centre de tout nous permet d’en déduire que
la société décrite par le maître répond bien à un rassemblement volontaire d’individus.
96 VANDERMEERSCH Léon, op. cit., p.121. Concernant la stratification sociale dans la tradition
chinoise, Jean-Vincent BRISSET rappelle que « la hiérarchie sociale chinoise a toujours classé
les mandarins devant les paysans, puis les soldats et enfin les marchands. Le principal
bouleversement de la société postmaoïste est sans doute d’avoir élevé les marchands au deuxième
rang et relégué ainsi les militaires au dernier ». Voir BRISSET Jean-Vincent, op. cit., p. 37.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Sur le plan juridique, les Nations Unies ont déjà tranché le problème lié au relativisme
culturel prôné par certains pays pour cautionner la non application de certains droits de
l’homme sur leur territoire. La DUDH proclame dans son préambule que ce texte est
« un modèle commun à suivre pour tous les peuples et toutes les nations »98. Toutefois,
cette simple phrase ne devait pas suffire puisque le besoin s’est fait sentir de renouveler
l’affirmation du principe d’universalité. En effet, lors de la Conférence mondiale des
Nations Unies sur les droits de l’homme, tenue dans la capitale autrichienne du 14 au
25 juin 1993, la notion d’universalité des droits de l’homme s’est vue renforcée. Ainsi
peut-on lire dans le premier paragraphe de la Déclaration de Vienne que « le caractère
universel » de tous les droits de l’homme et libertés fondamentales est
« incontestable »99. L’obligation juridique de promouvoir « le respect universel,
l’observation et la protection de l’ensemble des droits de l’homme et des libertés
fondamentales pour tous » est également réaffirmée pour tous les États. Il n’y a donc
pas d’ambiguïté à ce sujet, au moins au niveau du droit international. Pourtant, si tel
était vraiment le cas dans les esprits, les Nations Unies n’auraient pas à prendre le
temps de rappeler régulièrement ce principe.
Ainsi par exemple, en mars 1995, soit seulement deux ans après la tenue de la
Conférence mondiale de Vienne, le Département de l’information des Nations Unies
jugea nécessaire de publier une note d’information intitulée « Droits de l’homme et
diversité culturelle »100. L’auteur de cette note, Diana AYTON-SHENKER, rappelle à
cette occasion que « les droits de l’homme universels n’imposent pas une norme
culturelle, mais plutôt une norme juridique relative à la protection minimale audessous de laquelle la dignité humaine cesse d’exister ». Et de renchérir en écrivant
que « le droit à la culture prend fin là où il empiète sur un autre droit de l’homme ».
L’organisation des Nations Unies n’est donc pas dupe quant à l’utilisation abusive,
notamment par la Chine, de ce droit à la culture, pour préserver la stabilité d’un
pouvoir autoritaire. Mais la dénonciation de cette pratique n’empêche pas pour autant
la persistance de ce type de régime.
Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire humain sans aucune distinction de quelque ordre que ce soit, son inscription dans le
corpus juridique international en 1948 par l’adoption de la Déclaration universelle des
droits de l’homme (DUDH) est le fruit d’une volonté purement politique. C’est
d’ailleurs sans doute cette légitimité institutionnelle qui a permis d’en donner une
vision pacifiée et consensuelle97.
§ 3. La qualification du régime politique chinois
Difficile de définir le régime de Pékin par l’affirmative. Autrement dit, il est plus facile
de dire ce que le régime de Pékin n’est pas, plutôt que de le définir en disant ce qu’il
est. Ainsi, on sait que ce n’est plus un régime totalitaire comme au temps de l’ère
maoïste, mais c’est encore moins un régime démocratique. Quant à employer la
catégorie de régime autoritaire, son utilisation systématique pour décrire tous les pays
n’entrant dans aucune des deux catégories sus-mentionnées la rend peu pertinente pour
l’analyse. Michel BONNIN, dans un article intitulé « Comment définir le régime
politique chinois aujourd’hui ? »101, a réfléchi à la question. Il propose de retenir la
catégorie de « posttotalitarisme » définie par Juan LINZ. Ainsi écrit-il au sujet de cette
catégorie : « Elle s’applique à des régimes qui ont été totalitaires, mais qui ont évolué,
en conservant certaines caractéristiques importantes du système ancien. Cette
97 LOCHAK Danièle, op. cit., p. 3.
98 La
DUDH
est
consultable
en
ligne
à
l’adresse :
http://www.un.org/french/aboutun/dudh.htm
99 Pour retrouver la Déclaration de Vienne , voir le lien :
http://www.unhchr.ch/huridocda/huridoca.nsf/(Symbol)/A.CONF.157.23.Fr?OpenDocument
100Note
n°
DPI/1627/HR,
consultable
en
ligne
à
l’adresse :
http://www.un.org/french/hr/dpi1627f.htm
101BONNIN Michel, op. cit., pp. 219-243.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Ainsi, l’argument selon lequel la démocratie en Chine serait impossible en raison d’une
tradition philosophique différente de l’Occident ne tient pas. S’il est vrai que « jamais,
au cours des cent cinquante [dernières] années d’histoire, les Chinois n’ont pu élire
leurs dirigeants, jamais ils n’ont pu sans risque jouir des libertés d’opinion,
d’association, de publication, garanties par une Constitution »105, ce n’est certainement
pas parce que la population chinoise ne serait « pas prête » pour la démocratie. Le
mouvement démocratique en Chine n’a peut-être toujours été qu’une « ombre », pour
reprendre l’image de Jean-Philippe BEJA, mais son existence obstinée malgré les
difficultés, prouve qu’il n’est pas besoin d’un long apprentissage pour apprécier la
liberté lorsqu’on y a goûté. C’est donc plutôt du côté de la structure même du pouvoir
qu’il faut rechercher les raisons de son maintien. Et les élites chinoises jouent un rôle
tout à fait déterminant à ce propos. Car comme l’écrit Jean-Philippe BEJA :
« Aujourd’hui, on a l’impression que le régime post-totalitaire est en train d’évoluer
vers un autoritarisme post-politique avec le soutien d’une grande partie des élites, y
compris, pour la première fois depuis 1949 au moins, d’une grande partie de
l’intelligentsia »106.
Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire catégorie me paraît s’accorder à la réalité du système politique chinois
d’aujourd’hui »102. Parmi les caractéristiques dont parle l’auteur et que le régime
chinois aurait préservées de son ancien système, nous avons vu qu’il existait tout un
arsenal de mesures répressives et de contrôle de la société qui a été modernisé pour se
mettre au service de « l’ambition totalitaire »103 du PCC, elle-même intacte. Pour Yves
CHEVRIER, « la Chine offrirait […] l’exemple d’un système néo-totalitaire délaissant
la vocation révolutionnaire et les techniques de mobilisation de ses origines pour se
reconfigurer dans une perspective économique et non mobilisatrice, à la faveur des
systèmes de contrôle et de répression hérités du maoïsme »104.
102Ibid., op. cit., p. 228.
103Ibid., p. 229.
104CHEVRIER Yves, « Une nouvelle histoire de la Chine au 20e siècle », in MICHAUD Yves (Ed.),
op. cit., p.26.
105BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 15.
