La formation a l`éthique des étudiants en soins infirmiers

Marie-Anne LECOMTE,
Infirmière enseignante
LA FORMATION À L’ÉTHIQUE
DES ÉTUDIANTS EN SOINS INFIRMIERS*
(BELGIQUE)
RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 86 - SEPTEMBRE 2006
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RENCONTRE
1Nous insistons auprès du lecteur sur le fait que toutes ces données sont issues de la réalité. Elles sont regroupées en une seule
situation pour permettre de créer le dispositif pédagogique. Nous précisons également que notre intention n’est pas de jeter un
discrédit sur la profession qui est la nôtre, mais de permettre aux futurs professionnels de rejoindre la majorité des soignants pour
lesquels le soin infirmier est aussi un soin humain.
Une journée au bloc opératoire…
7h le matin. Diplômé depuis peu, vous accueillez Monsieur X au bloc opératoire pour y subir une inter-
vention programmée sous anesthésie loco - régionale. L’observation du patient à l’entrée du bloc
montre un faciès rouge, une transpiration importante, des pulsations élevées.
Avant d’installer le patient dans la salle d’opération, vous le placez dans un couloir d’attente à proxi-
mité de la salle de réveil. Le patient vous interpelle régulièrement pour demander l’heure. Vous le ras-
surez mais vous êtes vite interpellé par votre supérieure hiérarchique. La charge de travail est lourde
aujourd’hui. Le temps est précieux, deux personnes de l’équipe soignante sont absentes aujourd’hui.
Le rythme s’accélère. La réunion d’équipe vient d’être annulée.
Monsieur X aperçoit dans la salle de réveil une personne maintenue au lit par des liens de conten-
tions. Elle était déjà dans le même état de confusion avant l’intervention et le personnel a cherché à
joindre la famille mais en vain. Cette personne crie et appelle au secours. Un soignant tente de la cal-
mer. Il la tutoie et use de son autorité sous le regard indifférent de l’équipe soignante qui commente,
difficilement vu le bruit, le scoop d’hier : A l’insu de la famille, une équipe chirurgicale a prélevé un
fémur sur un patient décédé en début de nuit en le substituant par un morceau de bois pour conser-
ver la rigidité du membre.
Vous installez Monsieur X sur la table d’opération. Il fait froid dans la salle. Vous aidez l’anesthésiste
à placer le cathéter d’anesthésie rachidienne chez le patient complètement dévêtu. Vous posez des
questions à l’anesthésiste et vous recevez un cours complet sur les risques liés à l’anesthésie. Le
patient vous raconte que son voisin de lit, opéré hier sous anesthésie générale, affirme avoir entendu
une partie de la conversation de l’équipe chirurgicale. Il ajoute qu’il a même senti la pose des agrafes
lors de la suture de la plaie sans pouvoir réagir. Pas de réponse de la part des soignants.
L’équipe chirurgicale se prépare. Vous enseignez le lavage chirurgical des mains au nouvel assistant.
L’anesthésiste réclame la médication. Vous craignez le stress de l’équipe. Cela vous rappelle l’étu-
diante qui s’est fait expulsée de la salle parce qu’elle n’avait pas entendu la référence du fil de suture
à apporter.
Une infirmière plus âgée relaie une jeune diplômée pour tenir la salle d’opération où se déroule une
interruption volontaire de grossesse :… «à mon âge, plus rien ne m’effraie». Pendant que d’autres soi-
gnants délibèrent dans les couloirs.
La prochaine intervention chirurgicale de la matinée s’avère délicate. Le patient refuse toute trans-
fusion sanguine alors que son état le requiert. Vous imaginez déjà le décès et la question du prélève-
ment d’organes. Un temps d’arrêt s’impose.
Le lendemain, vous effectuez votre visite post-opératoire chez Monsieur X. Il ne vous reconnaît pas
tout de suite : hier vous aviez votre masque.
Il est enchanté de l’anesthésie et des soins : «Quelle évolution dans la médecine aujourd’hui… !! »1
Mots clés : Compétence éthique, étudiants infirmiers, autonomie professionnelles, approche plurielle,
interdisciplinarité, méthodes pédagogiques actives, espace éthique.
