Imposition et religion musulmane
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IMPOSITION ET RELIGION MUSULMANE
Oualid GADHOUM*
Maître-assistant à la Faculté
de Droit de Sfax
Sommaire
I- Les impôts proprement islamiques
A- La Zakat
B- La Jizya
II- les impôts de l’Etat islamique
A- Le Kharadj
B- Al Ouchour
**********
1-Les religions se sont particulièrement intéressées à l’impôt.
Dans la bible, par exemple, qui est loin d’être un traité des Finances,
les métaphores financières ne manquent pas, elles abondent1. Le
Coran, quant à lui, considère que le paiement de la « Zakat » constitue
l’un des cinq piliers sans lesquels l’individu ne peut prétendre à la
qualité de musulman2. Prévue par le livre sacré (avec la «Jizya», pour
les non musulmans vivant sur la terre d’Islam), la «Zakat » continue
jusqu’à l’heure actuelle à s’appliquer dans certains Etats qui
appliquent la « Chariaa » comme l’Arabie saoudite, l’Iran ou le
* E-mail : oualidgadhoum@yahoo.fr
1 L. SCORDIA : «Rendez à César ce qui est à César », communication au
colloque sur « La religion et l’impôt », Clermont Ferrand, 06 et 07 avril 2006
(non publiée).
2 Les cinq piliers de l’Islam sont :
-La croyance en un dieu unique dont Mohamed est l’envoyé.
-La prière
-La zakat
-Le jeûne
-Le pèlerinage à la Mecque (pour celui qui en a la possibilité).
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Soudan3. Dans ces pays, où un arsenal juridique a été élaboré (assiette,
taux, liquidation, modalités de recouvrement), le paiement de
la «Zakat» affranchit le croyant des châtiments de l’au-delà, mais
aussi, des sanctions administratives et pénales4.
2-Certaines doctrines traditionalistes ont d’ailleurs tenté de
démontrer le rôle précurseur de l’Islam, en se fondant sur une
distinction entre la «Nafakah», la «Sadakah» et la «Zakat», pour
conclure que le livre sacré a posé en premier le principe du
consentement à l’impôt. Ces prétentions, qui ne font en réalité que
nuire à l’Islam, puisqu’elles tentent d’islamiser des mécanismes qui lui
sont bien postérieurs sont malheureusement peu convaincantes5. Sur
ce point précis, on a pu écrire que « du temps du Prophète, il n’y avait
ni impôts, ni taxes foncières, ni taxes sur les marchan-
dises…La « zakat » était volontaire et était une aumône versée au
prophète es qualité. La «Sadaka » et le «Fay» ou le « butin de
guerre » étaient versés au Prophète, non pas en tant que gouvernant
ou autorité politique, mais en sa qualité de messager de Dieu et en
application des prescriptions claires du Coran »6.
3- A l’époque du prophète Mohamed, l’Etat n’était pas encore
structuré et le rôle conféré au Prophète était plutôt spirituel7. Le
Prophète n’a pas établi un gouvernement, ni créé des ministères. Il n’a
3 N. Mohamed Ali EL FAKIR : « La réforme fiscale dans les pays émergents : le
cas de l’impôt sur le revenu des personnes physiques en Egypte », Thèse,
Université de Droit, d’Economie et des Sciences d’Aix-Marseille III, 2004,
p.32.
4 Pour les sanctions encourues par ceux qui refusent de payer la « Zakat », voir :
Mahmoud ATEF EL BANNA : « Le régime de la zakat et des impôts en Arabie
Saoudite », Dar ElOuloum, 1982, p.200 et s.
5 Slim CHELLI : « Impôt, liberté et développement : le cas tunisien », RTD,
1953-1983, p.317.
6 M.S ACHMAOUI : « Le Califat islamique », Le Caire SINAI éditions, p.84et s.
7 Voir : Yadh BEN ACHOUR : « Islam et constitution », RTD, 1974, p.86.
Voir aussi : Mohamed CHARFI : « Islam et liberté-le malentendu historique »,
op.cit, p.169 et s.
