Le management stratégique de la Responsabilité

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Le management stratégique de la Responsabilité Sociale des
Entreprises (RSE) - Cas d’expérimentations dans le secteur social et
médico-social Floriane Bouyoud
Intervenant-chercheur,
Laboratoire de recherche ISEOR (15 chemin du petit bois, 69134 Ecully Cedex)
Doctorant,
Université Jean Moulin Lyon 3 (6 cours Albert Thomas, 69003 Lyon)
04 78 33 09 66, [email protected]
Résumé :
La normalisation internationale et l’éthique d’entreprise qui accompagnent
la mondialisation ont remis au goût du jour dans les organisations le
concept de responsabilité sociale. La responsabilité sociale des entreprises,
en tant qu’objet d’étude en sciences de gestion, soulève beaucoup de
questions et souffre d’une définition dont les contours sont encore flous.
La Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE), dont les fondements
conceptuels se trouvent dans les travaux de Bowen (1953), signifie
l’intégration volontaire de préoccupations sociales, environnementales et
économiques dans l’activité d’une entreprise et dans ses interactions avec
ses parties prenantes1.
Les organisations souhaitant mettre en place une politique de RSE se trouvent confronter à
plusieurs problématiques : comment concevoir et implanter cette politique dans leur structure
de la manière la plus efficace et efficiente possible ? Puis comment manager de façon
stratégique la RSE de manière durable ?
Nous proposons de voir, à travers l’étude d’une organisation du secteur social et médicosocial, comment il est possible de mettre en place un management stratégique de la
responsabilité sociale dans ces organisations et d’agir, ainsi, sur la performance globale de
l’entreprise.
Mots-clés : responsabilité sociale de l’entreprise, performance globale, secteur social et
médico-social, management stratégique
1
Livret Vert, Commission Green Paper 2001 “Promoting a European Framework for Corporate
Social Responsibility”
1/13
« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui
un dommage, oblige celui par la faute duquel il est
arrivé à le réparer. » Article 1382 du code civil, créé
par la loi 1804-02-09 promulguée le 19 février 1804.
INTRODUCTION
La notion juridique de responsabilité est ancienne. Elle a été officiellement énoncée en
1804 dans le Code Civil ce qui a amorcé une prise de conscience sur le fait que chacune de
nos actions a des conséquences sur notre environnement et que nous ne pouvons pas agir
impunément.
Par la suite, la responsabilité s’est étendue à plusieurs domaines, en particulier dans le
domaine pénal pour les entreprises et organisations. Ainsi le Code Pénal prévoit que « Les
personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement, selon les
distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs
organes ou représentants. »2
L’organisation est, par essence, une personne morale. Au sens de la loi française, la
personne morale est un groupement de personnes physiques ou morales qui, en raison de leur
intérêt commun, a vocation à exercer une activité spécifique voire différente de celle des
membres qui la composent. Lorsque certaines conditions sont remplies, l'État accorde à ce
groupement une personnalité juridique, ce qui le rend titulaire de droits et d’obligations au
même titre qu’une personne physique.
Nous pouvons alors observer que les organisations sont soumises à des obligations
juridiques fortes, dans le sens où tout manquement à celles-ci va entraîner une sanction pour
elles. Mais, depuis plusieurs années, une nouvelle forme de responsabilité est apparue pour les
organisations et par voie de conséquence pour leurs dirigeants : la responsabilité sociale.
Nous pouvons alors nous demander ce que veut dire être « socialement responsable » pour
une entreprise dotée d’une personnalité morale ?
Cela nous amène à une réflexion plus générale sur la manière d’élaborer et de mettre en
place un management stratégique de la RSE. Cette problématique est d’autant plus
remarquable lorsqu’elle concerne les organisations sociales et médico-sociales qui
développent, malgré elles, un paradoxe. En effet, nous serions amenés à dire, spontanément,
que ce type d’organisation fait naturellement de la RSE mais nous nous apercevons, dès les
premières observations sur le terrain, qu’elles ont de grandes difficultés, dans les faits, à
concilier performance économique et performance sociale.
