LE CHEMIN DES NUAGES BLANCS
Mont Kailash
SPÉCIAL TREKS SACRÉS // TIBET
SITUÉ AU TIBET, VÉNÉRÉ PAR LES QUATRE GRANDS
COURANTS RELIGIEUX D’ASIE (HINDOUISME,
BOUDDHISME, JAÏNISME ET N), DEMEURE DES
DIEUX, CENTRE DE L’UNIVERS, SON SOMMET RESTE
INVIOLÉ, INACCESSIBLE, INTERDIT. ON NE GRAVIT PAS
LE KAILASH, ON EN FAIT LA CIRCUMAMBULATION.
// TEXTE : RÔME ÉDOU // PHOTOS : DAVID DUCOIN //
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DU MONASTÈRE DE CHI’U, LE DÔME IMMACULÉ DU MONT
KAILASH, LA MONTAGNE-SVASTIKA DES BÖNPOS,
ÉMERGE DU PLATEAU TIBÉTAIN.
S
i un cartographe peu au fait de l’histoire
des religions orientales avait voulu
dessiner une carte religieuse de l’Asie,
il aurait vu sous ses yeux converger de nom-
breuses routes de lerinage vers une gion
méconnue de la Haute Asie, au-delà de la
barrière himalayenne, à l’extrémi ouest du
plateau tibétain. Il aurait alors été surpris de
couvrir que le point de convergence de ces
routes était en fait une montagne de près de
6 700 m d’altitude, le mont Kailash que les
Tibétains appellent Khang Rinpoché, la
Précieuse montagne de neige. S’il avait pu
suivre les pèlerins indiens qui remontent
lentement vers les sources du Gange et
traversent les hauts cols himalayens,
il aurait pu apercevoir enfin,
se reflétant au loin dans les
eaux miroitantes du lac
Manasarovar, le dôme
immacu émerger du
haut plateau. Alors, sans
doute saisi par la
majesté de cette appari-
tion, aurait-il compris,
comme ses compagnons
de voyage, qu’il était
arrivé au centre du monde,
au cœur spirituel de lOrient.
Car si le Kailash se situe
ographiquement au Tibet, il
est vénéré sans sectarisme par qua-
tre grands courants religieux d’Asie,
l’hindouisme, le bouddhisme, le jaïnisme et
le bön, la religion primitive du Tibet.
LE MONT MÉROU
La tradition indienne attribue la sacralisation
des Himalayas et du mont Kailash aux
premières migrations aryennes venues de
Perse aux alentours du deuxme millénaire
avant J.-C. On comprend la fascination qu’a
pu exercer cette chaîne prodigieuse qui
« embrassait le paradis de sa hauteur », sur
ces populations simples qui crurent avoir
définitivement découvert la résidence de
leurs dieux. s lors, l’hindouisme identifia
le mont Kailash à laxis mundi, la montagne
axiale de l’univers, le mont Mérou des anciens
Aryens, autour duquel s’organisent les
montagnes et les oans, le soleil et la lune,
fleuves et continents, et tous les êtres
humains, les animaux et les dieux. Au
COMME TOUS CEUX QUI LES ONT
PRÉCÉDÉS DEPUIS DES SIÈCLES,
LORSQU’ILS DÉCOUVRENT
LA MONTAGNE SACRÉE ET LE LAC
MANASAROVAR POUR LA PREMIÈRE FOIS,
LES PÈLERINS AJOUTENT UNE PIERRE
SUR LES MURS DE MANI, COMME
UNE ACTION DE GRÂCE.
À PIEDS, À CHEVAL, EN CAMION,
LES PÈLERINS DE TOUT L’HIMALAYA
CONVERGENT VERS LA MONTAGNE SACRÉE
POUR CÉLÉBRER À LA PLEINE LUNE DE JUIN,
LE GRAND FESTIVAL DE THARBOCHÉ.
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SPÉCIAL TREKS SACRÉS // TIBET
MONTAGNE SACRÉE
Nous empruntons notre titre à l’ouvrage du
Lama Govinda, Le Chemin des Nuages Blancs
(Albin Michel), dernier occidental à visiter la région
du mont Kailash avant la fermeture des frontières du Tibet
dans les années cinquante. Moine bouddhiste et pèlerin, il
explique dans son livre « que certaines montagnes ne sont que
des montagnes mais (que) d’autres ont une personnalité et par là
même le pouvoir d’influencer les hommes ». Lorsqu’une montagne
est ainsi douée de personnalité, elle devient naturellement le
réceptacle des forces cosmiques et s’élève au rang de montagne
sacrée. En général, cette sacralité s’impose d’elle-même, comme
une évidence et plutôt que de tenter de conquérir ces forces,
la seule attitude juste pour le chercheur de vérité consiste
dès lors à se laisser conquérir par elles. Parmi ces
montagnes sacrées, conclut Govinda, « la plus
grande de toutes, depuis le commencement
des temps, fut et demeure le mont
Kailash » !
