Education et Sociétés Plurilingues n°17-décembre 2004
Grammaire et Didactique, "sœurs ennemies"?
Jean-Pierre LEDUNOIS
Per insegnare bene le lingue straniere l’ideale sarebbe sopprimere i professori di lingua
(!) e sostituirli con professori di grammatica. Questo suppone una generalizzazione
dell’insegnamento per immersione precoce che sembra cozzare contro delle vive
resistenze. In attesa di un’ipotetica rimozione di queste resistenze, il sistema attuale
potrebbe essere migliorato ricorrendo inoltre alla “grammatica esplicativa”.
To teach foreign languages well, the ideal thing would be to eliminate the language
teachers (!) and put grammar professors in their place. This supposes generalizing the
immersion method at an early age, but that method seems to come up against a lively
resistance. Until such defense mechanisms can be overcome (supposing that to be
possible), the present system could be improved by paying more attention to
explanatory grammar.
On ne peut raisonnablement examiner la partie sans s'intéresser au tout,
aussi vais-je traiter en préambule de la didactique des langues.
Supprimons les "langues étrangères"!
Ou plutôt supprimons la notion de langue étrangère, si solidement ancrée
dans l'éducation nationale française. Depuis sa création, à la fin du 19ème
siècle, il n'est question que d'oppositions entre langue maternelle (LM),
langues régionales (LR), langues étrangères vivantes (LV) et langues
classiques (LC).
S'il y a une opposition à maintenir c'est bien celle entre la langue
maternelle et les autres, du fait de son apprentissage précoce et du lien
affectif qui nous unit à elle. Seulement, les pédagogues français ont une
fâcheuse tendance à réduire la langue maternelle au seul français comme si
tous les petits du cours préparatoire avaient commencé leur existence en
apprenant "la langue de la république". Or jusqu'au milieu du 20ème siècle,
la "LM" des petits ruraux était souvent une langue régionale et depuis cette
même période il n'est pas rare que celle des jeunes banlieusards soit une
langue africaine. Pour éviter l'amalgame qui a fini par s'imposer entre
français et langue maternelle, je préfère donc dire "première langue" et
utiliser le sigle L1 pour désigner celle-ci.
L'appellation "langue régionale" participe au fâcheux amalgame qui est fait
entre français et langue maternelle. Dans l'optique jacobine qui domine
l'Education Nationale depuis sa création, le breton ou le basque ne peuvent
pas être langues "maternelles", puisqu'ils ne sont pas langues "nationales".
On ne peut pas non plus leur accorder le statut de "langue étrangère" car ils
se parlent sur le territoire national. D'où l'appellation administrative ridicule
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dont elles sont affublées ("langues régionales"). Et pourquoi pas, pendant
que nous y sommes, "langues départementales" ou "langues cantonales"?
Ou alors, il faut prendre "région" dans son sens anglo-saxon, qui ignore les
frontières entre états. Il est vrai que les "langues régionales", laminées par
un siècle de monolinguisme scolaire, ne sont pratiquement plus langues
maternelles et s'apparentent de plus en plus à des langues étrangères; alors
traitons-les comme telles!
Mais, dans une Europe qui se veut multilingue, peut-on encore parler de
langues étrangères? Pour éviter un débat linguistique non dépourvu
d'arrières-pensées politiques il serait avantageux d'abandonner ces
appellations et les sigles qui les accompagnent, et d'opter pour l'unique
lettre "L" affectée d'un indice marquant l'ordre chronologique
d'apprentissage. Ainsi la LV1 (première langue vivante apprise à l'école)
deviendrait la L2 (ou la L3 lorsque l'enfant a bénéficié de l'apprentissage
précoce d'une langue "régionale" qui revêt alors le costume de la L2).
Restent les langues "classiques", le latin le plus souvent. On les dénomme
parfois langues mortes comme si l'enseignement des "langues vivantes"
était vraiment vivant. Ce qui fait la pertinence de l'opposition entre langues
mortes et langues vivantes ne vaut pas pour l'enseignement. Un cours de
LV1 est tout autant déconnecté de la réalité qu'un cours de latin et ce
dernier mérite autant le sigle L3 que n'importe quel autre idiome encore
parlé de nos jours.
Dans cet article et conformément au système communément employé hors
hexagone, j'utiliserai donc la lettre "L" pour désigner toute langue,
maternelle ou étrangère, régionale ou nationale, vivante ou morte, suivie
d'un chiffre renvoyant à la chronologie de son apprentissage par l'enfant.