C’est pourquoi, une ingénierie du management de type socio-économique conciliant la
conception, la mise en œuvre et l’évaluation de la RSE peut, par plusieurs de ses aspects,
notamment sociaux et économiques, contribuer à une mise en place efficace et efficiente de la
RSE.
Avant de rentrer dans la problématique du sujet, le cadre théorique de la RSE va permettre
de poser les fondements et la définition de cette notion émergente (1). La méthodologie et la
présentation du terrain d’observation scientifique (2) vont permettre d’introduire les premiers
résultats de la recherche (3) qui font l’objet de perspectives et de limites (4).
2
Article 121-2 du code pénal, modifié par la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 - art. 54 JORF 10 mars 2004 en
vigueur le 31 décembre 2005
2/13
1. Cadre théorique et bibliographique du concept de Responsabilité Sociale des
Entreprises : notion principale et notions périphériques
Le terme de responsabilité, selon Mercier (2004), au sens des sciences de
gestion « évoque l’obligation de répondre de ses actions, de les justifier (en
fonction de normes morales et de valeurs) et d’en supporter les
conséquences ». Il s’agit donc d’établir un lien direct avec la notion d’éthique
qui gouverne, en partie, la RSE.
1.1. Définition et positionnement du concept de RSE
« Concept dans lequel les entreprises intègrent les
préoccupations sociales, environnementales, et
économiques dans leurs activités et dans leurs interactions
avec leurs parties prenantes sur une base volontaire »
« La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est la
déclinaison des principes du développement durable à
l’échelle de l’entreprise. Elle signifie essentiellement que
les entreprises, de leur propre initiative, contribuent à
améliorer la société et à protéger l’environnement, en
liaison avec les parties prenantes. »
Livret Vert (Commission Green
Paper 2001 “Promoting a
European Framework for
Corporate Social Responsibility”
« L'intégration volontaire des considérations
environnementales et sociales dans les activités des
entreprises, en dehors des prescriptions légales et des
obligations contractuelles »
Définition du Parlement
Européen
Responsabilité sociale interne externe
- volet interne : rapports entre l'entreprise et ses salariés
- volet externe : protection de l'environnement, les relations
avec les fournisseurs, les riverains et les autorités
publiques.
Observatoire des PME
Européennes (2002), les PME
européennes et les
responsabilités sociale et
environnementale, rapport n°4
Recommandation du Ministère
Français de l'Ecologie et du
Développement
Tableau 1 : Définitions institutionnelles de la RSE
1.2. Fondements normatifs et institutionnels
Du point de vue normatif, nous assistons, depuis les années 1980 à
l’émergence de règles, notamment par la mise au point de référentiels
internationaux, tels que le Global Reporting Initiative (GRI3), des codes de
conduite des entreprises (Global Compact4) ou des certifications, normes ou
labels (SA 8000...) jusqu'aux audits sociaux ou environnementaux.
La norme Standard SA 8000 (Social Accountability Standard 8000),
initiée par le Council on Economic Priorities, et gérée par Social
Accountability International (SAI) concerne les conditions de travail,
l'interdiction du travail des enfants ou du travail forcé. Il existe deux types
3
Global Reporting Initiative initié en 1997 par le Programme des Nations unies pour
l'environnement (PNUE) et de la Coalition for Environmentally Responsible Économies (CERES)
4
Pacte mondial : lancé en janvier 2000 lors du Forum économique mondial par Kofi Annan
3/13
d'engagements pour les entreprises : le certificat en cas de respect des
normes pour la production et le statut membre si les critères sont également
respectés pour les filières de fournisseurs et pour toutes les unités de
production.
