Communiqué de presse Destinataires : Urologues du Canada 27 octobre 2014 Chers collègues, Comme vous le savez sans doute, le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs (GECSSP; autrefois connu sous le nom de Groupe de travail canadien sur l’examen médical périodique ou GTCEMP) a récemment émis des lignes directrices sur la mesure de l’antigène prostatique spécifique (APS). Les recommandations de ce groupe, destinées aux cliniciens et aux décideurs, s’appliquent à tous les hommes n’ayant jamais reçu de diagnostic de cancer de la prostate. Elles sont formulées comme suit : 1. Il est recommandé de ne pas recourir à la mesure de l'APS pour le dépistage du cancer de la prostate chez les hommes de moins de 55 ans (forte recommandation; données probantes de faible qualité). 2. Il est recommandé de ne pas recourir à la mesure de l'APS pour le dépistage du cancer de la prostate chez les hommes de 55 à 69 ans (faible recommandation; données probantes de qualité moyenne). 3. Il est recommandé de ne pas recourir à la mesure de l'APS pour le dépistage du cancer de la prostate chez les hommes de 70 ans et plus (forte recommandation; données probantes de faible qualité). Dans le rapport sommaire du GECSSP, il est indiqué (a) qu’il n’existe aucune donnée montrant que la mesure de l’APS réduit la mortalité globale chez les hommes, peu importe l’âge; (b) qu’il existe des données contradictoires portant à croire à une réduction potentielle faible mais incertaine de la mortalité liée au cancer de la prostate chez les hommes de 55 à 69 ans; (c) qu’il n’existe aucune donnée convaincante évoquant une quelconque réduction de la mortalité liée au cancer de la prostate dans les autres groupes d’âge; et (d) qu’il existe des données cohérentes montrant que le dépistage et le traitement actif ont des effets néfastes. La mesure de l’APS est une épreuve controversée, et ces recommandations ne sont pas sans rappeler celles de la Preventive Services Task Force des États-Unis. Cela dit, bon nombre de cliniciens traitant des cas de cancer de la prostate s'attendaient à une recommandation plus positive, étant donné ce qui suit : les données de niveau 1 évoquant une réduction du nombre de décès liés au cancer de la prostate recueillies dans des essais de phase III avec randomisation1; la réduction de 45 % du nombre de décès liés au cancer de la prostate au Canada depuis 1995; et l’adoption à grande échelle de la surveillance active dans les cas à faible risque au Canada2. Page 1 sur 6 Processus utilisé par le GECSSP : Pour la formulation de ses recommandations, le Groupe d’étude a voulu déterminer le rapport risques/avantages de la mesure de l'APS. Fait important à noter, le Groupe d’étude ne comptait parmi ses membres aucun clinicien ni chercheur spécialisé dans le cancer de la prostate. Le processus d'élaboration des recommandations incluait bien une revue exhaustive des articles publiés, mais le GECSSP s'est concentré sur les résultats d'essais prospectifs avec randomisation, et à notre avis, a mis de côté beaucoup de données jugées irréfutables par ceux qui œuvrent dans le domaine. Les paragraphes suivants résument ces données. Nos sources de préoccupation : Les recommandations se prononcent fortement contre la mesure de l’APS chez les hommes de moins de 55 ans, tout en reconnaissant que cette conclusion est fondée sur des données de piètre qualité. Cette recommandation ne tient pas compte de données probantes tirées d’études suédoises en population montrant que le taux d’APS au départ est un puissant facteur de prédiction du risque futur de cancer de la prostate 20 à 30 ans plus tard, justifiant ainsi des mesures moins fréquentes chez les hommes affichant de faibles taux d'APS3. 1. Le Groupe d’étude affirme que les essais avec randomisation ne montrent pas de réduction de la mortalité globale. Ce commentaire est trompeur puisqu’aucun des essais portant sur le dépistage n'avait la puissance statistique pour faire ressortir une telle réduction de la mortalité globale. Ainsi, un essai conçu pour avoir une puissance de 80 % pour déceler une baisse de 50 % dans la mortalité liée au cancer après 10 ans, soit passant de 1 à 0,5 %, dans une population affichant une mortalité globale de 20 % après 10 ans, aurait en fin de compte une puissance inférieure à 10 % pour déceler une différence dans la mortalité toutes causes confondues. Ainsi, l'absence d'une réduction de la mortalité globale ne doit pas être vue comme une lacune. 