* Article présenté pour l’obtention du diplôme d’études complémentaires du premier cycle en éthique biomédicale Septembre 2004
INTRODUCTION
Former à l’éthique des étudiants infirmiers. Que peut-on
leur enseigner ? Selon quelles approches et quelles méthodes
pédagogiques ? Quels sont les enjeux et les difficultés ?
Quelles doivent être les compétences et les tâches du
formateur ? Cette formation est-elle le domaine réservé
de quelques experts ?
Comment inviter les étudiants au questionnement
éthique ? Quels acquis faut-il chercher à développer chez
l’étudiant ? Selon quel type d’évaluation ?
Voilà quelques questions qui guident mon projet.
J’examine dans un premier temps ce qu’enseigne la lit-
térature. Je propose ensuite quelques pistes de réflexion
pour construire un programme de formation à l’éthique
destiné aux étudiants infirmiers inscrits en 4ème année
de spécialisation en salle d’opération.
Tout au long de cet article, ma volonté est de garder à
l’esprit le lien essentiel qui unit l’éthique et le cœur de
mon engagement. Parler d’éthique dans l’univers du soin,
c’est poser la question du sens du soin ancré dans le
quotidien de l’acte soignant. Pour trouver sens au ser-
vice du malade, l’acte soignant doit être posé d’une
manière efficace dans une perspective d’humanité.
«Il s’agit en réalité de situer la profession de médecin et de
soignant dans la perspective la plus ambitieuse qui soit,
l’homme. Parler d’éthique dans l’univers du soin n’est rien
d’autre qu’en venir au cœur même de l’acte soignant»
(Commission Ethique et professions de Santé, 2003).
Dans la suite de cet exposé, je fais appel de façon impli-
cite ou explicite, à mon expérience professionnelle d’in-
firmière praticienne et enseignante, à la formation en
pédagogie (CAPAES) et en éthique (DEC). Des réfé-
rences bibliographiques appuient les propos.
FORMER À L’ÉTHIQUE : ASPECT
THÉORIQUE
Peut-on enseigner l’éthique ?
«L’éthique n’est ni une science, ni une technique, ni un sys-
tème de règles, ni un savoir-faire. C’est pourquoi on ne peut
l’enseigner» (Rameix, 1996).
La question n’est pas nouvelle. Dans l’antiquité, Platon,
Aristote et Socrate s’interrogent sur ce thème sans y
répondre de manière affirmative (Rameix, 1996).
Un courant philosophique semble toujours soutenir ce
doute. Le philosophe Wittgenstein affirme que ce qui
est éthique ne s’enseigne pas. Williams, philosophe
anglais, renchérit et s’interroge sur les capacités de la
philosophie à parler d’éthique.
A contrario, on peut parler d’éthique car elle est l’ob-
jet d’un savoir. L’enseignement de l’éthique se fonde sur
le postulat d’une réflexion rationnelle possible dans
l’ordre des valeurs. (Rameix, 1996).
«Un travail rationnel est à la fois possible et nécessaire sur les
valeurs.… le nier, ce serait supposer qu’il n’y a de connais-
sance que scientifique, d’action que technique, de règle de
droit que positive ; Ce serait prendre position philosophique-
ment contre la possibilité pour la raison humaine de penser
les valeurs, et renvoyer nos comportements à l’arbitraire psy-
chologique, social et historique de chacun» (Rameix, 1996).
Pourquoi former à l’éthique ?
Aujourd’hui, parler d’éthique aux soignants apparaît
comme une nécessité.
Plusieurs préoccupations justifient cet enseignement.
Les valeurs morales sont relativisées par le recul du
religieux, le principe d’humanité est mis en péril par
la technique, les dilemmes sont devenus publics
(Rameix, 1996).
En mai 2003, la «Commission Ethique et professions de
Santé» de Paris explique que le monde de la santé est
en souffrance. L’exercice soignant est interpellé par les
évolutions culturelles. Le principe d’autorité est mis en
cause. Chaque individu cherche à définir ses propres
repères. Le rapport au temps est déstructuré. On vit
dans l’instant. L’interdit est sans cesse repoussé.