Au niveau international, l’Organisation Internationale de Normalisation (The
International Organization for Standardisation, ISO) a produit la série de
normes 14 000 pour l’ensemble des règles qui concernent le management
environnemental. La plus connue est la norme ISO 14 001 qui vise à
mesurer l'impact de l'activité d'une entreprise sur l'environnement. Elle prend
en compte des aspects environnementaux significatifs tels que les émissions
dans l'air, les rejets dans l'eau, la contamination des sols, la gestion des
déchets, l'utilisation des matières premières et des ressources naturelles.
L’Organisation Internationale de Normalisation élabore, en ce moment, la
norme ISO 26 000 qui ne sera pas certifiable mais qui devrait préciser
comment intégrer les normes de responsabilité sociale, de gouvernance et
d'éthique.
Du côté français, la loi sur les Nouvelles Régulations Economiques5 du 15
mai 2001, demande aux entreprises cotées en bourse d’indiquer dans leur
rapport annuel une série d'informations relatives aux conséquences sociales
et environnementales de leurs activités.
Il existe également deux référentiels, la SD 21 000 Française publiée par
l’Association Française de Normalisation (AFNOR), qui est conçue comme un
guide et qui n’a donc pas valeur de certification pour la prise en compte des
enjeux du développement durable dans la stratégie et le management de
l'entreprise. Puis nous trouvons l’AFAQ 1000NR de mars 2007 qui propose
une norme d'évaluation mettant en évidence l'état d'avancement d'une
organisation au regard de sa responsabilité sociale.
1.3. Fondements théoriques
L’article pionnier dans le champ de la responsabilité sociale, intitulé The
Changing Basis of Economic Responsibility, date de 1916. Écrit par
l’économiste américain, John Morice Clark, l’auteur, pourtant défenseur de la
théorie économique, propose un contrôle social des affaires, c'est-à-dire un
élargissement des responsabilités de l’entreprise dans le volet social.
Le père fondateur de la Corporate Social Responsability6 (CSR), Howard
Bowen en 1953 dans son ouvrage Social Responsibilities of the Businessman.
Il se demande « Pourquoi les hommes d’affaires se sentent concernés par leurs
responsabilités sociales ? » « Il est possible de diviser la réponse en trois parties : (1) parce
5
Loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, article L.225-102-1 du
Code du commerce
6
En français : Responsabilité Sociale des Entreprises
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qu’ils ont été forcés de se sentir plus concernés, (2) parce qu’ils ont été persuadés de la
nécessité de se sentir plus concernés et (3) parce que la séparation entre propriété et contrôle a
crée des conditions qui ont été favorables à la prise en compte de ces responsabilités »
(Bowen, 1953). Il explique, alors, comment quelques centaines de grandes
firmes « constituent les véritables centres de décisions et de pouvoirs qui
déterminent la vie des citoyens en bien des points ». Il définit aussi « Le
terme de doctrine de la responsabilité sociale (qui) renvoie à l’idée,
désormais largement exprimée, selon laquelle la prise en compte volontaire
d’une responsabilité sociale de l’homme d’affaires est, ou pourrait être, un
moyen opérationnel pour résoudre des problèmes économiques et atteindre
plus globalement les objectifs économiques que nous poursuivons ». Pour lui,
la RSE représente l’obligation pour les dirigeants de poursuivre les politiques
et de prendre les décisions qui sont en cohérence avec les valeurs de la
société. C’est pourquoi il préconise le recours aux audits sociaux pour
évaluer la performance sociale de l’entreprise.
Carroll (1979) appréhende la RSE comme étant « ce que la société attend des
organisations en matière économique, légal, éthique et volontaire, à un moment donné ». Dans
le modèle de Woods (1991), l’auteur intègre les trois dimensions de la RSE : principes,
processus et politiques. Les principes de la RSE correspondent aux niveaux présentés cidessus par Carroll : la légitimité sur le plan institutionnel, la responsabilité publique sur le
plan organisationnel et la discrétion managériale sur le plan individuel.
1.4. Principes généraux
Plusieurs concepts-clés sont directement liés à la notion de Responsabilité
Sociale et ils méritent d’être définis dans la mesure où chacun des principes,
ci-après énoncés, contribuent à la définition de la RSE.