106Ibid., p. 249.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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§ 1. L’impossible distinction privé/public
L’ouverture économique des années 1980 a favorisé le développement d’une corruption
généralisée de la société. En effet, la libéralisation et la mise en concurrence
d’entreprises nouvellement privatisées ou nouvellement créées méritent l’instauration
de mesures de régulation à la hauteur de l’importance des échanges. Cela passe
notamment par le développement d’un cadre juridique approprié, garantissant la
transparence des transactions, ainsi que par l’existence d’une Justice indépendante,
capable de faire respecter les règles en vigueur. Or, si la libéralisation économique de la
Chine peut sembler s’être déroulée à un rythme insuffisamment rapide pour certains,
elle n’a en tous cas pas laissé le temps au régime de mettre en place les conditions
nécessaires à un développement sain de l’économie. Et dans un régime où les plus
hautes autorités ne sont pas élues mais cooptées selon des critères tenant plus au
charisme personnel de l’homme qu’à l’existence de compétences particulières, le
développement de la corruption était presque une fatalité. Rechignant à relâcher sa
domination sur l’ensemble de la société, c’est « cette hégémonie, couplée à
l’approfondissement de la réforme de l’économie, [qui a] favoris[é] l’apparition de la
corruption »108. L’apparition d’une nouvelle élite économique bénéficiant des réformes
n’est donc pas sans lien avec le Parti et les compromissions entre les autorités
politiques et les entrepreneurs privés ne sont pas rares. Ce qui fait écrire à Michel
BONIN que « la couche des entrepreneurs ne constitue pas, aujourd’hui, une couche
nettement différenciée de la classe bureaucratique et elle est encore très souvent
dépendante du pouvoir politique. Quant à la nouvelle classe moyenne, la majorité de
ses membres doit également son aisance relative aux liens qu’elle a ou qu’elle a eus
avec le système d’État »109. Par conséquent, il n’est pas dans leur intérêt de réclamer un
changement qui risquerait de remettre en cause ce qu’ils ont acquis.
Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire Section 2
La participation des élites107 au maintien du pouvoir.
Par ailleurs, l’autonomisation de la sphère économique a paradoxalement permis au
Parti d’affermir son contrôle sur la société. En effet, utilisant la possibilité de créer des
entreprises, certains Chinois en ont profité pour développer des activités s’apparentant
davantage à celles pratiquées par des associations qu’à de l’économie. Mais « en
autorisant la création de ces « entreprises », qui se situent à la marge de
l’économique, du politique et du social, le Parti se donne également les moyens de les
réprimer pour des raisons non politiques, telles que l’évasion fiscale, la corruption,
etc. »110. Si la corruption est un problème que le PCC essaie de combattre, cet état de
fait a tout de même tendance à renforcer la stabilité du régime. Notre hypothèse, selon
laquelle la libéralisation relative de la société aurait pour conséquence de consolider un
gouvernement niant la liberté politique et bafouant les droits de l’homme, se trouve
ainsi accréditée davantage. Et l’adhésion des élites à ce système renforce encore cette
idée.
§ 2. Une élite en mutation
La première question que l’on peut se poser pour tenter de comprendre d’où vient la
stabilité du PCC, depuis maintenant cinquante-cinq ans, est celle de la personnalité de
ses dirigeants. Qui dirige la Chine aujourd’hui ? Dans un pays où le monopole
politique exercé par un Parti unique est la règle, la question peut paraître dérisoire tant
la réponse semble évidente. Or, si les membres du PCC ne ménagent pas leurs efforts,
107Nous emploierons le terme « élite » au singulier quand il s’agira de désigner de manière générale
l’ensemble des individus que leurs activités contribuent à distinguer aux yeux du PCC. Lorsque le
terme « élites » sera utilisé au pluriel, il fera référence aux membres de cet ensemble hétérogène.
108BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 134.
109BONNIN Michel, op. cit., p. 241.
110 BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 248.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire comme nous avons pu le voir jusqu’ici, les espaces de liberté récemment créés, même
s’ils sont contrôlés, auraient pu constituer une sérieuse menace pour le régime, comme
cela avait été le cas pour sa voisine soviétique. Pourtant, l’essor progressif d’une
pseudo-société civile cantonnée exclusivement à la sphère privée est loin de signifier
une remise en cause du régime. La raison essentielle à cette stabilité réside dans les
liens que le pouvoir a su tisser au cours du temps avec les élites chinoises. Ainsi,
« c’est d’abord dans le domaine politique que Deng a commencé à agir. Sa stratégie a
consisté à refonder la légitimité du pouvoir du Parti, en tendant la main aux élites
intellectuelles si elle s’abstenait de remettre en question le régime, et à relâcher le
contrôle du PC sur les activités économiques des citoyens, notamment des paysans, en
les autorisant à s’enrichir par la production et le commerce »111. Mais plus encore,
c’est la capacité du Parti à façonner la composition de ces mêmes élites qui lui a permis
d’adapter au mieux sa politique de « coopération sélective »112. Parce qu’une fois
désignées comme faisant partie des « forces productives les plus avancées »113 que le
Parti est censé représenter, ces élites bénéficient de mesures légales favorisant leurs
activités, mais aussi de passe-droits distribués au gré des administrations. Sans être
forcément assimilés à de la corruption pure, ces privilèges permettent d’établir un lien
très fort de réciprocité qui engage les bénéficiaires de tels traitements à maintenir le
pouvoir en place. Mais plus qu’un engagement moral envers le Parti, il s’agit pour
certains des membres de la nouvelle élite de préserver leurs avantages, ayant trouvé
dans le soutien du PCC à investir dans le secteur privé une occasion pour s’enrichir
rapidement dans des conditions souvent opaques. Michel BONNIN écrit justement à ce
propos qu’ « en cas d’évolution démocratique, il est évident que des comptes
pourraient être demandés à bon nombre de ces « nouveaux riches ». Cela ne les
incitera pas à encourager la démocratisation »114.
La composition de cette élite chinoise a beaucoup changé depuis 1949. A l’origine, la
prise de pouvoir par le PCC reposait essentiellement sur le soutien des paysans. Le
maoïsme se distinguait ainsi du stalinisme en ce qu’il reposait sur un communisme
agraire, plaçant de fait la figure du paysan au centre de la politique révolutionnaire. A
une époque où l’idéologie maoïste avait une place prépondérante dans tous les secteurs
de la vie politique et économique du pays, l’élite correspondait alors, et presque
exclusivement, aux principaux cadres du PCC, eux-mêmes issus pour la plupart de la
paysannerie. Voulant rompre avec le passé, jugé forcément « contre-révolutionnaire »,
les anciens membres de l’intelligentsia et autres lettrés ou démocrates furent pris pour
cible des différentes campagnes visant à purger la société de ses « mauvais éléments ».
Le mouvement le plus marquant est évidemment celui de « la Grande Révolution
culturelle prolétarienne » (1966-1969). Cette image de jeunes étudiants, de professeurs
et d’intellectuels chinois de toutes origines, envoyés de force se « rééduquer » à la
campagne en partageant la dure vie des paysans, obligés de travailler dans des
conditions souvent misérables et sous surveillance policière de surcroît, restera gravée
dans la mémoire collective chinoise comme une des heures les plus sombres du
maoïsme. Pourtant aujourd’hui, la page est bien tournée et ceux qui étaient hier
persécutés par le régime font dorénavant partie de ceux que le Parti entend ménager.
Pour Pékin, il était temps de redéfinir les interlocuteurs qui méritaient son attention.
Car « aujourd’hui, ceux qui représentent la modernité sont les ingénieurs et les
techniciens, et, plus encore, les entrepreneurs et les hommes d’affaires »115. C’est en
111 Ibid., p. 54.
112 Nous entendons par « coopération sélective » une politique de main tendue envers une portion
restreinte et préalablement sélectionnée de la population, celle qui constitue l’élite chinoise au
sens large.
113 Cette expression renvoie à la théorie des « Trois Représentations » que nous développerons plus
loin. Voir l’article de BOBIN Frédéric, « Pour son 80e anniversaire, le PC chinois approfondit sa
mue idéologique », in : Le Monde, 03 juillet 2001.
114 BONNIN Michel, op. cit., pp. 239-240.
115 Ibid., pp. 229-230.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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代 表 (sangedaibiao), jette les bases de ce que sera la nouvelle élite promue par le
Parti. La première de ces « représentations », « les forces productives les plus
avancées », répond au mouvement d’ouverture initié par Deng au début des années
1980 et correspond à la volonté de récolter une partie des bénéfices issus de cette
politique en cherchant le soutien des principaux acteurs dans le domaine économique,
notamment les hommes d’affaires, ingénieurs et praticiens des hautes technologies. Car
l’enjeu qui s’impose au pouvoir est « non seulement d’encadrer un peuple rétif mais
contrôlable du fait de la segmentation sociale, mais un vis-à-vis qu’il va falloir gérer
avec d’autant plus de doigté que ces nouvelles élites sont le nerf de la croissance
économique sur laquelle repose la légitimité du régime »117. Il semblerait que cette
stratégie ait été judicieuse, puisqu’en choisissant de soutenir ces « forces productives »,
le Parti est sur le point de gagner son pari d’adaptation à la modernité. Ainsi, « cadres
et entrepreneurs sont en passe de former une même couche sociale qui impulse le
développement, contribue au contrôle de la population et oriente les comportements
sociaux »118.