Par ailleurs, le principe de précaution est mis au pre-
mier plan. A l’obligation de moyens de la médecine
d’Hippocrate s’est substituée l’obligation de résultats.
La confiance, base de la relation entre patient et soi-
gnants, est en péril. Le rôle propre des soignants est
affaibli. Les exigences économiques et juridiques sont
de plus en plus pressantes. Le sens du soin est remis en
question.
La responsabilité infirmière dans le domaine des soins ne
cesse de croître et amène le professionnel à dévelop-
per une réflexion éthique concernant son rôle propre.
La réflexion éthique chez les infirmiers est essentielle
pour :
- Garder une vue holistique de la personne (Durand,
Duplantie, Laroche, Laudy, 2000) ;
- Optimaliser les soins (Wenner, 2003) ainsi que la rela-
tion avec le patient et les soignants (Ravez, 2001),
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améliorer la communication, respecter de bonnes
pratiques (l’Espace éthique de l’Assistance publique-
Hôpitaux de Paris) ;
- Ne pas se satisfaire des discours convenus
(Svandra, 2004), prendre de la distance et avoir un
autre regard pour prendre des décisions (Postel-
Ferry, 1999) ;
- Argumenter des orientations sur base d’informa-
tions qui évite tout réductionnisme, être capable de
négociation et de compromis, mais aussi d’indigna-
tion et de résistance pour maintenir l’humanité et la
dignité humaine ;
- Retrouver le sens de l’hospitalité (Druhle in Hottois
– Missa, 2001) et de ses actes (Boitte, 2000) pour
humaniser les soins (Parizeau in Hottois – Missa
2001) car les infirmières sont en situation de dis-
poser d’un pouvoir sur d’autres êtres humains
(GOFFI, 1999) ;
- Par le biais des comités d’éthiques, entrer dans
le débat interdisciplinaire au niveau hospitalier et
se positionner comme un partenaire égal au niveau
de la rationalité éthique en rendant compte de
la spécificité de sa pratique professionnelle
(Jacquemin, 1997) ;
- Gérer une prise en charge de personnes lors de
situations extrêmes et intégrer la nécessité de la
recherche médicale et thérapeutique (Espace
Ethique, 2003) ;
- Et de façon plus pragmatique, dans le quotidien
d’une équipe pluridisciplinaire active dans une unité
de soins :
pour que les infirmières cessent de raconter
leurs activités du weekend par dessus la tête d’un
patient qui souffre…, pour que le kinésithérapeute
respecte la pudeur du patient quand il mobilise les
membres inférieurs…, pour que le représentant
du culte religieux n’interroge pas les infirmières
dans les couloirs sur les décès potentiels du jour…,
pour que le médecin appelle le patient par son
nom…, pour que la secrétaire de la comptabilité
vérifie avec discrétion et non en public si la solva-
bilité du patient l’autorise à occuper une chambre
particulière…, pour que l’aide soignante ne
confisque pas la commande d’appel du patient…,
pour que l’infirmière respecte sa promesse d’in-
jecter l’antidouleur au moment convenu…, pour
que les portes des salles de garde soient fermées
lors des transmissions d’informations…, pour que
le gestionnaire soit conscient que les intérêts éco-
nomiques et financiers ne peuvent à eux-seuls dic-
ter le soin…, pour que l’angoisse de l’étudiant infir-
mier soit admise,… et enfin… pour que le réflexe
éthique soit identique à celui de se laver les
mains…, ou encore que le jugement éthique soit
assimilé au jugement clinique, celui qui n’appartient
qu’aux infirmières les plus chevronnées qui «sen-
tent leur patient»…
Quelle compétence éthique
doivent acquérir les infirmiers
et comment se construit-elle ?
La thèse de doctorat de Ch. Bertoholet-Sini réalisée
en 2000 à l’université de Nantes, «Du jugement à la
construction de la compétence éthique en soins infir-
miers», propose une définition de la compétence en
éthique et explique la façon dont elle se construit. Le
choix du terme compétence sera explicité ultérieu-
rement.