1.4.1. La RSE, une déclinaison du développement durable
Lors de la Déclaration de Rio en 1992, le Développement Durable a été
défini comme « un développement qui permet(te) aux générations présentes
de satisfaire leurs besoins sans remettre en cause la capacité des
générations futures à satisfaire les leurs ». cette définition a ensuite été
reprise dans le Rapport Brundtland7
Ce concept est directement lié à la notion de RSE, dont il est la
déclinaison pour les entreprises, comme le confirme une recommandation du
Ministère français de l'Ecologie et du Développement « La responsabilité
sociétale des entreprises (RSE) est la déclinaison des principes du
7
Définition proposée en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le
développement dans le Rapport Brundtland
5/13
développement durable à l’échelle de l’entreprise. Elle signifie essentiellement
que les entreprises, de leur propre initiative, contribuent à améliorer la
société et à protéger l’environnement, en liaison avec les parties prenantes. »
1.4.2. Le principe de gouvernance et les parties prenantes
La gouvernance d’entreprise ou Corporate Governance est définie comme
l’ensemble des principes et des règles qui dirigent et limitent les actions des
dirigeants (Perez, 2003). Ainsi, ce qui oblige les dirigeants, obligent l’ensemble
de l’organisation. De manière plus générale, la gouvernance d’entreprise est
constituée de l’ensemble des processus, des réglementations, des lois et des
institutions qui influent la manière dont l’entreprise est dirigée, administrée et
contrôlée. Cela implique notamment les parties prenantes, les actionnaires, la
direction ou le conseil d’administration, mais aussi les salariés, les
fournisseurs et les clients. Ce concept est apparu suite aux scandales
financiers qui ont bouleversé le monde des affaires depuis 2001 (Enron,
Andersen, Worldcom…) et avec la loi Sarbanes-Oxley (ou SOX) qui impose à
toutes les entreprises cotées aux États-Unis, de présenter à la Commission
américaine des opérations de bourse (SEC) des comptes certifiés
personnellement par leur dirigeant.
Etre socialement responsable c’est considérer les parties prenantes. La
notion de parties prenantes (Stakeholders) qui date des années 1980 était
définie comme « un individu ou groupe d'individus qui peut affecter ou être
affecté par la réalisation des objectifs organisationnels » (Freeman, 1984). Il
s’agit d’une partie intéressée ou ayant-droit, tel que le souligne le terme
anglais Stake qui signifie intérêt, en opposition à Stockholder qui signifie
actionnaire (Mercier, 2004).
1.4.3. L’éthique et la légitimité sociale
Concernant l’éthique, la tradition en donnerait la définition suivante :
l’ensemble des règles de conduite partagées et typiques d'une société
donnée ; ces règles sont fondées sur la distinction entre le bon et le
mauvais, par opposition à la morale qui est fondée sur la discrimination
entre le bien et le mal et qui serait plus un ensemble des principes à
dimension universelle, normative voire dogmatique (Wunenburger, 1993, p.XIV).
Mercier la définit comme la réflexion qui intervient en amont de l'action et
qui a pour ambition de distinguer la bonne et la mauvaise façon d'agir
(Mercier, 2002, p.34). Les critères de RSE sont, en partie, fondés sur des
critères éthiques.
La légitimité sociale de l’entreprise ou Licence to Operate est « La
légitimité de l'entreprise au sein de la société (…) dépend de son aptitude à
faire se rencontrer les attentes d'un nombre important et croissant de
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participants » (Mercier, 2004) et donc de considérer l’ensemble des critères
de responsabilité sociale dans sa stratégie.
2. Méthodologie de la recherche et positionnement du terrain
2.1. La recherche-intervention
R.Paturel et H.Savall (1999) définissent le terrain comme « un champ rempli de
connaissance et de recherche ». M.-J. Avenier (1989) et J.-P. Plane (2000) soulignent que le
statut de « terrain » souffre d’une certaine ambigüité sémantique et épistémologique dans la
mesure où il existe une grande variété d’utilisations.
