Le cahier pédagogique de Top Girls

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Création
"Top Girls"
Texte de Caryl Churchill
Traduction et dramaturgie de
Stéphane Michaka
Mise en scène de Marion Coutarel
Production Théâtre de la Remise
Sommaire
page
A. Informations pratiques
Les différentes dates de rencontre avec la compagnie
1
La compagnie et la distribution
2
L'auteur
5
B. Éléments de compréhension
Résumé de la pièce
7
Questions autour de la pièce
8
Pourquoi monter "Top Girls" aujourd'hui
9
Historique des droits de la femme
11
C. Analyse de la pièce
L'approche de la compagnie
13
Les pistes de dramaturgie
14
La pièce et son contexte
16
Extraits de la pièce
19
Notes
20
1
A. Informations générales
Les représentations:
Au Théâtre d’O de Montpellier
Salle Paul Puaux
mardi 11 mars 2008 –20h30
mercredi 12 mars 2008 – 19h00
jeudi 13 mars 2008 – 20h30
vendredi 14 mars 2008 – 20h30
Les rencontres artistes et publics :
Rencontre Café : mercredi 5 Mars, entre 12h40 et 13h40
Rencontre plateau : Jeudi 13 Mars, à l’issue de la représentation
Les rencontres pour les élèves du collège de Jeu de Mail
Médiations (visite du théâtre, rencontre avec la compagnie,
répétition) :
jeudi 6 mars 2008 de 9h à 11h
Représentations :
Jeudi 13 m ars à 20h30
2
La compagnie "Théâtre de la Remise" :
Le théâtre de la Remise a été créé par un collectif d'acteurs. Dès le
début, les acteurs et collaborateurs de la compagnie se sont attachés à
la recherche de leur propre langage théâtral : décalage des actions
quotidiennes, écriture des gestes, univers sonore et musical très
présent, travail d'improvisation.
Elle compte parmi ses créations :
 "Comment ne pas perdre la tête?"
 "Un jour ressurgiront les caresses"
 "Je vous laisse 20 secondes", avec des textes de Jean Cagnard
 "Viens plus près", d'après plusieurs œuvres de Virginia Woolf
 "Ne reste pas là bouche bée ou le vent va changer… ", solo à la
fenêtre
La compagnie est soutenue par la Direction Régionale des Affaires
Culturelles (D.R.A.C.) et la Région Languedoc-Roussillon, ainsi que par
le Conseil Général de l'Hérault
Distribution de la création :
- Mise en scène : Marion Coutarel
- Traducteur et dramaturge : Stéphane Michaka
- Lumières : Serge Oddos
- Scénographe, constructeur, peintre :
Muriel Chircop, Laurent Carcedo
- Costumes : Caroline Amar et Aline Ehrsam
- Musique : LaBulo (duo électro-acoustique)
3
- Avec :
- Sophie Talayrac : Isabella Bird, Jeanine, Madame Kidd
- Sandrine Barciet : Dull Gret, Louise, Joyce
- Aglaïa Romanovskaïa : La Papesse Jeanne, Win
- Marie Nosmas : La serveuse, Angie
- Delphine Maurel : Marlène
- Maxence Rey : Dame Nijo, Nell
- Claire Ningres : Patiente Griselda, Kit, Shona
 Marion Coutarel:
Comédienne, metteur en scène, elle axe son travail autour du
langage corporel. En 1997, elle fonde le Théâtre de la Remise
avec un collectif de créateurs. Elle pratique la danse
contemporaine et le théâtre gestuel (Théâtre du Mouvement,
Joseph Houben - école Jacques Lecoq). Depuis quelques années,
elle mène un travail théâtral dans le champ de la déficience
mentale avec des Centres d'aide pour le travail (CAT) et Instituts
médico-éducatifs (IME) en Languedoc Roussillon et dans le cadre
du projet "culture à l'hôpital psychiatrique" de St Alban sur
Limagnole.
Directrice artistique du Théâtre de la Remise, elle est aussi
interprète pour des compagnies régionales (Compagnie Pourquoi
pas - Les Thélémites, Enfance et théâtre, Compagnie de l'Echarpe
blanche.)