La deuxième force que le Parti entend « représenter » est « la culture la plus avancée ».
Ici, ce sont bien les intellectuels que le Parti réhabilite explicitement. La réaction de ces
intellectuels qui ont accepté de jouer le jeu proposé par les autorité chinoises, alors
même qu’ils ont connu régulièrement des vagues de répression orchestrées par ces
mêmes autorités, s’explique notamment par la façon dont les intellectuels perçoivent
leur propre statut.
Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire 2000 que Jiang Zemin, par le biais de sa doctrine des « Trois Représentations »116, 三个
§ 3. Le rôle de l’élite selon les intellectuels chinois
Si l’on part du principe que « la notion d’élite renvoie à « l’image sociale de
l’élite » »119, il est intéressant d’étudier quelle a pu être cette image dans la société
chinoise traditionnelle. Et cette image est le fruit, dans le cas présent, du propre regard
que les intellectuels ont sur eux-même et qu’ils communiquent à la société par
l’attitude qui découle de la conception qu’ils ont de leur rôle. Ainsi, « à mesure que
l’on approche du XXIe siècle, les intellectuels de l’Empire du Milieu ont le sentiment
croissant d’appartenir aux élites. Ils estiment qu’il est puéril de dénoncer le système
dans son intégralité et préfèrent améliorer le fonctionnement de l’administration en
participant à toutes sortes de structures de consultation mises en place par le
gouvernement […] »120. Cette conception n’est pas nouvelle et descend directement de
l’époque impériale. La fonction de gouverner a toujours été perçue comme une tâche
éminemment technique, requérant les compétences des membres les plus éclairés du
pays pour prodiguer leurs conseils aux dirigeants et les aider dans leur mission. Au
service du peuple, le gouvernement ne peut toutefois pas être choisi par lui, et son
action encore moins être dictée en fonction des revendications de la population.
« Convaincus que, pour que la Chine puisse devenir un pays moderne elle a besoin de
tranquillité, [les membres de l’intelligentsia] pensent que l’intervention des masses
dans la vie politique est grosse de risque, et que la démocratisation ne peut provenir
que d’une transaction au sein des élites »121. Ce point de vue est partagé notamment par
celui qui fut l’un des principaux leaders du courants des intellectuels libéraux dans la
RPC d’aujourd’hui, LI Shenzhi (1923-2003). Alors que Marie HOLZMAN et CHEN
116 La troisième de ces « Représentations » s’applique aux « intérêts du peuple tout entier ». C’est
une formule creuse sur laquelle nous passerons parce qu’elle ne correspond à rien de précis.
117 HEVRIER Yves, op. cit., p.27.
118 DOMENACH Jean-Luc, « La Chine est-elle entrée dans le monde ? », in : MICHAUD Yves
(Ed.), op. cit., p.253.
119 COENEN-HUTHER Jacques, Sociologie des élites, Paris, Armand Colin, 2004, p. 102.
120BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 208.
121Ibid., p. 212.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Cette attitude méprisante pour les autres catégories sociales est un trait récurrent des
intellectuels chinois, encore aujourd’hui. « Ils estiment que ce sont eux qui constituent
la force principale dans le combat pour la modernisation du pays, et que leurs
connaissances les prédestinent à exercer un rôle dirigeant dans la société, y compris
dans le domaine de l’expression des revendications »128. Alors, quand le Parti décida en
2000 de leur reconnaître officiellement un rôle dans le développement du pays et de
recourir à leurs expertises sur certains sujets, il n’était pas question pour eux de refuser.
« Cette nouvelle fonction accordée aux intellectuels, chercheurs, enseignants, n’est pas
pour leur déplaire dans la mesure où elle leur permet d’exercer les deux rôles qu’ils
affectionnent particulièrement depuis des siècles : Conseiller du prince et porte-parole
de la société, tout en y ajoutant un élément de modernité caractérisé par la
reconnaissance de leur compétence scientifique »129.
Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire Yan présentent son texte comme étant « un vibrant hommage à la démocratie »122 et
d’un « rare optimisme quant à l’avenir démocratique de la Chine »123, LI Shenzhi reste
très prudent en écrivant qu’ « actuellement, une démocratisation entraînerait
inévitablement un grand désordre dans le pays et ne serait en rien profitable au peuple
chinois »124. Aussi préconise-t-il de repousser sa réalisation « jusqu’à un avenir
lointain », avenir qu’il date « aux alentours de 2040 »125 ! En fait, le principe même de
démocratie, qu’elle soit participative ou représentative, n’est pas envisagé par les
intellectuels chinois, dans le sens où jamais ils n’auraient recours à la population pour
mener une action. Ainsi, au début du Mouvement pour la démocratie en 1989, les
intellectuels font preuve d’une grande circonspection à l’égard des manifestations
étudiantes. La démocratie se résumerait donc selon eux au simple fait que « le Parti
leur permet[te] de s’exprimer et écoute leurs conseils »126. Et même le mouvement
étudiant de Tian'anmen, connu dans le monde entier pour son dénouement tragique,
s’est toujours organisé séparément des autres grandes manifestations, ouvrières
notamment, qui avaient lieu au même moment pour soutenir leur démarche. Les
étudiants, se vivant comme une élite en devenir chargée de la mission sacrée de
promouvoir la démocratie et de dénoncer les injustices, refusaient par exemple l’accès
des manifestants non-étudiants à leur cortège. Car « si les étudiants se sentent
renforcés par le soutien que leur exprime la société, ils resteront toujours très attentifs
à préserver la « pureté » de leur mouvement »127. Un filtrage était ainsi organisé par un
service d’ordre composé d’étudiants et par la distribution de badges.
La façon dont les intellectuels voient leur rôle dans la société ne facilite pas le
développement d’une théorie réellement démocratique, au sens où nous l’entendons
dans nos sociétés occidentales. La relation qui s’est établie entre cette intelligentsia,
héritière directe des lettrés des temps impériaux, et les autorités chinoises, se réclamant
toujours officiellement d’une idéologie révolutionnaire communiste, est pour le moins
surprenante. L’arrivée au pouvoir du PCC en 1949, malgré tous les efforts qu’il a faits
pour « rééduquer » la population et rompre avec l’esprit des époques antérieures,
impériales et républicaines, n’a donc pas suffi à venir à bout d’une tradition ancrée
dans les esprits de ces intellectuels. Mais alors que c’est pourtant à eux que revient la
tâche de développer des théories pour mieux appréhender le monde, étant par là les
mieux à même de promouvoir la démocratie, leur choix de soutenir la politique du Parti
en acceptant de ne pas travailler directement sur des questions politiques, rend les
122CHEN Yan, HOLZMAN Marie (Eds), Ecrits édifiants et curieux sur la Chine du XXIe siècle :
voyage à travers la pensée chinoise contemporaine, Paris, Ed. de l’Aube, 2003, p. 13.
123Ibid.
124LI Shenzhi, « Objectif démocratie », in : CHEN Yan, HOLZMAN Marie (Eds), op. cit., p. 22.
125Ibid., p. 40.
126BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 114.
127Ibid., p. 151.
128Ibid., p. 152.
129Ibid., p. 245.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire aspirations des démocrates chinois encore plus inaccessibles qu’elles ne semblaient
déjà. L’avenir démocratique du pays paraît ainsi d’autant plus compromis que la notion
de modernité est associée dorénavant à une dépolitisation de la société.
