SPEECH/97/102
Discours de Yves-Thibault de Silguy
Membre de la Commission, responsable des affaires
économiques, monétaires et financières
"L'impact de la création de l'euro sur
les marchés financiers et le système
monétaire international"
Check Against Delivery
Seul le texte prononcé fait foi
Es gilt das gesprochene wort
Institute of International Finance
Washington, mardi 29 avril 1997
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Monsieur le Président,
Mesdames,
Messieurs,
Permettez-moi tout d'abord de remercier M. Charles Dallara pour m'avoir donné
l'opportunité de prendre la parole devant vous. La prestigieuse réputation de
votre institut s'étend bien au-delà des frontières américaines. Je suis donc
particulièrement sensible à l'honneur qui m'est fait aujourd'hui.
Le processus conduisant l'Europe à l'Union économique et monétaire est
irréversible. Les travaux entrepris depuis deux ans ont permis de décider un
scénario de transition et d'adopter l'ensemble des règles nécessaires au bon
fonctionnement de l'union monétaire. La détermination des chefs d'Etat et de
gouvernement européen de créer l'euro conformément au calendrier et aux
conditions prévues par le traité de Maastricht est forte. Elle n'a jamais varié.
Cette même détermination a permis d'enregistrer des progrès spectaculaires sur
la voie de la convergence des économies : l'inflation et les taux d'intérêt
atteignent des niveaux historiquement bas, les déficits publics ont été divisés par
deux depuis 1993, puisqu'ils devraient atteindre 3.1% en 1997, contre 6.2% il y a
4 ans.
Il n'est donc plus temps de s'interroger sur l'arrivée de l'euro : il faut aujourd'hui
réfléchir sur ses conséquences, pour l'Europe et ses partenaires. Je vais
m'efforcer de me livrer à cet exercice difficile en tentant de répondre à deux
questions essentielles :
- quelle sera la place de l'euro sur la scène financière mondiale ?
- quel impact sa création aura-t-elle sur le système monétaire international ?
Tout d'abord :
I. Quelle sera la place de l'euro sur la scène financière mondiale ?
La création d'une monnaie européenne est une évolution, ce n'est pas une
révolution.
Votre compatriote Marc Twain écrivait, avec sa causticité habituelle : "les radicaux
inventent de nouvelles idées." Ajoutant : "Quand elles sont usées, les
conservateurs les adoptent". Créer une monnaie unique en Europe n'est pas une
idée "usée", mais ce n'est certainement pas non plus une idée totalement
nouvelle. Pour ne citer qu'un seul exemple, un de mes prédécesseurs au poste
que j'occupe aujourd'hui à la Commission, Robert Marjolin, avait déjà écrit un
mémorandum sur cette question il y a 35 ans. La mise en place de l'euro
couronne le long processus de réalisation d'un marché unique. Elle est une suite
logique de la démarche entreprise lors la fondation de la Communauté
européenne en 1957.
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Sa création aura des conséquences sur les relations économiques et financières
internationales. L'euro devrait, en effet, connaître un important développement
comme monnaie de facturation, comme monnaie de réserve et comme monnaie
de diversification des portefeuilles internationaux. Naturellement, il sera dans un
premier temps essentiellement utilisé par les pays de l'Union Européenne et par
ceux ayant des liens commerciaux étroits avec l'Union Européenne. Son
développement devrait être beaucoup plus graduel dans le reste du monde, le
dollar continuera à jouer durablement un rôle important. L'expérience montre en
effet que les évolutions affectant l'utilisation internationale d'une monnaie sont
lentes à produire leurs effets.
Voyons tout d'abord quelles sont les perspectives de développement de l'euro
comme monnaie de facturation internationale;
[A. L'utilisation de l'euro comme monnaie de facturation]
La zone euro aura - lorsque l'ensemble des 15 Etats membres participeront à
l'union économique et monétaire - un poids à peu près comparable à celui des
Etats-Unis, voire légèrement supérieur. En effet, l'Union Européenne représente
aujourd'hui 38% du PIB de l'OCDE, contre 32 % pour les Etats-Unis. En excluant
les échanges intra-communautaires, elle effectue environ 21% du commerce
mondial, contre 20 % pour les Etats-Unis.
Pourquoi l'euro sera-t-il attractif ?
L'euro sera adossé à un vaste marché de 370 millions de consommateurs. Il sera
mis en circulation dans des économies dont les finances publiques auront été
assainies, grâce au respect des conditions prévues par le traité de Maastricht
pour le passage à l'euro. Le pacte de stabilité et de croissance garantira par
ailleurs le caractère durable de cet effort de bonne gestion, en fixant comme
objectif de moyen terme le retour à l'équilibre des finances publiques.
L'euro reposera sur un vaste marché financier, particulièrement liquide. Enfin, il
sera géré par une banque centrale européenne indépendante, dont l'objectif
principal assigné par le traité est la stabilité des prix. Il sera une monnaie stable,
aussi stable que le deutsche-mark aujourd'hui. L'euro sera une bonne monnaie,
donc une monnaie attractive. S'il bénéficie du même coefficient
d'internationalisation que la devise allemande, 30% des exportations mondiales
pourraient demain être libellées en euros.
Qui l'utilisera ?
En premier lieu, son usage se généralisera dans les échanges intra-
communautaires. Or ceux-ci représentent actuellement environ 60% du
commerce extérieur total des Etats membres.
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Les exportateurs et les importateurs européens seront également naturellement
amenés à l'employer comme monnaie de transaction, puisqu'ils y trouveront un
avantage immédiat : l'euro leur supprimera les coûts inhérents à la gestion du
risque de change.