4
 Stéphane Michaka :
Stéphane Michaka a étudié la littérature et le théâtre à l'université
de Cambridge. Plusieurs de ses pièces ont été montées et
radiodiffusées : "Lisèle", "En l'absence d’un clown" et "La fille de
Carnegie", lauréate du concours Beaumarchais-France Culture,
publiée par l'Avant-Scène Théatre et lue au théâtre du Rond Point.
Pour le Théâtre de la Remise, il a écrit des pièces jeunesse :
- "Les enfants du docteur Misteltoe"
- "Les 7 de la racaille"
- "Le trésor de coquin de sort"
- "Achab et moi"
Boursier du Centre national du livre (commission théâtre),
Stéphane Michaka a également écrit "Le Cinquième archet", publié
en 2007 par l'Avant-Scène. Adapté de sa propre pièce "La Fille de
Carnegie", son premier roman est publié chez Rivages en
septembre 2008.
5
Extrait du dossier de la compagnie consacré à "Top Girls"
L’auteur :
Née à Londres en 1938, Caryl Churchill grandit au Canada puis
revient en Angleterre pour suivre des études de littérature à
l'Université d'Oxford.
Elle écrit alors ses premières pieces : "Downstairs" (En bas),
"You've No Need to be Frightened" (Vous n'avez pas besoin
d'être effrayé). Elle compose ensuite de courtes pièces
radiophoniques pour la BBC : "The Ants" (Les fourmis),
"Lovesick" (Amour). Elle écrit également pour la télévision.
Mariée, mère de trois garçons, elle se dirige au début des
années 1970 vers la scène et travaille comme auteur en
résidence au Royal Court Theatre de Londres en 1974. Elle
collabore également aux travaux de compagnies telles que
Joint Stock et Monstrous Regiment, dont le mode de création
repose principalement sur des ateliers d'improvisation avec des
auteurs. Durant cette période de recherche et de travail intense,
elle écrit de nombreuses pièces qui deviendront des succès.
Entre autres, "Light Shining on Buckinghamshire" et "Vinegar
Tom" en 1976, en 1982 "Top Girls", qui reste aujourd’hui sa
pièce la plus célèbre, "Fen" en 1983, "A Mouthful of Birds" en
1986 et "Serious Money" en 1987, couronnée à cinq reprises
meilleure pièce de l'année. Elle est la seule auteur britannique a
avoir eu trois pièces jouées simultanément à New York.
Devenue auteure dramatique reconnue, Caryl Churchill
continue d'animer des « workshops » (ateliers de recherche) qui
l'aident dans son écriture. Ainsi, par exemple, "Mad Forest" est
écrit après un voyage en Roumanie en 1990. En 1994, elle écrit
"The Skriker" ; en 1999, "Far Away", mis en scène par Peter
Brook au Théâtre des Bouffes du Nord (traduction française
parue chez Actes Sud) ; en 2002, "A Number", qui aborde la
question de la manipulation génétique et de l’identité
individuelle. Sa pièce "A Dream Play", créée au National
Théâtre en 2005, est une nouvelle version du "Songe" de
Strindberg.
Caryl Churchill est un auteur de premier plan qui se singularise
par la finesse de son style et son humour quasi surréaliste. La
satire politique et une poésie visuelle d’une grande force
théâtrale distinguent ses pièces. La notice qui lui est consacrée
6
dans l’anthologie "Contemporary British Dramatists" (1994)
signale sa singularité en même temps que son souci du public :
« Ses pièces sont souvent savoureuses, libres dans leur
propos, aiguës dans leur critique des institutions et de la
société. On y perçoit l’influence du théâtre expérimental
britannique de la fin des années 60. Churchill écrit un théâtre
alternatif, qui sait être commercial tout en restant polémique. »
Parmi ses textes et mises en scène récentes dans le monde
francophone :
"Un grand nombre" (Copies), mise en scène de Catherine
Hargreaves, Théâtre Les Ateliers, Lyon, 2008
"C'est un état de siège", mise en scène de Gianni Schneider,
Théâtre Arsenic de Lausanne (Suisse), 2006 .
"Top Girls", mise en scène de Martine Beaulne, Espace Go de
Montréal (Canada), 2005.
"Copies", mise en scène d’Adrian Brine, Théâtre du Rideau de
Bruxelles (Belgique), 2005.
