Universit de Paris II Panthon-Assas

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Université de Paris II Panthéon-Assas
DEA de droit public interne
Jacques Maritain, Michel Villey
Le thomisme face aux droits de
l’homme
Mémoire présenté et soutenu publiquement par
LOUIS-DAMIEN FRUCHAUD
pour l’obtention du DEA de droit public interne
Sous la direction de
Monsieur le Professeur JEAN MORANGE
Le 9 septembre 2005
1
Section 2. La genèse des droits de l’homme
L’idée selon laquelle il faut retracer l’histoire du concept de droit de l’homme
afin d’en comprendre la portée, notamment les erreurs qu’il porte, est au cœur de la
réflexion villeyienne : en historien et en philosophe, il cherche à montrer comment et
pourquoi l’apparition du langage des droits de l’homme reflète la décomposition
progressive de la notion de droit. Ses ouvrages comprennent donc la plupart du temps,
explicitement, un plan où, après l’étude du concept de droit, vient l’étude de
l’émergence du concept de droit de l’homme 1 . En un sens, les deux questions qui
forment l’essentiel de la philosophie du droit, celle de l’essence du droit (donc de sa
définition) et celle de ses sources 2 , sont comme deux critères pour apprécier l’évolution
des doctrines juridiques. Cette évolution, Villey la retrace de manière très complète et
précise. Ce n’est pourtant pas le sujet de présenter l’intégralité de la doctrine villeyienne
mais seulement cela qui pourra éclairer notre recherche : comment et pourquoi en est-on
arriver à parler de droits de l’homme ? La réponse à cette question est la clef de
compréhension des déficiences de ce langage.
Or, selon Villey, le problème se noue entièrement au Moyen-Age et, plus
particulièrement, aux XIIIème et XIVème siècles. C’est à cette époque que prend racine
l’opposition des Anciens et des Modernes, qui est à la base de conceptions différentes et
même antagonistes du droit. Villey remarque que les historiens se trompent, qui font
naître la Modernité au XVIème siècle, avec la Renaissance et l’Humanisme. C’est, selon
lui, un « simplisme » car si les grands penseurs de cette époque ont des doctrines qui
contrastent en effet nettement avec celles des classiques, elles plongent leurs racines à
des sources plus anciennes 3 . La thèse principale de Villey est que la modernité, surtout
dans sa forme juridique, naît au XIVème siècle, avec le nominalisme, qui serait la cause
1
cf. par exemple Le droit et les droits de l’homme, p. 105, note 1 ; RIALS, Introduction in La formation
de la pensée juridique moderne, p. 12
2
Villey insiste sur la crise que traverse la théorie des sources du droit : Questions de saint Thomas, p. 133
et 174 ; Les doctrines sociales chrétiennes, p. 58 ; CAMPAGNA, Michel Villey, le droit ou les droits, p.
16
3
La formation de la pensée juridique moderne, pp. 185-187
2
de la rupture d’avec l’Ecole du droit naturel classique et de la formation de l’Ecole du
droit naturel moderne 4 .
Nous allons donc centrer notre étude sur cette période charnière qui permet de
rendre compte des logiques profondes à l’œuvre dans la philosophie et dans la science
juridique. Les conclusions pratiques n’en sont que des conséquences. En mettant en
lumière les points de conflits et les retournements effectués à cette époque, nous serons
mieux à même de comprendre comment les droits de l’homme peuvent apparaître de
manière réellement systématique au XVIIème siècle. Ce choix nous conduit à présenter
successivement les deux écoles en présence, la via antiqua (§1) et la via moderna (§2),
dans leurs représentants les plus illustres : Thomas d’Aquin et Guillaume d’Occam.
§1. Thomas d’Aquin : la synthétisation du droit objectif
Il semble à première vue étonnant de commencer l’histoire des droits de
l’homme par Thomas d’Aquin puisque, nous l’avons dit, Villey y voit l’apogée de la
doctrine classique du droit et la récapitulation d’Aristote et du droit romain, pour
lesquels il ne peut y avoir de droits de l’homme. D’une certaine manière, c’est cette
présentation assez simple qui prévaut dans les derniers ouvrages de Villey, où il passe
sous silence les nuances qu’il avait apportées dans ses cours des années 1960. En effet,
il y présente cette thèse paradoxale : quoique indubitablement classique, saint Thomas
serait par d’autres aspects pré-moderne, non pas au sens qu’il viendrait avant les
modernes, mais parce qu’il contiendrait en germe ce qui deviendra explicite chez eux.
Villey n’hésite pas à dire que Thomas est le « précurseur des systèmes de droit
modernes » 5 .
Cette affirmation s’explique quand on sait les deux caractéristiques principales
sur lesquelles aime à revenir Villey : saint Thomas est tout d’abord celui qui offre la
philosophie la plus développée sur le concept de nature, grâce à sa métaphysique ; il est
ensuite celui qui réalise la synthèse de l’héritage classique gréco-latin et de l’héritage
chrétien 6 . Or, d’un côté, la philosophie moderne vit, selon Villey les « dépouilles » 7 de
4
La formation de la pensée juridique moderne, p. 179
La formation de la pensée juridique moderne, p. 188
6
cf. La formation de la pensée juridique moderne, p. 154, 166, 175, 176
7
La formation de la pensée juridique moderne, p. 195
5
3
la philosophie thomiste et il est impératif de comprendre la notion thomiste de nature
pour comprendre celle moderne 8 ; d’un autre côté, ce qui était chez lui équilibre et
synthèse, devient déséquilibre par la suite et les divers ordres sont confondus 9 . Le droit
moderne n’est pas tant construit « contre » saint Thomas que « à partir »10 de lui et c’est
là une des affirmations les plus typiques et les plus récurrentes de Michel Villey : la
philosophie du droit est, d’un certain point de vue, liée à la théologie 11 .
L’histoire de la pensée juridique moderne est donc synonyme pour Villey d’une
progressive déconstruction de la philosophie de saint Thomas, malgré la persistance
d’éléments fondamentaux, généralement présents à un état latent et déstructuré. Voilà
pourquoi nous allons, pour comprendre l’apparition des droits de l’homme, partir de
saint Thomas en montrant la façon dont il reprend, en les développant, les éléments que
nous avons trouvés chez Aristote et le droit romain. Mais nous ferons ainsi au travers de
l’interprétation qu’en donne Villey, qui centre sa réflexion autour de deux points 12 : les
relations du droit et de la loi (1), la notion de droit naturel (2).
1. Les rapports du droit et de la loi chez saint Thomas
Sur les sens du terme justice, saint Thomas peut reprendre à son compte les
Ethiques à Nicomaque, commentées devant ses étudiants. 13
Or, Aristote distinguant la justice particulière de la justice générale, saint
Thomas fait de même, ce qui produit deux conséquences : la distinction très nette du
droit et de la morale et, corrélativement, la relativisation de la place du droit. Villey
n’est pas très disert sur l’étude thomiste de la justice : saint Thomas reprenant Aristote,
et ayant amplement développé celui-ci, il se borne généralement à montrer comment
s’effectue cette reprise et quels ajouts Thomas d’Aquin effectue. Ainsi, Villey remarque
que Thomas, s’il réutilise cette distinction et parle expressément d’une justice générale,
se sépare des philosophes grecs en ce qu’il « refuse de l’identifier au Tout de la
moralité » :
8
La formation de la pensée juridique moderne, p. 190
cf. La formation de la pensée juridique moderne, p. 154 et 176
10
La formation de la pensée juridique moderne, p. 201
11
cf. La formation de la pensée juridique moderne, p. 55 ; Le droit et les droits de l’homme, p. 105 ; Note
critique sur les droits de l’homme, p. 695 et 697 ; Travaux récents sur les droits de l’homme, pp. 412-414
12
cf. Questions de saint Thomas, p. 133
13
Questions de saint Thomas, p. 121
9
4
La justice vise une relation. Il ne peut être de relation sans pluralité et altérité.
La justice est ad alterum. On se méfiera donc de Platon lorsqu’il va chercher une
justice à l’intérieur d’un terme unique, l’homme. 14
Villey montre de la même manière comment saint Thomas reprend la théorie de
la justice particulière d’Aristote et des jurisconsultes romains mais il ne note pas de
modifications importantes 15 . En fait, ce que Villey ne cesse d’observer quand il expose
la doctrine de saint Thomas, c’est, selon lui, le souci de ce dernier de ne pas confondre
droit et loi. Ces deux choses sont très différentes et relèvent de deux sphères
particulières : le droit et la morale.
a) Le droit, la loi et la morale
Lorsqu’il étudie le droit naturel chez Thomas d’Aquin, Michel Villey en donne
une interprétation très claire et personnelle :
Laissons aux théologiens les analyses de la conscience, de la syndérèse, et même
de la loi naturelle… tous sujets de première importance, mais dont ces auteurs
devraient comprendre qu’ils ne concernent guère les juristes : la loi morale n’est
pas le droit. 16
Tout est dit, en fait, dans cette simple phrase et Villey ne fera, par la suite, que se
répéter : il pense rejoindre l’intention profonde de Thomas d’Aquin en identifiant la loi
et la morale et en les distinguant radicalement du droit. Le droit n’est pas la morale, ce
qui n’est pas original et n’est pas non plus la loi, ce qui est moins banal ; d’autant plus
qu’il y a une telle insistance sur ce point qu’on pourrait croire que ces sphères n’ont
même aucun rapport, Le point de départ de cette séparation nous semble être d’un côté
une considération philosophique : le droit relève d’une étude de la justice alors que la
morale s’attache à l’anthropologie 17 , d’un autre côté le souci de restaurer simultanément
le droit et la morale 18 . Nous aurions cependant bien de la peine à développer un exposé
rationnel complet sur cette question car il nous paraît que Villey n’a tout simplement
14
Questions de saint Thomas, p. 123
Questions de saint Thomas, pp. 124-127
16
La formation de la pensée juridique moderne, p. 159
17
cf. Le droit et les droits de l’homme, pp. 82-83
18
Correspondance, p. 39 : « Au système des droits de l’homme, j’avais opposé une morale… Si seulement
la cléricature avait daigné le parcourir, le P. Y… eût aperçu que la moitié de notre livre avait apporté la
défense et illustration d’une morale universaliste. »
15
5
jamais pris le temps de fonder, de démontrer son affirmation. Maintes fois répétée 19 elle
n’est jamais prouvée.
Les seuls éléments intéressants semblent donc de noter les caractères principaux
de ces deux relations. En ce qui concerne le droit et la loi, il doit être souligné que
Villey est parfois embarrassé : bien qu’il cherche, la plupart du temps, à séparer
nettement les choses, il est bien obligé, de temps en temps, de reconnaître les ponts
existants entre elles. Voilà pourquoi le droit peut avoir sa source dans la loi 20 , ou
encore :
Lois, instruments de la morale : ensembles de règles de conduite. Sans doute
tiennent-elles
judiciaire.
d’autres
offices :
déterminer…
les
magistratures,
l’ordre
21
Faudrait-il en conclure qu’à Rome le droit ait pris la forme de lois ?... Je ne
voudrais pas sous-estimer le rôle des lois à Rome… En effet, la loi détermine
l’organisation judiciaire et la procédure ; si bien que sans elle, indépendant d’elle,
ne pourrait pas exister de jus civile. Par contre, on ne saurait soutenir que les
sentences soient déduites des lois… Les lois et le droit constituent des sphères
distinctes (encore qu’elles puissent interférer). 22
Le plus intéressant, sans doute, c’est quand Villey concède que le juste général,
légal, puisse être dit, en un sens, du droit, mais cela est trop vague pour que cela serve
aux juristes 23 .
D’un autre côté, Villey développe dans tout un chapitre qui vise à démontrer
qu’il est impossible qu’existât des droits de l’homme dans l’Antiquité 24 , une défense
d’une morale universaliste fondée sur une anthropologie réaliste qui donne toute sa
place à la loi morale 25 . Il veut répondre à ceux qui lui objecte que la morale est vague
alors que les droits de l’homme sont garantis plus efficacement. Villey renvoi ses
opposants à leurs propres arguments : le droit, dans sa compréhension authentique, est
garantie par son objectivité, et la morale, si on veut bien prêter raison à la vérité de ses
19
cf. par exemple : La formation de la pensée juridique moderne, p. 84, 159 ; Le positivisme juridique
moderne et le christianisme, pp. 200-201, 208 ; Note critique sur les droits de l’homme, p. 701 ;
Questions de saint Thomas, p. 124 ; L’humanisme et le droit in Seize essais de philosophie du droit, p.
71 ; Les doctrines sociales chrétiennes, pp. 60-61 ; RIALS, Villey et les idoles, pp. 33-34 ; FREUND,
Michel Villey et le renouveau de la philosophie du droit, APD, 37 (1992), p. 8
20
Questions de saint Thomas, p. 118
21
Le droit et les droits de l’homme, p. 88
22
Le droit et les droits de l’homme, pp. 64-65
23
Le droit et les droits de l’homme, pp. 44-45
24
cf. Le droit et les droits de l’homme, p. 92, 93, 95
25
Le droit et les droits de l’homme, pp. 81-92
6
conclusions, est beaucoup plus efficace que les droits de l’homme qui ne le sont pas du
tout.
