Armony ALTINIER L’utilisation stratégique des droits de l’Homme par la République populaire de Chine Mémoire de maîtrise de science politique Sous la direction de Monsieur le Professeur Jean KLEIN Université Paris 1 PANTHEON-SORBONNE Année 2003-2004 Septembre 2004 Sommaire Avant­propos et conditions d'utilisation..............................................................1 Licence du document..........................................................................................2 Introduction............................................................................................................3 Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme...........................................................................................6 Chapitre 1 Ouverture de la Chine aux étrangers et implication dans les organisations internationales................................................................7 Section 1 Le changement d’attitude de la RPC depuis 1978 : une image travaillée.......................................................................................8 § 1. La part active du régime chinois dans son ouverture au monde........8 § 2. L’utilisation stratégique d’une ouverture contrôlée..............................9 § 3. Une méthode bien rodée..................................................................10 Section 2 L’utilisation des failles du système onusien au profit de la Chine : l’exemple de la CNUDH.............................................12 § 1. Les défaillances dues à l’organisation même...................................12 § 2. L’activisme chinois dans la redéfinition des priorités de la commission ................................................................................................................13 § 3. La complaisance de circonstance des Occidentaux.........................14 Chapitre 2 Le décalage de la politique déclaratoire chinoise et des engagements pris par la R.P.C. avec la réalité de ses actions.............................................................................17 Section 1 Un discours conforme aux attentes de la communauté internationale des droits de l’homme..................................................................................18 § 1. L’adoption de textes en guise de sésame.........................................18 § 2. L’élaboration d’un discours sur les droits de l’homme.......................19 § 3. La constitution d’une société civile et les limites de la libéralisation. 20 Section 2 La sombre réalité de la violation délibérée des droits de l’homme en Chine..................................................................23 § 1. Les laogai 劳改.................................................................................23 § 2. Un usage abusif de la peine de mort................................................24 § 3. Le contrôle de l’expression par le Parti............................................25 Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire ................................................................................27 Chapitre 1 La démocratie occidentale dans la Chine d’aujourd’hui : Une greffe impossible ?......................................................................................................28 ­ I ­ Section 1 L’argument de l’incompatibilité des valeurs asiatiques avec la notion occidentale de droits de l’homme..........................................29 § 1. L’humanisme confucéen à la source de la vision chinoise du monde ................................................................................................................29 § 2. Universel contre relativisme culturel.................................................30 § 3. La qualification du régime politique chinois......................................31 Section 2 La participation des élites au maintien du pouvoir........................................33 § 1. L’impossible distinction privé/public .................................................33 § 2. Une élite en mutation.......................................................................33 § 3. Le rôle de l’élite selon les intellectuels chinois.................................35 Chapitre 2 Les effets pervers de la modernité occidentale.................................................38 Section 1 Puissance économique et gouvernance : le duo « démocraticide ».............39 § 1. La liberté par l’expertise...................................................................39 § 2. Une approche dépolitisée de la gestion des affaires publiques........40 § 3. Le succès économique, critère exclusif du bon fonctionnement politique...................................................................................................40 Section 2 La mauvaise image du politique dans la jeunesse chinoise.........................43 § 1. La montée de l’individualisme..........................................................43 § 2. L’engagement associatif plutôt que la politique qui corrompt...........44 § 3. La démocratie, pour quoi faire ?.......................................................45 Conclusion............................................................................................................47 Annexes................................................................................................................49 Annexe 1 Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme Statut des instruments internationaux relatifs aux Droits de l'Homme ..........................................................................50 Annexe 2 Réserve de la Chine au PIDESC......................................................................52 Annexe 2 bis ­ Extrait du PIDESC :...................................................................53 Annexe 3 Chine : Taux bruts de natalité, de mortalité et d'accroissement naturel, pour mille, 1954­1990. ..............................................................................................54 Table des sigles....................................................................................................55 Bibliographie........................................................................................................56 Sociologie générale..........................................................................................56 Sociologie politique et des relations internationales..........................................56 Organisations internationales............................................................................56 La participation des élites au pouvoir................................................................57 Ouvrages généraux sur la Chine.......................................................................57 Droits de l’homme.............................................................................................57 Chine et droits de l’Homme...............................................................................58 Internet..............................................................................................................58 Presse...............................................................................................................59 Quotidiens....................................................................................................59 Autres...........................................................................................................59 ­ II ­ B eaucoup de chemin a été fait depuis la rédaction de ce mémoire, réalisé alors dans le cadre d'une maîtrise de science politique spécialisée en relations internationales à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en 2004. M. le professeur Jean KLEIN, que je n'ai rencontré qu'à l'occasion de ma soutenance, enseignait alors la stratégie politique. Ayant été, au cours de cette année universitaire, alitée quasiment toute l'année, il a gentiment accepté, et bien qu'il ne me connaissait pas, d'être mon directeur de recherches, ce qui m'a permis de passer ma soutenance en septembre, ainsi que l'ensemble des examens, et ainsi de valider ma maîtrise. Qu'il en soit ici remercier. Avant­propos et conditions d'utilisation Avant-propos et conditions d'utilisation Beaucoup de chemin parcouru disais-je donc, tant d'un point de vue personnel que du côté de ce pays-continent : la Chine. Et en même temps, sur le fond, peu de choses ont évolué concernant le sujet traité : l'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. Ayant ajouté à mes spécialités le Web et en particulier l'accessibilité du Web et les logiciels libres, je souhaite aujourd'hui mettre ce travail à disposition sur le Net, sans modification ni mise à jour. Il s'agit donc de la version rédigée et remise lors de ma soutenance en septembre 2004. Bonne lecture ! Fait à Ermont, le 3 novembre 2009, Armony ALTINIER-DIDON. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 1 ­ Vous êtes libres de : • de reproduire, distribuer et communiquer cette création au public ; • de modifier cette création (notamment pour la mettre à jour). Selon les conditions suivantes : • Paternité. Vous devez citer le nom de l'auteur original, Armony ALTINIER, mais pas d'une manière qui suggérerait qu'il vous soutient ou approuve votre utilisation de l'œuvre. • Partage des Conditions Initiales à l'Identique. Si vous modifiez, transformez ou adaptez cette création, vous n'avez le droit de distribuer la création qui en résulte que sous un contrat identique à celui-ci. Avant­propos et conditions d'utilisation Licence du document Je place la totalité de ce document sous licence Creative Commons by-sa : Paternité-Partage des Conditions Initiales à l'Identique, dans sa version 2.0 France. À chaque réutilisation ou distribution de cette création, vous devez faire apparaître clairement au public les conditions contractuelles de sa mise à disposition. La meilleure manière de les indiquer est de publier cette page sur les conditions d'utilisation. Chacune de ces conditions peut être levée si vous obtenez l'autorisation du titulaire des droits sur cette œuvre. Rien dans ce contrat ne diminue ou ne restreint le droit moral de l'auteur ou des auteurs. Pour plus d'informations sur la licence Creative Commons by-sa 2.0 France, vous pouvez consulter sur le Web : http://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0/fr/ [dernière consultation le 03/11/2009]. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 2 ­ Introduction Introduction Tout ce qui sépare la Chine de l’Occident a depuis longtemps constitué une source de curiosité pour les chercheurs et les aventuriers en tous genres. La barrière de la langue et la difficulté de se procurer des archives ou des documents officiels dans un régime peu enclin à laisser transparaître certaines informations en ont toutefois découragé plus d’un. A tel point qu’aujourd’hui, il y a bien peu d’études sur la Chine en sciences humaines en langue française, la maîtrise de l’anglais s’imposant aux sinophiles pour approfondir leurs connaissances. Cependant, depuis quelques années, la Chine tend à s’imposer dans tous les domaines et l’organisation d’évènements visant à mieux faire connaître la culture chinoise a fait de cette puissance montante un vrai phénomène de mode, suscitant des vocations. Les années croisées France-Chine1 en sont un exemple parmi d’autres. Mais alors qu’à l’occasion justement de l’année de la Chine en France, le Salon du Livre mettait ce pays à l’honneur, le prix Nobel de littérature, GAO Xingjian, était prié de rester chez lui, en région parisienne. La raison de cette mise à l’écart ? L’engagement de cet écrivain de renom en faveur des droits de l’homme pourrait embarrasser les autorités chinoises. Évidemment, ce n’est pas la raison officiellement donnée. Mais il est difficile de croire que le simple fait que GAO ait acquis la nationalité française soit un motif suffisant pour l’exclure d’une manifestation de cette importance. D’autant que le Salon du Livre avait également prévu d’accueillir des écrivains de la diaspora. Cet épisode est révélateur de deux choses. Malgré la volonté de Pékin de s’ouvrir au monde et de s’insérer dans le jeu international aux côtés des puissances mondiales, il est des sujets sur lesquels les autorités chinoises ne transigent pas. Quant à l’attitude de la France à cette occasion, le fait qu’elle se soit pliée aux desiderata de Pékin au détriment des principes de respect des droits de l’homme et plus simplement de reconnaissance littéraire, exprime toute l’ambiguïté de ces puissances étrangères qui, pour investir le marché chinois, cultivent des amitiés avec un régime qui va à l’encontre des plus hautes valeurs défendues par les pays en question. Ainsi, au delà du phénomène de mode, la Chine mérite une attention plus ciblée sur les pratiques politiques de son régime. Le taux de croissance économique envié par tous les pays développés, les progrès enregistrés au niveau des libertés individuelles et même la constitution d’une société civile sont autant de dérivatifs utilisés par le Parti communiste chinois (PCC) pour mieux préserver le régime en place et détourner l’attention de la communauté internationale de la situation politique dans le pays. Il ne s’agit pas pour nous de nier les réelles avancées que la Chine a connu depuis vingt ans dans la modernisation globale du pays. En cela, la page du maoïsme a bien été tournée. Toutefois, si la réforme de l’économie engagée dans les années 1980 a permis à la Chine d’entrer dans l’ère capitaliste – son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce en décembre 2001 tenant lieu d’aboutissement de son projet d’investissement sur la scène internationale – la réforme politique quant à elle ne semble pas être inscrite sur l’agenda de Pékin. Alors que la Chine évoque de plus en plus facilement la question des droits de l’homme, la rhétorique employée dénote cependant une réticence toujours très importante quand il s’agit de faire des rapports indépendants sur l’état réel de la situation dans le pays. Et dès que des mises en cause directes sont faites à son égard, les grands discours font place à une diplomatie plus menaçante, recourant à tous les moyens disponibles pour faire cesser les débats, quand elle ne peut tout simplement les éviter. C’est cette façon déconcertante avec laquelle Pékin manipule le débat qui nous fait penser qu’il existe bien une stratégie chinoise utilisant la notion de droits de l’homme pour servir les intérêts du Parti, au premier 1 Ces « années croisées » commencent par l’année de la Chine en France en 2003-2004 et se poursuivent par l’année de la France en Chine en 2004-2005. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 3 ­ Quand on parle de droits de l’homme, il ne faut pas perdre de vue la portée idéologique et politique de ces termes. Née en Europe et aux États-Unis à la fin du XVIIIe siècle, la notion a fini par s’imposer sur la scène internationale comme incontournable et universelle. Aucun des États membres de l’ONU ne se risquerait aujourd’hui à dénoncer leur existence, quand bien même ils ne les respectent pas. Le fait que cette notion d’origine occidentale se soit répandue à travers le monde a parfois été dénoncé comme de l’hégémonisme culturel. Pour autant, la reconnaissance officielle de la légitimité des droits de l’homme par l’ensemble des États membres de l’ONU semble avoir réglé le problème de l’existence de tels droits. La critique s’est alors tournée vers le modèle démocratique de gouvernement. Mais peut-on envisager un État garantissant le respect de l’ensemble des droits de l’homme et ne fonctionnant pas sur un modèle démocratique ? En réalité, la démocratie est une composante essentielle des droits de l’homme. C’est elle qui permet de répondre au volet politique de ces droits, celui qui offre la possibilité aux individus citoyens d’un État de choisir librement leurs représentants. Il est vrai que cette conception des droits de l’homme correspond à un modèle particulier et historiquement daté, mais l’universalité de ces valeurs n’empêche pas la portée politique dont elles sont dotées. Introduction rang desquels le maintien du monopole qu’il exerce sur la vie politique chinoise. Alors que la fin de la Guerre froide devait proclamer la victoire du camp démocratique, le fait que de nombreux régimes continuent à bafouer les droits de l’homme prouve que la bataille idéologique est loin d’être terminée. Et la Chine entend bien s’investir dans ce combat afin d’écarter les risques d’un changement politique. Ne pouvant échapper à un débat sur les droits de l’homme, le Parti communiste chinois a donc décidé de l’adapter à ses propres intérêts. En inventant un discours chinois sur les droits de l’homme, Pékin rompt avec son ancienne politique de dénégation pour se constituer une nouvelle respectabilité internationale, condition essentielle à sa reconnaissance en tant que grande puissance. Aussi a-t-elle élaboré toute une stratégie dont le but politique est la conservation du pouvoir au bénéfice exclusif du Parti. C’est donc pour préserver le monopole du pouvoir que le PCC a cherché à répondre à un double objectif. Sur le plan international, la Chine avait surtout besoin de sortir de son isolement. Avec la mondialisation des échanges, l’enfermement politique et économique revient à terme à une implosion du régime, et cela les autorités chinoises l’ont bien compris. En observant le retard accumulé par la RPC dans tous les domaines par rapport aux pays occidentaux, le PCC aimerait trouver le moyen de changer le rapport des forces à son avantage. Mais pour cela, encore faut-il « revenir dans le monde ». L’objectif est donc de s’investir totalement sur la scène internationale en tant que puissance mondiale devant rivaliser à terme avec les États-Unis. Ce besoin de reconnaissance et de légitimité internationales dans un monde de plus en plus globalisé passe notamment par l’adhésion aux grands principes du droit international, au premier rang desquels figurent les droits de l’homme. Cet objectif requiert de la part de la RPC une démarche active, se plaçant alors dans une posture offensive. Le deuxième aspect de son objectif stratégique tend à assurer un minimum de liberté aux citoyens chinois pour éviter une explosion sociale, tout en maintenant un contrôle strict sur le plan politique afin de préserver la stabilité du régime. La distribution sélective et contrôlée des libertés civiles à la société sert dans ce cas à prévenir contre toute action de masse susceptible de renverser le pouvoir. Le discours sur les droits de l’homme, autrefois dénoncé par le pouvoir de Pékin, est donc aujourd’hui utilisé par la Chine, tant sur le plan interne qu’au niveau international, pour conforter un régime qui n’a rien de démocratique. Alors que la Chine se targue d’être entrée dans l’ère de la modernité, ne serait-ce pas justement cette prétendue modernité occidentale, dont le symbole serait le succès économique, qui donnerait les clés au PCC pour assurer la stabilité d’un pouvoir post-totalitaire ? Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 4 ­ Introduction Cette problématique n’est peut-être pas très répandue, mais elle soulève des questions qui nous semblent essentielles pour comprendre la Chine d’aujourd’hui et sortir d’une espèce de béatitude ambiante face aux « progrès » permis par le PCC et aux efforts qui seraient le symbole de sa prétendue « bonne foi » pour jouer le jeu politique selon les règles internationales en vigueur. Évidemment, le constat peut sembler pessimiste, puisque tout au long de ce mémoire nous avons essayé de trouver les arguments devant convaincre du bien-fondé de notre hypothèse. Peu d’espace a ainsi été consacré aux militants des droits de l’homme et aux démocrates chinois qui se battent pour dénoncer les abus du régime commis contre les droits de l’homme. Leur combat est certes important dans la définition d’un contre-pouvoir devant permettre la création d’une société civile. Mais notre parti a été de nous placer du point de vue des autorités chinoises afin de démontrer la subtilité avec laquelle elles parviennent à manipuler leurs partenaires et la population. Ainsi, l’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’Homme n’est pas anodin et l’observation de son attitude dans les débats les concernant démontre une volonté persistante des autorités chinoises de garder le contrôle (1ère partie). C’est alors que les droits de l’homme, concept devant en principe être le moteur d’une émancipation de la société, se voient utilisés pour servir la stabilité du régime de Pékin (2ème partie). Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 5 ­ L’INVESTISSEMENT DE LA CHINE DANS LE SYSTÈME INTERNATIONAL DES DROITS DE L’HOMME Alors que les débats se multiplient pour savoir si la Chine est entrée ou non dans le monde2, la réponse semble s’imposer tant les efforts fournis par Pékin pour promouvoir son ouverture sont importants (Chap. 1). Mais à ces effets d’annonce véhiculant souvent une image publicitaire de ce pays, il convient de s’interroger sur la signification réelle de cette entrée dans le monde, si tant est que l’on puisse vraiment parler d’ouverture (Chap. 2). 2 Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme PREMIÈRE PARTIE À l’occasion de la 24e édition du Salon du livre de Paris pour laquelle la Chine était à l’honneur, l’un des débats était intitulé « La Chine dans le monde, la Chine et le monde ». Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 6 ­ Loin du portrait d’une Chine sclérosée, fermée sur elle-même, le pouvoir chinois s’est efforcé de créer depuis le début des années 1980 une image reflétant son ouverture sur le monde (Section 1). Mais, alors que de réels changements ont eu lieu après la mort de Mao, cette ouverture est restée sous le contrôle politique de Pékin qui a su s’adapter aux règles du jeu international, comme « l’eau [qui] n’a de forme fixe »3 (Section 2). 