L1 sera donc la langue "maternelle", ou plus exactement la langue du foyer
du tout jeune enfant et non nécessairement celle de l'école maternelle car
certains enfants sont scolarisés très tôt dans une langue qui n'est pas celle
de leur mère. L2 sera la première autre langue apprise, que cet
apprentissage intervienne dès la petite section de la maternelle, à l'entrée en
sixième ou à l'âge adulte.
De la même manière G1 désignera la grammaire de la langue maternelle et
G2 celle de la première langue étrangère (autre langue) apprise. Bien sûr le
changement de sigles n'apporte rien s'il ne se double pas d'un changement
d'approche de la didactique des langues.
Supprimons les profs de langue!
Les expériences d'enseignement très précoce de la L2, initiées en France
dès la fin de la seconde guerre mondiale puis abandonnées pour être
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reprises à grande échelle au Québec et nous revenir dans les années
soixante-dix dans les écoles associatives basques d'Iskatolas ou bretonnes
de Diwan (1), n'ont plus à faire la preuve de leur efficacité (cf. le point de
vue de C. Hagège dans la présentation de Diwan sur
www.diwanbreizh.org).
Inversement, les méthodes traditionnelles d'enseignement des langues L1+n
(sigle désignant les langues autres que maternelles, c'est à dire L2, L3…)
ont fait la preuve de leur inefficacité. Après sept ans d'anglais combien
sont-ils, les nouveaux bacheliers, à pouvoir soutenir une conversation dans
leur L2? Peu nombreux assurément, et moins nombreux encore sont ceux
qui peuvent le faire dans leur L3 après "seulement" cinq années de cours. Il
est tentant de jeter la pierre à leurs professeurs ou à des méthodes
d'enseignement inadaptées, mais le meilleur prof, avec des méthodes qui se
sont affinées au fil des dernières décennies, ne peut espérer produire un
bachelier bilingue à raison d'une moyenne de deux heures de cours par
semaine, vacances comprises. Il faut se rendre à l'évidence: la qualité de
l'enseignant et des outils pédagogiques ne joue qu'à la marge. Si l'élève n'a
pas de motivation extra-scolaire (parent d'origine étrangère, voyages
fréquents à l'étranger…), il se contentera de viser une note acceptable en
L1+n qu'il considèrera comme une matière scolaire parmi d'autres.
Mais une langue étrangère n'est pas une matière comme l'histoire ou la
physique. Elle est avant tout un outil de communication qui peut servir,
entre autres, à enseigner l'histoire ou la physique, alors pourquoi ne pas s'en
servir comme tel à l'école? L'argument a é maintes fois avancé (Lietti
1994, Hagège 1996, Petit 2000…). Il est mis en pratique et dans les écoles
associatives de type Diwan et, dans une moindre mesure, dans les classes
bilingues de l'éducation nationale. Au total cependant, très peu d'élèves
bénéficient d'un enseignement bilingue. La solution serait sans doute que
Diwan accepte d'absorber l'éducation nationale! (2)
La question qui se pose n'est pas de savoir s'il faut généraliser le
bilinguisme précoce mais pourquoi les déclarations d'intention des
différents ministres dans ce domaine ne sont jamais suivies d'effet.
C. Hagège (1996: 156) parle de "résistances prévisibles" à sa proposition
d'apprentissage précoce des langues à travers "l'immersion par échanges
massifs de maîtres à travers l'Europe". Il suggère que, dans toute l'Europe,
des professeurs dont la L1 est l'allemand, l'espagnol, le français, l'italien ou
le portugais se rendent dans un pays voisin pour enseigner les matières au
programme du primaire dans leur langue respective, qui deviendrait ainsi la
L2 des jeunes apprenants. C. Hagège prévoit de fortes sistances à son
projet, notamment de la part des pays dont la langue n'est pas représentée.
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Il justifie l'absence de l'anglais de la bande des cinq par son omniprésence
dans le monde moderne et celle des "petites" langues par le fait qu'elles se
montrent incapables de résister à l'envahisseur. Il n'y a guère de chances
que ces arguments convainquent les Britanniques ou les Scandinaves.
