Observatoire des mutations des industries culturelles
Réseau international de chercheurs en sciences sociales
Série : « Perspectives transversales »
Pour une déconstruction de la « diversité
culturelle »
Tristan Mattelart
Institut français de presse - Université Paris II
Ce texte a été publié pour la première fois sur le site de l’OMIC en janvier 2007 dans le cadre du
programme de recherche « La diversité dans les filières d’industries culturelles ».
Pour citer ce texte :
Auteur, <« Titre du texte »>, Observatoire des mutations des industries culturelles [En ligne], mis en
ligne le <Date de mise en ligne>. URL : <URL de l’article>. Consulté le <Date de consultation>.
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Pour une déconstruction de la « diversité culturelle » Tristan Mattelart
3
La notion de « diversité culturelle » a, pour elle, l’attrait de l’apparente évidence. Comment pourrait-
on être contre le pluralisme qu’elle implique ? Attrayante, la notion n’en pose pas moins problème en
raison de sa polysémie. Ne permet-elle pas de gitimer tour à tour et les politiques publiques
destinées à promouvoir une certaine pluralité culturelle et les stratégies des firmes globales de la
communication œuvrant au nom d’un accroissement de la palette des choix des consommateurs ?
D’où la nécessité de considérer la notion de « diversité culturelle » non comme donnée, allant de soi,
mais comme construite, évoluant au cours du temps, en fonction du contexte politique, économique
et intellectuel. L’objectif de la présente contribution est ainsi de déconstruire cette notion. Pour cela,
nous proposons un parcours théorique éclairant les transformations qui se sont opérées, depuis les
années soixante-dix, dans les façons de penser les différentes formes de diversité culturelle.
1.
L
A DÉFENSE DE L
’«
AUTONOMIE CULTURELLE
»
Le parcours proposé débute avec l’économie politique critique de la communication. L’économie
politique critique a en effet été, comme le rappelle Armand Mattelart dans son ouvrage Diversité
culturelle et mondialisation, l’un des premiers lieux à partir desquels des chercheurs ont souligné le
besoin, pour préserver la diversité culturelle, de mener des politiques publiques de communication
1
.
Les travaux de l’économie politique critique vont, dès la fin des années soixante, mettre à nu
l’existence d’un système transnational des médias et montrer comment celui-ci s’articule avec le
système-monde d’une économie capitaliste que l’on ne nomme pas encore globale.
Les recherches critiques replacent les processus d’internationalisation des médias dans le cadre des
rapports de domination qui affectent la planète : elles décryptent les relations d’inégalité qui
traversent le système transnational, démontant les rouages de l’hégémonie qu’y exercent les
multinationales de la communication occidentales. Celles-ci sont largement décrites, avec leurs relais
nationaux, comme enveloppant les populations du monde dans une culture globale de la
consommation, avec toutes ses déclinaisons locales. Les multinationales de la communication sont
considérées, à ce titre, dans ces travaux, comme des agents majeurs de l’intégration des sociétés
nationales dans l’économie capitaliste mondiale
2
. L’internationalisation des médias est dans cette
perspective porteuse pour les pays de la périphérie de différents ordres de dépendance économique
bien sûr, mais aussi politique et culturelle, à l’égard des acteurs dominants du système global.
1
Mattelart Armand, Diversité culturelle et mondialisation, Repères-La Découverte, Paris, 2007 (1
ère
édition en 2005).
2
Voir en particulier Schiller Herbert I., Communication and Cultural Domination, International Arts and Sciences
Press Inc., White Plains, 1976, et Mattelart Armand, Multinationales et systèmes de communication. Les appareils
idéologiques de l’impérialisme, Anthropos, Paris, 1976.
Pour une déconstruction de la « diversité culturelle » Tristan Mattelart
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L’économie politique critique ne se penche pas seulement sur les mécanismes de sujétion que recèle
le système transnational, largement commercial, des médias pour les sociétés qui y sont soumises,
mais va réfléchir également aux moyens qui peuvent être mis en œuvre pour y échapper. Dans cet
objectif, les chercheurs critiques vont proposer des concepts qui vont être centraux pour penser les
phénomènes d’internationalisation des médias : identité culturelle (qu’il s’agit de défendre), identité
nationale, culture nationale… Ainsi Kaarle Nordenstreng et Herbert I. Schiller font-ils de la protection
de la « souveraineté nationale » une question centrale de l’étude de la communication internationale.
Cees J. Hamelink place, lui, la préservation de l’« autonomie culturelle » au premier rang de l’agenda
des recherches critiques
3
.
