La Imaginación del futuro TEATRO LA RESENTIDA Chili 3 < 11 DÉCEMBRE { AU THÉÂTRE DES ABBESSES } EN ESPAGNOL SURTITRÉ EN FRANÇAIS mise en scène MARCO LAYERA avec RODOLFO PULGAR BENJAMIN WESTFALL CAROLINA DE LA MAZA MARCELA SALINAS DIEGO ACUNA PEDRO MUNOZ BENJAMIN CORTES SEBASTIAN SQUELLA Dossier péDagogique saison 2014 i 2015 31 RUE DES ABBESSES PARIS 18 www.theatredelaville-paris.com • 01 42 74 22 77 TEATRO LA RE-SENTIDA la Imaginación del futuro Marco Layera nicolás Herrera DRAMATURGIE La re-sentida DÉCOR pablo de la Fuente VIDÉO Karl Heinz sateler MUSIQUE Marcello Martínez ASSISTANTE PLATEAU Valeria aguilar ASSISTANT SON alonso orrego MISE EN SCÈNE ASSISTANT CoproDuCtion Teatro La Re-sentida - Terni Festival (Italie) – Fundación Teatro a Mil. Tournée réalisée en collaboration avec la Fundación Teatro a Mil (Chili). aVeC Le soutien du Consejo de la Cultura y las Artes. Marcela salinas, Carolina de la Maza, Benjamín Westfall, rodolfo pulgar, pedro Muñoz, Diego acuña, Benjamín Cortés, sebastian squella AVEC © La Re-sentida LE DERNIER JOUR D’ALLENDE Les acteurs de La re-sentida imaginent très librement la fin du président chilien assassiné en 1973. The Clinic, un hebdomadaire lui-même assez unique en son genre, qui mêle satire et critique sociale, les a qualifiés de « punks du théâtre chilien ». Effrontés, en tout cas, les acteurs de La re-sentida le sont bel et bien. Tournant en dérision le patriotisme chilien dans leur premier spectacle, Simulacro ; brocardant le déclin des utopies dans Tratando de hacer una obra que cambie el mundo ; les voilà en briseurs d’idoles dans La Imaginación del futuro, mis en scène par Marco Layera. Restera comme un moment d’anthologie la figure d’un Salvador Allende exténué, déjà vaincu, dont un discours sans âme ouvre le spectacle. Autour du président vibrionne une nuée de ministres et de conseillers qui s’agitent en tous sens. En vain. Faute de réveiller le présent, La Re-sentida entreprend d’imaginer le futur, mais l’exercice tourne à la farce, une fièvre hystérique gagne le plateau, sans pouvoir enrayer le cours de l’Histoire. Poids d’un cauchemar dont le théâtre est ici le décapant exutoire. Jean-Marc adolphe soMMaire allende, sans nostalgie i J.-F. perrier p. 4 entretien avec Marco Layera i M. Canelas p. 5 M. Layera : « Je fais un théâtre pour la gauche » p. 8 s. allende et le coup d’état d’a. pinochet p. 10 intégralité du dernier discours de s. allende p. 13 l’Humanité.fr p. 14 Médiapart p. 15 Marco Layera i La re-sentida p. 16 À lire i À voir i Focus Chili p. 17 3 ALLENDE, SANS NOSTALGIE prélude à la dictature de pinochet, la mort du président chilien salvador allende dans son palais assiégé, le 11 septembre 1973, en a fait une icône et un martyr. Mais ignorant la nostalgie et ne refusant pas la provocation, Marco Layera et les jeunes acteurs de La re-sentida imaginent une fiction impertinente qui transpose avec insolence le passé dans le présent. Le 11 septembre 1973 nombreux sont ceux qui en France, en Europe ou dans le monde furent émus aux larmes en apprenant que Salvador Allende s’était donné la mort dans le palais présidentiel de la Moneda à Santiago. Il était devenu pour eux le symbole d’une possibilité d’imaginer un autre socialisme, issu d’un vote populaire démocratique. Après l’échec en 1968 du socialisme à visage humain qu’Alexander Dubček avait essayé d’installer en Tchécoslovaquie au moment du Printemps de Prague, le Chili d’Allende apparaissait aux yeux des progressistes du monde entier comme une tentative qui relançait le rêve d’une alternative moderne au capitalisme et à l’impérialisme. Ce président devenait, par son refus d’un exil en terre étrangère et par le sacrifice de sa propre vie qui en a découlé, un martyr et une icône. Statue du commandeur, fantôme omniprésent, son ombre portée est toujours présente, positivement présente pour tous ceux qui espèrent, quel que soit le continent dans lequel ils vivent, une nouvelle alternative à un impérialisme économique de plus en plus libéral. Mais cette ombre portée pèse sans doute encore très lourdement au Chili et ce n’est pas un hasard si aujourd’hui, quarante ans après les faits historiques, se font jour un questionnement, une interrogation, une tentative d’analyse sur ce qu’il faut bien appeler un échec et que les années de gouvernement du dictateurgénéral Pinochet ont bien sûr empêché. Après une transition démocratique qui, pour se faire sans drame, a dû « oublier », « dissimuler » la tragédie née de cet échec, une nouvelle génération de Chiliens a le désir de secouer la poussière, de faire un bilan, de faire entendre sa voix et ses réflexions pour parler aujourd’hui des conséquences des événements, que cette génération n’a pas vécus, qui pèsent encore comme un fardeau dans le quotidien et l’imaginaire du peuple chilien. C’est ce questionnement que la compagnie de théâtre chilienne, La re-sentida (Le Ressentiment), dirigée par le metteur en scène Marco Layera, a décidé de présenter sur un plateau de théâtre, sans tabous, sans révérence particulière, sans non-dits, avec les armes d’un groupe d’acteurs totalement engagés dans un processus de mise en abîme, qui transporte avec insolence le passé dans le présent, qui ignore la nostalgie paralysante, qui ne refuse pas la provocation. Visiblement mal à l’aise dans un Chili qui semble les étouffer, ces jeunes acteurs aspirent à soulever un courant d’air bénéfique qui libérera les esprits. Derrière ce qui peut apparaître comme une provocation douloureuse, on peut aussi entendre cette phrase du président Salvador Allende prononcée dans son