la philosophie thomiste et il est impératif de comprendre la notion thomiste de nature
pour comprendre celle moderne8 ; d’un autre côté, ce qui était chez lui équilibre et
synthèse, devient déséquilibre par la suite et les divers ordres sont confondus9. Le droit
moderne n’est pas tant construit « contre » saint Thomas que « à partir »10 de lui et c’est
là une des affirmations les plus typiques et les plus récurrentes de Michel Villey : la
philosophie du droit est, d’un certain point de vue, liée à la théologie11.
L’histoire de la pensée juridique moderne est donc synonyme pour Villey d’une
progressive déconstruction de la philosophie de saint Thomas, malgré la persistance
d’éléments fondamentaux, généralement présents à un état latent et déstructuré. Voilà
pourquoi nous allons, pour comprendre l’apparition des droits de l’homme, partir de
saint Thomas en montrant la façon dont il reprend, en les développant, les éléments que
nous avons trouvés chez Aristote et le droit romain. Mais nous ferons ainsi au travers de
l’interprétation qu’en donne Villey, qui centre sa réflexion autour de deux points12 : les
relations du droit et de la loi (1), la notion de droit naturel (2).
1. Les rapports du droit et de la loi chez saint Thomas
Sur les sens du terme justice, saint Thomas peut reprendre à son compte les
Ethiques à Nicomaque, commentées devant ses étudiants.13
Or, Aristote distinguant la justice particulière de la justice générale, saint
Thomas fait de même, ce qui produit deux conséquences : la distinction très nette du
droit et de la morale et, corrélativement, la relativisation de la place du droit. Villey
n’est pas très disert sur l’étude thomiste de la justice : saint Thomas reprenant Aristote,
et ayant amplement développé celui-ci, il se borne généralement à montrer comment
s’effectue cette reprise et quels ajouts Thomas d’Aquin effectue. Ainsi, Villey remarque
que Thomas, s’il réutilise cette distinction et parle expressément d’une justice générale,
se sépare des philosophes grecs en ce qu’il « refuse de l’identifier au Tout de la
moralité » :
8 La formation de la pensée juridique moderne, p. 190
9 cf. La formation de la pensée juridique moderne, p. 154 et 176
10 La formation de la pensée juridique moderne, p. 201
11 cf. La formation de la pensée juridique moderne, p. 55 ; Le droit et les droits de l’homme, p. 105 ; Note
critique sur les droits de l’homme, p. 695 et 697 ; Travaux récents sur les droits de l’homme, pp. 412-414
12 cf. Questions de saint Thomas, p. 133
13 Questions de saint Thomas, p. 121
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