L’absence d’un Etat au moment prophétique était également la pensée de Ali
Abderrazek .Elle lui a coûtée la radiation du corps des ulémas de la mosquée
cairote Al Azhar. Il considérait que la religion musulmane est purement
spirituelle et qu’elle n’a pas de rapport avec le pouvoir politique et l’exécution
dans les affaires temporelles.
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pas non plus crée des structures administratives ou gouvernementales,
une police organisée, un système juridictionnel permanent ou un
système monétaire spécifique8. Envoyé de Dieu et chargé de la
révélation, le Prophète, n’a créé ni taxe, ni impôt. N’étant pas
détenteur du pouvoir politique, il n’a pas élaboré une constitution et
n’a pas créé une administration fiscale. « Ce qu’il recevait des produits
de la «Sadaka », des tributs de paix ou des dépouilles de guerre, c’est
en tant que messager de Dieu et non point en tant que chef politique
ou chef d’Etat, qu’il le recevait et qu’il le distribuait »9.
4-Cette approche, même si elle ne plaît pas à certains
orientalistes et ulémas qui, à tort, considèrent que le prophète a fondé
un Etat, est défendable sur plus d’un point. Il suffit de revenir aux
écrits du grand penseur égyptien Ali ABDERRAZEK pour y trouver
un fondement illustratif10. Pour cet auteur, la religion musulmane est
d’abord purement spirituelle et n’a pas de rapport avec le pouvoir
politique et l’exécution dans les affaires temporelles, et qu’ensuite, la
mission du prophète Mohamed était purement religieuse sans
considération de pouvoir et d’exécution et qu’enfin, le gouvernement
d’Abu Bakr, premier calife du prophète, n’était pas non plus un
gouvernement religieux11. Sur la question de la « Zakat », de la
« Jizya » et des « Ghanaim », et d’une façon générale, sur
l’administration financière en général, l’auteur considère que cette
fonction est incompatible avec la mission noble de Mohamed et ne le
concerne pas en tant que prophète.
5- Plus tard, les grands califes qui ont succédé au prophète vont
se rendre à l’évidence de la nécessité de l’impôt et veilleront
personnellement à ce que les croyants et les mécréants payent l’impôt.
La guerre des apostats, les conquêtes de l’Islam, l’entretien de l’armée
et bien d’autres évènements d’ordre politique, ont obligé ces califes
8 M.S ACHMAOUI : « Le Califat islamique », le Caire, SINAI édition, 1992,
p. 84 et s.
9 Ibid.
10 Ali ABDERRAZEK, théologien et cheikh à la célèbre et influente mosquée
égyptienne d’Al Azhar.
11 Ali ABDERRAZEK : « L’Islam et les fondements du pouvoir. Enquête sur le
Califat et le gouvernement en Islam », 1ère édition, 1925.
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non seulement à collecter l’impôt, mais aussi, à prévoir d’autres
impôts comme le «Kharaj» ou «Al Ouchour».
6-Le premier grand calife «Abu Bakr», a dû affronter une
guerre dite « la guerre d’apostasie » que certains considèrent d’origine
fiscale puisque les renégats ont refusé de continuer à payer
la «Sadaka», aumône payée au prophète de son vivant12. Quant au
deuxième grand calife Omar, qui a eu plus de chance de rester au
pouvoir que son prédécesseur (trois ans seulement) est allé jusqu’à
créer un nouvel impôt baptisé «Al kharaj». En annonçant la guerre
contre les mécréants, il laissait les propriétaires des terres conquises
continuer à les exploiter mais les obligeait à payer le «Kharaj».
7-A cette époque précise, le butin amassé au moment de la
guerre d’apostasie témoigne de l’efficacité de « la machine
fiscale »13.Il en a été de même après avec les conquêtes islamiques14.
