L’image de marque employeur perçue
par les salariés
Récits de l’expérience de travail
Mélodie Leconte
Laboratoire du CEROS
Université Paris Ouest Nanterre La Défense
200, avenue de la République 92 001 Nanterre cedex
melodie_leconte@hotmail.fr
06 60 69 76 71
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L’image de marque employeur perçue
par les salariés
Récits de l’expérience de travail
Résumé
Alors que la perception de l’image de marque employeur se fait au prisme de
l’expérience de travail (Pezet & al., 2013), les recherches se sont essentiellement
portées sur l’image perçue par les candidats ou sur les écarts de perception de cette
image avant et après le recrutement délaissant ainsi l’expérience de travail. Dés lors,
cette recherche se propose de comprendre au travers de 12 récits de vie, ce qu’est
une expérience de travail et ce qu’elle nous dit de la perception de l’image de
marque employeur interne. Nous mobilisons la conception pragmatiste de
l’expérience. Nos résultats nous permettent de proposer une nouvelle acceptation de
la notion d’expérience en RH et de montrer que la perception de l’image de marque
employeur interne se manifeste autour de 4 dimensions.
Abstract
While the perception of the employer brand can be considered throughout work
experience (Pezet et al., 2013), previous studies have placed emphasis on the image
perceived by candidates, and on the gaps of the perceived image before and after
recruitment, overlooking thus the work experience. Therefore, this paper investigates
through 12 life stories the significance of work experience and what it has to say
about internal branding perception. We advance the pragmatist concept of
experience. Our results suggest a new acceptance of the concept of experience in
HR and show that the perception of internal employer branding manifest themselves
in four dimensions.
Mots clés :
Image employeur, marque employeur, expérience de travail, pragmatisme, Dewey
Employer image, employer brand, work experience, pragmatism, Dewey
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Introduction
En marketing, la prise de conscience de la centralité de l’expérience dans la
perception de l’image de marque a favorisé l’émergence d’une approche
expérientielle de la consommation (Schmitt, 1999) et plus globalement d’une «
économie de l’expérience » (Pine et Gilmore, 1999). Rien de tel ne s’est produit en
gestion des ressources humaines alors même que le concept de marque employeur
est une transposition des principes marketing de la marque au champ des
ressources humaines (Ambler & Barrow, 1996). La marque employeur reste surtout
étudiée dans une optique de recrutement (Lievens & Slaughter, 2015). L’attention
s’est ainsi essentiellement portée sur la perception des candidats, avec, pour
corollaire, la mise en œuvre pour nombre d’entreprises de stratégies de
communication de la marque employeur en vue d’accroître leur attractivité
organisationnelle. Mais dans un contexte de transformation marketing de l’entreprise,
la notion d’ « expérience salariée » trouve un nouvel écho. Orange a ainsi un
directeur de l’expérience salarié. Inspirée de l’ « expérience client », cet usage du
mot expérience suppose de la part de ceux qui l’emploient, une similitude des
expériences de consommation et des expériences de travail. Mais l’expérience de
travail impacte plus largement et plus longuement la vie du salarié. Changer d’emploi
engendre un risque beaucoup plus important qu’un changement de produit. C’est
aussi une expérience dont l’analyse ne peut se circonscrire à elle-même ; comme
nous pouvons délimiter l’expérience de consommation. Il n’en reste pas moins que le
salarié contribue fortement à l’existence de l’emploi et du poste qu’il occupe. Il est,
avec son employeur, co-responsable de la réalisation de ses missions et il participe à
la qualité de son travail. Il n’est donc pas un acteur passif, il vit son travail et la
perception de l’image de marque employeur se fait au prisme de l’expérience de
travail (Pezet & al., 2013). Malgré l’intérêt du concept, tant théorique que managérial,
l’expérience de travail souffre d’un déficit de conceptualisation et sa contribution à la
perception de l’image de marque employeur n’est pas étudiée. A partir d’une
recherche qualitative basée sur des récits de vie, nous cherchons à comprendre ce
qu’est une expérience de travail et ses interactions avec l’image de marque
employeur interne. Pour ce faire, nous recourons à la conception pragmatiste de
l’expérience.
