II. Note d’intention
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Le mensonge est un parti pris. Le parti de prendre la
réalité pour en falsier sa physionomie. J’ai toujours
été surpris de l’effort que mettaient certaines per-
sonnes à présenter une image d’eux-mêmes quitte
à s’oublier totalement. Pourquoi gaspille-t-on autant
d’énergie à mettre en scène une ction identitaire, à
incarner un personnage qui s’éloigne de notre véri-
table personnalité ?
Je pense que tout le monde, moi y compris, s’est
plus ou moins trouvé dans ce type de situation pour
différents motifs : lors d’un entretien d’embauche, à
l’occasion peut-être d’une soirée entre amis an de
protéger son ego et ses problèmes, durant un repas
de famille an de rassurer ses proches sur ses propres
choix de vie ou tout simplement pour plaire et être
acceptée par la société qui impose des normes de
réussite sociale.
Mais qu’en est-il de notre identité ? Sommes-nous
obligés de masquer notre personnalité pour répondre
conformément à ces normes sociales ?
Deux frères
est une pièce qui ôte les masques. Boris
et Lev, ces personnages qui entretiennent une relation
fusionnelle prenant ses origines dans leur enfance, se
trouvent confrontés au passage à l’âge adulte. Ils ne
se sentent pas la force de changer et préfèrent donner
l’illusion d’une situation ctionnelle et fantasmée. Ils
inventent une réalité qui les emprisonne. Érica ten-
tera de les libérer. Elle est ce personnage qui ouvre la
voie vers une certaine liberté. La liberté d’être soi et
d’avancer coûte que coûte en respectant ce principe
fondateur qui la façonne. Elle est un bienfait pour ces
deux frères parce qu’elle les porte vers l’avant, mais
aussi une menace parce qu’elle les confronte à eux-
mêmes. Certaines personnes, pour traverser un pré-
cipice préfère un pont large, confortable et sécurisé,
tandis que d’autres n’hésitent pas à éprouver la vie sur
un l tendu. Je veux éclairer ce l pour considérer le
chemin parcouru par cette funambule du quotidien.
Je veux aussi mettre en avant tous les blocages qui
entravent ces deux frères dans leur évolution. Pour
moi tout est une question d’image à laquelle on
se raccroche par sécurité mais qui nous empêche
d’être nous-même. Ma mise en scène s’attachera à
construire ces images devant le public pour lui mon-
trer à quel point elles peuvent être génératrices de
souffrance. Désigner l’apparence pour qu’elle perde
toute forme et toute contenance, pour voir la vérité
nue de deux êtres qui souffrent et qui deviendront des
monstres de tragédie.
DE LA NÉCESSITÉ D’ÊTRE SOI. — Grégory CharpenneA —