La Imaginación del futuro

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La
Imaginación
del futuro
TEATRO
LA RESENTIDA
Chili
3 < 11 DÉCEMBRE
{ AU THÉÂTRE DES ABBESSES }
EN ESPAGNOL SURTITRÉ EN FRANÇAIS
mise en scène MARCO LAYERA
avec
RODOLFO PULGAR
BENJAMIN WESTFALL
CAROLINA DE LA MAZA
MARCELA SALINAS
DIEGO ACUNA
PEDRO MUNOZ
BENJAMIN CORTES
SEBASTIAN SQUELLA
Dossier péDagogique
saison 2014 i 2015
31 RUE DES ABBESSES PARIS 18
www.theatredelaville-paris.com • 01 42 74 22 77
TEATRO LA RE-SENTIDA
la Imaginación del futuro
Marco Layera
nicolás Herrera
DRAMATURGIE La re-sentida
DÉCOR pablo de la Fuente
VIDÉO Karl Heinz sateler
MUSIQUE Marcello Martínez
ASSISTANTE PLATEAU Valeria aguilar
ASSISTANT SON alonso orrego
MISE EN SCÈNE
ASSISTANT
CoproDuCtion
Teatro La Re-sentida - Terni Festival (Italie) – Fundación
Teatro a Mil.
Tournée réalisée en collaboration avec la Fundación
Teatro a Mil (Chili).
aVeC Le soutien du Consejo de la Cultura y las Artes.
Marcela salinas, Carolina de la Maza,
Benjamín Westfall, rodolfo pulgar,
pedro Muñoz, Diego acuña,
Benjamín Cortés, sebastian squella
AVEC
© La Re-sentida
LE DERNIER JOUR D’ALLENDE
Les acteurs de La re-sentida imaginent très librement
la fin du président chilien assassiné en 1973.
The Clinic, un hebdomadaire lui-même assez unique en son genre, qui mêle satire et critique sociale, les a
qualifiés de « punks du théâtre chilien ». Effrontés, en tout cas, les acteurs de La re-sentida le sont bel et
bien. Tournant en dérision le patriotisme chilien dans leur premier spectacle, Simulacro ; brocardant le
déclin des utopies dans Tratando de hacer una obra que cambie el mundo ; les voilà en briseurs d’idoles dans
La Imaginación del futuro, mis en scène par Marco Layera. Restera comme un moment d’anthologie la
figure d’un Salvador Allende exténué, déjà vaincu, dont un discours sans âme ouvre le spectacle. Autour du
président vibrionne une nuée de ministres et de conseillers qui s’agitent en tous sens. En vain. Faute de
réveiller le présent, La Re-sentida entreprend d’imaginer le futur, mais l’exercice tourne à la farce, une fièvre hystérique gagne le plateau, sans pouvoir enrayer le cours de l’Histoire. Poids d’un cauchemar dont le
théâtre est ici le décapant exutoire.
Jean-Marc adolphe
soMMaire
allende, sans nostalgie i J.-F. perrier
p.
4
entretien avec Marco Layera i M. Canelas
p.
5
M. Layera : « Je fais un théâtre pour la gauche »
p.
8
s. allende et le coup d’état d’a. pinochet
p. 10
intégralité du dernier discours de s. allende
p. 13
l’Humanité.fr
p. 14
Médiapart
p. 15
Marco Layera i La re-sentida
p. 16
À lire i À voir i Focus Chili
p. 17
3
ALLENDE, SANS NOSTALGIE
prélude à la dictature de pinochet, la mort du président chilien salvador
allende dans son palais assiégé, le 11 septembre 1973, en a fait une icône et
un martyr. Mais ignorant la nostalgie et ne refusant pas la provocation,
Marco Layera et les jeunes acteurs de La re-sentida imaginent une fiction
impertinente qui transpose avec insolence le passé dans le présent.
Le 11 septembre 1973 nombreux sont ceux qui en France, en Europe ou dans le monde furent émus aux
larmes en apprenant que Salvador Allende s’était donné la mort dans le palais présidentiel de la Moneda à
Santiago. Il était devenu pour eux le symbole d’une possibilité d’imaginer un autre socialisme, issu d’un vote
populaire démocratique. Après l’échec en 1968 du socialisme à visage humain qu’Alexander Dubček avait
essayé d’installer en Tchécoslovaquie au moment du Printemps de Prague, le Chili d’Allende apparaissait
aux yeux des progressistes du monde entier comme une tentative qui relançait le rêve d’une alternative
moderne au capitalisme et à l’impérialisme.
Ce président devenait, par son refus d’un exil en terre étrangère et par le sacrifice de sa propre vie qui en a
découlé, un martyr et une icône. Statue du commandeur, fantôme omniprésent, son ombre portée est toujours présente, positivement présente pour tous ceux qui espèrent, quel que soit le continent dans lequel ils
vivent, une nouvelle alternative à un impérialisme économique de plus en plus libéral.
Mais cette ombre portée pèse sans doute encore très lourdement au Chili et ce n’est pas un hasard si
aujourd’hui, quarante ans après les faits historiques, se font jour un questionnement, une interrogation, une
tentative d’analyse sur ce qu’il faut bien appeler un échec et que les années de gouvernement du dictateurgénéral Pinochet ont bien sûr empêché. Après une transition démocratique qui, pour se faire sans drame, a
dû « oublier », « dissimuler » la tragédie née de cet échec, une nouvelle génération de Chiliens a le désir
de secouer la poussière, de faire un bilan, de faire entendre sa voix et ses réflexions pour parler aujourd’hui
des conséquences des événements, que cette génération n’a pas vécus, qui pèsent encore comme un fardeau
dans le quotidien et l’imaginaire du peuple chilien.