Mieux encore, le calife Omar est allé jusqu’à créer,après la
concertation avec certains de ses proches,« Diwan Al Ataa »,
l’équivalent de l’office des pensions, ayant pour fonction la
redistribution de l’argent collecté de l’impôt15.
8- Après la désintégration de l’empire musulman, les Etats
créés se caractérisaient par une organisation, mais aussi, par « une
puissance administrative et financière » assez importante16. Sous le
règne des monarchies Omeyyades et Abbassides, un personnel
nombreux, spécialisé et hiérarchisé, sous le pouvoir « le plus personnel
12 Sadok BELAID : « Système fiscal et système politique : quelques enseignements
à partir de l’histoire arabo-musulmane », Mélanges Habib AYADI, CPU, 2000,
p.51
13 Sadok BELAID, op cit. p56.
14 A titre d’exemple, le « Kharaj » prélevé sur les terres de « Sawad » (région
située entre le Tigre et l’Euphrate) a rapporté la 1ère année 80 millions de
dirhams. Dans la région de « Kabel », le « Kharaj » aurait rapporté 120millions
de dirhams.Voir sur la question : Sadok BELAID : « Système fiscal et système
politique », op.cit., p.62.
15 Le calife Omar, époustouflé par le montant du tribut payé par une petite
province (Bahreïn), a demandé conseil à un certain nombre de personnes afin de
faire un bon usage de l’argent collecté. Voir sur la question M.A. El JABRI,
« La raison politique arabe, ses déterminants et ses limites », en arabe, centre
culturel arabe, Casablanca, 1990, p.206.
16 Habib AYADI : « Droit fiscal », CERP, 1989, p.15.
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et le plus absolu d’un souverain qui se tient pour calife successeur du
prophète et représentant de dieu sur terre », était affecté17.
9-L’administration centrale était prolongée sur le plan régional
par une administration fiscale puissante qui avait la charge de tenir à
jour les registres des populations et des propriétés imposables, et en
cas de difficultés, de mobiliser des troupes en vue d’assurer par la
force la collecte des impôts et de mâter les fréquentes insurrections
populaires contre les impôts excessivement lourds18.
10-L’évolution économique qui se dessinait en Europe n’a pas
empêché les souverains musulmans de continuer « à exercer le
pouvoir le plus personnel et le plus absolu, à renforcer l’appareil de
contrainte, à décider à leur guise des impôts, à prélever et à aggraver
la pression fiscale »19. L’aggravation des charges fiscales n’était pas
toujours accompagnée de règles précises définissant les modalités
d’assiette et de recouvrement des impôts et les individus, toujours
méfiants, continuaient à subir les caprices du souverain et les abus des
agents du fisc20.
11-Ce contexte a permis aux agents du fisc « d’exercer une
autorité absolue sur les paysans, les artisans et les marchands et de
déterminer l’assiette de l’impôt en fonction d’impressions vagues avec
tout ce que cette méthode comporte de faveurs et de privilèges »21. Sur
ce point, l’illustre sociologue Ibn KHALDUN attribuait, dans son livre
« la Mukaddima », la responsabilité aux souverains musulmans qui ont
réussi, pour satisfaire des caprices personnels, d’avoir instauré « une
fiscalité parallèle ». Cette dernière n’était en réalité qu’une fiscalité
oppressive puisqu’elle était surtout liée aux exigences personnelles et
militaires du souverain et à son arbitraire. Certains souverains iront
jusqu’à contredire les versets du Coran. L’exemple de « Hajjaj Ibn
17 Habib AYADI, op.cit, p18.
18 Sadok BELAID : « Système fiscal et système politique : Quelques enseigne-
ments à partir de l’histoire arabo-musulmane », op.cit., p.80.
19 Habib AYADI « Droit fiscal », op.cit., p.22.
20 Ibid.
21 Ibid
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