2. Le document reconnaît que deux des essais de plus haute qualité ont noté une réduction de la mortalité liée spécifiquement au cancer de la prostate, alors que quatre essais de qualité inférieure n’ont observé aucune différence entre les groupes témoins et les groupes ayant subi la mesure de l’APS. Entre autres lacunes, la contamination des données de l’essai PLCO, qui pourrait aller jusqu’à 85 % selon certains, signifie que cet essai ne devrait pas être considéré comme équivalant à l’étude de l’ERSPC. Autrement dit, le GECSSP a observé que les données les plus probantes pointaient vers une réduction des décès liés au cancer de la prostate; néanmoins, les recommandations affirment qu’il existe des données contradictoires évoquant une réduction potentielle faible et incertaine de la mortalité liée au cancer de la prostate. L’énoncé confirmant la réduction de la mortalité en lien avec la mesure de l’APS observée dans les essais de grande fiabilité va à l’encontre de l’énoncé dans les recommandations finales voulant qu’il n’existe pas de données montrant clairement une réduction de la mortalité. 3. L’examen des données minimise l’avantage du dépistage lorsqu'il chiffre à 1,28 le nombre de décès évités pour 1000 hommes ayant subi le dépistage. Le rapport publié à la suite de l'essai avec randomisation de Göteborg indique qu’après un suivi de 14 ans, le nombre de patients devant recevoir un diagnostic pour chaque Page 2 sur 6 décès évité est de 124, et il est de 5 selon une analyse portant sur les patients en santé ayant subi la mesure de l’APS dans l’essai PLCO. La réduction ajustée de la mortalité (corrigée pour tenir compte de la non-observance) dans l’étude de l’ERSPC était de 27 % après 13 ans; les recommandations du Groupe d’étude font état d’un taux non ajusté de 21 %. 4. Les données concernant une réduction des cas de métastases sont également importantes pour les patients, mais n’ont pas été incluses5. En outre, les courbes de mortalité en fonction du temps dans les essais de l’ERSPC et de Göteborg continuent de diverger à mesure que se prolonge le suivi. Les recommandations actuelles ne peuvent reposer sur l’attente légitime voulant que les avantages observés soient accrus avec un suivi plus long, mais il est logique que cette attente influe sur la force des recommandations. 5. L’allégation sans fondement voulant que la réduction de la mortalité soit peu susceptible d'être attribuable à la mesure de l’APS et plus probablement liée aux progrès en matière de traitement va à l'encontre des données publiées. Des études de modélisation épidémiologique attribuent constamment de 40 à 75 % de la baisse de mortalité au recours à la mesure de l’APS6, et seulement 20 à 33 % aux modifications apportées aux traitements. 6. La surveillance active est une approche largement utilisée au Canada. Ce fait est passé sous silence dans le document. De toute évidence, l'utilisation très répandue de la surveillance dans les cas de cancer de faible grade au pays est un élément pertinent. En conclusion, les meilleurs essais menés jusqu’à présent, qui sont toujours en cours, ont montré que le dépistage par la mesure de l'APS réduit de 21 à 44 % les décès liés au cancer de la prostate. Recommander de ne pas procéder à cette mesure sous prétexte que les données publiées ne montrent pas de façon convaincante que le dépistage par mesure de l’APS réduit la mortalité liée au cancer de la prostate est une fausse piste et témoigne d’erreurs de sélection de données, d’omissions, d’erreurs dans l’interprétation et dans les calculs statistiques. La mesure de l’APS a eu de grandes répercussions sur la mortalité liée au cancer de la prostate, mais elle comporte aussi le risque d’effets néfastes chez les patients qui sont peu susceptibles d’en tirer des avantages. À notre avis, les recommandations suivantes conviennent davantage à la population canadienne : 1. Éviter la mesure de l’APS chez les hommes qui ont peu à gagner à subir ce test. Après avoir évalué les risques et avantages potentiels, les hommes qui décident de subir une telle mesure et affichent une faible valeur (< 1,0 au départ) devraient subir ce test peu fréquemment, soit environ une fois par 5 ans. Les hommes dont l’espérance de vie est inférieure à 15 ans (habituellement les hommes de plus de 70 ans) ne devraient pas subir ce test sauf si une mesure antérieure a révélé des taux élevés d’APS. Les hommes dont le taux d'APS est supérieur à la valeur médiane pour leur âge mais situé en deçà du seuil biopsique devraient se voir conseiller de subir des mesures de l’APS plus souvent, en plus d'une évaluation des risques. Page 3 sur 6 2. Le toucher rectal est utile pour le dépistage de nombreux troubles anaux et rectaux, ainsi que des anomalies prostatiques, dont le cancer de la prostate. Il faut donc continuer de procéder au toucher rectal de façon systématique lors des examens physiques réguliers. 