«La résolution d’un dilemme éthique chez l’infirmière est
liée au niveau de compétence professionnelle et se diffé-
rencie en fonction du stade professionnel, par un décen-
trement progressif de soi vers l’autre et par un souci
éthique permettant une meilleure appréhension du
contexte et de la complexité de la situation clinique.
L’intensité du souci de l’autre et la qualité de relation ins-
taurée apparaissent décisives dans le développement de
cette compétence quant à l’attention particulière portée
à la dignité du sujet et au respect de ses droits »
(Bertholet-Sini, 2000).
Retenons que cette compétence se construit lente-
ment à partir de la formation initiale et tout au long
de la carrière professionnelle. Elle nécessite un décen-
trement progressif de soi, une attention à l’autre ainsi
que des qualités relationnelles qui permettent de
maintenir la dignité et les droits du patient. Elle
requiert l’autonomie professionnelle.
Cette recherche s’appuie, entre autre, sur le modèle
de P. Benner et des cinq stades de compétence. L’auteur
imagine que la compétence éthique poursuit le même
chemin que toutes les autres compétences profession-
nelles. Ces stades de compétence sont : «novice»,
«débutant», «compétent» et «performant-expert».
« La compétence éthique de l’infirmier permet de
résoudre des problèmes moraux nouveaux et imprévus,
en sachant innover afin de trouver le comportement le
plus légitime et le plus juste possible face à une situation
contextuelle précise.
C’est être acteur dans la prise de décision en sachant
agir et s’engager dans la relation de soin en se souciant
du désir et des droits du sujet.
C’est intégrer et combiner des savoirs multiples pour dis-
cerner les questions éthiques afin de les finaliser dans
l’action morale.
C’est enfin avoir une autonomie professionnelle suffisante
pour rechercher un travail de coopération et une auto-
nomie de jugement qui permettent de discerner et d’ar-
gumenter son choix moral tout en respectant ses propres
valeurs afin de les traduire dans l’agir professionnel. »
(Bertoholet-Sini, 2000)
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Au stade de «novice» correspond la formation initiale,
à celui de «débutant» l’étudiant prêt à entrer dans la
vie professionnelle. La période du «compétent» cor-
respond aux trois premières années d’expérience pro-
fessionnelle. Le dernier stade est attribué aux soignants
qui possèdent une expérience plus grande, aux cadres
et aux enseignants infirmiers.
Relevons que, interrogés sur le sens du terme «com-
pétence éthique», les soignants répondent : une capa-
cité d’argumenter, d’avoir de l’expérience (sagesse),
d’avoir une connaissance particulière et d’avoir un
diplôme d’éthique. (Espace Ethique, 2003).
Le soignant (futur ou professionnel) progresse par l’ex-
périence. Il développe peu à peu une perception holis-
tique, structurée et intuitive. Il est acteur de sa forma-
tion, étend son autonomie et le sens des responsabilités.
La rencontre progressive de situations réelles et mul-
tiples ainsi que l’accompagnement dans l’expérience
semblent être déterminants pour l’apprentissage et le
passage au stade de compétence supérieure.
Selon la même étude, la formation initiale permet de
sensibiliser l’étudiant à l’éthique mais seul l’expert est
capable de résoudre un dilemme éthique. En com-
plément de la formation initiale, l’expert a développé
un savoir référentiel d’expériences qui lui est per-
sonnel et qui lui permet d’agir avec pertinence dans
une situation donnée. La théorie est limitée et n’ap-
porte pas la formation suffisante.
«La théorie offre ce qui peut être explicité et formalisé,
mais la pratique est toujours plus complexe et présente
toujours plus de réalités que l’on ne peut en appréhender
par la seule théorie» (Benner, 1995).
Le concept de «coopération» doit être élargi à celui
de «multidisciplinarité», qui est un des éléments clés
de ce projet.
En effet, dans le champ de la pratique professionnelle,
les infirmières travaillent en équipe pluridisciplinaire.
Le milieu infirmier affirme traverser une crise identi-
taire et a toujours manifesté son désir de reconnais-
sance. En témoignent les outils théoriques qui se mul-
tiplient dans le milieu de la profession pour définir et
affirmer le rôle propre infirmier (Gilioli, 2005,
Hesbeen, 1996).