C’est ce questionnement que la compagnie de théâtre chilienne, La re-sentida (Le Ressentiment), dirigée
par le metteur en scène Marco Layera, a décidé de présenter sur un plateau de théâtre, sans tabous, sans révérence particulière, sans non-dits, avec les armes d’un groupe d’acteurs totalement engagés dans un processus de mise en abîme, qui transporte avec insolence le passé dans le présent, qui ignore la nostalgie paralysante, qui ne refuse pas la provocation. Visiblement mal à l’aise dans un Chili qui semble les étouffer, ces
jeunes acteurs aspirent à soulever un courant d’air bénéfique qui libérera les esprits.
Derrière ce qui peut apparaître comme une provocation douloureuse, on peut aussi entendre cette phrase
du président Salvador Allende prononcée dans son dernier discours à la radio ce 11 septembre terrible de
1973 : « L’Histoire est à nous, c’est le peuple qui la fait. »
Mais, semblent dire Marco Layera et sa troupe, c’est un peuple qui a les yeux grands ouverts, capable de se
retourner sur son passé et de faire de son histoire une fiction fantaisiste, explosive, brutale, impertinente qui
ne peut laisser indifférent.
Jean-François perrier
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ENTRETIEN AVEC MARCO LAYERA
Le théâtre est-il à votre avis le meilleur outil de la
politique ?
MarCo Layera : Je pense que le théâtre est loin
saire de lui manquer de respect, en lui insufflant une
fraîcheur et une audace qui le renouvelle. Rien n’impose qu’on continue à évoquer les grands thèmes de
l’humanité dans un lieu aride et obscur. Le théâtre
peut amuser et ne pas être superficiel. Aucune opposition n’existe entre le fait de faire réfléchir et celui
de faire rire ; ces termes ne sont pas dichotomiques.
D’autres points de vue peuvent s’ouvrir : ceux de l’ironie, de la cruauté, de l’absurde et de l’humour. Ils ont
un pouvoir beaucoup plus inquiétant et corrosif, et
qui en somme font réfléchir. Par ailleurs l’ordre des
choses a changé et le théâtre doit établir une relation
avec son présent. Il a une capacité de confrontation
avec son dehors. En premier lieu, nous ne pouvons
pas continuer à imiter des formes et des discours
artistiques passés ou dominants. Ils ont répondu à
d’autres temps ; aujourd’hui ils ne sont plus à la hau-
d’être le meilleur et le plus efficace des moyens d’action. Au contraire, je pense même que sa gamme est
assez limitée. Il existe d’autres outils ou actions réellement plus efficaces mais qui n’ont bien sûr pas le
glamour ou la reconnaissance de notre profession.
De ce point de vue, j’assume ma lâcheté et mon
confort. Si je devais être radicalement engagé, je ne
ferais pas de théâtre. Je serais dans la rue où le son
des balles n’est pas enregistré et où le décor n’est pas
en carton. Parfois, aujourd’hui, je pense que s’occuper de l’art revient à tourner le dos au monde. Il est
facile de parler des atrocités de l’humanité avec un
verre de champagne à la main, puis de recevoir des
applaudissements pour cela.
que reprochez-vous aux formes actuelles et dominantes de l’art ?
M. L. : À l’évocation des tragédies de l’homme, notre
teur de la situation. La tragédie et le drame nous invitent à leurs obsèques ; notre époque en fait des formes
dramatiques ingénues et ridicules. Comment jouer une
tragédie, quand l’authentique, celle qui se déroule à
l’extérieur, nous gouverne grossièrement ? Comment
y faire face depuis un cube de murs noirs, éclairé par
une lumière artificielle et habité par des menteurs ?
Comment exercer depuis cet endroit une pression sur
la véritable scène politique ?
tradition théâtrale a imposé un ton sérieux, lourd ou
monotone.
Le théâtre, dans notre pays, est souvent perçu comme
une discipline artistique supérieure, pleine de solennité et de formalité, presque lyrique. Cela lui confère
en définitive quelque chose de grave. Je crois néces-
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qu’est-ce que la subversion selon vous, et à quoi
mène-t-elle ?
M. L. : Pour moi, la subversion est une capacité à mo-
devoir de l’art. Ainsi formé, j’accorde au travail théâtral une grande responsabilité politique et j’ai un ardent
désir de changer la société grâce à lui. J’aimerais croire
en ces paroles et prétendre que le poids du postmodernisme n’est pas tombé sur mes épaules, que les
idéologies ne sont pas mortes. Mais ce que j’avance
est illusoire, naïf et même absurde. J’appartiens à
une autre génération sans causes et aux convictions
perméables. Mais cette conscience me donne une
certaine lucidité pour réaliser les contradictions que
connaît ma génération : nous obéissons à un patrimoine culturel de la philosophie et de l’éthique qui
ne correspond apparemment pas à la réalité de notre
époque. C’est ma profonde conviction et mon impulsion créatrice me conduit à mettre en cause chaque
jour mon travail, mes convictions, ma nostalgie rêveuse
et héritée. Un théâtre, aujourd’hui ? Un outil d’échange
social ? Un théâtre politique ? Est-ce nécessaire ? Estce utile ? Sommes-nous utiles ?
difier l’ordre établi. Je pense que l’art a perdu ce potentiel. La question qui se pose est: comment la retrouver?
C’est le grand défi de notre génération : être en mesure
de générer de nouvelles réflexions qui questionnent et
transfigurent la réalité. Cela peut paraître scandaleux,
mais il est peut-être temps pour le spectacle de s’interroger sur le système démocratique, sinon sous son
toit, se consolidera la brutalité du modèle néolibéral.
Dans Tratando de hacer una obra que cambie el mundo, vous tournez en dérision les espoirs des « derniers
romantiques ». quelle place donnez-vous à la désillusion dans votre théâtre ?
M. L. : Une grande place, parce qu’elle fait partie de
mon histoire. J’appartiens à une génération absolument désabusée, déçue par nos parents, par nos références, par ceux qui annonçaient « fraternité, égalité,
solidarité », par ceux qui nous ont appris à rêver, à
espérer, par ceux qui ont cru à un pays qui se distinguerait et que la restauration de la démocratie a usé,
qui ont été trahis, qui nous ont trahis, ceux qui se
sont installés dans leurs sièges officiels et qui ont
renié ce qu’ils nous ont appris, en consacrant un système exclusivement administratif, ne laissant que
des parias satisfaits dans un pays qui ne nous appartient pas. Comment ne pas être déçu ?
quel changement essentiel voudriez-vous opérer
dans le monde actuel ?