Certaines recherches effectuées sur des études de cas permettent de valider des modèles
préétablis, dans lequel le rôle du chercheur en situation d’extériorité (Hammersley, 1990)
n’est pas de juger la situation, ni de proposer des solutions.
Le choix de l’équipe de l’ISEOR est de mener des recherches-interventions en interaction
avec les acteurs du « terrain » pour extraire les informations qui feront l’objet d’un traitement
d’intention scientifique. Le positionnement épistémologique de l’ISEOR est de cesser de
considérer l’entreprise comme une « boîte noire » impénétrable et de mener des recherches
expérimentales à visées transformatives en contribuant directement à la recherche de solutions
d’amélioration dans le cadre d’un processus d’innovation socio-économique interne et
externe.
Nous avons choisi de conduire une recherche-intervention avec les acteurs de
l’organisation pour élaborer des informations et des résultats qui pourraient être utilisés par
les praticiens et les chercheurs. Cette coproduction de connaissances, expérimentée au sein du
centre de recherche, (Savall et Zardet, 2004) est encouragée pour que la production de la
pensée ne soit pas réservée aux chercheurs et celle de l’action aux praticiens.
La force scientifique de l’approche dite qualimétrique, c'est-à-dire alliant les aspects
qualitatifs et quantitatifs, se trouve en grande partie dans trois principes épistémologiques
(Savall et Zardet, 2004) : la contingence générique composée d’un noyau dur de
connaissances génériques complété par des périphéries contextuelles issues de différents cas ;
l’interactivité cognitive qui permet l’« objectivation » de la connaissance par le biais de la
confrontation permanente des points de vue des acteurs y compris des chercheurs; et
l’intersubjectivité contradictoire qui résulte de la confrontation des points de vue des
différents acteurs et qui donne les convergences d’un côté, les spécificités de l’autre.
2.2. Approche du terrain d’observation scientifique
L’objet d’une recherche-intervention est de permettre une interaction entre le chercheur et
les acteurs d’un ou plusieurs terrains afin de mener un processus créateur de connaissances et
de développement organisationnel (Plane, 2000). Le but de notre recherche répond à l’objectif
alloué à la recherche-intervention qui consiste à établir un projet de transformation conduit et
finalisé sur le terrain de recherche. L’intervenant-chercheur doit, pour cela, articuler une
double démarche scientifique de recherche et d’intervention (David, 2000).
L’intervention menée dans le cadre de nos recherches a un périmètre intra-organisationnel
dans la mesure où son champ correspond à l’espace composé d’une seule organisation
peuplée d’acteurs et d’objets que sont les situations de gestion.
Partant de l’hypothèse que les organisations sociales et médico-sociales ne font pas,
spontanément, de la responsabilité sociale, la négociation du terrain d’observation s’est donc
7/13
tournée vers ce secteur. Dans notre cas, l’accès au terrain a été un processus collectif.
L’organisation concernée nous a présenté ses besoins et sa problématique qui ont fait l’objet
d’une proposition, puis d’une convention qui constitue, encore aujourd’hui, notre cahier des
charges.
L’objectif essentiel et principal de cette organisation est énoncé de la manière suivante :
« Accompagner l’Association dans le sens d’une action sociale de qualité et d’une croissance
maîtrisée, cohérente et harmonieuse »
2.3. Présentation du cas d’intervention
2.3.1. Présentation de l’organisation et du secteur social et médico-social
Notre champ d’observation se situe dans le milieu social et médico-social à travers une
importante organisation associative de 1 500 salariés située en région parisienne. Il s’agit
d’une Association d’établissements sociaux et médico-sociaux gérant 36 établissements dont
huit de grandes tailles, employant plus de 100 salariés chacun, et 28, plus petits, employant
une moyenne de 15 personnes chacun.
