•6_AMTERR_ITVLEVRIER_SL.qxd 25/08/06 11:33 Page 22 ENTRETIEN Philippe LÉVRIER « Le CSA attribue des fréquences selon des critères qualitatifs fixés par la loi » Interview réalisée avec le concours de la Mission Ecoter (www.ecoter.org). Philippe LÉVRIER MEMBRE DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’AUDIOVISUEL 22 Cités Numériques : Quelles sont les missions et les responsabilités du CSA ? Philippe Lévrier : Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel a trois missions principales. La première d’entre elles consiste à contrôler que les stations de radio et de télévision respectent la loi. Il s’agit des règles relatives au pluralisme, à la diffusion des œuvres cinématographiques, à la protection du jeune public, à l’insertion de la publicité. Le CSA dispose d’un pouvoir de sanction qui peut aller jusqu’au retrait de l’autorisation mais, dans la majorité des cas, les infractions se soldent par des amendes. La seconde attribution est ce que j’appelle le Permis de Conduire une radio ou une télévision. Il faut savoir que le CSA n’est pas fondé à interdire à quiconque de diffuser des programmes de radio ou de télévision à moins qu’il ne détecte – a priori – un risque de trouble à l’ordre public. Ce permis est une convention signée entre le candidat diffuseur et notre autorité. Dans cette convention, le candidat diffuseur décrit son service, s’engage à respecter la loi et à rendre compte au CSA de ses activités. Enfin, la troisième mission est l’attribution des fréquences au travers d’une mission générale de planification des fréquences et d’attribution des droits d’usage. Cités Numériques : Il existe actuellement des rumeurs sur la future fusion de l’ARCEP et du CSA, laquelle serait nécessaire dans un monde de convergence. Qu’en pensez-vous ? Philippe Lévrier : Aujourd’hui les compétences des deux organismes sont clairement définies et il n’y a pas de recouvrement. Chacun gère ses fréquences dans des conditions très différentes. Le CSA prend ses décisions sur des critères qualitatifs alors que l’ARCEP attribue les fréquences selon des paramètres économiques. La vraie question est celle-ci : voulons-nous attribuer les fréquences de télévision sur des critères économiques, autrement dit souhaitonsnous attribuer les fréquences de radio télévision à ceux qui sont prêts à payer le plus cher ? Si tel devenait le cas, il faudrait refermer le dossier des télévisions locales, lesquelles seraient dès lors incapables de suivre la course face à la télévision mobile, aux grandes chaînes… « Allons-nous nous installer dans un fauteuil numérique suffisamment confortable, ou allons-nous tomber dans le vide ? » Cités Numériques n° 8 • 3e trimestre 2006 •6_AMTERR_ITVLEVRIER_SL.qxd 25/08/06 11:33 Page 23 Membre du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel « La vraie question est celle-ci : voulons-nous attribuer les fréquences de télévision sur des critères économiques, autrement dit souhaitons-nous attribuer les fréquences de radio-télévision à ceux qui sont prêts à payer le plus cher ? » En réalité, la question est de savoir si le Gouvernement veut, ou non, déléguer à un organisme unique le soin de répartir les fréquences entre les différents services de communication. Cités Numériques : Comment se passe l’attribution des fréquences ? Philippe Lévrier : L’attribution des fréquences se fait sur un concours. En premier lieu, je dois préciser que cette attribution concerne uniquement les fréquences hertziennes et non pas la diffusion des chaînes par ADSL, câble et satellite. Le CSA choisit selon des critères fixés par la loi, qui sont des critères qualitatifs. Le premier d’entre eux est l’intérêt du projet pour le public, le second est la diversité des opérateurs et le troisième le pluralisme. Enfin, il y a la crédibilité financière. Nous voyons souvent arriver des projets montés par des équipes sympathiques et enthousiastes mais qui ne sont pas financés. Cités Numériques : Les fréquences analogiques sont appelées à disparaître. Pourtant, une nouvelle vague d’autorisations de diffusion a été donnée durant ces dernières années. Pour quelles raisons ? Philippe Lévrier : Il y a 3 ou 4 ans, le CSA a décidé de redonner une impulsion aux fréquences analogiques pour le local. Chacun pensait qu’il fallait laisser mourir l’analogique. Je n’étais pas d’accord, car il ne suffit pas d’attendre que les fréquences numériques soient disponibles, il faut attendre que le numérique atteigne le foyer. La TNT marche bien et le taux d’équipement des foyers est bon. Nous sommes à 10 % actuellement, peut-être 