­ 37 ­
Yves CHEVRIER nous rappelle que « la tentation nationaliste et
celle d’un État fort, constructeur de la nation moderne, exercent
une réelle séduction depuis les années 1990. Ces mythes le
disputent à celui de la démocratie ou, du moins, semblent
prendre le pas sur elle dans le développement historique de la
nation chinoise »130. C’est donc bien cette « séduction » qui
explique, sinon l’adhésion, en tous cas la non opposition de la
population au système. Car, quand il s’agit de se moderniser, les
Chinois sont les premiers à se lancer dans le mouvement, à tel
point que ce sont également les premiers à subir les retombées
néfastes de cette modernité, réduisant les chances de voir la
démocratie un jour s’installer en Chine (Section 1) et contribuant
à ternir l’image du politique auprès des jeunes et des moins
jeunes (Section 2).
Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire Chapitre 2
Les effets pervers de la modernité occidentale
130CHEVRIER Yves, op. cit., p. 42.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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L’hypothèse de travail que propose Yves CHEVRIER dans son article s’articule autour
de deux éléments qui permettraient selon l’auteur d’« inclure dans un dispositif de
pouvoir renouvelé certains éléments choisis […] afin de mieux exclure tous les
autres »131. Les éléments en question sont « la force de l’argent et de l’expertise » qu’il
définit comme le premier jalon d’un compromis post-révolutionnaire132.
§ 1. La liberté par l’expertise
Comme nous venons de le voir, « les chercheurs et les professeurs ont de plus en plus
conscience d’appartenir à une élite dont le critère d’accès est la compétence
académique »133. La valorisation de leur travail par le pouvoir les a encouragés à
poursuivre dans cette voie. Mais c’est sans doute davantage par goût de la liberté que
ces intellectuels exercent leur métier. Aussi, « selon les professeurs qui se considèrent
comme modernes, ce n’est qu’en développant leurs capacités dans le domaine
académiques que les intellectuels pourront conquérir une certaine autonomie par
rapport au pouvoir et garantir ainsi l’existence d’une liberté d’expression minimale
»134. En effet, le fait d’utiliser un vocabulaire scientifique leur donne un accès
pratiquement illimité à l’ensemble des domaines du champ de la connaissance, y
compris en sciences humaines135. La sociologie, longtemps interdite par le PCC, a pu
par exemple renaître de ses cendres et trouve aujourd’hui sa dynamique en multipliant
les études sur la société chinoise dont le mouvement permanent fournit une source de
sujets inégalée. Le PCC laisse d’ailleurs une grande liberté dans le choix des sujets
pour lesquels son contrôle s’est affaibli. Ainsi, il « abandonne peu à peu l’ambition de
contrôler rigoureusement le débat d’idées, tant qu’il reste cantonné à des milieux
spécialisés, et qu’il ne remet pas en cause ouvertement sa légitimité »136. Tout sujet
peut constituer matière à réflexion, à condition de rester dans une approche strictement
scientifique et académique. Ainsi est-il possible de voir des chercheurs aborder
l’histoire de la démocratie occidentale, ou faire des conférences sur certains grands
penseurs à l’origine des droits de l’homme. En revanche, il n’est pas question pour le
Parti de laisser se populariser des idées qui pourraient être « subversives ». Michel
BONNIN rappelle d’ailleurs que « tout franchissement d’une limite volontairement
floue et arbitraire entraîne la répression »137. Aussi, conscients du risque qu’il y a pour
eux de remettre trop directement en cause le fonctionnement du régime de Parti unique,
les intellectuels délaissent les matières trop sensibles pour se concentrer sur des études
plus ciblées de la société chinoise. Et comme de toutes façons, seule compte à leur
yeux la qualité de scientificité de leur travail, la prise de risque ne correspond pas
forcément à un enjeu suffisamment important. Jean-Philippe BEJA souligne que « ces
convictions les conduisent à se détourner des grandes questions comme la démocratie,
la justice, etc., pour se consacrer à leur spécialité »138. Et pour ceux qui décident quand
même de travailler sur de tels sujets, seuls les plus « prudents », autrement dit ceux qui
ne chercheront pas à critiquer le Parti, bénéficieront de la clémence des autorités. Les
autres courent le risque de se voir au mieux refuser le droit de poursuivre leurs
recherches, ou au pire, d’être arrêtés pour un des chefs d’accusation permettant de faire
taire les critiques, tel que celui de « trouble à l’ordre public » ou « tentative de
subversion du pouvoir de l’État », et envoyés dans un laogai pour y être « rééduqués ».
Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire Section 1
Puissance économique et gouvernance : le duo « démocraticide »
131Ibid., p. 27.
132Ibid.
133BEJA Jean-Philippe, op. cit., pp. 212-213.
134Ibid., p. 207.
135THORAVAL Joël, « Ethnies et nation en Chine », in : MICHAUD Yves (Ed.), op. cit., p. 50.
136BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 209.
137BONNIN Michel, op. cit., p. 231.
138BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 207.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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§ 2. Une approche dépolitisée de la gestion des affaires publiques
Une des préoccupations majeures du pouvoir, partagée par l’ensemble de la population,
est de poursuivre la modernisation de la Chine dans tous les domaines, aussi bien
économique, que militaire ou scientifique. Yves CHEVRIER précise à ce sujet que « à
côté des structures, des pratiques, des normes et des symboles issus de l’ancien État
maoïste s’affirme non certes une société civile ou une démocratie en gestation, mais
une autre forme d’État, une « gouvernance », si nous voulons emprunter un terme au
jargon, dont le développement est étroitement lié à des phénomènes nouveaux »140. Sur
le plan politique, c’est l’amélioration de la gestion administrative qui est retenue. La
« modernité » à laquelle la Chine veut accéder est celle vantée par la communauté
internationale et correspond à une modernité toute occidentale. Or, nos sociétés
occidentales sont elles-mêmes en mutation, à tel point que certains analystes préfèrent
parler d’État post-moderne quand il s’agit de définir les systèmes politiques en vigueur
en Occident. Car avec le temps, nos démocraties finissent par ne plus avoir de
démocratique que le nom. L’apparition de la notion de gouvernance correspond à un
mouvement de dépolitisation général, caractérisé notamment par le fait que le peuple,
titulaire théorique de la souveraineté nationale, se désintéresse toujours davantage de la
vie politique de son pays. La croissance de l’abstention dans nombre d’États, les ÉtatsUnis en tête, est révélatrice de cette tendance. Ainsi, quelle légitimité donner à des
représentants élus par moins de la moitié de la population bénéficiant du droit de vote ?
Avec la professionnalisation des politiques et la complexification des débats qui
prennent rapidement une technicité inaccessible pour le profane, le gouvernement des
hommes laisse la place à l’administration des choses. Mais ce phénomène, dans des
pays qui autorisent la liberté de la presse, la possibilité pour leurs citoyens de
s’organiser pour exprimer, le cas échéant, leur désaccord avec les choix de leur
gouvernement, et surtout la multiplication d’associations en tous genres, n’a pas le
même écho que dans des régimes autoritaires. Les conséquences de la dépolitisation en
Chine ont des répercussions bien plus alarmantes que dans ces États où la tradition
démocratique est ancrée depuis des siècles.
Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire Cette perspective tend à renforcer l’autocensure que s’imposent les intellectuels. Ils
préfèrent cultiver l’autonomie dont ils bénéficient dans leur sphère d’activité et
travailler à étendre lentement leur champ de compétences plutôt que de prendre des
risques pour modifier un système qui finalement ne les dérange pas tant que cela. Pour
eux donc, « l’essentiel est de conquérir une autonomie par rapport au Parti, et le
meilleur moyen d’y parvenir consiste à s’appuyer sur le professionnalisme »139. Cette
attitude concourt à renforcer la dépolitisation de la société et de la sphère publique.
