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Levinas et la culture européenne
Claire Marie Monnet op et Michel Van Aerde op
Prologue
Rescades pogroms de l’Europe de l’Est ainsi que de la persécution nazie, philosophe juif
et, comme certains de ses prédécesseurs, tenté par l’assimilation, E. Levinas, sans tergiverser,
met en cause la philosophie européenne. Après les éloges, vient la dénonciation de la
perversion.
« Les formes de la vie européenne ont conquis les israélites dans la mesure où elles reflètent l’excellence
spirituelle de l’universalité, norme du sentir et du penser, source de la science, de l’art et de la technologie
moderne, mais aussi de la réflexion, de la démocratie et fondement des institutions rattachées à l’idéal de
la liberté et des droits de l’homme.
Personne ne saurait, certes, oublier les événements du 20ème siècle : deux guerres mondiales, fascisme et
holocauste. Les doctrines et les institutions de l’Europe en sortent bien compromises. N’empêche que
nous nous référons à elles en nous opposant à leur descendance monstrueuse et distinguons la perversion
advenue de la bonne graine. » 1
Pour Levinas, la nature même de lontologie occidentale est violente. Après avoir présenté
avec pédagogie et clarté son argumentation, nous en discuterons.
1 (L’Au-delà du verset. Lectures et discours talmudiques, Paris, Editions de Minuit 1982 p 229-230)
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Introduction (Michel Van Aerde)
1. L’Union Européenne est difficile dit-on. Mais je ne sais pas quand elle a
pu être facile ! LUnion Européenne est constituée d’anciens ennemis
réconciliés qui ont perçu un intérêt commun. Aujourd’hui, mais peut-être
n’est-ce que le seul fait d’une démographie en implosion, l’Europe se
présente comme en paix et ne menace aucunement les autres continents.
2. Ce n’est pas cette Europe qu’a connue Levinas. Exilé de Lituanie, il a
dû, en France, protéger sa famille des persécutions nazis.
3. C’est en Europe que s’est développée la civilisation actuellement
dominante, se trouve posée de façon tragique la question de la violence
au 20ème siècle. Guerres mondiales, Auschwitz, libéralisme, etc.
4. N’y a-t-il pas dans la logique profonde qui anime et sous-tend la
civilisation occidentale, l’explication de cette violence, une ‘ratio’ ?
se trouve le germe ? La violence serait-elle au commencement de la
pensée (lucidi) rationnelle, une rationali qui, par nature serait
violente ? La nature même de l’ontologie occidentale est violente.
Voilà la lecture de Levinas. Il ne s’agit pas d’une erreur contingente, écrit-
il.
5. Dans cette pensée très critique à légard de la civilisation européenne,
Levinas n’est pas seul. Notre conférence est centrée sur cet auteur mais
dès ces premiers mots d’introduction, je voudrais signaler qu’il y a là
comme une famille de pene qui s’origine chez Husserl en particulier
dans son ouvrage La crise des sciences européennes et la
phénoménologie transcendantale, trad. Granel, éd. Gallimard, 1976, se
retrouve chez Patocka ainsi que chez Michel Henry.
Puisque j’ai parlé de Husserl, je ne peux mempêcher de vous livrer cette
citation si elle n’a rien à voir avec notre sujet : « Le plus grand danger qui
menace l’Europe est la lassitude » Husserl Krisis appendice III p 382.
Mais quel rapport y a-t-il entre la philosophie et l’Europe ? Il est en fait
essentiel, dit Husserl :
« En fait, c’est la philosophie qui a créé le caractère fondamental de
l’Europe en en faisant une configuration cohérente animée par l’esprit et
par une vie douée d’unité (…) » 2
2 HUSSERL, La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, trad. Granel, éd.
Gallimard, 1976, p. 13 (Husserl parle aussi d’une tension vers un pôle infini, comparable à une tour
babylonienne voir La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, trad Ricoeur, éd
bilingue, Aubier Montaigne, 1977, PP46-47)
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« Les combats spirituels authentiques de l’humani européenne en tant que tels
se déroulent comme des combats entre philosophies, savoir : entre les
philosophies sceptiques ou plutôt les non philosophies, qui ont conservé le
terme mais non la tâche et les philosophies réelles, encore vivantes. » P20,
p. 13
« La question est de savoir si le Télos qui naquit pour l’humanieuropéenne
avec la naissance de la philosophie grecque : vouloir être une humaniissue de
la raison philosophique, et ne pouvoir être qu’ainsi, dans le mouvement infini
la raison passe du latent au patent et la tendance infinie à l’auto-normation par
cette vériet authenticité humaine qui est sienne, n’aura été qu’un simple délire
de fait historiquement repérable, lhéritage contingent d’une humani
contingente, perdu au milieu d’humanités et d’historicités tout autres ; ou bien
si, au contraire, ce qui a percé pour la première fois dans l’humanité grecque
n’est pas plutôt cela même qui, comme enléchie, est inclus par essence dans
l’humanité comme telle. »
Cette perception sera particulièrement veloppée par Patocka quand il montre
que la philosophie est en quelque sorte la tâche, le devoir, l’exigence qui finit
l’homme européen
« () par seulement serait ci si l’humanieuropéenne porte en soi une idée
absolue au lieu d’être un simple type anthropologique comme la Chine ou les
Indes ; et décidé du même coup si le spectacle de l’europésation de toutes les
humanités étrangère annonce en soi la vaillance d’un sens absolu, relevant du
sens du Monde et non d’un historique non-sens de ce même Monde. » Crisis P
21
Or cette philosophie européenne, Levinas la met très sérieusement en question
en particulier quand il la considère sous l’angle de son rapport à la violence.