Afin de présenter au mieux cette Association, il convient de présenter les fondements de la
loi 2002-2 du 2 janvier 2002 qui précise les missions d'intérêt général et d'utilité sociale des
établissements sociaux et médicaux-sociaux. Nous pouvons en donner quelques exemples :
- Ils ont en charge la protection administrative ou judiciaire de l'enfance et de la famille,
de la jeunesse, des personnes handicapées, des personnes âgées ou en difficulté ;
- Ils réalisent des actions éducatives, médico-éducatives, médicales, thérapeutiques,
pédagogiques et de formation adaptées aux besoins de la personne, à son niveau de
développement, à ses potentialités, à l'évolution de son état ainsi qu'à son âge ;
- Ils réalisent des actions d'intégration scolaire, d'adaptation, de réadaptation, d'insertion,
de réinsertion sociales et professionnelles, d'aide à la vie active, d'information et de conseil
sur les aides techniques ainsi que d'aide au travail ;
- Ils peuvent aussi réaliser des actions d'assistance dans les divers actes de la vie, de
soutien, de soins et d'accompagnement, y compris à titre palliatif.
L’intervention a débuté en 2006 et se terminera en 2009. Elle s’est faite en trois vagues
annuelles de dix établissements chacune avec des phases de diagnostic suivies de phase de
projet au sein de chaque établissement.
Nous avons pu intervenir sur neuf établissements de manière directe, pour les autres,
l’intervention s’est faite en équipe.
2.3.2. Répondre aux besoins du terrain par les produits-objectifs
La demande de cette organisation est de mettre en place une responsabilité sociale
intégrée. Ainsi parmi ses objectifs nous trouvons la volonté de :
-
Structurer une organisation cohérente ;
Métamorphoser l’organisation de manière durable ;
Mieux maîtriser les prix de revient ;
Mettre en place un projet stratégique par la contractualisation des performances ;
Harmoniser les pratiques de travail ;
Intégrer de nouveaux métiers.
8/13
Ces objectifs, ainsi exprimés et validés par le « décideur-payeur » de l’organisation
conduisent à mener une recherche-intervention dans une perspective transformative, en ce
sens que l’objet de recherche est transformé pour être mieux observé et connu par
l’intervenant-chercheur.
La recherche-intervention se positionne donc comme « recherche appliquée » car le
chercheur est coproducteur, ou tout au moins co-inspirateur de nouvelles pratiques sociales.
Les acteurs de l’entreprise, eux, sont coproducteurs de ces connaissances et ils apportent les
informations à usage scientifique en utilisant les résultats.
2.4. Protocole de la recherche et produits-méthodes-prestations
Lors de l’élaboration de la convention d’intervention auprès de cette organisation, nous
avons proposé une méthodologie pour atteindre les objectifs de mise en place de la RSE
voulue par l’organisation. Ainsi, dans les produits-méthodes, nous avons proposé la mise en
place de groupes de pilotage, de groupes de formation-concertation accompagnée
d’assistances personnalisées, de diagnostics intégraux et de groupes de projet intégraux.
L’intervention a commencé par le siège avec un diagnostic intégral et des groupes de
projet rassemblant l’ensemble du personnel du siège c’est-à-dire le directeur général, les
directions fonctionnelles telles que la direction de la qualité, la direction des ressources
humaines ou la direction financière, et enfin les directions opérationnelles représentées par les
directeurs généraux adjoints. Puis l’intervention s’est étendue à l’ensemble des établissements
avec le même processus d’intervention : des diagnostics intégraux et des groupes de projet.
Il s’agit, en effet, d’implanter un processus d’intervention qui soit synchronisant et
dynamisant, en implantant des outils de management et en réallouant des ressources
existantes, afin d’améliorer la qualité de service aux personnes qui travaillent dans
l’Association et à ses clients.
3. Le management stratégique de la Responsabilité Sociale des Entreprises : la mise en
place d’une démarche de changement sociétal
La mise en œuvre de la responsabilité sociale est l'occasion pour
l'entreprise de définir une nouvelle stratégie : quelles sont les opportunités et
les menaces liées aux mutations de ses marchés ? Quelles sont les forces et
les faiblesses de l'organisation ?