dernier discours à la radio ce 11 septembre terrible de 1973 : « L’Histoire est à nous, c’est le peuple qui la fait. » Mais, semblent dire Marco Layera et sa troupe, c’est un peuple qui a les yeux grands ouverts, capable de se retourner sur son passé et de faire de son histoire une fiction fantaisiste, explosive, brutale, impertinente qui ne peut laisser indifférent. Jean-François perrier 4 ENTRETIEN AVEC MARCO LAYERA Le théâtre est-il à votre avis le meilleur outil de la politique ? MarCo Layera : Je pense que le théâtre est loin saire de lui manquer de respect, en lui insufflant une fraîcheur et une audace qui le renouvelle. Rien n’impose qu’on continue à évoquer les grands thèmes de l’humanité dans un lieu aride et obscur. Le théâtre peut amuser et ne pas être superficiel. Aucune opposition n’existe entre le fait de faire réfléchir et celui de faire rire ; ces termes ne sont pas dichotomiques. D’autres points de vue peuvent s’ouvrir : ceux de l’ironie, de la cruauté, de l’absurde et de l’humour. Ils ont un pouvoir beaucoup plus inquiétant et corrosif, et qui en somme font réfléchir. Par ailleurs l’ordre des choses a changé et le théâtre doit établir une relation avec son présent. Il a une capacité de confrontation avec son dehors. En premier lieu, nous ne pouvons pas continuer à imiter des formes et des discours artistiques passés ou dominants. Ils ont répondu à d’autres temps ; aujourd’hui ils ne sont plus à la hau- d’être le meilleur et le plus efficace des moyens d’action. Au contraire, je pense même que sa gamme est assez limitée. Il existe d’autres outils ou actions réellement plus efficaces mais qui n’ont bien sûr pas le glamour ou la reconnaissance de notre profession. De ce point de vue, j’assume ma lâcheté et mon confort. Si je devais être radicalement engagé, je ne ferais pas de théâtre. Je serais dans la rue où le son des balles n’est pas enregistré et où le décor n’est pas en carton. Parfois, aujourd’hui, je pense que s’occuper de l’art revient à tourner le dos au monde. Il est facile de parler des atrocités de l’humanité avec un verre de champagne à la main, puis de recevoir des applaudissements pour cela. que reprochez-vous aux formes actuelles et dominantes de l’art ? M. L. : À l’évocation des tragédies de l’homme, notre teur de la situation. La tragédie et le drame nous invitent à leurs obsèques ; notre époque en fait des formes dramatiques ingénues et ridicules. Comment jouer une tragédie, quand l’authentique, celle qui se déroule à l’extérieur, nous gouverne grossièrement ? Comment y faire face depuis un cube de murs noirs, éclairé par une lumière artificielle et habité par des menteurs ? Comment exercer depuis cet endroit une pression sur la véritable scène politique ? tradition théâtrale a imposé un ton sérieux, lourd ou monotone. Le théâtre, dans notre pays, est souvent perçu comme une discipline artistique supérieure, pleine de solennité et de formalité, presque lyrique. Cela lui confère en définitive quelque chose de grave. Je crois néces- 5 qu’est-ce que la subversion selon vous, et à quoi mène-t-elle ? M. L. : Pour moi, la subversion est une capacité à mo- devoir de l’art. Ainsi formé, j’accorde au travail théâtral une grande responsabilité politique et j’ai un ardent désir de changer la société grâce à lui. J’aimerais croire en ces paroles et prétendre que le poids du postmodernisme n’est pas tombé sur mes épaules, que les idéologies ne sont pas mortes. Mais ce que j’avance est illusoire, naïf et même absurde. J’appartiens à une autre génération sans causes et aux convictions perméables. Mais cette conscience me donne une certaine lucidité pour réaliser les contradictions que connaît ma génération : nous obéissons à un patrimoine culturel de la philosophie et de l’éthique qui ne correspond apparemment pas à la réalité de notre époque. C’est ma profonde conviction et mon impulsion créatrice me conduit à mettre en cause chaque jour mon travail, mes convictions, ma nostalgie rêveuse et héritée. Un théâtre, aujourd’hui ? Un outil d’échange social ? Un théâtre politique ? Est-ce nécessaire ? Estce utile ? Sommes-nous utiles ? difier l’ordre établi. Je pense que l’art a perdu ce potentiel. La question qui se pose est: comment la retrouver? C’est le grand défi de notre génération : être en mesure de générer de nouvelles réflexions qui questionnent et transfigurent la réalité. Cela peut paraître scandaleux, mais il est peut-être temps pour le spectacle de s’interroger sur le système démocratique, sinon sous son toit, se consolidera la brutalité du modèle néolibéral. Dans Tratando de hacer una obra que cambie el mundo, vous tournez en dérision les espoirs des « derniers romantiques ». quelle place donnez-vous à la désillusion dans votre théâtre ? M. L. : Une grande place, parce qu’elle fait partie de mon histoire. J’appartiens à une génération absolument désabusée, déçue par nos parents, par nos références, par ceux qui annonçaient « fraternité, égalité, solidarité », par ceux qui nous ont appris à rêver, à espérer, par ceux qui ont cru à un pays qui se distinguerait et que la restauration de la démocratie a usé, qui ont été trahis, qui nous ont trahis, ceux qui se sont installés dans leurs sièges officiels et qui ont renié ce qu’ils nous ont appris, en consacrant un système exclusivement administratif, ne laissant que des parias satisfaits dans un pays qui ne nous appartient pas. Comment ne pas être déçu ? quel changement essentiel voudriez-vous opérer dans le monde actuel ? M. L. : Essentiellement tout. avez-vous une idée précise du monde que vous lui substitueriez ? M. L. : J’aspire à un monde idéal dans une perspective Vos spectacles tournent autour de l’idée de changer le monde. Comment le théâtre peut-il y participer ? M. L. : Ma formation académique m’a inculqué la rela- humaniste. Mais pas tellement idéale puisque si nous y parvenions, je n’aurais pas de sujets pour mes spectacles, je n’aurais pas de quoi parler et le plus probable serait que je m’occupe d’autre chose. Pour le théâtre que je fais, il est nécessaire que le monde fonctionne mal. C’est paradoxal, mais certain. tion inaliénable entre les pratiques artistiques et les pratiques sociales. D’autre part, elle s’inscrivait dans une longue tradition nationale de l’art socialement engagé. J’y ai acquis une éthique, une conception du 6 envers qui ou quoi éprouvez-vous le ressentiment qui donne son nom à votre compagnie ? M. L. : C’est un ressentiment envers ceux qui ont fait de ritoire est habité par des groupes humains aux idéaux sociaux très distincts et inconciliables. Un groupe bénéficie encore des bontés de la dictature et de son legs et plaide pour le statu quo du système politique, économique et idéologique. Un autre, représenté par des milliers de Chiliens, est descendu dans les rues ces dernières années pour exprimer son mécontentement et exiger des changements profonds dans le système. Des étudiants, des activistes, des Araucans et des minorités sexuelles font émerger un nouveau mouvement social, duquel les vraies nuances de notre pays ressortent, en laissant entrevoir l’actuelle transformation de notre société. Les moteurs de ces aspirations sont sans doute les jeunes, cette génération qui est née autour des années 1980 et 1990 dans un contexte où le débat social était assoupi du fait des transactions et de consentements politiques réalisés par les générations précédentes. notre pays un conclave bananier et envers ceux qui nous ont appris à rêver d’un pays plus juste et solidaire, et qui nous ont trahis. Le Chili n’a pas beaucoup changé. Nous sommes loin d’être ce pays « démocratique, divers et justement développé » que quelques voix officielles annoncent à l’extérieur. Notre pays et le monde sont établis de telle façon que certains seulement en profitent. Cela ne scandalise plus personne, nous nous habituons à être indolents envers l’autre (les basses classes immigrantes, le peuple palestinien, l’Afrique, etc.). Je crois que cette indifférence est permanente et touche un grand nombre de personnes qui la subissent. C’est ainsi qu’elle génère un ressentiment, une haine, une frustration et des émotions de grande violence qui peuvent être le germe d’un mouvement social, comme l’a été celui des étudiants dans notre pays il y a quelques années. qui compose la re-sentida ? M. L. : La compagnie est composée de Benjamin Vous êtes né en 1977. quel est votre rapport personnel aux années allende ? M. L. : J’ai vécu presque toute mon enfance dans une Westfall, Pedro Muñoz, Carolina Palacios, Nicolás Herrera, Carolina de la Maza et Diego Acuña, tous acteurs. Pour certains, nous avons été compagnons de cours, les autres ont été mes élèves ou je les ai connus en les dirigeant dans d’autres spectacles. Des artistes invités collaborent également, parmi eux le dessinateur Paul de la Fuente avec qui nous avons travaillé d’une manière soutenue ces quatre dernières années. dictature. Évidemment, mes parents m’ont raconté les événements historiques qui l’ont provoquée ; ce qui se résume à grands traits aux années de l’Unité Populaire et au coup d’État de 1973. Durant cette période, en accompagnant ma mère dans diverses manifestations, j’ai été témoin de la violence des militaires. Avec mon point de vue d’enfant, j’ai dénigré la dictature et admiré son contrepoint, incarné dans la figure de Salvador Allende, martyr populaire, qui incarnait une révolution démocratique et pacifique. Maintenant, ma génération, celle devenue adulte dans la période post-dictature, apporte la controverse. Nous avons un regard plus critique sur le passé, nous le réévaluons pour comprendre le présent. Nous posons des questions nouvelles, des questions douloureuses qui peuvent incommoder mais nécessaires. Ce rêve valait-il la peine contre dix-sept ans de dictature et de violence ? Ou contre les vingt-cinq années de « transition vers la démocratie » pendant lesquelles le système néolibéral s’est consolidé ? Cette utopie était-elle possible ? Pouvait-elle se réaliser dans notre pays ? Ou n’a-t-elle été que le caprice d’un président bourgeois ? Comment travaillez-vous concrètement ? Les textes sont-ils préécrits, ou le spectacle s’élaboret-il directement au plateau ? Avant d’initier les essais avec les acteurs, j’entreprends un processus de recherche personnelle dans lequel l’idée générale du spectacle est encore limitée, et qui brasse de la matière de toute sorte – des scènes déjà terminées, des ébauches, des images, des situations, des phrases libres, etc. Ce socle, je le livre le premier jour de répétition et il nous sert de guide pour le travail à suivre. Nous entamons tout de suite à partir de ce matériau un travail d’improvisation et d’écriture de la part des acteurs. Du croisement de ces deux processus naît un autre matériau textuel, celui que j’ai l’habitude de réélaborer et de fixer comme le texte définitif du spectacle, mais qui est toujours susceptible d’être modifié au cours de la création. quelles en sont les traces dans la politique actuelle du Chili ? M. L. : Elles sont notoires. Notre pays est absolument propos recueillis par Marion Canelas divisé, socialement et idéologiquement. Un même ter- 7 MARCO