1. Image de marque employeur et philosophie pragmatiste
Cette première partie sera l’objet d’une présentation de la philosophie pragmatiste et
du concept d’expérience tels que conçus par John Dewey, puis nous dresserons un
portrait de l’image de marque employeur.
1.1. Les apports de la philosophie pragmatiste à la compréhension de
l’expérience de travail
L’apport de l’héritage pragmatiste à l’étude empirique du travail a été mobilisé
par des chercheurs en sciences de gestion (Lorino, 2013 ; Journé, 2007 ; Journé et
Raulet-Croset, 2008, 2012) mais ces travaux ont pour point commun de mobiliser les
concepts de situation et d’enquête. Notre intérêt se porte sur la conception
pragmatiste de l’expérience portée par la philosophe américain John Dewey pour
comprendre le travail comme expérience.
1.1.1. Détours par les usages de la notion d’expérience en ressources
humaines et en marketing
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La manière dont les praticiens et les chercheurs en ressources humaines se sont
emparés du mot expérience s’est inscrit, jusqu’il y a peu, exclusivement dans une
acceptation du mot renvoyant au sens commun, à l’expérience comme savoir cumulé
à partir des expériences préalables. En ce sens, l’expérience fait référence à la
dimension empirique du mot et à la locution « avoir l’expérience de ». Dans une
optique de recrutement, c’est l’efficacité pragmatique de l’individu qui prime avant
tout. Plus récemment, et sous l’influence du développement du marketing RH, les
praticiens des ressources humaines se sont ré-emparés du mot « expérience » et ils
évoquent volontiers l’ « expérience salarié » ou l’ « expérience candidat ». Inspirée
de l’ « expérience client », l’accent est d’avantage mis sur le processus de
l’expérience plutôt que sur son sultat et fait référence à la locution « faire
l’expérience de ». Cette acceptation du mot est d’abord apparue en sciences de
gestion dans le champ de la consommation avec l’article séminal de Holbrook et
Hirschman (1982). Carù et Cova (2002) définissent l’expérience de consommation
comme « un vécu personnel –souvent chargé émotionnellement - fondé sur
l’interaction avec des stimuli que sont les produits ou les services rendus disponibles
par le système de consommation ». En s’inspirant des travaux de Dewey, Schmitt
(1999), le fondateur du marketing expérientiel, postule que l’expérience de
consommation constitue une interaction entre un individu et un objet qui peut être
décomposée en cinq activités expérientielles indépendantes (Schmitt, 1999 ; Camelis,
2009) : sensorielles (sens), émotionnelles (feel), comportementales (act), cognitives
(think) et sociales (relate). Mais l’expérience selon Dewey ne peut se réduire à sa
multidimensionnalité qui ne constitue qu’une des cinq dimensions de l’expérience
deweyenne.
1.1.2. Le recours à une conception enrichie de l’expérience avec John Dewey
La philosophie pragmatiste s’appuie sur l’héritage de l'Origine des espèces de
Charles Darwin, pour qui, la connaissance est contingente et adaptative. Elle est un
processus d'interaction, elle est créative, ouverte et socialisée. Il s’agit pour les
pragmatistes d’en finir avec les ensembles clos et les dualismes tels que le corps et
l’esprit ou le scientifique et le sens commun, la théorie et la pratique. La
connaissance, même scientifique, est accessible dans et par l’expérience qualitative
et non par la raison pure. Le rationnel est en quelque sorte second, il est mobilisé
dans l’observation des faits et des résultats concrets pour juger. Mais si le contenu
de la connaissance ne peut être définitivement fixé, il fait référence à une réalité
expériencée qui correspond ainsi « à l'adéquation entre une idée et un fait saisi
comme une signification » (Cormier, 2012). L’expérience deweyenne est définie
comme cette interaction entre un sujet et un objet permettant de définir les effets
pratiques de cet objet (Dewey, 2010). Cette interaction se caractérise par un double
impact. D’une part, l’action de l’individu sur l’environnement, ce que Dewey
dénomme l’ « agir » et d’autre part, l’action de l’environnement sur le sujet : l’ «
éprouver » (Dewey, 1934, 2010). Selon cette dialectique entre agir et éprouver,
Zimmermann (2014), sociologue, conçoit l’expérience de travail selon deux
dimensions. D’une part, l’expérience de travail renvoie au fait d’avoir l’expérience
professionnelle, nommée « expérience-acquisition », et d’autre part comme le fait de
faire l’expérience du travail, appelée « expérience-épreuve ». Mais c’est dans le
domaine de la pédagogie que la théorie de l’expérience de Dewey a eu, et continue
d’avoir, le plus de portée. Dans ce champ de recherche, Zeitler et Barbier (2012)
dresse une liste des principes organisateurs de l’expérience deweyenne : (i)
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l’expérience possède une double face en tant que processus, l’expérience est active
et passive, le sujet agit sur son environnement et éprouve les conséquences de son
action ; (ii) l’expérience consiste pour l’individu à établir une mise en relation de sens
entre l’action et les conséquences de son action sur le monde ; (iii) l’expérience est
continue, l’expérience mobilise le passé tout en étant tournée vers l’avenir ; (iv)
l’expérience est à la fois objective et subjective, le sujet et l’objet sont co-transformés
au cours de l’expérience ; (v) l’expérience est multi-dimensionnelle. L’expérience est
à la fois cognitive, émotionnelle, sociale et faite de sensations et comportements.
