Publié sur CERI (http://www.sciencespo.fr/ceri)
milliards d'euros) en 2014, en croissance de 8 % par rapport à l'année précédente, principalement
en Amérique du Nord et Asie-Pacifique, contre à peine 220 milliards de dollars dans les énergies
renouvelables en 2012. Ces mêmes investissements ne dépassaient pas les 250 milliards de dollars
en 2004. Sur les 104 000 nouveaux puits forés en 2013, 58 % l'auront été en Amérique du Nord,
principalement dans l'exploitation des hydrocarbures de schiste.
Cette logique exploratrice et extractive n'est pas sans lien avec le monde de la finance. Les
valorisations boursières des multinationales de l'énergie et les notations qui leur sont délivrées par
les agences sont pour partie fonction des réserves prouvées qu'elles peuvent annoncer en fin
d'exercice. Pour maintenir leur situation boursière, les multinationales n'ont d'autres choix que
d'explorer et forer. L’ensemble des réserves actuelles de pétrole, gaz et charbon est valorisé aux
environs de 4 600 milliards de dollars sur les principales places boursières de la planète, faisant des
entreprises de l’énergie les poids lourds des indices boursiers. La part des énergies fossiles tend
même à se renforcer, notamment sur les marchés financiers de Londres (pétrole) et de New York
(charbon) selon Carbon Tracker3 au point d'évoquer une véritable « bulle carbone ». qui ne tiendrait
pas compte de l'objectif climatique maximal fixé par la communauté internationale.
Un groupe de soixante-dix investisseurs mondiaux, représentant un capital de financement de
l'ordre de 3000 milliards de dollars, a ainsi interpellé4 quarante-cinq des plus importantes
entreprises productrices de pétrole, de gaz, de charbon et d'électricité sur leur exposition à ce risque
« climatique ». La directrice générale d'un fonds de pension des fonctionnaires californiens a affirmé
que son entreprise avait besoin d'une « stratégie robuste à long terme qui reflète la réalité à laquelle
nous faisons face » et qu'il n'était pas « possible d'investir dans une catastrophe climatique ». Une
démarche encouragée par Carbon Tracker, qui considère qu'« il faudrait que les régulateurs
imposent une évaluation du business model des entreprises extractives en fonction du volume de
carbone maximum que nous devons émettre pour ne pas dépasser les deux degrés ». Ce n'est pas
encore le cas. Le ratio énergies fossiles / énergies renouvelables des indices boursiers est
généralement de 1 à 255. Pour chaque dollar investi dans les énergies renouvelables sur les
marchés action, il y en a quatre dans les énergies fossiles : ainsi, les investisseurs institutionnels
(assureurs, banques, fonds d'investissement etc.) orientent l'épargne vers le secteur des énergies
fossiles, non vers le secteur des énergies renouvelables.
Sans nouvelles régulations contraignantes, la stabilité à court terme de la valorisation boursière et
de la rentabilité financière des entreprises pétrolières, gazières et charbonnières suppose qu'elles
poursuivent sans limite de nouvelles explorations et de nouveaux forages – ou qu'elles encouragent
celles des entreprises juniors – sans tenir compte des exigences climatiques. A cette pratique,
correspond une bulle « carbone » globale, pouvant se transformer en bulle financière. Ces
entreprises constituent donc un secteur structurellement climato-sceptique, dont les incitations
boursières, économiques et financières vont à l'encontre des exigences fixées par la communauté
internationale. En ce sens, la recherche et l'extraction de ressources énergétiques fossiles
peuvent-elles être laissées à la seule appréciation du secteur privé alors que de leurs décisions
dépend la possibilité d'assurer une certaine stabilité climatique, bien commun de l'humanité ?
En poursuivant ce raisonnement, il n'y aurait donc aucune raison de continuer les explorations et
forages pour extraire du pétrole, du gaz ou du charbon toujours plus loin, toujours plus profond.
Extrêmement coûteuses et dangereuses, les explorations d'hydrocarbures non conventionnels,
comme les gaz et pétrole de schiste, semblent bien incompatibles avec les objectifs climatiques.
D'ailleurs, le secteur industriel favorable à l'exploitation de ces énergies fossiles ne s'aventure guère
sur ce terrain. Par exemple, le Groupement des entreprises parapétrolières et paragazières et des
professionnels du pétrole et du gaz (GEP-AFTP) a identifié6 quatre types de « risques » liés à ces
extractions: la pollution des sous-sols, l'approvisionnement en eau, la composition des fluides de
fracturation et les impacts sociétaux. Les défis climatiques n'y figurent pas. Pas plus qu'ils ne
figurent dans le débat public français qui se limite bien souvent aux effets, aujourd'hui bien
documentés, de la fracturation hydraulique.
Sur la base de la réflexion présentée ci-dessus, mêler les débats « faut-il extraire les pétroles et gaz
de schiste » et « que faire pour stopper le réchauffement climatique » revient à clore définitivement
le premier. « Oui mais le gaz est moins émetteur de gaz à effets de serre que le charbon », est-il
parfois répondu pour réhabiliter l'exploitation des gaz de schiste. En plus de ne pas réhabiliter le
Page 2 of 4