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- sa face positive est également menacée puisqu’ en formulant une question, le locuteur
impose le statut de ´répondeur´ à son interlocuteur et par conséquent se place dans une position
supérieure par rapport à lui. Des réactions telles ´C’est moi qui pose les questions !´, ´Moi, je pose
les questions, toi, tu y réponds! On n’inverse pas les rôles!´ prouvent l’arrangement hiérarchique
des places déterminé par la question, tandis que ´Tu n’as pas le droit / tu n’as aucun droit de me le
demander!´, ´Qu’est-ce qui te permet de me poser une telle question? ´ traduisent le fait que
l’interlocuteur perçoit la question comme menaçant son image publique.
En ce qui concerne le locuteur, comme le prescrit le cadre énonciatif propre à la question
décrit plus haut, en posant une question il avoue un manque informationnel et fait appel à
l’interlocuteur pour le combler. De cette manière, il périclite sa face positive manifestant infériorité
par rapport au savoir de son interlocuteur. Mais, selon la situation de communication, le locuteur
peut lui-même “prendre l’initiative de se laisser déposséder par L2 [interlocuteur] de la position
haute”. (Kerbrat-Orecchioni, 1991:29) Le cas de l’interview illustre cela, le locuteur étant celui qui
par ses questions incite l’interlocuteur à parler, mais c’est l’interlocuteur en effet qui domine
l’échange verbal. [1]
Juger de la menace représentée par la demande de dire implique nécessairement l’analyse des
rapports entre locuteur et interlocuteur dans la situation d’énonciation respective, de la finalité de la
question, de sa formulation plus ou moins adoucie. La section suivante propose l’analyse du reflet
linguistique de la politesse et de l’impolitesse pour la demande de dire, c’est-à-dire les moyens par
lesquels il est possible d’atténuer l’agressivité apparemment inhérente à la question, mais aussi les
procédés grâce auxquels cette agressivité est renforcée. Le corpus est essentiellement tiré de
l’œuvre de Caragiale, le choix étant motivé par la vivacité de la conversation familière qui met en
évidence les procédés les plus divers pour ´extorquer´ (par des adoucisseurs ou des renforçateurs)
les informations désirées, ce qui constitue finalement le but de la question.
2.3. Stratégies de politesse
Dans le corpus analysé, nous avons pu identifier surtout des cas de politesse négative envers
l’interlocuteur ce qui nous fait penser que c’est la face négative qui est censée être la plus menacée
par la question (fournir des informations) puisque la situation de la face positive est variable, en
fonction de la situation d’énonciation. [2] De surcroît, nous analysons la question avec la valeur
illocutionnaire de demande d’informations, l’apport informationnel est donc principalement visé.
Cela semble être la justification du fait que nous avons trouvé surtout des cas où des renforçateurs
sont employés pour rendre la demande d’informations encore plus pressante.
Parmi les stratégies de politesse négative identifiées, nous énumérons:
- l’emploi d’un impératif d’excuse sans explicitation de l’offense [3]
Scuzaţi-mă - îndrăznesc eu-domnule ministru…E adevărat? (I. L. Caragiale, Ultima oră!...,
263)
Excusez-moi, osé-je dire, monsieur le ministre …est-ce vrai? (I. L. Caragiale, En dernière
heure, 55)
- l’emploi d’une formule elliptique ou d’un performatif qui actualise une excuse
Mă iertaţi, domnilor, dar …cu cine am, mă rog onoarea? (I. L. Caragiale, Atmosferă
încărcată, 194)
Je vous demande pardon, messieurs, mais…à qui ai-je l’honneur, je vous prie? (I. L.
Caragiale, De l’électricité dans l’air, 30)
Mă rog, da dumneata ce eşti acolo la gară? (I. L. Caragiale, C.F.R., 59)
Pardon, mais vous, qu’est-ce que vous faites dans cette gare? (I. L. Caragiale, C.F.R., 120)