En France, le metteur en scène Paul Golub a créé Fen et
Septième Ciel en 1990 et 1992 au Théâtre du Chaudron
(Cartoucherie de Vincennes). En 2005, France Culture diffuse
plusieurs pièces courtes de Caryl Churchill et un extrait de
Septième Ciel, dans une réalisation de Jacques Taroni.
Ses pièces "Septième ciel", "Copies" et "Top Girls" sont éditées
par l’Arche.
7
B. Éléments de compréhension de la pièce
Résumé de la pièce:
Acte 1
Dans un restaurant de Londres en 1982. Marlène, 33 ans, fête
sa promotion à un poste de direction dans la firme de
recrutement "Top Girls". Cinq autres femmes, réelles ou
fictives, toutes issues d’époques différentes, sont venues
célébrer la promotion de Marlène : Isabella Bird, qui a
parcouru le monde entre 1870 et 1900 ; Dame Nijo, courtisane
de l’Empereur du Japon au 13ième siècle ; Dull Gret,
personnage d’un tableau de Bruegel ; la Papesse Jeanne, qui
aurait été pape sous une apparence masculine entre 854 et
856 ; et la Douce Griselda, figure de l’épouse obéissante,
héroïne d’un conte du poète médiéval anglais Chaucer et du
Décaméron de Boccace.
Ces cinq femmes « historiques » racontent leurs expériences
et, sous le coup de l’alcool, passent d’une humeur festive à
une mélancolie douloureuse, fruit de leur condition de femmes
humiliées, asservies, toujours en lutte pour préserver leur
dignité et leur progéniture.
Acte 2
On retrouve Marlène dans ses bureaux, confrontée à ses
clientes et à ses collègues. Sa promotion la plonge dans des
situations inédites, dans lesquelles elle s’impose, mais qui font
écho aux avanies subies par les femmes qui l’entouraient au
dîner. Marlène démontre, par sa rude efficacité, qu’elle n’a rien
à envier aux hommes.
Marlène a une nièce, Angie, adolescente perturbée qui vit à la
campagne avec Joyce, sa mère (Joyce est la sœur de
Marlène). Marlène voit rarement sa nièce et se trouve
embarrassée lorsque celle-ci surgit dans son quotidien. A la fin
de ce deuxième acte, Marlène prédit pour Angie un avenir
sombre : « Elle va pas s’en sortir. »
8
Acte 3
Un flash-back nous fait découvrir dans quelles circonstances
Marlène, un an auparavant, a rendu visite à Angie et Joyce.
Une dispute survient entre les deux sœurs : Joyce ne
pardonne pas à Marlène de l’avoir laissée seule avec Angie et
avec leur mère. On découvre qu’Angie est en vérité la fille de
Marlène. Maternité que n’a jamais assumée Marlène, trop
anxieuse de réussir – à l’image de Margaret Thatcher, la
« première femme élue Premier Ministre ». Joyce en veut à
Marlène d’avoir fait passer sa réussite professionnelle avant
ses responsabilités familiales.
A la fin de la pièce, lorsque Angie surgit dans le salon en
répétant « effrayant », Marlène, maladroitement, tente de la
rassurer. Mais elle ne semble pas y parvenir.
Questions autour de la pièce :
1° Dans quelle mesure les personnages de la pièce sont-elles
des top girls ?
2° Le fait que les hommes soient absents de cette pièce est
délibéré de la part de l’auteur. Commentez les raisons qu’a eues
Caryl Churchill de donner uniquement la parole à des femmes.
3° Les figures historiques de l’Acte 1 permettent d’introduire les
thèmes de la pièce. Quels sont ces thèmes ? Commentez la façon
dont la pièce développe ces thèmes dans les actes suivants.
9
Pourquoi monter Top Girls en France
a u j o u r d ’h u i ?
Top Girls n’a jamais été montée en France. Lacune étonnante.
Au pays du Deuxième Sexe1, on a traduit mais pas monté la
pièce la plus aboutie du théâtre féministe anglais, oeuvre d’une
écrivain mondialement reconnue.
Le hasard fait qu’on montera Top Girls en France 25 ans après
sa création au Royaume-Uni. Un peu comme si on voulait
s’assurer qu’on n’était pas passé, durant un quart de siècle, à
côté d’une pièce capitale...
Que Top Girls soit une pièce capitale – sous son titre
faussement racoleur –, qu’elle ait durablement marqué le
théâtre de ces vingt-cinq dernières années, personne ne le
conteste.