Pour pleinement comprendre l’enjeu que représentent ces travaux, il faut prendre en compte le
contexte dans lequel ils apparaissent celui des décolonisations et des efforts entrepris par les pays
nouvellement décolonisés afin de promouvoir certaines formes d’indépendance culturelle. Afin de
prémunir les médias du Tiers Monde d’une concurrence internationale inégale, et leur permettre de
jouer un rôle favorable dans le développement socioéconomique, les chercheurs critiques vont de
cette façon mettre en avant la nécessité pour ces pays d’élaborer des politiques publiques nationales
en ce domaine. L’agenda de l’UNESCO pendant les années soixante-dix se fera l’écho des
préoccupations des chercheurs critiques : en témoignent les différentes conférences
intergouvernementales qu’organise, pendant cette décennie, cette institution sur le thème des
politiques nationales en matière de moyens de communication.
La notion de diversité culturelle n’est alors, bien entendu, pas utilisée systématiquement par les
recherches critiques. L’on voit néanmoins bien comment ces travaux ont pu servir de socle à une des
acceptions contemporaines de la diversité culturelle. Ici, la diversité culturelle renvoie à la nécessaire
préservation de la pluralité des expressions culturelles, mise sous tension par les logiques
d’internationalisation et de commercialisation des médias.
2.
L
E PROTECTIONNISME COMME APPAUVRISSANT L
OFFRE CULTURELLE
Ces thèses de l’économie politique critique vont être, dès les années soixante-dix, âprement
discutées. Le plus célèbre pourfendeur de ces thèses est le chercheur américain Ithiel de Sola Pool, qui
considère les chercheurs critiques comme autant de « cultural nationalists ». Au cœur de l’argument
d’Ithiel de Sola Pool, il y a la conviction du caractère néfaste de toute politique protectionniste en
3
Nordenstreng K. et Schiller H. I. (Eds.), National Sovereignty and International Communication, Ablex, Norwood,
1979 ; Hamelink Cees J., Cultural Autonomy in Global Communications. Planning National Information Policy,
Longman, New York, 1983.
Pour une déconstruction de la « diversité culturelle » Tristan Mattelart
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matière culturelle. Ses idées méritent un petit détour, car elles reviennent sur le devant de la scène
académique aujourd’hui, avec les écrits sur la mondialisation.
Toute culture, avance Ithiel de Sola Pool dans ses textes de la fin des années soixante-dix, est le
produit d’interactions culturelles, d’enrichissements culturels grâce à l’importation d’éléments
étrangers dans la culture nationale. Il existe un « cycle de diffusion culturelle » : les éléments culturels
étrangers sont en effet progressivement intégrés par les cultures nationales
4
.
Ithiel de Sola Pool raisonne plus particulièrement à partir de l’exemple de la télévision. Le petit
écran est, dans les pays du Tiers Monde, explique-t-il, pendant la deuxième moitié des années
soixante-dix, largement dans la première phase du cycle de diffusion culturelle. Ces pays n’ont pas
encore acquis un savoir-faire propre, et ne sont pas, en tout cas, en mesure de produire tous leurs
programmes, ils ont donc besoin d’en importer, en grand nombre. Cette première phase est
naturellement marquée par une forte domination des programmes américains. Pourquoi américains ?
Parce que ces programmes sont issus d’un système commercial concurrentiel, tout entier voué à
produire et à diffuser des contenus plébiscités par les téléspectateurs.
Dans la deuxième phase de ce cycle de diffusion culturelle appliqué à la télévision, les producteurs
nationaux vont apprendre, grâce à l’exemple des programmes importés, à développer leurs propres
programmes nationaux. Les émissions étrangères, loin de mettre en péril la création nationale,
servent, selon ce raisonnement, de facteur d’émulation, ou mieux, de modèle pour la production de
programmes nationaux. Programmes nationaux qui, à l’issue de la deuxième phase de ce cycle, seront
en mesure de regagner leur public national, voire, même, de conquérir un public international.
L’on comprend alors qu’Ithiel de Sola Pool soit extrêmement hostile à l’égard des mesures
protectionnistes. « La culture n’a en général pas besoin de protection », écrit-il. Une politique
nationale de communication qui prendrait des mesures protectionnistes ne pourrait qu’aboutir à une
production culturelle médiocre puisqu’elle n’aurait pu profiter de l’émulation que constituent les
programmes importés.
Contre les thèses de l’économie politique critique, Ithiel de Sola Pool développe donc une
argumentation qui in fine fait l’apologie du modèle télévisuel commercial américain et du libre-
échange en matière culturelle. Seul le libre-échange des biens culturels, à ses yeux, permettra de
satisfaire les attentes des consommateurs. Dans cette perspective, les politiques de la diversité
culturelle proposées par les chercheurs critiques sont nécessairement considérées comme conduisant
à un appauvrissement de l’offre culturelle et à une réduction des choix culturels pour les consommateurs.
4
Pool I. de Sola, « The changing flow of television », Journal of Communication, vol. 27, n°2, 1977, p. 142-144.
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