Car comme le fait remarquer Jean-Philippe BEJA, « le gouvernement chinois a bien
saisi à quel point cette évolution de l’État moderne pouvait servir ses intérêts et il a
adopté avec enthousiasme les thèmes de la gouvernance et autorisé la création d’une
pseudo-société civile, donnant satisfaction aux organisations internationales qui se
félicitent de ce saut dans la modernité »141. Mais cette « modernité » à laquelle aspire
Pékin met en péril la perspective d’une démocratisation du régime, puisque si le PCC y
parvient en préservant les conditions actuelles de son développement, il n’aura alors
plus aucune raison de modifier son système politique. Et il est à parier qu’en devenant
une grande puissance, le soutien populaire dont il bénéficie déjà en partie sera encore
renforcé.
§ 3. Le succès économique, critère exclusif du bon fonctionnement politique
Si les dirigeants chinois ne s’embarrassent pas du respect des droits de l’homme pour
accomplir leurs réformes, emprisonnant les opposants, colonisant des régions entières
139Ibid., p. 211.
140CHEVRIER Yves, op. cit., p. 27.
141BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 244.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire comme le Tibet pour acculturer leur population, etc., il semblerait que le seul critère
valable soit le résultat obtenu. Aussi la Chine travaille-t-elle « principalement à
modifier le rapport des forces en augmentant leur potentiel économique et en
manœuvrant leurs partenaires extérieurs »142. La condition de survie du régime résidant
dans sa capacité à faire de la Chine une grande puissance mondiale, le PCC est soumis
à une obligation de résultat, mettant tous les moyens en œuvre, y compris les plus
condamnables, pour arriver à ses fins. Et parmi les critères retenus par la communauté
internationale pour définir la puissance, le développement économique figure en
première place des attributs de la modernité. Car la victoire du camp capitaliste au
sortir de la Guerre froide a permis le développement d’une mondialisation avant tout
économique. Deng Xiaoping l’avait bien compris puisqu’il décida de poursuivre « la
mise en œuvre de sa politique qui consiste à autoriser toutes les audaces dans le
domaine économique et à maintenir par tous les moyens l’hégémonie du Parti sur le
champ politique »143. Et bien que la distribution des résultats économiques à la
population soit très inégale, renforçant les disparités entre urbains et paysans, mais
aussi entre la côte et la partie intérieure de la Chine, afficher 8 % de croissance
annuelle à la vitrine du pays contribue à façonner l’image d’une Chine moderne aux
yeux du monde, mais aussi au sein de la population. Ainsi, même si tous les Chinois ne
bénéficient pas des gains enregistrés par le pays, l’espoir que la croissance finisse par
leur profiter un jour entretient la confiance qu’ils placent dans le Parti. Car les
manifestations qui se multiplient à travers tous le pays ne remettent jamais en cause la
politique du PCC en tant que telle mais servent plutôt au contraire à lui demander son
aide pour réparer les injustices dont ils sont victimes en intervenant davantage pour
réguler par exemple la répartition des richesses. Nous pouvons donc en conclure, à
l’instar de Jean-Philippe BEJA, qu’à l’heure actuelle, « les protestations des
travailleurs des entreprises d’État ne menacent pas le régime. Elles ne sont pas, en
général, dirigées contre le Parti, n’exigent même pas un changement politique et
encore moins l’instauration de la démocratie »144.
Les résultats en termes de reconnaissance politique de ce développement économique
sont déjà là. Cette reconnaissance engendrant de nouvelles responsabilités sur la scène
internationale145 et de nouveaux défis, les projets se multiplient dans une Chine qui
ressemble depuis plusieurs années à un vaste chantier, la ville de Pékin en tête. Mais ce
n’est pas forcément dans l’intérêt de ses habitants. En cela, le choix de la ville de Pékin
pour organiser les Jeux Olympiques de 2008 correspond bien à une forme de
reconnaissance de la part de la communauté internationale. Bien que le mode de
sélection du pays organisateur au sein du Comité International Olympique (CIO)
repose sur un mélange entre choix stratégiques purement nationaux, alliances de
circonstances, corruption et un principe d’alternance entre les continents, jamais la
Chine n’aurait été choisie si le CIO avait eu des doutes quant à sa capacité à prendre en
charge l’organisation d’une telle institution. Mais comme le souligne Marie
HOLZMAN, « loin de contribuer à la démocratisation du système, la tenue
d’évènements internationaux sur le territoire chinois fournit un prétexte idéal à
l’accentuation de la répression : « il ne faudrait surtout pas donner une mauvaise
image de la ville » ! »146. Ainsi peut-on prévoir que « l’organisation des jeux
Olympiques à Pékin en 2008 donnera lieu à de féroces opérations de répression
préventives »147.
Dès lors, le développement économique de la Chine, s’il permet bien un retour de ce
pays sur la scène internationale, ne favorise en rien la démocratisation du système. Au
142DOMENACH Jean-Luc, op. cit., p. 263.
143BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 205.
144Ibid., op. cit., p. 233.
145La médiation de la Chine auprès de la Corée du Nord en est un exemple.
146RSF (Ed.), op. Cit., p. 35.
147Ibid., pp. 35-36.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire mieux a-t-il permis une amélioration des conditions de vie d’une partie de la population
et le développement d’une société civile dont les libertés restent cependant sous le
contrôle du PCC. L’entrée dans la « modernité » n’est donc pas synonyme de progrès
des droits de l’homme, et encore moins de démocratisation. Par ailleurs, la relégation
du politique au rang subalterne de régulateur de l’ordre économique établi est un autre
des effets de cette modernité, et une fois encore ce sont les droits de l’homme qui en
pâtissent.
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§ 1. La montée de l’individualisme
Avant de parler de la population chinoise, encore faut-il avoir à l’esprit l’immense
transformation dont elle a fait l’objet en seulement deux décennies. L’image d'Épinal
du paysan chinois, habillé en costume « Mao », une casquette vissée sur la tête, et
travaillant les champs, entre deux réunions du Parti auxquelles il se rendrait à vélo est à
classer parmi les vestiges d’une époque révolue. La nouvelle génération de Chinois
aurait ainsi un profil bien différent de celui d’il y a vingt ans, surtout dans les grandes
villes. Enfant unique et choyé à l’extrême, le Chinois « moderne » se préoccupe
essentiellement de gagner de l’argent. Il se balade dans les rues de la ville au volant de
sa voiture, le portable collé à l’oreille148, et s’évertue à placer des mots en anglais dans
la conversation pour faire « branché ». La conséquence qui en découle est un désintérêt
grandissant pour la chose publique, le seul objectif que ces Chinois poursuivent étant
l’amélioration de leur propre confort. Jean-Philippe BEJA explique justement que « le
culte de l’argent, l’individualisme exacerbé qui accompagnent le processus de
modernisation de l’économie ne constituent pas un terrain favorable au développement
du courant démocratique ». Et de préciser que « la plupart des citoyens chinois
s’occupent surtout de l’amélioration de leur vie personnelle, et, comme c’est le cas
dans bien des régions du monde, ils ne montrent guère d’enthousiasme pour l’action
publique »149. Une fois encore, l’amélioration des conditions de vie et l’ouverture d’un
espace de libertés dans la sphère privée ne favorisent pas une démocratisation du
régime. Au contraire, le désintérêt de la population envers la politique contribue à
ménager le Parti qui se trouve dès lors libéré d’une menace qui aurait pu venir de ces
citadins de la nouvelle génération. Et à mesure que l’individualisme se propage à
travers la Chine comme une nouvelle façon de concevoir la vie en société, la stabilité
du régime se renforce en conséquence.
Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire Section 2
La mauvaise image du politique dans la jeunesse chinoise.
Outre le culte de l’argent lié à l’entrée du capitalisme en Chine, la politique de l’enfant
unique a des effets directs sur l’évolution des mentalités. Pays traditionnellement
agraire, la pratique voulait que le nombre d’enfants par famille soit important, pour
pouvoir notamment aider aux travaux des champs. La préférence allait surtout aux
garçons, les filles étant destinées à quitter leur famille une fois mariée pour suivre leur
époux150. Si l’importance des familles nombreuses est une composante de toutes les
sociétés n’ayant pas encore achevé leur transition démographique, le cas chinois avait
une portée exceptionnelle, avec un nombre d’habitants déjà le plus élevé de la planète.