Villey dénonce ce fait qu’est le retournement complet de ce qui lui paraît être les
positions thomistes : les droits de l’homme se sont substitués à la morale quand,
concrètement, on a cessé de respecter celle-ci mais cela a eu pour fruit, réellement : la
confusion du langage juridique par la consécration de faux droits et l’illusion car le
respect de la dignité humaine n’est pas plus garanti par le droit que par la morale 26 . La
morale, au moins, avait de vrais fondements universalistes.
b) La sphère modeste du droit
Après avoir distingué soigneusement le droit de la loi, Villey aborde, à la suite
de ses maîtres, les divers analogués de ces deux concepts, c’est-à-dire les différentes
espèces de lois et de droit 27 .
En ce qui concerne la Loi, le premier analogué est la Loi éternelle, qui
correspond à l’idéal grec d’un cosmos hiérarchisé: tout lui est subordonné. A son
propos, Villey cite la très fameuse phrase de Cicéron dans son De Republica (III, 22) :
Est quidem vera lex… 28 et il retrace les réappropriations successives, notamment celle
de saint Augustin. Après, la loi éternelle, gouvernement de la Raison divine par sa
providence, Villey passe à la loi naturelle, participation de la loi éternelle dans la raison
humaine et pour laquelle il fait référence aux célèbres mots de saint Paul parlant de loi
écrite dans les cœurs (Rm 2, 14). Villey note bien que la participation se fait au niveau
de l’intelligence qui a reçu le principe premier de la morale, de la raison pratique, et qui
est capable de lire dans la nature, à la fois animale et raisonnable, de l’homme, sa
tendance au bien 29 .
Ce qui est intéressant, c’est qu’à l’occasion de l’étude de la loi naturelle, Villey
cite cette même phrase de Cicéron. Cela ne nous semble pas anecdotique : rejetant la loi
naturelle dans le domaine de la pure moralité et la séparant du droit, elle tend
immanquablement, comme par un mouvement de balancier, à se confondre avec la loi
26
Le droit et les droits de l’homme, pp. 102-103, 92
Le droit et les droits de l’homme, p. 73 ; cf. Le positivisme juridique moderne et le christianisme,
p. 208
28
Questions de saint Thomas, p. 97
29
Questions de saint Thomas, pp. 98-99
27
7
éternelle 30 , sauf à respecter le seul critère de différenciation qui demeure, la
transcendance de celle-ci et l’immanence de celle-là. De toute manière, Villey ne
s’étend pas sur la loi naturelle qui devient un synonyme de la justice générale 31 . Dans
l’un et l’autre cas, il s’agit d’un accord avec l’ordre cosmique immuable et du fait de
« commander à l’exercice de toutes les vertus » 32 . La loi humaine, quant à elle, est une
« détermination » ou « dérivation » de la loi naturelle : son principal caractère est d’être
écrite 33 et nous avons vu par quel processus dialectique et donc décisionnaire elle
s’établissait 34 .
Ainsi, l’étude des analogués de la loi est très limitée chez Villey qui s’y intéresse
peu, beaucoup moins qu’à ceux du droit. Ceux-ci, d’ailleurs, ne l’intéressent que sous
l’aspect des relations du droit naturel et du droit positif 35 . Son analyse est une reprise de
celle de saint Thomas avec une interprétation personnelle. Il fallait relever ce fait car
c’est une marque supplémentaire du désintéressement de Villey pour tout ce qui relève
de la loi. C’est aussi et surtout important pour les droits de l’homme car ils apparaissent
comme le fruit d’un retournement intellectuel d’une survalorisation de l’idée de loi et
d’un manque d’attention à l’idée de droit. En tout cas, jamais les droits de l’homme ne
sont, de quelque manière que ce soit, reliés à la loi naturelle, du moins dans le cadre
d’une compréhension classique de celle-ci. Par contre, ses analyses de l’analogie du
concept de loi l’amènent toujours à rappeler qu’il relève d’une manière habituelle de la
justice légale, donc totale, générale, contrairement au droit.
Tout ce que nous avons dit à propos des rapports du droit et de la loi, et ceux du
droit et de la morale, conduisent donc à devoir souligner, selon Villey, le caractère
restreint du droit tel que saint Thomas, à la suite d’Aristote et du droit romain, nous le
livre. En effet, les remarques précédentes éclairent ce qui a été dit à propos des deux
types de justice que saint Thomas distingue, avec Aristote. Quand il aborde la justice
particulière, Villey note : « Cette justice-là est une partie (meros) de la justice
totale » 36 . Tout s’explique alors des relations entre droit, morale et loi :
Platon confondait sous les termes de nomos et de dikaion le droit et touta la
morale. L’effort d’Aristote pour sortir de cette confusion culmine dans les
30
Comparer Le droit et les droits de l’homme, p. 88 et Questions de saint Thomas, p. 97
cf. Le droit et les droits de l’homme, p. 42
32
Comparer Le droit et les droits de l’homme, p. 42 et Questions de saint Thomas, p. 99
33
Questions de saint Thomas, p. 99
34
cf. La formation de la pensée juridique moderne, pp. 162-164
35
Ainsi, quand il les aborde en tant que tel chez les romains, il est peu disert : Le droit et les droits de
l’homme, p. 73
36
Le droit et les droits de l’homme, p. 42
31
8
chapitres VIII et IX du livre V de l’Ethique à Nicomaque où nous le voyons
parvenir jusqu’à une distinction du droit et de la justice ; la science du droit est
une partie de la science de la justice, mais une partie bien distincte… Ainsi le droit
se spécialise-t-il à l’intérieur de la morale. Et les lois seulement morales se
distinguent-elles des lois juridiques ; toute loi n’est plus, comme c’était le cas chez
Platon, loi juridique. La science du droit a conquis son autonomie. 37
L’objet de la morale et du droit est le même, c’est la notion d’ordre, d’un ordre
finalisé et antérieur à l’homme mais qui se révèle à lui 38 . C’est d’ailleurs cette
antériorité (autre forme de l’objectivité du droit) qui sera remise en cause par la
philosophie moderne, qui reconstruira le réel à partir de l’individu, d’où l’effacement de
la notion vraie de droit au profit de celle, fausse, de droit de l’homme 39 . Mais, alors que
la morale, comme la loi, s’occupe des intentions 40 et relève donc avant tout d’un acte de
connaissance 41 , le droit se préoccupe des fins, de l’objet qui est visé par la morale 42 , et
cet objet, si sa découverte passe nécessairement et d’abord par un acte de connaissance,
demande aussi et surtout un acte de volonté 43 .
C’est ainsi que Villey ne cesse d’affirmer que chez saint Thomas, dans la
conception classique du droit, le droit est quelque chose de bien précis, déterminé, fini,
restreint, modeste 44 . Les qualificatifs veulent rendre cette idée que le droit a certes sa
propre sphère autonome d’existence mais qu’il ne la conquiert qu’au prix d’une
délimitation stricte 45 . Toute atteinte à celle-ci et, notamment, toute volonté, en
redéfinissant le concept de droit, de le charger de plus qu’il ne peut porter, mène
inévitablement à des confusions très dangereuses entre des ordres différentes de la
réalité. L’émergence des droits de l’homme se situe précisément là. Nous avions
remarqué, dans la critique villeyienne du langage des droits de l’homme, comment il
déplorait leur idéalité. Nous pouvons maintenant comprendre ce qu’il signifiait par là,
en passant par cet outil philosophique qu’est la distinction entre puissance et acte et la
critique aristotélicienne de la théorie platonicienne des Idées.
37
La formation de la pensée juridique moderne, p. 84
cf. Questions de saint Thomas, p. 97, 116 et 122
39
Questions de saint Thomas, p. 109
40
La formation de la pensée juridique moderne, p. 84
41
Questions de saint Thomas, p. 106 ; cf. p. 118 : « La loi n’est pas une chose. Elle a son siège dans la
raison. Elle est une pensée sur la chose. »
42
La formation de la pensée juridique moderne, p. 84
43
Questions de saint Thomas, pp. 103-104
44
Sur cette question, cf. Questions de saint Thomas, p. 139, 129 ; La formation de la pensée juridique
moderne, p. 84, 161 ; Note critique sur les droits de l’homme, p. 698 et 701 ; Critica de los derechos del
hombre, p. 247 ; RIALS, Villey et les idoles, p. 35
45
RIALS, Villey et les idoles, pp. 29-30
38
9
En confondant loi et droit, donc morale et droit, on charge le droit d’une densité
trop lourde, en l’attirant sur un terrain qui n’est pas le sien. En un certain sens, pour
Villey lisant saint Thomas, le droit est plus objectif que la morale, qui vise au bien des
personnes, contrairement au droit qui ne s’occupe que de rétablir une égalité. En
introduisant, comme le fait la notion de droit de l’homme, de l’idéal dans le droit qui
est, au contraire, dans le réel, on évacue la vérité de sa signification 46 . Le droit naturel
est le lieu privilégié de cette possible modification de contenu qui bouleverse tout 47 .
2. Le droit naturel et les droits de l’homme
Aussi bizarre que cela paraisse, le droit naturel est très peu présent, à première
vue, dans la réflexion villeyienne sur les droits de l’homme. L’expression elle-même
n’apparaît, semble-t-il, qu’une seule fois dans Le droit et les droits de l’homme 48 . Il est
d’ailleurs intéressant de noter qu’à cette occasion, Villey se trouve en porte-à-faux avec
sa doctrine générale sur le sujet, telle que nous allons le voir : il définit le droit naturel
comme le « juste en soi, qui peut être reconnu comme tel universellement, parce qu’il
ne doit rien à nos conventions ». Cette signification s’approche en fait beaucoup plus de
celle qu’il donne habituellement de la loi naturelle.
Mais nous allons cependant étudier brièvement la présentation que fait Villey de
la théorie aristotélicienne puis de celle thomiste du droit naturel, avant de voir quelle
théorie propre il adopte, sur ces fondements. En effet, cette analyse du droit naturel
permet de resituer les conclusions si tranchantes de Villey sur l’incohérence de la notion
de droit de l’homme.
a) Le droit naturel chez Aristote et saint Thomas
Dans son exposé du droit naturel d’Aristote, Villey a cette particularité de
souligner très fortement que, selon lui, le Stagirite ne construit pas vraiment une
46
cf. La formation de la pensée juridique moderne, p. 99
Lire les pages très éclairantes de BASTIT, Un vivant aristotélicien : Michel Villey, Droits, 29 (1999),
pp. 61-62 et 65
48
P. 64. En ne tenant compte que des occurrences réellement signifiantes du mot, c’est-à-dire celles où
Villey cherche vraiment à parler du concept en cause.
47
10
doctrine dualiste des sources du droit mais bien une doctrine moniste. Les deux sortes
de justes qu’il est possible de distinguer en théorie n’existent pratiquement, la plupart
du temps, jamais de manière séparée : ils ne subsistent que l’un et l’autre ensemble.
Un tel dualisme nous apparaît assez éloigné d’Aristote. Sans doute distingue-t-il
deux espèces de juste et de droit – le juste naturel et le juste positif – et prévoit-il qu’en
certains cas on soit réduit à se contenter de ce droit informe, embryonnaire qu’est le
dikaion phusikon. Le droit naturel acquiert alors une sorte d’existence autonome mais,
on le verra, très imparfaite. Normalement, la solution de droit doit être atteinte
conjointement par ces deux sources qui ne sont point opposées mais complémentaires :
d’une part l’étude de la nature et ensuite, dans un second stade, la détermination
précise du législateur ou du juge. 49
Nous voyons encore une fois ressortir le décisionisme de Villey qui se comprend
mieux : toute règle de droit est le produit d’un acte simultanément de connaissance et de
volonté, car le droit lui-même (qu’il faut bien distinguer de la règle) est essentiellement
à la fois naturel et positif ; la distinction est donc purement théorique :
Analysons tout d’abord le premier moment de l’élaboration du droit : c’est un
moment intellectuel, théorique, spéculatif. Pour une partie, le droit procède de l’étude
de la nature. 50
Bien sûr, parler de droit naturel nécessite de préciser ce qu’on entend par nature
et Villey s’emploie à exposer l’ontologie aristotélicienne classique en la matière, en
relevant les diverses acceptations de mots dont la polysémie est redoutable 51 . Mais le
plus intéressant, c’est que Villey, quand il aborde les applications concrètes de la théorie
aristotélicienne du droit naturel, veut illustrer la méthode par laquelle le droit naturel est
connu et revient sans cesse sur « l’observation de la nature », observation toujours
susceptible d’être complétée et modifiée 52 , d’où l’affirmation : « Le droit naturel est
une méthode expérimentale ». Parmi les exemples qu’il prend, il faut remarquer que la
nature est autant le cosmos que l’ordre social, puisque Villey revient à plusieurs reprises
sur les conclusions « constitutionnelles » d’Aristote ; or, nous savons que la constitution
signifie à cette époque quelque chose de très ample, l’ordre même et le régime profond
d’une cité. Ainsi, d’une notion ontologique de la nature au sens de cosmos ou d’essence,
Villey glisse vers une notion sociologique de nature au sens d’un ordre social donné :
49
La formation de la pensée juridique moderne, p. 85
La formation de la pensée juridique moderne, p. 85
51
La formation de la pensée juridique moderne, p. 87
52
cf. La formation de la pensée juridique moderne, p. 87 et 90
50
11
A la manière d’un botaniste, il [Aristote] collecte les expériences des empires et
cités de son temps. Il annonce le droit comparé et la sociologie du droit. 53
Si nous abordons maintenant le droit naturel chez Thomas d’Aquin, Villey note
comme caractères primordiaux qu’il est réaliste 54 et qu’il va plus loin encore
qu’Aristote 55 . Son point de départ en est métaphysique : c’est aussi l’ordre naturel que
l’homme a la capacité de maîtriser par sa raison libre56 . Il faut ensuite aborder les
rivages de la morale où s’effectue le passage de la connaissance à la volonté et où est
surmontée la séparation du sein et du sollen, la connaissance de la nature indiquant le
chemin de l’accomplissement du bien. Cela est aussi rendu possible par l’épistémologie:
Notre intellect, subdivisé en spéculatif et pratique, ne constitue dans ces deux
fonctions qu’une seule et unique puissance et savoir l’essence d’une chose serait
déjà connaître sa fin. L’être d’une chose, que poursuit l’intelligence spéculative,
est son devoir-être, son bien. 57
Enfin, Villey revient une fois de plus sur ce qui l’intéresse avant tout : la
méthode, l’observation des mœurs et des « inclinations spontanées » de la nature. Celleci se rapproche donc une nouvelle fois d’une sorte d’étude sociologique, ethnologique,
fondée sur une anthropologie 58 .
