École des Hautes Études en Sciences Sociales
Institut Marcel Mauss Centre d’Études des Normes Juridiques
Università degli Studi di Roma III
Facoltà di Giurisprudenza Storia e Teoria generale del Diritto
Pierre THÉVENIN
Le Miroir des Faits.
Philosophie de l’habillage juridique
dans la scolastique médiévale et ses lectures romantiques
Thèse pour le doctorat de Philosophie
Soutenance le 15 Janvier 2014
Composition du jury :
M. le Professeur Jacques Chiffoleau, EHESS – Université de Lyon II
M. le Professeur Emanuele Conte, Université de Rome III – EHESS,
codirecteur de thèse
M. le Professeur Bruno Karsenti, EHESS, directeur de thèse
Mme le Professeur Beatrice Pasciuta, Université de Palerme
M. le Professeur Mikhaïl Xifaras, Institut d’Études Politiques de Paris
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REMERCIEMENTS
Les remerciements vont aux vifs et de Yan Thomas, je ne puis qu’honorer la mémoire. Quel
regard ce fier juriste aurait posé sur les chemins son exemple a fini par me pousser, c’est une
question que je dois accepter de laisser sans réponse.
Ma gratitude va tout entière à Emanuele Conte, pour avoir bien voulu guider un jeune
philosophe français, quelque peu dérouté, dans l’obscure forêt du droit commun médiéval. Cette étude
n’aurait pas vu le jour, si le Professore n’avait consenti à m’accompagner dans les riches bibliothèques
de Rome il se trouve chez lui ; mais elle n’aurait pas non plus atteint son terme, s’il n’avait su
remédier par son indéfectible soutien aux effets secondaires de cette première pilule d’érudition.
Des différentes personnes que je vois en Bruno Karsenti, je ne sais laquelle remercier en
premier lieu : de l’enseignant dont j’ai suivi les leçons à la Sorbonne ; de l’ami qui, à la bibliothèque du
Saulchoir, encourageait mes premiers projets d’escapade disciplinaire ; ou du successeur attentif à la
direction de ma thèse. À chacune je dois de m’avoir communiqué un enthousiasme intellectuel sans
lequel je n’aurais pu persévérer dans les efforts qui aboutissent ici.
De 2006 à 2009, un programme de l’European Research Council m’a offert un premier cadre
de travail, inoubliable et pérégrin. Il me tient à cœur de nommer l’ensemble des coordinateurs
scientifiques et administratifs de ce Programme doctoral pour l’histoire, la sociologie, l’anthropologie
et la philosophie des cultures juridiques européennes, outre mes directeurs de thèse : Aldo Schiavone
et Paolo Cappellini, Alain Pottage et Marta Mundy, Michael Stolleis et Rainer Kiesow, Marie-Angèle
Hermite et Paolo Napoli, ainsi que les professeurs Laurent Waelkens, Jacques Chiffoleau et Pierre-
Yves Quiviger, qui tour à tour m’ont fait l’honneur de discuter mes travaux, lors de trois écoles d’été
organisées à Roma III. Il me faut remercier Alexandra Braun, pour m’avoir ouvert les portes du Saint
John’s College et de la Bodleian Library à Oxford ainsi que Magnus Ryan pour m’avoir facilité l’accès
à la grande bibliothèque de l’Université de Cambridge.
En m’ouvrant à l’automne 2012 ses portes majestueuses, l’École Française de Rome m’a
offert les meilleures conditions qui soient pour achever ce travail. En plus de tous mes collègues,
particulièrement ceux qui étaient à mes côtés durant le mois d’août héroïque : Guillaume Calafat,
Isabelle Mossong, Jean-Baptiste Delzant et Benoît Schmitz, je veux exprimer ma gratitude à Mme
Virlouvet, directrice de l’École, à Richard Figuier, chef des publications mais également philosophe, à
Mme Annie Coisy qui dirige la bibliothèque, au diligent Serge Daudey, ainsi qu’à l’ensemble des
personnels dévoués du Palais.
Par l’intérêt qu’ils ont bien voulu manifester pour mes efforts, plusieurs chercheurs m’ont
apporté un soutien précieux. En plus de Paolo Napoli et d’Emanuele Coccia, intercesseurs
indispensables, je tiens particulièrement à remercier Marta Madero, Blaise Dufal, Pauline Labey et
Sylvain Piron, Cornelia Vismann trop vite disparue et Michel Sennelart pour les occasions qu’ils m’ont
offertes de présenter mes travaux, ainsi qu’Anne Foubert, Frédéric Gabriel, Julien Bonhomme, Raija-
Liisa Komulainen, Michela Barbot, Jean Bérard, Julien Théry, Giuliano Milani, Corrado Bertani, Vera
Kallenberg, Daniel Pejko, Heinz Monnhaupt, Alfred Dufour, Sara Mentzinger, Laurent Mayali,
Massimo Vallerani, Florence Bellivier et Danny Trom, pour le profit chaque fois singulier que j’ai
trouvé à m’entretenir avec eux.