bué à rendre le Kailash si populaire dans la
tradition indienne. Shiva, le maître des yogis
errants et des mystiques, le dieu destructeur
de la trilogie couvert de cendres et brandis-
sant son trident et son damarou, s’est vu
attribuer le Kailash pour sidence. Assis en
ditation perpétuelle, il enlace sa parèdre1
Parvati, la « fille des Himalayas ». La forme
même de la montagne évoque pour les
Hindous le lingam, le symbole phallique, de
Shiva posé sur le yoni2de la belle Parvati…
Si les Jaïns considèrent que c’est au mont
Kailash que l’antre mythique atteignit la
Libération, c’est sans conteste les Bönpos,
héritiers des traditions chamaniques de la
Haute Asie, qui, les premiers, occupèrent
cette gion du Tibet occidental. Pour le Bön,
Shenrab Miwoche, le fondateur mythique
descendit du ciel par une corde céleste au
Kailash qui devint ainsi l’âme de leur tradi-
tion. Ils s’approprièrent la montagne crite
sommet réside le dieu Brahma, le plus éle
de l’Olympe hindou.
Toujours selon la mythologie hindoue, quatre
grands fleuves prennent leur source au mont
rou et coulent dans les quatre directions
pour irriguer les quatre continents. Lidentifi -
cation du Kailash à l’axe du monde se trouva
donc renforcée lorsque l’on découvrit
qu’effectivement quatre des plus grands
fleuves d’Asie prenaient leur source au
Kailash, le Brahmapoutre, l’Indus, la Sutlej
et le Gange, – même si on comprit plus tard
que ce n’était pas le Gange mais la Karnali,
l’un de ses affluents principaux, qui prenait
sa source au mont Kailash.
LA CORDE CÉLESTE
C’est sans doute l’évation du terrible Shiva
au sommet de la hiérarchie des dieux
hindous, à de Brahma et de Vishnu, vers
les premiers scles de notre ère, qui a contri-
LES TIBÉTAINS ACCOMPLISSENT
LA KHORA (CIRCUMAMBULATION
RITUELLE) DANS LA JOURNÉE
PARCOURANT AINSI QUELQUE
CINQUANTE KILOMÈTRES DE
SENTIERS SOUVENT ENNEIGÉS ET
PLUS DE 1 200 M DE DÉNIVELÉE.
CERTAINS L’EFFECTUENT TREIZE
FOIS DE SUITE, D’AUTRES EN SE
PROSTERNANT À CHAQUE PAS
PENDANT DES JOURS.
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SPÉCIAL TREKS SACRÉS // TIBET
À PRÈS DE 6 700 M D’ALTITUDE, LE MONT KAILASH CONSTITUE LE POINT
DE CONVERGENCE DES NOMBREUSES ROUTES DE LERINAGE DE HAUTE ASIE.
1 PARÈDRE : CONSORTE, QUAND
LES DIVINITÉS SONT EN UNION CHARNELLE,
LA PARÈDRE EST L’ASPECT FÉMININ.
2 YONI : TOUJOURS DANS LA FÉMINITUDE,
LE YONI EST LE VAGIN EN SANSKRIT SUR
LEQUEL EST POSÉ (SIC) LE LINGAM.
l’autre. Après plusieurs jours de joutes
épiques, il s’avéra qu’aucun des deux ne
pouvait prendre un ascendant définitif et il
fut donc décidé que le premier arriau
sommet du mont Kailash le lendemain à
l’aube serait décla vainqueur.
Juste avant le lever du soleil, les disciples de
Milarépa, inquiets, vinrent le prévenir que
Naro nchung, chevauchant son tambour
de chaman, s’approchait du sommet. Sans
paraître s’en émouvoir outre mesure,
Milarépa d’un claquement de doigts immobi-
lisa Naro nchung dans les airs, puis,
déployant sa robe de coton blanc comme une
voile, il apparut instantanément assis au
sommet du mont Kailash dans la clarté des
premiers rayons du soleil ! Naro Bönchung,
stupéfait, perdit tous ses moyens et roula
avec son tambour au bas de la montagne...
En conclusion, nous disent les Cent mille
chants de Milarépa, Naro Bönchung ayant
perdu le combat, « les Bönpos s’attachèrent
au Chörten Kongsen. Quant aux disciples de
Milarépa, ils gardèrent continuellement le
pouvoir sur la blanche montagne et les deux
lacs ».
Sa grotte de méditation appelée la « grotte
des Miracles » est toujours visitée avec
dévotion par les pèlerins bouddhistes qui
effectuent rituellement le pèlerinage autour
de la montagne.
FESTIVAL DE THARBOCHÉ
Lorsqu’ils découvrent pour la première fois
la montagne sacrée qu’ils ont appelée de
leurs vœux et de leurs prières, pour la
contemplation de laquelle ils ont entrepris
ce dangereuxriple à pied, à cheval ou en
camion depuis les lointaines provinces du
Kham ou de l’Amdo, les pèlerins tibétains
soudain exaltés par cette apparition, se
prosternent dans la poussière et ajoutent une
pierre sur le cairn qui marque la passe
comme le firent tous ceux qui les précédè-
rent. Sans doute bien peu parmi ces lerins
connaissent les subtilités de la métaphysique
bouddhique car, au Kailash comme souvent
comme « la montagne-svastika3» et aujour -
d’hui encore, leslerins quicouvrent la
montagne pour la premre fois tentent de
discerner la Svastika qui orne, selon la vieille
gende Bön, la face sud de la montagne.