QUI EST LEVINAS ? Les grandes étapes de sa vie et de sa pensée
(Claire Marie Monnet)
A loccasion du 100e anniversaire de la naissance de Levinas des colloques, des
rencontres, sont organisés dans le monde entier pour célébrer sa mémoire
comme à Jérusalem, Cluny et Paris. S’il n’a pas toujours été vraiment reconnu
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comme un grand philosophe quand il était vivant, il est maintenant de plus en
plus considéré comme un philosophe qui renouvelle profondément la pensée.
1. La Lituanie
Levinas est le 12 cembre 1906 en Lituanie, à Kovno, dans une famille juive
pratiquante. Son père est libraire et dans sa famille il pourra s’initier à l’hébreu
comme au russe.
En 1914, à la déclaration de guerre, la famille fuit l'avane des armées
allemandes. Elle s'installe en Russie, à Karkhov, jusqu'en 1920. Elle revient
alors en Lituanie car, après la révolution bolchévique, commencent des
manifestations contre les juifs. A Karkhov, malgré le numerus clausus qui limite
à 5 les juifs qui sont admis, Emmanuel Levinas entre au lycée. « L'entrée au
lycée [fut] célébrée à la maison comme une véritable fête de famille et une
promotion ! Comme un doctorat ! » FP-EL, p. 67
Il y fait toutes ses études secondaires. Il s’ouvre aux questions métaphysiques en
lisant les grands écrivains russes Pouchkine, Lermontov, Tolstoï,
Tourgueniev et surtout Dostoïevski. « Livres traversés par l'inquiétude, par
l'essentiel, l'inquiétude religieuse, mais lisible comme quête du sens de la vie ».
EL
2. Strasbourg
E. Levinas poursuit ses études à Strasbourg, « C'est le sol de cette langue qui est
pour moi le sol français ». Avec ses camarades, il est témoin de l’affaire Dreyfus
et surtout de la réhabilitation.
« Ils gardèrent moins le souvenir du fait qu'en pleine civilisation une injustice ait
été possible que du triomphe remporté par la justice… De leur face émanait
comme un rayonnement. » EL, Difficile liber.
Il fréquente de bons professeurs de philosophie : Maurice Pradines, Charles
Blondel, Maurice Halbwachs, Henri Carteron. Et il découvre la philosophie de
Bergson.
Toutes les nouveautés de la philosophie du temps moderne et post-moderne, et
en particulier la vénérable nouveauté de Heidegger, ne seraient pas possible sans
Bergson..”
Il lie une amitié profonde avec Maurice Blanchot qui l’initie à Proust et Valéry.
5
3. L’Allemagne
E. Levinas découvre E. Husserl et lit Recherches logiques ». Il est profondément
marqué par cette découverte de la phénoménologie, il a l’impression d'avoir
accédé à de nouvelles possibilités de pensée.En 1928, il décide d’aller écouter
directement Husserl à Fribourg. Il y séjourne de mars à juillet 1928 et d’octobre
à février 1928-1929. Husserl suit ensuite les cours de Martin Heidegger après
avoir lui Sein und Zeit. Il participe alors aux rencontres de Davos. Il y est alors
« un défenseur de Husserl et Heidegger, un Lituanien qui va publier un article
sur Husserl dans la Revue Philosophique. » (J. Cavaillès - lettre à sa sœur - in
MAL-EL). C’est alors qu’il écrit un petit ouvrage critique Sur les Idées de M.
Husserl paru dans la Revue Philosophique de la France et de l'Etranger.
Dans le prolongement de ces rencontres, il soutient sa thèse de doctorat à
Strasbourg : Théorie de l'intuition dans la phénoménologie de Husserl.” Elle
est publiée chez Vrin
4. Paris
E. Levinas s’emploie à ladministration scolaire de l’Alliance Israélite
universelle. Il se marie en 1932 avec une personne quil a connue à Kovno.
Il suit les cours de Léon Brunschvig, le pape de la philosophie en France”
(MAL-EL). A la Société Française de Philosophie, il rencontre Jean Wahl, il
participe aux soirées avant-gardistesde Gabriel Marcel. Il peut y entendre un
exposé de JP Sartre.
Il traduit alors les Méditations cartésiennes de E. Husserl.
5. Le Nazisme
E. Levinas publie alors surtout dans les revues juives, des analyses sur la
situation et sur le fait juif.
« L'hitlérisme est la plus grande épreuve l'épreuve incomparable que le
judaïsme ait eue à traverser…. Ce qui donne à l'antisémitisme hitlérien un accent
unique et en constitue, en quelque manière, l'originalité, c'est la situation sans
précédent il a mis la conscience juive… Le sort pathétique d'être juif devient
une fatalité… Le juif est inéluctablement rivé à son judaïsme »
EL in Paix et droit, 1935
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