Ma pensée va encore à mes anciens camarades du doctorat européen, en particulier à mes amis
Hent Kalmo, Stefanie Günthner, Silvia Falconieri, Tzung-Mu Wu, Sebastian Provvidente et Michele
Spanò, à qui je dois de m’être essayé à bien d’autres idiomes qu’à ceux de Paris ; aux collègues et amis
à qui je suis redevable d’avoir relu ce travail : Arnaud Fossier, Gildas Salmon, Thibaut Lanfranchi,
Clémence Revest, Aurélien Robert, Nicolas Cornu-Thénard, Michael Gasperoni, Clément Chillet et
Émilie Kurdziel ; à Laurence et François Brunet qui m’ont accueilli à Carantec ; à mes compagnons
diserts, experts en contre-courants Charles Verron, Maria Eisel, Jean-Baptiste Bouvet, Raphaël Zarka,
Nicholas Richardson, Clément Rodzielski, Emmanuel van der Meulen, Aurélie Godard, Julie Franchon
et Chloé Dugit-Gros ; à mes chers amis de toujours François Berthomé et sa mangrove, Dimitri Hatton
Am7, Grégory Delaplace et son punting, Frantz Loriot dozo dozo, Anthony Stavrianakis et son foozy
paf, Sarah Troche et ses molaires, Camille Plagnet et Jeanne Delafosse sur la même motocyclette.
Puisque me voilà désormais sorti du carré, je promets d’apprendre à monter à cheval à mon
père Jean-Paul, ma mère Marie-Françoise et mon frère Olivier. De Françoise et d’Ali, je n’oublie pas
les festins de seize heures. À Roxane Borujerdi qui a vu presque toutes les couleurs et à laquelle je dois
tout, en eau douce comme au large, de Brighton Pier à Arpuador.
Rome, le 16 novembre 2013.
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Introduction
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Speak softly; definition is deep
But words are deeper
Jack Spicer, 1946.
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En retraçant l’histoire de la conception juridique du « fait », cette étude
voudrait offrir à la réflexion des sciences sociales comme à la méditation des
philosophes un moyen non seulement d’affiner la représentation du droit en général,
en invitant à découvrir dans l’outillage mental du juriste un réservoir de formes
historiquement sédimentées mais aussi, incidemment, d’enrichir la compréhension
de cette circonstance particulière à travers laquelle l’ordre juridique semble autoriser
l’État à violer les droits fondamentaux des individus.
Si d’un côté les constitutions démocratiques accordent solennellement à toute
« personne humaine » un certain nombre de libertés fondamentales, de l’autre la
pensée juridique confie aux pouvoirs publics une certaine liberté de les lever. Mais
comment le droit peut-il organiser la suspension des premières règles qu’il prétend
s’être données à lui-même ? Cette contradiction pousse aussitôt la pensée juridique
dans toute une gamme de contorsions, dont le spectacle a souvent surpris les
observateurs de la vie publique. Mon propos ne visera pas à proposer une description
supplémentaire de l’éventail des formes qu’ont prises les suspensions récentes des
garanties constitutionnelles du Patriot Act américain au plan vigipirate renforcé
français ni à renchérir sur l’émoi qu’elles ont pu susciter dans les milieux
juridiques1 ou dans la société civile2. Je partirai plutôt de l’étonnement qui s’ajoute au
scandale, lorsqu’on se penche sur l’arrière-plan normatif des décisions qui organisent
ces suspensions.
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1 Je pense aux vives controverses soulevées en 2003 par les Torture Memoranda de John Yoo,
professeur à Berkeley, qui déclarait conforme à la constitution l’usage de la torture par l’armée et les
services de renseignement américains.
2 Guantanamo and Beyond: The Continuing Pursuit of Unchecked Executive Power, Rapport
d’Amnesty International, 5/13/2005 ; et les travaux en France du Groupe d’Information et de Soutien
des Immigrés (GISTI) ou de l’Association Nationale pour l’Assistance aux Frontières des Étrangers
(ANAFÉ).
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