15 %, mais ce n’est pas suffisant. Donc pour atteindre une audience importante, il était indispensable de passer par l’analogique. Ensuite, il existait des projets de télévisions locales qui ont donné du renouveau aux fréquences analogiques et c’est ainsi que nous avons appelé cette phase le marchepied analogique pour aller vers le numérique. Cette phase est maintenant terminée. Il faut oublier l’analogique. Le gouvernement est en train de préparer un arrêté prévoyant que le CSA ne pourra plus donner de fréquences analogiques après le 31 mars 2007. D’ici là, il y a deux ou trois appels à candidatures en cours, notamment à Issoudun et à Caen. Aujourd’hui, la question qui se pose est la suivante. Allons-nous nous installer dans un fauteuil numérique suffisamment confortable ou allons-nous tomber dans le vide ? On parle de nouveau souffle pour la télévision locale, mais aujourd’hui l’urgence est de réserver des fréquences numériques pour la télévision locale. Cités Numériques : Pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement des multiplexes? Philippe Lévrier : Dans le cas de l’analogique, une fréquence porte un seul et unique programme. En numérique, elle porte 5 ou 6 programmes qui sont ainsi regroupés sous le vocable « multiplexe ». Par exemple, les 6 chaînes publiques (France 3, 4 et 5, Arte et LCP/Public Sénat) sont regroupées dans un même multiplexe. Initialement, les télévisions locales devaient être sur le multiplexe 5, mais d’autres se sont portées candidates : la Télévision Haute Définition, la Télévision Mobile. Le CSA considère qu’il n’est pas raisonnable de mettre la TV locale en compétition avec les autres acteurs qui ne manqueront pas de mettre en avant des arguments économiques, notamment en termes de créations d’emplois. Aussi, l’organisme de régulation souhaite installer la télévision locale sur le multiplexe R1. Pour cela il faut enlever une chaîne publique, la mettre sur un autre multiplexe et récupérer ainsi l’espace pour la télé locale. Ceci est possible théoriquement grâce à la norme MPeg4 qui permet de mettre plus de chaînes sur un même multiplexe. Les télévisions locales existant en analogique sont les premières candidates naturelles pour une diffusion en analogique et en numérique. C’est important pour elles, mais il faut faire attention à ne pas perdre l’audience. Les seconds sont de nouveaux candidats qui n’ont pas de fréquence : Lille, l’Alsace, pour lesquels nous n’avons pas pu trouver de fréquences analogiques. Ce processus suppose qu’il y ait un engagement suffisant des télévisions locales pour occuper le multiplexe 1. Cités Numériques n° 8 • 3e trimestre 2006 Cités Numériques : Tout ceci ne vaut pas pour Paris ? Philippe Lévrier : Le cas de Paris est différent. Si l’on peut considérer qu’une seule et unique fréquence est suffisante pour des villes comme Nantes, Grenoble voire Marseille, le CSA a estimé que cela n’était pas assez pour un bassin de population de 10 millions de personnes. Par ailleurs, sélectionner un candidat parmi cinq est envisageable, mais certainement pas lorsque plus d’une vingtaine de candidatures sérieuses se présentent. Aussi, nous avons décidé que la fréquence attribuée à Paris serait numérique afin d’avoir plusieurs places. Après, la question se pose de savoir s’il existe un modèle économique pour cinq ou six télévisions en Île-de-France. Dans un premier temps, nous avons organisé une consultation disponible sur le site Internet du CSA. Le résultat est encourageant et nous allons prochainement procéder à l’appel à candidatures. Cités Numériques : Quels seront les critères d’attribution des fréquences pour la télévision mobile ? Philippe Lévrier : Ils seront les mêmes que ceux évoqués précédemment mais, pour le moment, nous attendons une évolution de la loi. Après la loi, il y aura une période de consultation du marché. De notre côté, nous gardons quelques fréquences en réserve pour constituer un réseau adapté, le M 7. Cités Numériques : Certains considèrent que le CSA empêche un développement plus rapide de la télévision sous différentes formes par rapport à d’autres pays, en particulier l’Espagne… Philippe Lévrier : Tout d’abord, je voudrais rappeler qu’avec la TNT jamais nous n’avions développé aussi rapidement un nouveau réseau. Ensuite, en ce qui concerne l’exemple de l’Espagne, certes il existe de très nombreuses télévisions régionales mais l’absence de régulation fait que l’on ne sait pas très bien si l’on regarde une émission de télévision ou de la publicité audiovisuelle en boucle. Il faut mesurer toutes les conséquences. ■ 23