Vers la fin des années 80, une pièce célèbre du répertoire
américain : The Heidi Chronicles, de Wendy Wasserstein (prix
Pulitzer en 1989), dresse le constat d’un féminisme à bout de
souffle, dont les victoires semblent se retourner contre les
femmes :
Et soudain j’arrête la compétition avec eux tous. Soudain,
je ne veux plus faire la course… Nous sommes des
femmes scrupuleuses, intelligentes, généreuses. C’est
juste que j’ai l’impression d’être au bord de la route. Et moi
qui croyais que le but de tout ça était qu’on ne se sentirait
plus au bord de la route. Moi qui croyais que le but était
d’être solidaires les unes des autres.
Plus près de nous, l’écrivain suisse d’expression allemande Urs
Widmer fait une allusion directe à la pièce de Churchill en
s’attachant à décrire des « Top Dogs », ces cadres supérieurs
broyés par la machine capitaliste des années 90.
Si Top Girls continue d’influencer les écrivains de théâtre, cette
pièce de 1982 reste-t-elle pertinente à notre époque ?
L’amélioration du statut des femmes au début du XXIe siècle n’a
1
Publié en 1949 en France et en 1953 aux Etats-Unis, Le Deuxième Sexe, écrit par
Simone de Beauvoir (1908-1986) aura une influence décisive sur les mouvements
féministes et contribuera largement à modifier les mentalités.
10
pas rendu obsolètes les questions que pose avec acuité Carl
Churchill, loin de là. Les statistiques sur l’égalité professionnelle
en France montrent qu’il y a encore du chemin à parcourir. Le
taux de réussite au baccalauréat des filles est supérieur à celui
des garçons (81,8 % contre 77,4 %), et elles sont majoritaires à
l’université (56 %). Mais elles affichent un taux de chômage
supérieur aux hommes (11,1 %, contre 9 %) et ne représentent
que 13 % des chefs d’entreprise (Le Monde du 10 octobre
2006). L’anthropologue Françoise Héritier, auteur de
Masculin/Féminin, rappelait que les femmes assument encore,
malgré leur participation au monde du travail, plus de 80 % des
tâches domestiques. Le théâtre ne sert sans doute pas à
illustrer des statistiques. Mais on peut penser que Top Girls
trouvera un écho chez les spectateurs(trices) de 2008 en
France, comme chez le public anglais de 1982.
La pièce de Caryl Churchill conserve en effet cette faculté, rare
dans le théâtre d’aujourd’hui, de provoquer un débat qui
dépasse ses enjeux formels ou esthétiques. Il suffit de lire les
réactions d’internautes canadiens à une production récente de
Top Girls, à Montréal, en 2005 :
Invité au banquet de la réussite ... Le piège est là. La
pièce est un pur révélateur de notre situation. Être
performant à tout prix, que nous soyons homme ou
femme. Oui, un pouvoir masculin a conquis l'humanité.
Et il est rafraîchissant, par ce jeu de scène, de se
questionner. J'ai remarqué la structure du premier acte. Il
est construit comme le cerveau de la femme : le
recoupement des dialogues, le regard dans la
discussion, l'approche intimiste de soi à autrui. La suite
de la pièce démontre, par les regards et les silences, le
malaise entre notre nature humaine et le besoin de
valider notre place dans le système d'exploitation.
Et la façon qu’a ce spectateur (masculin) de décrire ce qu’il
appelle « le cerveau de la femme » susciterait sans doute bien
des réactions dans une salle qui viendrait tout juste d’assister à
Top Girls…
Mais si on laisse de côté la réception de la pièce à l’étranger,
l’écho qu’elle trouve dans nos statistiques, et son influence sur
d’autres auteurs, on peut en venir au motif plus profond qu’on a,
11
au Théâtre de la Remise, de proposer la création en France de
Top Girls.
Ce motif réside dans la magnifique leçon de théâtre qu’est la
pièce de Caryl Churchill. Grâce à son humour, à son écriture
suggestive et poétique, Top Girls trouvera en France, nous en
sommes convaincus, un public aussi enthousiaste qu’à
Londres, New York, Montréal et Prague, où elle a été montée
en 2004 en présence de l’auteur.