Ainsi, alors que dans la plupart des pays développés la transition démographique s’est
faite en douceur au rythme de l’Histoire, le PCC a décidé en 1979 de mettre fin à cette
croissance explosive de manière autoritaire151. C’est donc Deng Xiaoping qui instaura
la politique de l’enfant unique, interdisant aux couples vivant en ville d’avoir plus d’un
148« Avec 20 % de la population, le taux d’équipement [en téléphones mobiles] reste largement
inférieur à celui des pays occidentaux, mais à l’échelle de la Chine, cela représente tout de même
250 millions d’utilisateurs » rapporte le journaliste Laurent MAURIAC. Voir l’article de
MAURIAC Laurent, « Ningbo Bird, l’envol du portable », in : Libération, supplément, 4
novembre 2003, p. V.
149BEJA Jean-Philippe, op. cit., pp. 250-251.
150Cette coutume aura pour effet, avec la mise en place de la politique de l’enfant unique dont nous
allons parler, de développer une pratique eugénique, avec, selon les cas, un avortement sélectif
des fœtus féminins après identification de leur sexe au moyen de l’échographie, l’infanticide des
bébés filles ou l’abandon du nouveau-né quand il s’agit d’une fille. Une des conséquences est
notamment un déséquilibre des rapports hommes-femmes dans la société chinoise d’aujourd’hui.
Voir l’article de BLAYO Yves, « Persistance des problèmes démographiques en Chine », in :
INED, Population et Sociétés, (331), janvier 1998, p. 2. Article disponible en ligne à l’adresse :
http://www.ined.fr/publications/pop_et_soc/pes331/PES3312.htm
151Voir l’annexe 3 p.Erreur : source de la référence non trouvée du mémoire.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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§ 2. L’engagement associatif plutôt que la politique qui corrompt
Nous avons vu qu’avec le développement d’Internet notamment, les Chinois étaient de
mieux en mieux informés, et ce malgré le contrôle du PCC. Il n’est pas rare d’ailleurs
qu’à l’occasion de faits divers156 ou d’injustices commises par le Parti ou certains de
ses cadres, des mouvements de protestation prennent naissance sur la Toile. Car
l’individualisme ne signifie pas pour autant l’indifférence. La mondialisation a
également eu pour effet de rendre l’Autre plus proche de soi, et les malheurs que vivent
les uns ont tendance a être vécus par les autres comme une atteinte personnelle. Par
ailleurs, Michel BONNIN explique que « la diversification sociale, le retrait de l’État
du domaine de la vie privée de même que l’abandon de son ambition d’offrir à chaque
citadin des moyens de subsistance ont entraîné la nécessité d’une tolérance à l’égard
de la création d’organisations non directement contrôlées »157. Ce phénomène de
compassion à l’égard des autres, conjugué à une certaine tolérance du Parti à l’égard de
la création d’associations a permis le développement de l’engagement associatif des
Chinois. Dans une société où l’écart entre les riches et les pauvres atteint des records,
les injustices se multiplient. Le journal Les Échos rapporte ainsi que « le revenu par
tête atteint près de 3500 dollars à Shanghai, contre 364 dollars dans le Guizhou, la
province la plus pauvre. Il dépasse 2000 dollars à Pékin quand il culmine à 700 dans
le Sichuan. La façade maritime de la Chine capte, à elle seule, 80 % des précieux
investissements directs étranger, qui assurent la modernisation du pays »158. Les
citoyens s’organisent en conséquence, pour faire face à la montée de la pauvreté, aider
Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire enfant, et à ceux vivant à la campagne plus de deux152. Cette politique, toujours en
vigueur aujourd’hui, fut accompagnée de mesures pour reculer l’âge du mariage et de
vastes campagnes de stérilisation des femmes et d’avortements forcés. Cette transition
brutale entraîna une montée non moins brutale de l’individualisme. En effet, l’enfant
unique devint l’objet de toutes les attentions, focalisant les regards de ses parents et de
ses grands-parents sur son unique personne153. Ce « petit empereur » est ainsi couvert
de cadeaux depuis son plus jeune âge, surprotégé et sur-nourri154. Mais il est également
le seul à porter les espoirs de ses parents, notamment en matière d’éducation. Il
acquiert ainsi très tôt un esprit de compétition, car les places dans l’enseignement
supérieur sont chères155 et il est inconcevable de décevoir des parents qui donnent
tellement à leur enfant… D’où l’apparition d’une société façonnée par l’individualisme
et à l’esprit de compétition bien ancré.
152Il est intéressant de noter que la politique de l’enfant unique ne concerne pas les « minorités
nationales », officiellement pour que leur part dans la population s’accroisse (rééquilibrage des
ethnies), mais officieusement afin d’éviter que cela ne leur donne davantage de raisons de
contester leur situation et la politique de Pékin.
153Les Chinois nomment ce phénomène le syndrome « un, deux, quatre », ou « 一 二 四 » (yi er
si), en référence à l’enfant unique, couvé par ses deux parents et ses quatre grands-parents.
154Le problème de l’obésité en Chine prend chaque année une ampleur nouvelle. Ainsi, « La Chine
(…) conna[ît] depuis dix ans une augmentation du taux de surpoids de 5 % » voir : GALUS
Christiane, « L’obésité s’étend désormais aux pays en voie de développement », in : Le Monde, 15
oct. 2003.
Voir également sur le site de l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture
(FAO) : http://www.fao.org/FOCUS/F/obesity/obes2.htm
155Voir l’article de HASKI Pierre, « La Chine met à prix l’éducation », in : Libération, 23 septembre
2003.
156Un exemple de fait divers ayant suscité la réaction des citoyens nous est donné par l’article de
HASKI Pierre, « Une BMW relance la lutte des classes en Chine », in : Libération, 14 janvier
2004. Il y est question d’une riche conductrice ayant écrasé un paysan et dont la clémence du
jugement à son égard a soulevé l’indignation des internautes.
157BONNIN Michel, op. cit., p. 234. Voir aussi l’article de BOBIN Frédéric, « Le régime de Pékin
conjugue répression politique et tolérance des mouvements sociaux », in : Le Monde, 28 janvier
2004.
158DUPONT Stéphane, GRANDI Michel de, « L’autre Chine de Hu Jintao », in : Les Echos, 28
janvier 2004.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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patrimoine culturel en s’opposant par exemple à la démolition des Hutong 胡 同, les
fameuses ruelles de Pékin159. Autant de sujets pour lesquels les Chinois se mobilisent.
Mais cet éparpillement des forces de mobilisation facilite la stabilisation du pouvoir.
C’est ce qu’explique Jean-Philippe BEJA en écrivant que si le but de ces Chinois qui
s’investissent est avant tout d’améliorer le sort de la population, « ils sont toutefois
conscients de la nécessité d’éviter de poser les problèmes en termes politiques, et, de
plus en plus, empêchent les dissidents […], d’y participer, contribuant à isoler ceux qui
cherchent à représenter une alternative politique, et consolidant ainsi la légitimité du
Parti »160. Car pour eux, il est urgent d’aider le gouvernement à résoudre les problèmes
plutôt que de « perdre son temps » à vouloir vainement changer le système. L’auteur
écrit justement à ce propos que « le développement d’une société civile ne remettant
pas en cause le régime et qui attire un nombre croissant de citoyens désireux
d’améliorer les conditions de vie de la population contribue à l’affaiblissement du
mouvement d’opposition qui estime que la transformation du système est
indispensable »161. Ainsi, la démocratisation du régime ne semble pas préoccuper ces
militants chinois.
§ 3. La démocratie, pour quoi faire ?