Le plus caractéristique, sans doute de la réflexion villeyienne, est l’affirmation
maintes fois renouvelée de la mutabilité du droit naturel. En réponse à tous ceux qui
critiquent le droit naturel pour son manque de certitudes et contre ceux qui confondent
droit naturel et loi naturelle (qui, elle, est immuable), Villey expose longuement la
nécessité de la mutabilité du droit naturel. La cause de celle-ci est simple : le droit
naturel est connu par le moyen d’une méthode, la dialectique, qui n’est pas une science
exacte et n’atteint donc pas à des résultats absolus ; de plus, son objet, l’ordre social
naturel, n’est pas statique mais dynamique, évolutif. Ces deux éléments font que le juste
est changeant par nature 59 . L’incertitude relative de la connaissance du droit naturel
n’est pourtant pas inefficace car elle donne des directives qui s’imposent pour
53
La formation de la pensée juridique moderne, p. 90 ; cf. Questions de saint Thomas, p. 161 : « L’affaire
du Philosophe était de spéculer sur l’existence du droit naturel ; il notait que spontanément se constituent
dans les groupes sociaux des rapports de droit. »
54
La formation de la pensée juridique moderne, p. 155 : « Ses seuls maîtres étaient les choses. »
55
La formation de la pensée juridique moderne, p. 156
56
cf. La formation de la pensée juridique moderne, pp. 156-157 ; Questions de saint Thomas, pp. 8-10
57
La formation de la pensée juridique moderne, p. 158
58
La formation de la pensée juridique moderne, pp. 159-160
59
La formation de la pensée juridique moderne, pp. 91-96, 161-162 ; cf. Questions de saint Thomas, p.
140 (pour Aristote) et p. 143 (pour Thomas d’Aquin) ; Critica de los derechos del hombre, pp. 246-247;
Les doctrines sociales chrétiennes, p. 60 ; cf. encore RIALS, Villey et les idoles, p. 48; FREUND, Michel
Villey et le renouveau de la philosophie du droit, APD, 37 (1992), p. 10
12
l’interprétation par le juge du droit. C’est cette même incertitude des conclusions
provisoires du droit naturel, qui se fonde donc sur une théorie de la connaissance
juridique 60 , qui rend compte de la nécessité de penser le droit positif avec le droit
naturel et conjointement à lui. En effet, le droit positif apporte, mais provisoirement,
une certitude et une précision que ne peut donner le droit naturel 61 .
Voilà pourquoi Villey peut écrire :
Bien que cela soit très méconnu, je dirais que la loi positive occupe une place
prépondérante dans la doctrine du droit naturel de saint Thomas. 62
b) La conception villeyienne du droit naturel
La théorie villeyienne du droit naturel, dont il faut bien voir qu’elle se veut la
récapitulation de ce que nous venons d’exposer concernant saint Thomas, est en fait
assez complexe 63 . Elle procède en deux temps car il faut distinguer, à notre avis, deux
étapes, deux moments intellectuels, qui rejoignent les deux questions de l’essence du
droit et de ses sources. Villey, en fidèle aristotélicien, définit le droit comme le juste
issu de la « nature des choses » : c’est l’attribut objectif que nous avons à plusieurs
reprises souligné. Ailleurs, comme dans le passage précité de Le droit et les droits de
l’homme il distingue le « juste naturel » du « juste positif ou conventionnel ». Il ne
faudrait pas en conclure trop rapidement que les notions de droit naturel, de nature des
choses et de juste naturel recouvrent la même réalité et sont identiques. L’expression
« droit naturel » se dédouble en fait en deux concepts qui renvoient tous les deux à une
même idée de « droit qui se donne à voir » et non pas de « droit qui se construit ». En
effet, il y a d’abord le droit qui est toujours tiré de la nature des choses : c’est un
élément consubstantiel à la définition qu’en donne Villey et, en ce sens, tout droit est
naturel. Mais les choses dont on parle dans cette définition peuvent être la nature stricto
sensu ou la volonté humaine et se pose alors la question de l’origine, de la source du
droit proprement dit.
60
cf. Questions de saint Thomas, p. 153, 157, 161, 163, 166 (même si, le plus souvent, cela est mis en
relation avec le jus gentium)
61
cf. La formation de la pensée juridique moderne, p. 91 (pour Aristote) et p. 163 (pour saint Thomas)
62
La formation de la pensée juridique moderne, p. 162 ; cf. pour une vision différente et que Villey aurait
sans doute critiqué, CATTIN, L’anthropologie politique de Thomas d’Aquin, pp. 137-143
63
cf. RIALS, Villey et les idoles, pp. 15-16
13
Il nous semble qu’il vaut mieux parler, à propos de la doctrine villeyienne, de
droit objectif 64 . L’objectivité du droit : voilà la caractéristique principale du droit,
objectivité qui n’est pas à prendre, comme nous l’avons déjà dit, selon la définition
actuelle de droit édicté, mais au sens classique de droit réaliste, existant dans le monde
de l’être, des objets, extérieur au sujet humain. Le droit objectif a alors deux sources : la
nature et la volonté, car les produits de ces deux sources sont des objets pour le sujet
humain qui est confronté à eux. Il faut faire attention aussi à ce que Villey entend par
« volonté » et par « nature ». Dans le premier cas, volonté renvoie en fait à convention,
c’est-à-dire aux actes extérieurs de la volonté humaine, aux pactes et aux actes par
lesquels elle s’oblige. Il n’est pas question chez Villey de la pure volonté dans un sens
de liberté ou de revendication individuelle. Le droit objectif concerne toujours une
pluralité de personnes : la source du partage antécédent des biens que le droit corrige
peut seulement, dans certains cas, être la volonté des hommes. Le mot de nature, quant à
lui, est à prendre, à notre avis, comme synonyme de celui d’ordre social. C’est un donné
de fait, un ordre humain objectif, évolutif et complexe 65 , dans lequel se forme un
partage des biens extérieurs sur lequel l’homme, en tant que personne singulière, n’a
sinon aucune du moins très peu d’influence.
Afin de soutenir cette thèse, nous aimerions revenir à quelques textes de Michel
Villey qui montrent que le droit, de quelque source qu’il provienne, est toujours
intrinsèquement, du fait de son essence même, de sa définition, naturel au sens
d’objectif. Il dit ainsi :
Le droit, au contraire, appartient au monde des objets. Et le milieu qu’il
constitue (cette proportion adéquate dont on vient de parler) a son siège in re, dans les
choses, dit le Commentaire de saint Thomas. On le cherchera par l’observation du
monde extérieur. 66
Il dit encore :
Selon le texte d’Aristote, l’office du juge est de vérifier la justice de répartitions
préalablement opérées – nous ne savons pas trop par qui – mais point par le juge luimême. 67
64
cf CAMPAGNA, Michel Villey, le droit ou les droits, pp. 75-76
Cf. Critica de los derechos del hombre, p. 246
66
Le droit et les droits de l’homme, p. 52
67
Le droit et les droits de l’homme, p. 50
65
14
Les règles juridiques ne sont pas le droit ; elles décrivent le droit. Le droit est
chose qui préexiste (jus quod est), objet de recherche permanente et de discussion
dialectique, à laquelle ne coïncideront jamais nos formules. 68
On perçoit, au détour des affirmations de Villey, que dans tous les cas cités, il
parle du droit en général. Or ce droit est dans tous les cas de la sphère de la nature
extérieure à l’homme, du monde des choses. C’est seulement dans un second temps que,
parfois, Villey aborde de front le problème des sources stricto sensu :
Si je l’ai relatée [la thèse du pape Jean XXII], c’est qu’elle offre encore un
exemple, à la veille de l’œuvre d’Occam, d’emploi correct du terme jus dans son sens
romain : id quod justum est, la part juste, le bien dont on jouit – au total –
conformément à la justice, que cette justice procède, au reste de l’ordre naturel ou de
cette source complémentaire qu’est la législation positive. 69
Il nous semble que la première étape, celle de la définition du droit comme
objectif, relève du langage du droit, tandis que la seconde étape, celle des sources du
droit, relève d’une théorie du droit, qui intervient en aval. Un argument nous est fourni a
fortiori par le grand ennemi de la pensée villeyienne, le nominalisme, dont il faut
rappeler qu’il est à la fois une philosophie de la connaissance qui, en détruisant le
réalisme épistémologique, abîme le langage lui-même et sa capacité d’objectivité, et une
ontologie qui, en réduisant le réel à l’individuel, interdit d’y reconnaître un ordre et des
relations et ne laisse subsister que la volonté humaine 70 .
Un autre exemple nous semble fourni par la présentation, par Villey, de l’article
de la Somme sur le droit naturel 71 . Il y dit que saint Thomas, après avoir défini ce qu’est
le droit, parle des moyens par lequel il est trouvé. Il y en a alors deux : le droit qui se
découvre dans la chose même (et on peut noter que, dans ce passage, la chose
correspond plus à un ordre socio-économique qu’à un ordre naturel au sens ontologique
du terme) et celui se réfère à une convention. Il y a bien deux temps et on aboutit bien à
un double résultat : l’existence conjointe du droit naturel et du droit positif, qui est
affirmée après la définition objective du droit. Villey tend donc à confondre deux sens
pourtant bien différents de l’expression ordre naturel :
Le propre de la doctrine d’Aristote et de saint Thomas… c’est de construire la
science juridique… sur la nature cosmique : le juriste découvre le droit par
68
Le droit et les droits de l’homme, p. 67
La formation de la pensée juridique moderne, p. 256
70
cf. Questions de saint Thomas, p. 116
71
Sum. Theol., IIa-IIae, q. 57, a. 2, cf. Questions de saint Thomas, pp. 141-143
69
15
l’observation de l’ordre inclus dans le corps social naturel, d’où ne se peuvent
tirer que des rapports, que des proportions, que des conclusions objectives. 72
Il faudrait enfin étudier en profondeur la réfutation villeyienne des thèses de
Kelsen niant l’existence du droit naturel 73 : cette réfutation synthétise, sur fond de
thomisme avoué, son enseignement en la matière, qui surmonte la coupure du sein et du
sollen et le relativisme du droit naturel, en avançant justement comme argument une
définition de la nature, une définition du droit exclusive de la morale et, en conséquence
de cela, la mutabilité du droit. En conclusion, Villey peut se permettre d’ironiser et de
dire que le droit naturel, ce « cadavre » dont on annonce toujours la mort, ressuscite
périodiquement 74 . Tous les éléments que nous venons de voir sont donc fortement liés
les uns aux autres et constituent un corps de doctrine qui est l’interprétation personnelle
de Thomas par Villey. C’est cela qu’il définit comme la doctrine classique « classique »
et qu’il oppose à celle moderne. En effet, dans la première, tous ces éléments sont
autant de raisons qui rendent impossible la présence, à ses yeux, des droits de
l’homme 75 et ce sont ces mêmes éléments, défigurés et désordonnés, qui expliquent leur
apparition.
Thomas d’Aquin représente pour Michel Villey un sommet, mais il a été trahi
par ses propres disciples. La cathédrale intellectuelle qu’est son œuvre et qui réconciliait
harmonieusement différentes traditions a été bouleversée. En effet, si chez lui la morale
est chrétienne, le juridique est d’origine profane. Or les penseurs qui le suivront,
rompront cet équilibre en mélangeant ces deux choses et en privilégiant une approche
moralisante du droit 76 . Voilà pourquoi Villey répète que les droits de l’homme naissent
avec une perte d’autonomie du droit et une valorisation excessive du christianisme 77 .
Nous allons donc étudier la manière dont ils émergent dans le mouvement de remise en
cause du thomisme.
72
La formation de la pensée juridique moderne, p. 243
Sur ce point, cf. Questions de saint Thomas, pp. 137-139 et 145-153 ; RIALS, Villey et les idoles,
p. 59
74
Questions de saint Thomas, p 136 et 156 ; L’humanisme et le droit in Seize essais de philosophie du
droit, p. 64
75
Note critique sur les droits de l’homme, p. 698
76
cf. Le droit et les droits de l’homme, p. 109, 111-112, 116
77
cf. Le positivisme juridique moderne et le christianisme, p. 214 ; Note critique sur les droits de
l’homme, p. 696 ; Droit subjectif I in Seize essais de philosophie du droit, p. 141
73
16
§2. Le droit subjectif, fruit du nominalisme
Michel Villey n’est pas ignorant des nuances qu’il faut apporter à tout travail de
mise en perspective d’un ensemble de doctrines très différentes bien que reliées. En
historien et philosophe, il sait que les systèmes de philosophie du droit venant après
saint Thomas ne peuvent être réduits à un modèle unique. Il note qu’il y a au moins
deux branches, deux courants distincts 78 : le rationalisme et l’empirisme, qui
correspondent aux deux puissances de l’âme, la raison et la volonté, et qui trouveront
comme une synthèse chez Kant puis chez Sartre.