Vingt-cinq ans après sa création au Royal Court, Top Girls n’en
finit pas d’étonner et de réjouir ses spectateurs. Il est temps de
la faire découvrir en France, où, au gré des mises en scène,
elle devrait connaître de nombreuses métamorphoses.
Historique des droits de la femme en France :
- 1789 : Naissance du féminisme sous forme active mais
désordonnée. Condorcet (premier féministe, il réclame des droits
civiques et politiques pour les femmes).
- 1804 : Code Civil de Napoléon, les femmes sont classées dans la
même catégorie que les criminels, les malades mentaux et les
enfants.
- 1836 : Création de l'enseignement primaire public pour les filles.
- 1909 : Le port du pantalon n'est plus un délit, si la femme tient par
la main un guidon de bicyclette ou un cheval !
- 1919 : Création du baccalauréat féminin.
- 1938 : réforme du Code civil de 1804. Les femmes ne sont plus
incapables juridiquement.
- 1939 : Madeleine Pelletier, la première féministe ayant plaidé
pour le droit à l'avortement, est arrêtée et meurt dans un asile 6
mois plus tard.
- 1940 : Limitation ou interdiction des emplois publics aux femmes
mariées.
12
- 1942 : L'avortement, considéré comme crime contre l'État, est
puni de mort. Les femmes mariées peuvent travailler, même si
leurs maris travaillent, à condition de ne pas causer de
licenciement.
- 1944 : L'ordonnance du 21 avril reconnaît le droit de vote et
d'éligibilité des femmes : "Les femmes sont électrices et éligibles
dans les mêmes conditions que les hommes".
- 1946 : la Constitution de la IVè République reconnaît le principe
d'égalité entre hommes et femmes.
- 1959 : Mise en place progressive de la mixité dans
l'enseignement secondaire.
- 1967 : La loi Neuwirth autorise la contraception.
- 1970 : Loi relative à l’autorité parentale conjointe. Le père n’est
plus le chef de famille.
- 1971 : Le congé de maternité est indemnisé à 90 %. Les mères
de famille ont accès aux stages rémunérés de l’État
- 1972 : La loi "garantit" l’égalité de rémunération quel que soit le
sexe.
- 1973 : Les femmes peuvent faire carrière dans l'armée.
- 1974 : Création du secrétariat d'Etat à la condition féminine,
confié à Françoise Giroud. La loi Veil autorise l'Interruption
Volontaire de Grossesse (IVG).
- 1980 : La loi considère désormais le viol comme un crime.
- 1984 : Congé parental ouvert à chacun des parents salariés sans
distinction de sexe.
- 1986 : une circulaire préconise l'emploi du féminin pour les noms
de métiers.
13
- 1992 : Loi sanctionnant l’abus d’autorité en matière sexuelle dans
les relations de travail.
- 1998 : Circulaire relative à la féminisation des noms de métiers,
fonctions, grades ou titres.
- 2000 : Loi sur la Parité politique aux différents scrutins électoraux.
- 2001 : Loi sur l’égalité professionnelle qui vient renforcer les
dispositifs de la loi Roudy, autorisation du travail de nuit pour les
femmes dans l’industrie, parité en politique, etc.
C. Analyse de la pièce (extrait du dossier de la compagnie)
L’approche de la compagnie :
"Chercher une pièce qui entre en écho avec notre démarche
artistique, avec notre façon de mettre au premier plan le jeu d’acteur
et sa puissance créatrice née du plateau, ne fut pas chose facile...
La trouver a été une évidence.
"Top Girls" de Caryl Churchill.
Comment faire cohabiter l’écriture qui part résolument de la scène et
celle pré-écrite, la pièce déjà existante? Cela va être un des enjeux
de "Top Girls" et c’est aussi la raison principale pour laquelle nous
avons choisi de travailler en étroite collaboration avec un
dramaturge, un homme de mots, l’auteur Stéphane Michaka.
Il sera un garde-fou à l’écriture, un repère contre ou pour nos
divagations de chair.
"Top Girls" est une pièce qui peut nous permettre de raconter une
histoire et en même temps préserver notre langage, nos logiques de
plateau.
La place de la musique, du son, qui dans tous nos spectacles
occupe une place essentielle, trouvera une façon d’exister avec le
texte, un contre-point nécessaire.
14
Nous souhaitons faire un théâtre de mouvement, au croisement du
théâtre et de la danse.