Cette posture n’est-elle pas contradictoire avec la
vision globale du patient que les infirmières revendi-
quent ? La profession infirmière ne pourrait-elle pas
réorienter son ardeur militante vers la recherche
d’une meilleure intégration de tous les acteurs de
soins au sein des équipes ? La dimension de l’éthique
ne dépasse-t-elle pas la défense des spécificités de
chaque profession ? Quel serait le sens d’une éthique
découpée en tranches professionnelles ?
«La personne malade reste en tout état de cause le centre
de l’investigation thérapeutique, et ce n’est pas la plura-
lité méthodologique d’approche liée au niveau spécifique
des connaissances et des modes d’apprentissage qui peut
différencier fondamentalement le rapport éthique au
patient» (Gilioli in Dossier Soins, 2005).
Quels sont les besoins de formation
à l’éthique ?
L’examen des capacités des étudiants infirmiers
et des infirmières à résoudre les dilemmes éthiques
dresse un tableau accablant de la formation actuelle
initiale et professionnelle (d’un pays voisin) (Bertho-
let-Sini, 2000).
La formation est peu adaptée aux besoins. Elle ne
prépare pas suffisamment les infirmiers à assumer des
responsabilités éthiques. Elle ne développe pas l’au-
tonomie des étudiants, mais au contraire, propose
des modèles standardisés. En conséquence, une fois
sur le terrain, les nouveaux diplômés manquent de
compétence pour agir et prendre des décisions
éthiques complexes.
La sensibilité morale semble souvent absente chez
les soignants qui identifient de façon inadéquate les
problèmes éthiques. Les soignants repèrent facile-
ment les problèmes éthiques médicaux mais sont
moins sensibles à ceux touchant à leur propre
responsabilité. Le choix moral est difficile et les
intentions ne se traduisent pas toujours en acte
(Bertholet-Sini, 2000).
Par contre, selon une enquête réalisée en 2002 par
la «Commission ministérielle Ethique et profession
de Santé» sur les attentes et les perceptions des étu-
diants quant à l’enseignement dispensé en éthique,
les étudiants infirmiers se disent concernés par la
réflexion éthique. Ils voudraient que la formation ini-
tiale y consacre plus de temps en assurant une plus
grande cohérence entre les formations théorique et
pratique.
Sur le terrain de stage, ils veulent assister et partici-
per aux débats sur les enjeux éthiques et discuter
des situations cliniques avec le formateur. La forma-
tion théorique à l’éthique doit être intégrée aux
modules de cours déjà existants pour conserver une
vision pratique des questions d’éthique.
Les étudiants infirmiers souhaitent développer leur
capacité de raisonnement et d’argumentation ainsi
que rencontrer d’autres professionnels de santé. Ils
demandent un équilibre entre les cours magistraux
et le travail en groupes restreints. L’évaluation certi-
ficative des connaissances n’est pas utile à leurs yeux.
(Espace Ethique, Paris, 2002).
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Les auteurs qui se sont intéressés à la relation qui
existe entre formation et comportement éthique des
étudiants infirmiers ont trouvé que la capacité de
prise de décisions éthiques des infirmières peut être
renforcée par l’enseignement de l’éthique dans les
programmes de cours de soins infirmiers et par l’ana-
lyse des conflits éthiques (Bertholet-Sini, 2000).
Le type et le niveau de formation, la relation instau-
rée entre l’enseignant et l’enseigné ainsi que la
manière dont l’étudiant perçoit ses études sont déter-
minants pour développer le comportement éthique.
De plus, s’il existe un développement du comporte-
ment éthique, cette évolution n’existe pas en forma-
tion initiale mais seulement au niveau post-acadé-
mique (Dierckx de Casterlé in Bertholet-Sini, 2000).
A ce stade du travail, nous savons que la compétence
éthique se construit dès la formation initiale, se pour-
suit dans la formation continue, s’affine avec l’exper-
tise professionnelle et se situe dans le champ de la
multidisciplinarité.
Avec quel formateur ?
Enseigner l’éthique ne s’improvise pas. L’éthicien a une
formation spécifique et un rôle bien déterminé pour
enseigner ou pour participer aux comités d’éthique.