Michel BONNIN rappelle que « depuis les années 1980 et particulièrement depuis le 4
juin 1989, le déclin du marxisme et celui du maoïsme ont été compensés par le
développement d’une culture et d’une idéologie plus modernes mais également
antidémocratiques, qui ont un certain succès dans la population, et notamment parmi
les cadres et les intellectuels »162. En effet, la démocratie est très mal perçue par une
partie importante de la population chinoise. Alors que les jeunes se désintéressent tout
simplement de la politique, les plus anciens assimilent la démocratie à la période
républicaine (1912-1949), « l’époque marquée par les déprédations des seigneurs de
la guerre qui ont tellement affaibli le pays qu’il a été incapable de résister à l’invasion
japonaise »163. Ainsi, alors que Sun Wen, plus connu en Occident sous l’appellation
cantonaise de Sun Yat-sen, tentera d’instaurer une république réellement démocratique,
la faiblesse de son mouvement favorisera les dissensions et l’apparition de nouvelles
ambitions qui auront raison de son projet. Car comme l’écrit Jacques GERNET, « la
« révolution » de 1911 n’est pas, comme on l’a prétendu afin de l’insérer dans le
schéma d’une évolution historique dont le modèle a été fourni par l’Europe ou par la
théorie marxiste des cinq stades de l’évolution de l’humanité […], une révolution
« bourgeoise », mais un simple intermède dans la décomposition du pouvoir politique
en Chine »164. Prenant ses fonctions de président de la République à Nankin le 1er
janvier 1912, Sun Yat-sen se voit contraint de céder sa place à Yuan Shikai le 14 février
de la même année. Disposant de forces armées importantes, contrairement à Sun Yatsen, Yuan Shikai aura tôt fait de dissoudre le Parlement et de transformer la République
en véritable dictature dès 1914. L’émiettement de la Chine qui suivra avec la période
des seigneurs de la guerre, l’intervention des puissances étrangères dans les affaires
chinoises et la prise de contrôle d’une partie du territoire par le Japon au sortir de la
première guerre mondiale favorisera la prise de pouvoir par Chiang Kai-shek. Par
ailleurs, « en janvier 1924, le parti nationaliste (Guomindang) est réorganisé sur le
modèle soviétique et devient un parti centralisé, hiérarchisé, bureaucratique et
Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire les ouvriers des anciennes entreprises d’État au chômage, défendre les habitants
expropriés par des promoteurs immobiliers peu scrupuleux ou encore préserver leur
159Sur la démolition des hutong, voir CHAUDERLOT Charles, « Destruction du patrimoine humain
et historique à Pékin », in : MICHAUD Yves (Ed.), op. cit., pp. 143-158.
160BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 249.
161Ibid., p. 253.
162BONNIN Michel, op. cit., p. 242.
163BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 80.
164GERNET Jacques, op. cit., p. 543.
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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On peut dès lors comprendre que cette période républicaine, caractérisée par une
alternance de désordre et de dictatures, inspire la répulsion des Chinois. Mais un
événement plus récent est à prendre en compte pour expliquer la réticence chinoise à la
démocratie. Il s’agit de la dislocation de l’Union soviétique, événement qui fera l’objet
d’une réinterprétation par le PCC à des fins de propagande. Ainsi, « à partir de 1991,
la presse ne cesse de publier des analyses de la situation en ex-Union soviétique. […]
Et, chaque fois, on insiste sur le fait que cette catastrophe a été rendue possible par
l’instauration de la démocratie. Cette propagande ne laisse pas de marbre les
démocrates chinois qui sont avant tout des patriotes »166. Le danger de voir la Chine,
vaste pays à l’échelle d’un continent et peuplé d’une population multiculturelle et
multiethnique, se disloquer interpelle tous les Chinois qui croient en la grandeur de leur
pays. Si la démocratie pouvait signifier une remise en cause de l’unité nationale, il ne
serait pas étonnant de voir des démocrates convaincus changer de position pour
soutenir le pouvoir en place. Mais il est heureux de constater que cette hypothèse ne
suffit tout de même pas à décourager tout le monde et qu’il existe toujours en Chine
des militants prêts à se battre pour que la liberté politique devienne un jour une réalité
dans ce pays.
Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire omnipotent, appelé à étendre son contrôle sur tous les rouages de l’État et de
l’armée »165.
165Ibid., p. 547.
166BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 202
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Conclusion
Conclusion
La Chine fascine l’Occident depuis des siècles, et la croissance de son développement a
également tendance aujourd’hui à concentrer l’attention sur les aspects positifs de
l’ouverture. Le gouvernement chinois se voit ainsi félicité pour ses efforts et encouragé
pour aller de l’avant, notamment dans le domaine des droits de l’homme. Mais quand
on s’intéresse de près à la réalité de la liberté dont bénéficie effectivement la
population chinoise, on se rend compte que ces réformes ne sont finalement que des
concessions accordées limitativement par le PCC, quand il ne s’agit pas tout
bonnement de poudre aux yeux. Car il n’est pas question pour le régime d’abandonner
une once de liberté politique à ses concitoyens. En revanche, ayant compris qu’un
contrôle excessivement pesant dans le domaine privé, et notamment économique,
pouvait à terme conduire la population à se rebeller contre le système, l’octroi de
certaines libertés a permis de constituer une soupape de sûreté pour le régime, une sorte
de dérivatif économique contribuant à détourner l’attention des problèmes politiques.
Cette stratégie a d’autant mieux fonctionné que les Chinois, trouvant dans cet espace
privé le seul moyen de goûter à la liberté, se sont pleinement investis dans le domaine
économique, facilitant les bons résultats affichés par Pékin en termes de croissance et
du même coup sa reconnaissance sur la scène internationale. Mais cette entrée de la
Chine dans la société mondiale de consommation ne signifie pas pour autant une
normalisation sur le plan politique. L’évolution de la vie politique à Hong Kong nous
offre un bon exemple de ce maintien obstiné d’une vision politique autoritaire de
Pékin, malgré les engagements qui ont pu être pris.
Ancienne colonie britannique, la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997 a été
accueillie en fanfares sur le continent, tandis que les doutes et les craintes étaient bien
présentes sur l’île à ce moment là. En effet, démocratie et liberté faisaient sens à Hong
Kong du temps de la direction britannique, et les habitants hongkongais n’entendaient
pas se départir de ce que les citoyens chinois du continent pourraient considérer comme
des privilèges. Anticipant les inquiétudes, JIANG Zemin, alors président de la RPC,
avait lancé la formule « un pays, deux systèmes », devant assurer le statut de Région
Administrative Spéciale à Hong Kong et une grande autonomie, y compris sur le plan
politique. Mais cette faveur n’eut qu’un temps, et déjà les pressions se font plus fortes
sur les démocrates hongkongais, contraints tour à tour de démissionner de leurs
fonctions ou de s’exiler pour échapper aux menaces et aux violences orchestrées à leur
encontre par Pékin. Accompagnant la reprise en mains par l’APN quelques mois plus
tôt de l’interprétation des normes en vigueur sur l’île, ce qui a conduit notamment à
interdire l’introduction du suffrage universel pour les prochaines échéances électorales
de 2007 et 2008, ce mouvement d’intimidation lancé en mai 2004 confirme le maintien
de cette « ambition totalitaire » sur le plan politique. Et le fait qu’il s’agisse pour Hong
Kong d’un retour en arrière par rapport à la situation dont l’île bénéficiait avant la
rétrocession rend les choses encore plus visibles.
Mais les Hongkongais n’entendent pas se laisser faire. Les mobilisations se multiplient
pour revendiquer le respect de leurs droits, les citoyens de l’île saisissent chaque
occasion pour rappeler aux autorités chinoises qu’ils restent vigilants et qu’ils sont
prêts à se battre pour préserver leur liberté. Ainsi, quatre-vingt mille personnes ont
défilé dans les rues de Hong Kong pour commémorer la répression de Tiananmen.
Cette manifestation a sonné comme un avertissement à l’approche des élections.