Appréhender le geste théâtral, écouter le bruissement du corps de
l’acteur, tout en s’attachant au texte. "
Marion Coutarel
Quelques pistes pour la dramaturgie:
A – Un souffle ludique
"Top Girls" est la pièce d’une auteur qui travaille et écrit avec de
fréquents allers-retours vers les comédiens, le plateau. On
veillera, au cours des répétitions, à privilégier le travail
d’improvisation collective qui est au cœur de la démarche de
Caryl Churchill, et qui a largement façonné son écriture. Ceci
pour ne pas priver le spectacle de l’énergie qui est manifeste
dans chaque scène. "Top Girls" invite ses comédiennes à se
déguiser, à jouer avec les codes, les identités, avec les mots.
Cette dimension ludique sera explorée dans notre travail.
B – L’acuité du rêve
En mêlant des personnages historiques, des personnages
fictifs, et une femme « d’aujourd’hui » dans une scène
d’ouverture au statut ambigu (rêve de Marlène ? jeu de miroirs
disposé par l’auteur entre ses personnages et son public ?)
comédie ou tragédie ?), Caryl Churchill fait naviguer son
écriture entre onirisme et hyper-réalisme (pôles opposés qui
finissent souvent par se rejoindre).
Comment choisir entre la dimension onirique de la pièce et sa
vérité quasi documentaire ?
Tout en cherchant la meilleure façon de rendre l’acuité du
regard de Churchill sur ses personnages, sur le monde bien
15
réel qu’elle décrit, on explorera les possibilités, dissimulées
dans sa pièce, d’élargir l’onirisme de la scène d’ouverture aux
scènes qui suivent. L’onirisme pourrait bien traverser la pièce
jusqu’à la dernière scène de l’acte 3, entre Marlène et Angie –
scène qui semble (sans que cela soit évident) avoir pour
déclencheur un cauchemar fait par l’adolescente. On évitera
toutefois l’écueil d’un traitement intégral de la pièce sur le mode
de l’onirisme. Comme les surréalistes Breton, Magritte ou Dali,
qui l’ont en partie influencée, Caryl Churchill explore les
ressources du rêve pour donner plus d’acuité à ce qu’elle décrit.
C - Polyphonie et musicalité
Comme dans d’autres de ses pièces, Churchill pratique dans
ses dialogues l’interruption, le chevauchement ou la
simultanéité des répliques. Parfois, un personnage commence
à parler avant que la réplique précédente soit achevée. A
d’autres moments, un personnage parle tout le temps de la
réplique d’un autre personnage. Parfois enfin, une
conversation, tandis qu’une réplique concernant un autre sujet
lance une discussion parallèle.
On sera attentif à transcrire cette partition dialoguée non pas
sous la forme de conversations de café qui assourdissent, mais
de la manière la plus musicale et la plus claire possible. Sans
méconnaître ce que cette pratique du dialogue révèle
d’incommunicabilité, d’égoïsme, mais parfois aussi d’empathie
entre les locuteurs.
On n’hésitera pas à faire largement intervenir une atmosphère
sonore et des musiques originales conçues spécialement pour
la pièce par Julien Valette et Jérôme Hoffmann (duo de
musique électronique LaBulo), collaborateurs habituels du
Théâtre de la Remise. Tout en soulignant la dimension onirique
de la pièce, le travail sonore, conçu à partir d’effets et de sons
d’aujourd’hui, nous permettra de donner une texture qui
réinscrit "Top Girls" dans l’époque qui est la nôtre.
16
La pièce et son contexte :
le Thatchérisme et le théâtre britannique
"Top Girls", créée au Royal Court Théâtre de Londres le 28
août 1982, est une pièce majeure du répertoire anglais
contemporain. Elle a connu un succès immédiat. Elle est décrite
aujourd’hui comme l’aboutissement d’un certain théâtre dit
« féministe » qui s’est développé en Angleterre et aux ÉtatsUnis depuis la fin des années 60. C’est une photographie de
"Top Girls" qui illustre la couverture du livre de Hélène Keyssar,
"Feminist Théâtre" (Londres, 1984), retraçant l’arrivée d’auteurs
comme Ann Jellicoe, Caryl Churchill ou Ntozake Shange dans
le paysage théâtral contemporain.