LA LUTTE POUR LE KAILASH
Cette mainmise des Bönpos sur le mont
Kailash fut pourtant remise en question s
la fin du premier millénaire avec le renou-
veau du bouddhisme au Tibet. Dès larrivée
au Kailash de Milarépa, le grand yogi
bouddhiste, il apparut que la cohabitation
avec les Bönpos serait impossible. Naro
nchung, représentant la communaun
et Milarépa cirent donc d’éprouver leurs
pouvoirs magiques, le vaincu s’engageant à
abandonner la montagne à la religion de
LA GROTTE DES MIRACLES
(ZOUTROUL PHOUK)
A CONSERVÉ LA MÉMOIRE
DE MILARÉPA, YOGI ET POÈTE
DU XIESIÈCLE QUI ‘OUVRIT
LE KAILASH AUX BOUDDHISTES.
SUR LES DRAPEAUX DE PRIÈRE
ACCROCHÉS AU MÂT MONUMENTAL,
LES SOUHAITS DE TOUT UN PEUPLE
SERONT EMPORTÉS PAR LE VENT
COMME UN ACTE DE RÉSISTANCE
PACIFIQUE (ET SPIRITUELLE), SOUS
LŒIL ATTENTIF DE LA POLICE…
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LORSQU’ILS DÉCOUVRENT POUR LA PREMRE FOIS LA MONTAGNE SACRÉE,
LES PÈLERINS TIBÉTAINS SE PROSTERNENT DANS LA POUSSRE.
3 SVASTIKA : CROIX REPRÉSENTANT LES
QUATRE ÂGES DE LHUMANITÉ (BRONZE,
FER, OR, NOIR), DANS LA MYTHOLOGIE
ARYENNE ET PLUS TARD HINDOUE. HITLER A
PIQUÉ CE SYMBOLE, L’A RETOURNÉ ET L’A
MIS SUR UNE POINTE MAIS LA SVASTIKA
EST UN SYMBOLE DATANT DES PREMIERS
ARYENS (4 000 ANS).
SPÉCIAL TREKS SACRÉS // TIBET
dans son costume de brocart jaune, le grand
ordonnateur charde l’érection du mât
monumental. Comme il nous lexplique: « Je
suis un pasteur nomade de la région du
Kailash et notre clan est en charge du mât de
prière du Kailash depuis des temps immo-
riaux. C’est une tâche difficile, dangereuse
car le mât pèse plus de deux tonnes mais
chaque année nous y parvenons et nous y
parviendrons encore cette année grâce à la
diction des Lamas. »
Sur un geste du maître, des milliers de
pèlerins se sont précipités pour accrocher
au mât, khatas et drapeaux de prière, qui
apportent les souhaits de prospérité, de
longue vie et de santé dune mère alitée, dun
enfant malade, d’une famille en désrence
de toutes les régions du Tibet. Mais déjà le
service d’ordre bouscule les trainards car
au Tibet, la votion prime sur la compré-
hension. Mais ils savent depuis l’enfance que
le Kailash a le pouvoir de leur assurer de
meilleures réincarnations, de purifier toutes
fautes et éventuellement de les conduire à
la grande Liration prêce par le Bouddha.
C’est en général au but du mois de juin
que seroule le festival qui marque l’apo-
e du calendrier religieux au mont Kailash.
De toutes les régions himalayennes, du Kham
ou de l’Amdo et même de Bombay ou du
Gujarat en Inde, des centaines de lerins,
confondus dans une même dévotion, conver-
gent pourbrer en ce jour de pleine lune
l’anniversaire du Bouddha.
L’énorme mât de prière sont accrochés
des milliers de drapeaux de prière a été
amené sous l’œil expert du maître de cérémo-
nie. Pasteur toute l’ane, il est pour un jour,
«KIKI SOSO, LES DIEUX SONT
VICTORIEUX ! » CETTE ANNÉE
ENCORE, AUGURE DE JOURS
MEILLEURS, LE MÂT EST ÉRIGÉ.
BÉNIS PAR LES LAMAS À GRAND
RENFORT DE TSAMPA (FARINE
D’ORGE), LES PÈLERINS
PEUVENT EFFECTUER LA
CIRCUMAMBULATION RITUELLE
DE LA PRÉCIEUSE MONTAGNE
NEIGEUSE (KHANG RINPOCHÉ).
DES MYRIADES DE DRAPEAUX
À PRIÈRE, LONGS RUBANS
MULTICOLORES INSCRITS DES
PRIÈRES DE SOUHAITS, SONT
APPORTÉS À DOS DE YACK POUR
ÊTRE ACCROCHÉS AU MÂT.
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PEU DE LERINS CONNAISSENT LES SUBTILIS DE LA TAPHYSIQUE
BOUDDHIQUE CARAU KAILASH LA DÉVOTION PRIME SUR LA COMPHENSION.
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