christianisme est une religion inférieure à l’islam. « Notre peuple a tenu la
ville de Jérusalem pendant quelque quatre-vingt-neuf ans », écrit l’auteur
anonyme de De Expugnatione Terrae Sanctae per Saladinum. « En très peu
de temps, Saladin a conquis presque tout le royaume de Jérusalem. Il a exalté
la grandeur de la loi de Mahomet et montré par là même qu’elle pourrait bien
surpasser celle de la religion chrétienne. »5
La misère franque n’est pas moins intense que la jubilation musulmane.
Pour Imad al-Din, la victoire de l’islam est nette, tout comme la fin des
incrédules, comme si le christianisme était détruit. Pour amplifier l’effet au
maximum, Saladin a attendu le vendredi 27 Rajab du calendrier musulman,
anniversaire du voyage nocturne de Mahomet au paradis depuis Jérusalem,
pour s’emparer de la ville. « Quelle merveilleuse coïncidence ! », s’est
exclamé le biographe et ami de Saladin6. En entrant dans la ville, Saladin
irradie de bonheur face au triomphe du djihad, prend place sur un trône
comme entouré d’un halo lunaire et donne audience pour recevoir les
félicitations. On embrasse son tapis, son visage rayonne, son parfum est
doux, son affection totale, son autorité intimidante. Saladin prend soin de
présenter la capture de Jérusalem comme l’immense victoire du djihad car, à
l’instar de « l’attitude propagandiste »7 qui avait consisté à purifier la
mosquée al-Aqsa et le dôme du Rocher, il délivre le message selon lequel lui
et sa famille, les Ayyubides (de son père Ayyub), sont les véritables
souverains et les protecteurs de l’islam, et non le calife de Bagdad. Pour
insister sur ce point, Saladin ordonne que l’on frappe des pièces d’or à son
effigie le présentant comme « le sultan de l’islam et des musulmans »8.
Cependant, depuis 1174, année qui a vu Saladin devenir sultan d’Égypte
et qui a marqué le début de sa carrière indépendante, s’il est théoriquement
assujetti au calife abbasside de Bagdad, il a fait campagne contre les Francs
pendant à peine plus d’un an. Ses autres campagnes visaient d’autres
musulmans, qu’il diffamait en les traitant d’hérétiques et d’hypocrites et qui
le considéraient en retour comme « un souverain qui s’est servi de l’islam
pour son propre dessein »9. C’est ainsi que jusqu’en 1187, aux yeux des
musulmans, la réputation de Saladin n’est rien d’autre qu’« une suite de
projets et campagnes sans scrupules destinés à agrandir sa famille »10. On
comprend aisément que, lorsque la nouvelle de la capture de Jérusalem par