M. L. : Essentiellement tout.
avez-vous une idée précise du monde que vous lui
substitueriez ?
M. L. : J’aspire à un monde idéal dans une perspective
Vos spectacles tournent autour de l’idée de changer
le monde. Comment le théâtre peut-il y participer ?
M. L. : Ma formation académique m’a inculqué la rela-
humaniste. Mais pas tellement idéale puisque si nous
y parvenions, je n’aurais pas de sujets pour mes spectacles, je n’aurais pas de quoi parler et le plus probable
serait que je m’occupe d’autre chose. Pour le théâtre
que je fais, il est nécessaire que le monde fonctionne
mal. C’est paradoxal, mais certain.
tion inaliénable entre les pratiques artistiques et les
pratiques sociales. D’autre part, elle s’inscrivait dans
une longue tradition nationale de l’art socialement
engagé. J’y ai acquis une éthique, une conception du
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envers qui ou quoi éprouvez-vous le ressentiment
qui donne son nom à votre compagnie ?
M. L. : C’est un ressentiment envers ceux qui ont fait de
ritoire est habité par des groupes humains aux idéaux
sociaux très distincts et inconciliables. Un groupe bénéficie encore des bontés de la dictature et de son legs
et plaide pour le statu quo du système politique, économique et idéologique. Un autre, représenté par des
milliers de Chiliens, est descendu dans les rues ces dernières années pour exprimer son mécontentement et
exiger des changements profonds dans le système.
Des étudiants, des activistes, des Araucans et des minorités sexuelles font émerger un nouveau mouvement social, duquel les vraies nuances de notre pays
ressortent, en laissant entrevoir l’actuelle transformation de notre société. Les moteurs de ces aspirations sont sans doute les jeunes, cette génération qui
est née autour des années 1980 et 1990 dans un
contexte où le débat social était assoupi du fait des
transactions et de consentements politiques réalisés
par les générations précédentes.
notre pays un conclave bananier et envers ceux qui
nous ont appris à rêver d’un pays plus juste et solidaire, et qui nous ont trahis. Le Chili n’a pas beaucoup
changé. Nous sommes loin d’être ce pays « démocratique, divers et justement développé » que quelques
voix officielles annoncent à l’extérieur. Notre pays et
le monde sont établis de telle façon que certains seulement en profitent. Cela ne scandalise plus personne,
nous nous habituons à être indolents envers l’autre
(les basses classes immigrantes, le peuple palestinien, l’Afrique, etc.). Je crois que cette indifférence
est permanente et touche un grand nombre de personnes qui la subissent. C’est ainsi qu’elle génère un
ressentiment, une haine, une frustration et des émotions de grande violence qui peuvent être le germe d’un
mouvement social, comme l’a été celui des étudiants
dans notre pays il y a quelques années.
qui compose la re-sentida ?
M. L. : La compagnie est composée de Benjamin
Vous êtes né en 1977. quel est votre rapport personnel aux années allende ?
M. L. : J’ai vécu presque toute mon enfance dans une
Westfall, Pedro Muñoz, Carolina Palacios, Nicolás
Herrera, Carolina de la Maza et Diego Acuña, tous
acteurs. Pour certains, nous avons été compagnons
de cours, les autres ont été mes élèves ou je les ai
connus en les dirigeant dans d’autres spectacles. Des
artistes invités collaborent également, parmi eux le
dessinateur Paul de la Fuente avec qui nous avons
travaillé d’une manière soutenue ces quatre dernières années.
dictature. Évidemment, mes parents m’ont raconté les
événements historiques qui l’ont provoquée ; ce qui
se résume à grands traits aux années de l’Unité Populaire et au coup d’État de 1973. Durant cette période,
en accompagnant ma mère dans diverses manifestations, j’ai été témoin de la violence des militaires.
Avec mon point de vue d’enfant, j’ai dénigré la dictature et admiré son contrepoint, incarné dans la figure
de Salvador Allende, martyr populaire, qui incarnait
une révolution démocratique et pacifique. Maintenant,
ma génération, celle devenue adulte dans la période
post-dictature, apporte la controverse. Nous avons
un regard plus critique sur le passé, nous le réévaluons pour comprendre le présent. Nous posons des
questions nouvelles, des questions douloureuses qui
peuvent incommoder mais nécessaires. Ce rêve
valait-il la peine contre dix-sept ans de dictature et de
violence ? Ou contre les vingt-cinq années de « transition vers la démocratie » pendant lesquelles le système néolibéral s’est consolidé ? Cette utopie était-elle
possible ? Pouvait-elle se réaliser dans notre pays ? Ou
n’a-t-elle été que le caprice d’un président bourgeois ?
Comment travaillez-vous concrètement ? Les
textes sont-ils préécrits, ou le spectacle s’élaboret-il directement au plateau ?
Avant d’initier les essais avec les acteurs, j’entreprends un processus de recherche personnelle dans
lequel l’idée générale du spectacle est encore limitée,
et qui brasse de la matière de toute sorte – des
scènes déjà terminées, des ébauches, des images, des
situations, des phrases libres, etc. Ce socle, je le livre
le premier jour de répétition et il nous sert de guide
pour le travail à suivre. Nous entamons tout de suite
à partir de ce matériau un travail d’improvisation et
d’écriture de la part des acteurs. Du croisement de
ces deux processus naît un autre matériau textuel,
celui que j’ai l’habitude de réélaborer et de fixer
comme le texte définitif du spectacle, mais qui est
toujours susceptible d’être modifié au cours de la
création.
quelles en sont les traces dans la politique actuelle
du Chili ?