Mais derrière les multiples formes que prennent les idées, il cherche celles
fondamentales, qui orientent tout : il ne s’arrête pas à la matière mais tente de restituer
la forme de la philosophie moderne. Pour lui, celle-ci se trouve entièrement résumée par
le qualificatif d’individualisme. L’humanisme qui met au centre l’homme, le sujet, en
accentuant soit sa raison, soit sa volonté, a pour conséquence de ne voir que l’homme
comme auteur et fin du droit, d’où le positivisme juridique et le subjectivisme du
droit 79 . Or, à la source de ces signes distinctifs, il y a le nominalisme 80 :
Quelle que soit la dette du droit moderne envers saint Thomas, il reste que les
caractères les plus spécifiques de la pensée juridique moderne sont dérivés d’une
autre Ecole : médiévale encore, mais contraire à la doctrine de saint Thomas… A
la doctrine thomiste du droit, nous choisirons cependant d’opposer celle de
Guillaume d’Occam. 81
Affranchissement de la personne, découverte de la personne, tandis que
s’estompent ces écrans – les genres, les espèces, les natures – qui dans l’ancienne
philosophie empêchaient de l’apercevoir nue, exaltation de la liberté : les sources
de cette vision du monde sont chrétiennes, évangéliques et typiquement
franciscaines. Mais quelles que soient ces origines, toute la philosophie moderne,
fondée sur l’individualisme, est en germe dans cette doctrine. 82
Nous étudierons donc successivement la période de la naissance de la
philosophie moderne : les thèses nominalistes, dans ce qu’elles ont de portée pour la
78
L’humanisme et le droit in Seize essais de philosophie du droit, pp. 62-63 ; La formation de la pensée
juridique moderne, pp. 182-183
79
L’humanisme et le droit in Seize essais de philosophie du droit, p. 61, 62, 66
80
Sur le nominalisme lire les articles absolument essentiels suivant : BASTIT, Michel, Michel Villey et
les ambiguïtés d’Occam in Droit, Nature, Histoire. Michel Villey, philosophe du droit, pp. 65-72 et
GUTMANN, Daniel, Michel Villey, le nominalisme et le volontarisme, Droits, 29 (1999), « Michel
Villey », pp. 89-104
81
La formation de la pensée juridique moderne, p. 202
82
La formation de la pensée juridique moderne, p. 209
17
philosophie du droit en général et la théorie des droits de l’homme en particulier ; puis
nous étudierons comment, sur ces bases, le concept de droit de l’homme devient un
objet de théorisation en soi.
1. La révolution nominaliste
Villey considère que l’événement le plus capital de l’histoire de la philosophie
du droit, celui ayant le plus de conséquence, est un débat théologico-politique : la
Querelle de la pauvreté 83 , au sein des franciscains et entre eux et la Papauté. Cet
événement cache en fait en arrière fond un autre débat, philosophique celui-là, la
Querelle des Universaux. La conclusion de cette querelle est décisive pour la pensée et,
en conséquence, pour le droit. Ces Querelles valorisent les théories issues de l’Ecole
franciscaine et, parmi elles, en priorité celles de Jean Duns Scot et de Guillaume
d’Occam. Pour chacun d’entre eux, Villey présentera globalement les thèses principales
de leur philosophie générale puis il développera les répercussions qu’elles eurent sur
leur philosophie du droit.
a) La naissance d’une pensée individualiste et volontariste
Le choix de Duns Scot, avant celui d’Occam, n’est pas anodin : il en est le
prédécesseur immédiat à Oxford et bien que la philosophie occamienne se veuille une
réaction contre celle scotiste, elle en reprendra bien des éléments. Villey caractérise la
philosophie de Scot comme un essai de retour à l’augustinisme et, conséquemment, une
moins grande considération des auteurs profanes et de la raison naturelle, au bénéfice
des auteurs bibliques et de la théologie 84 . C’est déjà une première rupture d’avec saint
Thomas. La grande révolution scotiste est ensuite, en ce qui concerne la vision du
monde, le primat absolu accordée à la volonté divine : il est celui qui, le premier, durcit
l’argument scolastique classique de la puissance de Dieu. En effet, sa conception de la
potestas absoluta est intimement liée à l’affirmation théologique d’un Dieu parfaitement
83
La formation de la pensée juridique moderne, pp. 212-219, 215-260 ; Le droit et les droits de l’homme,
p. 124
84
La formation de la pensée juridique moderne, p. 205
18
libre à l’égard de l’ordre naturel qui, s’il existe de potentia ordinata, ne lie en rien son
Créateur 85 . La répercussion sur la volonté humaine est importante car, à
l’intellectualisme thomiste, Scot substitue un volontarisme dans lequel la liberté n’est
plus finalisée. Le second bouleversement qu’il introduit est d’ordre épistémologique :
alors que le réalisme de Thomas d’Aquin le conduit à affirmer que les substances
secondes, les fameux universaux, existent in re, Scot nie ce caractère et ne leur attribue
qu’une existence conceptuelle. Le fondement de cette théorie réside dans la thèse, qui
heurte totalement l’épistémologie thomiste, selon laquelle le singulier est cognoscible
car la forme elle-même est principe d’individuation. La relativisation des substances
secondes et la survalorisation des substances premières font que Scot remplace le
monde de généralités de saint Thomas par un monde d’individus 86 .
Les conséquences en philosophie du droit de ces conclusions sont immédiates :
ce n’est plus la raison mais la volonté qui importe ; ce n’est plus le monde objectif mais
la liberté humaine qui est la source ; ce n’est plus la cause finale mais la cause efficiente
qui prime ; ce n’est plus le droit naturel mais le droit positif qui vient en premier. Villey
voit donc en Scot le précurseur du positivisme juridique, même s’il ne veut pas trop
forcer sa pensée 87 . Il est beaucoup moins nuancé avec Occam en qui il voit, non plus un
précurseur, mais un fondateur 88 . D’autant plus que, contrairement à Scot, Occam, du
fait des circonstances, fut dans l’obligation de développer une véritable philosophie du
droit. Son étude remplie de nombreuses pages mais Villey souligne fortement la très
grande importance de ce moment intellectuel :
Je suis persuadé que peu d’études sont plus nécessaires pour l’histoire de la
philosophie du droit que celle du nominalisme confronté à son opposé, le réalisme
de saint Thomas. La querelle des universaux peut apparaître aujourd’hui
archaïque, peut-être dépassée, nous dirions plutôt démodée… Mais on perdra
moins de temps sur elle que sur de vieilles chartes ou de vieux coutumiers, si on a
pour propos de saisir le contraste et la transition du droit antique au droit
85
La formation de la pensée juridique moderne, pp. 205-207
La formation de la pensée juridique moderne, pp. 207-209. Pour Scot, l’homme est une monade, une
« ultima solitudo », ce qui est radicalement incompatible avec l’anthropologie thomiste, cf. CATTIN,
L’anthropologie politique de Thomas d’Aquin, p. 100
87
La formation de la pensée juridique moderne, pp. 209-212
88
La formation de la pensée juridique moderne, p. 221 : « Peut-être est-ce à cause de son goût exacerbé
de la dialectique que Guillaume d’Occam fut le fondateur (l’inceptor, dans un nouveau sens cet fois)
d’une philosophie nouvelle, d’une voie nouvelle (via moderna) – c’est-à-dire d’une manière nouvelle de
philosopher – promise à une grande fortune dans toute la fin du Moyen Age et encore au-delà : le
nominalisme moderne et le nominalisme, à lui seul, signifie en philosophie du droit une révolution
radicale. »
86
19
moderne. Car là est la ligne de partage entre le droit naturel classique,
inséparable du réalisme d’Aristote et de saint Thomas, et le positivisme juridique.
Là se trouve la clé du problème fondamental de la philosophie du droit. 89
S’il est d’une telle importance d’étudier Occam et le nominalisme, c’est à cause
de l’extraordinaire influence et de la diffusion considérable de ses idées dans tout le
monde, de manière durable puisque cette influence dure encore de nos jours 90 . Villey,
pour mettre en relief la nouveauté du mouvement, présente brièvement les lignes de
fond des deux thèses opposées. Tout se joue autour du statut des universaux. Aristote,
en effet, distinguait les substances premières, êtres individuels, qui sont premiers dans
l’ordre de l’être, et les substances secondes, les termes généraux, les idées de Platon,
qu’il réinscrit dans le monde sublunaire. Pour les tenants du réalisme, les universaux
sont réels, même si ce n’est pas dans le même sens que les individus. Le monde n’est
pas atomistique mais ordonné et les relations et concepts qui rendent compte de cet
ordre appartiennent au monde des choses objectives. Ainsi, la métaphysique est
condition du droit naturel. Le nominalisme critique radicalement ce fait91 .
En se fondant sur la logique aristotélicienne dont il est imprégné, Occam
distingue les choses des signes, c’est-à-dire les ordres ontologique et logique (ou
conceptuel), ce que faisaient aussi les réalistes mais sans introduire de séparation entre
les ordres. Au contraire, Occam fait passer une coupure nette et renvoient les universaux
dans le monde des signes, des nomen. Il n’existe donc plus que les substances premières
qui sont réelles et la vraie connaissance devient celle des être individuels 92 :
La métaphysique d’Occam transporte dans le monde du langage et de la pensée,
dans l’univers conceptuel, ce qui appartenait, pour les thomistes, au monde de
l’être : les genres, les formes communes et les relations… Universels et relations
ne sont plus que des instruments de pensée. 93
Parallèlement à cette individualisation de la pensée, il faut encore noter chez
Occam, qui use des mêmes arguments que Scot, son volontarisme : l’abandon du
réalisme et la reconnaissance de l’existence exclusive des substances premières
implique l’abandon d’une accession de la pensée à un ordre naturel objectif et donc le
89
La formation de la pensée juridique moderne, p. 223 ; cf. Le droit et les droits de l’homme, p. 121 :
« Nous venons d’atteindre à la crête, à la ligne de partage des eaux : en arrière, vous avez le droit, audevant les droits de l’homme. »
90
La formation de la pensée juridique moderne, p. 223
91
La formation de la pensée juridique moderne, p. 224
92
La formation de la pensée juridique moderne, pp. 225-226 ; cf. p. 261
93
La formation de la pensée juridique moderne, p. 226
20
renoncement à une conception finalisée de la liberté. Celle-ci est alors détachée du
monde de l’être, à l’image de celle divine.
b) Les conséquences juridiques du nominalisme
A propos de la doctrine du droit présente chez Occam, Villey fait cette remarque
qui est importante car elle révèle sa méthodologie : « Occam juriste suit la voie
d’Occam philosophe » 94 . Derrière ces mots se cache en effet une des propositions les
plus caractéristiques de Villey : la compréhension du droit par un penseur dépend de sa
philosophie générale. Il souligne à plusieurs reprises ce fait à propos des fondateurs de
la via moderna, pour donner plus de poids à ses longs exposés de leurs opinions et en
justifier la nécessité :
Déjà nous pressentons les suites d’une telle philosophie sur la philosophie du
droit. Toute vision globale du monde, fût-elle construite dans l’ignorance des
phénomènes juridiques, lorsqu’elle triomphe, se répercute sur la pensée et la
méthode des juristes. 95
Lorsqu’elle n’est pas que scolaire… toute philosophie rayonne dans les secteurs
les plus divers de l’activité intellectuelle… Or, de même qu’il suscite une crise au
sein de la théologie, et qu’à long terme il renouvelle les méthodes des sciences, le
nominalisme devait encore envahir le droit. 96
On s’est parfois montré sceptique sur les relations existant entre la philosophie
d’Occam et ses positions juridiques… Il m’apparaît au contraire que les
intellectuels, fussent-ils juristes, ont le grave défaut de tenir à la cohérence de leurs
opinions, dans quelque domaine qu’elles s’exercent. J’estime ainsi que la manière
d’Occam, obligé d’écrire sur le droit, d’opérer le choix de ses sources, de prendre
pour base de ses raisonnements juridiques seulement des sources positives, est
parfaitement solidaire de sa philosophie. 97
Or la toute première conséquence du nominalisme sur le droit, est, selon Villey
l’abandon du droit naturel, de ce droit objectif que nous avons trouvé chez les Anciens,
et l’instauration d’une science du droit fondée sur l’individu et leur volonté, d’où ces
94
La formation de la pensée juridique moderne, p. 240
La formation de la pensée juridique moderne, p. 209 (pour Duns Scot)
96
La formation de la pensée juridique moderne, pp. 227-228
97
La formation de la pensée juridique moderne, p. 229 ; cf. encore p. 240
95
21
deux fruits néfastes que furent la naissance des droits subjectifs et celle du positivisme
juridique 98 .
Le positivisme est, pour Michel Villey, la doctrine juridique (qu’il faut prendre
soin de dissocier de celle philosophique, généralement associée à Auguste Comte) selon
laquelle le droit est tout entier fondé sur la loi. Il provient de ce que le nominalisme est
volontariste 99 . L’argument de potentia absoluta Dei poussé à son apogée, qui devient
l’hypothèse de la haine de Dieu méritoire du salut, montre que l’ordre moral dépend
entièrement et immédiatement de la volonté divine. Ainsi le juste ne se trouve plus dans
un ordre naturel mais dans la pure liberté divine : il est nécessairement l’effet d’un acte
positif de la volonté. Le droit naturel n’est plus réellement issu du cosmos, de l’ordre
objectif qui se découvre à la raison humaine : il devient le résultat de l’action divine ou
la conséquence rationnelle des règles positives. Villey en analyse longuement les
manifestations chez Occam 100 .