D’après les premières observations réalisées lors de nos recherchesinterventions, une mise en place efficace et efficiente de la RSE semble
possible à travers une ingénierie du management de type sociosocio-économique,
économique
reposant sur des outils et des méthodes adaptés. Cette ingénierie prend la
forme d’une démarche globale de changement organisée autour de trois axes
essentiels : un processus cyclique d’actions d’amélioration (diagnostic, projet,
mise en œuvre et évaluation) ; une implantation durable d’outils de
management tels que le tableau de bord de pilotage, la grille de
compétences ou le plan d’actions prioritaires ; et un axe de stimulation des
décisions politiques et stratégiques de la direction de l’entreprise (Savall et
Zardet, 1995)
9/13
Figure 1 : Schéma directeur de la mise en place du management stratégique de la RSE
Evaluation
Processus de résolution
de problèmes
Mise en œuvre
Projet
Diagnostic
Changements
technologiques
Contrat d’activité
périodiquement négociable
Grille de compétences
Décisions
politiques
PASINTEX
Stratégie développement RH
Plan d’actions
prioritaires
Choix systèmes de
gestion
Tableau de
bord
pilotage
Choix stratégie
produits-marchés
Gestion du
temps
Changements
organisationnels et
procédures
Outils
3.1. Le processus cyclique d’actions d’amélioration et de résolution de problèmes
Les objectifs de ce processus sont d’abord de faire parler l’ensemble des
acteurs sur tout ce qui dysfonctionne dans leur organisation concernant la
responsabilité sociale. Cela permet dans un deuxième temps d’alimenter les
projets d’innovation sociosocio-économique pour la mise en œuvre des grands
principes de responsabilité sociale dont la ligne politique est impulsée par le
dirigeant. Le projet d’innovation socio-économique (Savall et Zardet, 2005)
permet de chercher un panier de solutions c'est-à-dire des actions
d’amélioration,
d’amélioration répondant à un panier de dysfonctionnements.
Selon Broche, Capron et Quairel-Lanoizelle (2005), la problématique
soulevée par les grands projets menés dans une entreprise est que la
responsabilité sociale est diluée dans une nébuleuse d’acteurs. Cependant, en
structurant les projets d’innovation socio-économique de telle sorte que
l’ensemble des acteurs y participent, ne serait-ce qu’en favorisant leur force
de proposition, la nébuleuse disparaît au profit d’une organisation managée
et structurée : un chef de projet qui pilote les groupes de travail, prend les
décisions et donne les orientations stratégiques ; des équipes structurées en
groupes de travail qui émettent des propositions au chef de projet pour
améliorer les dysfonctionnements repérés lors du diagnostic.
Ce processus a représenté la porte d’entrée dans l’organisation observée.
Ainsi le siège de l’Association a mis en place des groupes de projet, avec
comme chef de projet le directeur général de l’Association et comme
membres des groupes de travail des personnes des directions fonctionnelles,
des directeurs généraux adjoints et des directeurs d’établissement. C’est ainsi,
qu’ils ont, par exemple, travaillé sur la charge psychologique et physique de
travail qui était jugée trop importante par les acteurs et que le groupe de
travail, piloté par un directeur fonctionnel, a proposé des solutions
d’amélioration au chef de projet. Celui-ci, en accord avec les orientations
10/13
stratégiques de l’Association a validé les propositions du groupe de travail et
a donc permis d’améliorer les conditions physiques et psychologiques des
salariés.