M. L. : Elles sont notoires. Notre pays est absolument
propos recueillis par Marion Canelas
divisé, socialement et idéologiquement. Un même ter-
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MARCO LAYERA :
« JE FAIS UN THÉÂTRE …
Votre spectacle La Imaginación del futuro a fait
scandale à avignon, je voulais savoir si vous aviez
été surpris de ces réactions très violentes ?
M. L. : Oui, j’ai été surpris. Je pensais que c’était une ré-
action très minoritaire. Et j’ai été surpris par la violence et la virulence avec lesquelles se sont exprimées
ces réactions, mais dans tous les cas elles sont légitimes. Ce qui m’a dérangé c’est que des journalistes
n’aient pas essayé de comprendre la pièce, et par ce
qu’ils ont écrit, ont créé une autre réalité. Ces articles
ont généré une autre réalité. Quand les gens viennent voir la pièce, ils doivent se battre contre des
préjugés, ils ne viennent pas libres. Cela me dérange,
mais chacun est libre de réagir comme il veut !
Marco Layera a été le phénomène du dernier festival
d’Avignon avec son controversé La Imaginación del
futuro qui mettait en scène l’utilisation faite par la clas-
se politique chilienne de la figure tutélaire d’Allende.
Le metteur en scène Chilien fait l’ouverture des Théâtrales Charles Dullin le 7 novembre avec Tratando de
hacer una obra que cambie el mundo. Nous avons pu
le rencontrer à cette occasion.
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… POUR LA GAUCHE. »
est-ce vous qui suscitez toujours ce genre de réactions ?
M. L. : Non, c’est seulement en France. C’est absurde,
Dans vos spectacles on crie beaucoup. pourquoi ?
M. L. : Moi je trouve qu’on ne crie pas tant que ça. Il
y a une intensité, une hystérie, mais c’est un gout personnel pour l’excès. J’aime l’excès, je ne m’intéresse
pas à un théâtre qui imite la réalité mais qui la transcende.
ou plutôt contradictoire parce que la lecture qui a été
faite par certains journalistes n’a jamais été faite avant.
Les comédiens qui jouent Allende ont été victimes
de la torture pendant la dictature. Dans le processus
créatif, il n’a jamais été question de rabaisser Allende,
ce doit être parce qu’ils ne comprennent pas le processus de développement de la société chilienne.
Je voulais vous parler de la part d’improvisation
dans vos spectacles, dans Tratando de hacer una
obra que cambie el mundo, un acteur prend une
spectatrice à partie.
M. L. : Tout est très écrit, les actions sont plus libres,
est-ce que ce n’est pas aussi parce qu’en France il
y a un culte d’allende, culte au sens des idoles que
vous cherchez à casser.
M. L. : Oui, au Chili, une partie de la population et moi
mais le texte est très écrit. Le comédien choisit le spectateur mais tout le reste est prévu.
que faites-vous à paris ?
M. L. : Au début, nous sommes venus travailler sur un
aussi le considérons comme une idole, mais j’essaie de
faire la part de mes contradictions. Je fais un théâtre
pour la gauche et pas pour la droite, ce qui m’intéresse c’est de poser les questions entre nous. Ce qui
m’intéresse avec cette pièce c’est de questionner l’utilisation de la figure d’Allende. La nouvelle gauche
chilienne utilise ou met au placard Allende en fonction de ses besoins. La gauche ressemble de plus en
plus à la droite. Ils sont au pouvoir parce qu’ils ont
souffert mais pas parce qu’ils sont habités par une
envie de changement. La droite nous a servi car avec
Pinochet nous avions le bouc émissaire parfait. Il est
mort et nous n’avons plus d’ennemis. Ensuite, nous
sommes passés de la dictature à un peu de démocratie. Les discours de gauche ont été repensés. Il y avait
cette idées que la droite ne reviendrait pas, et elle est
revenue, cela a provoqué des mouvements sociaux et
le gouvernement actuel a du durcir sa politique.
projet « La dictature du cool » autour de la figure du
« bobo ». Comment continuer à consommer de façon
humaine ? Avec en même temps, des discours qui se
vident. Tout est cool : le bio, le ciné, Murakami… et
au final notre participation politique dépend d’un
tweet. Aujourd’hui au Chili, c’est à la mode d’adhérer
à une cause. Mais au bout de deux jours, on a changé
d’avis, et on a changé de spectacle ! On travaille
autour de « Paris ». En vivant un peu ici, on a découvert des choses : le nationalisme, le racisme… comme
au Chili ! On voudrait convaincre les français que les
chiliens peuvent s’adapter à toutes les situations ils
sont les meilleurs immigrants possibles. Car ici, être
chilien à Paris… c’est cool. La souffrance donne un
statut, c’est cela que l’on a travaillé notamment dans
cette ébauche de travail.
Vous êtes subventionné par l’état Chilien et vous le
critiqué, n’est-ce pas antinomique.
M. L. : Non. Seulement deux spectacles ont été subven-
on a appris récemment qu’une nouvelle télé-réalité allait mettre en scène des anciens ministres grimés dans un jeu. ils vont être confrontés à des
« vrais » gens dans la rue. a-t-il déjà vu ça ?
M. L. : Non ! On dirait un grand cirque. Il faut être
tionnés et très peu. Il est contradictoire qu’un artiste
demande de l’argent alors qu’il n’y a de l’argent nulle
part. La ministre de la Culture actuelle aime beaucoup
notre travail, elle comprend le contexte.
conscient, au Chili, que la gauche et la droite vivent
ensemble. Les fils des ministres vont dans les
mêmes écoles, dans les mêmes lieux de vacances. Ils
pourraient participer à une Télé-réalité !
toute la Culture.com
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SALVADOR ALLENDE
ET LE COUP D’ÉTAT
D’AUGUSTO PINOCHET
dément originale à une époque et sur un continent
marqué le mythe de la « lutte armée ». Devenu populaire au milieu des années 1960, il doit vite affronter
l’hostilité de la droite conservatrice et de ses soutiens étasuniens qui le considèrent comme un agent
potentiel de Moscou.