Mais il est une autre conséquence du nominalisme en droit qui est encore plus
grave et qui nous intéresse d’encore plus près :
Il existe un autre thème fondamental des systèmes juridiques modernes, plus
fondamental encore que le positivisme juridique : c’est celui du droit subjectif.
L’idée du droit subjectif procède, à mon sens, elle aussi nu nominalisme, et
s’explicite avec Occam. 101
Sur ce point encore, Villey est très nette : la notion de droit subjectif est
incompatible avec celle du droit naturel classique et il est, pour lui, impossible d’en
discerner la trace dans le droit romain. Voilà pourquoi, une nouvelle fois, il expose les
principes de l’Ecole classique, en s’attardant plus particulièrement sur le droit romain.
En effet, il veut montrer qu’il n’y a pas de droit subjectif, à proprement parler, avant
Occam, sinon en germe 102 . Ces germes cependant doivent leur développement à la
théorie occamienne :
Il est revenu à Occam, contre les doctes, d’apporter à ces tendance mal définies,
autant qu’on en puisse juger, leur achèvement théorique et, sans doute pour la
98
La formation de la pensée juridique moderne, p. 228
La formation de la pensée juridique moderne, pp. 229-230
100
La formation de la pensée juridique moderne, pp. 231-240
101
La formation de la pensée juridique moderne, p. 240
102
La formation de la pensée juridique moderne, pp. 241-251 ; Travaux récents sur les droits de l’homme,
p. 416 (pour l’absence de droit subjectif dans le droit romain)
99
22
première fois, de concevoir le droit subjectif, de consacrer la jonction des idées de
droit et de pouvoir. 103
Toute la question ici, est celle de la date d’apparition de la notion de droit
subjectif et la réponse dépend en grande partie de la définition qu’on en donne. A ce
sujet, il donne souvent celle de Savigny : « pouvoir de la volonté ». Mais il se réfère
aussi aux définitions de Hobbes qui voit le droit, le « right », comme une « liberty », ou
à Ihering pour qui le droit est un « intérêt juridiquement protégé » ; de toute manière, il
note que les modernes voient tous le droit comme un attribut du sujet 104 . Certes, le droit
romain connaît la notion classique de dominium, mais elle n’est pas, alors, subjectiviste.
C’est sa réinterprétation par le nominalisme qui lui donne (en philosophie, car le réel est
autrement plus compliqué) cette coloration, de la manière la plus complète qui soit. Il
est donc juste de dire qu’il invente le droit subjectif, puisqu’il est le premier à en donner
une théorie complète et cohérente 105 . La démonstration qu’en donne Villey est elle aussi
très complète et longue 106 : qu’il nous suffise de dire qu’Occam évacue le droit naturel
et le remplace par un ordre juridique qui est une somme de pouvoirs, de libertés
individuelles, avec un ensemble de lois, qui proviennent d’elles, pour réguler le tout. Ce
fait s’explique notamment par la tendance franciscaine à majorer la valeur de la
personne et de la liberté, chrétiennement comprises, et à introduire ces éléments au sein
de la réflexion juridique.
C’est donc bien une révolution à laquelle on assiste avec le nominalisme, que
Villey résume en quelques mots :
De même que le droit naturel est, selon moi, le maître-mot de la science juridique
romaine, de même le droit subjectif est le maître-mot du droit moderne. 107
Or ce constat est fondamental pour notre sujet, car il n’y a aucun doute pour
Villey que les droits de l’homme sont une simple figure, une expression, la plus typique,
du droit subjectif 108 . Celui-ci étant le trait caractéristique de la philosophie moderne du
103
La formation de la pensée juridique moderne, p. 260
cf. Le droit et les droits de l’homme, p. 69 (« Toujours subjectif, attaché ou bénéficiant à quelque
sujet, quelque personne individuelle ») ; Questions de saint Thomas, pp. 112-113 (« Produits d’une
manière de penser subjectiviste, substantialiste ») ; Travaux récents sur les droits de l’homme, pp. 411412, 415-416
105
La formation de la pensée juridique moderne, p. 251
106
La formation de la pensée juridique moderne, pp. 251-267
107
La formation de la pensée juridique moderne, p. 268
108
Le droit et les droits de l’homme, p. 69 ; L’humanisme et le droit in Seize essais de philosophie du
droit, p. 71 ; Les doctrines sociales chrétiennes, p. 37 ; Note critique sur les droits de l’homme, p. 695
104
23
droit, il est juste de dire alors que les droits de l’homme sont le produit de celle-ci 109 .
Les divers philosophes qui succèderont à Occam ne feront, aux yeux de Villey, que
développer ses présupposés et les amener à leur terme logique 110 .
2. Les théories des droits de l’homme, héritières du nominalisme
Il est aisé de saisir, en lisant Villey, que le second de ses adversaires, sur la
pensée duquel il revient fréquemment, est Hobbes : avec Occam, ce sont les deux
auteurs clefs de l’histoire des droits de l’homme 111 . Il note que c’est lui qui est
véritablement le père des droits de l’homme, à cause de son argument de l’état de
nature 112 . Mais il est lui-même dépendant de ces penseurs qui, entre lui et Occam,
forment l’arbre généalogique du droit moderne subjectiviste.
a) La Seconde Scolastique
Villey ne manque pas de noter que la Réforme luthérienne est un prolongement
de l’œuvre occamienne 113 . Luther, formé à son école, accentue encore ses thèses :
voulant à tout prix préserver la liberté divine, il nie toute idée de nature, ce que facilite
son anti-intellectualisme viscéral, et rejette donc tout droit naturel, au profit d’un strict
positivisme. Chez lui, le droit est de plus en plus identifié à la loi et devient synonyme
de contrainte, caractéristique essentielle du droit moderne selon Villey 114 . Ce qui est
plus intéressant, c’est qu’il remarque combien ceux qui voulurent combattre le
protestantisme en restaurant la doctrine thomiste, les théoriciens de la Contre-Réforme,
subirent les mêmes influences.
Ici apparaît ce grand mouvement intellectuel appelé Seconde Scolastique, ou
scolastique espagnole, car elle s’enracine surtout dans l’université de Salamanque, foyer
109
Le droit et les droits de l’homme, p. 105, 131 ; L’humanisme et le droit in Seize essais de philosophie
du droit, p. 41 ; Correspondance, p. 40. Pour une synthèse de la réflexion villeyienne sur Occam : Le droit
et les droits de l’homme, pp. 118-125
110
Le droit et les droits de l’homme, p. 125 : « Luther, Hobbes, seront occamiens. »
111
RIALS, Stéphane, Généalogie des droits de l’homme, Droits, 2 (1985), p. 4 et 5
112
Questions de saint Thomas, p. 109
113
La formation de la pensée juridique moderne, p. 325
114
La formation de la pensée juridique moderne, p. 290
24
de renouveau de saint Thomas et du droit naturel 115 . Les plus célèbres religieux de
l’époque participent à ce mouvement, qui produisit de nombreuses réflexions politiques
et juridiques, étant donnés les évènements (découverte du Nouveau Monde, querelle sur
le droits des indiens, lutte des premiers Etats…) et qui influença durablement les
générations postérieures, grâce à leurs œuvre éducatives. Du côté des dominicains, il
faut citer Vitoria, de Soto, de Castro, Medina, Bañez ; parmi les jésuites, on compte
Vazquez, Molina, de Mariana, Suarez. Ces auteurs, malgré leurs essais de revenir à
saint Thomas, le dénaturèrent en le mêlant à des thèses nominalistes. Villey juge
infidèle à leur maître tous ses commentateurs et s’en méfie beaucoup 116 .
Parmi ces philosophes, il en est un que Villey juge caractéristique : Suarez. Ce
dernier est très connu pour son œuvre monumentale, le De legibus. Or, dès
l’introduction de son livre, quand il cherche à définir le terme « jus », Suarez indique
qu’il le comprend comme synonyme de « lex ». C’est le point d’aboutissement des
thèses scotistes et occamistes, le point d’orgue du droit moderne, l’hérésie majeure pour
Villey : l’identification du droit et de la loi, donc du droit et de la morale, est opérée.
Cette confusion entraîne une modification fondamentale du sens du droit naturel qui
n’est plus tiré du traité de la Justice de la Somme mais du traité des Lois ; il est donc
confondu avec la loi naturelle, loi morale, reposant sur une base anthropologique. D’où
la possibilité d’inférer de la nature humaine les droits de l’homme 117 . De la même
manière, le droit est rattaché à la notion de dominium, ancienne mais réinterprétée, et
donc à ces idées de pouvoir, de liberté et d’individu 118 .
Villey n’hésite d’ailleurs pas une nouvelle fois à démontrer comment les
conclusions de Suarez sont liées à sa métaphysique, son ontologie qui, méconnaissant la
richesse de celle thomiste, uniformise l’être et introduit une coupure entre l’être et la
valeur, le sein et le sollen 119 . D’où le positivisme et l’impossibilité de penser le droit
naturel. Ce qu’il relève demeure cependant principalement la relation du droit et de la
loi chez Suarez 120 : le droit est soit subjectif, au sens de faculté morale, soit objectif, au
sens de posé par la loi ; mais le sens premier, c’est le second. Les facultés morales des
115
La formation de la pensée juridique moderne, pp. 326-335 ; cf. Le droit et les droits de l’homme, pp.
125-127 ; Questions de saint Thomas, pp. 170-173
116
cf. La formation de la pensée juridique moderne, pp. 336-338 ; Questions de saint Thomas, pp. 176177, surtout p. 170
117
Questions de saint Thomas, pp. 170-173
118
Le droit et les droits de l’homme, pp. 128-130 ; cf. Note critique sur les droits de l’homme, p. 695 ; La
formation de la pensée juridique moderne, p. 355368
119
La formation de la pensée juridique moderne, pp. 350, 353-355
120
cf. La formation de la pensée juridique moderne, pp. 355-
25
sujets sont soumises à la loi, qui n’est pas une œuvre de raison mais de volonté, qui
commande de manière inflexible et qui est constitué en un système hiérarchisé.
Il faudrait encore montrer comment les thèses nominalistes se développent dans
l’humanisme de la Renaissance et l’Ecole du droit naturel moderne (Grotius, Pufendorf,
Wolff), qu’annonce et prépare la seconde scolastique. Chez Grotius notamment, disciple
de Suarez, on verrait la morale prendre de plus en plus de place dans le droit et le droit
subjectif s’installer d’une manière préludant au libéralisme moderne. Toutefois, on peut
directement passer à la dernière grande période qui précède immédiatement les grands
consécrations juridiques des droits de l’homme que sont les premières Déclarations.
b) Les penseurs anglais du XVIIème siècle
Les droits de l’homme ont été le produit de la philosophie moderne, éclose au
XVIIème siècle. 121
Dans cette seule affirmation Villey nous donne trois informations : la date de
naissance des droits de l’homme, leur origine (la philosophie moderne) et le fait qu’ils
constituent le fruit typique de cette dernière. Un peu plus loin, il nous donne en plus le
lieu de naissance :
Ils surgissent, à notre connaissance, au XVIIème siècle, sous la plume d’écrivains
anglais, dans une doctrine philosophique sécularisée. 122
Afin d’être le plus précis possible, Villey cite même le texte du Léviathan de
Hobbes où il voit la première affirmation claire des droits de l’homme tels que nous les
connaissons. Hobbes est donc une figure incontournable pour comprendre les droits de
l’homme, car il permet de comprendre Locke, qui permet d’expliquer les déclarations
des droits 123 . L’argumentation de Hobbes repose sur l’hypothèse de l’état de nature.
Dans cet état, l’homme dispose d’une liberté indéfinie 124 , pure capacité d’action sans
finalité. Voilà le droit naturel, entièrement lié à la liberté et au pouvoir de l’individu.
Villey peut justement noter :
121
Le droit et les droits de l’homme, p. 131, cf. p. 22
Le droit et les droits de l’homme, p. 135
123
cf. CAMPAGNA, Michel Villey, le droit ou les droits, pp. 55-60 ; Le positivisme juridique moderne et
le christianisme, pp. 201-206, 209-215
124
Le droit et les droits de l’homme, p. 140 ; cf. Note critique sur les droits de l’homme, p. 696
122
26
Le jus naturale de Hobbes est déploiement de l’action libre de l’individu
qu’aucune loi ne vient entraver : émanation du sujet même, authentique droit
subjectif. Tout homme le possède de soi-même. 125
Le droit présente donc ces deux caractéristiques : il est purement individuel et il
est absolu. C’est l’exact inverse des positions thomistes. Ce qui est paradoxal, ce sont
les conséquences de cette hypothèse chez Hobbes, que Villey appelle les deux fruits du
droit de l’homme. Le premier est le conflit des droits individuels, qui impose l’existence
d’un système législatif contraignant (positivisme) et donc la création d’institutions (le
contrat social), qui viennent réguler les droits subjectifs mais rendent possible aussi,
second fruit, le totalitarisme. La portée du système de Hobbes est telle que Locke
réagira en produisant une œuvre politique avec une nouvelle synthétisation opposée 126 .
Avec lui, on est entré totalement dans le mouvement doctrinal qui fonde actuellement la
théorie des droits de l’homme, le libéralisme philosophique.
