JEUDI 6 JANVIER 2005 "Zieutez bien cque jvous dis". La langue parlée et son rendu dans l’écrit-parlé Il y a maintenant un siècle que les linguistes ont opéré un déplacement décisif du regard qu’ils portaient sur la langue en décidant de faire porter désormais l’enquête non plus sur la langue écrite mais sur la langue parlée. Un exemple de cette nouvelle approche est l’analyse de la marque du pluriel au moyen d’une sifflante préfixée dans les mots français commençant par une voyelle. "Voici, à titre d’exemple, écrivait Charles Bally en 1913, un petit fait que je grossis intentionnellement, et qui marquera la nature propre de cette recherche. Si le français était une langue de sauvages, non fixée par l’écriture, un voyageur-linguiste, recueillant sur les lèvres des indigènes le présent du verbe aimer, le transcrirait ainsi: jèm, tuèm, ilèm, nouzèmon, vouzémé, ilzèm. Ce qui le frapperait surtout, c’est l’agglutination du pronom-sujet et du verbe; jamais il ne serait tenté de restituer un paradigme sans pronom: Aime, aimes, aime, aimons, etc., auquel l’écriture traditionnelle fait croire. En comparant ce cas à d’autres très nombreux, que l’observation directe lui ferait trouver, il attribuerait à cette langue une tendance à l’agglutination, et même, en comparant ilèm et ilzèm, il supposerait une tendance à l’incorporation, le signe unique du pluriel étant un z infixé dans le complexus verbal. Ces conclusions ne sont qu’approximatives, mais elles montrent que le français ressortirait de l’examen direct des faits avec une toute autre physionomie, probablement plus conforme à la réalité. En tout cas, l’infixe z donné comme marque du pluriel dans ils aiment est plus vrai que ce qu’apprennent tous les écoliers de France et de Navarre, à savoir que le signe du pluriel est la désinence °ent, que personne ne prononce." C’est donc en 1913 que se situe l’origine de l’idéologie linguistique en fonction de laquelle Raymond Queneau, à partir des années 1930, va militer pour une nouvelle langue française en 'ortograf fonétik'. Idéologie linguistique populiste qui, si je l’adopte à mon tour, me conduit à intituler mon séminaire d’aujourd’hui à la façon de Queneau: "Zyeutez bien cque jvous dis", ou si je suis maximaliste comme Queneau lui-même et après lui les écrivains de la créolité privilégiant les formes les plus basilectales: "Zieuté bien cke jvou di". Je réfléchis sur ce populisme plein de préciosité et non dépourvu d’agressivité.