Mais l'usage de l'euro devrait aussi s'étendre progressivement au-delà des
frontières de l'Europe. En Afrique tout d'abord, puisqu'il se substituera au franc
français comme monnaie de référence de la zone CFA. En Europe centrale et
orientale également, puisque la plupart de ces Etats ancrent leur monnaie au
deutsche-mark, et effectuent une part croissante de leurs relations commerciales
avec l'Union Européenne, qu'ils ont d'ailleurs vocation à intégrer. Il sera aussi
probablement utilisé rapidement comme monnaie de facturation par les pays du
bassin méditerranéen, compte-tenu de leurs liens étroits avec l'union européenne,
et de la perspective de constitution d'une zone de libre échange euro-
méditérranéenne à l'horizon 2010.
Le développement de l'euro devrait être plus progressif et plus modéré sur les
marchés des matières premières énergétiques.
Outre son utilisation comme monnaie de facturation, l'euro deviendra également
une monnaie de réserve.
[B. L'utilisation de l'euro comme monnaie de réserve]
La création de la monnaie européenne s'inscrit dans un mouvement de
diversification des avoirs officiels en devises, qui n'a cessé de prendre de
l'ampleur depuis le début des années 70. 76% des réserves des banques
centrales étaient constituées de dollars en 1973, 61 % aujourd'hui. La part des
monnaies européennes (livre sterling, deutsche-mark, franc français et florin
néerlandais) est passée sur la même période de 14 à 20%.
L'euro devrait avoir une part dans les réserves des banques centrales supérieure
à celle occupée aujourd'hui par les monnaies européennes. En effet, sa place
future sera étroitement liée à ses qualités intrinsèques de stabilité. Elle se
développera en fonction de son utilisation en tant qu'instrument d'intervention sur
les marchés des changes et monnaie de facturation du commerce international.
Selon les chiffres communiqués à l'occasion d'un récent colloque du FMI, le
montant des réserves mondiales était estimé à la fin de l'année 1996 à 1400
milliards de dollars. Les banques centrales européennes en possèdent environ
30 %. Considérée globalement, l'Union Européenne détient six fois plus de
réserves que les Etats-Unis et deux fois plus que le Japon.
Le passage à l'union économique et monétaire devrait entraîner une diminution
du volume global des réserves de change du système européen de banques
centrales. En effet, les avoirs des banques centrales en monnaies des pays
participants à l'UEM - soit environ 1/3 du total de leurs avoirs en devises - seront
automatiquement transformés en euros. La quantité de réserves nécessaires
devrait également diminuer, puisqu'il n'y aura plus d'interventions pour stabiliser
entre elles les monnaies des pays participants à l'union économique et monétaire.
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Peut-on en déduire pour autant qu'il y aura un excès de dollars dans les coffres
des banques centrales européennes ? Il est difficile de répondre à cette question.
Les estimations qui circulent de la quantité de dollars excédentaire varient très
fortement, puisqu'elles vont de 0 à 200 milliards de dollars. Or, la Banque
Centrale Européenne peut très bien juger utile de détenir un montant élevé de
réserves pour asseoir sa crédibilité sur les marchés.
Certains ont affirmé avec beaucoup d'aplomb qu'elle inonderait les marchés de
réserves en dollars excédentaires. Voilà une anticipation bien peu rationnelle !
Les Banques centrales ont un bon sens au moins aussi grand que celui des
marchés. Qui peut sérieusement penser qu'elles ignorent l'impact de leurs
transactions sur les marchés des changes ? S'il s'avère qu'il y a effectivement un
excès de dollars dans les coffres des banques centrales européennes, celui-ci
sera bien évidemment résorbé de façon ordonnée et progressive, afin d'éviter
toute perturbation des marchés.
Enfin quel sera l'impact de la création de l'euro sur les portefeuilles privés ?
[C. L'utilisation de l'euro comme monnaie de diversification des portefeuilles
privés]
Il est par nature difficile à évaluer, puisque la place de l'euro dépendra
essentiellement de l'appréciation qui sera portée par les marchés sur sa qualité.
J'observe cependant qu'un mouvement de diversification des portefeuilles
internationaux est déjà en cours. Entre 1981 et 1995, la part des monnaies
européennes est ainsi passée de 13 à 37% du portefeuille privé mondial. Sur la
même période, la part des monnaies européennes dans les portefeuilles
d'obligations internationales a également quasiment doublé, pour atteindre
aujourd'hui 37%.
Un Premier-Ministre de la Reine Victoria, Benjamin Disraeli, prétendait qu'il existe
trois types de mensonges : "le mensonge simple, le mensonge sacré, et la
statistique". Je me garderai donc bien de faire une estimation chiffrée de la place
qui sera réservée à l'euro.
Qu'il me soit simplement permis de faire deux observations :
1. Le marché des obligations en euros sera dès sa création un des plus
importants au monde. En effet, toutes les nouvelles émissions de dette publique
émanant des Etats appartenant à l'union économique et monétaire seront dès le
1er janvier 1999 libellées en euros. De nombreux Etats membres, dont la France,
ont d'ailleurs dores et déjà exprimé leur intention de basculer l'ensemble du stock
de leur dette à cette même date. En tout état de cause, l'ensemble des stocks de
dettes publiques basculeront en euros d'ici à 2002.
2. En conséquence, il est probable que les coûts liés à l'utilisation de l'euro -
comme par exemple celui de la couverture contre le risque de change - seront
aussi bas que ceux associés à l'utilisation du dollar.
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