La théorie lockienne 127 part du principe bien connu que, dans l’état de nature,
l’homme ne jouit pas seulement de sa seule liberté. Le droit de propriété est tout aussi
fondamental, ainsi que d’autres droits qui confortent la dignité de la personne. Lors du
passage à l’état social, le contrat et les institutions politiques doivent reconnaître cela et
donc protéger l’individu et sa propriété. Se constitue donc une sphère privée où
l’autonomie personnelle est jalousement préservée des empiètements du pouvoir,
chargée, au moyen des lois, de régler l’agencement de ces libertés individuelles. Locke
préfigure ici Benjamin Constant, Alexis de Tocqueville et John Stuart Mill, penseurs de
la situation actuelle.
Villey a donc retracé les origines des droits de l’homme mais ne peut
s’empêcher de clore sa recherche sur une dernière ironie : la notion est tellement
ambiguë, oscillant entre respect intégral du droit subjectif et poids du positivisme
juridique, qu’elle permet à l’un, Hobbes, de justifier le pouvoir absolu et à l’autre,
Locke, de défendre l’individu contre lui 128 . Après ces deux penseurs, on retrouve le
« point de départ » de la théorie des droits de l’homme contemporaine, positiviste : les
grandes déclarations des droits.
125
Le droit et les droits de l’homme, p. 139
Le droit et les droits de l’homme, p. 145
127
cf. Le droit et les droits de l’homme, pp. 145-153
128
Le droit et les droits de l’homme, p. 153
126
27
Nous avons étudié comment et surtout pourquoi Michel Villey avait critiqué
radicalement la notion de droits de l’homme. Ce qu’il lui reproche, au fond, c’est d’être
une œuvre de non-juristes 129 et donc de méconnaître gravement les exigences d’une
conception authentique du droit et de son langage. Sa plus grande contribution demeure
sans doute sa précieuse histoire de la pensée juridique : c’est elle qui explique la critique
car si les droits de l’homme ont pour fondement le droit subjectif, ce concept est
contradictoire avec la conception classique du droit que Villey choisit comme référence.
En fait, Villey accepte une ultime concession : l’expression droits de l’homme peut à la
limite être valable dans le cadre de la justice générale130 .
129
Le droit et les droits de l’homme, p. 137 ; Note critique sur les droits de l’homme, p. 695 ;
L’humanisme et le droit in Seize essais de philosophie du droit, p. 71
130
Les carnets, XXIII-134
28
Dans un article paru aux Archives de Philosophie du Droit en 1974 131 , Michel
Villey fit la recension d’un livre de Gregorio PECES BARBA intitulé Persona,
sociedad, estado, pensamiento social y politico de Maritain. Le titre de l’article est : Sur
la politique de Jacques Maritain ; il est le seul texte de Villey, à notre connaissance,
dans lequel il analyse et juge la philosophie de Maritain132 . Il est donc essentiel à notre
sujet, car bien plus qu’une simple recension, Villey y effectue un examen critique précis
de la pensée politique et juridique de Maritain. Il commence par rappeler quelques
éléments de biographie à propos de Maritain, mais des éléments choisis : bien qu’il
concède de Maritain « qu’il fut à titre principal le restaurateur de la philosophie de
saint Thomas, indirectement d’Aristote » et qu’il eut une « vie exemplaire », son
« ouverture d’esprit » qui l’a conduit à s’investir théoriquement et pratiquement dans le
domaine politique l’aurait amené, selon lui, à une trop grande familiarité avec la
philosophie moderne.
Villey note en premier lieu les origines lointaines de l’engagement politique de
Maritain, non sans déjà une certaine ironie : « Il y a le fait qu’il est issu d’une famille
très républicaine, qu’enfant il vécut l’affaire Dreyfus et qu’il fut d’abord socialiste.
Peut-être Maritain reviendra-t-il plus tard à ses premières amours. » Après la
parenthèse de l’Action Française, Villey observe : « Rayonnant à Meudon comme chef
d’école, entouré d’amis, il est le grand inspirateur de la Démocratie chrétienne ; il
expose en plusieurs ouvrages (surtout
Humanisme intégral) une
politique
démocratique ; et ne se contente pas d’être doctrinaire ; il aide à la constitution d’une
nouvelle presse catholique (Sept – Esprit, dont plus tard il s’écartera), adopte en
plusieurs circonstances de fermes positions pratiques (ainsi, dans la guerre civile
espagnole). » Cette observation relative à l’action pratique est importante car elle
131
N° 19, pp. 439-445
Villey ne cite que deux fois Maritain dans ses Carnets (VIII-73 et XIX-16), deux références sans utilité
pour notre sujet car ayant un tout autre objet.
132
29
reviendra dans l’appréciation de Villey sur le contenu théorique de la philosophie de
Maritain.
En second lieu, Villey note que : « Maritain eut à enseigner à Paris, non la
Somme Théologique, mais la philosophie moderne et contemporaine ; qu’ensuite, vivant
en Amérique, il n’échappe pas à l’emprise d’un système social constitué sur la
philosophie moderne… »
Ces faits ne sont pas anecdotiques pour Villey, mais « pertinents », car ils
indiquent combien, « thomiste, Maritain refusa d’être réactionnaire. » La conséquence
en est que, malgré la répugnance de Maritain pour la philosophie de l’histoire, celui-ci
en a bien une, que Villey considère comme résolument fondée sur la notion de progrès.
Il ne passe pas sous silence les dénonciations par Maritain des erreurs et déviations de la
philosophie moderne, mais selon Villey : « Maritain, proche à cet égard de Teilhard de
Chardin, croit au progrès historique providentiel. »
« Alors Maritain va bâtir sa politique sur ce fondement » : d’où, pour Villey, des
concessions (des « adoptions » ou des « acceptations ») à la « culture politique
moderne », au « monde moderne » comme la laïcité, l’humanisme, le personnalisme, le
pluralisme, la démocratie, même si, encore une fois, Villey fait la part des déplacements
opérés par Maritain. Cette philosophie politique, Villey va donc en montrer les graves
déficiences en deux temps.
Tout d’abord, Villey la resitue au sein de la totalité de l’œuvre de Maritain :
« L’apport majeur de Maritain demeure à nos yeux la redécouverte de la philosophie de
saint Thomas, l’effort entrepris contre vents et marées pour la restituer à notre temps…
On risque de mal interpréter la doctrine de Maritain, de trahir son intention profonde
en isolant ses écrits politiques de l’ensemble de son œuvre… » Ce critère herméneutique
posé, Villey peut ensuite relativiser la fidélité revendiquée par Maritain à saint Thomas :
« Maritain ne se veut point esclave de la lettre de la Somme Théologique… Entre la
doctrine politique qui est attribuée dans ce livre à Jacques Maritain et celle que,
suivant Aristote, enseignait saint Thomas d’Aquin, il y a certainement désaccord. »
Villey expose ici un certain nombre d’affirmations de Maritain qu’il compare à sa
propre interprétation du Docteur Angélique.
La conclusion est alors claire : « Oui, nous devons sans doute reconnaître une
divergence substantielle entre l’enseignement de la Somme et les positions politiques de
Jacques Maritain. » On peut noter qu’on est passé du constat d’un simple désaccord à
une véritable divergence substantielle, ce qui est beaucoup plus fort. Or, et c’est là que
30
ce texte nous intéresse le plus, Villey souligne par deux fois un des points où s’observe
le plus, selon lui, cette divergence : les droits de l’homme. Il remarque en passant : « Et
Jacques Maritain d’enfourcher avec enthousiasme le vocabulaire des "droits de
l’homme" », puis il affirme nettement : « Il en résulte que saint Thomas ne s’est pas
embarqué dans le langage confus, illusoire, (seulement moderne) des "droits de
l’homme". »
Pour être complet, il nous faut ajouter deux opinions plus générales de Villey à
propos de Maritain, qui nous aide à pénétrer plus complètement l'appréciation de celuilà sur celui-ci. La première lui est plus favorable : Villey ne peut que constater
l'influence de Maritain. Il écrit : « Je crois que notre auteur a raison de juger
importante l’influence exercée en fait par cette œuvre de Maritain. Modeste, demeuré
toute sa vie loin des honneurs officiels, largement méconnu en France, sa doctrine a
pourtant gagné de larges secteurs de la société politique contemporaine… La
Déclaration de l’O.N.U. sur les droits de l’homme procède sans doute en partie de son
enseignement… Surtout on retrouve la plupart des thèmes lancés d’abord dans les
écrits politiques de Maritain, dans les encycliques de Pie XII, de Jean XXIII et de Paul
VI, au concile de Vatican II, dans toute la doctrine sociale politique de l’Eglise
catholique. » Sur ce dernier point, sans doute va-t-il un peu loin, mais cette
interprétation suivante est sans doute assez juste, dans une certaine mesure : « Peut-être
alors sa politique devrait-elle être analysée moins comme un effort pour ouvrir l’Eglise
au monde de la pensée moderne que pour découvrir, dans la ligne de la doctrine de
saint Thomas, une voie originale, moyenne entre les excès contradictoires où
l’idéalisme constructeur de systèmes unilatéraux a conduit l’Europe moderne. »
Cependant, ces mots ne doivent pas faire oublier que l'évaluation finale par
Villey de la philosophie politique de Maritain est extrêmement critique, au sens négatif
du terme. Villey ne s’arrête pas à relever ce qu’il appelle les divergences entre Maritain
et saint Thomas ; il juge l’œuvre dans son ensemble : « Je n’estime pas pour ma part
que la Politique soit le meilleur dans la doctrine de Maritain, du moins le plus
clairement pensé… Son œuvre politique me paraît la moins réussie. Elle demeure
confuse, ambiguë, oscillant entre l’inspiration naturaliste et réaliste, prise à saint
Thomas et à Aristote, et à "l’humanisme" des modernes… Peut-être Maritain aura-t-il
en cet endroit dévié de son programme, cédé à une soif d’action temporelle, liée aux
contingences du moment… Il ne lui reste d’autre secours que de se jeter dans les bras
31
de la philosophie moderne ; aux applaudissements du public mais en trahissant sa
vocation propre. »
Le jugement est sévère. Villey ne peut, in fine, que relever « le modernisme de
Maritain », alors même que, selon lui, saint Thomas se suffit à lui seul. En déviant de la
pure ligne thomiste, Maritain aurait fauté en ce domaine qu’est la philosophie politique,
précisément celui, nous l’avons vu, dans lequel il intègre sa philosophie du droit et sur
lequel il fonde sa pensée des droits de l’homme. Déviant dans la politique, Maritain ne
pouvait que déchoir, selon Villey, et au nom du Docteur commun, sur le point des droits
de l’homme : « Il nous semble que saint Thomas… pouvait apporter à lui seul le remède
à ces déviations. Il n’était donc point nécessaire de quitter sa ligne ni indispensable de
céder une part de terrain aux idéologies modernes : l’historicisme, le démocratisme, le
verbiage des "droits de l’homme". »
Cet article de Michel Villey met en pleine lumière l’antagonisme de sa pensée
avec celle de Jacques Maritain. Plus encore, il montre la critique qu’effectue Villey de
ce qu’il considère la thèse classique du thomisme dénaturant la pensée réelle de saint
Thomas. Mais la doctrine de Michel Villey n’est pas elle-même, exempte de critique.
Nous pourrions ici citer par exemple les remarques critiques du professeur Schouppe : il
montre qu’une autre définition du droit, compatible avec saint Thomas mais différente
de celle de Villey, permet de fonder en raison les droits de l’homme. Reprenant la
critique de Hervada, pour qui le droit n’est pas un rapport mais une chose, le professeur
Schouppe définit le droit comme « une chose due dans le cadre d’une relation de
justice », le critère de la juridicité étant la dette. Or il y a des biens qui sont requis par la
nature humaine pour exister, qui constituent des droits naturels. On peut alors dire que
le fondement des droits de l’homme est la dignité de la personne et que le titre en vertu
de quoi le bien est attribué est la nature133 . On doit encore nommer Brian Tiernay, le
grand critique de Villey au Etats-Unis, qui souligne comment la notion de droit subjectif
était déjà présente chez les canonistes du XIIème siècle, ceux-là même chez qui saint
Thomas puisera pour écrire la Somme 134 .
A notre avis, le problème central de la justification de Maritain réside dans le
passage de la morale au droit, dans la jonction des sphères anthropologiques et
juridiques : comment passer de la loi naturelle et de la dignité de la personne humaine à
133
Cf. SCHOUPPE, Jean-Pierre, Réflexions sur la conception du droit de M. Villey : une alternative à son
rejet des droits de l’homme, Persona y derecho, 25 (1990), pp. 159-166
134
cf. les pages essentielles de NIORT et VANNIER (dir.), Michel Villey et le droit naturel en question,
pp. 113-130
32
de vrais droits de l’homme, voilà ce qu’il ne démontre pas de façon convaincante.