Dans ses objectifs de mise en place de la responsabilité sociale, le
directeur général souhaitait améliorer les conditions de travail de ses
collaborateurs, c’est ce qu’il a fait par le biais des groupes de projet ce qui
a contribué à la responsabilisation des acteurs.
acteurs
3.2. La stimulation du changement par les décisions politiques et stratégiques
L’axe politique de la démarche de changement est transversal dans la
mesure où il se trouve en filigrane derrière chaque décision et chaque mise
en œuvre. Les décisions politiques de l’organisation évoluent en cours de
processus d’intervention. L’objectif est d’aboutir à une décentralisation
décentralisation
synchronisée.
synchronisée Celle-ci consiste à déplacer l’initiative de l’acte décisif vers le
niveau de responsabilité où sa mise en œuvre sera déclenchée, tout en
instaurant des règles du jeu visant à assurer sa compatibilité avec l’action
d’autres zones de responsabilités et avec le pilotage stratégique de
l’ensemble de l’organisation (Savall et Zardet, 2005).
C’est donc par cet axe que le dirigeant de l’Association a impulsé son
énergie à l’ensemble de l’organisation. Le pilotage stratégique, notamment du
potentiel humain disponible dans l’Association, lui a permis de garantir la
construction générale des objectifs de responsabilité sociale qu’il avait
impulsés.
De plus, la structuration des objectifs stratégiques de l’Association dans un plan
d’actions prioritaires tant internes qu’externes8 et leur diffusion a permis de propager les
orientations stratégiques jusque dans les établissements et ainsi de démultiplier auprès de la
totalité des 1500 salariés la ligne politique de responsabilité sociale.
3.3. L’implantation durable d’outils de management et de pilotage stratégique
Les enjeux de la RSE peuvent se présenter comme un ensemble de contraintes conduisant
les entreprises à « rendre des comptes » et ainsi, étendre leurs pratiques de reporting (Igalens,
2004). Sur la base des Balanced Scorecards9 (BSC) de Kaplan et Norton (1998, 2001), des
chercheurs ont proposé d’intégrer à ces tableaux de bord des problématiques sociales et
environnementales jusqu’alors inexistantes dans cet outil de reporting.
Dans le cas de l’Association, l’outil majeur d’aide au pilotage de la responsabilité sociale
a été le tableau de bord de pilotage stratégique (Savall, Zardet, 199510). La direction en
créant son tableau de bord a ainsi facilité le pilotage des indicateurs de responsabilité sociale
et, plus particulièrement, elle a permis d’améliorer le pilotage de sa performance sociale. Par
exemple, le directeur peut désormais piloter les données concernant le pilotage des plans de
formation ou les compétences opérationnelles des collaborateurs sur l’ensemble de
l’Association.
8
Plan d’actions stratégiques interne externe (PASINTEX) (Savall, Zardet, 2005)
Tableau ou carnet de score équilibré : Tableau de bord prospectif
10
Maîtriser les coûts et les performances cachés
9
11/13
D’autre part, il a été mis en place une importante politique de communicationcoordination-concertation entre les membres du siège et les différents directeurs afin d’assurer
la transparence nécessaire à l’éthique d’entreprise, ce que Wunenburger (1993, p.XIV) a
défini comme l’ensemble des règles de conduite partagées et typiques d'une société, fondées
sur la distinction entre le bon et le mauvais. Cette politique de communication, notamment sur
les orientations stratégiques, s’est largement appuyée sur le PASINTEX qui définit les
objectifs stratégiques de responsabilité sociale voulue dans l’Association.
4. Extension, limites et perspectives des recherches
Nos premiers résultats nécessitent encore des approfondissements par le biais des
itérations successives entre le terrain et la littérature. De plus, nous ajouterons à la validation
des hypothèses des observations tirées d’une entreprise contraste du secteur privé. En
l’occurrence il s’agit d’une entreprise de fabrique de bière, de pub-restauration et de spectacle.
Le secteur social et médico-social est régi par des fonds publics et n’est donc pas soumis aux
mêmes contraintes et risques qu’une entreprise privée. C’est pourquoi nos recherches dans ce
secteur connaissent des particularités nécessitant un complément et/ou un contraste afin de
renforcer la validation des hypothèses.
Il reste donc à voir si le modèle de management stratégique de type socio-économique
proposé dans nos hypothèses peut être étendu à d’autres organisations ou à d’autres secteurs
d’activité.
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