11 septembre 1973, la crise qui couvait depuis des
mois au Chili fini par éclater violemment. Retranché
dans sa résidence de la Moneda, le président socialiste Salvador Allende assiste impuissant à la prise
de contrôle du pays par une junte militaire.
À 14 heures, celui qui avait représenté l’espoir de la
gauche de tout un continent, se donne la mort peu
avant que les putschistes ne s’emparent de lui.
Pour le Chili c’est le début d’une dictature féroce qui
se maintiendra près de 15 ans, sous la férule du général Augusto Pinochet. Symbole de la vague d’autoritarisme anticommuniste que connut l’Amérique du
Sud durant les années 1970, le coup d’état du 11 septembre 1973 mêle thématique intérieure chilienne et
enjeux internationaux de la guerre froide.
En vue des élections présidentielles de 1970, Salvador
Allende parvient non sans mal à fédérer la gauche et
le centre gauche autour de sa candidature, dans le
cadre de l’Unité Populaire (Unna Popular). Ce rassemblement de partis, des communistes à la gauche chrétienne, jour du soutien des syndicats et propose un
programme de réforme vigoureux.
Outre la lutte contre l’inflation, I’Unité Populaire, prévoit une relance de la réforme agraire, la nationalisation des banques et surtout de l’industrie du cuivre,
un secteur stratégique à forte participation étasunienne. Face à Allende, la droite aborde les élections
divisée entre démocrates chrétiens et conservateur. Le
candidat conservateur Alessandri, compte sur le soutien de l’armée (dont de nombreux cadres sont anticommunistes) et des États-Unis.
saLVaDor aLLenDe et L’unité popuLaire
© X.DR
Durant les années 1960, le Chili dont l’économie est
marquée par de fortes tendances inflationnistes, se
modernise profondément. Si la démocratie chrétienne
est au pouvoir depuis 1964 et conduit des réformes
progressistes (notamment un début de réforme agraire,
la modernisation du système d’éducation, la constitution d’entreprises publiques dans des domaines stratégiques), elle ne peut empêcher la montée en puissance de la gauche et de son représentant emblématique : Salvador Allende.
Né en 1908, il est issu d’une famille bourgeoise aux
valeurs libérales. Si Salvador est médecin de formation, sa grande passion reste la vie politique, qu’il intègre en tant que leader étudiant au début des années
1930. Un des membres fondateurs du Parti Socialiste
du Chili en 1935, il reste attaché à cette structure sur
lequel son influence deviendra peu à peu déterminante. Député, puis ministre de la santé en 1938 (à
30 ans !), il prend définitivement les rênes du parti
socialiste en 1944. Homme réputé intègre, d’une
grande finesse intellectuelle, Allende représente le
visage respectable et modéré de la gauche chilienne.
Bien qu’intéressé par des expériences plus radicales
comme la révolution Cubaine, il prône une transition
pacifique et démocratique vers le socialisme, profon-
10
aLLenDe présiDent,
entre espoir et MenaCes
Le scrutin de septembre 1970, marqué par une très
forte polarisation de l’opinion, débouche sur un résultat serré : 36,6 % pour Allende, 35,3 % pour Alessandri
et 28,1 % pour le démocrate-chrétien Tomic. En absence de majorité absolue, la constitution chilienne
prévoyait que ce soit le Congrés qui choisisse le nouveau président. Durant les semaines qui vont suivre,
un rude combat parlementaire s’engage, combat dans
lequel les États-Unis (via la CIA) vont peser de tout
leur poids pour qu’Allende ne soit pas élu. Ainsi, Washington met en œuvre un plan visant à pousser l’armée chilienne à s’insurger. Cette tentative échoue dans
des circonstances dramatiques (le commandant en chef
de l’armée, un loyaliste, en sera d’ailleurs la victime).
Quoi qu’il en soit, un accord secret passé entre Tomic
et Allende permet à celui-ci de devenir président à
l’occasion du vote du Congrès le 24 octobre.
Salvador Allende met rapidement en œuvre le programme de l’Unité Populaire. L’épreuve de force avec
la droite s’engage sur le terrain de la nationalisation
des industries de cuivre. À l’été 1971, la mesure finit
par être mise en place, l’État Chilien devenant propriétaire des mines de cuivre en compensation d’indemnisations pour les entreprises qui les exploitaient
jusque-là. La réplique de Washington est immédiate :
sur les conseils d’Henry Kissinger, le président Nixon
organise un boycott des prêts internationaux au gouvernement chilien. Si dans un premier temps la politique du gouvernement d’Allende semble une réussite (l’inflation baisse, le pouvoir d’achat augmente, la
croissance est vigoureuse), l’année 1972 voit l’émergence de difficultés inquiétantes.
D’une part les réformes engagées et les pressions extérieures (principalement étasuniennes), entraînent un
regain de la polarisation de la société chilienne. La
réforme agraire (qui s’accompagne parfois de confiscation de terrains) pousse certains agriculteurs à s’opposer violemment au gouvernement. La tension est
aussi forte dans la rue, habilement entretenue par
l’opposition. Allende doit de plus faire face aux radicaux de l’Unité Populaire qui réclament une accélération de la transition vers le socialisme, quitte à aller
à l’affrontement armé avec la droite.
D’autre part, à cela viennent s’ajouter à partir de la
mi-1972, un ralentissement de la croissance puis la
récession. Privé du soutien des élites économiques et
des sources de financements internationaux, le Chili
fait face à la spirale infernale de l’endettement et de
l’inflation. La population voyant ses conditions de vie
se dégrader fortement proteste régulièrement dans
la rue. À l’agitation populaire se conjuguent les difficultés d’Allende à gouverner, en raison de la vigueur
de l’opposition parlementaire et de démissions à la
chaîne de ministres. La droite, cette fois regroupée au
sein de la CODE (Confédération démocratique du
Chili) tente même d’obtenir la destitution du président, ce qu’elle rate de peu. Enfin, l’armée jusque-là
maîtrisée par le général Prats, ministre de la défense
et loyaliste, se décide à agir de manière ouverte.
augusto pinoCHet
et Le putsCH Du 11 septeMBre 1973
À l’été 1973, Prats est vertement critiqué par ses pairs
en raison de son loyalisme, alors que le pays est plongé dans une grave crise par la grève des camionneurs
(dont le rôle vital s’explique par la géographie du pays).