Quels seraient les apports de la conception deweyenne de l’expérience à la
compréhension de la perception de l’image employeur interne? Dressons tout
d’abord un portrait de l’image de marque employeur.
1.2. L’image de marque employeur
1.2.1. Le concept d’image de marque employeur et sa mesure
La marque employeur est définie comme l’ensemble des avantages fonctionnels,
économiques et psychologiques inhérents à l’emploi, grâce auxquels une entreprise
employeur est identifiée (Ambler et Barrow, 1996). Cette définition fait aujourd’hui
consensus. Si l’identité est le concept d’émission de ce qu’est la marque, l’image est
le concept de réception par un public cible de ce qu’est la marque (Viot & Benraïss,
2014). Les théoriciens de la marque employeur distinguent trois facettes de l’image
de marque employeur : l’image interne, l’image externe et l’image externe interprétée
(Lievens & al., 2007 ; Knox & Freeman, 2009). L’image interne correspond à l’image
perçue par les employés actuels de l’organisation, l’image externe est celle perçue
par les employés potentiels et l’image externe interprétée résulte de l’idée que se
font les salariés actuels de l’image perçue par les personnes extérieures à
l’organisation. Dans l’optique de mesurer la perception de cette image, de
nombreuses échelles de mesure ont vu le jour (Viot & Benraïss, 2014). La mesure de
l’image de marque employeur est principalement réalisée selon deux approches
(Lievens et Slaughter, 2015). La première, multidimensionnelle, consiste à reprendre
la cadre instrumental-symbolique (Lievens et Highhouse, 2003 ; Lievens & al., 2007)
développé dans le domaine marketing pour comprendre les comportements de choix
de marque des consommateurs (Aaker, 1999 ; Keller, 1993 ; Park, Jaworski et
MacInnis, 1986 ; Park & Srinivasan, 1994) et la seconde, unidimensionnelle,
opérationnalise le concept d’image de marque employeur en mesurant l’attractivité
organisationnelle d’un employeur (Berthon & al., 2005 ; Knox & Freeman, 2006 ; Roy,
2008 ; Maxwell & Knox, 2009). Ces deux approches ont pour point commun de
développer des outils de mesure élaborés à partir d’une liste d’attributs devant
permettre de comprendre les sources d’attrait d’un individu pour une marque. Cette
liste d’attributs varie d’une étude à une autre mais ils peuvent être regroupés sous
quatre dimensions : l’intérêt du travail, l’ambiance de travail, l’opportunité de
développement et les avantages économiques (Charbonnier-Voirin & Vignolles,
2014). Ces échelles évaluent essentiellement des attributs ou des bénéfices reliés à
l’emploi et ne reprennent que partiellement les échelles de mesure développées en
marketing. Pourtant l’image de marque employeur est un concept qui se compose de
l’image de l’emploi mais qui ne s’y réduit pas (Viot & Benraïss, 2014).
1.2.2. Des recherches focalisées sur la perception des candidats de l’image
employeur
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