Pourtant, malgré la mobilisation de ces Hongkongais, et malgré les efforts de
l’opposition chinoise qui dénonce inlassablement les exactions du régime, la
perspective d’une réforme politique, devant succéder à l’ouverture économique, ne
semble pas envisagée de sitôt. A moins qu’un événement extérieur, comme le réveil de
la communauté internationale ou l’apparition d’une crise économique, ne vienne
bouleverser les projets du PCC. Mais là encore, il n’est pas sûr que l’évolution se ferait
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Conclusion
dans le sens d’une démocratisation. Et il est même à craindre qu’une telle hypothèse ne
mène à un durcissement du régime.
Reste donc à travailler pour connaître et faire connaître les intentions réelles du Parti.
Parce que ce n’est pas en attendant patiemment que le régime ne chute de lui-même
que les droits de l’homme vont progresser en Chine. De même, attendre que le Parti ne
se démocratise à la faveur de la prise de pouvoir d’un « despote éclairé » peut encore
prendre un certain temps…
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
Annexes
Annexes
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Annexes
Annexe 1
HAUT COMMISSARIAT DES NATIONS UNIES
AUX DROITS DE L'HOMME
Statut des instruments internationaux
relatifs aux Droits de l'Homme
au 10 janvier 2003
Les instruments internationaux des Nations Unies relatifs aux droits de l'Homme créant
des organes de surveillance sont les suivants (le sigle en langue anglaise figure entre
parenthèses) :
(1) le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (CESCR),
dont l'organe de surveillance est le Comité des droits économiques, sociaux et
culturels;
(2) le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (CCPR), dont l'organe de
surveillance est le Comité des droits de l'Homme ;
(3) le Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques
(CCPR­OP1);
(4) le Deuxième Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et
politiques visant à abolir la peine de mort (CCPR­OP2­DP) ;
(5) la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (CERD), dont l'organe de surveillance est le Comité pour l'élimination de la
discrimination raciale ;
(6) la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des
femmes (CEDAW), dont l'organe de surveillance est le Comité pour l'élimination de la
discrimination à l'égard des femmes ;
(7) le protocole facultatif à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de
discrimination à l'égard des femmes (CEDAW­OP) ;
(8) la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants (CAT), dont l'organe de surveillance est le Comité contre la torture ;
(9) la Convention relative aux droits de l'enfant (CRC), dont l'organe de surveillance est
le Comité sur les droits de l'enfant ;
(10) le protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant
l'implication d'enfants dans les conflits armés (CRC­OP­AC) ;
(11) le protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant la
vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des
enfants (CRC­OP­SC) ;
(12) la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs
migrants et des membres de leur famille (MWC) adoptée par l'Assemblée générale en
1990 et qui entrera en vigueur lorsqu'elle sera acceptée par au moins 20 États ;
Le tableau suivant indique, par date de l'entrée en vigueur, les États parties aux
instruments sus-mentionnés. Les traités qui ont été signés mais non ratifiés sont
indiqués par la lettre (s) avec la date de la signature. Au 10 Janvier 2003 ,189 États
Membres des Nations Unies et 4 non-membres étaient parties à un de ces instruments
au moins.
Chine
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Annexes
CESCR : 27 mars 2001
CCPR : (s) 05 octobre 1998
CCPR-OP1 : CCPR-OP2-DP :
CERD : 29 décembre 1981a
CEDAW : 04 novembre 1980
CEDAW-OP : CAT : 04 octobre 1988
CRC : 03 mars 1992
CRC-OP-AC : (s) 15 mars 2001
CRC-OP-SC : (s) 06 septembre 2000
MWC : Notes:
a accession
d succession
* indique que l'État partie a reconnue la compétence de recevoir et de traiter la plainte individuelle du Comité contre la discrimination raciale sous article 14 du CERD ( 39 États parties au total) ou la
compétence du Comité contre la torture sous l'article 22 du CAT ( 52 États parties au total).
Source : http://www.unhchr.ch/pdf/reportfr.pdf
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Annexes
Annexe 2
Réserve de la Chine au PIDESC
Chine
Déclaration faite lors de la signature et confirmée lors de la ratification :
La signature [dudit Pacte], apposée par les autorités taiwanaises le 5 octobre 1967 en
usurpant le nom de la "Chine", est illégale et dénuée de tout effet.
Déclaration faite lors de la ratification :
Conformément à la décision prise par le Comité permanent du neuvième Congrès
populaire national de la République populaire de Chine à sa vingtième session, le
Président de la République populaire de Chine ratifie par le présent instrument le Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels , que M. Qin Huasun a
signé au nom de la République populaire de Chine le 27 octobre 1997, et déclare ce qui
suit : 1. L'article 8.1 a) du Pacte sera appliqué à la République populaire de Chine
conformément aux dispositions pertinentes de la Constitution de la République
populaire de Chine, de la Loi sur les syndicats de la République populaire de Chine et
de la législation du travail de la République populaire de Chine; 2. Conformément aux
notes officielles adressées au Secrétaire général par le Représentant permanent de la
République populaire de Chine auprès de l'Organisation des Nations Unies,
respectivement le 20 juin 1997 et le 2 décembre 1999, le Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels sera applicable à la Région administrative
spéciale de Hong Kong (République populaire de Chine) et à la Région administrative
spéciale de Macao (République populaire de Chine) et, conformément aux dispositions
de la Loi fondamentale de la Région administrative spéciale de Hong Kong
(République populaire de Chine) et de la Loi fondamentale de la Région administrative
spéciale de Macao (République populaire de Chine), sera appliqué dans le cadre des
lois respectives des deux régions administratives spéciales.
Source : http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/treaty4_asp_fr.htm
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Annexes
Annexe 2 bis - Extrait du PIDESC :
Article 8
1. Les États parties au présent Pacte s'engagent à assurer:
a)Le droit qu'a toute personne de former avec d'autres des syndicats et de s'affilier au
syndicat de son choix, sous la seule réserve des règles fixées par l'organisation
intéressée, en vue de favoriser et de protéger ses intérêts économiques et sociaux.
L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi
et qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, dans l'intérêt
de la sécurité nationale ou de l'ordre public, ou pour protéger les droits et les libertés
d'autrui.
Source : http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/a_cescr_fr.htm
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Annexes
Annexe 3
Chine : Taux bruts de natalité, de mortalité et
d'accroissement naturel, pour mille, 1954-1990.
Effectif de la
population (en
millions)
Recensement
1/07/53
Recensement
1/07/64
Recensement
1/07/82
Recensement
1/07/90
581,3
694,6
1004
1130,5
Accroissement
intercensitaire annuel
moyen, en %
Part de la population
urbaine, en % (selon la
définition au
recensement)
1,62
2,05
1,48
13,3
17,9
20,6
26,2
61
74
106
119
Population de
0-14 ans, en %
13,3
17,9
20,6
26,2
Population de
15-64 ans, en %
59,3
55,7
61,5
66,8
Population de
65 ans et plus, en %
4,4
3,6
4,9
5,6
Rapport de
masculinité à 0-4 ans
107
106
107
110
Densité de la
population (h/km²)
Source : Annuaire démographique de Chine, années diverses.
À télécharger sur le site de l'INED à l'adresse :
http://www.ined.fr/fichier/t_publication/785/publi_pdf1_pop_et_soc_francais_331.pdf
[dernière consultation le 03/11/2009]
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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APN : Assemblée Populaire Nationale (le Parlement chinois)
Table des sigles
Table des sigles
CNUDH : Commission des Nations Unies pour les Droits de l’Homme
DUDH : Déclaration universelle des Droits de l’Homme
OI : Organisation internationale
ONG : Organisation non gouvernementale
ONU : Organisation des Nations Unies
PCC : Parti Communiste chinois
PCUS : Parti Communiste de l’Union Soviétique
PIDCP : Pacte international relatif aux droits civils et politiques
PIDESC : Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
RPC : République populaire de Chine
RSF : Reporters sans frontières
SRAS : Syndrome respiratoire aigu sévère (ou pneumopathie atypique)
UE : Union européenne
URSS : Union des Républiques socialistes soviétiques
Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine.
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Sociologie générale
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Presse
Quotidiens
Le Monde
Libération
Le Figaro
Autres
Courrier International
Alternatives Internationales
Perspectives chinoises
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