Sous la pression, Prats démissionne de son poste de
ministre de la défense et de commandant de l’armée
le 23 août 1973. Allende nomme pour le remplacer le
général Augusto Pinochet. Réputé sans envergure et
relativement apolitique, il a étouffé deux mois plus tôt
une tentative de rébellion d’un régiment de blindés.
D’origine bretonne, ce militaire de carrière catholique né en 1915, s’est jusque-là tenu à l’écart des
complots qui se trament dans l’armée contre Allende.
Néanmoins il est contacté par l’amiral Merino, le commandant en chef de la marine, et âme des conspirations contre le Président. Merino qui peut se vanter du
soutien d’une bonne partie du corps des officiers généraux et des États-Unis (dont le rôle dans le putsch luimême fait toujours débat) prévoit de passer à l’action
à l’occasion des manoeuvres que la marine chilienne
organise conjointement avec l’US Navy début septembre. Ces exercices fourniront la couverture nécessaire au putsch, dans lequel les troupes d’infanterie
de marine doivent jouer un rôle essentiel.
Pinochet, aprés des réticences initiales, comprend que
son opposition au plan de Merino pourrait lui coûter
sa carrière, voire la vie. Il se rallie donc aux putschistes.
Le général jusque-là loyaliste va se révéler un comploteur talentueux. Il prend l’ascendant sur ses rivaux au
sein de la junte de 4 membres prévue pour diriger le
pays suite au renversement d’Allende. Pinochet insiste d’ailleurs sur la nécessité d’éliminer physiquement
le président, à qui il doit son poste. D’autre part, il
n’entend pas rendre le pouvoir à la droite parlementaire une fois le putsch réussi. Augusto Pinochet a
désormais de grandes ambitions personnelles…
11
La DiCtature De pinoCHet
Dans les jours qui suivent le coup d’état, Augusto
Pinochet fait en sorte de mettre le pays au pas, tout
en assurant son pouvoir personnel. Après avoir fait
dissoudre toutes les institutions représentatives (le
congrès, les communes), mais aussi les partis et les
syndicats, il organise la répression dans le cadre de
l’État d’urgence.
Le 11 septembre, quelques heures avant l’aube, les
troupes d’infanterie de marine s’emparent sans coup
férir du port de Valparaiso (le poumon économique du
pays). Quelques heures plus tard, l’armée de terre entre
dans la danse et impose son autorité sur l’essentiel
des villes chiliennes. À Santiago, la capitale, elle entreprend à l’aide de l’aviation, de réduire au silence les
radios et les chaines de télévision. Allende, isolé et mal
informé se réfugie à la Moneda (la résidence présidentielle) accompagné de ses gardes du corps. À 8h30, il
croit encore une partie de l’armée fidèle et en appelle
même à Pinochet qu’il pense loyal. Ses appels n’obtiennent pour réponse qu’une demande de démission.
Allende refuse, arguant de ses devoirs constitutionnels envers le peuple chilien. De toute manière, cette
demande n’était qu’une manœuvre de Pinochet pour
le supprimer ensuite. Après un ultime discours radiophonique adressé aux chiliens, le président se résigne
à affronter l’assaut de l’armée, avec ses 42 gardes du
corps.
© X.DR
À 9 heures du matin, le siège de la Moneda s’engage à
grand renfort de blindés et d’infanterie. Tenus en respect par les snipers de la garde d’Allende, les militaires
font appel à l’aviation qui bombarde la résidence. De
violents combats s’engagent, les gardes du président
finissant par succomber sous le nombre. À 14 heures,
lorsque les armes se taisent, Salvador Allende est retrouvé mort. Il s’est vraisemblablement suicidé, dans
des circonstances qui prêtent encore aujourd’hui à
controverse. La légende voudrait que l’arme qu’il utilisa fût un cadeau de Fidel Castro (un fusil AK 47),
orné de l’inscription suivante : « À mon bon ami Salvador, de la part de Fidel, qui essaye par des moyens différents d’atteindre les mêmes buts. » Certainement trop
belle pour être vraie, l’anecdote n’en est pas moins symbolique de l’échec d’Allende à échapper à la violence.
© X.DR
Plus de 100 000 personnes vont être arrêtées, plus de
3 000 seront exécutées ou disparaîtront purement et
simplement. Bien que condamnant officiellement cette
violence d’état, les États-Unis soutiennent le nouveau régime qui devient l’un de leurs meilleurs appuis
dans la lutte contre le « communisme » en Amérique
du Sud (dans le cadre de « l’opération Condor »).
Devenu chef de l’état en 1974, Augusto Pinochet ne
quittera le pouvoir qu’en 1990, après une lente transition démocratique. Resté influent dans son pays (et
même populaire au sein d’une partie de l’opinion), le
sénateur à vie Pinochet est arrêté à Londres en 1998,
suite à un mandat d’arrêt international émis par le
juge espagnol Garzon. C’est le début de longues batailles juridiques, qui ne trouveront pas d’issue en raison de l’état de santé de l’ancien dictateur. Augusto
Pinochet mourra le 3 décembre 2006 d’un œdème
pulmonaire, sans jamais avoir regretté ses actes…
histoirepourtous.fr
Le 11 Septembre 1973, le palais présidentiel de La Moneda,
dans lequel s'est retranché le président Salvador Allende,
subit les assauts des troupes dirigées par Augusto Pinochet.
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11 SEPTEMBRE 1973 À 9H10
L’INTÉGRALITÉ DU DERNIER DISCOURS
DE SALVADOR ALLENDE
« C’est certainement la dernière occasion que j’ai de
vous parler. Les forces armées aériennes ont bombardé
les antennes de radio. Mes paroles ne sont pas amères
mais déçues. Elles sont la punition morale pour ceux
qui ont trahi le serment qu’ils ont prêté.