LAYERA : « JE FAIS UN THÉÂTRE … Votre spectacle La Imaginación del futuro a fait scandale à avignon, je voulais savoir si vous aviez été surpris de ces réactions très violentes ? M. L. : Oui, j’ai été surpris. Je pensais que c’était une ré- action très minoritaire. Et j’ai été surpris par la violence et la virulence avec lesquelles se sont exprimées ces réactions, mais dans tous les cas elles sont légitimes. Ce qui m’a dérangé c’est que des journalistes n’aient pas essayé de comprendre la pièce, et par ce qu’ils ont écrit, ont créé une autre réalité. Ces articles ont généré une autre réalité. Quand les gens viennent voir la pièce, ils doivent se battre contre des préjugés, ils ne viennent pas libres. Cela me dérange, mais chacun est libre de réagir comme il veut ! Marco Layera a été le phénomène du dernier festival d’Avignon avec son controversé La Imaginación del futuro qui mettait en scène l’utilisation faite par la clas- se politique chilienne de la figure tutélaire d’Allende. Le metteur en scène Chilien fait l’ouverture des Théâtrales Charles Dullin le 7 novembre avec Tratando de hacer una obra que cambie el mundo. Nous avons pu le rencontrer à cette occasion. 8 … POUR LA GAUCHE. » est-ce vous qui suscitez toujours ce genre de réactions ? M. L. : Non, c’est seulement en France. C’est absurde, Dans vos spectacles on crie beaucoup. pourquoi ? M. L. : Moi je trouve qu’on ne crie pas tant que ça. Il y a une intensité, une hystérie, mais c’est un gout personnel pour l’excès. J’aime l’excès, je ne m’intéresse pas à un théâtre qui imite la réalité mais qui la transcende. ou plutôt contradictoire parce que la lecture qui a été faite par certains journalistes n’a jamais été faite avant. Les comédiens qui jouent Allende ont été victimes de la torture pendant la dictature. Dans le processus créatif, il n’a jamais été question de rabaisser Allende, ce doit être parce qu’ils ne comprennent pas le processus de développement de la société chilienne. Je voulais vous parler de la part d’improvisation dans vos spectacles, dans Tratando de hacer una obra que cambie el mundo, un acteur prend une spectatrice à partie. M. L. : Tout est très écrit, les actions sont plus libres, est-ce que ce n’est pas aussi parce qu’en France il y a un culte d’allende, culte au sens des idoles que vous cherchez à casser. M. L. : Oui, au Chili, une partie de la population et moi mais le texte est très écrit. Le comédien choisit le spectateur mais tout le reste est prévu. que faites-vous à paris ? M. L. : Au début, nous sommes venus travailler sur un aussi le considérons comme une idole, mais j’essaie de faire la part de mes contradictions. Je fais un théâtre pour la gauche et pas pour la droite, ce qui m’intéresse c’est de poser les questions entre nous. Ce qui m’intéresse avec cette pièce c’est de questionner l’utilisation de la figure d’Allende. La nouvelle gauche chilienne utilise ou met au placard Allende en fonction de ses besoins. La gauche ressemble de plus en plus à la droite. Ils sont au pouvoir parce qu’ils ont souffert mais pas parce qu’ils sont habités par une envie de changement. La droite nous a servi car avec Pinochet nous avions le bouc émissaire parfait. Il est mort et nous n’avons plus d’ennemis. Ensuite, nous sommes passés de la dictature à un peu de démocratie. Les discours de gauche ont été repensés. Il y avait cette idées que la droite ne reviendrait pas, et elle est revenue, cela a provoqué des mouvements sociaux et le gouvernement actuel a du durcir sa politique. projet « La dictature du cool » autour de la figure du « bobo ». Comment continuer à consommer de façon humaine ? Avec en même temps, des discours qui se vident. Tout est cool : le bio, le ciné, Murakami… et au final notre participation politique dépend d’un tweet. Aujourd’hui au Chili, c’est à la mode d’adhérer à une cause. Mais au bout de deux jours, on a changé d’avis, et on a changé de spectacle ! On travaille autour de « Paris ». En vivant un peu ici, on a découvert des choses : le nationalisme, le racisme… comme au Chili ! On voudrait convaincre les français que les chiliens peuvent s’adapter à toutes les situations ils sont les meilleurs immigrants possibles. Car ici, être chilien à Paris… c’est cool. La souffrance donne un statut, c’est cela que l’on a travaillé notamment dans cette ébauche de travail. Vous êtes subventionné par l’état Chilien et vous le critiqué, n’est-ce pas antinomique. M. L. : Non. Seulement deux spectacles ont été subven- on a appris récemment qu’une nouvelle télé-réalité allait mettre en scène des anciens ministres grimés dans un jeu. ils vont être confrontés à des « vrais » gens dans la rue. a-t-il déjà vu ça ? M. L. : Non ! On dirait un grand cirque. Il faut être tionnés et très peu. Il est contradictoire qu’un artiste demande de l’argent alors qu’il n’y a de l’argent nulle part. La ministre de la Culture actuelle aime beaucoup notre travail, elle comprend le contexte. conscient, au Chili, que la gauche et la droite vivent ensemble. Les fils des ministres vont dans les mêmes écoles, dans les mêmes lieux de vacances. Ils pourraient participer à une Télé-réalité ! toute la Culture.com 9 SALVADOR ALLENDE ET LE COUP D’ÉTAT D’AUGUSTO PINOCHET dément originale à une époque et sur un continent marqué le mythe de la « lutte armée ». Devenu populaire au milieu des années 1960, il doit vite affronter l’hostilité de la droite conservatrice et de ses soutiens étasuniens qui le considèrent comme un agent potentiel de Moscou. 