"Top Girls" marque d’emblée sa singularité par une distribution
exclusivement féminine : 7 femmes se partagent 16 rôles dont
les âges varient de 12 à 70 ans. Des rôles, en outre, de
femmes issues d’époques différentes, qui ont chacune quelque
chose d’acerbe, de cocasse ou de simplement humain, à dire
sur la condition qui est la leur.
Au-delà de son propos assurément féministe (au sens où la
réalité sociale est décrite par des femmes d’un bout à l’autre de
la pièce, ce qui n’exclut pas l’ironie d’entendre certaines de ces
femmes reprendre à leur compte des vues fortement
patriarcales), "Top Girls" aborde de front (dans l’Acte 3) le
contexte social et politique du Thatchérisme.
En 1982, en effet, la « Dame de Fer » est au pouvoir depuis
déjà trois ans. Sa politique de démantèlement du Welfare State
(État Providence), dans le pays même qui a initié la protection
sociale après la Deuxième guerre mondiale, est déjà bien
entamée. Dans l’acte 3 de la pièce, lorsque Marlène se félicite
de l’arrivée au pouvoir de « Maggie », sa sœur Joyce l’interpelle
aussitôt : Que va-t-il advenir d’Angie, l’adolescente attardée,
nièce/fille de Marlène, dans une société qui remplace la
compassion par l’esprit de compétition ?
Carriérisme et appât du gain (à la fois d’argent et de statut) sont
les autres facettes de cette violence sociale qu’empoigne la
17
pièce de Caryl Churchill. « Maggie, c’est une coriace. »
s’enchante Marlène. Avec l’érosion des idéaux nés dans les
années 60 et déjà moribonds dans les années 70 (vie
communautaire, contestation de l’autorité, rejet de la société de
consommation), avec aussi l’arrivée au pouvoir des babyboomers, les sociétés occidentales entrent dans une ère
nouvelle, celle du capitalisme triomphant. Cette évolution se
répercute dans toutes les sphères et le théâtre britannique, au
début des années 80, en fait très vite le constat. Quelque chose
se déchire dans le tissu social plus ou moins homogène des
dernières décennies : en 1982, le libéralisme économique
poussé à l’extrême célèbre les « gagnants » et voue aux
gémonies les « perdants ».
A l’époque où Caryl Churchill – auteur engagée par excellence
puisqu’elle se définit elle-même comme « socialiste et
féministe » – à l’époque, donc, où elle écrit "Top Girls", cette
polarisation entre losers et winners devient de plus en plus
prégnante dans les discours et les modes de pensée.
Expression du darwinisme social dans des sociétés marquées
par la récession et le chômage, cette façon de traduire la réalité
économique n’est pas remise en question, bien au contraire, au
début du 21ième siècle. Il est remarquable que Caryl Churchill
ait, il y a 25 ans déjà, cherché par son théâtre à souligner
l’emprise de la violence sociale sur le quotidien d’une femme en
quête d’autonomie et de responsabilités. Et qu’elle ait construit
sa pièce en ayant soin de lui donner une perspective historique
(c’est à quoi sert l’Acte 1 – le dîner – de "Top Girls").
Ayant réuni six femmes courageuses et déterminées qu’elle fait
boire, rire et se raconter dans un premier acte mémorable, la
dramaturge module les notes triomphantes de ce repas quasi
onirique par une seconde partie qui va se dérouler au présent.
Le monde de l’entreprise décrit dans "Top Girls" doit moins
alors à une perspective féministe qu’à l’inquiétude suscitée
chez notre auteur par une interrogation pressante à l’heure où
elle écrit : Que fait-on des perdants et des inadaptés (c’est le
personnage d’Angie) dans une société qui ne valide que la
performance et le succès ? « Oui, le succès est vraiment… »
tente de dire Marlène au cours du dîner. Mais elle ne termine
pas sa phrase. Et on ne saura pas ce qu’est « vraiment » ce
succès pour lequel elle s’est tant battu. Ou plutôt, on le
percevra au fil des scènes qui suivent, tantôt cocasses et tantôt
« terrifiantes ». Frightening – le dernier mot de la pièce, celui
18
d’Angie qui décrit son cauchemar. De là à affirmer que la
victoire féministe est en train de tourner au cauchemar, il n’y a
qu’un pas.