Le projet européen de C. Hagège constitue néanmoins une bonne base de
travail. Il peut être amélioré en y incluant toutes les langues européennes,
grandes ou petites, nationales ou gionales. D'un côté il convient d'élargir
l'offre, de l'autre il faut tenir compte de la demande. On conçoit bien que
beaucoup d'habitants d'Hendaye souhaitent que leurs enfants apprennent
l'espagnol dès l'école maternelle mais aussi que d'autres tiennent à ce que le
basque passe avant. Dans les zones fortement peuplées, le nombre d'écoles
est suffisant pour offrir un choix ouvert qui, en plus des langues
européennes, pourrait inclure des langues dites communautaires ou non
territoriales en Europe (arabe, yiddish, romani…). Un éventail plus
restreint sera nécessairement de mise dans les régions à faible densité de
population il y a moins d'écoles que de langues parlées. Il faut aussi
tenir compte des parents qui rejettent l'idée de bilinguisme précoce pour
leurs enfants. En tout état de cause, chaque secteur scolaire, disons chaque
canton pour la France, devrait disposer d'au moins deux écoles primaires
bilingues la L2 soit une langue régionale ou une autre petite langue
européenne pour l'une, et une grande ou moyenne langue pour l'autre.
Le projet Hagège, qui prévoit la parité entre L1 et L2 à partir du cours
préparatoire 6 ans), gagnerait également à se rapprocher de la pédagogie
par immersion totale dès la maternelle pratiquée entre autres par Diwan.
L'immersion totale dans la L2 ne nuit en rien à l'apprentissage de la L1. Les
élèves Diwan obtiennent de meilleurs résultats que leurs camarades issus
de l'enseignement conventionnel dans toutes les langues, le français y
compris. La première promotion de lycéens Diwan à passer le bac en 1997
a connu 100% de réussite, taux qui s'est maintenu largement au-dessus de
la moyenne nationale. Même si ces bons sultats ne sont pas à verser
entièrement au compte du bilinguisme précoce, celui-ci ne peut y être
étranger.
C'est pourtant moins le type d'immersion ou les langues proposées en L2
qui provoquent des "résistances prévisibles" au bilinguisme précoce en
France, qu'une certaine méfiance vis-à-vis du plurilinguisme. Beaucoup de
parents considèrent encore les langues étrangères comme des matières
scolaires qui viennent surcharger un emploi du temps déjà bien plein, et
qu'il vaut mieux n'en apprendre qu'une ou deux, "utiles" si possible (d'où le
succès de l'anglais comme L2) et que c'est bien assez tôt de commencer en
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sixième (à 11-12 ans). L'allègement des cours de L2 dans le secondaire que
permet l'immersion précoce devrait contribuer à les rassurer.
Plus gênante est la résistance de l'administration et de beaucoup
d'enseignants. Depuis toujours, l'enseignement en France repose sur les
deux piliers que sont le français et le calcul, dichotomie qui se traduit au
Bac par l'opposition entre les séries littéraires et les séries scientifiques. Les
langues L1+n ont été versées d'autorité dans les matières littéraires tout
comme l'histoire ou la géographie. Les en extraire pour en faire le véhicule
d'enseignement de toutes les matières, scientifiques ou littéraires,
reviendrait à les placer sur un piédestal et à remettre en cause la dichotomie
fondamentale. Tous les professeurs par ailleurs devraient se mettre à
enseigner leur spécialité en L1+n ou aller à l'étranger pour continuer à
travailler en français devant des élèves dont le français est la L2. Les
professeurs de langue, quant à eux, devraient se reconvertir dans une
matière non linguistique…
Il est normal que de tels bouleversements suscitent des résistances. La
période de transition, nécessairement longue, devrait permettre aux
enseignants les plus âgés d'atteindre l'âge de la retraite sans trop changer
leurs habitudes. De plus, les classes européennes, qui se sont multipliées
ces dernières années même si elles restent encore très minoritaires,
demandent plus de professeurs de langues que les classes ordinaires. A
terme il faudra pourtant songer à remplacer le bilinguisme tardif et partiel
qui y règne par un plurilinguisme précoce. Rien ne sera possible,
cependant, tant que l'Article 2 de la Constitution, qui fait du français la
langue de la république, ne sera pas modifié. D'ici là il se trouvera toujours
des esprits souverainistes pour feindre de croire que la république sera mise
en danger par l'abandon du français comme langue d'enseignement et pour
porter le contentieux devant le Conseil Constitutionnel.
Si l'on veut vraiment parvenir à une Europe plurilingue, il faut arrêter de
former des professeurs de langue pour mieux former les professeurs aux
langues.
Sauvons l'immersion de la noyade!
A plusieurs reprises l'état français ou la région Bretagne (3) ont proposé
d'aider financièrement Diwan à condition qu'elle abandonne sa pédagogie
d'enseignement du breton par immersion. Quel paradoxe! D'habitude, les
pouvoirs publics demandent aux associations qu'ils subventionnent
d'augmenter leur efficacité et non de la réduire… Cette exigence est
révélatrice de l'attitude d'une grande partie du personnel politique vis-à-vis
des langues étrangères ou régionales. Il faut les enseigner pour des raisons
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