11 septembre 1973, la crise qui couvait depuis des mois au Chili fini par éclater violemment. Retranché dans sa résidence de la Moneda, le président socialiste Salvador Allende assiste impuissant à la prise de contrôle du pays par une junte militaire. À 14 heures, celui qui avait représenté l’espoir de la gauche de tout un continent, se donne la mort peu avant que les putschistes ne s’emparent de lui. Pour le Chili c’est le début d’une dictature féroce qui se maintiendra près de 15 ans, sous la férule du général Augusto Pinochet. Symbole de la vague d’autoritarisme anticommuniste que connut l’Amérique du Sud durant les années 1970, le coup d’état du 11 septembre 1973 mêle thématique intérieure chilienne et enjeux internationaux de la guerre froide. En vue des élections présidentielles de 1970, Salvador Allende parvient non sans mal à fédérer la gauche et le centre gauche autour de sa candidature, dans le cadre de l’Unité Populaire (Unna Popular). Ce rassemblement de partis, des communistes à la gauche chrétienne, jour du soutien des syndicats et propose un programme de réforme vigoureux. Outre la lutte contre l’inflation, I’Unité Populaire, prévoit une relance de la réforme agraire, la nationalisation des banques et surtout de l’industrie du cuivre, un secteur stratégique à forte participation étasunienne. Face à Allende, la droite aborde les élections divisée entre démocrates chrétiens et conservateur. Le candidat conservateur Alessandri, compte sur le soutien de l’armée (dont de nombreux cadres sont anticommunistes) et des États-Unis. saLVaDor aLLenDe et L’unité popuLaire © X.DR Durant les années 1960, le Chili dont l’économie est marquée par de fortes tendances inflationnistes, se modernise profondément. Si la démocratie chrétienne est au pouvoir depuis 1964 et conduit des réformes progressistes (notamment un début de réforme agraire, la modernisation du système d’éducation, la constitution d’entreprises publiques dans des domaines stratégiques), elle ne peut empêcher la montée en puissance de la gauche et de son représentant emblématique : Salvador Allende. Né en 1908, il est issu d’une famille bourgeoise aux valeurs libérales. Si Salvador est médecin de formation, sa grande passion reste la vie politique, qu’il intègre en tant que leader étudiant au début des années 1930. Un des membres fondateurs du Parti Socialiste du Chili en 1935, il reste attaché à cette structure sur lequel son influence deviendra peu à peu déterminante. Député, puis ministre de la santé en 1938 (à 30 ans !), il prend définitivement les rênes du parti socialiste en 1944. Homme réputé intègre, d’une grande finesse intellectuelle, Allende représente le visage respectable et modéré de la gauche chilienne. Bien qu’intéressé par des expériences plus radicales comme la révolution Cubaine, il prône une transition pacifique et démocratique vers le socialisme, profon- 10 aLLenDe présiDent, entre espoir et MenaCes Le scrutin de septembre 1970, marqué par une très forte polarisation de l’opinion, débouche sur un résultat serré : 36,6 % pour Allende, 35,3 % pour Alessandri et 28,1 % pour le démocrate-chrétien Tomic. En absence de majorité absolue, la constitution chilienne prévoyait que ce soit le Congrés qui choisisse le nouveau président. Durant les semaines qui vont suivre, un rude combat parlementaire s’engage, combat dans lequel les États-Unis (via la CIA) vont peser de tout leur poids pour qu’Allende ne soit pas élu. Ainsi, Washington met en œuvre un plan visant à pousser l’armée chilienne à s’insurger. Cette tentative échoue dans des circonstances dramatiques (le commandant en chef de l’armée, un loyaliste, en sera d’ailleurs la victime). Quoi qu’il en soit, un accord secret passé entre Tomic et Allende permet à celui-ci de devenir président à l’occasion du vote du Congrès le 24 octobre. Salvador Allende met rapidement en œuvre le programme de l’Unité Populaire. L’épreuve de force avec la droite s’engage sur le terrain de la nationalisation des industries de cuivre. À l’été 1971, la mesure finit par être mise en place, l’État Chilien devenant propriétaire des mines de cuivre en compensation d’indemnisations pour les entreprises qui les exploitaient jusque-là. La réplique de Washington est immédiate : sur les conseils d’Henry Kissinger, le président Nixon organise un boycott des prêts internationaux au gouvernement chilien. Si dans un premier temps la politique du gouvernement d’Allende semble une réussite (l’inflation baisse, le pouvoir d’achat augmente, la croissance est vigoureuse), l’année 1972 voit l’émergence de difficultés inquiétantes. D’une part les réformes engagées et les pressions extérieures (principalement étasuniennes), entraînent un regain de la polarisation de la société chilienne. La réforme agraire (qui s’accompagne parfois de confiscation de terrains) pousse certains agriculteurs à s’opposer violemment au gouvernement. La tension est aussi forte dans la rue, habilement entretenue par l’opposition. Allende doit de plus faire face aux radicaux de l’Unité Populaire qui réclament une accélération de la transition vers le socialisme, quitte à aller à l’affrontement armé avec la droite. D’autre part, à cela viennent s’ajouter à partir de la mi-1972, un ralentissement de la croissance puis la récession. Privé du soutien des élites économiques et des sources de financements internationaux, le Chili fait face à la spirale infernale de l’endettement et de l’inflation. La population voyant ses conditions de vie se dégrader fortement proteste régulièrement dans la rue. À l’agitation populaire se conjuguent les difficultés d’Allende à gouverner, en raison de la vigueur de l’opposition parlementaire