3
La manière dont les praticiens et les chercheurs en ressources humaines se sont
emparés du mot expérience s’est inscrit, jusqu’il y a peu, exclusivement dans une
acceptation du mot renvoyant au sens commun, à l’expérience comme savoir cumulé
à partir des expériences préalables. En ce sens, l’expérience fait référence à la
dimension empirique du mot et à la locution « avoir l’expérience de ». Dans une
optique de recrutement, c’est l’efficacité pragmatique de l’individu qui prime avant
tout. Plus récemment, et sous l’influence du développement du marketing RH, les
praticiens des ressources humaines se sont ré-emparés du mot « expérience » et ils
évoquent volontiers l’ « expérience salarié » ou l’ « expérience candidat ». Inspirée
de l’ « expérience client », l’accent est d’avantage mis sur le processus de
l’expérience plutôt que sur son résultat et fait référence à la locution « faire
l’expérience de ». Cette acceptation du mot est d’abord apparue en sciences de
gestion dans le champ de la consommation avec l’article séminal de Holbrook et
Hirschman (1982). Carù et Cova (2002) définissent l’expérience de consommation
comme « un vécu personnel –souvent chargé émotionnellement - fondé sur
l’interaction avec des stimuli que sont les produits ou les services rendus disponibles
par le système de consommation ». En s’inspirant des travaux de Dewey, Schmitt
(1999), le fondateur du marketing expérientiel, postule que l’expérience de
consommation constitue une interaction entre un individu et un objet qui peut être
décomposée en cinq activités expérientielles indépendantes (Schmitt, 1999 ; Camelis,
2009) : sensorielles (sens), émotionnelles (feel), comportementales (act), cognitives
(think) et sociales (relate). Mais l’expérience selon Dewey ne peut se réduire à sa
multidimensionnalité qui ne constitue qu’une des cinq dimensions de l’expérience
deweyenne.
1.1.2. Le recours à une conception enrichie de l’expérience avec John Dewey
La philosophie pragmatiste s’appuie sur l’héritage de l'Origine des espèces de
Charles Darwin, pour qui, la connaissance est contingente et adaptative. Elle est un
processus d'interaction, elle est créative, ouverte et socialisée. Il s’agit pour les
pragmatistes d’en finir avec les ensembles clos et les dualismes tels que le corps et
l’esprit ou le scientifique et le sens commun, la théorie et la pratique. La
connaissance, même scientifique, est accessible dans et par l’expérience qualitative
et non par la raison pure. Le rationnel est en quelque sorte second, il est mobilisé
dans l’observation des faits et des résultats concrets pour juger. Mais si le contenu
de la connaissance ne peut être définitivement fixé, il fait référence à une réalité
expériencée qui correspond ainsi « à l'adéquation entre une idée et un fait saisi
comme une signification » (Cormier, 2012). L’expérience deweyenne est définie
comme cette interaction entre un sujet et un objet permettant de définir les effets
pratiques de cet objet (Dewey, 2010). Cette interaction se caractérise par un double
impact. D’une part, l’action de l’individu sur l’environnement, ce que Dewey
dénomme l’ « agir » et d’autre part, l’action de l’environnement sur le sujet : l’ «
éprouver » (Dewey, 1934, 2010). Selon cette dialectique entre agir et éprouver,
Zimmermann (2014), sociologue, conçoit l’expérience de travail selon deux
dimensions. D’une part, l’expérience de travail renvoie au fait d’avoir l’expérience
professionnelle, nommée « expérience-acquisition », et d’autre part comme le fait de
faire l’expérience du travail, appelée « expérience-épreuve ». Mais c’est dans le
domaine de la pédagogie que la théorie de l’expérience de Dewey a eu, et continue
d’avoir, le plus de portée. Dans ce champ de recherche, Zeitler et Barbier (2012)
dresse une liste des principes organisateurs de l’expérience deweyenne : (i)