Cauchemar individuel ou cauchemar sociétal ? « Il n’y a pas de
société. Il n’y a que des individus. », disait Margaret Thatcher,
chantre de l’anti-Welfare State (Etat providence). Ce slogan a
marqué les années 80 (Edward Bond le mettra en exergue de
sa pièce "Le Crime du 21ième siècle"). Et c’est bien cette réalité,
ce durcissement économique, que n’ont cessé d’aborder,
parfois obliquement, les auteurs de théâtre britanniques depuis
le début des années 80 – de David Hare à Sarah Kane (qui mit
en scène "Top Girls" durant ses études) en passant par Edward
Bond et Harold Pinter. En France, on trouve des
préoccupations semblables chez un auteur comme Michel
Vinaver ("La Demande d’emploi", 1971). Mais la spécificité des
années 80, bien perçue par les auteurs anglais, fut de
juxtaposer le succès économique des uns et la banqueroute
des autres : la société à deux vitesses, ou la « fracture sociale »
décrite plus récemment par les économistes et reprise par les
politiques, pourrait bien avoir vu le jour à ce moment-là
(Marlène a été justement décrite comme « une Thatchérienne
dont le point de référence ultime est l’Amérique de Reagan »).
"Top Girls" serait alors l’un des premiers constats de cette
fracture – sous forme de pièce de théâtre. "Frightening"
(effrayant) : c’est l’inadaptée, celle qui ne « va pas s’en sortir »
qui a ici le dernier mot. Et non Marlène, la top girl qui doute ellemême si elle sortira indemne des années 80 qui s’ouvrent alors.
Caryl Churchill ne confond pas Féminisme et Thatchérisme : sa
pièce vise à suggérer que l’absence de générosité et de
compassion risque d’invalider les avancées féministes
constatées à l’aube des années 80.
A travers la figure de Marlène, "Top Girls" dénonce une certaine
auto-satisfaction féministe qui consiste à gravir les échelons de
la réussite sans voir ce qu’on a perdu en chemin : la
compassion, la générosité, l’humanité en somme.
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Extraits de la pièce :
Acte 1
JEANNE. Quand je suis partie de chez moi j’étais habillée en garçon.
ISABELLA. En garçon ?
MARLENE. Pour éviter le danger.
JEANNE. Je n’avais que douze ans. Les femmes n’étaient pas /
admises dans les bibliothèques. Nous voulions étudier à Athènes.
MARLENE. Tu t’es enfuie toute seule ?
JEANNE. Non, avec mon ami. / Il avait seize ans.
NIJO. Ah, des amants en fuite.
ISABELLA. Moi je voyageais toujours habillée en femme et je
réprouvais fermement tout article de presse suggérant que je pouvais
être autre que féminine.
MARLENE. Au bureau je porte jamais de pantalon. Je pourrais mais non.
Acte 2
LOUISE. Justement, j’ai vécu pour cette entreprise, je lui ai donné
ma vie on peut quasiment dire ça parce que je n’ai pas vraiment eu
de vie en dehors, je travaillais même le soir. J’ai obtenu le statut de
cadre dès l’âge de vingt-sept ans, vous m’accorderez que ce n’est pas
courant. J’ai créé un service à partir de rien. Tel qu’il est aujourd’hui,
il fonctionne parfaitement, et maintenant je me sens coincée. Je suis
cadre moyen depuis vingt ans. J’ai vu des hommes plus jeunes, que
j’avais formés, se placer, dans ma propre entreprise ou ailleurs, bien
plus haut que moi. Personne ne me remarque, tout le monde trouve
normal que mon travail soit impeccable. C’est quand je partirai qu’ils
réaliseront tout ce que je faisais pour eux.
WIN. Vous êtes la seule femme ?
20
Acte 3
MARLENE. Les classes sociales, j’y crois pas. On peut aller aussi
loin qu’on veut si on s’en donne les moyens.
JOYCE. Et si on les a pas les moyens ?
MARLENE. Quelqu’un qui est bête ou paresseux ou effrayé, je vais
quand même pas l’aider à trouver un job, pourquoi je devrais me
mettre en quatre ?
JOYCE. Et Angie ?
MARLENE. Quoi, Angie ?
JOYCE. Elle est bête et paresseuse et effrayée alors on fait quoi pour elle ?
Notes
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