et de démissions à la chaîne de ministres. La droite, cette fois regroupée au sein de la CODE (Confédération démocratique du Chili) tente même d’obtenir la destitution du président, ce qu’elle rate de peu. Enfin, l’armée jusque-là maîtrisée par le général Prats, ministre de la défense et loyaliste, se décide à agir de manière ouverte. augusto pinoCHet et Le putsCH Du 11 septeMBre 1973 À l’été 1973, Prats est vertement critiqué par ses pairs en raison de son loyalisme, alors que le pays est plongé dans une grave crise par la grève des camionneurs (dont le rôle vital s’explique par la géographie du pays). Sous la pression, Prats démissionne de son poste de ministre de la défense et de commandant de l’armée le 23 août 1973. Allende nomme pour le remplacer le général Augusto Pinochet. Réputé sans envergure et relativement apolitique, il a étouffé deux mois plus tôt une tentative de rébellion d’un régiment de blindés. D’origine bretonne, ce militaire de carrière catholique né en 1915, s’est jusque-là tenu à l’écart des complots qui se trament dans l’armée contre Allende. Néanmoins il est contacté par l’amiral Merino, le commandant en chef de la marine, et âme des conspirations contre le Président. Merino qui peut se vanter du soutien d’une bonne partie du corps des officiers généraux et des États-Unis (dont le rôle dans le putsch luimême fait toujours débat) prévoit de passer à l’action à l’occasion des manoeuvres que la marine chilienne organise conjointement avec l’US Navy début septembre. Ces exercices fourniront la couverture nécessaire au putsch, dans lequel les troupes d’infanterie de marine doivent jouer un rôle essentiel. Pinochet, aprés des réticences initiales, comprend que son opposition au plan de Merino pourrait lui coûter sa carrière, voire la vie. Il se rallie donc aux putschistes. Le général jusque-là loyaliste va se révéler un comploteur talentueux. Il prend l’ascendant sur ses rivaux au sein de la junte de 4 membres prévue pour diriger le pays suite au renversement d’Allende. Pinochet insiste d’ailleurs sur la nécessité d’éliminer physiquement le président, à qui il doit son poste. D’autre part, il n’entend pas rendre le pouvoir à la droite parlementaire une fois le putsch réussi. Augusto Pinochet a désormais de grandes ambitions personnelles… 11 La DiCtature De pinoCHet Dans les jours qui suivent le coup d’état, Augusto Pinochet fait en sorte de mettre le pays au pas, tout en assurant son pouvoir personnel. Après avoir fait dissoudre toutes les institutions représentatives (le congrès, les communes), mais aussi les partis et les syndicats, il organise la répression dans le cadre de l’État d’urgence. Le 11 septembre, quelques heures avant l’aube, les troupes d’infanterie de marine s’emparent sans coup férir du port de Valparaiso (le poumon économique du pays). Quelques heures plus tard, l’armée de terre entre dans la danse et impose son autorité sur l’essentiel des villes chiliennes. À Santiago, la capitale, elle entreprend à l’aide de l’aviation, de réduire au silence les radios et les chaines de télévision. Allende, isolé et mal informé se réfugie à la Moneda (la résidence présidentielle) accompagné de ses gardes du corps. À 8h30, il croit encore une partie de l’armée fidèle et en appelle même à Pinochet qu’il pense loyal. Ses appels n’obtiennent pour réponse qu’une demande de démission. Allende refuse, arguant de ses devoirs constitutionnels envers le peuple chilien. De toute manière, cette demande n’était qu’une manœuvre de Pinochet pour le supprimer ensuite. Après un ultime discours radiophonique adressé aux chiliens, le président se résigne à affronter l’assaut de l’armée, avec ses 42 gardes du corps. © X.DR À 9 heures du matin, le siège de la Moneda s’engage à grand renfort de blindés et d’infanterie. Tenus en respect par les snipers de la garde d’Allende, les militaires font appel à l’aviation qui bombarde la résidence. De violents combats s’engagent, les gardes du président finissant par succomber sous le nombre. À 14 heures, lorsque les armes se taisent, Salvador Allende est retrouvé mort. Il s’est vraisemblablement suicidé, dans des circonstances qui prêtent encore aujourd’hui à controverse. La légende voudrait que l’arme qu’il utilisa fût un cadeau de Fidel Castro (un fusil AK 47), orné de l’inscription suivante : « À mon bon ami Salvador, de la part de Fidel, qui essaye par des moyens différents d’atteindre les mêmes buts. » Certainement trop belle pour être vraie, l’anecdote n’en est pas moins symbolique de l’échec d’Allende à échapper à la violence. © X.DR Plus de 100 000 personnes vont être arrêtées, plus de 3 000 seront exécutées ou disparaîtront purement et simplement. Bien que condamnant officiellement cette violence d’état, les États-Unis soutiennent le nouveau régime qui devient l’un de leurs meilleurs appuis dans la lutte contre le « communisme » en Amérique du Sud (dans le cadre de « l’opération Condor »). Devenu chef de l’état en 1974, Augusto Pinochet ne quittera le pouvoir qu’en 1990, après une lente transition démocratique. Resté influent dans son pays (et même populaire au sein d’une partie de l’opinion), le sénateur à vie Pinochet est arrêté à Londres en 1998, suite à un mandat d’arrêt international émis par le juge espagnol Garzon. C’est le début de longues batailles juridiques, qui ne trouveront pas d’issue en raison de l’état de santé de l’ancien dictateur. Augusto Pinochet mourra le 3 décembre 2006 d’un œdème pulmonaire, sans jamais avoir regretté ses actes… histoirepourtous.fr Le 11 Septembre 1973, le palais présidentiel de La Moneda, dans lequel s'est retranché le président Salvador Allende, subit les assauts des troupes dirigées par Augusto Pinochet. 