Je voudrais m’adresser à la femme simple de notre terre,
à la paysanne qui a cru en nous, à l’ouvrière qui a travaillé dur et à la mère qui a toujours bien soigné ses
enfants. Je m’adresse aux fonctionnaires, à ceux qui
depuis des jours travaillent contre le coup d’État, contre
ceux qui ne défendent que les avantages d’une société
capitaliste.
Soldat du Chili, Commandant en chef, associé de
l’Amiral Merino, et du général Mendosa, qui hier avait
manifesté sa solidarité et sa loyauté au gouvernement,
et aujourd’hui s’est nommé Commandant Général des
armées.
Je m’adresse à la jeunesse, à ceux qui ont chanté et ont
transmis leur gaieté et leur esprit de lutte. Je m’adresse
aux Chiliens, ouvriers, paysans, intellectuels, à tous
ceux qui seront persécutés parce que dans notre pays le
fascisme est présent déjà depuis un moment. Les attentats terroristes faisant sauter des ponts, coupant les
voies ferrées, détruisant les oléoducs et gazoducs, face
au silence de ceux qui avaient l’obligation d’intervenir.
L’Histoire les jugera.
Face à ces événements, je peux dire aux travailleurs que
je ne renoncerai pas. Dans cette étape historique, je
paierai par ma vie ma loyauté au Peuple.
Je vous dis que j’ai la certitude que la graine que l’on a
confiée au Peuple chilien ne pourra pas être détruite
définitivement. Ils ont la force, ils pourront nous asservir, mais n’éviteront pas les procès sociaux, ni avec le
crime, ni avec la force.
Ils vont sûrement faire taire radio Magallanes et vous
ne pourrez plus entendre le son métallique de ma voix
tranquille. Peu importe, vous continuerez à m’écouter, je
serai toujours près de vous, vous aurez au moins le souvenir d’un homme digne qui fut loyal avec la patrie. Le
Peuple doit se défendre et non pas se sacrifier, il ne doit
pas se laisser exterminer et se laisser humilier.
L’Histoire est à nous, c’est le Peuple qui la fait.
Travailleurs de ma patrie, je veux vous remercier pour
la loyauté dont vous avez toujours fait preuve, de la
confiance que vous avez accordé à un homme qui fut le
seul interprète du grand désir de justice, qui jure avoir
respecté la constitution et la loi. En ce moment crucial,
la dernière chose que je voudrais vous dire, c’est que la
leçon sera retenue.
Travailleurs : j’ai confiance dans le Chili et dans son
destin. D’autres hommes espèrent plutôt le moment gris
et amer où la trahison s’imposerait. Allez de l’avant
sachant que bientôt s’ouvriront de grandes avenues où
passera l’homme libre pour construire une société meilleure.
Le capital étranger, l’impérialisme, ont créé le climat
qui a cassé les traditions : celles que montrent Scheider
et qu’aurait réaffirmées le commandant Araya. C’est de
chez lui, avec l’aide étrangère, que celui-ci espérera
reconquérir le pouvoir afin de continuer à défendre ses
propriétés et ses privilèges.
Vive le Chili, vive le Peuple, vive les travailleurs ! Ce
sont mes dernières paroles, j’ai la certitude que le sacrifice ne sera pas vain et qu’au moins surviendra une
punition morale pour la lâcheté et la trahison. »
salvador allende
radio Magallanes
Le 11 septembre 1973 à 9h10
À ÉCOUTER SUR
https://www.youtube.com/watch?v=ufHireel0_o
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ALLENDE ET MARCEL DUCHAMP
À LA MOULINETTE
La compagnie chilienne la re-sentida déboule en France
avec deux spectacles drôles et subversifs. et évoque un Chili
aussi déjanté que les acteurs de la bande.
On les a découverts cet été, au Festival d’Avignon. La
compagnie chilienne la Re-sentida y présentait La Imaginación del futuro (« l’imagination du futur »), très
mal accueillie par bon nombre de critiques. Certains
y ont descellé un « révisionnisme servi sur un plateau »
(Patrick Sourd, les Inrockuptibles) tandis que dans
Libération, René Solis estimait que le spectacle relevait « du crétinisme politique ». Nous ne pûmes alors
rendre compte de notre point de vue dans ces colonnes,
faute de place. Mais la compagnie chilienne est en
tournée en France ces jours-ci au CDN de Montreuil
pour y présenter une pièce antérieure, Tratando de
hacer una obra que cambie el mundo (« Nous essayons
de faire une œuvre qui change le monde »), et reprendre La Imaginación… L’occasion nous est donc donnée
de revenir sur le travail du metteur en scène Marco
Layera, né au Chili en 1977, dont le questionnement
récurent est de faire exploser les codes de la représentation théâtrale, quitte à y laisser des plumes.
Histoire de faire parler autour de lui ? Dans la Imaginación…, tout tourne autour de la figure tutélaire
de Salvador Allende. Quarante ans après le coup d’État
de Pinochet, et la mort d’Allende dans le palais de La
Moneda bombardé, Marco Layera s’attaque au mythe.
Sur la scène, transformée en studio de télévision, il
imagine Allende flanqué d’une kyrielle de conseillers en communication, entouré de ministres cocaïnés et de journalistes hystériques. Il lit, sous tous les
tons possibles, son dernier discours. Entre changements intempestifs de décor (révolutionnaire ou bucolique) et autres injonctions – c’est pour la télévision –, l’homme se prête au jeu, change de ton,
s’adapte aux ordres et contre-ordres donnés en régie.