3. Il ne faut pas traiter les hommes atteints d’un cancer de la prostate à faible risque, ou les hommes âgés atteints d’un cancer de la prostate à risque modéré, qui sont peu susceptibles de tirer avantage d’un traitement. Une faible recommandation contre l’usage répandu de la mesure de l’APS chez les hommes de 55 à 69 ans porte à croire à une incertitude concernant la valeur de ce test, et une discussion entre le patient et le fournisseur de soins devrait avoir lieu pour peser le pour et le contre. Ces recommandations laissent aux cliniciens la possibilité d'offrir la mesure de l'APS aux patients courant un risque élevé ou ceux qui souhaitent réduire leur probabilité de décéder d'un cancer de la prostate. Par ailleurs, nous reconnaissons que les recommandations du GECSSP constituent un document en évolution; le processus du Groupe d’étude comprend un nouvel examen des recommandations en cas de publication de nouvelles données. Nous sommes persuadés que le GECSSP passera tôt ou tard en revue ses recommandations à mesure que progresse l’étude de l’ERSPC, que de nouveaux tests remplaceront de plus en plus les biopsies et amélioreront la stratification du risque, et que la morbidité liée au traitement sera atténuée par l’arrivée de nouvelles méthodes minimalement invasives. Signé par : Laurence Klotz, Rodney Breau, Joseph Chin, Antonio Finelli et Martin Gleave au nom de l’Association des urologues du Canada Laurence Klotz, division d’urologie, Sunnybrook Health Sciences Centre, Université de Toronto, Toronto, Ontario. Rodney Breau, division d'urologie, département de chirurgie, Hôpital d'Ottawa, et Institut de recherche de l'Hôpital d'Ottawa, Ottawa, Ontario. Joseph Chin, division d’urologie, Schulich School of Medicine and Dentistry, Université Western, London, Ontario. Antonio Finelli, division d’urologie, département d’oncologie chirurgicale, University Health Network, Toronto, Ontario. Martin Gleave, The Vancouver Prostate Centre and Department of Urologic Sciences, Université de la Colombie-Britannique, Vancouver, C.-B. Les énoncés quant aux conflits d'intérêts peuvent être fournis sur demande. Personne-ressource : Page 4 sur 6 Tiffany Pizioli Directrice exécutive de l’AUC 185, avenue Dorval Bureau 401 Dorval (Québec) H9S 5J9 Cellulaire : 514-813-8850 Références 1. Schröder FH, Hugosson J, Roobol MJ et al. Screening and prostate cancer mortality: results of the European Randomised Study of Screening for Prostate Cancer (ERSPC) at 13 years of follow-up. Lancet 2014 Aug 6. http://dx.doi.org/10.1016/S01406736(14)60525-0 2. Siegel R, Ma J, Zou Z et al. Cancer statistics. CA Cancer J Clin 2014;64:9-29. 3. Lilja H, Cronin AM, Dahlin A, et al. Prediction of significant prostate cancer diagnosed 20 to 30 years later with a single measure of prostate-specific antigen at or before age 50. Cancer 2010;117:1210-9. 4. Hugosson J, Carlsson S, Aus G et al. Mortality results from the Göteborg randomised population-based prostate-cancer screening trial. Lancet Oncol 2010;11:725-32. 5. Schröder FH, Hugosson J, Carlsson S et al. Screening for prostate cancer decreases the risk of developing metastatic disease: findings from the European Randomized Study of Screening for Prostate Cancer (ERSPC). Eur Urol 2012;62:745-52. 6. Etzioni R, Gulati R, Tsodikov A et al. The prostate cancer conundrum revisited: treatment changes and prostate cancer mortality declines. Cancer 2012;118:595563. Propositions de publications récentes et d'excellente qualité sur le sujet : Wilt TJ, Scardino PT, Carlsson SV et al. Prostate-specific antigen screening in prostate cancer: perspectives on the evidence. J Natl Cancer Inst 2014;106(3). Un excellent sommaire objectif des données pour et contre la mesure de l’APS pour le dépistage du cancer, rédigé par un membre de la USPSTF et plusieurs défenseurs bien connus de ce test. Etzioni RD, Thompson IM. What do the screening trials really tell us and where do we go from here? Urol Clin North Am 2014;41:223-8. Une analyse faite par un épidémiologiste et un urologue; une perspective très équilibrée de la question. Hayes JH, Barry MJ. Screening for prostate cancer with the prostate-specific antigen test: a review of current evidence. JAMA 2014;311:1143-9. Un épidémiologiste et un épidémiologiste clinique évaluent les données pour et contre la mesure de l'APS dans le dépistage du cancer. Page 5 sur 6 Schröder FH. ERSPC, PLCO studies and critique of cochrane review 2013. Recent Results Cancer Res 2014;202:59-63. Le principal chercheur de l’ERSPCI passe en revue et critique la revue Cochrane sur le sujet. Vickers A, Carlsson S, Laudone V et al. It Ain't What You Do, It's the Way You Do It: Five Golden Rules for Transforming Prostate-Specific Antigen Screening. Eur Urol 2014;66:188-90. Une approche pratique et rationnelle de la mesure de l’APS par deux épidémiologistes et un biochimiste. 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