personnalité.En effet, en nous confrontant à des univers insoupçonnés, à des mondes sociaux
peu familiers, à des codes nouveaux, à des conceptions du monde divergentes ou différentes
de la nôtre, nous prenons progressivement conscience, dans ce processus de réflexivité
critique, tout à la fois de la relativité et du caractère inachevé (c’est-à-dire toujours en voie
de construction) de notre condition humaine, mais aussi de la richesse que représentent nos
différences et notre complexité constitutive. « Je est un autre » écrivait Rimbaud. Cette
magnifique formule nous ramène à la posture fondatrice de la sociologie, qui consiste en
cette distanciation qui, en nous rendant étrangers à nous-mêmes, comme le suggère cette
belle devise humaniste que le sociologue américain Charles Wright Mills proposait en guise
de programme pour la sociologie : « rien d’humain ne m’est étranger ».
L’objet de la sociologie
Le discours du sociologue semble toujours redoubler un discours plus trivial ; le sociologue
est toujours soupçonné de dire en termes difficiles, ronflants, pédants, ce que nous croyons
déjà savoir. C’est que l’objet de la sociologie n’est pas l’étude des astres ou des atomes, de
la chaîne d’ADN ou des fluctuations du CAC 40 — choses que nous ne voyons ni n’éprou-
vons directement, que nous ne prétendons donc pas maîtriser, et pour l’étude desquelles
nous avons un respect qui est à la mesure de notre ignorance, mais bien ce qui nous
concerne le plus immédiatement : notre vie de tous les jours, et plus précisément, sur cette
matière même dont est tissé notre ordinaire : les petits faits de la vie quotidienne (les gestes
approximatifs et mécaniques du lever, nos choix vestimentaires, notre façon de dresser le
couvert, nos manières de table, nos habitudes culinaires, nos conversations convenues avec
le chauffeur de taxi ou anodines avec la caissière du supermarché, notre façon de faire la
queue dans le métro ou de nous curer le nez dans les embouteillages, la drague, l’ennui, le
rire, etc.) ; mais aussi bien les représentations de sens commun (nos convictions, nos préjugés,
ce que nous croyons savoir du monde et des autres, notre façon de penser et de juger, nos
goûts, etc.).
Il est vrai qu’il n’est pas besoin d’être grammairien ou linguiste pour pouvoir s’exprimer et
se faire comprendre, de même qu’il n’est point besoin pour le chauffeur de taxi d’être carto-
graphe pour s’orienter dans la ville ni pour lire une carte. On reprochera donc souvent au
sociologue de jargonner inutilement pour énoncer des vérités triviales qui passent pour des
évidences aux yeux du profane, ou d’enfoncer des portes ouvertes lorsqu’il dénonce les
inégalités sociales, par exemple. De fait, le sociologue n’en sait pas plus que ses informateurs
ou ses concitoyens sur ce qu’ils vivent, mais il peut les amener à y réfléchir plus finement,
ou encore à démêler ce qui, précisément, relève de l’intuition et ce qui peut être corroboré
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