12 11 SEPTEMBRE 1973 À 9H10 L’INTÉGRALITÉ DU DERNIER DISCOURS DE SALVADOR ALLENDE « C’est certainement la dernière occasion que j’ai de vous parler. Les forces armées aériennes ont bombardé les antennes de radio. Mes paroles ne sont pas amères mais déçues. Elles sont la punition morale pour ceux qui ont trahi le serment qu’ils ont prêté. Je voudrais m’adresser à la femme simple de notre terre, à la paysanne qui a cru en nous, à l’ouvrière qui a travaillé dur et à la mère qui a toujours bien soigné ses enfants. Je m’adresse aux fonctionnaires, à ceux qui depuis des jours travaillent contre le coup d’État, contre ceux qui ne défendent que les avantages d’une société capitaliste. Soldat du Chili, Commandant en chef, associé de l’Amiral Merino, et du général Mendosa, qui hier avait manifesté sa solidarité et sa loyauté au gouvernement, et aujourd’hui s’est nommé Commandant Général des armées. Je m’adresse à la jeunesse, à ceux qui ont chanté et ont transmis leur gaieté et leur esprit de lutte. Je m’adresse aux Chiliens, ouvriers, paysans, intellectuels, à tous ceux qui seront persécutés parce que dans notre pays le fascisme est présent déjà depuis un moment. Les attentats terroristes faisant sauter des ponts, coupant les voies ferrées, détruisant les oléoducs et gazoducs, face au silence de ceux qui avaient l’obligation d’intervenir. L’Histoire les jugera. Face à ces événements, je peux dire aux travailleurs que je ne renoncerai pas. Dans cette étape historique, je paierai par ma vie ma loyauté au Peuple. Je vous dis que j’ai la certitude que la graine que l’on a confiée au Peuple chilien ne pourra pas être détruite définitivement. Ils ont la force, ils pourront nous asservir, mais n’éviteront pas les procès sociaux, ni avec le crime, ni avec la force. Ils vont sûrement faire taire radio Magallanes et vous ne pourrez plus entendre le son métallique de ma voix tranquille. Peu importe, vous continuerez à m’écouter, je serai toujours près de vous, vous aurez au moins le souvenir d’un homme digne qui fut loyal avec la patrie. Le Peuple doit se défendre et non pas se sacrifier, il ne doit pas se laisser exterminer et se laisser humilier. L’Histoire est à nous, c’est le Peuple qui la fait. Travailleurs de ma patrie, je veux vous remercier pour la loyauté dont vous avez toujours fait preuve, de la confiance que vous avez accordé à un homme qui fut le seul interprète du grand désir de justice, qui jure avoir respecté la constitution et la loi. En ce moment crucial, la dernière chose que je voudrais vous dire, c’est que la leçon sera retenue. Travailleurs : j’ai confiance dans le Chili et dans son destin. D’autres hommes espèrent plutôt le moment gris et amer où la trahison s’imposerait. Allez de l’avant sachant que bientôt s’ouvriront de grandes avenues où passera l’homme libre pour construire une société meilleure. Le capital étranger, l’impérialisme, ont créé le climat qui a cassé les traditions : celles que montrent Scheider et qu’aurait réaffirmées le commandant Araya. C’est de chez lui, avec l’aide étrangère, que celui-ci espérera reconquérir le pouvoir afin de continuer à défendre ses propriétés et ses privilèges. Vive le Chili, vive le Peuple, vive les travailleurs ! Ce sont mes dernières paroles, j’ai la certitude que le sacrifice ne sera pas vain et qu’au moins surviendra une punition morale pour la lâcheté et la trahison. » salvador allende radio Magallanes Le 11 septembre 1973 à 9h10 À ÉCOUTER SUR https://www.youtube.com/watch?v=ufHireel0_o 13 ALLENDE ET MARCEL DUCHAMP À LA MOULINETTE La compagnie chilienne la re-sentida déboule en France avec deux spectacles drôles et subversifs. et évoque un Chili aussi déjanté que les acteurs de la bande. On les a découverts cet été, au Festival d’Avignon. La compagnie chilienne la Re-sentida y présentait La Imaginación del futuro (« l’imagination du futur »), très mal accueillie par bon nombre de critiques. Certains y ont descellé un « révisionnisme servi sur un plateau » (Patrick Sourd, les Inrockuptibles) tandis que dans Libération, René Solis estimait que le spectacle relevait « du crétinisme politique ». Nous ne pûmes alors rendre compte de notre point de vue dans ces colonnes, faute de place. Mais la compagnie chilienne est en tournée en France ces jours-ci au CDN de Montreuil pour y présenter une pièce antérieure, Tratando de hacer una obra que cambie el mundo (« Nous essayons de faire une œuvre qui change le monde »), et reprendre La Imaginación… L’occasion nous est donc donnée de revenir sur le travail du metteur en scène Marco Layera, né au Chili en 1977, dont le questionnement récurent est de faire exploser les codes de la représentation théâtrale, quitte à y laisser des plumes. Histoire de faire parler autour de lui ? Dans la Imaginación…, tout tourne autour de la figure tutélaire de Salvador Allende. Quarante ans après le coup d’État de Pinochet, et la mort d’Allende dans le palais de La Moneda bombardé, Marco Layera s’attaque au mythe. Sur la scène, transformée en studio de télévision, il imagine Allende flanqué d’une kyrielle de conseillers en communication, entouré de ministres cocaïnés et de journalistes hystériques. Il lit, sous tous les tons possibles, son dernier discours. Entre changements intempestifs de décor (révolutionnaire ou bucolique) et autres injonctions – c’est pour la télévision –, l’homme se prête au jeu, change de ton, s’adapte aux ordres et contre-ordres donnés en régie. Plus tard, une petite