Maritain est sans doute trop philosophe pour être un authentique juriste et il n’a pas vu
les questions que soulève le droit. A l’inverse, Villey ne nous semble pas assez
philosophe 135 et trop juriste : le problème central de sa pensée est la vision trop stricte
du droit qu’il adopte, sans réelle démonstration qui induit une coupure entre la morale et
le droit. Nous rejoignons ici complètement la critique relative du professeur Kalinowski
qui a très bien expliqué ses propres divergences d’avec Villey 136 : il lui reproche sa
concentration sur le juridique et, corrélativement, la séparation qu’il introduit entre le
moral et le juridique ; il note aussi que le droit, chez Villey, c’est en fait et surtout le
droit civil. On a vu que la distinction loi – droit était beaucoup moins forte dès qu’on
aborde le droit procédural ou institutionnel. Mais surtout, il semble rejoindre Maritain
quand il s’interroge :
Ici un doute s’éveille dans mon esprit et une question naît. Et si le droit subjectif
n’était point une fiction construite par une ontologie déviée, mais tout simplement
la permission – permission qu’aucune métaphysique n’a déformée – à laquelle
correspond les devoirs incombant à autrui, devoir dont le titulaire de la permission
exige le cas échéant l’accomplissement. 137
En effet, on doit rappeler que pour Maritain, le droit ne cesse pas d’être objectif :
les « choses dues à l’homme » s’enracinent peut être dans la nature humaine 138 , mais
celle-ci est bien objectivement conçue et Maritain prend bien soin de dissocier sa
philosophie de celle qui fait du sujet, de sa volonté et de sa liberté un absolu :
Elle a compromis et dissipé ces droits, parce qu’elle a amené les hommes a les
concevoir comme des droits proprement divins, donc infinis, échappant à toute
mesure objective… et exprimant en définitive l’indépendance absolue du sujet
humain et un soi-disant droit absolu, attaché à tout ce qui est en lui. 139
Certes, la formulation de Maritain prête à confusion car son vocabulaire paraît
nettement subjectif et rejoint la ligne du droit comme faculté morale 140 . Mais il ne
135
Ainsi l’indique une remarque comme celle relative au manque de compréhension des fondements
nécessaires du réalisme des substances secondes, La formation de la pensée juridique moderne, p. 227
136
KALINOWSKI, Georges, Aristote et Thomas d’Aquin vus par Michel Villey in Droit, Nature,
Histoire. Michel Villey, philosophe du droit, pp. 57-64
137
KALINOWSKI, Georges, Aristote et Thomas d’Aquin vus par Michel Villey in Droit, Nature,
Histoire. Michel Villey, philosophe du droit, p. 62
138
Les droits de l’homme, p. 69
139
Les droits de l’homme, p. 71
140
cf. Les notions premières de la philosophie morale, OC IX, p. 909
33
faudrait pas oublier que derrière ce langage apparemment moderne, c’est une doctrine
du droit naturel classique qui se fait jour 141 .
Si on veut établir un bilan en comparant le fond de la pensée des deux auteurs,
on doit d’abord reconnaître des points d’oppositions insurpassables, qu’il nous faut
lister :
- pour Maritain, les droits de l’homme sont une question de philosophie politique et le
but de leur étude est de défendre la personne humaine contre le totalitarisme et l’Etat ;
pour Villey, les droits de l’homme sont une question de philosophie du droit et son
analyse vie à défendre le concept de droit ;
- Maritain est un philosophe personnaliste : il veut trouver des justifications rationnelles
et procède généralement par déductions ; Villey est un juriste historien : sa méthode est
toute inductive car c’est dans l’expérience et l’observation que se trouve le droit ;
- Maritain cherche une synthèse entre la philosophie classique moderne, ainsi qu’avec le
christianisme, alors que Villey demeure campé résolument dans le camp des Anciens ;
- la connaissance du droit se fait, selon Maritain, par une connaturalité avec les
inclinations essentielles de l’être humain ; pour Villey, par la dialectique et l’échange
des opinions ;
- le droit se dit au singulier et doit être tiré de la nature humaine pour Maritain alors
qu’il est essentiellement pluraliste pour Villey, qui le tire de la nature des choses ;
- la source de la doctrine maritanienne réside habituellement dans le Traité des Lois de
la Somme de saint Thomas, reçu avec les interprétations des commentateurs postérieurs
à Thomas ; Villey trouve sa théorie dans le Traité de la Justice et, se défiant
radicalement des commentateurs thomistes, fait beaucoup plus référence à Aristote 142 ;
- tandis que Villey s’attarde sur l’office du juge, Maritain parle principalement de
l’œuvre du gouvernement.
Quelques points méritent d’être soulignés plus précisément. Si l’on reprend la
distinction aristotélicienne du juste général et du juste particulier si chère à Michel
Villey, on peut se demander pourquoi il évacue immédiatement le juste générale (et
donc la loi) du domaine du droit, tout de suite après avoir défini celui-ci comme étant ce
141
SCHALL, Jacques Maritain, the philosopher in society, p. 86 : « What Maritain proposes to do in his
discussions of natural law and natural or human rights is to suggest a way to corrdinate modern rights
talk, seen to be in fact the most popular and well-known way of describing what a human being is, with
natural law principles... Very few people, however, understand that natural right means and must mean
the objective duty that we have to, what is right (jus), to what is due to another. »
142
Questions de saint Thomas, pp. 95-96, 113-114, 124 ; La formation de la pensée juridique moderne,
pp. 152-153 ; RIALS, Villey et les idoles, p. 30 ; il note expressément que Maritain a trop compté sur les
commentateurs de saint Thomas : Le droit et les droits de l’homme, p. 126
34
qui est juste, l’objet de la justice. Il ne fait aucun doute que pour Aristote comme pour
saint Thomas, le juste légal est bien authentiquement du juste 143 et, partant du droit. Les
deux types de juste sont du droit puisque celui-ci est précisément le juste. En refusant le
statut de droit (de juste) à la loi (c’est-à-dire au juste général), Villey adopte en fait une
attitude individualiste et nominaliste : le juste est toujours un acte moral référencé à
autrui mais celui-ci peut être autant individuel que collectif, puisque les êtres généraux
sont réels.
Si l’homme est naturellement social, il y a des relations entre les individus mais
aussi des relations entre les individus et la totalité du corps social. Ces relations
extériorisent un certain nombre de biens, de valeurs et les rendent membre d’un partage.
On doit donc noter que Maritain ne parle pas des droits de l’individu, mais des droits de
la personne humaine : il y a toujours intrinsèquement une altérité, car la personne est
toujours située.
Voilà pourquoi on peut parler de droit en terme de dû réclamé par une chose,
que ce soit la nature humaine, la nature des choses ou des situations particulières. Dans
tous les cas, si on est réaliste, il y a une altérité et le dû est toujours objectif car il n’est
pas imposé mais découvert.
Pour Villey, il n’est pas possible d’inférer du droit d’un seul terme, car le droit
requiert une pluralité de personne. Voilà pourquoi les notions de droit et d’homme, au
singulier, sont opposées 144 . Cela condamne radicalement à ses yeux la tentative de
fonder les droits de l’homme sur un droit de nature, reposant sur l’essence générique de
l’homme 145 . Cependant on doit avoir présent à l’esprit qu’il y a deux aspects dans la
nature humaine : la morale proprement dite, intérieure au sujet, et celle au sens large, la
justice, qui vise l’homme dans son existence naturellement communautaire. Après le
nominalisme, l’étude de la nature humaine a été de plus en plus détachée de sa source
ontologique réaliste. On a donc abandonné la nature sociale de l’homme pour le réduire
à un individu. Ainsi, il nous semble que le problème n’est pas tant celui soulevé par
Villey, d’un droit individuel au sens de droit tiré de la nature humaine, mais celui de la
définition de la nature qu’on emploie. Cela change tout. La révolution nominaliste fut
d’abord métaphysique avant d’être juridique : la modification du concept de nature
143
DARBELLAY, La réflexion des philosophes et des juristes sur le droit et la politique, pp. 9-11
Le droit et les droits de l’homme, pp. 21-22 ; Note critique sur les droits de l’homme, p. 698
145
Critica de los derechos del hombre, pp. 245-246 ; Note critique sur les droits de l’homme, p. 697 ; Le
droit et les droits de l’homme, p. 134 et 154
144
35
bouleversa dans un second temps le droit en empêchant d’accéder à une compréhension
intégrale de la nature humaine.
Les rapports du droit et de la loi posent donc un vrai problème mais, si Maritain
ne semble pas en avoir pris conscience, Villey a voulu réagir trop fortement. Tout le
droit n’est pas la loi mais la loi est, au moins pour une part, du droit. Les deux notions
sont distinctes mais non séparées et la distinction droit / morale repose sur d’autres
critères. Villey, à trop vouloir distinguer, sépare et réduit le droit à quelque chose de
strict sans démonstration.
Un autre point réside dans la définition même du droit. Pour Maritain, l’ordre
juridique est l’ordre moral (le debitum) auquel s’ajoute la contrainte sociale. Il y a donc
un élément générique (la morale) et un élément spécificateur (le commandement), mais
il n’y a pas d’objet vraiment nouveau quand on passe de la morale au droit. Villey a
sans doute une vision plus proche de saint Thomas mais surtout il permet de
comprendre que la modernité a séparé ces deux éléments pour ne conserver que la
contrainte, comme elle a séparé les deux sources de l’ordre juridique pour ne conserver
que le droit positif. Les deux auteurs se complètent car on peut tomber d’accord sur le
fait que les droits de l’homme naissent quand disparaît toute référence normative
objective, morale ou juridique.
Cependant, malgré toutes ces oppositions, qui expliquent chacune pour une part
le grand contraste de leur conclusion respective concernant l’existence des droits de
l’homme, on peut aussi repérer un ensemble de points de convergence non négligeable :
- on trouve à la racine de leur œuvre intellectuelle le même désir de rechercher la vérité,
de rétablir les vérités et conclusions perdues et de restaurer les conditions de possibilité
d’une authentique vie de l’esprit, de l’intellect ; il y a chez eux deux un combat
incessant contre toutes les fausses philosophies et contre les erreurs de la philosophie
moderne ;
- les deux hommes sont donc, pour cela, des philosophes, qui veulent l’un et l’autre
restituer à la métaphysique, à l’ontologie et au réalisme leur place légitime ;
- les deux philosophes sont donc tout les deux d’accord pour rappeler l’objectivité du
droit et pour lutter contre le subjectivisme, même s’il l’interprète différemment ;
- les deux auteurs tombent aussi d’accord pour affirmer que le droit est à dire et non pas
à faire. Son temps grammatical est l’indicatif, non l’impératif ;
36
- Villey, comme Maritain, use de la distinction individualité – personnalité et va jusqu’à
affirmer que « saint Thomas a déjà perçu ce que nous appelons les droits de
l’individu » 146 ;
- les deux ont été largement déçus dans leur espérance, bien qu’ils ne se faisaient pas
d’illusions et que Maritain connut sans doute une postérité officielle au travers du
Magistère contemporain.
On doit s’arrêter sur leur conception de l’histoire de la pensée. Les deux
philosophes sont persuadés de la fécondité d’une méthode mettant en parallèle
philosophie générale et pensée juridique. La synthèse apportée par Villey est sur ce
point précieuse et durable. De nos jours, l’œuvre très complète et précise de André de
Muralt reprend ses conclusions et démontrent la portée des thèses scotistes dans toute la
philosophie moderne 147 . Or, malgré ce qu’il paraît au premier abord, Maritain est loin
d’avoir négligé cet aspect et on trouve chez lui de nombreux éléments proches de la
pensée de Villey. S’il en reste le plus souvent à une rupture datée de Descartes 148 , il
n’ignore pas le nominalisme 149 . On peut toutefois se demander si, en général, il est
remonté suffisamment loin dans le passé 150 .
Il nous semble possible de décrire ainsi l’antagonisme radical de leurs pensées,
si l’on tente de dégager leur mouvement le plus profond : tandis que Jacques Maritain
critique les fausses philosophies des droits de l’homme 151 , et en propose donc une vraie
fondée sur la loi naturelle, Michel Villey, quant à lui, critique la notion même de droit
de l’homme et affirme qu’elle est impossible à soutenir dans un contexte thomiste pour
un juriste. D’une certaine manière, le titre de leur principal ouvrage en la matière est
révélateur : Maritain met en relation les droits de l’homme et la loi naturelle, son seul
fondement possible ; Villey, en comparant le droit et les droits de l’homme, souligne
avec force que les deux notions sont exclusives l’une de l’autre.
146
cf. La formation de la pensée juridique moderne, p. 174 ; Le droit et les droits de l’homme, pp. 111112
147
cf. de MURALT, André, L’unité de la philosophie politique. De Scot, Occam et Suarez au libéralisme
contemporain, Vrin, Paris, coll. Bibliothèque d’histoire de la philosophie, 2002, 198 p., notamment
pp. 154-156
148
« C’est à partir du XVIème siècle que s’est produit le renversement caractéristique du monde
moderne » soit la révolution cartésienne, Science et sagesse, OC VI, p. 41 ; cf. Le songe de Descartes
(1932), OC V, pp. 9-222
149
cf. Court traité de l’existence et de l’existent, OC IX, p. 15 ; Trois réformateurs, OC III, p. 462, 467 ;
La loi naturelle et la loi non écrite, pp. 108-109 ; cf. ce que dit son ami JOURNET, Exigences chétiennes
en politique , p. 355
150
FLOUCAT, Le Moyen-Age de Jacques Maritain, in Saint Thomas au XXème siècle, p. 277
151
Il aime à opposer le faux et le vrai humanisme, la fausse et la vrai philosophie… cf. Théonas, OC II,
pp. 801-808 ; Du régime temporel et de la liberté, OC V, p. 393
37
On aperçoit alors mieux combien le conflit intellectuel mis en relief par la
confrontation de Villey et de Maritain ne concerne seulement que deux points
fondamentaux : la définition de la nature du droit et la définition du droit subjectif. Le
cœur du débat est un problème de langage, de distinctions et précisions, et il est le
même quels que soient les cadres philosophiques, même si celui thomiste impose de
trouver une solution à ces deux points litigieux compatibles avec une métaphysique
réaliste. Il nous semble qu’il est possible de maintenir ensemble les deux en purifiant
certes fortement la notion de droit subjectif (comme l’invite la réflexion villeyienne)
afin d’en restituer l’essence objective, et en n’adoptant pas une définition trop restrictive
du droit qui ne s’impose pas (comme l’invite la théorie maritanienne)
Cette question du droit subjectif et de sa compatibilité ou non avec le thomisme,
ce qui donnerait un fondement aux droits de l’homme, est illustrée par les nombreuses
querelles ayant eu lieu entre Michel Villey, Louis Lachance, Jean Dabin, Félicien
Rousseau 152 … Mais c’est surtout l’école anglo-saxonne qui est féconde. Des
rapprochements entre Maritain, Villey et Léo Strauss ou Alasdair MacIntyre ont été
fait 153 . Mais surtout entre John Finnis, disciple de Maritain, et Ralph McInerny, disciple
de Villey 154 .