Plus tard, une petite fille-marionnette racontera les
tortures subies et s’en prendra à Allende. On lance
une collecte auprès des spectateurs pour financer les
études d’un pauvre et l’une des actrices proposera
même une fellation à un spectateur pour qu’il mette
la main à la poche. Stupeur et tremblement dans les
rangs… La provocation, l’excès, la cruauté, rien ne
nous est épargné. Mais de quoi s’offusque-t-on ? Du
mauvais goût ? D’un certain cynisme qui ne dirait
pas son nom ? Marco Layera estime qu’il s’attaque
au mythe pour mieux interroger la gauche bien-pensante ; il ne comprend pas comment son travail a pu
être reçu aussi violemment en France. « Je n’ai rien
à voir avec la droite et l’extrême droite chiliennes. Mon
théâtre s’adresse à la gauche. Évidemment, ça dérange,
ça provoque du malaise… tant pis. » En quoi son théâtre
serait-il moins irrévérencieux que celui d’un Rodrigo
Garcia dont on peut penser que, sous prétexte de
dénoncer la société de consommation, il passe son
temps à traiter le spectateur de crétin puisqu’il participe de cette société marchande ? Layera n’accable
pas le spectateur. Il tente de le secouer, de le réveiller, de l’énerver, quitte à le fâcher. Car entre le discours testament d’Allende et la social-démocratie
d’aujourd’hui, de l’eau a coulé sous les ponts. Alors
qui trahit qui ? Certes, Layera est confus, bordélique,
procédant par des ellipses et des pirouettes qui peuvent agacer. Comme son côté dynamiteur de bonne
conscience. Mais il nous parle d’un Chili qu’on ne
connaît plus qu’à travers des éléments de langage. Et
on se dit que pour comprendre un pays aujourd’hui,
sa complexité, les hommes et les femmes qui l’habitent, mieux vaut se tourner vers les poètes, les écrivains, les cinéastes, les dramaturges… Layera n’hésite pas à se moquer de lui-même. Ainsi dans Tratando de hacer una obra que cambie el mundo, qui précède dans sa création la Imaginación…, une troupe
de théâtre, pour marquer son opposition au gouvernement, se réfugie dans une cave et tente, depuis
cinq ans, d’écrire l’œuvre qui transformera le monde.
Ça tourne au grotesque, à la farce surtout quand leur
informateur leur annonce qu’un nouveau gouvernement met tout en œuvre pour le bonheur de ses
concitoyens… Bref, le Chili serait devenu un paradis.
Ils ne s’y résolvent pas. Ça ne rentre pas dans leur
disque dur. « Somos una generacion que no le ha pasado
nada », dit en boucle l’un d’eux. Peut-être parce que
jusqu’ici, toutes les tentatives de changer le monde
ont échoué…
Marie-José sirach, 6 oct. 2014
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MARCO LAYERA
© X.DR
Il étudie d’abord le droit à l’université du Chili, travaille comme assistant à la chaire de philosophie et se spécialise en criminologie. En
2008, après une formation en théâtre, il crée la compagnie La resentida dont il assure la direction et avec laquelle il met en scène
Simulacro et Tratando de hacer una obra que cambie el mundo,
deux spectacles présentés sur diverses scènes et festivals internationaux.
Il dirige aussi divers procédés de recherches scéniques, collabore à la revue Apuntes de la Universidad Católica et au supplément culturel Alias del diario Il Manifesfiesto. Il reçoit le prix
« Eugenio Guzman » au Festival des directeurs de théâtre, organisé par l’université du Chili et la reconnaissance de la « Meilleure
mise en scène » au Festival du Jeune Théâtre organisé par le
Théâtre municipal des Condés. Il est également nominé pour le
prix « Altazor » dans la catégorie « Mise en scène ».
En 2012, il réalise sa troisième mise en scène, La Imaginación del
futuro.
LA RE-SENTIDA
La re-sentida est née en 2008. Elle rassemble de jeunes artistes
de la scène nationale chilienne qui se consacrent à la recherche
et la consolidation d’une poétique capable d’incarner les pulsions,
les visions et les idées de leur génération. Leur objectif est de réaliser des mises en scènes d’auteurs et de se démarquer des formes
et des discours hégémoniques. Ainsi, la compagnie assume
comme un devoir l’effronterie, la désacralisation des tabous et la
réflexion sur la provocation, accordant à la création théâtrale une
forte portée politique, l’utilisant comme un instrument de critique,
de réflexion et de construction.
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À LIRE
→ No pasaran ! suivi de Le peuple doit se défendre: message radiodiffusé de Salvador Allende,
11 sept. 1973 (Points Seuil)
→ Chili 1970-1973 : mille jours qui ébranlèrent le monde de Franck Gaudichaud
(Presses universitaires de Rennes)
→ Allende : c’est une idée qu’on assassine de Thomas Huchon (Eyrolles)
→ Rompre le silence : je t’accuse Pinochet de Martha Helena Montoya Vélez (Elytis)
→ Nocturne du Chili de Roberto Bolaño (Christian Bourgois éditeur)
→ Le Gaucho insupportable de Roberto Bolaño (C. Bourgois éditeur)
→ J’avoue que j’ai vécu : mémoires de Pablo Neruda (Folio Gallimard)
→ La Folie de pinochet de Luis Sepulveda (Métailié)
→ Chili, 11 septembre1973 : la démocratie assassinée : récits témoignages
de Eduardo Castillo (Arte Éditions : Serpent à Plumes)
À VOIR
La bataille du Chili, trilogie documentaire de Patrizio Guzman.
FOCUS CHILI
LES SPECTACLES
Loop.3 JOSÉ VIDAL
4 < 6 décembre 2014 CENTRE NATIONAL DE LA DANSE, PANTIN 93
Dans une ambiance disco, un tableau vivant et mouvant, inspiré de peintures baroques et de photographies contemporaines, pour neuf danseurs du chorégraphe José Vidal.
esCueLa GUILLERMO CALDERÓN
en espagnoL surtitré en FranÇais
8<17 janvier 2015 THÉÂTRE DE LA CITÉ INTERNATIONALE, PARIS 14e
Quarante ans après le coup d’État qui installa Pinochet, un groupe de militants clandestins tente de
combattre la dictature. Nécessité du combat, sens de l’engagement…
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