fille-marionnette racontera les tortures subies et s’en prendra à Allende. On lance une collecte auprès des spectateurs pour financer les études d’un pauvre et l’une des actrices proposera même une fellation à un spectateur pour qu’il mette la main à la poche. Stupeur et tremblement dans les rangs… La provocation, l’excès, la cruauté, rien ne nous est épargné. Mais de quoi s’offusque-t-on ? Du mauvais goût ? D’un certain cynisme qui ne dirait pas son nom ? Marco Layera estime qu’il s’attaque au mythe pour mieux interroger la gauche bien-pensante ; il ne comprend pas comment son travail a pu être reçu aussi violemment en France. « Je n’ai rien à voir avec la droite et l’extrême droite chiliennes. Mon théâtre s’adresse à la gauche. Évidemment, ça dérange, ça provoque du malaise… tant pis. » En quoi son théâtre serait-il moins irrévérencieux que celui d’un Rodrigo Garcia dont on peut penser que, sous prétexte de dénoncer la société de consommation, il passe son temps à traiter le spectateur de crétin puisqu’il participe de cette société marchande ? Layera n’accable pas le spectateur. Il tente de le secouer, de le réveiller, de l’énerver, quitte à le fâcher. Car entre le discours testament d’Allende et la social-démocratie d’aujourd’hui, de l’eau a coulé sous les ponts. Alors qui trahit qui ? Certes, Layera est confus, bordélique, procédant par des ellipses et des pirouettes qui peuvent agacer. Comme son côté dynamiteur de bonne conscience. Mais il nous parle d’un Chili qu’on ne connaît plus qu’à travers des éléments de langage. Et on se dit que pour comprendre un pays aujourd’hui, sa complexité, les hommes et les femmes qui l’habitent, mieux vaut se tourner vers les poètes, les écrivains, les cinéastes, les dramaturges… Layera n’hésite pas à se moquer de lui-même. Ainsi dans Tratando de hacer una obra que cambie el mundo, qui précède dans sa création la Imaginación…, une troupe de théâtre, pour marquer son opposition au gouvernement, se réfugie dans une cave et tente, depuis cinq ans, d’écrire l’œuvre qui transformera le monde. Ça tourne au grotesque, à la farce surtout quand leur informateur leur annonce qu’un nouveau gouvernement met tout en œuvre pour le bonheur de ses concitoyens… Bref, le Chili serait devenu un paradis. Ils ne s’y résolvent pas. Ça ne rentre pas dans leur disque dur. « Somos una generacion que no le ha pasado nada », dit en boucle l’un d’eux. Peut-être parce que jusqu’ici, toutes les tentatives de changer le monde ont échoué… Marie-José sirach, 6 oct. 2014 14 MARCO LAYERA © X.DR Il étudie d’abord le droit à l’université du Chili, travaille comme assistant à la chaire de philosophie et se spécialise en criminologie. En 2008, après une formation en théâtre, il crée la compagnie La resentida dont il assure la direction et avec laquelle il met en scène Simulacro et Tratando de hacer una obra que cambie el mundo, deux spectacles présentés sur diverses scènes et festivals internationaux. Il dirige aussi divers procédés de recherches scéniques, collabore à la revue Apuntes de la Universidad Católica et au supplément culturel Alias del diario Il Manifesfiesto. Il reçoit le prix « Eugenio Guzman » au Festival des directeurs de théâtre, organisé par l’université du Chili et la reconnaissance de la « Meilleure mise en scène » au Festival du Jeune Théâtre organisé par le Théâtre municipal des Condés. Il est également nominé pour le prix « Altazor » dans la catégorie « Mise en scène ». En 2012, il réalise sa troisième mise en scène, La Imaginación del futuro. LA RE-SENTIDA La re-sentida est née en 2008. Elle rassemble de jeunes artistes de la scène nationale chilienne qui se consacrent à la recherche et la consolidation d’une poétique capable d’incarner les pulsions, les visions et les idées de leur génération. Leur objectif est de réaliser des mises en scènes d’auteurs et de se démarquer des formes et des discours hégémoniques. Ainsi, la compagnie assume comme un devoir l’effronterie, la désacralisation des tabous et la réflexion sur la provocation, accordant à la création théâtrale une forte portée politique, l’utilisant comme un instrument de critique, de réflexion et de construction. 15 À LIRE → No pasaran ! suivi de Le peuple doit se défendre: message radiodiffusé de Salvador Allende, 11 sept. 1973 (Points Seuil) → Chili 1970-1973 : mille jours qui ébranlèrent le monde de Franck Gaudichaud (Presses universitaires de Rennes) → Allende : c’est une idée qu’on assassine de Thomas Huchon (Eyrolles) → Rompre le silence : je t’accuse Pinochet de Martha Helena Montoya Vélez (Elytis) → Nocturne du Chili de Roberto Bolaño (Christian Bourgois éditeur) → Le Gaucho insupportable de Roberto Bolaño (C. Bourgois éditeur) → J’avoue que j’ai vécu : mémoires de Pablo Neruda (Folio Gallimard) → La Folie de pinochet de Luis Sepulveda (Métailié) → Chili, 11 septembre1973 : la démocratie assassinée : récits témoignages de Eduardo Castillo (Arte Éditions : Serpent à Plumes) À VOIR La bataille du Chili, trilogie documentaire de Patrizio Guzman. FOCUS CHILI LES SPECTACLES Loop.3 JOSÉ VIDAL 4 < 6 décembre 2014 CENTRE NATIONAL DE LA DANSE, PANTIN 93 Dans une ambiance disco, un tableau vivant et mouvant, inspiré de peintures baroques et de photographies contemporaines, pour neuf danseurs du chorégraphe José Vidal. esCueLa GUILLERMO CALDERÓN en espagnoL surtitré en FranÇais 8<17 janvier 2015 THÉÂTRE DE LA CITÉ INTERNATIONALE, PARIS 14e Quarante ans après le coup d’État qui installa Pinochet, un groupe de militants clandestins tente de combattre la dictature. Nécessité du combat, sens de l’engagement… 16