A cet égard, il nous semble que le débat Maritain – Villey met en lumière un
aspect de la philosophie thomiste souvent laissé dans l’ombre alors même qu’il est au
cœur du problème : les relations de la loi naturelle et du droit naturel. Maritain fonde les
droits de l’homme sur la première, immuable et universelle, alors que Villey rejette les
droits de l’homme au nom du second, variable.
En conclusion, nous voudrions nous arrêter sur un point très spécifique : Michel
Villey comme Jacques Maritain ont eu à composer avec la doctrine sociale de l’Eglise
qui, avec Pie XII, introduisit très largement les droits de l’homme. La dédicace du livre
de Villey à Jean-Paul II est très loin d’être anecdotique : ses ouvrages reviennent sans
cesse sur la critique de la doctrine sociale de l’Eglise et les analyses des théologiens,
qu’il accuse de ne rien connaître au droit, de méconnaître la juste autonomie de cette
science et de confondre le droit et la morale. Or la doctrine sociale de l’Eglise, dans ses
très nombreux développements sur les droits de l’homme, qui s’appuient d’ailleurs
152
cf. NIORT et VANNIER (dir.), Michel Villey et le droit naturel en question, p. 95, 128, 149, 158-159,
164-166
153
SIGMUND, Paul, L’influence de Jacques Maritain sur les Amériques in BRESSOLETTE et
MOUGEL (dir.), Jacques Maritain face à la modernité, p. 218 ; RIALS, Introduction in La formation de
la pensée juridique moderne, pp. 3-4
154
cf. NIORT et VANNIER (dir.), Michel Villey et le droit naturel en question, p. 106, 112
38
parfois sur saint Thomas, insiste sur les « exigences » propres de la personne humaine et
qu’il faut lui reconnaître à peine de mépriser sa dignité. C’est cela qu’elle appelle ses
droits. Il nous semble que le fond du problème est là : la philosophie, dans toutes ses
parties (métaphysique, morale, politique) révèle que la personne humaine est porteuse,
même et surtout au sein de la communauté dans laquelle elle vit, d’une dignité et de
valeurs intangibles, qui doivent être reconnues dans l’ordre objectif du droit.
Dans la réflexion engagée concernant les droits de l’homme, les juristes et les
hommes politiques sont surtout préoccupés des mécanismes qui peuvent en
garantir la défense et la protection. Les philosophes et les théologiens, quant à eux,
sont plutôt en quête de fondement. 155
Maritain insiste sur la nécessaire consécration juridique des conséquences de la
dignité de la personne humaine. Villey rappelle que le droit est instrument qui a ses lois
propres qu’il faut respecter. C’est dans l’équilibre de ces deux exigences que la
philosophie des droits de l’homme trouve sa raison d’être.
155
THILS, droits de l’homme et perspectives chrétiennes, p. 49
39
BIBLIOGRAPHIE
Les ouvrages sont cités en bas de page de la manière suivante : le nom de l’auteur, le titre
(parfois abrégé), la page.
Les Œuvres complètes de Jacques Maritain sont citées ainsi : titre de l’ouvrage original, OC,
numéro du volume, page.
Pour certains ouvrages de Maritain, l’indication de pages seules renvoie non aux Œuvres
Complètes mais aux autres éditions mentionnées dans la bibliographie.
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- BASTIT, Michel, Naissance de la loi moderne, la pensée de la loi de saint Thomas à
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- CALVEZ, Jean-Yves et PERRIN, Jacques, Eglise et société économique :
l’enseignement social des Papes de Léon XIII à Pie XII (1878-1958), Aubier, Paris,
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- CALVEZ, Jean-Yves, Chrétiens penseurs du social (Maritain, Mounier, Fessard,
Teilhard de Chardin, de Lubac, 1920-1940), Cerf, 2002, 208 p.
- CATTIN, Yves, L’anthropologie politique de Thomas d’Aquin, L’Harmattan, Paris,
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- de la CHAPELLE, Philippe, La déclaration universelle des droits de l’homme et le
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politique, 490 p.
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philosophie à l’UNESCO (21 novembre 2002) n° 7, 2004, 63 p.
- DUFOUR, Alfred, Droits de l’homme, droit naturel et Histoire, PUF, Paris, coll.
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- FERRY, Luc et RENAUT, Alain, Philosophie politique, tome 3 – Des droits de
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- JOURNET, Charles, Exigences chrétiennes en politique, Egloff, Fribourg et L.U.F.,
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- KERALY, Hugues, Préface à la "Politique" de saint Thomas d'Aquin, Nouvelles
Editions Latines, Paris, coll. Docteur commun, 1974, 179 p.
- LACHANCE, Louis, Le concept de droit selon Aristote et saint Thomas, Editions
Albert Levesque, Montréal et Sirey, Paris, 1933, 442 p.
45
- LACHANCE, Louis, Le droit et les droits de l’homme, PUF, Paris, coll. Bibliothèque
de philosophie contemporaine, 1959, 238 p.
- LACHANCE, Louis, L’humanisme politique de saint Thomas d’Aquin, individu et
Etat, Sirey, Paris et Editions du Lévrier, Montréal, 1965, 398 p.
- LUSTIGER, Jean-Marie, Dieu merci, les droits de l’homme, Critérion, Paris, 1990,
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- MORANGE, Jean, Droits de l’homme et libertés publiques, PUF, Paris, coll. Droit
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- MOURGEON, Jacques, Les droits de l’homme, PUF, coll. Que sais-je ? n° 1728,
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- de MURALT, André, L’unité de la philosophie politique. De Scot, Occam et Suarez
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2002, 198 p.
- RAYNAUD, Philippe et RIALS, Stéphane (dir.), Dictionnaire de philosophie
politique, PUF, Paris, coll. Quadrige – dicos poche, 20033, 892 p.
- ROUSSEAU, Félicien, L’avenir des droits humains, les Presses de l’Université Laval,
Québec, et Editions Anne Sigier, Paris, 1996, 380 p.
- SERTILLANGES, Antonin-Dalmace, La philosophie morale de saint Thomas
d’Aquin, Aubier-Montaigne, Paris, 19422, 433 p.
- STRAUSS, Léo, Droit naturel et Histoire, Flammarion, coll. Champs n° 158, Paris,
1986, 323 p.
- THILS, Gustave, Droits de l’homme et perspectives chrétiennes, Cahiers de la Revue
Théologique de Louvain n°2, Editions Peeters, Louvain, 1981, 116 p.
- TORRELL, Jean-Pierre, Initiation à saint Thomas d’Aquin, sa personne et son oeuvre,
Cerf, Paris et Editions universitaires, Fribourg, coll. Vestigia (pensée antique et
médiévale) n° 13, 20022, 646 p.
- VEYSSET, Philippe, Situation de la politique dans la pensée de saint Thomas
d’Aquin, Editions du Cèdre, Paris, 1981, 151 p.
Articles
- ARBUS, Marie-Réginald, le droit romain dans l'œuvre de saint Thomas, Revue
Thomiste, 2 (1957) pp. 325-349
- GARRIGUES, Juan-Miguel, La « nature du droit » fondement des droits de l’homme
selon la doctrine catholique, Droits, 2 (1985), « Les droits de l’homme », pp. 45-59
- GOYARD-FABRE, Simone, Les deux jusnaturalismes ou l’inversion des enjeux
politiques, Cahiers de philosophie politique et juridique, 11 (1987), « Des théories du
droit naturel », pp. 7-42
- JACQUIN, R., Individu et société d’après saint Thomas, Revue des Sciences
Religieuses, 35 (1961), pp. 183-190
- PERRIER, Emmanuel, Aux sources du droit, in Thomistes ou de l’actualité de saint
Thomas d’Aquin, Parole et Silence, 2003, pp. 197-213
- VAN OVERBEKE, Paul, Droit et morale. Essai de synthèse thomiste, Revue
Thomiste, 2 (1958), pp. 285-336 et 4 (1958), pp. 674-694
- VAN OVERBEKE, Paul, La loi naturelle et le droit naturel selon saint Thomas, Revue
Thomiste, 1 (1957), pp. 53-78 et 3 (1957), pp. 450-495
46
TABLE DES MATIERES
Introduction
p. 4
Chapitre 1. Jacques Maritain : la dignité de la personne humaine
p. 16
Section 1. Prolégomènes à une théorie des droits de l’homme
p. 19
§1 – Le contexte d’élaboration de la théorie maritanienne
1) La participation de Maritain à la reconnaissance internationale
des droits de l’homme
a) L’ONU, l’UNESCO et la Déclaration universelle de 1948
b) Le rôle de Maritain à l’UNESCO
2) De la métaphysique au droit : le statut du savoir juridique
a) La hiérarchie des sciences
b) L’impossible séparation de l’être et du devoir-être
p. 19
§2 – La consécration juridique possible des droits de l’homme
1) La prise en compte du pluralisme de la société
a) La division des esprits dans la société moderne
b) La société pluraliste
2) La possibilité d’un accord pratique dans une société pluraliste
a) L’existence possible d’un accord pratique
b) La portée de l’accord pratique
p. 29
p. 30
p. 30
p. 32
p. 34
p. 34
p. 36
Section 2. La nature humaine et ses droits
p. 39
§1 – Le personnalisme thomiste de Jacques Maritain
1) L’individu et la personne: une distinction essentielle
a) Les causes de la réflexion maritanienne sur la personne
b) L’individualité et la personnalité
2) La société des personnes humaines
a) La société et le bien commun
b) La société humaine: un tout de touts
p. 39
p. 40
p. 41
p. 43
p. 44
p. 45
p. 47
§2 – La loi naturelle, fondement des droits de l’homme
1) La théorie maritanienne de la loi naturelle
a) L’élément ontologique
b) L’élément gnoséologique
2) Le droit et les droits de l’homme chez Jacques Maritain
a) La définition de l’ordre juridique
b) Les droits de l’homme
p. 49
p. 51
p. 51
p. 53
p. 56
p. 56
p. 59
p. 20
p. 20
p. 21
p. 23
p. 24
p. 26
47
Chapitre 2. Michel Villey : le droit dans les choses, objet de la justice
p. 63
Section 1. L’analyse villeyienne du langage du droit
p. 67
§1 – Le problème du langage des droits de l’homme
1) Le langage des droits de l’homme
a) Le bilan du langage des droits de l’homme
b) Le discours villeyien sur les droits de l’homme
2) Les voies d’accès à l’authentique langage juridique
a) Le réalisme de Michel Villey
b) Le mouvement de la pensée juridique
p. 67
p. 68
p. 69
p. 71
p. 74
p. 74
p. 77
§2 – Le concept de droit chez Michel Villey
1) La définition du droit d’Aristote
a) Du droit à la justice
b) Les attributs du droit
2) Le droit chez les Romains
a) Le droit chez Cicéron
b) Le droit dans le Digeste
p. 80
p. 81
p. 81
p. 83
p. 86
p. 87
p. 88
Section 2. La genèse des droits de l’homme
p. 91
§1 – Thomas d’Aquin : la synthétisation du droit objectif
1) Les rapports du droit et de la loi chez saint Thomas
a) Le droit, la loi et la morale
b) La sphère modeste du droit
2) Le droit naturel et les droits de l’homme
a) Le droit naturel chez Aristote et saint Thomas
b) La conception villeyienne du droit naturel
p. 92
p. 93
p. 94
p. 96
p. 99
p. 99
p. 102
§2 – Le droit subjectif, fruit du nominalisme
1) La révolution nominaliste
a) La naissance d’une pensée individualiste et volontariste
b) Les conséquences juridiques du nominalisme
2) Les théories des droits de l’homme, héritières du nominalisme
a) La Seconde Scolastique
b) Les penseurs anglais du XVIIème siècle
p. 106
p. 107
p. 107
p. 110
p. 113
p. 113
p. 115
Conclusion
p. 118
Bibliographie
p. 129
Table des matières
p. 136
48
L’auteur du mémoire tient à remercier vivement :
Monsieur le Professeur Jean Morange,
Son directeur de mémoire
- Frère Jean-Miguel Garrigues, o.p.
- Père Marie-Bruno Bordes, o.c.d.
- Monsieur l’Abbé Stéphane Loiseau
pour leurs encouragements à étudier l’œuvre du Docteur Angélique,
notamment dans sa partie politique et juridique
- Monsieur le Professeur Renato Rabbi-Baldi Cabanillas
- Monsieur le Professeur Jean-Pierre Schouppe
- Monsieur Gilles Plante
pour leur aide apportée à pénétrer la doctrine de Michel Villey
- Mademoiselle Maria Grigoriou
- Mademoiselle Vassiliki Kapsali
pour leur traduction des textes en grec
49
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