Les compétences du formateur doivent s’étendre non
seulement à l’éthique mais aussi en sociologie de la santé,
en administration du système de santé et en psychologie.
Des attitudes spécifiques sont requises : l’éthicien est
capable de mettre en œuvre la méthode casuistique
d’analyse éthique, de maîtriser des processus de décision
au sein d’une équipe pour analyser des problèmes
éthiques dans une perspective multidisciplinaire (Parizeau
in Hottois – Missa 2001). Précisons que la méthode
casuistique centre l’attention sur le cas particulier, la sin-
gularité de la situation, le sujet ou le patient (son his-
toire, son bien, son intérêt) sans minimiser l’apport des
principes (Durant, 1999). Il possède une capacité de déli-
bérer en argumentant (Espace Ethique, 2003).
L’éthicien facilite et amène à la réflexion. Il recueille
l’intuition et l’articule en concept. Il aide à préciser
le débat, à dégager les enjeux, à clarifier les points de
convergence et de divergence, à élaborer des élé-
ments de compromis voire esquisser une proposition
d’avis (Durant, 1999). En aucun cas, il ne décide à la
place de celui qui doit agir.
Il propose une méthodologie et met au point les
formes d’argumentation à travers lesquelles la
confrontation des points de vue peut se développer
de façon constructive. Il assure une communication
optimale entre les intervenants (Ladrière, 1993).
La capacité relationnelle du formateur apparaît régu-
lièrement dans la littérature (Dierckx de Casterlé in
Bertholet-Sini, 2000). Personnellement, le fait de
mener de front les métiers d’étudiant et d’enseignant
m’a permis de vérifier ce postulat. Ce double statut
m’a fait prendre conscience qu’il est indispensable que
de bonnes relations réciproques s’installent entre
l’étudiant et le professeur. L’un comme l’autre se réa-
lisent en entretenant des relations propices à l’ensei-
gnement et l’apprentissage.
Il est primordial de spécifier que la mise en œuvre
d’une méthodologie la plus adaptée ne constitue
jamais une sécurité absolue. La complexité des situa-
tions concrètes et personnelles ainsi que la difficulté
à établir un consensus rendent incertain le choix
d’une décision. Elle est au mieux la meilleure ou la
moins mauvaise (Besanceney, 1999).
La littérature ajoute que l’enseignant éthicien est
modeste (Durand, 1999), attentif, patient, souple, sen-
sible aux enjeux psychologiques, ni trop directif, ni
trop paternaliste (Parizeau in Hottois – Missa 2001).
Relevons aussi que les qualités et la personnalité
des individus semblent primordiales dans le domaine
de l’éthique. Les principes de « Sensibilité » et de
«Réceptivité », même s’ils ne sont pas reconnus
comme des principes standards des théories morales,
devraient être défendus sur le plan universel (Kuhse,
1998 et Logstrup in Birkelund, 2000).
Des interrogations persistent : Doit-on profes-
sionnaliser le rôle de l’éthicien ? Peut-on détermi-
ner un statut d’expert en éthique ? La profession-
nalisation de l’éthicien ne risque-t-elle pas de
déresponsabiliser les soignants ? L’éthique est-elle
une affaire d’expertise, de connaissances, ou est-
elle l’expression de cette bonne volonté morale qui
habite chacun d’entre nous ? (Parizeau in Hottois –
Missa 2001).
Par ailleurs, au sein d’un établissement d’enseigne-
ment de soins infirmiers, je pense que l’enseignement
de l’éthique ne doit pas être réservé aux experts et
je prends l’option de privilégier un enseignement
transversal dans lequel chaque module de cours se
réserve un chapitre «Ethique ». Des référents en
éthique doivent être choisis parmi des personnes
engagées dans la prise en charge des patients et for-
més à la pédagogie de l’éthique.
En résumé, l’éthicien enseignant les soins infirmiers
doit avoir une formation en éthique, des connais-
sances en bio médecine, en soins infirmiers, maîtriser
la prise en charge d’un patient, un savoir-faire dans la
résolution de conflits éthiques, et des qualités
humaines.
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