3 Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme Chapitre 1 Ouverture de la Chine aux étrangers et implication dans les organisations internationales Cette image renvoie au chapitre VI, « Vide et Plein », du traité sur l’art de la guerre de maître Sun. Il recommande la souplesse dans l’organisation des forces armées en préconisant l’adaptation des formations selon les principes taoïstes des cinq éléments et des quatre saisons. Voir SUN Tzu, L’art de la guerre, Paris, Hachettes Littératures, 2000, p. 68. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 7 ­ § 1. La part active du régime chinois dans son ouverture au monde Si la mort de Mao Zedong en 1976 constitue une rupture significative dans la vie politique chinoise, il faut attendre l’année 1978 pour que la faction réformatrice du Parti communiste chinois (PCC), les « rénovateurs », arrive au pouvoir. A la tête des rénovateurs, Deng Xiaoping jouera un rôle prépondérant dans la démaoïsation du pays. Cette « rénovation » passera notamment, en juin 1979, par la promulgation d’un code pénal et d’un code de procédure pénal, et par le lancement d’un programme de compilation de divers autres codes, dont le code civil en 1986 4. Par ailleurs, c’est également en 1979 que la Chine commence à mettre en place des mesures pour ouvrir progressivement son économie aux entreprises étrangères. Mais, à la différence de ce qui se passa dans les années 1920-1930, Marie-Claire BERGERE souligne que « cette participation [étrangère au développement de la Chine] n’est plus subie : elle est voulue par le gouvernement chinois qui en fixe les modalités, autant que par les investisseurs étrangers, toujours fascinés par le mythe du marché chinois et désireux de pratiquer des délocalisations propres à réduire leurs coûts de fabrication. »5. En effet, jusqu’à la prise de pouvoir du PCC en 1949 qui correspondit à un retrait du monde, toutes les initiatives prises par l’Occident pour pénétrer le marché chinois se firent par la force et furent très mal vécues par la population elle-même qui développa dès lors un nationalisme farouchement anti-occidental. Si l’on doit plutôt parler d’agression de type impérialiste que de choc des cultures, cette approche n’aida pas à surmonter les antagonismes existants entre deux civilisations riches d’une histoire et de coutumes différentes. CHU Xiaoquan précise en ce sens que « l’antagonisme entre la culture chinoise et la culture occidentale est en fait né d’une conjoncture historique particulière »6. Ainsi, à cette ouverture forcée, qui s’étendit pendant près d’un siècle et que d’aucuns qualifient de « siècle de la honte »7, a suivi un long repli de trois décennies auquel Deng et ses acolytes ont mis fin, mais de manière volontaire cette fois. Les mesures qu’ils prennent permettent d’abord, sur le plan intérieur, de tripler le revenu des agriculteurs entre 1979 et 1985, en commençant par autoriser la création de petites entreprises privées et en rétablissant le lien entre rémunération et production. Mais c’est surtout au cours de l’année 1984 qu’une accélération décisive des réformes va voir le jour. Parmi les mesures adoptées, la libéralisation de près de la moitié des prix, la création de zones économiques spéciales au Guangdong, au Fujian et dans le bas Yangzi, ainsi que l’ouverture de quatorze villes côtières aux investissements étrangers. Cependant, toutes ces réformes n’entament en rien la structure du régime chinois qui continue à réserver la direction des affaires publiques au bénéfice exclusif du PCC. Ainsi va se poursuivre le train des réformes, alternant des mesures de libéralisation de l’économie et un retour à des mesures de contrainte.8 Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme Section 1 Le changement d’attitude de la RPC depuis 1978 : une image travaillée Toutefois, même si la structure du régime chinois reste inchangée, l’ouverture d’une partie de son économie va avoir pour effet immédiat de changer l’image de la Chine 4 5 6 7 8 VANDERMEERSCH Léon, « Droits et rites en Chine », in : MICHAUD Yves (Ed.), La Chine aujourd’hui, Paris, Odile Jacob, 2003, p. 122. BERGERE Marie-Claire, « Les tribulations du capitalisme en Chine », in : MICHAUD Yves (Ed.), La Chine aujourd’hui, Paris, Odile Jacob, 2003, p. CHU Xiaoquan, « Aspects de la vie intellectuelle et culturelle », in : MICHAUD Yves (Ed.), op. cit., p. 167. Le siècle de la honte commencerait à la moitié du XIXe siècle, avec les guerres de l’opium et notamment le traité de Nankin du 29 août 1842. Il s’achève avec l’accession des communistes au pouvoir le 1er octobre 1949. Voir l’article : « Les guerres de l’opium, le début du « siècle de la honte » », in : Diplomatie Magazine, n°9, juin-juillet 2004, p. 34. GERNET Jacques, Le Monde chinois, Paris, Armand Colin, 1999, p.580-581. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 8 ­ § 2. L’utilisation stratégique d’une ouverture contrôlée Les mesures prises par Pékin ne relèvent pas d’un changement d’idéal, mais plutôt du constat pragmatique de la nécessité de s’ouvrir au monde pour mieux en tirer parti. Ce constat s’accompagne d’une réalité d’autant plus difficile que la situation de la Chine au sortir de trente années de fermeture maoïste rend les réformes économiques tant indispensables que délicates. En effet, comme le remarque Rosemary FOOT, « La composition démographique de la Chine, son impact aussi bien réel que potentiel dans les domaines de l’environnement, de la stratégie et de l’économie[…] augmentent les effets de son attitude envers les normes centrales[…], mettant ainsi en lumière les faiblesses de la Chine si elle choisissait de se tenir à l’écart du système et sa force si elle décide d’y adhérer. »9 Ayant compris le danger que courrait la Chine à rester en dehors d’un monde caractérisé par la circulation accélérée de flux en tous genres, Deng et les rénovateurs réalisèrent une « ouverture contrôlée »10 en négociant habilement un retour dans le monde qui lui a épargné des modifications majeures de son système d’organisation intérieur. Ce qui fait, comme l’écrit Jean-Luc DOMENACH, « la grande originalité de la situation chinoise »11. La part résolument active que prend le pouvoir chinois dans son ouverture au monde révèle donc tout à la fois une volonté de jouer un rôle dans le monde, mais aussi, et peut-être surtout, l’espoir de maintenir le régime en place en dynamisant l’économie par l’apport de capitaux étrangers, condition de survie du régime dans une Chine économique dévastée par les trente années de fermeture passées. Ainsi, c’est paradoxalement son entrée dans la mondialisation qui aura permis au Parti communiste chinois (PCC) de survivre et de placer la Chine sur le devant de la scène internationale. Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme sur la scène internationale. Ainsi, alors que dès 1971 la RPC entrait au Conseil de sécurité de l’ONU au détriment de Taiwan, et malgré la visite de Nixon dans la capitale chinoise le 21 février 1972, ce n’est qu’en 1979 que les États-Unis reconnaissent officiellement la RPC en rétablissant des relations diplomatiques avec Pékin. La question que l’on peut se poser alors, c’est en quoi l’entrée de la Chine sur la scène internationale lui permet-elle de renforcer son pouvoir ? En effet, l’ensemble du corpus juridique international s’appuie sur une contribution directe des pays occidentaux qui se sont inspirés de leur histoire particulière pour l’élaborer. Le droit international recèle donc toute une série de contraintes pour les pays qui y adhèrent, notamment en matière de respect des droits de l’homme, notion a priori étrangère au système de pensée traditionnel chinois12. Ainsi, il est plutôt difficile pour les régimes autoritaires de se soumettre à ces normes sans risquer de perdre leur identité. C’est pourquoi nombre d’auteurs ont tendance à confondre l’adhésion progressive de la Chine au système de normes internationales avec une victoire de « l’impérialisme démocratique » auquel nul pays ne pourrait échapper à terme. Une autre approche privilégie l’apparition de nouveaux acteurs, en particulier les Organisations non gouvernementales (ONG), et l’autonomisation des organisations internationales (OI) pour expliquer que cette participation de la RPC au régime international des droits de l’homme est une preuve de l’universalisation inéluctable d’une nouvelle diplomatie extra-étatique. Ce qui fait écrire à Bertrand BADIE que les droits de l’homme auraient cessé « d’être un habillage rhétorique pour devenir un instrument d’action du plus fort chez le plus 9 FOOT Rosemary, Rights Beyond Borders : The Global Community and the Struggle over Human Rights in China, New York, Oxford University Press, 2000, p.62 [traduction personnelle] 10 DOMENACH Jean-Luc, « La Chine est-elle entrée dans le monde ? », in : MICHAUD Yves (dir.), La Chine aujourd’hui, Paris, Odile Jacob, 2003, p.258. 11 Ibid., p.258. 12 Nous verrons dans la deuxième partie que si les droits de l’homme sont une invention européenne, les penseurs chinois ont développé très tôt de leur côté les outils permettant de penser les droits fondamentaux. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 9 ­ § 3. Une méthode bien rodée La réforme du système politique chinois n’est pas une invention contemporaine. Les réflexions sur une nécessaire refonte des institutions avaient déjà été entamées à la fin de l’Empire, avant même les invasions occidentales16. Pierre-Étienne WILL écrit d’ailleurs à ce sujet que « les solutions constitutionnelles « modernes » [chinoises] ne sont jamais que les réponses les plus récentes à de vieilles questions tout à fait « chinoises » »17. Les réformes commencées en 1978 ont donc bénéficié du résultat des travaux précédents. Mais ce qui a été accompli au niveau de la libéralisation économique était loin d’être envisagé au niveau de la société. Malgré cela, la mort de Mao Zedong et la prise de pouvoir par les réformateurs a fait courir sur le pays un vent d’espoir quant à l’avènement possible d’une ère de libertés . Profitant des luttes opposant factions réformatrice et conservatrice au sommet du Parti, tout un mouvement d’opposition va éclater au grand jour.18 Les démocrates expriment à cette occasion leurs griefs et leurs espoirs sur les murs des grandes villes chinoises, et ce à travers tout le pays. Réunissant victimes de l’ère maoïste, poètes et écrivains mais aussi des groupes politiques, ce mouvement dit du « Mur pour la démocratie » ne durera que quelques mois entre novembre 1978 et décembre 1979, ce qui pose d’emblée les limites de l’ouverture amorcée par le régime. La méthode employée par le pouvoir pour éviter que de tels mouvements de contestation ne s’autonomisent, d’une redoutable efficacité, sera réutilisée pendant la terrible répression des mouvements étudiants du Printemps de Pékin le 4 juin 1989, ainsi que lors de l’ensemble des révoltes paysannes ou ouvrières qui auront lieu plus tard dans le pays. Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme faible »13. Si l’on ne peut nier que « la référence aux droits de l’homme se fait irrémédiablement présente, tel un paramètre qui doit se compter au nombre de ceux qui pèsent sur l’action internationale »14, il semble que la Chine, qui ne figure pas parmi les puissances les plus fortes, surtout face aux États-Unis, contredise cette approche victimisante du régime de Pékin. Car, comme le fait justement remarquer Jean-Luc DOMENACH : « l‘accumulation des contrôles a fait de l’ouverture chinoise au monde une ouverture profondément stratégique, dont les cibles, l’ampleur et les effets sur la scène politique sont en permanence demeurés sous le contrôle des autorités […] »15. Dans un premier temps, les autorités bloquent l’information, réduisant à néant l’éventualité d’une structuration d’un mouvement d’une plus grande ampleur. Le contrôle de l’information et le monopole de l’écriture de l’histoire exercé par le Parti constituent une arme fondamentale pour le pouvoir, empêchant par ce contrôle la structuration d’une mémoire qui permettrait aux différents mouvements d’opposition de s’enraciner et de se construire en tant que force alternative. Après avoir isolé le mouvement, les autorités s’emploient à punir les organisateurs, tuant dans l’œuf toute possibilité de récidive.19 Ces méthodes, combinées à une propagande active entretenant le nationalisme ambiant, sont directement issues de l’ère maoïste, dont le grand mouvement anti-droitier de juin 1957 fournit un bon exemple. C’est à cette occasion que Mao réprima les personnes qui, ayant obéi à son appel, avaient critiqué le pouvoir 13 BADIE Bertrand, La diplomatie des droits de l’homme : Entre éthique et volonté de puissance, Paris, Fayard, 2002, p.88. 14 Ibid., p.112. 15 DOMENACH Jean-Luc, op. cit., p.251. 16 Sur la continuité du processus d’étatisation et sur l’évolution des réformes chinoises, voir : KHUN Philip A., Les origines de l’État chinois moderne, Paris, Ed. de l’EHESS, 1999. 17 Ibid., p. 71. 18 BEJA Philippe, A la recherche d’une ombre chinoise : Le mouvement pour la démocratie en Chine [1919-2004], Paris Seuil, 2004, p.34 + p.64-70. 19 Ibid., p.48 + BONNIN Michel, « Comment définir le régime politique chinois ? », in : MICHAUD Yves (Ed.), La Chine aujourd’hui, Paris, Odile Jacob, 2003, p.233-234. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 10 ­ S’il est vrai qu’aujourd’hui, avec justement l’ouverture du pays, le travail des ONG de défense des droits de l’homme a été facilité et leur a permis de mener des campagnes parfois de grande envergure, le pessimisme de Samy COHEN lorsqu’il écrit que « les campagnes pour la défense des dissidents chinois n’ont eu d’autre effet que de conduire le gouvernement chinois à un meilleur savoir-faire dans sa politique de communication avec les gouvernements occidentaux […] »21 semble malheureusement se vérifier. Car si Pékin a appris à relâcher son contrôle de la vie privée des individus ainsi que de la vie économique, Michel BONNIN nous rappelle que « ce retrait n’est que partiel, et, surtout, il s’agit d’une auto-limitation qui ne modifie pas fondamentalement le rapport existant entre État et Individu. »22. L’ouverture de la Chine est passée notamment par l’adoption progressive des normes internationales autrefois honnies. Mais l’adoption des règles du jeu existantes permet à la Chine de profiter des failles du système pour en changer les règles, ce qui est d’autant plus prégnant lorsque l’on prend l’exemple de la Commission des Nations Unies pour les droits de l’homme (CNUDH). Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme du Parti. La dictature du Parti en était sortie renforcée20. 20 BEJA, Op. cit., p.39. 21 COHEN Samy, La résistance des États : Les démocraties face aux défis de la mondialisation, Paris, Seuil, 2003, p.97. 22 BONNIN Michel, Op. Cit., p.238. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 11 ­ § 1. Les défaillances dues à l’organisation même L’ONU, instrument ô combien imparfait de médiation entre les peuples pour le maintien de la paix, est souvent pointée du doigt pour les dysfonctionnements dont elle est l’objet23. Mais c’est pourtant le seul outil aujourd’hui en place susceptible de prendre des dispositions au nom d’un intérêt proclamé universel. C’est bien cette universalité supposée qui la rend incontournable, et c’est la raison pour laquelle il n’est d’autre enceinte plus légitime que la CNUDH24 pour traiter du thème des droits de l’homme dont l’universalité, si elle est loin d’être établie dans les faits, est du moins aujourd’hui unanimement reconnue. Or, la CNUDH souffre aujourd’hui de son statut même d’organisation internationale. Certains auteurs25 tendent à présenter les organisations internationales, telle que la commission, comme une enceinte réunissant des États libres et pleinement conscients de leurs choix. Ce serait ignorer l’autonomie, certes relative, mais agissante, de ces organisations. Contrairement à la vision réaliste, Marie-Claude SMOUTS souligne même qu’ « une fois créées, les structures peuvent acquérir une dynamique personnelle et s’interposer de manière significative dans le jeu des acteurs »26. Si nous pensons qu’en dernier ressort, surtout pour des matières aussi sensibles que les droits de l’homme, les États conservent une marge d’action supérieure à celle des organisations, plusieurs effets découlant de cette autonomisation de la structure ont contribué à dénaturer la mission première de la commission. Un de ces effets est la dilution des objectifs initiaux de défense des droits de l’homme au profit d’une culture organisationnelle du compromis. Les négociations à l’œuvre dans toutes les organisations internationales rendent improbable, ou en tous cas peu souhaitable, toute décision aboutissant à un jeu à somme nulle. Ainsi, à vouloir épargner à tout prix la sensibilité de chacun, ce sont bien souvent les intérêts des victimes qui sont sacrifiés sur l’autel des marchandages diplomatiques. Et la CNUDH, malgré la noblesse de son objectif affiché, n’échappe pas à ce travers. En ajoutant à cela le principe démocratique à l’œuvre dans la commission, principe selon lequel les membres sont élus et les résolutions adoptées par l’ensemble des membres, en fonction du critère majoritaire, la brèche est suffisamment importante pour permettre aux pays autoritaires de s’y engouffrer afin de modifier le cours du jeu. Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme Section 2 L’utilisation des failles du système onusien au profit de la Chine : l’exemple de la CNUDH Étant donné l’universalité de l’enjeu dont elle est porteuse, la logique visait conséquemment à permettre l’entrée du plus grand nombre de pays possible en son sein. On pourrait penser que les pays peu soucieux des droits de l’homme se tiendraient à l’écart d’une telle organisation dont la vocation première est de dénoncer les pays en infraction. La réticence fut en effet, dans un premier temps, la réaction naturelle de ces pays. Dans le contexte d’après-guerre où la construction de nations nouvelles allait de pair avec le développement d’une lutte idéologique sans précédent, les États en marge du système international préféraient se tenir à l’écart en faisant prévaloir leur droit à l’indépendance en vertu du principe de souveraineté, garanti par la Charte des Nations unies27. Mais cette stratégie de dénonciation trouva vite ses limites dans une société 23 Cf. la revue Pouvoir, n° 109, mars 2004. 24 Fondée en 1946 par le Conseil économique et social des Nations Unies dont elle dépend, elle compte aujourd’hui 53 membres élus pour 3 ans selon des critères géographiques et a pour mission de veiller au respect des droits définis par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, ainsi que par les autres pactes signés sur le sujet. 25 Les tenants notamment de l’analyse du choix rationnel. 26 SMOUTS Marie-Claude, Les Organisations internationales, Paris, Armand Colin, 1995, p. 53. 27 L’article 2 § 7 de la Charte des Nations Unies dispose que : « Aucune disposition de la présente Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 12 ­ On assista dès lors à un revirement de situation. Plutôt que de se tenir à l’écart, les pays violateurs des droits de l’homme comprirent que le meilleur moyen de se prémunir contre tout examen de leurs pratiques par la CNUDH était d’en faire partie. Ainsi, le paradoxe fut atteint en 2002 quand 55 % des pays membres de la commission ne respectaient pas les droits de l’homme28. Au premier rang de ces pays qui tirèrent leur épingle du jeu en se faisant élire à la CNUDH, la Chine peut être considérée à bien des égards comme un chef de file. § 2. L’activisme chinois dans la redéfinition des priorités de la commission Une des pratiques les plus utilisées et les plus efficaces pour se prémunir contre une motion condamnant la situation des droits de l’homme dans un pays est l’utilisation de l’article dit de la motion de non action. Si cette pratique est aujourd’hui utilisée par d’autres pays comme le Nigeria29, elle était par le passé l’apanage de la Chine qui a ainsi ouvert la voie à de nouvelles pratiques de manipulation institutionnelle. Jouant de sa double identité de grande puissance en devenir et de pays du Tiers-Monde 30, la Chine se présente ainsi comme le précurseur d’une nouvelle diplomatie alliant discours policés et manœuvres procédurales pour détourner les institutions de leur vocation initiale. En décidant de se saisir de l’article 65.-2 du règlement intérieur des commissions techniques du Conseil économique et social31, la Chine joue pleinement le jeu de la commission et entre ainsi parfaitement dans le cadre institutionnel de la CNUDH. Cet article précise : « Toute motion tendant à ce que la commission ne se prononce pas sur une proposition a la priorité sur cette proposition »32. Rédigé à l’origine pour éviter que toute décision hâtive n’entrave le bon déroulement des sessions de la commission, cet article était conçu comme une mesure de prudence. Mais, entre les mains de Pékin, il devint un redoutable instrument de blocage, empêchant toute discussion sur un thème embarrassant les autorités chinoises. On voit dès lors l’habileté de la Chine qui, tout en respectant le cadre procédural mis en place avant son arrivée – et qu’elle n’a donc pas choisi33 – parvient à faire valoir ses vues parce qu’elle en est membre. Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme mondialisée où la communication et l’homogénéisation des aspirations des populations rendent la critique des droits de l’homme peu tenable. En cela, on peut dire qu’il s’agit d’une victoire idéologique du camp occidental qui a su imposer à tous un discours sur l’existence et le respect de ces droits. L’utilisation d’un discours sur les droits de l’homme visant à discréditer politiquement et économiquement un adversaire nondémocratique devint plus aisé pour les Occidentaux et donc plus redouté par les pays visés. Cette astuce procédurale, outre les avantages qu’elle offre à des pays en quête de légitimité internationale, marque surtout le rôle résolument actif de la Chine pour se faire une place dans les instances internationales, y compris dans celles s’intéressant aux droits de l’homme qu’elle ne respecte pas, mais sans renoncer à l’essentiel de la structure interne de son régime. Ainsi, après avoir usé et abusé de la clause de souveraineté protégé par l’article 2-§7 de la Charte des Nations unies, elle a su s’adapter à la prédominance d’un discours universaliste des droits de l’homme en utilisant les failles du système. Mais cela ne saurait être possible sans l’appui d’un grand nombre de pays. 28 29 30 31 32 33 Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État […] » BUHRER Jean-Claude, LEVENSON Claude, L’ONU contre les droits de l’homme ?, Paris, Mille et une nuits, 2003, p.190. Ibid., p.183 FOOT Rosemary, Op. Cit., p.62. Se reporter au site : http://www.unhchr.ch/french/html/menu2/2/rules4_fr.htm#65 Cité in : BUHRER…, op. cit. p. 176. DOMENACH Jean-Luc, op. cit., p. 263. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 13 ­ Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme La Chine puise ses soutiens parmi un groupe dit des « like-minded », autrement dit un ensemble de pays « sur la même longueur d’ondes » quand il s’agit d’éviter que les regards ne se tournent vers la situation souvent dramatique des droits de l’homme sur leur territoire. Une vraie solidarité conçue pour préserver un intérêt objectif commun – à savoir, le maintien de leur régime – lie des États dont la légitimité à parler des droits de l’homme est plus que douteuse. Ainsi retrouve-t-on aux côtés de la Chine : l’Arabie saoudite, Bahreïn, Cuba, la Libye, le Pakistan, la Russie, la Syrie, le Soudan, le Vietnam ainsi que certains pays africains sous prétexte de « solidarité régionale »34. Ce groupe fonctionne le plus souvent de manière informelle, organisant des coalitions de circonstance pour voler par exemple au secours de l’un de ses membres qui risquerait d’être mis en cause par la commission. Le principe étant bien entendu la réciprocité. Ainsi, il devient avantageux pour ces régimes de se soutenir mutuellement afin d’éloigner le plus possible les regards de la situation dans leur pays. Mais cette solidarité joue également dans un cadre plus offensif, et la Chine se distingue une fois encore dans cette catégorie. Un bon exemple nous est fourni par la demande chinoise, formulée en 1999, de réduire la durée des sessions de six à quatre semaines35. L’argument était notamment de réduire les coûts, tant il est vrai que ce problème de financement revient comme un leitmotiv aux Nations Unies. Mais il n’est pas besoin d’une longue explication pour saisir le cynisme d’une telle proposition. Surtout lorsqu’elle émane d’un régime autoritaire qui n’hésite pas à clamer ouvertement que six semaines consacrées aux droits de l’homme, c’est beaucoup trop. Évidemment, les membres du groupe des « like-minded » se sont ralliés à cette proposition. Ainsi, même si la demande ne fut pas retenue, elle totalisa tout de même le soutien d’une quinzaine de pays, et il n’est pas dit que Pékin ne revienne à la charge dans l’avenir, avec cette fois peut-être plus de chance… En tous cas, cette initiative fut suivie par d’autres demandes consistant cette fois à limiter l’accès des ONG à la CNUDH. On voit donc bien que la posture de ces pays, et de la Chine en particulier, n’est pas seulement défensive comme on pourrait le penser de prime abord, mais qu’il y a bien une dynamique à l’œuvre pour remodeler le fonctionnement institutionnel de la commission. § 3. La complaisance de circonstance des Occidentaux Dans cette bataille qui se livre au sein de la commission, force est de constater que la première victime à en subir les conséquences est la protection des droits de l’homme. Depuis la fin de la Guerre froide et la disparition du bloc soviétique, les rapports de force idéologiques semblent avoir pris une tournure pour le moins paradoxale. En effet, le monde libéral a gagné la bataille des idées et a su imposer une certaine conception du droit. Les droits de l’homme ont été érigés non seulement en valeur universelle incontestable, mais également en norme internationale obligatoire. Pourtant, les droits de l’homme continuent à être bafoués quotidiennement, dans l’indifférence générale. L’URSS a fait les frais de cette adhésion quasi-forcée, puisque inévitable, à ce système d’organisation du monde, mais la situation aujourd’hui est différente. En effet, à l’époque de l’antagonisme Est-Ouest et compte tenu des difficultés croissantes de l’URSS à faire face aux défis lancés par les États-Unis, surtout sur le plan économique, le bloc de l’Ouest a pu profiter de l’état de faiblesse de sa rivale pour proposer une reprise du dialogue dans des instances fonctionnant sur un modèle démocratique. L’URSS représentait un modèle politique et économique qui ne souffrait aucune concession. En cela, le modèle n’est guère éloigné du régime chinois des années maoïstes. Le fonctionnement du régime impliquait un contrôle total de la société et aucune vie privée en dehors du contrôle du parti n’avait droit de cité. Toutefois, la volonté de préserver le statut quo territorial hérité de la guerre amena les autorités 34 BUHRER…, op. cit., p. 150. 35 Ibid., p.63-64 ; p.144-145 ; p.177-178. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 14 ­ Mais à la différence d’aujourd’hui, l’implication des Occidentaux, et en premier lieu des États-Unis, dans la bataille idéologique menée à l’Est, et leur soutien aux populations « rebelles » ou « résistantes » – selon le point de vue – a pesé considérablement sur le cours de l’Histoire. Par ailleurs, l’oppression des civils à l’intérieur du bloc soviétique, la faiblesse économique et l’absence totale de liberté, le tout dans un contexte de détente et d’ouverture relative du régime, permit de créer une brèche suffisamment importante dans l’édifice soviétique pour que les démocrates s’y engouffrent. La multiplication des revendications, appuyées sur les textes signés par l’URSS et protégeant les libertés individuelles, finirent par avoir raison du système en place. Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme soviétiques à participer au « processus d'Helsinki ». Ce processus consistait en un ensemble de discussions pour organiser la détente en Europe entre l’Est et l’Ouest dans le cadre de la Conférence de sécurité et de coopération en Europe. Ces discussions aboutirent à l’Acte final d’Helsinki36 le 1er août 1975. Parmi les principes énoncés dans l’Acte, le principe III visait à satisfaire à la demande soviétique en inscrivant que « les États participants tiennent mutuellement pour inviolables toutes leurs frontières ainsi que celles de tous les États d'Europe et s'abstiennent donc maintenant et à l'avenir de tout attentat contre ces frontières. ». La contre-partie exigée par les Occidentaux à la préservation des gains territoriaux de l’URSS était contenue dans le principe numéro VII relatif au « respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, y compris la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction ». Sous-estimant le pouvoir des mots, l’URSS pensa pouvoir adhérer formellement au texte tout en préservant le fonctionnement de son régime. Or, si les raisons de la chute du bloc de l’Est sont multiples, il est certain que cette adhésion formelle à des valeurs de liberté, incompatibles avec le stalinisme, a joué un rôle important dans l’émancipation de la société civile qui contribua à renverser le régime. Ce bref rappel historique tend à mettre en lumière les différences fondamentales qui existent selon nous entre la situation de l’URSS des années 1980 et celle de la RPC aujourd’hui. Ce sont ces différences qui nous font penser qu’il n’est pas possible d’analyser la trajectoire du PCC de la même façon que celle du PCUS. D’abord, pour ce qui est du soutien des démocraties occidentales aux démocrates et militants des droits de l’homme en Chine, le peu de vigueur des dénonciations, quand elles existent, montre un désintérêt patent pour ce problème en Occident. Cette attitude complaisante envers les autorités de Pékin, surtout parmi les pays de l’Union européenne – la France en tête – est un facteur de stabilité du régime qui se voit conforté dans sa position. Considérant que c’est par la présence d’un État fort que la Chine trouve les ressources de son développement, et constatant que le système politique n’est pas prêt de changer, les pays européens préfèrent bénéficier des potentialités qu’offre cette ouverture du marché chinois plutôt que dénoncer les violations des droits de l’homme que ce pays pratique quotidiennement. François GODEMENT explique que cette « théorie de l’essor de la Chine à conditions politiques grosso modo inchangées » est justement « celle […] qui influence les diplomaties européennes qui veulent traiter avec la Chine telle qu’elle est, qui mettent l’accent sur une diplomatie d’intérêt, notamment d’implantation sur le marché chinois »37. Il s’agit surtout pour eux de se trouver un alibi, en évoquant par exemple le profit que la population pourra tirer de ce partenariat avec les pays développés. Michel BONNIN écrit par exemple que « pour les dirigeants des grands pays occidentaux, confrontés à la collaboration avec un pays bien peu respectueux des principes 36 L’intégralité du texte est consultable en ligne sur le site : http://www.osce.org/docs/french/1990-1999/summits/helfa75f.htm 37 GODEMENT François, « La Chine, puissance revendicatrice ou intégrée ? », in : MICHAUD Yves (Ed.), op. cit., pp. 76-77. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 15 ­ Outre cette complaisance occidentale, Pékin a su renoncer à la partie économique de sa doctrine pour mieux garantir la stabilité politique. Contrairement à l’URSS qui n’avait pas su faire la distinction, le PCC, en promouvant le « socialisme de marché » a pu ouvrir progressivement un espace de libertés dans la sphère économique, tout en maintenant un contrôle accru dans la sphère politique. Et cette stratégie a plutôt bien fonctionné jusque là. La réussite économique a un effet non seulement sur ses relations avec l’étranger, mais elle permet surtout de changer l’image du pouvoir auprès de la population chinoise elle-même. Ainsi, alors que l’on parle souvent de « fuite des cerveaux », la Chine est probablement le pays qui réussit le mieux le retour des compétences. Enfin, c’est probablement cette dichotomie fondamentale entre discours et pratiques, acquise par l’observation des pratiques occidentales, qui a permis l’adaptation du régime à cette nouvelle ère de la mondialisation. Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme internationaux des droits de l’homme, la cause est entendue : il faut participer au développement économique de la Chine, car celui-ci mènera nécessairement à une démocratisation du régime »38. Alors que les États-Unis, quant à eux, entendent mener une politique moins conciliante dans le discours, les faits tendent à démontrer que leur attitude n’est pas moins complaisante que celle des Européens. Bertrand BADIE rappelle ainsi « comment les États-Unis avaient pu échanger l’abstention chinoise lors du vote de la résolution 678 du Conseil de sécurité [des Nations unies], ouvrant la voie à l’opération « Tempête du désert », contre une discrète amnistie des actes de brutalité et de répression commis l’année précédente sur la place Tiananmen »39. 38 BONNIN Michel, op. cit., pp. 219-220. 39 BADIE Bertrand, op. cit., p. 102. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 16 ­ Dans sa quête de respectabilité internationale, la Chine a entrepris de rattraper son retard en signant et en ratifiant un ensemble de textes et en élaborant un discours sur les droits de l’homme (Section 1). Mais alors que d’aucuns pourraient y voir un effort pour se mettre en conformité avec le droit international, les nombreux rapports des ONG sont là pour nous rappeler que la signature de textes ne préjuge en rien des intentions de Pékin (Section 2). Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme Chapitre 2 Le décalage de la politique déclaratoire chinoise et des engagements pris par la R.P.C. avec la réalité de ses actions ­ 17 ­ § 1. L’adoption de textes en guise de sésame Le système juridique international repose sur un ensemble de conventions et traités dont l’application dépend de leur ratification par un nombre seuil d’États parties. Cependant, une fois les textes en question entrés en vigueur, seuls les États ayant ratifié le texte seront soumis aux obligations qui en découlent. La simple signature n’engage donc pas à grand chose de concret, sinon à l’obligation morale de ratifier l’accord dans les plus brefs délais. Toute la question est donc de savoir si la ratification par la Chine de ces conventions a ou non de réelles conséquences sur son attitude. Concernant les droits de l’homme, la Chine a déjà ratifié les principaux textes internationaux sur le sujet40, dont le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) le 27 mars 2001, soit tout de même vingt-cinq ans après son entrée en vigueur. En revanche, alors qu’elle a signé le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) le 05 octobre 1998, elle ne l’a toujours pas ratifié. Si la ratification de ces conventions ne comportait aucun risque pour le régime chinois, il va sans dire qu’il aurait probablement déjà tout ratifié. Cette méfiance à l’égard du droit international est révélatrice de la force que peut avoir un texte. Ayant conscience de la menace que pourrait faire peser sur le régime l’adhésion précipitée à ces accords, la Chine évite soigneusement les dispositions véritablement « dangereuses » pour elle. Ainsi préfère-t-elle prendre le temps de négocier son adhésion à certaines conventions, sous réserve d’une interprétation toute personnelle du texte ou en sélectionnant le contenu auquel elle souscrit. Cette pratique se vérifie par exemple avec la ratification du PIDESC41. La Chine est revenue notamment sur l’article 8.1-a du Pacte. Celui-ci garantit « le droit qu’a toute personne de former avec d’autres des syndicats et de s’affilier au syndicat de son choix, sous la seule réserve des règles fixées par l’organisation intéressée, en vue de favoriser et de protéger ses intérêts économiques et sociaux […] »42. En déclarant lors de la ratification que cet article « sera appliqué à la République populaire de Chine conformément aux dispositions pertinentes de la Constitution de la République populaire de Chine, de la Loi sur les syndicats de la République populaire de Chine et de la législation du travail de la République populaire de Chine »43, le PCC a vidé de son contenu cette disposition, réduisant considérablement la portée du texte. C’est donc en matière de droit syndical que Pékin émit des réserves, jugeant qu’une telle disposition pouvait mettre en péril la stabilité du régime. Et pour cause ! Le nombre des manifestations ouvrières et paysannes a considérablement augmenté ces dernières années. Comme nous l’avons vu précédemment, la méthode qu’emploie le pouvoir pour éviter toute contagion de ces révoltes réside dans sa capacité à empêcher la structuration de ces mouvements. Ainsi, « si, pour rétablir son efficacité, [le PCC] doit accepter de restreindre le champ de sa dictature […], il ne peut se permettre de reconnaître à des organisations politiques autonomes le droit d’exister à ses côtés »44. En contrôlant l’ensemble des organisations du pays, syndicales et autres, le PCC prévient efficacement toute tentative de subversion. Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme Section 1 Un discours conforme aux attentes de la communauté internationale des droits de l’homme 40 Pour un récapitulatif des textes signés et ratifiés par la RPC, se reporter à l’annexe 1, pp. 62-63 du mémoire. 41 Voir les annexes 2 et 2 bis p.52 du mémoire. 42 Se reporter au lien suivant http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/a_cescr_fr.htm 43 Extrait de la déclaration faite par la Chine lors de la ratification du PIDESC. Consultable en ligne à l’adresse : http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/treaty4_asp_fr.htm 44 BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 82. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 18 ­ § 2. L’élaboration d’un discours sur les droits de l’homme La logique voudrait que lorsqu’un pays est en infraction par rapport au droit international, il devrait essayer de se faire discret sur le sujet. Mais alors que la Chine bafoue allègrement les textes qu’elle signe et tend à ratifier, elle déroge au principe de discrétion en produisant depuis quelques années toute une rhétorique au sujet des droits de l’homme. Ainsi peut-on lire sur le site du Quotidien du Peuple 45 une déclaration de la porte-parole du Ministère chinois des Affaires étrangères, ZHANG Qiyue, affirmant que « le gouvernement chinois attache une grande importance à la protection des droits de l’homme de son peuple et a obtenu des succès remarquables dans ce domaine »46. ZHAO Qizheng, directeur du Bureau de l’information du Conseil des affaires de l’État, va même jusqu’à prétendre que l’amélioration de la situation des droits de l’homme en Chine est « un important objectif du développement intégral de la société pour lequel le gouvernement et le peuple chinois veulent fournir des efforts inlassables »47. Outre les conférences de presse données sur le sujet, le pouvoir élabore des textes vantant le progrès des droits de l’homme en Chine. Et à chaque accord passé avec des partenaires économiques ou politiques, la Chine n’hésite plus à faire paraître un paragraphe sur l’importance accordée au respect des droits de l’homme en Chine. Ainsi peut-on lire par exemple une dépêche de l’Agence de presse officielle Chine nouvelle, Xinhua 新华, relatant en des termes élogieux les échanges sur les droits de l’homme qui ont eu lieu entre la Chine et l’Union européenne en juin dernier à l’occasion d’un séminaire Chine-UE sur la ratification du PIDCP48. LI Jinzhang, assistant au ministre des Affaires étrangères, aurait ainsi indiqué que « le séminaire montre une fois de plus l’aspiration des deux parties d’approfondir la coopération sur les droits de l’homme »49. Par cette attitude, les autorités chinoises semblent vouloir délivrer un message au reste du monde : il n’y a pas de sujet sur lequel la Chine ne saurait s’exprimer. Il n’y aurait donc pas de « tabou » sur les droits de l’homme en Chine. A condition bien entendu de rester dans le cadre officiel autorisé par le régime pour mener les débats… Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme Ainsi aura-t-il suffi au pouvoir chinois d’émettre une réserve sur la clause relative à la liberté syndicale pour pouvoir adhérer au PIDESC. Pékin accède de cette manière à une certaine légitimité face à ses interlocuteurs qui ne craignent plus d’être accusés de faire des affaires avec la Chine. Par ailleurs, cela lui permet sur le plan diplomatique de « prouver » les efforts que la Chine est prête à faire en matière de droits de l’homme. Car soutenir les grands principes n’est plus un problème pour Pékin, à condition que les dispositions restent suffisamment vagues et imprécises pour pouvoir faire l’objet d’une interprétation accommodante. La Chine n’est certes pas la seule à faire usage de cette capacité à produire un discours contraire aux intentions réelles du pouvoir. Jean-Luc DOMENACH remarque en ce sens que « leur regard extérieur met en relief une caractéristique à la fois ancienne et bien réelle de l’action occidentale sur le monde : la dualité des principes et de l’effectivité, du discours et de la pratique »50. C’est peut-être d’ailleurs de l’analyse pragmatique des pratiques occidentales que la Chine a tiré les leçons les plus efficaces pour la conduite de sa politique. En effet, « les Chinois, peuple et dirigeants confondus, ont du mal à concevoir [la société mondiale] autrement que comme une 45 http://french1.peopledaily.com.cn/french/ 46 http://french1.peopledaily.com.cn/french/200203/15/fra20020315_53086.html 47 Citation trouvée sur le site de l’ambassade de Chine en France à l’adresse : http://www.ambchine.fr/fra/25004.html 48 Dépêche du 2 février 2004, consultable à l’adresse : http://www.french.xinhuanet.com/french/2004-07/02/content_6717.htm 49 Ibid. 50 DOMENACH Jean-Luc, op. cit., p.263-264. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 19 ­ Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme hypocrisie centrale »51. Forte de cette vision du monde, la Chine va mettre son pragmatisme au service d’une diplomatie sophistiquée, fruit d’une histoire et d’un savoir-faire pluri-millénaires. Car de l’avis des spécialistes, la Chine excelle dans l’art diplomatique. Jean-Vincent BRISSET affirme ainsi que « en comparaison à de très nombreux pays, la Chine cultive une stratégie du verbe très élaborée, qui lui permet souvent de compenser certaines faiblesses »52. Alors que la capacité opérationnelle de ses forces armées reste d’une faible portée, l’auteur explique que le pays s’emploie justement à « compenser cette faiblesse par une diplomatie performante, qui s’app[uie] sur une utilisation optimale de toutes les « armes » non militaires basées sur l’apparence plus que sur la puissance réelle, celles dont l’utilisation a toujours été prônée par Sun Zi et ses successeurs et qui lui ont, à ce jour, plutôt mieux réussi que les canons »53. Se servant de cet atout comme d’une arme, la Chine applique donc les leçons de maître Sun pour tenter de conquérir une place plus importante dans le jeu international. Le mensonge, dans de telles circonstances, devient alors un outil stratégique classique et légitime. Un des préceptes de maître Sun conviendrait très bien à cet état d’esprit : « La guerre repose sur le mensonge. […] Attirez l’adversaire par la promesse d’un avantage ; prenez-le au piège en feignant le désordre ; s’il se concentre, défendez-vous ; s’il est fort, évitez-le »54. Ainsi, consciente de sa position d’infériorité dans encore bien des domaines par rapport aux démocraties occidentales, la Chine ménage ses adversaires et tente de se trouver des partenaires au sein du continent asiatique55 et au-delà. Jean-Vincent BRISSET va même jusqu’à dire que « pour eux, cette étape contrariante ne durera qu’un temps, et elle permettra d’atteindre au plus vite un stade de puissance qui permettra de « faire payer » les humiliations subies »56. En tous cas, c’est bien pour permettre au pays de devenir compétitif que le régime a ménagé un espace restreint de libertés à sa population en procédant à des réformes internes. § 3. La constitution d’une société civile et les limites de la libéralisation Quand on compare la société chinoise d’aujourd’hui avec celle des années maoïstes, il semblerait que nous ayons affaire à deux mondes différents, au moins dans les grandes villes. Si la population a encore du chemin à faire avant d’avoir accès à la pleine citoyenneté – au sens politique du terme – elle est déjà entrée dans la société de consommation qui caractérise si bien l’ère de la mondialisation. Mais les succès économiques du pays ont moins un impact sur la réalité du niveau de vie de l’ensemble de la population que sur la représentation qu’elle se fait de sa situation. Ainsi, un récent sondage effectué par l’Académie chinoise des sciences sociales révèle que 46,8 % des Chinois considèrent appartenir à la classe moyenne, alors que si l’on retient uniquement le critère du revenu57, cette même étude estime que seulement 24,6 % entrent effectivement dans cette catégorie58. Sans entrer dans une analyse précise du phénomène, puisque tel n’est pas notre propos ici, notons tout de même la dynamique à 51 Ibid., p. 263. 52 BRISSET Jean-Vincent, La Chine, une puissance encerclée ?, Paris, IRIS/PUF, 2002, p.112. L’auteur renvoie aux faiblesses militaires de la Chine, en rappelant que « la Chine demeure un pays pauvre et [que] les moyens matériels de l’Armée populaire de libération (APL) sont très limités ». Ibid., p. 26. 53 Ibid., p.123-124. 54 SUN Tzu, L’art de la guerre, Paris, Hachettes Littératures, 2000, p. 54. 55 Sur la « diplomatie du pourtour » menée par la Chine pour s’assurer une place privilégiée sur le continent asiatique, voir l’article de COLIN Sébastien, « La Chine et son retour au centre de l’Asie », in : Diplomatie Magazine, n°9, juin-juillet 2004, p. 35s. 56 BRISSET Jean-Vincent, op. cit., pp.85-86. 57 L’étude prenait également en compte d’autres paramètres, tels que la profession exercée, le mode de vie, le comportement en tant que consommateur. Nous ne prenons ici le seul critère du revenu qu’à titre d’exemple. 58 Voir l’article « Classes moyennes de toutes les régions, unissez-vous ! », in : Courrier international, (703), du 22 au 28 avril 2004, p. 30. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 20 ­ des personnes ne disposant pas d’un permis de résidence, le Hukou 户口. Mis en place par le PCC en 1958 pour contrôler les migrations internes à la Chine et limiter l’exode rural, le Hukou est un document d’état civil obligatoire qui a pour conséquence, surtout depuis l’ouverture économique et l’essor des grandes villes, de pénaliser considérablement les habitants des zones rurales61. Ce système place le migrant chinois dans une situation paradoxale de clandestinité au sein de son propre pays. Un fait divers a donné une résonance nouvelle à ce problème en mars 2003. Un jeune diplômé de 27 ans, Sun Zhigang, trouva la mort dans un de ces camps de détention provisoire où il avait été placé illégalement parce qu’il n’avait pas sur lui son permis de résidence provisoire. Une vague de protestation était alors montée de tout le pays par le biais d’une mobilisation Internet. Dès lors, le PCC a décidé de répondre à la demande populaire en supprimant du règlement administratif du Conseil des affaires d’État, « les mesures de détention et de rapatriement des vagabonds et des mendiants en milieu urbain »62. Par ailleurs, le Parti s’est engagé à procéder à une réforme du système de gestion de l’état civil, ce qui devrait permettre d’assouplir le Hukou et autoriser une plus grande liberté dans le changement de domicile. Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme l’œuvre au sein de la société chinoise dans la définition de son rôle et de son champ d’action. Ce mouvement en cours n’est certes pas anodin. Cependant, il ne s’agit pas d’une autonomisation pure de la société par elle-même, mais plutôt du résultat d’une politique sciemment organisée par Pékin pour offrir toujours plus de stabilité au régime. Nous ne souhaitons pas par cette affirmation nier les efforts des militants chinois qui travaillent utilement à faire respecter leurs droits et à conquérir toujours davantage de libertés. Toutefois, lorsque nous adoptons le point de vue des autorités chinoises, nous ne pouvons que constater la cohérence de leur démarche. En offrant un espace d’autonomie privée à la population, le PCC favorise un épanouissement personnel pour mieux détourner l’attention de ses administrés des problèmes plus politiques, tel celui de la démocratisation. Comme le souligne Frédéric BOBIN, correspondant du Monde en Chine, « toutes ces avancées sont confinées au champ de la liberté individuelle. Tel est le contrat social que le PCC cherche à faire avaliser depuis Tiananmen (1989) : jouissance privée contre silence public »59. Et pour ce faire, Pékin multiplie les initiatives. D’un point de vue juridique d’abord, le PCC a annoncé, lors du troisième plénum du Comité central en octobre dernier, une série de réformes visant à assouplir son fonctionnement et à améliorer son image auprès de la population60. Parmi les mesures ayant une incidence sur la vie des citoyens, il en est une à rattacher directement à la volonté de remédier à une violation patente des droits de l’homme. Il s’agit de la suppression de la loi sur le transfert en centre de détention D’autres mesures, telle que la suppression de l’examen prénuptial et de l’attestation fournie par l’unité de travail (le danwei 单 位 ) pour l’enregistrement d’un mariage63, vont également dans le sens d’une plus grande liberté des individus dans leur vie privée. Mais les réformes concernant une révision de la Constitution restent symboliquement les plus fortes, même si dans la pratique, elles sont moins porteuses de changement. Ainsi en va-t-il de l’adoption par l’Assemblée populaire nationale (APN), le 14 mars dernier, du projet d’amendement de la Constitution stipulant que « l’État 59 Voir l’article de BOBIN Frédéric, « Les droits de l’homme au service de la stabilité en Chine », in : Le Monde, 15 novembre 2003, p. 1 et 8. 60 Voir l’article « Neuf réformes qui vont changer la Chine », in : Courier international, (680), du 13 au 19 novembre 2003, p.34-35. 61 En effet, il est possible d’aller d’une grande ville vers une plus petite, de la ville à la campagne sans difficulté, mais la détention d’un permis, le Hukou, est indispensable pour faire le chemin inverse. 62 Cité in : Courrier international, (680), op. cit., p. 35. 63 Mesure entrée en vigueur le 1er octobre 2003. Voir l’article de HASKI Pierre, « Mariage sans licence en Chine », in : Libération, 14 octobre 2003. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 21 ­ Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme respecte et protège les droits de l’homme »64. Si cette annonce tend davantage à rassurer l’opinion internationale qu’à modifier l’approche de la Chine en matière de droits de l’homme, la réforme inscrivant l’inviolabilité de la propriété privée dans la Constitution65 entérine quant à elle une réalité déjà existante. Mais son inscription dans la loi est probablement plus porteuse de sens que ce n’est le cas pour les droits de l’homme…Car malgré quelques réelles avancées sur le plan des libertés civiles, tous les efforts de Pékin pour se donner une image positive ne peuvent faire oublier la réalité des violations quotidiennes des droits de l’homme en Chine. 64 Information communiquée sur Internet par l’agence de presse officielle chinoise, Xinhua, le 15 mars 2004. Voir le site : http://www.10thnpc.org.cn/french/106323.htm 65 C’est lors de la clôture de la session annuelle de l’APN, le 14 mars 2004, que l’amendement « la propriété légalement acquise par les citoyens est inviolable » a été adopté. Il place ainsi sur un pied d’égalité la propriété privée et la propriété publique. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 22 ­ Étant donné le contrôle exercé par les autorités chinoises, l’évaluation précise de la situation des droits de l’homme en Chine par les ONG est une tâche difficile. Cette difficulté est accrue par le fait que la plupart des ONG chinoises de protection des droits de l’homme ont leur siège aux États-Unis et doivent travailler à distance, en utilisant des relais au sein du pays. Toutefois, les rapports de quelques grandes ONG peuvent servir de base sérieuse pour dresser le portrait peu glorieux de la répression en Chine. § 1. Les laogai 劳改67 Il est un terme qui devrait faire frémir les personnes se sentant concernées par les grandes tragédies de l’Histoire que sont le Lager et le goulag. Pourtant, une ignorance mâtinée d’indifférence pèse sur les laogai 劳 改 , les camps chinois. La traduction exacte serait « camp de rééducation par le travail ». Nous emploierons dans ce paragraphe le terme de laogai dans un sens générique, mais il faut savoir qu’il existe plusieurs types de centre. Le Parti a par ailleurs modifié le vocabulaire, toujours dans un souci d’image, en supprimant le terme de laogai dans la loi et en le remplaçant en 1994 par celui de jianyu 监 狱 , qui signifie « prison ». Mais ce changement de vocabulaire ne modifie pas la réalité des camps. Dans le même esprit, une réforme de 1997 a remplacé le « crime contre-révolutionnaire » par celui d’ « incitation à la subversion de l’État ». Mais que l’on ne s’y trompe pas : il s’agit toujours d’enfermer les gens pour leur opinion – politique ou religieuse – dans des « prisons » dont le but premier est l’endoctrinement politique au service du dogme du Parti unique. Alors que le code pénal chinois protège en théorie la mise en détention dans l’un de ces camps (laogai ou jianyu) pour qu’elle ne soit prononcée que contre des personnes dûment jugées par un tribunal chinois, « tous les citoyens chinois peuvent être enfermés pendant des périodes pouvant aller jusqu’à trois ans dans des camps de rééducation (laojiao 劳 教 ), sans procès et sans procédure pénale quelconque »68. Alors que le système judiciaire chinois demeure pour une large part inféodé au Parti 69, n’offrant que peu de garantie au justiciable d’obtenir un procès équitable, la détention administrative en laojiao institue officiellement le règne de l’arbitraire. En outre, l’idée que n’importe qui peut être arrêté et placé en détention pendant une période de trois ans, sans aucune explication, laisse imaginer la lourdeur des peines prononcées généralement contre ceux pour qui un procès a eu lieu. Mais l’arbitraire des mises en détention est encore accentuée par la fonction économique de ces camps. Même si la rentabilité économique de l’activité des camps est médiocre, on peut penser que le fait que les prisonniers constituent une main d’œuvre gratuite pour des travaux souvent dangereux incite certainement les autorités chinoises à voir dans leurs compatriotes davantage de personnes subversives qu’il n’y en a réellement. Quoi qu’il en soit, la simple existence de ce genre de camps suffit à rappeler à ceux qui éprouveraient de la sympathie pour un tel régime que la Chine reste une dictature et probablement l’un des derniers pays au Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme Section 2 La sombre réalité de la violation délibérée des droits de l’homme en Chine66 66 Pour écrire cette partie, nous nous sommes essentiellement appuyée sur l’ouvrage de RSF (Ed.), Chine, le livre noir, Paris, La Découverte, 2004. Cet ouvrage représente une synthèse des principaux rapports et témoignages recueillis par Amnesty International, le Centre tibétain pour les droits de l’homme et la démocratie (TCHRD), Human Rights Watch, Human Rights in China, Reporters sans frontières et The Laogai Research Foundation. 67 Voir les ouvrages de Harry WU, dont le dernier : WU Harry, Danse pas avec la Chine, Montpellier, Ed. Indigènes, 2000. 68 RSF (Ed.), op. cit., p. 65. 69 Voir l’article de MEVEL Jean-Jacques, « Une justice qui reste aux ordres », in : Le Figaro, 31 mai 2004. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 23 ­ § 2. Un usage abusif de la peine de mort Il est un record dont la Chine ne peut se vanter : celui du nombre d’exécutions capitales. Le chiffre exact reste un secret d’État jalousement gardé par le Parti, mais une estimation approximative d’Amnesty International dénombre pas moins de 1 060 exécutions pour la seule année 200270. Toutefois le mystère reste entier quant à la qualité réelle des personnes exécutées. Quelle est la proportion de prisonniers d’opinion trouvant la mort sur le peloton d’exécution ? Celle de ceux qui ont vu leur peine de prison muée en peine de mort, juste pour pouvoir alimenter le trafic d’organes71 ? Nul ne peut répondre à ces questions. La multiplication des chefs d’accusation pour condamner les « crimes » d’opinion empêche tout recensement. Par ailleurs, au nombre déjà excessif de condamnés à mort, il convient d’ajouter celui de ceux ayant trouvé la mort en détention à la suite des tortures72 ou mauvais traitements infligés par la police. Car s’il arrive qu’une affaire telle que celle de Sun Zhigang entraîne un tollé médiatique, un grand nombre d’anonymes meurent tous les jours dans l’ignorance générale. Enfin, il y a ceux qui disparaissent et dont personne n’a plus de nouvelles. Il n’y a malheureusement rien d’original à dénoncer les pratiques que nous venons de décrire. Les organisations de défense des droits de l’homme travaillent déjà depuis de nombreuses années à faire connaître ces pratiques. Pourtant, cela ne semble pas affecter la relation qu’entretient la RPC avec l’étranger. Comment cela est-il possible ? Par le miracle d’une Realpolitik privilégiant une diplomatie d’intérêts au détriment des grands principes ? Peut-être, mais pas seulement. Car même si personne en Chine n’est à l’abri de l’arbitraire du pouvoir, une majorité de gens soutient malgré tout la politique de répression véhiculée notamment par la campagne « Frapper fort » lancée en 2001. Une fois encore, le discours employé par Pékin pour justifier sa politique liberticide semble être payante. Qui reprocherait en effet à un pays de combattre la grande criminalité sur son territoire ? La politique américaine conduite depuis le 11 septembre 2001 favorise en outre la mise en place d’un arsenal répressif destiné à lutter contre le terrorisme73. Il n’en fallait pas tant à Pékin pour procéder à des vagues de répression dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang74 qui, comme le Tibet, abrite un peuple d’une culture très différente de la culture dominante Han, et souffre de la colonisation culturelle et idéologique chinoise. Sous prétexte que cette région est traditionnellement musulmane, la suspicion de voir se développer le terrorisme a servi à légitimer les basses œuvres du Parti pour éteindre toute revendication autonomiste. Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme monde à organiser aussi minutieusement et à une telle échelle la répression et le conditionnement politique de sa population. Si le pouvoir arrive si bien à manipuler l’opinion publique, c’est surtout grâce à son contrôle des principaux canaux d’expression. 70 Estimation proposée par Amnesty International, obtenue en recoupant uniquement des sources publiques. Une autre étude recense 15 000 personnes chaque année. La réalité se situe vraisemblablement entre les deux, l’estimation d’Amnesty International étant du propre aveu de l’organisation certainement très inférieure à la réalité. Voir RSF (Ed.), op. cit., p. 14. 71 RSF rapporte que « le trafic d’organes de prisonniers exécutés en Chine a commencé à la fin des années 1970. Les organes récupérés sur les prisonniers sont utilisés pour des greffes effectuées sur des Chinois privilégiés ou des étrangers ». Voir : RSF (Ed.), op. cit., p. 66. 72 Malgré la ratification par la Chine de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants le 04 octobre 1988, la torture y est couramment pratiquée. Bien que le PCC dénonce cette pratique comme étant le fait d’individus isolés, aucune mesure efficace n’a à ce jour été prise pour endiguer le phénomène. 73 Voir l’article de SPIEGEL Mickey, « Under cover of ‘terrorism’ », in : International Herald Tribune, 28 février 2003. 74 Voir RSF (Ed.), op. cit., pp.121-135. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 24 ­ La gestion par le pouvoir de l’épidémie de SRAS au printemps 2003 et surtout sa gestion de la présentation de l’affaire par les médias révèle assez bien l’habileté de Pékin dans ce domaine. Alors que l’information sur la gravité de la crise a dans un premier temps été tenue secrète, une fois l’affaire dévoilée, Pékin a changé totalement de stratégie, opérant un virage à 180°, en sur-médiatisant les mesures prises par le Parti pour remédier au problème. Les journalistes étaient alors invités à multiplier les reportages sur le sujet, relayant ainsi la propagande du Parti. Mais une fois la crise passée, début juin 2003, le département de la Propagande convoqua les responsables des grands journaux à Pékin pour leur signaler que le temps de l’euphorie médiatique devait cesser. Un des journalistes présents en fait un constat désabusé : « Nous avons pensé que l’épidémie nous permettrait d’avoir la liberté de la presse. Mais le Parti n’a pas la même idée »76. Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme § 3. Le contrôle de l’expression par le Parti Si le ministère de la propagande a été renommé en ministère de la publicité, son rôle n’a pas changé. La modernisation voulue par le Parti a eu toutefois quelques effets notables en transformant le paysage médiatique chinois. En effet, juillet 2003 marque une étape importante en lançant la privatisation de la presse autrefois monopole d’État. Mais ce changement ne modifie pas la conception que se fait le PCC des médias. La privatisation ne signifie donc en rien un relâchement du contrôle de l’information. Cependant, elle a eu un effet sur les journalistes chinois que le Parti n’avait sans doute pas envisagé. Une dynamique et même une certaine audace a vu le jour dans certains grands journaux chinois, comme l’hebdomadaire Nanfang Zhoumo. Mais le ministère de la publicité veille et réprime les audacieux qui oseraient ternir l’image du PCC. L’organisation Reporters Sans Frontières (RSF) dénombre ainsi au 1er janvier 2004 vingt-trois journalistes emprisonnés pour avoir écrit des articles jugés « subversifs » par les autorités75. Le contrôle de l’expression passe aussi par une surveillance accrue des débats ayant lieu sur la Toile. Mais là, le pouvoir a beaucoup plus de mal à appliquer un contrôle total. Face au développement exponentiel d’Internet en Chine, les autorités ont donc abandonné l’idée d’une « grande muraille électronique » pour s’engager dans la réalisation du « Bouclier doré »77. Il ne s’agit plus de limiter l’accès à Internet, mais de contrôler le contenu des sites et des messages échangés en rendant obligatoire l’installation de logiciels de filtrage, tel que Filter King, permettant d’interdire l’accès à certains sites « dangereux » et de censurer les e-mails « subversifs », pour employer la terminologie du Parti. Si un contrôle d’Internet peut paraître dérisoire, tant les possibilités offertes par ce vecteur sont grandes, le PCC ne ménage toutefois pas ses efforts pour dissuader cyber-dissidents et mécontents en général de s’exprimer par ce biais. Le régime a dès lors multiplié lois liberticides et mesures de répression. A tel point que RSF comptait au 1er avril 2004 soixante-douze cyber-dissidents et internautes emprisonnés. Cependant, malgré la répression très dure qui sévit contre les internautes, malgré les risques que courent les propriétaires de cybercafés à tenir de tels établissements, malgré la censure que le « progrès » technologique rend de plus en plus efficace, Internet est une bouffée d’air frais dans un pays où l’autoritarisme enserre l’individu. C’est également par Internet que les grandes mobilisations ont lieu aujourd’hui dans le pays. C’est donc par Internet que l’espoir en un avenir plus libre en Chine peut renaître. Mais la bataille opposant les libéraux – au sens politique du terme – au PCC est loin d’être gagnée, et la participation des puissances étrangères, aussi bien politiques qu’économiques, devrait avoir une influence sur l’issue de cette lutte. 75 Ibid., op. cit., p. 55. 76 Cité in : RSF (Ed.), op. cit., pp.59-60. 77 Ibid., op. cit., p. 84 s. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 25 ­ Première partie L’investissement de la Chine dans le système international des droits de l’homme Malheureusement, ce n’est pas forcément dans un sens favorable au développement des droits de l’homme que cette influence a cours. Si la complaisance des démocraties occidentales et la politique ambiguë de l’Union européenne envers la Chine ont déjà été évoquées, le rôle des grandes firmes multinationales peut avoir également une incidence non négligeable. Sur le site de RSF, on trouve par exemple un article du 26 juillet 2004 intitulé « Google vs Yahoo : une guerre commerciale qui menace la liberté d’expression »78. L’organisation dénonce le rôle actif que jouent ces deux entreprises américaines dans le développement de la censure en Chine. Ainsi explique-t-elle que « Yahoo ! censure depuis des années son moteur de recherche en chinois pour se plier aux desiderata de Pékin. Google, qui vient de prendre une participation dans Baidu, un moteur de recherche chinois qui filtre ses résultats, semble aujourd’hui emboîter le pas à son concurrent. Pour conquérir le marché chinois, ces deux entreprises acceptent des compromis qui ont des répercussions directes sur la liberté d’expression. ». L’attitude irresponsable de ces entreprises pourrait faire pencher la balance en faveur des autorités chinoises si les politiques continuent à fermer les yeux. Si nous ne pouvons qu’espérer que le vent tournera en faveur des démocrates, nous ne pouvons nous prononcer sur la forme que prendra le régime dans l’avenir. Toutefois, la complexité de la réalité présente tend à faire penser que le chemin sera encore très long et semé d’embûches avant que la démocratisation de la Chine ne soit ne serait-ce qu’envisageable. 78 http://www.rsf.fr/article.php3?id_article=11032 Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 26 ­ AU SERVICE DE LA STABILITÉ D’UN RÉGIME POST-TOTALITAIRE L’histoire de la Chine est celle d’un pays dominé depuis des siècles par la conception d’un pouvoir nécessairement éclairé par quelques esprits supérieurs et marquée par une centralisation toujours croissante des prérogatives étatiques. Ainsi, « suivie d’année en année, l’histoire politique du XXe siècle [en Chine] nous apparaît chaotique et pleine d’orientations contradictoires. Saisie dans la totalité du siècle, c’est celle de la progression implacable de l'État central »79. En cela, on peut observer un mouvement d’une grande continuité historique de la politique en Chine. Or, la notion même de droits de l’homme est irréductiblement liée à une forme de gouvernement tout à fait occidentale, la démocratie. Cela signifie-t-il qu’il n’y a pas de place pour les droits de l’homme en Chine, à moins d’un coup de force brisant cette continuité chinoise ? (Chap. 1) En tous cas, l’observation de la mutation qui touche aujourd’hui les grandes démocraties occidentales semble donner les clés pour une explication des travers que connaît la modernisation à la chinoise. (Chap. 2) Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire DEUXIÈME PARTIE LES DROITS DE L’HOMME 79 KUHN Philip A., op. cit., p.174. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 27 ­ Depuis le grand mouvement de décolonisation d’après-guerre et la constitution d’une identité « tiers-mondiste », il est de bon ton de respecter les différences culturelles entre pays, sous peine de voir les anciennes puissances coloniales être qualifiées d’impérialistes. Le problème de ce discours est qu’il a souvent été détourné pour justifier des actes d’oppression, telle que la lapidation dans certains États islamistes, en les qualifiant de traditionnels. Pour la Chine, il y aurait de même une conception du monde, inscrite dans le patrimoine culturel asiatique, incompatible avec la notion occidentale démocratique de droits de l’homme (Section 1). Mais ce discours sur la prétendue existence de « valeurs asiatiques »80 allant à l’encontre de toute universalité des droits de l’homme ne suffit pas à expliquer la stabilité du système de gouvernement chinois, davantage maintenu par une corruption sélective (Section 2) que par une philosophie. Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire Chapitre 1 La démocratie occidentale dans la Chine d’aujourd’hui : Une greffe impossible ? 80 Avant d’être reprise par la Chine, cette notion fut d’abord mise en avant par Lee Kwan-Yew, figure tutélaire de Singapour et le docteur Mahathir Mohamad, homme fort de la Fédération de Malaisie. « Ce discours-alibi enfermé dans des pratiques politiques autoritaires et fortement antioccidental a tourné cours avec la crise de 1997 ». Voir l’article rédigé par Marianne PERONDOISE à l’automne 2002 sur le site de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) : http://www.iris-france.org/pagefr.php3?fichier=fr/Archives/Notes/2002-09-21. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 28 ­ § 1. L’humanisme confucéen à la source de la vision chinoise du monde La vision adoptée communément pour définir la culture chinoise est fondée sur une approche strictement communautaire de la société, opposée à la culture occidentale qui reposerait quant à elle sur la reconnaissance de l’individu. Prenant appui sur l’héritage confucéen, qui marque profondément, il est vrai, la culture chinoise encore aujourd’hui81, le PCC nous explique qu’au nom de l’importance de la communauté dans la pensée chinoise, il est inconcevable d’introduire la démocratisation du régime. Le Parti serait ainsi investi de la mission de diriger le pays pour le bien et l’intérêt de sa population. Considérant que cette mission lui aurait été confiée par le peuple lui-même dès 1949, il va même jusqu’à prétendre que le régime en place fonctionne déjà sur un mode démocratique. Mais pour justifier l’interdiction de la tenue d’élections libres, Pékin affirme qu’il s’agit d’une démocratie « à la chinoise », basée sur le principe communautaire véhiculé par ces fameuses « valeurs asiatiques ». L’argumentation est osée, elle n’en est pas moins bancale. Mais qui était donc ce Confucius que Mao avait tant décrié avant qu’il ne soit repris par ce même Parti 82 pour légitimer sa toute puissance ? Et surtout, que disait-il vraiment ? Pour répondre à cette question, la présentation que fait Anne CHENG du maître dans son ouvrage Histoire de la pensée chinoise83 paraît plus appropriée que l’interprétation officiellement donnée par le Parti. Alors que l’on s’attendrait à découvrir le développement d’une doctrine organique fondée sur le strict respect de la hiérarchie établie, on apprend que le maître est avant tout le précurseur d’une pensée humaniste 84. Ainsi, dès le Ve siècle avant notre ère, ce lettré chinois œuvrait à propager l’idée selon laquelle l’Homme doit être au centre de toute réflexion. Anne CHENG souligne même que « pour la première fois dans une culture aristocratique fortement structurée en castes et en clans, l’être humain est pris dans son entier […]. On peut dès lors parler d’un pari universel et d’un optimisme foncier sur l’homme »85. Ainsi, maître Kong86 consacrait-il l’essentiel de son enseignement à l’être humain, en partant du principe que la nature humaine de l’homme, perfectible à l’infini, est le fruit d’une recherche volontaire et d’un travail personnel sur soi, et non un acquis dont on n’aurait plus besoin de s’occuper87. Si cette qualité d’humanité est à rechercher dans la relation aux autres, Confucius ne nie pas pour autant l’individu. L’individu est au contraire placé au cœur de la pensée du maître pour qui l’aboutissement à une société harmonieuse ne peut être atteint que par la recherche première de l’accomplissement individuel. Ainsi, « la famille étant perçue comme une extension de l’individu et l’État comme une extension de la famille, et le prince étant à ses sujets ce qu’un père est à ses fils, il n’y a pas de solution de continuité entre éthique et théorie politique, la seconde n’étant Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire Section 1 L’argument de l’incompatibilité des valeurs asiatiques avec la notion occidentale de droits de l’homme 81 Anne CHENG écrit au sujet de Confucius : « Plus qu’un homme ou un penseur, et même plus qu’une école de pensée, Confucius représente un véritable phénomène culturel qui se confond avec le destin de toute la civilisation chinoise ». Voir CHENG Anne, Histoire de la pensée chinoise, Paris, Seuil, 1997, p. 62. 82 La participation de Jiang Zemin à une cérémonie commémoratrice des 2450 ans de Confucius à l’automne 1989 marque la volonté de récupération par le pouvoir des valeurs traditionnellement conservatrices. Voir l’article de HASKI Pierre, « A Pékin, la parti réhabilite Maître Kong », in Libération, 30 octobre 2004. 83 CHENG Anne, op. cit., pp. 61-93. 84 Voir KONG Qiu, Les entretiens de Confucius, trad. Anne CHENG, Paris, Seuil, 1981. 85 CHENG Anne, op. cit., p. 65. 86 Confucius est la retranscription phonétique donnée par les jésuites à partir du XVI e siècle de Kongfuzi 孔夫子 , qui signifie « maître Kong ». Son nom chinois, sous lequel on trouve parfois ses écrits est KONG Qiu 孔丘. 87 CHENG Anne, op. cit., p. 68. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 29 ­ (wenhua 文化) dans la tradition chinoise : « il indique un état d’instruction, un niveau de civilité et donc une certaine manière de se comporter vis-à-vis des autres »89. Joël THORAVAL rappelle ainsi que « être un Hua signifiait tout uniment être chinois et être civilisé »90. D’origine confucéenne, cette conception distingue entre « l’humain et la brute, mais aussi entre êtres civilisés et « barbares » » en fonction de la connaissance plus ou moins approfondie des rites en vigueur, et non selon des critères ethniques91. La pensée de Confucius ne correspond donc pas à l’image qu’en donnent les autorités chinoises pour cautionner leur politique « d’exception démocratique »92. Par ailleurs, quand on sait que « Kant représente un point majeur de focalisation dans le processus d’appropriation de la philosophie occidentale au Japon, puis en Chine »93, nul doute que la Chine possède bien les outils philosophiques nécessaires au développement d’une pensée humaniste sur les droits de l’homme. Ainsi, même si la philosophie confucéenne n’a pas ouvert la voie à une théorisation des droits de l’homme, au moins ne peut-on pas lui reprocher d’avoir interdit toute réflexion sur le sujet. Dans un sens, elle aurait même posé un des jalons à l’épanouissement de la notion. § 2. Universel contre relativisme culturel Danièle LOCHAK dénombre trois conditions nécessaires à l’émergence du concept de droits de l’homme. L’homme doit d’abord être pensé comme un individu autonome et premier par rapport au tout social. En outre, le droit doit être considéré comme un droit subjectif dont l’individu est titulaire, et non comme un droit objectif. Enfin, ces droits subjectifs doivent être pensés comme inhérents à la nature humaine94. Ainsi peut-on constater que Confucius, dans le développement de sa pensée humaniste, répondait déjà en partie à la condition de reconnaissance de la primauté de l’individu95. Cependant, si en Occident le droit a très tôt servi de base à l’élaboration d’une société fondée sur la recherche d’un contrat social, « dans la tradition chinoise, la relation contractuelle pouvait d’autant moins être considérée comme susceptible d’armer valablement le lien social qu’elle était essentiellement liée au commerce et que dans l’idéologie dominante la profession commerciale a toujours été placée au plus bas de l’échelle sociale »96. Alors que le concept même de droits de l’homme est doté intrinsèquement d’une portée inévitablement universelle, puisqu’il s’adresse à l’être Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire qu’un élargissement de la première à la dimension communautaire »88. En revanche, s’il est vrai que Confucius cautionne l’ordre hiérarchique, il lui donne un sens moral. C’est dans l’intérêt du peuple que l’élite doit gouverner, et cette même élite ne doit pas être recrutée sur un critère de naissance mais en fonction de ses qualités morales. Cette précision explique la définition particulière qui est donnée au concept de « culture » 88 Ibid., p. 79. 89 CHU Xiaoquan, « Aspects de la vie intellectuelle et culturelle », in : MICHAUD Yves (Ed.), op. cit., p. 178. 90 THORAVAL Joël, « Ethnies et nation en Chine », in : MICHAUD Yves (Ed.), op. cit., p. 50. 91 CHENG Anne, op. cit., p. 76. 92 Nous employons cette expression en référence à « l’exception culturelle française », pour renvoyer au discours du PCC sur une prétendue « démocratie à la chinoise ». 93 CHENG Anne, « Modernité et invention de la tradition chez les intellectuels chinois du XXe siècle », in : MICHAUD Yves (Ed.), op. cit., p. 190. 94 LOCHAK Danièle, Les droits de l’homme, Paris, La Découverte, 2002, pp. 7-8. 95 En partie seulement, parce que nulle part dans ses écrits n’est édicté directement ce principe. Cependant, la façon qu’il a de placer l’être humain au centre de tout nous permet d’en déduire que la société décrite par le maître répond bien à un rassemblement volontaire d’individus. 96 VANDERMEERSCH Léon, op. cit., p.121. Concernant la stratification sociale dans la tradition chinoise, Jean-Vincent BRISSET rappelle que « la hiérarchie sociale chinoise a toujours classé les mandarins devant les paysans, puis les soldats et enfin les marchands. Le principal bouleversement de la société postmaoïste est sans doute d’avoir élevé les marchands au deuxième rang et relégué ainsi les militaires au dernier ». Voir BRISSET Jean-Vincent, op. cit., p. 37. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 30 ­ Sur le plan juridique, les Nations Unies ont déjà tranché le problème lié au relativisme culturel prôné par certains pays pour cautionner la non application de certains droits de l’homme sur leur territoire. La DUDH proclame dans son préambule que ce texte est « un modèle commun à suivre pour tous les peuples et toutes les nations »98. Toutefois, cette simple phrase ne devait pas suffire puisque le besoin s’est fait sentir de renouveler l’affirmation du principe d’universalité. En effet, lors de la Conférence mondiale des Nations Unies sur les droits de l’homme, tenue dans la capitale autrichienne du 14 au 25 juin 1993, la notion d’universalité des droits de l’homme s’est vue renforcée. Ainsi peut-on lire dans le premier paragraphe de la Déclaration de Vienne que « le caractère universel » de tous les droits de l’homme et libertés fondamentales est « incontestable »99. L’obligation juridique de promouvoir « le respect universel, l’observation et la protection de l’ensemble des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous » est également réaffirmée pour tous les États. Il n’y a donc pas d’ambiguïté à ce sujet, au moins au niveau du droit international. Pourtant, si tel était vraiment le cas dans les esprits, les Nations Unies n’auraient pas à prendre le temps de rappeler régulièrement ce principe. Ainsi par exemple, en mars 1995, soit seulement deux ans après la tenue de la Conférence mondiale de Vienne, le Département de l’information des Nations Unies jugea nécessaire de publier une note d’information intitulée « Droits de l’homme et diversité culturelle »100. L’auteur de cette note, Diana AYTON-SHENKER, rappelle à cette occasion que « les droits de l’homme universels n’imposent pas une norme culturelle, mais plutôt une norme juridique relative à la protection minimale audessous de laquelle la dignité humaine cesse d’exister ». Et de renchérir en écrivant que « le droit à la culture prend fin là où il empiète sur un autre droit de l’homme ». L’organisation des Nations Unies n’est donc pas dupe quant à l’utilisation abusive, notamment par la Chine, de ce droit à la culture, pour préserver la stabilité d’un pouvoir autoritaire. Mais la dénonciation de cette pratique n’empêche pas pour autant la persistance de ce type de régime. Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire humain sans aucune distinction de quelque ordre que ce soit, son inscription dans le corpus juridique international en 1948 par l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) est le fruit d’une volonté purement politique. C’est d’ailleurs sans doute cette légitimité institutionnelle qui a permis d’en donner une vision pacifiée et consensuelle97. § 3. La qualification du régime politique chinois Difficile de définir le régime de Pékin par l’affirmative. Autrement dit, il est plus facile de dire ce que le régime de Pékin n’est pas, plutôt que de le définir en disant ce qu’il est. Ainsi, on sait que ce n’est plus un régime totalitaire comme au temps de l’ère maoïste, mais c’est encore moins un régime démocratique. Quant à employer la catégorie de régime autoritaire, son utilisation systématique pour décrire tous les pays n’entrant dans aucune des deux catégories sus-mentionnées la rend peu pertinente pour l’analyse. Michel BONNIN, dans un article intitulé « Comment définir le régime politique chinois aujourd’hui ? »101, a réfléchi à la question. Il propose de retenir la catégorie de « posttotalitarisme » définie par Juan LINZ. Ainsi écrit-il au sujet de cette catégorie : « Elle s’applique à des régimes qui ont été totalitaires, mais qui ont évolué, en conservant certaines caractéristiques importantes du système ancien. Cette 97 LOCHAK Danièle, op. cit., p. 3. 98 La DUDH est consultable en ligne à l’adresse : http://www.un.org/french/aboutun/dudh.htm 99 Pour retrouver la Déclaration de Vienne , voir le lien : http://www.unhchr.ch/huridocda/huridoca.nsf/(Symbol)/A.CONF.157.23.Fr?OpenDocument 100Note n° DPI/1627/HR, consultable en ligne à l’adresse : http://www.un.org/french/hr/dpi1627f.htm 101BONNIN Michel, op. cit., pp. 219-243. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 31 ­ Ainsi, l’argument selon lequel la démocratie en Chine serait impossible en raison d’une tradition philosophique différente de l’Occident ne tient pas. S’il est vrai que « jamais, au cours des cent cinquante [dernières] années d’histoire, les Chinois n’ont pu élire leurs dirigeants, jamais ils n’ont pu sans risque jouir des libertés d’opinion, d’association, de publication, garanties par une Constitution »105, ce n’est certainement pas parce que la population chinoise ne serait « pas prête » pour la démocratie. Le mouvement démocratique en Chine n’a peut-être toujours été qu’une « ombre », pour reprendre l’image de Jean-Philippe BEJA, mais son existence obstinée malgré les difficultés, prouve qu’il n’est pas besoin d’un long apprentissage pour apprécier la liberté lorsqu’on y a goûté. C’est donc plutôt du côté de la structure même du pouvoir qu’il faut rechercher les raisons de son maintien. Et les élites chinoises jouent un rôle tout à fait déterminant à ce propos. Car comme l’écrit Jean-Philippe BEJA : « Aujourd’hui, on a l’impression que le régime post-totalitaire est en train d’évoluer vers un autoritarisme post-politique avec le soutien d’une grande partie des élites, y compris, pour la première fois depuis 1949 au moins, d’une grande partie de l’intelligentsia »106. Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire catégorie me paraît s’accorder à la réalité du système politique chinois d’aujourd’hui »102. Parmi les caractéristiques dont parle l’auteur et que le régime chinois aurait préservées de son ancien système, nous avons vu qu’il existait tout un arsenal de mesures répressives et de contrôle de la société qui a été modernisé pour se mettre au service de « l’ambition totalitaire »103 du PCC, elle-même intacte. Pour Yves CHEVRIER, « la Chine offrirait […] l’exemple d’un système néo-totalitaire délaissant la vocation révolutionnaire et les techniques de mobilisation de ses origines pour se reconfigurer dans une perspective économique et non mobilisatrice, à la faveur des systèmes de contrôle et de répression hérités du maoïsme »104. 102Ibid., op. cit., p. 228. 103Ibid., p. 229. 104CHEVRIER Yves, « Une nouvelle histoire de la Chine au 20e siècle », in MICHAUD Yves (Ed.), op. cit., p.26. 105BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 15. 106Ibid., p. 249. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 32 ­ § 1. L’impossible distinction privé/public L’ouverture économique des années 1980 a favorisé le développement d’une corruption généralisée de la société. En effet, la libéralisation et la mise en concurrence d’entreprises nouvellement privatisées ou nouvellement créées méritent l’instauration de mesures de régulation à la hauteur de l’importance des échanges. Cela passe notamment par le développement d’un cadre juridique approprié, garantissant la transparence des transactions, ainsi que par l’existence d’une Justice indépendante, capable de faire respecter les règles en vigueur. Or, si la libéralisation économique de la Chine peut sembler s’être déroulée à un rythme insuffisamment rapide pour certains, elle n’a en tous cas pas laissé le temps au régime de mettre en place les conditions nécessaires à un développement sain de l’économie. Et dans un régime où les plus hautes autorités ne sont pas élues mais cooptées selon des critères tenant plus au charisme personnel de l’homme qu’à l’existence de compétences particulières, le développement de la corruption était presque une fatalité. Rechignant à relâcher sa domination sur l’ensemble de la société, c’est « cette hégémonie, couplée à l’approfondissement de la réforme de l’économie, [qui a] favoris[é] l’apparition de la corruption »108. L’apparition d’une nouvelle élite économique bénéficiant des réformes n’est donc pas sans lien avec le Parti et les compromissions entre les autorités politiques et les entrepreneurs privés ne sont pas rares. Ce qui fait écrire à Michel BONIN que « la couche des entrepreneurs ne constitue pas, aujourd’hui, une couche nettement différenciée de la classe bureaucratique et elle est encore très souvent dépendante du pouvoir politique. Quant à la nouvelle classe moyenne, la majorité de ses membres doit également son aisance relative aux liens qu’elle a ou qu’elle a eus avec le système d’État »109. Par conséquent, il n’est pas dans leur intérêt de réclamer un changement qui risquerait de remettre en cause ce qu’ils ont acquis. Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire Section 2 La participation des élites107 au maintien du pouvoir. Par ailleurs, l’autonomisation de la sphère économique a paradoxalement permis au Parti d’affermir son contrôle sur la société. En effet, utilisant la possibilité de créer des entreprises, certains Chinois en ont profité pour développer des activités s’apparentant davantage à celles pratiquées par des associations qu’à de l’économie. Mais « en autorisant la création de ces « entreprises », qui se situent à la marge de l’économique, du politique et du social, le Parti se donne également les moyens de les réprimer pour des raisons non politiques, telles que l’évasion fiscale, la corruption, etc. »110. Si la corruption est un problème que le PCC essaie de combattre, cet état de fait a tout de même tendance à renforcer la stabilité du régime. Notre hypothèse, selon laquelle la libéralisation relative de la société aurait pour conséquence de consolider un gouvernement niant la liberté politique et bafouant les droits de l’homme, se trouve ainsi accréditée davantage. Et l’adhésion des élites à ce système renforce encore cette idée. § 2. Une élite en mutation La première question que l’on peut se poser pour tenter de comprendre d’où vient la stabilité du PCC, depuis maintenant cinquante-cinq ans, est celle de la personnalité de ses dirigeants. Qui dirige la Chine aujourd’hui ? Dans un pays où le monopole politique exercé par un Parti unique est la règle, la question peut paraître dérisoire tant la réponse semble évidente. Or, si les membres du PCC ne ménagent pas leurs efforts, 107Nous emploierons le terme « élite » au singulier quand il s’agira de désigner de manière générale l’ensemble des individus que leurs activités contribuent à distinguer aux yeux du PCC. Lorsque le terme « élites » sera utilisé au pluriel, il fera référence aux membres de cet ensemble hétérogène. 108BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 134. 109BONNIN Michel, op. cit., p. 241. 110 BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 248. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 33 ­ Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire comme nous avons pu le voir jusqu’ici, les espaces de liberté récemment créés, même s’ils sont contrôlés, auraient pu constituer une sérieuse menace pour le régime, comme cela avait été le cas pour sa voisine soviétique. Pourtant, l’essor progressif d’une pseudo-société civile cantonnée exclusivement à la sphère privée est loin de signifier une remise en cause du régime. La raison essentielle à cette stabilité réside dans les liens que le pouvoir a su tisser au cours du temps avec les élites chinoises. Ainsi, « c’est d’abord dans le domaine politique que Deng a commencé à agir. Sa stratégie a consisté à refonder la légitimité du pouvoir du Parti, en tendant la main aux élites intellectuelles si elle s’abstenait de remettre en question le régime, et à relâcher le contrôle du PC sur les activités économiques des citoyens, notamment des paysans, en les autorisant à s’enrichir par la production et le commerce »111. Mais plus encore, c’est la capacité du Parti à façonner la composition de ces mêmes élites qui lui a permis d’adapter au mieux sa politique de « coopération sélective »112. Parce qu’une fois désignées comme faisant partie des « forces productives les plus avancées »113 que le Parti est censé représenter, ces élites bénéficient de mesures légales favorisant leurs activités, mais aussi de passe-droits distribués au gré des administrations. Sans être forcément assimilés à de la corruption pure, ces privilèges permettent d’établir un lien très fort de réciprocité qui engage les bénéficiaires de tels traitements à maintenir le pouvoir en place. Mais plus qu’un engagement moral envers le Parti, il s’agit pour certains des membres de la nouvelle élite de préserver leurs avantages, ayant trouvé dans le soutien du PCC à investir dans le secteur privé une occasion pour s’enrichir rapidement dans des conditions souvent opaques. Michel BONNIN écrit justement à ce propos qu’ « en cas d’évolution démocratique, il est évident que des comptes pourraient être demandés à bon nombre de ces « nouveaux riches ». Cela ne les incitera pas à encourager la démocratisation »114. La composition de cette élite chinoise a beaucoup changé depuis 1949. A l’origine, la prise de pouvoir par le PCC reposait essentiellement sur le soutien des paysans. Le maoïsme se distinguait ainsi du stalinisme en ce qu’il reposait sur un communisme agraire, plaçant de fait la figure du paysan au centre de la politique révolutionnaire. A une époque où l’idéologie maoïste avait une place prépondérante dans tous les secteurs de la vie politique et économique du pays, l’élite correspondait alors, et presque exclusivement, aux principaux cadres du PCC, eux-mêmes issus pour la plupart de la paysannerie. Voulant rompre avec le passé, jugé forcément « contre-révolutionnaire », les anciens membres de l’intelligentsia et autres lettrés ou démocrates furent pris pour cible des différentes campagnes visant à purger la société de ses « mauvais éléments ». Le mouvement le plus marquant est évidemment celui de « la Grande Révolution culturelle prolétarienne » (1966-1969). Cette image de jeunes étudiants, de professeurs et d’intellectuels chinois de toutes origines, envoyés de force se « rééduquer » à la campagne en partageant la dure vie des paysans, obligés de travailler dans des conditions souvent misérables et sous surveillance policière de surcroît, restera gravée dans la mémoire collective chinoise comme une des heures les plus sombres du maoïsme. Pourtant aujourd’hui, la page est bien tournée et ceux qui étaient hier persécutés par le régime font dorénavant partie de ceux que le Parti entend ménager. Pour Pékin, il était temps de redéfinir les interlocuteurs qui méritaient son attention. Car « aujourd’hui, ceux qui représentent la modernité sont les ingénieurs et les techniciens, et, plus encore, les entrepreneurs et les hommes d’affaires »115. C’est en 111 Ibid., p. 54. 112 Nous entendons par « coopération sélective » une politique de main tendue envers une portion restreinte et préalablement sélectionnée de la population, celle qui constitue l’élite chinoise au sens large. 113 Cette expression renvoie à la théorie des « Trois Représentations » que nous développerons plus loin. Voir l’article de BOBIN Frédéric, « Pour son 80e anniversaire, le PC chinois approfondit sa mue idéologique », in : Le Monde, 03 juillet 2001. 114 BONNIN Michel, op. cit., pp. 239-240. 115 Ibid., pp. 229-230. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 34 ­ 代 表 (sangedaibiao), jette les bases de ce que sera la nouvelle élite promue par le Parti. La première de ces « représentations », « les forces productives les plus avancées », répond au mouvement d’ouverture initié par Deng au début des années 1980 et correspond à la volonté de récolter une partie des bénéfices issus de cette politique en cherchant le soutien des principaux acteurs dans le domaine économique, notamment les hommes d’affaires, ingénieurs et praticiens des hautes technologies. Car l’enjeu qui s’impose au pouvoir est « non seulement d’encadrer un peuple rétif mais contrôlable du fait de la segmentation sociale, mais un vis-à-vis qu’il va falloir gérer avec d’autant plus de doigté que ces nouvelles élites sont le nerf de la croissance économique sur laquelle repose la légitimité du régime »117. Il semblerait que cette stratégie ait été judicieuse, puisqu’en choisissant de soutenir ces « forces productives », le Parti est sur le point de gagner son pari d’adaptation à la modernité. Ainsi, « cadres et entrepreneurs sont en passe de former une même couche sociale qui impulse le développement, contribue au contrôle de la population et oriente les comportements sociaux »118. La deuxième force que le Parti entend « représenter » est « la culture la plus avancée ». Ici, ce sont bien les intellectuels que le Parti réhabilite explicitement. La réaction de ces intellectuels qui ont accepté de jouer le jeu proposé par les autorité chinoises, alors même qu’ils ont connu régulièrement des vagues de répression orchestrées par ces mêmes autorités, s’explique notamment par la façon dont les intellectuels perçoivent leur propre statut. Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire 2000 que Jiang Zemin, par le biais de sa doctrine des « Trois Représentations »116, 三个 § 3. Le rôle de l’élite selon les intellectuels chinois Si l’on part du principe que « la notion d’élite renvoie à « l’image sociale de l’élite » »119, il est intéressant d’étudier quelle a pu être cette image dans la société chinoise traditionnelle. Et cette image est le fruit, dans le cas présent, du propre regard que les intellectuels ont sur eux-même et qu’ils communiquent à la société par l’attitude qui découle de la conception qu’ils ont de leur rôle. Ainsi, « à mesure que l’on approche du XXIe siècle, les intellectuels de l’Empire du Milieu ont le sentiment croissant d’appartenir aux élites. Ils estiment qu’il est puéril de dénoncer le système dans son intégralité et préfèrent améliorer le fonctionnement de l’administration en participant à toutes sortes de structures de consultation mises en place par le gouvernement […] »120. Cette conception n’est pas nouvelle et descend directement de l’époque impériale. La fonction de gouverner a toujours été perçue comme une tâche éminemment technique, requérant les compétences des membres les plus éclairés du pays pour prodiguer leurs conseils aux dirigeants et les aider dans leur mission. Au service du peuple, le gouvernement ne peut toutefois pas être choisi par lui, et son action encore moins être dictée en fonction des revendications de la population. « Convaincus que, pour que la Chine puisse devenir un pays moderne elle a besoin de tranquillité, [les membres de l’intelligentsia] pensent que l’intervention des masses dans la vie politique est grosse de risque, et que la démocratisation ne peut provenir que d’une transaction au sein des élites »121. Ce point de vue est partagé notamment par celui qui fut l’un des principaux leaders du courants des intellectuels libéraux dans la RPC d’aujourd’hui, LI Shenzhi (1923-2003). Alors que Marie HOLZMAN et CHEN 116 La troisième de ces « Représentations » s’applique aux « intérêts du peuple tout entier ». C’est une formule creuse sur laquelle nous passerons parce qu’elle ne correspond à rien de précis. 117 HEVRIER Yves, op. cit., p.27. 118 DOMENACH Jean-Luc, « La Chine est-elle entrée dans le monde ? », in : MICHAUD Yves (Ed.), op. cit., p.253. 119 COENEN-HUTHER Jacques, Sociologie des élites, Paris, Armand Colin, 2004, p. 102. 120BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 208. 121Ibid., p. 212. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 35 ­ Cette attitude méprisante pour les autres catégories sociales est un trait récurrent des intellectuels chinois, encore aujourd’hui. « Ils estiment que ce sont eux qui constituent la force principale dans le combat pour la modernisation du pays, et que leurs connaissances les prédestinent à exercer un rôle dirigeant dans la société, y compris dans le domaine de l’expression des revendications »128. Alors, quand le Parti décida en 2000 de leur reconnaître officiellement un rôle dans le développement du pays et de recourir à leurs expertises sur certains sujets, il n’était pas question pour eux de refuser. « Cette nouvelle fonction accordée aux intellectuels, chercheurs, enseignants, n’est pas pour leur déplaire dans la mesure où elle leur permet d’exercer les deux rôles qu’ils affectionnent particulièrement depuis des siècles : Conseiller du prince et porte-parole de la société, tout en y ajoutant un élément de modernité caractérisé par la reconnaissance de leur compétence scientifique »129. Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire Yan présentent son texte comme étant « un vibrant hommage à la démocratie »122 et d’un « rare optimisme quant à l’avenir démocratique de la Chine »123, LI Shenzhi reste très prudent en écrivant qu’ « actuellement, une démocratisation entraînerait inévitablement un grand désordre dans le pays et ne serait en rien profitable au peuple chinois »124. Aussi préconise-t-il de repousser sa réalisation « jusqu’à un avenir lointain », avenir qu’il date « aux alentours de 2040 »125 ! En fait, le principe même de démocratie, qu’elle soit participative ou représentative, n’est pas envisagé par les intellectuels chinois, dans le sens où jamais ils n’auraient recours à la population pour mener une action. Ainsi, au début du Mouvement pour la démocratie en 1989, les intellectuels font preuve d’une grande circonspection à l’égard des manifestations étudiantes. La démocratie se résumerait donc selon eux au simple fait que « le Parti leur permet[te] de s’exprimer et écoute leurs conseils »126. Et même le mouvement étudiant de Tian'anmen, connu dans le monde entier pour son dénouement tragique, s’est toujours organisé séparément des autres grandes manifestations, ouvrières notamment, qui avaient lieu au même moment pour soutenir leur démarche. Les étudiants, se vivant comme une élite en devenir chargée de la mission sacrée de promouvoir la démocratie et de dénoncer les injustices, refusaient par exemple l’accès des manifestants non-étudiants à leur cortège. Car « si les étudiants se sentent renforcés par le soutien que leur exprime la société, ils resteront toujours très attentifs à préserver la « pureté » de leur mouvement »127. Un filtrage était ainsi organisé par un service d’ordre composé d’étudiants et par la distribution de badges. La façon dont les intellectuels voient leur rôle dans la société ne facilite pas le développement d’une théorie réellement démocratique, au sens où nous l’entendons dans nos sociétés occidentales. La relation qui s’est établie entre cette intelligentsia, héritière directe des lettrés des temps impériaux, et les autorités chinoises, se réclamant toujours officiellement d’une idéologie révolutionnaire communiste, est pour le moins surprenante. L’arrivée au pouvoir du PCC en 1949, malgré tous les efforts qu’il a faits pour « rééduquer » la population et rompre avec l’esprit des époques antérieures, impériales et républicaines, n’a donc pas suffi à venir à bout d’une tradition ancrée dans les esprits de ces intellectuels. Mais alors que c’est pourtant à eux que revient la tâche de développer des théories pour mieux appréhender le monde, étant par là les mieux à même de promouvoir la démocratie, leur choix de soutenir la politique du Parti en acceptant de ne pas travailler directement sur des questions politiques, rend les 122CHEN Yan, HOLZMAN Marie (Eds), Ecrits édifiants et curieux sur la Chine du XXIe siècle : voyage à travers la pensée chinoise contemporaine, Paris, Ed. de l’Aube, 2003, p. 13. 123Ibid. 124LI Shenzhi, « Objectif démocratie », in : CHEN Yan, HOLZMAN Marie (Eds), op. cit., p. 22. 125Ibid., p. 40. 126BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 114. 127Ibid., p. 151. 128Ibid., p. 152. 129Ibid., p. 245. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 36 ­ Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire aspirations des démocrates chinois encore plus inaccessibles qu’elles ne semblaient déjà. L’avenir démocratique du pays paraît ainsi d’autant plus compromis que la notion de modernité est associée dorénavant à une dépolitisation de la société. ­ 37 ­ Yves CHEVRIER nous rappelle que « la tentation nationaliste et celle d’un État fort, constructeur de la nation moderne, exercent une réelle séduction depuis les années 1990. Ces mythes le disputent à celui de la démocratie ou, du moins, semblent prendre le pas sur elle dans le développement historique de la nation chinoise »130. C’est donc bien cette « séduction » qui explique, sinon l’adhésion, en tous cas la non opposition de la population au système. Car, quand il s’agit de se moderniser, les Chinois sont les premiers à se lancer dans le mouvement, à tel point que ce sont également les premiers à subir les retombées néfastes de cette modernité, réduisant les chances de voir la démocratie un jour s’installer en Chine (Section 1) et contribuant à ternir l’image du politique auprès des jeunes et des moins jeunes (Section 2). Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire Chapitre 2 Les effets pervers de la modernité occidentale 130CHEVRIER Yves, op. cit., p. 42. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 38 ­ L’hypothèse de travail que propose Yves CHEVRIER dans son article s’articule autour de deux éléments qui permettraient selon l’auteur d’« inclure dans un dispositif de pouvoir renouvelé certains éléments choisis […] afin de mieux exclure tous les autres »131. Les éléments en question sont « la force de l’argent et de l’expertise » qu’il définit comme le premier jalon d’un compromis post-révolutionnaire132. § 1. La liberté par l’expertise Comme nous venons de le voir, « les chercheurs et les professeurs ont de plus en plus conscience d’appartenir à une élite dont le critère d’accès est la compétence académique »133. La valorisation de leur travail par le pouvoir les a encouragés à poursuivre dans cette voie. Mais c’est sans doute davantage par goût de la liberté que ces intellectuels exercent leur métier. Aussi, « selon les professeurs qui se considèrent comme modernes, ce n’est qu’en développant leurs capacités dans le domaine académiques que les intellectuels pourront conquérir une certaine autonomie par rapport au pouvoir et garantir ainsi l’existence d’une liberté d’expression minimale »134. En effet, le fait d’utiliser un vocabulaire scientifique leur donne un accès pratiquement illimité à l’ensemble des domaines du champ de la connaissance, y compris en sciences humaines135. La sociologie, longtemps interdite par le PCC, a pu par exemple renaître de ses cendres et trouve aujourd’hui sa dynamique en multipliant les études sur la société chinoise dont le mouvement permanent fournit une source de sujets inégalée. Le PCC laisse d’ailleurs une grande liberté dans le choix des sujets pour lesquels son contrôle s’est affaibli. Ainsi, il « abandonne peu à peu l’ambition de contrôler rigoureusement le débat d’idées, tant qu’il reste cantonné à des milieux spécialisés, et qu’il ne remet pas en cause ouvertement sa légitimité »136. Tout sujet peut constituer matière à réflexion, à condition de rester dans une approche strictement scientifique et académique. Ainsi est-il possible de voir des chercheurs aborder l’histoire de la démocratie occidentale, ou faire des conférences sur certains grands penseurs à l’origine des droits de l’homme. En revanche, il n’est pas question pour le Parti de laisser se populariser des idées qui pourraient être « subversives ». Michel BONNIN rappelle d’ailleurs que « tout franchissement d’une limite volontairement floue et arbitraire entraîne la répression »137. Aussi, conscients du risque qu’il y a pour eux de remettre trop directement en cause le fonctionnement du régime de Parti unique, les intellectuels délaissent les matières trop sensibles pour se concentrer sur des études plus ciblées de la société chinoise. Et comme de toutes façons, seule compte à leur yeux la qualité de scientificité de leur travail, la prise de risque ne correspond pas forcément à un enjeu suffisamment important. Jean-Philippe BEJA souligne que « ces convictions les conduisent à se détourner des grandes questions comme la démocratie, la justice, etc., pour se consacrer à leur spécialité »138. Et pour ceux qui décident quand même de travailler sur de tels sujets, seuls les plus « prudents », autrement dit ceux qui ne chercheront pas à critiquer le Parti, bénéficieront de la clémence des autorités. Les autres courent le risque de se voir au mieux refuser le droit de poursuivre leurs recherches, ou au pire, d’être arrêtés pour un des chefs d’accusation permettant de faire taire les critiques, tel que celui de « trouble à l’ordre public » ou « tentative de subversion du pouvoir de l’État », et envoyés dans un laogai pour y être « rééduqués ». Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire Section 1 Puissance économique et gouvernance : le duo « démocraticide » 131Ibid., p. 27. 132Ibid. 133BEJA Jean-Philippe, op. cit., pp. 212-213. 134Ibid., p. 207. 135THORAVAL Joël, « Ethnies et nation en Chine », in : MICHAUD Yves (Ed.), op. cit., p. 50. 136BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 209. 137BONNIN Michel, op. cit., p. 231. 138BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 207. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 39 ­ § 2. Une approche dépolitisée de la gestion des affaires publiques Une des préoccupations majeures du pouvoir, partagée par l’ensemble de la population, est de poursuivre la modernisation de la Chine dans tous les domaines, aussi bien économique, que militaire ou scientifique. Yves CHEVRIER précise à ce sujet que « à côté des structures, des pratiques, des normes et des symboles issus de l’ancien État maoïste s’affirme non certes une société civile ou une démocratie en gestation, mais une autre forme d’État, une « gouvernance », si nous voulons emprunter un terme au jargon, dont le développement est étroitement lié à des phénomènes nouveaux »140. Sur le plan politique, c’est l’amélioration de la gestion administrative qui est retenue. La « modernité » à laquelle la Chine veut accéder est celle vantée par la communauté internationale et correspond à une modernité toute occidentale. Or, nos sociétés occidentales sont elles-mêmes en mutation, à tel point que certains analystes préfèrent parler d’État post-moderne quand il s’agit de définir les systèmes politiques en vigueur en Occident. Car avec le temps, nos démocraties finissent par ne plus avoir de démocratique que le nom. L’apparition de la notion de gouvernance correspond à un mouvement de dépolitisation général, caractérisé notamment par le fait que le peuple, titulaire théorique de la souveraineté nationale, se désintéresse toujours davantage de la vie politique de son pays. La croissance de l’abstention dans nombre d’États, les ÉtatsUnis en tête, est révélatrice de cette tendance. Ainsi, quelle légitimité donner à des représentants élus par moins de la moitié de la population bénéficiant du droit de vote ? Avec la professionnalisation des politiques et la complexification des débats qui prennent rapidement une technicité inaccessible pour le profane, le gouvernement des hommes laisse la place à l’administration des choses. Mais ce phénomène, dans des pays qui autorisent la liberté de la presse, la possibilité pour leurs citoyens de s’organiser pour exprimer, le cas échéant, leur désaccord avec les choix de leur gouvernement, et surtout la multiplication d’associations en tous genres, n’a pas le même écho que dans des régimes autoritaires. Les conséquences de la dépolitisation en Chine ont des répercussions bien plus alarmantes que dans ces États où la tradition démocratique est ancrée depuis des siècles. Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire Cette perspective tend à renforcer l’autocensure que s’imposent les intellectuels. Ils préfèrent cultiver l’autonomie dont ils bénéficient dans leur sphère d’activité et travailler à étendre lentement leur champ de compétences plutôt que de prendre des risques pour modifier un système qui finalement ne les dérange pas tant que cela. Pour eux donc, « l’essentiel est de conquérir une autonomie par rapport au Parti, et le meilleur moyen d’y parvenir consiste à s’appuyer sur le professionnalisme »139. Cette attitude concourt à renforcer la dépolitisation de la société et de la sphère publique. Car comme le fait remarquer Jean-Philippe BEJA, « le gouvernement chinois a bien saisi à quel point cette évolution de l’État moderne pouvait servir ses intérêts et il a adopté avec enthousiasme les thèmes de la gouvernance et autorisé la création d’une pseudo-société civile, donnant satisfaction aux organisations internationales qui se félicitent de ce saut dans la modernité »141. Mais cette « modernité » à laquelle aspire Pékin met en péril la perspective d’une démocratisation du régime, puisque si le PCC y parvient en préservant les conditions actuelles de son développement, il n’aura alors plus aucune raison de modifier son système politique. Et il est à parier qu’en devenant une grande puissance, le soutien populaire dont il bénéficie déjà en partie sera encore renforcé. § 3. Le succès économique, critère exclusif du bon fonctionnement politique Si les dirigeants chinois ne s’embarrassent pas du respect des droits de l’homme pour accomplir leurs réformes, emprisonnant les opposants, colonisant des régions entières 139Ibid., p. 211. 140CHEVRIER Yves, op. cit., p. 27. 141BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 244. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 40 ­ Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire comme le Tibet pour acculturer leur population, etc., il semblerait que le seul critère valable soit le résultat obtenu. Aussi la Chine travaille-t-elle « principalement à modifier le rapport des forces en augmentant leur potentiel économique et en manœuvrant leurs partenaires extérieurs »142. La condition de survie du régime résidant dans sa capacité à faire de la Chine une grande puissance mondiale, le PCC est soumis à une obligation de résultat, mettant tous les moyens en œuvre, y compris les plus condamnables, pour arriver à ses fins. Et parmi les critères retenus par la communauté internationale pour définir la puissance, le développement économique figure en première place des attributs de la modernité. Car la victoire du camp capitaliste au sortir de la Guerre froide a permis le développement d’une mondialisation avant tout économique. Deng Xiaoping l’avait bien compris puisqu’il décida de poursuivre « la mise en œuvre de sa politique qui consiste à autoriser toutes les audaces dans le domaine économique et à maintenir par tous les moyens l’hégémonie du Parti sur le champ politique »143. Et bien que la distribution des résultats économiques à la population soit très inégale, renforçant les disparités entre urbains et paysans, mais aussi entre la côte et la partie intérieure de la Chine, afficher 8 % de croissance annuelle à la vitrine du pays contribue à façonner l’image d’une Chine moderne aux yeux du monde, mais aussi au sein de la population. Ainsi, même si tous les Chinois ne bénéficient pas des gains enregistrés par le pays, l’espoir que la croissance finisse par leur profiter un jour entretient la confiance qu’ils placent dans le Parti. Car les manifestations qui se multiplient à travers tous le pays ne remettent jamais en cause la politique du PCC en tant que telle mais servent plutôt au contraire à lui demander son aide pour réparer les injustices dont ils sont victimes en intervenant davantage pour réguler par exemple la répartition des richesses. Nous pouvons donc en conclure, à l’instar de Jean-Philippe BEJA, qu’à l’heure actuelle, « les protestations des travailleurs des entreprises d’État ne menacent pas le régime. Elles ne sont pas, en général, dirigées contre le Parti, n’exigent même pas un changement politique et encore moins l’instauration de la démocratie »144. Les résultats en termes de reconnaissance politique de ce développement économique sont déjà là. Cette reconnaissance engendrant de nouvelles responsabilités sur la scène internationale145 et de nouveaux défis, les projets se multiplient dans une Chine qui ressemble depuis plusieurs années à un vaste chantier, la ville de Pékin en tête. Mais ce n’est pas forcément dans l’intérêt de ses habitants. En cela, le choix de la ville de Pékin pour organiser les Jeux Olympiques de 2008 correspond bien à une forme de reconnaissance de la part de la communauté internationale. Bien que le mode de sélection du pays organisateur au sein du Comité International Olympique (CIO) repose sur un mélange entre choix stratégiques purement nationaux, alliances de circonstances, corruption et un principe d’alternance entre les continents, jamais la Chine n’aurait été choisie si le CIO avait eu des doutes quant à sa capacité à prendre en charge l’organisation d’une telle institution. Mais comme le souligne Marie HOLZMAN, « loin de contribuer à la démocratisation du système, la tenue d’évènements internationaux sur le territoire chinois fournit un prétexte idéal à l’accentuation de la répression : « il ne faudrait surtout pas donner une mauvaise image de la ville » ! »146. Ainsi peut-on prévoir que « l’organisation des jeux Olympiques à Pékin en 2008 donnera lieu à de féroces opérations de répression préventives »147. Dès lors, le développement économique de la Chine, s’il permet bien un retour de ce pays sur la scène internationale, ne favorise en rien la démocratisation du système. Au 142DOMENACH Jean-Luc, op. cit., p. 263. 143BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 205. 144Ibid., op. cit., p. 233. 145La médiation de la Chine auprès de la Corée du Nord en est un exemple. 146RSF (Ed.), op. Cit., p. 35. 147Ibid., pp. 35-36. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 41 ­ Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire mieux a-t-il permis une amélioration des conditions de vie d’une partie de la population et le développement d’une société civile dont les libertés restent cependant sous le contrôle du PCC. L’entrée dans la « modernité » n’est donc pas synonyme de progrès des droits de l’homme, et encore moins de démocratisation. Par ailleurs, la relégation du politique au rang subalterne de régulateur de l’ordre économique établi est un autre des effets de cette modernité, et une fois encore ce sont les droits de l’homme qui en pâtissent. ­ 42 ­ § 1. La montée de l’individualisme Avant de parler de la population chinoise, encore faut-il avoir à l’esprit l’immense transformation dont elle a fait l’objet en seulement deux décennies. L’image d'Épinal du paysan chinois, habillé en costume « Mao », une casquette vissée sur la tête, et travaillant les champs, entre deux réunions du Parti auxquelles il se rendrait à vélo est à classer parmi les vestiges d’une époque révolue. La nouvelle génération de Chinois aurait ainsi un profil bien différent de celui d’il y a vingt ans, surtout dans les grandes villes. Enfant unique et choyé à l’extrême, le Chinois « moderne » se préoccupe essentiellement de gagner de l’argent. Il se balade dans les rues de la ville au volant de sa voiture, le portable collé à l’oreille148, et s’évertue à placer des mots en anglais dans la conversation pour faire « branché ». La conséquence qui en découle est un désintérêt grandissant pour la chose publique, le seul objectif que ces Chinois poursuivent étant l’amélioration de leur propre confort. Jean-Philippe BEJA explique justement que « le culte de l’argent, l’individualisme exacerbé qui accompagnent le processus de modernisation de l’économie ne constituent pas un terrain favorable au développement du courant démocratique ». Et de préciser que « la plupart des citoyens chinois s’occupent surtout de l’amélioration de leur vie personnelle, et, comme c’est le cas dans bien des régions du monde, ils ne montrent guère d’enthousiasme pour l’action publique »149. Une fois encore, l’amélioration des conditions de vie et l’ouverture d’un espace de libertés dans la sphère privée ne favorisent pas une démocratisation du régime. Au contraire, le désintérêt de la population envers la politique contribue à ménager le Parti qui se trouve dès lors libéré d’une menace qui aurait pu venir de ces citadins de la nouvelle génération. Et à mesure que l’individualisme se propage à travers la Chine comme une nouvelle façon de concevoir la vie en société, la stabilité du régime se renforce en conséquence. Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire Section 2 La mauvaise image du politique dans la jeunesse chinoise. Outre le culte de l’argent lié à l’entrée du capitalisme en Chine, la politique de l’enfant unique a des effets directs sur l’évolution des mentalités. Pays traditionnellement agraire, la pratique voulait que le nombre d’enfants par famille soit important, pour pouvoir notamment aider aux travaux des champs. La préférence allait surtout aux garçons, les filles étant destinées à quitter leur famille une fois mariée pour suivre leur époux150. Si l’importance des familles nombreuses est une composante de toutes les sociétés n’ayant pas encore achevé leur transition démographique, le cas chinois avait une portée exceptionnelle, avec un nombre d’habitants déjà le plus élevé de la planète. Ainsi, alors que dans la plupart des pays développés la transition démographique s’est faite en douceur au rythme de l’Histoire, le PCC a décidé en 1979 de mettre fin à cette croissance explosive de manière autoritaire151. C’est donc Deng Xiaoping qui instaura la politique de l’enfant unique, interdisant aux couples vivant en ville d’avoir plus d’un 148« Avec 20 % de la population, le taux d’équipement [en téléphones mobiles] reste largement inférieur à celui des pays occidentaux, mais à l’échelle de la Chine, cela représente tout de même 250 millions d’utilisateurs » rapporte le journaliste Laurent MAURIAC. Voir l’article de MAURIAC Laurent, « Ningbo Bird, l’envol du portable », in : Libération, supplément, 4 novembre 2003, p. V. 149BEJA Jean-Philippe, op. cit., pp. 250-251. 150Cette coutume aura pour effet, avec la mise en place de la politique de l’enfant unique dont nous allons parler, de développer une pratique eugénique, avec, selon les cas, un avortement sélectif des fœtus féminins après identification de leur sexe au moyen de l’échographie, l’infanticide des bébés filles ou l’abandon du nouveau-né quand il s’agit d’une fille. Une des conséquences est notamment un déséquilibre des rapports hommes-femmes dans la société chinoise d’aujourd’hui. Voir l’article de BLAYO Yves, « Persistance des problèmes démographiques en Chine », in : INED, Population et Sociétés, (331), janvier 1998, p. 2. Article disponible en ligne à l’adresse : http://www.ined.fr/publications/pop_et_soc/pes331/PES3312.htm 151Voir l’annexe 3 p.Erreur : source de la référence non trouvée du mémoire. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 43 ­ § 2. L’engagement associatif plutôt que la politique qui corrompt Nous avons vu qu’avec le développement d’Internet notamment, les Chinois étaient de mieux en mieux informés, et ce malgré le contrôle du PCC. Il n’est pas rare d’ailleurs qu’à l’occasion de faits divers156 ou d’injustices commises par le Parti ou certains de ses cadres, des mouvements de protestation prennent naissance sur la Toile. Car l’individualisme ne signifie pas pour autant l’indifférence. La mondialisation a également eu pour effet de rendre l’Autre plus proche de soi, et les malheurs que vivent les uns ont tendance a être vécus par les autres comme une atteinte personnelle. Par ailleurs, Michel BONNIN explique que « la diversification sociale, le retrait de l’État du domaine de la vie privée de même que l’abandon de son ambition d’offrir à chaque citadin des moyens de subsistance ont entraîné la nécessité d’une tolérance à l’égard de la création d’organisations non directement contrôlées »157. Ce phénomène de compassion à l’égard des autres, conjugué à une certaine tolérance du Parti à l’égard de la création d’associations a permis le développement de l’engagement associatif des Chinois. Dans une société où l’écart entre les riches et les pauvres atteint des records, les injustices se multiplient. Le journal Les Échos rapporte ainsi que « le revenu par tête atteint près de 3500 dollars à Shanghai, contre 364 dollars dans le Guizhou, la province la plus pauvre. Il dépasse 2000 dollars à Pékin quand il culmine à 700 dans le Sichuan. La façade maritime de la Chine capte, à elle seule, 80 % des précieux investissements directs étranger, qui assurent la modernisation du pays »158. Les citoyens s’organisent en conséquence, pour faire face à la montée de la pauvreté, aider Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire enfant, et à ceux vivant à la campagne plus de deux152. Cette politique, toujours en vigueur aujourd’hui, fut accompagnée de mesures pour reculer l’âge du mariage et de vastes campagnes de stérilisation des femmes et d’avortements forcés. Cette transition brutale entraîna une montée non moins brutale de l’individualisme. En effet, l’enfant unique devint l’objet de toutes les attentions, focalisant les regards de ses parents et de ses grands-parents sur son unique personne153. Ce « petit empereur » est ainsi couvert de cadeaux depuis son plus jeune âge, surprotégé et sur-nourri154. Mais il est également le seul à porter les espoirs de ses parents, notamment en matière d’éducation. Il acquiert ainsi très tôt un esprit de compétition, car les places dans l’enseignement supérieur sont chères155 et il est inconcevable de décevoir des parents qui donnent tellement à leur enfant… D’où l’apparition d’une société façonnée par l’individualisme et à l’esprit de compétition bien ancré. 152Il est intéressant de noter que la politique de l’enfant unique ne concerne pas les « minorités nationales », officiellement pour que leur part dans la population s’accroisse (rééquilibrage des ethnies), mais officieusement afin d’éviter que cela ne leur donne davantage de raisons de contester leur situation et la politique de Pékin. 153Les Chinois nomment ce phénomène le syndrome « un, deux, quatre », ou « 一 二 四 » (yi er si), en référence à l’enfant unique, couvé par ses deux parents et ses quatre grands-parents. 154Le problème de l’obésité en Chine prend chaque année une ampleur nouvelle. Ainsi, « La Chine (…) conna[ît] depuis dix ans une augmentation du taux de surpoids de 5 % » voir : GALUS Christiane, « L’obésité s’étend désormais aux pays en voie de développement », in : Le Monde, 15 oct. 2003. Voir également sur le site de l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) : http://www.fao.org/FOCUS/F/obesity/obes2.htm 155Voir l’article de HASKI Pierre, « La Chine met à prix l’éducation », in : Libération, 23 septembre 2003. 156Un exemple de fait divers ayant suscité la réaction des citoyens nous est donné par l’article de HASKI Pierre, « Une BMW relance la lutte des classes en Chine », in : Libération, 14 janvier 2004. Il y est question d’une riche conductrice ayant écrasé un paysan et dont la clémence du jugement à son égard a soulevé l’indignation des internautes. 157BONNIN Michel, op. cit., p. 234. Voir aussi l’article de BOBIN Frédéric, « Le régime de Pékin conjugue répression politique et tolérance des mouvements sociaux », in : Le Monde, 28 janvier 2004. 158DUPONT Stéphane, GRANDI Michel de, « L’autre Chine de Hu Jintao », in : Les Echos, 28 janvier 2004. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 44 ­ patrimoine culturel en s’opposant par exemple à la démolition des Hutong 胡 同, les fameuses ruelles de Pékin159. Autant de sujets pour lesquels les Chinois se mobilisent. Mais cet éparpillement des forces de mobilisation facilite la stabilisation du pouvoir. C’est ce qu’explique Jean-Philippe BEJA en écrivant que si le but de ces Chinois qui s’investissent est avant tout d’améliorer le sort de la population, « ils sont toutefois conscients de la nécessité d’éviter de poser les problèmes en termes politiques, et, de plus en plus, empêchent les dissidents […], d’y participer, contribuant à isoler ceux qui cherchent à représenter une alternative politique, et consolidant ainsi la légitimité du Parti »160. Car pour eux, il est urgent d’aider le gouvernement à résoudre les problèmes plutôt que de « perdre son temps » à vouloir vainement changer le système. L’auteur écrit justement à ce propos que « le développement d’une société civile ne remettant pas en cause le régime et qui attire un nombre croissant de citoyens désireux d’améliorer les conditions de vie de la population contribue à l’affaiblissement du mouvement d’opposition qui estime que la transformation du système est indispensable »161. Ainsi, la démocratisation du régime ne semble pas préoccuper ces militants chinois. § 3. La démocratie, pour quoi faire ? Michel BONNIN rappelle que « depuis les années 1980 et particulièrement depuis le 4 juin 1989, le déclin du marxisme et celui du maoïsme ont été compensés par le développement d’une culture et d’une idéologie plus modernes mais également antidémocratiques, qui ont un certain succès dans la population, et notamment parmi les cadres et les intellectuels »162. En effet, la démocratie est très mal perçue par une partie importante de la population chinoise. Alors que les jeunes se désintéressent tout simplement de la politique, les plus anciens assimilent la démocratie à la période républicaine (1912-1949), « l’époque marquée par les déprédations des seigneurs de la guerre qui ont tellement affaibli le pays qu’il a été incapable de résister à l’invasion japonaise »163. Ainsi, alors que Sun Wen, plus connu en Occident sous l’appellation cantonaise de Sun Yat-sen, tentera d’instaurer une république réellement démocratique, la faiblesse de son mouvement favorisera les dissensions et l’apparition de nouvelles ambitions qui auront raison de son projet. Car comme l’écrit Jacques GERNET, « la « révolution » de 1911 n’est pas, comme on l’a prétendu afin de l’insérer dans le schéma d’une évolution historique dont le modèle a été fourni par l’Europe ou par la théorie marxiste des cinq stades de l’évolution de l’humanité […], une révolution « bourgeoise », mais un simple intermède dans la décomposition du pouvoir politique en Chine »164. Prenant ses fonctions de président de la République à Nankin le 1er janvier 1912, Sun Yat-sen se voit contraint de céder sa place à Yuan Shikai le 14 février de la même année. Disposant de forces armées importantes, contrairement à Sun Yatsen, Yuan Shikai aura tôt fait de dissoudre le Parlement et de transformer la République en véritable dictature dès 1914. L’émiettement de la Chine qui suivra avec la période des seigneurs de la guerre, l’intervention des puissances étrangères dans les affaires chinoises et la prise de contrôle d’une partie du territoire par le Japon au sortir de la première guerre mondiale favorisera la prise de pouvoir par Chiang Kai-shek. Par ailleurs, « en janvier 1924, le parti nationaliste (Guomindang) est réorganisé sur le modèle soviétique et devient un parti centralisé, hiérarchisé, bureaucratique et Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire les ouvriers des anciennes entreprises d’État au chômage, défendre les habitants expropriés par des promoteurs immobiliers peu scrupuleux ou encore préserver leur 159Sur la démolition des hutong, voir CHAUDERLOT Charles, « Destruction du patrimoine humain et historique à Pékin », in : MICHAUD Yves (Ed.), op. cit., pp. 143-158. 160BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 249. 161Ibid., p. 253. 162BONNIN Michel, op. cit., p. 242. 163BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 80. 164GERNET Jacques, op. cit., p. 543. Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 45 ­ On peut dès lors comprendre que cette période républicaine, caractérisée par une alternance de désordre et de dictatures, inspire la répulsion des Chinois. Mais un événement plus récent est à prendre en compte pour expliquer la réticence chinoise à la démocratie. Il s’agit de la dislocation de l’Union soviétique, événement qui fera l’objet d’une réinterprétation par le PCC à des fins de propagande. Ainsi, « à partir de 1991, la presse ne cesse de publier des analyses de la situation en ex-Union soviétique. […] Et, chaque fois, on insiste sur le fait que cette catastrophe a été rendue possible par l’instauration de la démocratie. Cette propagande ne laisse pas de marbre les démocrates chinois qui sont avant tout des patriotes »166. Le danger de voir la Chine, vaste pays à l’échelle d’un continent et peuplé d’une population multiculturelle et multiethnique, se disloquer interpelle tous les Chinois qui croient en la grandeur de leur pays. Si la démocratie pouvait signifier une remise en cause de l’unité nationale, il ne serait pas étonnant de voir des démocrates convaincus changer de position pour soutenir le pouvoir en place. Mais il est heureux de constater que cette hypothèse ne suffit tout de même pas à décourager tout le monde et qu’il existe toujours en Chine des militants prêts à se battre pour que la liberté politique devienne un jour une réalité dans ce pays. Deuxième partie Les droits de l’homme au service de la stabilité d’un régime post­totalitaire omnipotent, appelé à étendre son contrôle sur tous les rouages de l’État et de l’armée »165. 165Ibid., p. 547. 166BEJA Jean-Philippe, op. cit., p. 202 Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 46 ­ Conclusion Conclusion La Chine fascine l’Occident depuis des siècles, et la croissance de son développement a également tendance aujourd’hui à concentrer l’attention sur les aspects positifs de l’ouverture. Le gouvernement chinois se voit ainsi félicité pour ses efforts et encouragé pour aller de l’avant, notamment dans le domaine des droits de l’homme. Mais quand on s’intéresse de près à la réalité de la liberté dont bénéficie effectivement la population chinoise, on se rend compte que ces réformes ne sont finalement que des concessions accordées limitativement par le PCC, quand il ne s’agit pas tout bonnement de poudre aux yeux. Car il n’est pas question pour le régime d’abandonner une once de liberté politique à ses concitoyens. En revanche, ayant compris qu’un contrôle excessivement pesant dans le domaine privé, et notamment économique, pouvait à terme conduire la population à se rebeller contre le système, l’octroi de certaines libertés a permis de constituer une soupape de sûreté pour le régime, une sorte de dérivatif économique contribuant à détourner l’attention des problèmes politiques. Cette stratégie a d’autant mieux fonctionné que les Chinois, trouvant dans cet espace privé le seul moyen de goûter à la liberté, se sont pleinement investis dans le domaine économique, facilitant les bons résultats affichés par Pékin en termes de croissance et du même coup sa reconnaissance sur la scène internationale. Mais cette entrée de la Chine dans la société mondiale de consommation ne signifie pas pour autant une normalisation sur le plan politique. L’évolution de la vie politique à Hong Kong nous offre un bon exemple de ce maintien obstiné d’une vision politique autoritaire de Pékin, malgré les engagements qui ont pu être pris. Ancienne colonie britannique, la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997 a été accueillie en fanfares sur le continent, tandis que les doutes et les craintes étaient bien présentes sur l’île à ce moment là. En effet, démocratie et liberté faisaient sens à Hong Kong du temps de la direction britannique, et les habitants hongkongais n’entendaient pas se départir de ce que les citoyens chinois du continent pourraient considérer comme des privilèges. Anticipant les inquiétudes, JIANG Zemin, alors président de la RPC, avait lancé la formule « un pays, deux systèmes », devant assurer le statut de Région Administrative Spéciale à Hong Kong et une grande autonomie, y compris sur le plan politique. Mais cette faveur n’eut qu’un temps, et déjà les pressions se font plus fortes sur les démocrates hongkongais, contraints tour à tour de démissionner de leurs fonctions ou de s’exiler pour échapper aux menaces et aux violences orchestrées à leur encontre par Pékin. Accompagnant la reprise en mains par l’APN quelques mois plus tôt de l’interprétation des normes en vigueur sur l’île, ce qui a conduit notamment à interdire l’introduction du suffrage universel pour les prochaines échéances électorales de 2007 et 2008, ce mouvement d’intimidation lancé en mai 2004 confirme le maintien de cette « ambition totalitaire » sur le plan politique. Et le fait qu’il s’agisse pour Hong Kong d’un retour en arrière par rapport à la situation dont l’île bénéficiait avant la rétrocession rend les choses encore plus visibles. Mais les Hongkongais n’entendent pas se laisser faire. Les mobilisations se multiplient pour revendiquer le respect de leurs droits, les citoyens de l’île saisissent chaque occasion pour rappeler aux autorités chinoises qu’ils restent vigilants et qu’ils sont prêts à se battre pour préserver leur liberté. Ainsi, quatre-vingt mille personnes ont défilé dans les rues de Hong Kong pour commémorer la répression de Tiananmen. Cette manifestation a sonné comme un avertissement à l’approche des élections. Pourtant, malgré la mobilisation de ces Hongkongais, et malgré les efforts de l’opposition chinoise qui dénonce inlassablement les exactions du régime, la perspective d’une réforme politique, devant succéder à l’ouverture économique, ne semble pas envisagée de sitôt. A moins qu’un événement extérieur, comme le réveil de la communauté internationale ou l’apparition d’une crise économique, ne vienne bouleverser les projets du PCC. Mais là encore, il n’est pas sûr que l’évolution se ferait Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 47 ­ Conclusion dans le sens d’une démocratisation. Et il est même à craindre qu’une telle hypothèse ne mène à un durcissement du régime. Reste donc à travailler pour connaître et faire connaître les intentions réelles du Parti. Parce que ce n’est pas en attendant patiemment que le régime ne chute de lui-même que les droits de l’homme vont progresser en Chine. De même, attendre que le Parti ne se démocratise à la faveur de la prise de pouvoir d’un « despote éclairé » peut encore prendre un certain temps… Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 48 ­ Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. Annexes Annexes ­ 49 ­ Annexes Annexe 1 HAUT COMMISSARIAT DES NATIONS UNIES AUX DROITS DE L'HOMME Statut des instruments internationaux relatifs aux Droits de l'Homme au 10 janvier 2003 Les instruments internationaux des Nations Unies relatifs aux droits de l'Homme créant des organes de surveillance sont les suivants (le sigle en langue anglaise figure entre parenthèses) : (1) le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (CESCR), dont l'organe de surveillance est le Comité des droits économiques, sociaux et culturels; (2) le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (CCPR), dont l'organe de surveillance est le Comité des droits de l'Homme ; (3) le Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (CCPR­OP1); (4) le Deuxième Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort (CCPR­OP2­DP) ; (5) la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD), dont l'organe de surveillance est le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale ; (6) la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), dont l'organe de surveillance est le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes ; (7) le protocole facultatif à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW­OP) ; (8) la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT), dont l'organe de surveillance est le Comité contre la torture ; (9) la Convention relative aux droits de l'enfant (CRC), dont l'organe de surveillance est le Comité sur les droits de l'enfant ; (10) le protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés (CRC­OP­AC) ; (11) le protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants (CRC­OP­SC) ; (12) la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (MWC) adoptée par l'Assemblée générale en 1990 et qui entrera en vigueur lorsqu'elle sera acceptée par au moins 20 États ; Le tableau suivant indique, par date de l'entrée en vigueur, les États parties aux instruments sus-mentionnés. Les traités qui ont été signés mais non ratifiés sont indiqués par la lettre (s) avec la date de la signature. Au 10 Janvier 2003 ,189 États Membres des Nations Unies et 4 non-membres étaient parties à un de ces instruments au moins. Chine Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 50 ­ Annexes CESCR : 27 mars 2001 CCPR : (s) 05 octobre 1998 CCPR-OP1 : CCPR-OP2-DP : CERD : 29 décembre 1981a CEDAW : 04 novembre 1980 CEDAW-OP : CAT : 04 octobre 1988 CRC : 03 mars 1992 CRC-OP-AC : (s) 15 mars 2001 CRC-OP-SC : (s) 06 septembre 2000 MWC : Notes: a accession d succession * indique que l'État partie a reconnue la compétence de recevoir et de traiter la plainte individuelle du Comité contre la discrimination raciale sous article 14 du CERD ( 39 États parties au total) ou la compétence du Comité contre la torture sous l'article 22 du CAT ( 52 États parties au total). Source : http://www.unhchr.ch/pdf/reportfr.pdf Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 51 ­ Annexes Annexe 2 Réserve de la Chine au PIDESC Chine Déclaration faite lors de la signature et confirmée lors de la ratification : La signature [dudit Pacte], apposée par les autorités taiwanaises le 5 octobre 1967 en usurpant le nom de la "Chine", est illégale et dénuée de tout effet. Déclaration faite lors de la ratification : Conformément à la décision prise par le Comité permanent du neuvième Congrès populaire national de la République populaire de Chine à sa vingtième session, le Président de la République populaire de Chine ratifie par le présent instrument le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels , que M. Qin Huasun a signé au nom de la République populaire de Chine le 27 octobre 1997, et déclare ce qui suit : 1. L'article 8.1 a) du Pacte sera appliqué à la République populaire de Chine conformément aux dispositions pertinentes de la Constitution de la République populaire de Chine, de la Loi sur les syndicats de la République populaire de Chine et de la législation du travail de la République populaire de Chine; 2. Conformément aux notes officielles adressées au Secrétaire général par le Représentant permanent de la République populaire de Chine auprès de l'Organisation des Nations Unies, respectivement le 20 juin 1997 et le 2 décembre 1999, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels sera applicable à la Région administrative spéciale de Hong Kong (République populaire de Chine) et à la Région administrative spéciale de Macao (République populaire de Chine) et, conformément aux dispositions de la Loi fondamentale de la Région administrative spéciale de Hong Kong (République populaire de Chine) et de la Loi fondamentale de la Région administrative spéciale de Macao (République populaire de Chine), sera appliqué dans le cadre des lois respectives des deux régions administratives spéciales. Source : http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/treaty4_asp_fr.htm Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 52 ­ Annexes Annexe 2 bis - Extrait du PIDESC : Article 8 1. Les États parties au présent Pacte s'engagent à assurer: a)Le droit qu'a toute personne de former avec d'autres des syndicats et de s'affilier au syndicat de son choix, sous la seule réserve des règles fixées par l'organisation intéressée, en vue de favoriser et de protéger ses intérêts économiques et sociaux. L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale ou de l'ordre public, ou pour protéger les droits et les libertés d'autrui. Source : http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/a_cescr_fr.htm Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 53 ­ Annexes Annexe 3 Chine : Taux bruts de natalité, de mortalité et d'accroissement naturel, pour mille, 1954-1990. Effectif de la population (en millions) Recensement 1/07/53 Recensement 1/07/64 Recensement 1/07/82 Recensement 1/07/90 581,3 694,6 1004 1130,5 Accroissement intercensitaire annuel moyen, en % Part de la population urbaine, en % (selon la définition au recensement) 1,62 2,05 1,48 13,3 17,9 20,6 26,2 61 74 106 119 Population de 0-14 ans, en % 13,3 17,9 20,6 26,2 Population de 15-64 ans, en % 59,3 55,7 61,5 66,8 Population de 65 ans et plus, en % 4,4 3,6 4,9 5,6 Rapport de masculinité à 0-4 ans 107 106 107 110 Densité de la population (h/km²) Source : Annuaire démographique de Chine, années diverses. À télécharger sur le site de l'INED à l'adresse : http://www.ined.fr/fichier/t_publication/785/publi_pdf1_pop_et_soc_francais_331.pdf [dernière consultation le 03/11/2009] Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 54 ­ APN : Assemblée Populaire Nationale (le Parlement chinois) Table des sigles Table des sigles CNUDH : Commission des Nations Unies pour les Droits de l’Homme DUDH : Déclaration universelle des Droits de l’Homme OI : Organisation internationale ONG : Organisation non gouvernementale ONU : Organisation des Nations Unies PCC : Parti Communiste chinois PCUS : Parti Communiste de l’Union Soviétique PIDCP : Pacte international relatif aux droits civils et politiques PIDESC : Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels RPC : République populaire de Chine RSF : Reporters sans frontières SRAS : Syndrome respiratoire aigu sévère (ou pneumopathie atypique) UE : Union européenne URSS : Union des Républiques socialistes soviétiques Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 55 ­ Sociologie générale Bibliographie Bibliographie BERGER Peter, LUCKMAN Thomas, La construction sociale de la réalité, Paris, Armand Colin, 2002, 288 p. CORCUFF Philippe, Les Nouvelles sociologies, Paris, Nathan, 1995, 126 p. Sociologie politique et des relations internationales COHEN Samy, La résistance des États : les démocraties face aux défis de la mondialisation, Paris, Le Seuil, 2003, 264 p. DEVIN Guillaume, Sociologie des relations internationales, Paris, La Découverte & Syros, 2002, 121 p. Coll. Repères (335). DEVIN Guillaume, « Conclusion : La loyauté : d’un monde à l’autre », in : LAROCHE Josepha (Ed.), La loyauté dans les relations internationales, Paris, L’Harmattan, 2001, pp.365-374. MACHIAVEL Nicolas, Le Prince, Paris, Librairie Générale Française, 2000, 192 p. Coll. Le Livre de Poche. RYFMAN Philippe, « La lutte internationale contre l’impunité : les victimes, bénéficiaires inattendues de la mondialisation », in : LAROCHE Josepha (Ed.), Mondialisation et gouvernance mondiale, Paris, IRIS/PUF, 2003, pp.237-250 SCHELLING Thomas, Stratégie du conflit, Paris, PUF, 1986, 312 p. SENARCLENS Pierre de, La politique internationale, 4e édition, Paris, Armand Colin, 2002, 234 p. Coll. Compact. SENARCLENS Pierre de, Critique de la mondialisation, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, 145 p. SMOUTS Marie-Claude (Ed.), Les nouvelles relations internationales : Pratiques et théories, Paris, Presse de Sciences Po., 1998, 410 p. SUN Tzu, L’art de la guerre, Paris, Hachette Littératures, 2000, 328 p. SUR Serge, Relations internationales, (3e édition), Paris, Montchrestien, 2004, 571 p. Coll. Domat politique. Organisations internationales BETTATI Mario et al., L’ONU, Pouvoirs, (109), Paris, Seuil, avril-juin 2004, pp. 5140. DEJAMMET Alain, Supplément au voyage en Onusie, Paris, Fayard, 2003, 186 p. DELMAS-MARTY Mireille (Ed.), Criminalité économique et atteintes à la dignité de la personne : Institutions internationales, (IV), Paris, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1996, pp.VII-X - pp.109-110 - pp.240-246. MESTRE-LAFAY Frédérique, L’O.N.U., Paris, PUF, 2003. Coll. Que Sais-je ? (748). SMOUTS Marie-Claude, Les organisations internationales, Paris, Armand Colin, 1995. ZORGBIBE Charles, Les organisations internationales, Paris, PUF, 1994. Coll. Que sais-je ? (792). Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 56 ­ BOLTANSKI Luc, Les cadres : La formation d’un groupe social, Paris, Ed. de Minuit, 1982, 523 p. Bibliographie La participation des élites au pouvoir COENEN-HUTHER Jacques, Sociologie des élites, Paris, Armand Colin, 2004, 172 p. CAO Cong, China's scientific elite, New York, NY, Routledge, 2004, 256 p. FEWSMITH Joseph, Elite politics in contemporary China, Armonk, N.Y. ; London, M.E. Sharpe, 2001, 167 p. PEARSON Margaret M., China's new business elite : the political consequences of economic reform, Berkeley, University of California Press, 1997, 207 p. ZANG Xiaowei, Elite dualism and leadership selection in China, London ; New York, Routledge Curzon, 2004, 244 p. Ouvrages généraux sur la Chine BEJA Jean-Philippe, A la recherche d’une ombre chinoise : Le mouvement pour la démocratie en Chine [1919-2004], Paris, Seuil, 2004, 261 p. BRISSET Jean-Vincent, La Chine : Une puissance encerclée ? , Paris, PUF, 2002, 142 p. CHEN Yan, HOLZMAN Marie, Écrits édifiants et curieux sur la Chine du XXIe siècle : voyage à travers la pensée chinoise contemporaine, Paris, Ed. de l’Aube, 2003, 192 p. CHEN Yan, L’éveil de la Chine, Paris, Ed. de l’Aube, 2002, 318 p. CHENG Anne, Histoire de la pensée chinoise, Paris, Seuil, 1997, 696 p. Coll. Point Essai (488). GERNET Jacques, Le monde chinois, Paris, Armand Colin, 1999, 699 p. GODEMENT François (Ed.), La Chine et son Occident, Paris, IFRI, 2002, 185 p. KONG Qiu, Les entretiens de Confucius, trad. Anne CHENG, Paris, Seuil, 1981, 153 p. KUHN Philip A., Les origines de l’État chinois moderne, Paris, Ed. de l’EHESS, 1999, 205 p. MICHAUD Yves (Ed.), La Chine aujourd’hui, Paris, Ed. Odile Jacob, 2003, 268 p. Droits de l’homme BADIE Bertrand, La diplomatie des droits de l’homme : entre éthique et volonté de puissance, Paris, Fayard, 2002, 324 p. BUHRER Jean-Claude, LEVENSON Claude, L’ONU contre les droits de l’homme ?, Paris, Fayard, 2003, 275 p. Coll. Mille et une nuits. DELMAS-MARTY Mireille, « Marketing juridique ou pluralisme ordonné » in : Le Débat, (115), Paris, Gallimard, mai-août 2001, p. 62 sq. GRAF Verena, « Droits de l’homme à l’ONU : une marge étroite », Encyclopédie de l’état du monde, Paris, La Découverte, 2003. KANT, Pour la paix perpétuelle, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1985, 185 p. LOCHAK Danièle, Les droits de l’homme, Paris, La Découverte, 2002, 125 p. Coll. Repères (333). Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 57 ­ Bibliographie MADSEN Mikael Rask, « Make law, not war. Les “sociétés impériales” confrontées à l’institutionnalisation des droits de l’homme », in : AYMARD Maurice (Ed.), Sociologie de la mondialisation, Actes de la recherche en sciences sociales (151-152), Paris, Seuil, mars 2004, pp. 96-106. MOURGEON Jacques, Les droits de l’homme, Paris, PUF, 2003, 127 p. Coll. Que-saisje ? (1728). SMOUTS Marie-Claude, « Droit et société mondiale – Vers un retour au “droit des gens” ? », Encyclopédie de l’état du monde, Paris, La Découverte, 2003. Chine et droits de l’Homme BAUER Joanne R, BELL Daniel A, The East Asian Challenge for Human Rights, New York, Cambridge University Press, 1999, 394 p. BOUDANT Mélina, La diplomatie française des droits de l'Homme en Chine de 1989 à nos jours, Saint-Martin-d'Hères, IEP, 1998, 113 p. COLLECTIF, « La Chine m'inquiète » in : Revue des Deux Mondes, Paris, Société de la Revue des Deux Mondes, oct.-nov. 2003, pp. 61-167. COPPER John Franklin, LEE Ta-ling, Coping with a Bad Global Image : Human Rights in the People's Republic of China, 1993-1994, Lanham, Md. : University Press of America, 1997, 319 p. DENG Yong, WANG Fei-Ling, In the Eyes of the Dragon : China Views the World, Lanham, Rowman & Littlefield Publishers, 1999, 279 p. FRIEDMAN Edward, The Politics of Democratization : Generalizing East Asian Experiences, Boulder : Westview Press, 1994, 276 p. FOOT Rosemary, Rights Beyond Borders : The Global Community and The Struggle over Human Rights in China, New York, Oxford University Press, 2000, 296 p. HU Ping, La pensée manipulée : Le cas chinois, Paris, Ed. de l’Aube, 2004, 253 p. JENSEN Lionel M., WESTON Timothy B., China beyond the Headlines, Lanham Md., Rowman & Littlefield Publishers, 2000, 366 p. KENT Ann, China, the United Nations, and Human Rights : The Limits of Compliance, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1999, 328 p. LI Xiaoping, Les droits de l'Homme en Chine contemporaine : Réflexions philosophiques, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1999, 418 p. VAN NESS Peter, Debating Human Rights : Critical Essays from the United States and Asia, New York : Routledge, 1999, 291 p. WEATHERLEY Robert, The Discourse of Human Rights in China : Historical And Ideological Perspectives, New York : St. Martin's Press, 1999, 185 p. WU Harry, Danse pas avec la Chine, Montpellier, Ed. Indigènes, 2000, 142 p. Internet www.lemonde.fr : Le Monde, « Les nouveaux paradoxes des droits humains », Dossier du 15 août 03. http://iso.hrichina.org/iso/ : Human Rights in China www.hrw.org : Human Rights Watch http://web.amnesty.org/report2003/chn-summary-eng : Amnesty International : Report Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 58 ­ www.hrw.org/wr2k3/asia4.html : Human Rights Watch World report 2003 : China and Tibet Bibliographie 2003 – China www.rsf.fr/une_pays-30.php3?id_mot=70&Valider2=OK : Reporters Sans Frontières : Chine – Rapport annuel 2003 www.unhchr.ch : Office of the High Commissionner for Human Rights www.unog.ch/news2/documents/newsfr/cn04034f.htm : Document de presse, « la Commission des Droits de l'homme termine son débat sur les droits civils et politiques », 02.04.04 http://europa.eu.int/comm/external_relations/china/intro/index.htm : La politique de l’UE envers la Chine Presse Quotidiens Le Monde Libération Le Figaro Autres Courrier International Alternatives Internationales Perspectives chinoises Armony ALTINIER, L'utilisation stratégique des droits de l'Homme par la République populaire de Chine. ­ 59 ­